Celyn Blevins17 ans│Américano-gallois│#4
Je suis en train de rire, car Stan a dit quelque chose qui me fait rire. Pourtant, il n’y a trop rien de quoi rire en ce moment, Stan et moi nous trouvant dans un couloir de ce qui est un bâtiment abandonné, mais de quel genre, je n’en ai aucune idée, alors que mon camarade de classe est drogué et que mon poignet droit est tordu ou cassé. Ces faits ne donnent pas envie de rire, mais, une fois pris ensemble, ça pourrait faire rire tant ça a l’air de n’avoir pas de sens : quand on sait que je me suis blessé au poignet parce que j’ai atterri sur un lit, ou plutôt un matelas, dans une chambre autre que la mienne sans que je ne sache comment, on est tenté de rire face à l’absurdité de la situation, et je l’aurais moi-même fait si je ne la vivais pas à l’instant. Je ne rêve pas, je suis bel et bien réveillé aux côtés de Stan, que je porte presque. C’est réel, tout ça est réel, nous sommes dans la réalité. Malgré ça, je ris simplement et ça me fait du bien. Je ne ris pas de Stan, mais avec lui, car sa précédente réplique était amusante, et je lui ai répondu en ce sens. Je ne ris jamais de qui que ce soit, parce que je ne juge pas et que je suis incapable de le faire. Les rires et les jugements, je les ai endurés au collège, dès que
Mam s’est fait arrêter, et ils ont redoublé lorsqu’elle a été jugée coupable. Jugée coupable. Elle n’a pas été jugée que par les gens, mais par la justice, qui l’a jugée coupable. Depuis le début de l’affaire, tout le monde la croyait coupable, car elle s’était elle-même déclarée coupable, et le doute qui planait encore quant à la possibilité qu’elle ne le soit pas a été levé à la fin : elle l’était, elle l’est et elle est en prison pour ça.
Ça m’a dévasté, mais ce qui m’a anéanti est que
Mam ne s’est jamais défendue, acceptant sans un mot sa condamnation. Personne, que ce soit Papa, Dilwyn ou moi, n’a compris pourquoi est-ce qu’elle n’a pas combattu, ne s’est pas levée ni n’a même ouvert la bouche, et ça nous a tous brisés. Néanmoins, elle a fait face, elle ne s’est pas laissé atteindre par ce qui était extérieur au procès, elle a ignoré et, quand j’y repense, je me rends compte d’à quel point elle a été forte. Je n’ai pas pu faire comme elle, moi qui me suis effondré quand elle a été emmenée et étais rejeté, brimé et craint à cause d’elle : au lieu de l’imiter, j’entendais le moindre murmure sur moi de mes camarades et le plus petit chuchotement me faisait verser des larmes de retour à la maison après les cours. Durant cette période, mon rire s’est éteint sous l’eau de ces larmes, et je n’ai plus ri jusqu’à oublier le son de mon propre rire, oublier comment rire et oublier ce qu’était rire. Je voyais les autres rire autour de moi et j’ai inconsciemment associé le rire au jugement, lorsque les paires d’yeux braqués sur
Mam se sont détournées d’elle. À partir de ce moment, on s’est aussi détourné de moi et j’ai de nouveau su respirer, avancer et vivre. Rire. J’ai recommencé à rire grâce à Dilwyn, et je ne remercierai jamais assez mon grand frère pour avoir provoqué l’étincelle et ravivé la flamme de ce rire qui m’animait.
Et je ris sincèrement en soutenant Stan, que ce soit physiquement ou mentalement, mon camarade avec une bosse sur le front étant sous les effets de ce qu’il a pris. Ayant peur qu’il ne tombe, je le tiens contre moi, mais, en cherchant à me repositionner, j’effectue une pression involontaire sur mon poignet abîmé, et mes traits se déforment tandis que mes cordes vocales ne vibrent pas sous la douleur que je ressens, avant que Stan ne se détache de moi, de quoi me faire immédiatement imaginer le pire, et je l’appelle deux fois et le questionne, mais ce qui s’est passé est que Stan s’est enlevé et s’est exclamé au sujet de mon poignet. Le choc passé, je ris à gorge déployée, mes muscles se détendant, mon corps se relâchant et le soulagement m’inondant de la tête aux pieds, avant de rassurer Stan, mais il me rétorque que si, c’est important et que ça pourrait s’aggraver. Je secoue négativement la tête sans me départir de mon sourire :
-Fais-moi confiance.
