Surnom : Leana - 28 ans – Errydienne - Gang des Phalènes
J’ai été, au cours de ma vie, confrontée aux plus vils aspects de l’humanité… Est-ce dû au fait que je suis née à Errydor ? Peut-être. Je pense cependant que les Evayens ne sont pas mieux que nous, ils sont juste plus chanceux. La chance leur a permis de naître du bon côté du mur, et de ne jamais avoir à se soucier de leur survie. Ils n’ont jamais connu cette détresse qui vous pousse à exprimer les pires aspects de votre personnalité, dans le seul et unique but de survivre.
Néanmoins, il n’est pas question pour moi de les diaboliser tout en m’apitoyant sur mon sort. J’ai mis un long moment à le réaliser, mais bien que je ne sois pas née à Evaya, j’ai malgré tout eu beaucoup de chance dans la vie. Autant de chance que l’on peut avoir lorsqu’on naît à Errydor.
Je suis le fruit de l’amour entre mon père, Salomon, chef du gang des Phalènes, et sa concubine favorite. J’insiste sur le terme « concubine » car ma mère n’est pas la femme « officielle », ne l’a jamais été et ne le sera jamais. C’est d’ailleurs son plus grand regret. Ce regret s’est manifesté dès ma naissance, sous la forme d’une ambition excessive de sa part. Elle avait de grands projets pour moi et me les a toujours imposés, sans se demander une seule seconde si je voulais de cette vie.
Sachez une chose : je ne suis pas le premier enfant de mon père. Et certainement pas le dernier. Je suis le quatrième enfant d’une fratrie de neuf. Initialement. Nous ne sommes plus que deux aujourd’hui, mon grand-frère Teegan et moi. Les autres sont soit morts des conditions pitoyables de vie à Errydor, soit ils ont été supprimés dans la lutte de pouvoir ayant mené à la succession de mon père. Lutte à laquelle j’ai eu l’intelligence de ne pas participer. Nous y reviendrons plus tard.
Mon enfance n’a rien d’extraordinaire. J’ai grandi au sein du gang des Phalènes, dans cet environnement que l’on pourrait qualifier de luxueux, en comparaison avec le reste d’Errydor. Je n’ai jamais eu beaucoup de difficultés à survivre, on m’a appris très tôt à me battre et mon caractère bien trempé m’a aidé de nombreuses fois à affirmer mon autorité sur les autres enfants de mon entourage. Sauf sur Teegan, évidemment. C’est lui le boss, ça a toujours été le cas et il ne me viendrait jamais à l’esprit de vouloir que ça change. Le statu quo a ses avantages.
J’ai grandi dans l’ombre d’un grand-frère parfait, l’héritier digne de son père. En tant qu’aîné, Teegan a tout de suite été formé à la gestion du gang. Tout le monde s’attendait à ce qu’il en hérite à la mort de mon père. Bien évidemment, s’il avait manifesté la moindre faiblesse, personne n’aurait voulu de lui à la tête du gang mais Teegan est tout l’opposé d’un faible. L’héritier parfait vous dis-je.
Ma mère n’a cessé de vouloir nous mettre en compétition dès mon plus jeune âge. Elle a très vite remarqué que j’étais aussi douée que mon frère et elle voulait en tirer parti. Sa plus grande ambition était de me voir à la tête du gang un jour. Elle haïssait la mère de Teegan, la femme du chef, et cette dernière le lui rendait bien d’ailleurs. C’est pourquoi ma mère a toujours tout fait pour me pousser à m’affirmer, à donner le meilleur de moi-même afin d’attirer le regard de mon père. Père pour lequel j’éprouvais le plus grand désintérêt. Je ne convoitais en rien la place de Teegan, étant très satisfaite de ma position confortable dans l’ombre de mon grand-frère, protégée par ce dernier. C’est probablement ce désintérêt total pour la position de chef qui m’a permis de survivre jusqu’à aujourd’hui, contrairement à mes autres frères et sœurs.
J’ai passé toute mon enfance, et une bonne partie de mon adolescence, à aller à l’encontre de ma mère. Je faisais tout ce que le gang me demandait de faire mais jamais plus. Je n’avais aucune envie de me distinguer des autres. Me fondre parmi les autres membres était mon credo. Je ne sais si mon esprit d’adolescente avait déjà conscience de la fragilité de ma position ou si mon indifférence était réelle mais je ne convoitais rien de plus qu’une vie simple parmi les membres du plus puissant gang d’Errydor.
