Texte à caractère sensible.
À mes amours.
✾ LYS MAY ✾
16 ANS ✾ DEMI-DIEU FILS D’ACHLYS ✾ CANADIEN
“I’m not a fighter by nature, but, if I believe in something, I stand up for it.” Justin Bieber
✾ Give Me Back My Life ✾
✾ HISTOIRE ✾
La méchanceté, le sadisme et la cruauté n’ont pas de limite. Ils me connaissent et je les connais très bien. J’aurais presque aimé pouvoir affirmer que je les connais par cœur, parce que ça aurait signifié qu’ils s’arrêtent quelque part. Qu’ils ont une borne, une fin. Mais je ne le peux pas et ça me fait peur. La vérité est que ça me terrifie. Jusqu’où peuvent-ils aller ? Jusqu’où les hommes sont-ils capables d’aller ? Les hommes ou les dieux, peu importe. Il n’y a pas de différence entre eux, si ce n’est que les uns sont mortels et les autres immortels. Qu’ils soient hommes ou dieux, ceux qui font preuve de méchanceté, de sadisme et de cruauté vont encore plus loin toujours plus loin. Je l’ai appris de la bouche de Papa. Je crois que jamais je n’aurais voulu le savoir, mais ça aurait été l’abandonner. Ça aurait été le laisser seul là-dedans, ne pas le soutenir. Ça aurait été se voiler la face, ne pas ouvrir les yeux. Et jamais je n’aurais pu lui faire ça. Papa et moi sommes ensemble depuis ma naissance et nous faisons front ensemble. Je suis là pour lui et serai là pour lui jusqu’à ma mort. Je l’aime de tout mon cœur, de tout mon être. De toute mon âme. Je sais qu’il m’aime aussi et je le soutiendrai quoi qu’il arrive. Même si la tristesse nous pèse et même si le malheur frappe constamment à notre porte. Même si le sort s’acharne sur nous. Nous pouvons subir tous les malheurs du monde, que Papa ne serait pas seul. Je serai dans ses malheurs avec lui. Dans nos malheurs. J’absorberai sa peine, je prendrai sur moi ses infortunes avec les miennes. Je le protégerai. C’est pour ça que je suis parti et je le protégerai toute ma vie.
Papa est un petit agriculteur canadien, qui vit dans l’Alberta. L’Alberta est une des trois prairies canadiennes. Il habite à l’écart de la ville, dans les champs. Il possède deux terrains, dont il a hérité. Il les cultive, et garde pour lui une partie de sa production et revend l’autre dans une ville située dans la banlieue d’Edmonton. Edmonton est la capitale provinciale d’Alberta. Ses deux terrains et ses cultures sont, avec moi, la prunelle de ses yeux. Ses trésors, qu’il chérit. Il y tient plus qu’à sa vie et s’en occupe avec le plus grand soin. Il est passionné par la terre, la nature. Fasciné par ce qu’elles offrent, ce qu’elles donnent. Il est amoureux d’elles et s’évertue chaque jour qui passe à les entretenir à son échelle. Étant seul, le travail que lui demandent ses deux terrains est considérable. Mais Papa est un travailleur et aime travailler. Il est courageux et patient. Persévérant. Quand bien même plus il avance dans l’âge et plus le travail devient laborieux, il ne baisse pas les bras. Il s’accroche et continue de s’occuper de ses terres avec amour. Elles sont tout pour lui, le fruit de sa vie. Il fait ce qui est en son pouvoir pour qu’elles restent fertiles et ne se repose jamais. Il ne s’arrête jamais, ne s’en éloigne jamais. Il n’a jamais quitté le coin, n’est jamais parti en vacances. Il ne s’accorde aucun répit. On pourrait trouver ça triste, mais Papa n’en a jamais été malheureux. Au contraire, il ne veut rien d’autre. Il sacrifie sa vie pour ses terres et en est heureux. Je l’admire pour ça, pour sa simplicité, sa force, sa pureté.
