Désolée d'avoir mis aussi longtemps à répondre, je pensais pas que le travail de prépa prendrait autant de temps...
Nour Zabat
Fils de Sérapis ⌾ 16 ans ⌾ Gréco-Égyptien ⌾ Déicide ⌾ Près des Champs de Fraise ⌾ Avec Lys
Après avoir trouvé le champ de fraise de la Colonie, j'effraie l'un de ses résidents malgré moi. Il lèvre la tête, et nos regards se croisent. Pendant quelque secondes, je suis happé par son regard, et je me perds dans ses yeux vairons, l'un lumineux, d'un vert qui me rappelle les forêts et les rivières que j'ai pu arpentées autrefois, et dont je pensais qu'il était ma missions sacrées de les protéger, ou du moins de participer à leur protection, et l'autre plus sombre, d'un teinte plus chaude, celle que prenait parfois le sable du désert quand la nuit tombait. Je n'en ai jamais vu de pareil, de part la rareté de cette couleur, mais aussi par leur beauté, surnaturelle et envoutante. Je me demande si au cours de sa vie d'immortel, Sérapis a eu l'occasion de plonger ses yeux dans des iris aussi uniques, et si oui, s'il a ressenti ce que je ressens devant le regard de cet étranger. Non, je suis bête. Je ne ressentirai jamais les choses aussi intensément qu'un dieu, et je ne puis me comparer à lui. Mais, immergé de ces pupilles, je ne me sens plus si loin des dieux. J'en oublie pendant une fraction de seconde que je soumis au temps et mortel, et j'oublie même pendant un très court instant le crime impardonnable dont je suis coupable. Mais je finis par voir au de-là de la couleur hypnotisante de son regard, et j'y lis finalement la peur. Il a peur de moi. Je le terrorise. Et moi, je ne le remarque même pas immédiatement. Trop occupé à contempler son visage. Quel genre de guerrier suis-je si je ne remarque même pas les choses évidentes qui se déroulent sous mon nez? Quel genre d'être suis-je si je ne remarque même pas immédiatement que ma présence met les gens mal à l'aise et qu'ils ne veulent pas de moi, trop occupé à satisfaire mes besoins égoïstes? Il se recroqueville, effrayé et méfiant. Il me rappelle les petits animaux du désert que je chassais et sacrifiait à mon père. Il a le même regard qu'eux, quand ils comprenaient qu'ils étaient acculés et qu'ils nul part où fuir. Mais je n'ai aucunement l'intention de blesser ce garçon, ça ne m'a même pas effleuré l'esprit. Je ne lui ferais aucun mal, pas volontairement en tout cas. Mais je ne suis pas doué avec les gens. Je suis violent. C'est tout ce que je sais faire, car je ne suis qu'une arme créée par Sérapis, et manié par lui afin de défendre le Cycle. Mais il n'est plus là. Je n'ai plus de but, et il n'y a plus personne pour me manier. Il ne reste que le danger que je représente, incontrôlé, que personne ne sait canaliser, surtout pas moi. Je me battais sauvagement au nom de la Vie, car tout était un ennemi, et je n'avais pas de raison de me retenir. Mais maintenant que Sérapis est mort? Tout ce savoir devient un fardeau, un danger pour les autres. Parce qu'il ne reste plus qu'un seul ennemi: moi. Ce garçon a raison d'avoir peur de moi. Ils devraient tous être effrayés. Moi, je le suis en tout cas. Mais contrairement aux demi-dieux, je n'ai nul part où me cacher du monstre qui a assassiné son père. Pas de répit pour les coupables. Tant mieux. Je n'en mérite pas.