Mon activité favorite, lorsque j’étais adolescente, était d’apprendre à danser avec les strip-teasers. Je savais que cela mettait ma mère dans une rage folle car elle refusait de me voir assimilée aux employés de l’Extase, et surtout pas aux strip-teasers. Je prenais donc d’autant plus de plaisirs à me glisser en douce dans les répétitions des numéros de danse de nos employés, sans qu’elle le sache. Je savais que cela parvenait toujours à ses oreilles et je ne manquais pas de me faire engueuler à chaque fois mais c’était ma façon de lui dire que je refusais qu’elle dicte ma vie. C’est aussi à cette époque que je me suis découvert une véritable passion pour la danse. Je ne l’ai jamais avoué à qui que ce soit au sein du gang, évidemment, je ne voulais pas être la risée des membres. Je n’ai cependant jamais arrêté d’en faire depuis cette époque.
Ma vie au sein des Phalènes n’a pas été un long fleuve tranquille. Je ne vous ai pour l’instant parlé que des conflits que j’avais avec ma mère et, croyez-moi, ce sont de vraies broutilles, comparé au reste de ma vie dans le gang. De par sa nature, l’ambiance au sein du gang est une ambiance pleine de conflits. Vous êtes toujours en concurrence avec les autres et vous devez continuellement faire vos preuves. C’est encore plus compliqué lorsque vous êtes une femme.
Vous avez, la plupart du temps, moins de forces que les membres masculins et ils aiment en profiter. Ils vous menacent, ils vous bousculent, certains vont même plus loin. Lorsque vous êtes une jeune recrue, vous devez vous battre deux fois plus qu’un homme et vous êtes beaucoup plus en danger que n’importe quel autre membre masculin. Bien évidemment, cela vaut toujours mieux que la vie ailleurs à Errydor mais ce n’est pas facile tous les jours. Etant la fille de Salomon, je n’ai pas eu à me protéger autant que les autres femmes du gang mais j’ai de nombreuses fois été témoin d’abus.
Lorsque vous grandissez au sein d’un gang, vous ne pouvez pas vous permettre d’être sensible. Les faibles se font exploiter par les plus forts, de diverses manières. Cela va du simple bizutage à l’exécution par une balle dans la tête, en passant par la torture et le viol. Cela ne vous laisse jamais intact. Soit vous devenez fou devant tant de cruauté, soit vous embrassez ce mode de vie à part entière. C’est ce que j’ai choisi de faire. J’ai appris à taire mes émotions, à les anesthésier en quelque sorte, dans l’unique but de survivre. J’ai toujours su que le gang des Phalènes était le lieu le plus sûr d’Errydor et je n’ai jamais eu aucunement l’intention de le quitter. Je n’ai jamais apprécié être l’autrice d’actes de cruauté envers les autres mais je n’ai jamais eu non plus de difficultés à détourner les yeux lorsque les strip-teaseurs de l’Extase se faisaient abuser par des clients ou lorsque d’autres membres du gang se déchaînaient sur un Errydien qui passait par là. Malgré ce qu’en pensent les Sentinelles, ce n’est pas possible d’être un bon samaritain à Errydor. Ici, c’est la loi du plus fort et j’ai toujours refusé d’être faible.
Je vous l’ai dit, j’ai été le témoin silencieux de beaucoup d’atrocités dans ma vie. Atrocités ayant culminé à l’âge de mes seize ans. Cette année-là, Salomon est mort, laissant une lutte sans merci pour la position de chef de gang comme seul testament. Sur les neuf enfants de Salomon, nous n’étions plus que cinq. Nous n’avons jamais été très proches dans la famille mais rien n’aurait pu me préparer au déchaînement de sadisme dont ont fait preuve mes frères et sœurs. Comme je vous l’ai expliqué, je n’ai jamais manifesté d’intérêt pour la position de chef, c’est pourquoi j’ai donné mon soutien plein et entier à Teegan lorsque notre père est mort. Ne vous méprenez pas, notre père avait désigné Teegan comme son héritier, bien des années avant sa mort. Cependant, l’avidité de certains êtres humains n’a pas de limites et mes frères et sœurs ont toujours jalousé la place de Teegan au sein du gang. Bien que mon frère ait été désigné comme héritier, il leur suffisait de réunir suffisamment de partisans pour le tuer et prendre le pouvoir au sein du gang. Cela a été un vrai carnage.
Teegan et moi avons été les cibles de nombreuses tentatives d’assassinat, toutes plus cruelles les unes que les autres. Aucune n’a abouti. Le soutien des autres membres à mon frère aurait suffi à mater leurs petites révoltes mais Teegan n’a jamais été un enfant de chœur. Ce n’est pas pour rien que Salomon l’a désigné comme son successeur. Il a saisi l’opportunité en plein vol et a montré aux autres membres du gang quelles étaient les conséquences d’une rébellion. Il a fait de mes frères et sœurs un exemple.
Une de nos sœurs a réussi à s’enfuir avant l’exécution publique que Teegan leur avait réservé. Je n’ai jamais su ce qu’elle est devenue et, si elle est maligne, elle continuera à se cacher toute sa vie pour qu’on ne la retrouve pas. Le restant de ma fratrie s’est vu décapiter sur le porche de l’Extase. Aussi simplement que ça.