Un jour, il était en ville. Il vendait comme d’habitude et a soudain vu non loin une jeune femme. Elle paraissait avoir plus que son âge véritable à cause de son apparence misérable. Ses cheveux étaient noirs et désordonnés, son visage anguleux émacié. À la peau si fine et pâle, qu’elle était presque transparente. Elle avait de grands yeux verts brumeux. Son nez coulait, ses joues étaient ensanglantées. Ses larmes se mêlaient à son sang. Ses lèvres étaient éclatées, ses ongles longs. Ses épaules étaient parsemées de poussière. Son corps n’était pas mince, mais squelettique. Elle était habillée d’une robe noire en lambeaux et tremblait. Elle claquait des dents et reniflait. Elle avait l’air d’être une clocharde souffrant de la faim et Papa n’est pas resté insensible face à cette vision. Il est fondamentalement bon et voir la souffrance sur les traits d’une personne lui est insupportable. Il se doit d’y remédier s’il le peut, mais il n’aurait pas dû cette fois. Il n’aurait jamais dû. Mais Papa n’allait pas faire comme s’il ne l’avait pas vue, il n’allait pas l’ignorer. Il en est incapable et recommencerait sûrement s’il le fallait. C’est dans sa nature. Son être équivaut à prendre soin de la terre et aider les autres. Papa s’est donc approché d’elle et lui a donné quelques-uns de ses fruits et légumes qui se mangent crus. La femme l’a regardé avec dévotion et lui a pauvrement souri en pleurant. Incrédule, elle les a pris. Elle les a longuement fixés, avant de les dévorer. Papa était soulagé qu’elle ait pu au moins apaiser sa faim aujourd’hui et est rentré chez lui à la fin de la journée. Mais il ne savait pas que la femme l’avait suivi.
Il était en train de se préparer son dîner, quand la femme s’est montrée dans la cuisine. Papa a eu une grosse frayeur et a violemment sursauté. Il s’est calmé, a repris son sang-froid. Il a recouvré ses esprits et a soupiré. La femme souriait largement et il ne s’est pas méfié. Il lui a dit qu’elle n’avait pas le droit d’être là, d’entrer chez les gens inopinément. Qu’elle ne pouvait pas rester. Il lui donnera encore des fruits et des légumes, ceux qui restaient. Mais elle devra s’en aller ensuite. Il lui a proposé de la ramener en ville, mais ça n’a pas plu à la femme. Ça ne lui a pas du tout plu et le sort de Papa s’est scellé à cet instant. Le sourire de la femme est tombé et elle est entrée dans une colère noire. Elle s’est mise à hurler et à faire voler le mobilier de la cuisine. Après, elle s’est jetée sur Papa. Elle l’a frappé, mordu. Griffé. Elle l’a roué de coups. Papa était sous le choc, pris par surprise. Il ne réagissait pas, encaissant. Jusqu’à ce qu’il le fasse et essaie de maîtriser la femme. La lutte se poursuivit, mais la femme a attrapé sa tête d’une main. Elle l’a brutalement cognée contre le sol à plusieurs reprises et a assommé Papa. Papa était inconscient et elle en a profité afin de lui lier les poignets. Il s’est vite réveillé et elle l’a torturé. Je suis certain qu’elle se délectait de sa souffrance et s’en nourrissait. Elle l’a fait davantage souffrir, allant toujours plus loin. Finalement, elle a abusé de lui. Elle l’a violé. Pour s’amuser. Pour le voir souffrir. Pour le torturer encore plus. Là, elle lui a révélé qui elle était : Achlys, déesse grecque de la tristesse, du malheur et du poison. Elle lui a asséné qu’elle le maudissait pour le restant de ses jours et qu’elle lui ferait un cadeau empoisonné. Ce cadeau empoisonné, c’est moi.