Soudain, une pensé me frappe. Et s'il savait? Et si la raison pour laquelle il était si effrayé, c'est parce qu'il savait ce que j'ai fait? Bien sûr. Comment ne le saurait-il pas? Comment un crime tel que le mien pourrait rester inconnu des pensionnaires de la Colonie? Pourquoi me laissent-ils rester parmi eux, en essayant de prétendre que rien ne s'est passé? Est-ce par compassion? Ce n'a jamais été la préoccupation principale des dieux grecs, pourquoi serai-ce tellement plus important pour leur descendance? Et même si c'était le cas, je ne mérite pas ce genre de traitement. Je ne mérite aucune pitié. L'importance et la puissance de Sérapis a peut-être déclinée au fur et à mesure des années, mais il a été l'un d'eux, à un certain niveau. Cela ne vaut-il donc rien à leurs yeux? Est-il si peu important que sa mort peut rester impunie? C'est injuste. Mon univers s'est écroulé à sa mort, mais le reste du monde ne semble pas broncher. La Terre tourne toujours, les gens continuent de naître, vivre, et mourir... Le Cycle est inchangé. Comme si la disparition de l'être qui a protégé plusieurs civilisation et a été adoré par elles pendant des siècles n'avait jamais eu la moindre importance. Je ne veux pas que la réalité s'effondre, loin de là. Je voudrais juste un signe... quelque chose pour me dire que l'univers n'en avait pas rien à faire de lui. Que... tout ça, ce n'était pas pour rien. Que son existence n'était pas une vaste blague que le Destin à oublié de finir proprement. Que mon père était important pour le reste du monde, comme il était important pour moi. Je ne puis passer une seconde sans souffrir le martyr, consumé par le vide qu'il a laissé derrière lui. Pourquoi le reste du monde le peut-ils? Comment est-ce possible?
Quand je mesure l'ampleur de ce que le jeune homme semble savoir sur moi, je ne peux m'empêcher de faire un pas en arrière, assaillit par la culpabilité. Je suis un monstre. Comment puis-je lui imposer la présence de quelqu'un comme moi sans réaliser à quel point je pourrai le blesser, et à quel point je suis indigne de plonger mon regard dans ses magnifiques yeux? Il semble voir quelque chose sur mon visage qui attire son attention, car il finit par ouvrir la bouche. Sans doute va-t-il me chasser. Me dire que personne ne veut de moi ici. Il aura raison bien sûr. Il s'arrête avant d'émettre un son. A-t-il trop peur de moi pour s'exprimer? Est-ce que ma seule présence suffit à le réduire au silence? Je pris que non. Enfant, j'ai appris à garder le silence en présence de Sérapis, ne pas faire de bruit quand il ne voulait pas être dérangé. C'était dur, et j'ai mis du temps à être capable d'être parfaitement silencieux.. Mais c'était juste, il était un dieu, bien sûr que je ne devais pas le déranger. Mais moi, je ne suis qu'un mortel. Un mortel qui a commis un crime impardonnable. Nul ne devrait être réduit au silence pour moi. Personne ne devrait avoir à retenir ses opinions ou ses émotions en mon nom, même par peur.
Il finit par me répondre dans un murmure, sur lequel je dois focaliser toute mon attention afin d'être sûr de saisir totalement ce qu'il me répond.
Tu n'a rien fait de mal . Je reste sans voix. Choqué. Il ne sait pas. Il ne sait pas ce que j'ai fait ou qui je suis. Il me fixe, l'air si sincère, et compatissant. Comme si j'étais important ou spécial. Comme si j'étais innocent, et qu'il y avait un espoir pour moi. Il ignore tant de moi... Une nuée de sentiments m'envahit. La tristesse, parce qu'il ignore à quel point il se trompe et l'ampleur du mal que j'ai fait, et à quel point je ne peux échapper à mes crime, le soulagement, parce que cela signifie que pour lui, peut-être que je ne suis qu'un garçon comme les autres, et même si cela et complètement faux, je peux rester quelque minutes sous la couverture de ce mensonge. C'est mal, et je m'en veux d'être aussi hypocrite, mais peut-être que pendant un instant, je peux cesser d'être le monstre qui a tué son père. Je peux être le garçon que personne ne connaît et qui s'en contente. Bien sûr, cela ne fait pas disparaître la culpabilité que je ressens, rien ne la fera vraiment jamais partir, et je ne devrais même pas chercher à m'en défaire. Je mérite de la porter. Mais une part de moi ne peut s'empêcher de souhaiter en être délivrée. Je n'en suis pas digne, et je le sais. Mais... être libre de ce fardeau, ne serai-ce qu'une seconde... c'est parfois tellement tentant. Mais finalement, c'est la reconnaissance qui me submerge, tellement intense que c'est presque douloureux. Il ne me connaît pas, et pourtant, il tente de m’offrir quelque chose que je n'aurai jamais, mais que je désire tellement fort. L'Absolution. Pendant un millième de seconde, il m'offre un monde où je suis pardonné. Un monde où je suis libre d'aller en avant. Un monde où je peux pleurer proprement mon père, et honorer fièrement sa mémoire. Où je peux me laisser aller au chagrin, où je ne peux ressentir que de la tristesse et du chagrin, où sa mort n'est pas de ma main, et où je puis être seulement un enfant triste, qui n'a pas à le venger du monstre qui lui a pris son père, s’engageant dans une quête impossible, car ce monstre, c'est lui. Un monde où la culpabilité et la peine ne se disputent pas mon âme, l'écartelant, la consumant un peu plus tout les jours. Un monde où je suis libre de tomber à genoux et de pleurer la mort de mon père, tout simplement. Mais je ne vis pas dans un tel monde. Je ne suis même pas digne de le pleurer librement. Ce n'est pas encore assez de punition. Un meurtrier ne peut faire paisiblement le deuil de sa victime. Parce qu’à la fin, il y a l'acceptation. On accepte de laisser partir le mort, et qu'il ne reviendra pas. On se détache du passé. Mais le coupable, le passé le consume, jusqu'à ce qu'il ne reste rien de lui. Mais je me fais sans doute des illusions. Même si Sérapis n'était pas mort de ma main, un fils peut-il accepter de laisser son père partir? Un prêtre peut-il accepter la disparition de son dieu?