Il n’a pas tort, d’autant plus que je ne sais pas si ce sont les muscles ou les os qui sont touchés, parce que si ce sont les os, ça ne peut pas s’aggraver, un os cassé étant cassé, cependant, il peut ne pas se réparer correctement, mais il ne se répare pas rapidement, donc j’ai du temps devant moi. En revanche, si ce sont les muscles, c’est plus délicat et ça pourrait effectivement s’aggraver, mais ce n’est pas la priorité : la priorité est que Stan s’assoit et se repose, et c’est pourquoi je récupère Stan non loin du mur et l’accompagne au sol, où je l’y fais asseoir. Tenir debout exige un certain effort, dont on n’a pas conscience quand on bouge, mais qui existe, et ceux qui restent immobile debout l’éprouvent, effort qui est insupportable lorsqu’on a mal à la tête. Afin de faire le moins d’effort possible, il vaut mieux être assis et non debout, et ça apaise la douleur, car on est à terre, on ne peut pas être plus bas et le cerveau n’a plus à traiter l’information « être debout », qui demande de l’énergie, énergie que Stan n’a pas pour l’instant puisqu’il la met déjà dans le seul effort de rester conscient. Stan m’interroge et je m’assombris, avant de m’installer devant lui, en le tenant toujours par les épaules, et de lui raconter ce qui m’est arrivé, notamment que j’ai été dans le
void. Le
void, parce que ce n’était pas que le vide : c’était le vide en dehors de moi et en moi, j’ai fait partie du vide pendant ce qui m’a paru une éternité et c’était affreux, car je n’étais nulle part, je ne sentais rien et je n’étais plus « je ».
J’étais le vide, j’étais le
void, et j’en ai un frisson, mais je me reprends et détaille à Stan ce que je sais, avant de lui prêter mon téléphone pour qu’il le constate lui-même. Stan garde le silence durant de longues secondes, le regard fixé sur l’écran de mon appareil comme s’il avait des difficultés à déchiffrer ce qu’il y a dessus, avant qu’il ne fronce les sourcils et me questionne encore. Logiquement, il en a reçu un, parce que ce message concerne toutes les personnes qui sont dans notre classe, ce qui signifie que si toutes ces personnes sont réellement ici, avec nous, elles ont dû recevoir le même message, et je lui en fais part :
-Je suppose que oui vu que ça concerne toute notre classe. Et ce serait bizarre que je reçoive un SMS et pas toi alors que tu es avec moi.
Stan met ses mains dans ses poches, à la recherche de quelque chose, et je crois qu’il est à la recherche de son téléphone portable dans le but de vérifier mes dires, mais il ne le trouve pas et je fronce les sourcils en l’observant, lorsque Stan m’apprend avec confiance qu’il va aller voir s’il n’est pas quelque part là où il s’est retrouvé, ce qui fait s’écarquiller mes yeux alors que j’ai un réflexe, et je me redresse vivement en appuyant légèrement sur ses épaules et me rapproche de lui, une lueur d’inquiétude dans le regard :
-Non, ne bouge pas ! Tu ferais mieux de ne pas bouger, j’ajoute avec douceur, et Stan chuchote qu’il va attendre que ça redescende, ce qui est une excellente idée.
-Voilà, je renchéris.
Stan n’a pas son téléphone sur lui, donc il est soit chez lui soit ici, et je pense qu’il est ici, car le téléphone a l’air d’être un accessoire indispensable au jeu auquel nous participons, parce que si on reçoit un message qui nous annonce qu’on prend part à un jeu, le reste suivra par message. Or, Stan ne peut pas « jouer » s’il n’a pas son téléphone, alors il est forcément quelque part. J’aimerais aller voir moi-même, mais il est hors de question que je laisse Stan seul, ne serait-ce que quelques secondes. On reste ensemble, et dès que Stan se sentira mieux, on ira chercher son téléphone, mais pas avant. Mes yeux sont rivés sur lui, le surveillant, et je précise ma pensée :
-Quand tu tiendras debout, on cherchera ton téléphone.
Je serre une de ses épaules dans un geste se voulant réconfortant et reprends le mien, que je mets en veille, avant de le ranger dans une des poches de mon bas de pyjama, lorsqu’un hurlement strident retentit, me faisant brusquement sursauter tandis que je me relève d’un coup et tourne la tête de tous côtés, une main sur une épaule de Stan. Qu’est-ce que c’était ? Un hurlement poussé par une fille, mais dont je ne peux déterminer l’origine, car il nous est parvenu en échos rebondissant sur les murs. Mes yeux sont grand ouverts, mon cœur bat la chamade et je jette des coups d’œil à gauche et à droite, aux aguets. Quelqu’un a hurlé, c’est que quelqu’un est en danger, mais je me force à ne pas paniquer en me concentrant sur ce que ce hurlement m’indique : c’est une fille, sûrement une de nos camarades, et ça montre qu’ils sont là, dans ce bâtiment. Le message ne ment pas, mais ce que je retiens est qu’une de nos camarades est en danger, quand le silence revient, effrayant. Je me fige, un frisson me remontant l’échine, et attends une dizaine de secondes avant d’interroger Stan, sur mes gardes :
-… Est-ce que tu as reconnu qui c’était ? On peut pas rester ici, je décide promptement.
J’ignore la raison de ce hurlement, mais si cette raison se déplace, et se déplace jusqu’à nous…
-Tu penses que tu peux le faire ? Je questionne Stan en m’accroupissant face à lui, mes yeux dans les siens, angoissé.