Elle a accouché devant Papa et m’a placé sans ménagement dans ses bras. J’étais trop petit et trop maigre. Je n’avais que la peau sur les os, qui pouvaient se briser à tout instant. J’étais couvert de sang et blême. Achlys a ordonné à Papa de me garder et de l’appeler comme elle. Je devais porter son nom et il n’avait pas intérêt à lui désobéir. Elle reviendra pour lui s’il ne respecte pas ses ordres. Elle a disparu dans une épaisse brume violette et sanglante et a laissé Papa hagard. Il était interdit, incapable du moindre geste. La cuisine était dévastée et Papa ravagé. Il a été traumatisé et j’ai fini par le remarquer lorsque j’étais un peu plus grand. Je savais déjà qu’il était tout le temps triste, mais j’ai bien remarqué qu’il a les épaules relevées. Son dos est voûté, ses yeux sont cernés. Ils sont ternes et y brille parfois une vive lueur de terreur. Je l’entendais crier la nuit, car il fait des cauchemars. Il tremble de manière imperceptible. En dehors de moi, il ne supporte pas qu’on le touche. Il se tient loin des gens et les évite. Papa a été marqué au fer rouge par sa rencontre avec Achlys et vit avec. Achlys a bouleversé son monde et il était désormais parent. Père d’un garçon. Je suis bel et bien un cadeau empoisonné, le résultat d’une déesse violant un mortel. Malgré ça, Papa m’aime. Malgré le fait que je lui rappelle chaque seconde cette nuit, il m’aime. Je n’ai jamais cru qu’il m’a gardé uniquement parce qu’il craignait les représailles d’Achlys. Il m’a gardé parce que je suis son enfant, son fils. Je n’étais qu’un enfant, en rien responsable des actes de la déesse. Je n’y étais pour rien, je n’avais rien demandé à personne. Je n’avais pas demandé à être la preuve vivante de l’enfer qu’Achlys lui a fait vivre. Alors Papa m’a accepté et s’est retrouvé à s’occuper de ses terres et de son enfant.
Ça a été extrêmement pénible pour lui. Au début, il s’occupait beaucoup de moi. Il a délaissé ses terres et gagnait bien moins que d’ordinaire. Nous nourrir tous les deux était une épreuve, mais il y parvenait de justesse. Il s’est sacrifié une nouvelle fois et cette fois pour moi. Grâce à lui, je vivais. Ma petite enfance n’a pas été heureuse, mais je ne pouvais espérer mieux. Papa prenait soin de moi et m’a initié à l’agriculture dès que je fus en âge de le comprendre. J’adore ça, ça me passionne aussi. Je partageais quelque chose avec mon père et ça me plaisait énormément. Petit, je ne faisais que courir dans les champs. Puis, j’ai commencé à aider Papa. Je plantais et ramassais avec lui. Il m’a appris au fur et à mesure tout ce qu’il sait sur l’agriculture. Mais nous n’étions pas heureux. Il y a quelque chose qui fait que nous ne le sommes pas et ne pouvons l’être. Quelque chose qui nous dépasse, indépendant de notre volonté. Quelque chose au-dessus de nous, supérieur. Une force qui nous empêche d’être heureux et nous rend tristes. Papa n’est plus heureux comme avant quand il cultive ses terres. Il est bel et bien triste, éteint. Sa flamme ne se ravive que rarement. Il a été condamné par Achlys et ne sera plus jamais heureux. Il ne connaîtra plus jamais le bonheur, seulement une moindre tristesse. Ajoutés à ça ses malheurs. Ses cultures qui ne poussent pas pour une raison inconnue. La tempête qui les détruit. Les vols récurrents. Papa les enchaîne. J’en veux horriblement à Achlys pour ça, je lui en veux pour tout ça. Je lui en veux pour avoir blessé Papa et lui faire endurer des choses si terribles. Je la hais du plus profond de moi.
Néanmoins, je ne me rendais pas encore compte que j’étais aussi la cause de sa tristesse et de ses malheurs. J’étais trop jeune, mais je l’ai définitivement compris à l’école. Les autres enfants me regardaient de travers, me dévisageaient avec insistance. Ils fronçaient les sourcils et le nez. Ils m’évitaient, faisaient tout pour ne pas être près de moi. J’étais déjà seul quelques jours après la rentrée et je ne voyais pas pourquoi. Je ne leur avais rien fait, il n’y avait aucune raison pour qu’ils me rejettent. En réalité, il y en a une et je l’ai connue lorsque j’ai questionné un garçon de ma classe. J’avais les yeux embués de larmes : « Pourquoi est-ce que personne ne veut jouer avec moi ? » « Parce qu’on est tristes avec toi ! » M’avait-il craché au visage. « Tristes. » Je rends les gens tristes. Je rends Papa triste. Je suis l’arme vengeresse d’Achlys, elle le torture toujours à travers moi. C’est pourquoi les autres enfants se tenaient loin de moi. Ils ne voulaient pas être tristes et c’est compréhensible. Je les comprenais vraiment : personne n’a envie d’être triste. C’est un sentiment désagréable, qui fait monter les larmes aux yeux. Il noue la gorge, l’estomac. On ne veut pas être triste, on veut être heureux. J’en ai pleuré. J’étais triste d’être seul, mais j’étais surtout triste de rendre les gens tristes. Alors je tolère ma solitude, pour le bien des autres. Sauf que les autres n’en sont pas restés là. J’étais frêle pour mon âge. Ma peau était trop claire, on aurait dit que j’étais en permanence malade. J’étais blafard et ça effrayait les autres. Ils me trouvaient moche, affreux. Je leur faisais peur et ils répétaient sans arrêt que j’étais un zombie. J’étais un cadavre debout, un mort-vivant. Ils me le rappelaient tous les jours, tout le temps.