Je ne sais que répondre à sa remarque, et je ne peux que me taire, tentant de lui faire comprendre d'un regard tout ce que ces six simples mots dit de façon entièrement désintéressés veulent dire pour moi, même s'il ne le mesurera sans doute pas l'ampleur de l'effet qu'ils m'ont fait.
Les yeux du garçon finissent par se détacher des miens, et je ressens un léger pincement au cœur. J'ai l'impression de perdre la mince connexion que j'avais commencé former avec lui. Et puis c'est stupide, mais je pense que j'aimais simplement bien les regarder. Ils sont tellement magnétiques... Mais ce sont les siens, et je ne peux lui en vouloir de regarder là où il le souhaite...
Je l'ai effrayé plus tôt, et je ne peux laisser cela impunie. Je ne peux donc que m'excuser. Sincèrement, et du plus profond de mon cœur. Ce ne sera jamais suffisant pour réparer le mal que j'ai fait dans le monde, mais il semble que c'est tout ce que je peux faire.
Mes excuses n'ont aucune valeur, aucune importance, mais je ne peux faire mieux. Je m'agenouille alors à ses côtés, et il tourne à nouveau la tête vers moi, ses yeux retrouvant les miens, comme si nos regards n'auraient jamais dû être séparés, et je me perd à nouveaux en eux et dans leur douces chaleurs, emprunte de peine et de nostalgie, que j'y discerne sans que je sois capable de dire s'il s'agit de ses sentiments ou simplement du reflet des miens. Son regard perçant rend encore plus compliqué pour moi d'exprimer ce que je veux lui dire. Je sens la tristesse envahir ma poitrine quand il se recroqueville à nouveau. De quoi a-t-il si peur, s'il ignore qui je suis? Est-ce que je fais mal les choses malgré moi? Où sa peur a-t-elle une origine plus complexe? Je n'ai jamais vu ce genre de comportement avant. Une peur sans source explicite, une terreur semblant aussi irrationnel. Qu'a-t-il traversé pour être ainsi? Ce n'est pas de la lâcheté, je sens bien que c'est quelque chose d'infiniment plus tortueux et douloureux. Je voudrais l'en protéger. Je voudrais le protéger de la chose si horrible qu'elle a fait croire ce jeune homme si doux et compréhensif que le monde allait lui faire du mal. Je voudrais rester à ses côtés incessamment pour m'assurer que cette chose ne revienne pas, et que plus personne jamais ne le blesse. Mais je ne peux pas. Pas après ce que j'ai fait au fils de Nike. Et si je le blessais, lui aussi? Il doit y avoir nombre de demi-dieux plus qualifiés que moi pour le protéger. Je ne peux que lui présenter mes excuses et disparaître de sa vie à jamais.
Après avoir buté sur les mots, j'arrive à lui exprimer ce que je veux lui dire, et à exprimer mon regret de l'avoir effrayé.
Je m'attends à ce qu'il accepte rapidement mes excuses pour se débarrasser de moi, ou bien à ce qu'il les refuse complètement, car après tout, rien ne l'oblige à me pardonner. Je ne suis absolument pas préparé à sa véritable réaction.