Je ne pouvais pas rester concentré longtemps ou tranquille. Je n’arrivais pas à lire correctement, j’avais de grosses difficultés. Les autres se sont attaqués à elles. J’étais nul, pas intelligent. Bête, stupide. Débile, con. Je n’avais pas de cerveau, je ne savais rien faire. J’étais dans les derniers de la classe, c’était révélateur. Je ne pouvais pas faire mieux. En plus des moqueries sur mon physique, on se moquait de mes capacités cognitives. Que ce soit en classe, lors de la récréation. À la cantine, à la sortie des cours. J’étais moqué. Pourtant, je ne suis pas plus bête qu’un autre. J’ai du mal à lire, mais je sais lire. Mon esprit est vif. Mais j’entendais toujours les mêmes choses, toujours les mêmes moqueries. Toujours les mêmes insultes, toujours les mêmes mots. Ils entraient par mes oreilles dans ma tête, pénétraient dans mon cerveau et mon cœur. Ils s’y incrustaient lentement, jusqu’à s’y graver. Ils tournaient et retournaient dans mon esprit. Je les ai intériorisés, y ai cru. Un soir après l’école, j’ai demandé à Papa si c’était vrai. Il ne s’y attendait pas, il en a été choqué. Terrorisé. Il s’est empressé de me démontrer le contraire, que je n’étais rien de tout ça. Il m’a rassuré et affirmé que j’étais même l’inverse de ce que les gens racontaient. Je ne devais pas les écouter, je n’avais pas à les écouter. Il m’a déclaré qu’il m’aime et que la méchanceté doit glisser sur moi. Je l’ai tout de suite cru, j’ai une confiance absolue en lui. Je suis donc retourné à l’école sans plus faire attention à ce que j’entendais. Ça me faisait toujours mal au cœur, ça me le pinçait toujours. C’était toujours dur à entendre, mais c’était les mots de Papa qui emplissaient ma tête. Ils prenaient toute la place et empêchaient ceux des autres de s’y installer. Les mots de Papa les chassaient et je me sentais mieux.
Mais les autres sont passés à l’étape supérieure en voyant que je les ignorais. Ils ont commencé par me couper le chemin, en se mettant devant moi dans la queue de la cantine. Ils me repoussaient légèrement, me donnaient des coups de coude indolores. Ça n’a pas duré longtemps. C’est rapidement passé aux croche-pieds, aux vols d’affaires. Aux vrais coups. Je n’en ai jamais parlé à Papa, je ne voulais pas l’alarmer. J’ai vu ce que ça lui a fait quand je lui ai parlé des moqueries que je subissais et je ne voulais plus voir la peur et la peine sur son visage. Il avait déjà assez de choses à s’occuper entre ses terres et moi. Il était triste et n’avait pas besoin de l’être davantage. Mon but depuis tout petit est de l’aider, de lui faciliter la vie. Je refuse d’être un fardeau, un boulet à sa cheville. Je fais ce que je peux afin qu’il soit le moins triste possible. Alors j’ai pris sur moi et je n’ai rien dit. Je lui ai caché les bleus parce que je croyais que c’était la meilleure chose à faire. Tous les jours, c’était pareil. Des coups à chaque récréation, lorsque les surveillants avaient le dos tourné. Ils étaient plusieurs, des garçons et des filles. Sans distinction, ils me tapaient. Je ne bronchais pas. Je me roulais en boule au sol et attendais que l’orage passe. Je les rendais tristes et ils me punissaient pour ça. Je le comprenais et ne réagissais pas. Mais ils sont allés plus loin une fois. Ils m’ont battu, me frappant dans la tête. Ils me frappaient le nez, les côtes. Le ventre, les jambes. Mes côtes ont craqué, ils en ont cassé trois. J’étais si frêle, que ce n’était pas compliqué. La douleur fut telle, que j’ai hurlé.
Surpris, ils ont tous reculé, mais ils s’étaient reculés loin. Ils avaient tous sauté d’un coup. Ce n’était pas normal. Je n’y ai pas fait attention. Pour la première fois, je me suis relevé. Je me suis remis debout et je fusillais tous mes bourreaux du regard. Je me suis attardé sur un habituel, qui me blessait depuis que j’étais entré à l’école. Je l’ai regardé dans les yeux, le souffle court. Ma poitrine se soulevait difficilement, je respirais mal. Je respirais fort, en sueur. Mes sourcils étaient froncés et mon corps raide. Je le regardais et pensais de toutes mes forces qu’il devait mourir. Soudain, il est tombé dans l’inconscience. À la surprise générale, il s’est évanoui. Comme un seul homme, les autres ont bondi encore plus loin de moi. Ils me fixaient, mais plus avec colère. Avec de la peur et du dégoût. Je suis passé de bouc-émissaire à monstre en une seconde, cette seconde où le garçon s’est effondré. Je tremblais de tout mon corps, débraillé. J’étais épuisé, aux pommettes et aux lèvres éclatées. Aux côtes brisées. Je tenais à peine sur mes jambes, mais je résistais. Un surveillant a accouru, suivi d’autres. J’ai été séparé des autres élèves et on m’a demandé de raconter ce qui s’était passé. J’ai tout expliqué grâce à mes dernières forces. Le garçon et moi avons été expulsés pendant une semaine et Papa en a été horrifié. Je lui ai aussi tout raconté et il m’a cru. Il était horrifié par tous les mauvais traitements que j’endurais seul et a pleuré devant moi.
C’était la première fois que je le voyais pleurer et ça m’a fait mal. Encore plus mal que n’importe quel coup. Ça m’a fait si mal, que je me suis promis de devenir fort. Je ne pouvais plus les laisser me toucher. Je ne pouvais plus les laisser m’atteindre. Je ne pouvais plus subir ça pour Papa. Papa ne mérite pas ça, il ne l’a jamais mérité. Il fallait que je sois plus fort, que je sache me défendre. Selon les témoignages, mon œil vert s’est illuminé d’une faible lueur violette. Le garçon est tombé évanoui et j’ignorais ce que j’avais fait. Qu’est-ce qui lui avait fait perdre conscience ? C’était de ma faute, c’était forcément de ma faute. J’avais fait quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Je l’ai découvert plus tard. Je m’étais servi de la brume de la mort, qui avait repoussé mes bourreaux. J’étais si enragé, que je l’ai inconsciemment dirigée sur le garçon. Elle l’a brusquement affaibli, au point de lui faire perdre conscience. Ce qui pèse sur Papa et moi, c’est la brume de la mort. Ce qui nous entoure constamment, c’est elle. Elle nous enveloppe. La brume de la mort est collée à moi, elle m’accompagne partout où je vais. Elle fait partie de moi, en quelque sorte. Je l’ignorais, c’est Papa qui m’en a parlé. Achlys l’a menacé de le plonger dans la brume de la mort. Comme son nom l’indique, cette brume est mortelle. Elle tue, mais elle sauve Achlys. Elle lui permet de tuer et de se cacher. De se déplacer. C’est grâce à elle qu’Achlys a réussi à suivre Papa. La brume de la mort est son premier pouvoir et le mien. Je peux l’utiliser et je me suis entraîné tous les jours à partir de là. Mon but était de pouvoir me cacher dedans à mon tour, disparaître.