Ses yeux se mouillent, et une larme commence à couler doucement le long de sa joue. Mais son regard n'est pas triste. Je ne comprends pas... Les gens ne pleurent-ils pas typiquement quand ils sont tristes? Mais mon nouveau compagnon ne semple pourtant pas en proie au chagrin. Je me retrouve complètement démunie devant ses larmes, si différentes de celles de rage et d'impuissance que j'ai vu sur les joues de Sérapis il n'y a pas si longtemps. Déjà, quand je comprenais leurs origines, j'étais incapable d'y faire quoi que ce soit, mais là, je n'ai aucune idée de ce qui peut provoquer une telle réaction. Dois-je tenter de le consoler? Mais s'il n'est pas triste? Et même si je voulais le consoler, comment m'y prendrai-je? Personne n'a jamais exprimé ainsi une telle vulnérabilité devant moi, et je ne sais comment y répondre. Une preuve de plus que je suis profondément mauvais, je n'ai aucune idée de comment gérer les émotions, les miennes où celles d’autrui. Je ne peux même pas nommer ce que le garçon ressent, et encore moins y répondre de manière appropriée.
Il finit par me répondre, les yeux toujours plongés dans les miens, d'une voix basse, où il me semble discerner de la... gratitude? Peut-on pleurer à cause de ce genre d'émotion? Il me remercie. De ma gentillesse. De mon attention. Il me dit que je n'avais pas d'obligation envers lui, et que la culpabilité est déjà un lourd fardeau. Je reste sans voix. Personne ne m'a jamais remercié de la sorte. Personne ne m'a jamais considéré digne de leur reconnaissance. Je servais Sérapis, c'était chose acquise, et c'était moi qui le remerciais de me laisser suivre ses pas. Je n'ai jamais rien fait qui mérite ce genre de remerciement, ou en tout cas, personne ne m'en a jamais jugé digne auparavant. Jusqu'à ce garçon, qui me fixe avec ses grands yeux sincères et débordants de reconnaissance, ses émotions transparaissant comme un livre ouvert sur son visage, comme une fleur totalement ouverte, exposant toute l'ampleur de sa beauté au monde. Il me laisse si facilement lire en lui, sans que je n'ai à lutter, à me soumettre, à tenter de deviner. Bien sûr, il est mortel, il n'est pas comme Sérapis, mais les autres demi-dieux sont-ils comme lui? Ils ne semblent pas l'être, je n'en ai vu aucun autre dégager une telle douceur et une telle bienveillance. Quand il me dit que la culpabilité est un fardeau suffisant, mon cœur se serre. Si seulement je pouvais me voir à travers ses yeux. Un inconnu qui ne peut pas avoir commis un crime impardonnable. Mais il a tord. Il a tellement tord. Pendant un bref instant, je revis la mort de mon père. Lui dans mes bras, si frêle, si léger, et son regard brûlant dans le miens. Un regard qui me hante chaque nuit. Celui du dieu qu'un pauvre fou de mortel a condamné à mort. Celui d'un père trahis par son fils. La culpabilité est loin d'être un fardeau suffisant. Rien ne l'est. Je devrais être jeté au fin fond du Tartare pour ce que j'ai fait, et mon âme devrait être dévorée Âmmout, peut-être que là, la justice sera enfin faîte, et je pourrais me dire que Sérapis repose en paix. Je m'assoie lentement sur l'herbe au côté du garçon. Je réalise que j'ai les yeux embrumé, et une larme finie par couler sur ma joue sans que je ne puisse la retenir. J'ai temps perdu. Ma vie d'avant, mon père, mon but. Je ne suis qu'une coquille vide qui ne mérite pas le pardon, qui mérite à peine un regard. Et pourtant, ce garçon me donne l'impression que je suis tellement plus... Je reste un moment silencieux, tentant de réunir mes pensées, d'en faire sens, de trouver un moyen de lui communiquer tout ce que je veux lui dire.
-Tu as bon cœur. Et je vois que tu es sincère... Et je te suis reconnaissant pour... la façon dont tu me vois, et ce que tu pense que je suis. Mais tu te trompe. La culpabilité n'est pas suffisante. Rien ne le sera jamais pour ce que j'ai fait...
Ma voix se brise légèrement, et une nouvelle larme coule sur ma joue, que je tente de retenir, en vain. Ma main est posée sur l'herbe, pas si loin de la sienne, et je ne sais si je devrais la lui toucher en signe de reconnaissance, mais je ne fait rien, craignant de l'effrayer à nouveau. Je devrais partir, le laisser en paix, loin du déicide qu'il ne peut voir en moi. Pourtant, je ne peux me détacher de lui, et de ses yeux envoutants et rassurants.