Je voulais me fondre en elle et ainsi échapper à mes camarades. Papa m’a encouragé en ce sens et m’a précisé que la brume de la mort peut se manifester. Nous pensons qu’elle est une entité à part entière et qu’elle se manifeste selon son bon vouloir. Elle peut être visible comme invisible. Je la sens autour de moi, mais je ne la vois pas. À force de me concentrer dessus, j’ai fini par la faire apparaître. Ce fut affreux : elle n’est autre qu’un mélange de brouillard pourpre et de sang. J’ai eu peur et ai crié à pleins poumons. Ça a alerté Papa, qui s’est précipité vers moi. Il a vu la brume de la mort, mais l’a ignorée. Il l’avait déjà vue, autour d’Achlys. Il m’a pris dans ses bras et m’a rassuré. Je ne voulais pas recommencer, mais j’avais encore plus peur que les moqueries et les coups recommencent. Alors j’ai surpassé ma peur et mon dégoût au bout d’une semaine et demie et ai réessayé. La brume de la mort ne me fait pas de mal, jamais. Elle ne fait pas de mal à Papa non plus et nous protège. Elle nous cache et je sais exactement ce qui s’est passé entre Papa et Achlys. Je le sais, car je l’ai vu. La brume de la mort me fait voir les souvenirs tristes et malheureux d’un lieu. Un jour, elle m’a fait voir la souffrance de Papa cette nuit où Achlys s’en est prise à lui. La brume de la mort fait remonter les mauvais souvenirs et me les montre. Elle me fait voir des souvenirs très tristes, très malheureux. Qui témoignent d’une grande souffrance. Dès que je pose les pieds dans un lieu, je sais les tristesses et les malheurs qu’il a connus. Et je me suis entraîné à me fondre dans la brume de la mort, à ne plus être vu par les autres.
Ça m’a demandé beaucoup de temps et d’énergie. J’ai pris quatre mois à y arriver, mais j’ai réussi. J’ai failli laisser tomber, abandonner. Mais je n’ai rien lâché, je ne pensais plus qu’à ma future tranquillité. Mes efforts ont payé : j’étais capable dès neuf ans de devenir invisible grâce à la brume de la mort. À l’abri dedans, je voyais mes camarades me chercher dans la cour pour me faire regretter d’exister. Mais ils ne me trouvaient pas et ce n’était pas même drôle à mes yeux qu’ils me cherchent vainement. J’étais simplement immensément soulagé de ne plus être la cible de leurs coups. J’étais toujours celle des railleries et ce n’était pas plus supportable. Mais mon corps ne craignait plus d’être frappé. Malheureusement, la donne a changé au collège. Papa m’a fait le plus beau cadeau qu’il pouvait, il m’a offert un téléphone portable. C’était mon cadeau pour avoir vaincu l’école primaire et mon entrée au collège. J’avais réussi à passer chaque niveau sans redoubler et Papa était fier de moi. Ce téléphone célébrait un nouveau départ et était mon bien le plus précieux. Mais ça n’a pas duré. Rien ne dure. Comme à chaque fois que nous essayons de bien faire les choses, il y a une force supérieure qui réduit à néant le bonheur qu’on effleure du bout des doigts. Grâce à mon téléphone, je me suis dit que je pouvais me faire des amis derrière un écran. Je ne pouvais pas m’en faire en face, mais le téléphone était une autre alternative. Ce fut le contraire. J’étais devenu la cible des réseaux sociaux.
J’avais donné mon numéro à un camarade de classe parce qu’on avait un travail à faire en binôme. Il l’a redonné à tous les gens de ma classe et j’ai reçu un nombre incalculable de messages tous plus haineux les uns que les autres. « Qu’est-ce que tu fous là ? », « T’as rien à foutre là », « Tu pues », « Va crever », « Va te prendre », « Jette-toi par la fenêtre », « Qu’est-ce que t’attends pour te tailler les veines ? », « T’es inutile », « Tu sers à rien », « Pire qu’un cancer, sérieux », « Je vais te déchirer ta race », « Je te baise quand je veux ». Des avant-goûts. Au collège, je n’étais plus frappé. J’étais harcelé. Les gens m’évitaient toujours, m’ignoraient. Et se déchaînaient sur Internet. Je recevais tous les jours des messages de mort, des menaces. Elles visaient même Papa et ma génitrice. Ils disaient qu’ils viendraient chez moi, qu’ils me tueraient dans mon sommeil. Qu’ils me battraient à mort. Ils me prenaient en photo et détournaient les images. Je voyais défiler les photos truquées, les légendes et les commentaires en dessous. J’entendais mon téléphone vibrer à chaque nouveau message. Le son du vibreur était désormais mon pire cauchemar. Et j’ai craqué. N’en pouvant plus, j’ai attrapé mon téléphone. Je l’ai fracassé contre un mur de ma chambre en pleurant toutes les larmes de mon corps. Je me suis rué dans la salle de bains et me suis saisi de la première chose coupante qui me tombait sous la main. Je me suis tranché les veines du bras gauche avec rage.
Ils avaient raison, ils avaient tous raison. Je n’étais qu’un bon à rien qui rendait les gens tristes. À quoi bon vivre si c’est pour faire chier le monde ? Autant crever et laisser les autres vivre en paix. Au moment où j’allais passer à l’autre bras, Papa est arrivé. Il a surgi de nulle part et s’est jeté sur moi. Il a crié mon prénom et m’a arraché la lame des mains. Il s’est coupé la paume avec sur toute la longueur, mais il n’en avait cure. Il me regardait et ce que j’ai vu sur son visage me hante encore. Il m’a hurlé dessus en attrapant mon avant-bras blessé. Il le serrait, le compressait. Il a appelé l’hôpital de sa main libre et j’y ai été admis une heure plus tard. J’ai été soigné et ils ont conclu à un malheureux accident. Papa leur a menti et il a bien fait. S’il ne l’avait pas fait, ils m’auraient gardé. Ils m’auraient interrogé, m’auraient évalué comme instable. Ils m’auraient envoyé je ne sais où, m’auraient séparé de Papa. C’est ça qui m’aurait achevé, qu’on me sépare de mon père. Je ne pouvais pas ne serait-ce que l’imaginer et Papa ne voulait pas non plus qu’ils m’emmènent. Je suis resté deux jours à l’hôpital et suis enfin rentré à la maison. Je ne suis pas retourné à l’école : Papa préférait que je sois tranquille chez nous. J’ai suivi des cours en ligne et c’était reposant. Je n’étais plus confronté au harcèlement, mais le mal était fait. Tout ce qu’on m’avait répété encore et encore dans mon enfance me revient souvent en mémoire et j’en cauchemarde. Je dors mal et fais des insomnies. J’ai refait plusieurs tentatives de suicide et Papa m’a sauvé. En dépit de la souffrance que ça lui causait, la mienne était aussi présente. Je croyais sincèrement qu’en mettant fin à mes jours, nos souffrances cesseraient. Papa n’a pas arrêté de me répéter que ce serait l’inverse et je le croyais. Je le croyais, mais c’était si dur d’avancer.
Un satyre est venu jusque chez nous et m’a proposé de m’emmener à la Colonie des sang-mêlés. Il m’a assuré que je serai bien là-bas, que c’était fait pour les demi-dieux comme moi. Un demi-dieu… Un paria. J’ai dû faire le choix le plus difficile de ma vie : rester avec Papa et alimenter sa tristesse, ou le soulager d’un énorme poids. Papa et moi n’étions pas dupes, nous savions tous les deux que ce serait plus vivable pour lui si je partais. Rien ne me fait plus mal que d’être la cause de la souffrance de Papa et c’est pourquoi j’ai décidé de partir. Je l’ai libéré et je sais que ça lui a fait le plus grand bien. Je l’aime et il m’aime aussi. Mon départ l’a blessé, mais il en avait besoin. Nous nous sommes longuement regardés, en silence. Puis, Papa m’a serré du plus fort qu’il peut dans ses bras. J’ai fait de même, je me suis accroché à lui. Il s’est légèrement reculé et a collé nos fronts. Il a silencieusement articulé qu’il m’aime en me regardant dans les yeux. Je lui ai répondu de la même manière et suis parti avec le satyre. J’avais quatorze ans et avais appris de mes erreurs. À la Colonie, je me dissimulais dans la brume de la mort dès que quelqu’un m’approchait. Il y avait des rumeurs qui circulaient sur mon compte, comme quoi j’étais un fantôme. Pour cause, je me trouvais toujours au même endroit. Dans le bois, sous un arbre. À côté des champs de fraises, que j’observe douloureusement. Ils me rappellent Papa. Dès que je sentais la présence de quelqu’un trop proche de moi, je disparaissais. J’étais perçu comme un mirage, une chimère. Pendant tout ce temps où j’étais seul, je pansais mes blessures. Je n’avais confiance en personne, je ne voulais être avec personne.
Durant deux ans, j’ai travaillé sur moi, sur mes pulsions suicidaires. Sur mon être, mon identité. Ce que je veux être. Je ne veux pas être comme ma génitrice. Je ne veux pas faire souffrir les autres. Je ne m’appelle pas Achlys. J’ai coupé mon prénom : je m’appelle Lys. Comme la fleur. Et j’essaie de survivre.
✾ CARACTÈRE ✾
Lys est un jeune garçon triste, désillusionné et désabusé. Sa tristesse n’est ni grande, ni profonde, ni intense, mais elle est en lui, constante et sourde. Elle est un héritage maudit d’Achlys et l’empêche de sourire, et il n’a jamais ri de sa vie entière. Il n’est pas expressif, expansif, émotif : il a appris à cacher ses émotions et arbore toujours un air neutre. Néanmoins, ses émotions sont fortes, mais il ne les montre pas. Il est discret, secret et effacé. Il est solitaire, se tient loin des autres et demeure en retrait. À cause du harcèlement dont il a été victime, il n’a aucune confiance en lui et a des mauvaises pensées qui lui envahissent en permanence l’esprit. Il fait tout afin de ne pas y céder et lutte contre elles, tenace. Il les hait et se hait, mais il hait encore plus sa mère. Il lui en voudra à jamais pour ce qu’elle a fait à son père et est rancunier, il ne pardonne pas. Il tente de transformer sa tristesse en haine et y parvient assez bien, car son objectif est de ne plus souffrir. D’apparence, il est froid et distant, mais ses plaies ne sont pas cicatrisées. Sur certains points, il ressemble à son père : il est calme, patient et déterminé comme lui. Il persévère lorsque quelque chose lui tient à cœur. Il est pacifiste, contre la violence quelle qu’elle soit et ne se bat pas. Il ne se voit pas ainsi, mais il est courageux et n’a peur de rien, sauf de sa mère et de perdre son père. Il ne veut pas devenir comme elle et refuse de s’apitoyer sur son sort, alors il prend sur lui. Il se convainc qu’il fait tout cela pour son père. La première année à la Colonie, il ne laissait personne l’approcher et se fondait dans la brume de la mort. L’année dernière, il a progressé : il ne disparaît plus tout de suite, mais, si la conversation devient trop dure pour lui, il s’évanouit dans les airs. Il a beau avoir fait des progrès, il n’accorde pas encore sa confiance et se méfie davantage des femmes. Lys apparaît de marbre et inébranlable, afin qu’on ne voie pas qu’il suffit d’une parole pour qu’il se fissure. Cependant, son manque de confiance peut lui être fatal et le conduire à sa perte.
✾ POUVOIRS ✾
Lys contrôle la brume de la mort. Il peut se fondre en elle, devenir invisible aux yeux de tous et se déplacer grâce à elle sur plusieurs mètres. La brume de la mort l’entoure perpétuellement, le dissimule aux monstres et affaiblit ceux sur qui il la dirige. S’il se concentre et y met un peu d’énergie, il est capable de les faire tomber dans l’inconscience. S’il est en proie à une émotion particulièrement violente, il est même capable de les tuer, mais cela l’épuiserait. Aussi, la brume de la mort lui permet de voir des souvenirs en un lieu ayant connu de la tristesse, de la peine et du chagrin assez forts, ou qui a été frappé par un malheur. Enfin, elle est un mélange toxique de brouillard pourpre et de sang et brûle légèrement ceux qu’elle touche.
Il peut donner ses mauvaises pensées, qui empoisonnent l’esprit et le gangrènent plus ou moins en fonction de la personne, ou prendre celles des autres et les en libérer un temps.
Il est entouré d’une aura qui attriste légèrement.
✾ AUTRES ✾
Lys a de solides connaissances en matière d’agriculture et adore cette activité, la terre et la nature, à l’image de son père.
Faire du skate est sa deuxième activité préférée et il est le détenteur d’une planche qu’il a ramenée avec lui à la Colonie.
✾ PHYSIQUE ✾
Lys mesure un mètre soixante-quinze. Il est fin, a une peau très claire et des cheveux mi-longs blonds presque blancs. Ses yeux sont vairons : le gauche est noisette et le droit vert, de la même couleur que ceux de sa mère. Il s’illumine d’une étrange lueur violette lorsqu’il use de ses pouvoirs. Enfin, il est tatoué, car les tatouages le font se sentir moins seul. Il arbore notamment des tatouages chrétiens, car il croit que si on ne peut obtenir le salut avec les dieux grecs, il peut toujours exister un autre dieu grâce auquel cela est possible.