A partir de cette époque, ma vie a drastiquement changé. Cela faisait plusieurs années que je n’étais plus considérée comme une enfant et je devais travailler pour être nourrie par le gang. La mort de Salomon n’a fait qu’accélérer les choses. De tous mes frères et sœurs, Teegan était celui dont j’étais le plus proche. Il n’était pas affectueux avec moi et nous passions peu de temps ensemble. Cependant, nous étions toujours là quand l’autre avait besoin d’aide. Il me protégeait lorsque je me faisais harceler par les autres enfants ou, lorsque j’étais plus grande, par les autres membres et j’étais toujours là pour le soutenir lorsqu’il devait imposer son autorité. Je l’aidais dès que je pouvais avec ses responsabilités de successeur de Salomon, il était donc normal que je devienne son bras droit lorsqu'il prit la tête du gang.
Ainsi, Teegan avait vingt ans lorsqu’il a hérité de la place de chef du gang et moi seize lorsque j’ai accepté de le seconder. En passant de plus en plus de temps avec lui, j’ai réalisé que je ne connaissais qu’une petite partie du vrai visage de mon frère. La cruauté dont il a fait preuve lors de l’exécution de ma fratrie m’avait déjà donné un avant-goût de ce dont il est capable mais je pensais, naïvement, qu’il avait fait cela uniquement dans un but de survie. Or Teegan est quelqu’un de cruel dans l’âme. Il ne l’a jamais été avec moi, probablement qu’il tient malgré tout à moi au point de ne pas vouloir me faire de mal. Il est cependant rarement aussi conciliant avec les autres.
Mon frère et moi nous ressemblons sur beaucoup de points. Nous avons tous les deux un caractère bien trempé et ne nous laissons pas marcher sur les pieds. Ni lui ni moi ne sommes des personnes honnêtes (comme si ça courrait les rues à Errydor…) et nous n’éprouvons pas de pitié pour les autres. Enfin, en ce qui me concerne, cette dernière partie n’est pas entièrement vraie.
Voyez-vous, je ne me suis jamais occupée des affaires des autres, considérant qu’ils devaient réussir à se débrouiller seuls ou mourir. C’était ainsi que cela fonctionnait à Errydor, seuls les Sentinelles versent dans la charité. Cependant, je n’ai jamais pu me retenir d’intervenir lorsque les victimes d’injustice étaient des enfants. Ils n’ont jamais demandé à vivre à Errydor et, contrairement aux adultes, ils sont incapables de se débrouiller seuls. Bien sûr, ils doivent apprendre à survivre, comme tout le monde, mais seuls ils n’y arriveront jamais. Ce côté du mur est bien trop cruel pour ça. Peut-être aussi me suis-je toujours sentie coupable d’être née dans l’endroit le plus privilégié d’Errydor alors qu’un tas d’enfants ne dépasse pas la barre des cinq ans ici. Allez savoir…
En tous les cas, devenir un membre important du gang m’a forcée à faire une croix sur certains de mes privilèges d’enfants. Il était hors de question de pratiquer ouvertement la danse, je ne pouvais décemment pas ridiculiser l’image des Phalènes en m’abaissant au niveau des strip-teaseurs du club. Teegan ne sait pas que je continue à en faire en secret et c’est très bien comme ça. J’avais de plus très peu de temps libre, mes journées étant soudainement remplies de responsabilités que je ne pouvais plus éviter. Il était évidemment hors de question que je délègue à qui que ce soit, Teegan ne me l’aurait jamais pardonné. Voyez-vous, bien que je sois sa sœur, son seuil de tolérance vis-à-vis de mes actions est à peine plus élevé que pour les autres membres du gang. Si je fais correctement mon boulot, tant mieux. Si je fais une erreur, une fois de temps en temps, cela peut arriver mais que cela ne se reproduise jamais. Teegan ne garde pas de faibles autour de soi, famille ou non.
Ainsi mes journées passèrent-elles. Le peu de temps libre qui m’était accordé, je l’utilisais pour m’entraîner à la danse et me vider l’esprit. Je me rendais souvent sur le territoire des Sentinelles car je savais qu’il était peu probable d’y trouver quelqu’un que je connaissais. Je squattais alors des bâtiments abandonnés et passais mon temps à danser. Parfois, je choisissais un immeuble proche de l’orphelinat, pour observer les enfants qui y logent. Les Sentinelles ne sont pas nos alliés, loin de là, et je n’éprouve rien pour eux si ce n’est du mépris. On ne peut se permettre de faire la charité à Errydor et ils le comprendront, un jour où l’autre. Cependant, je leur suis reconnaissante de donner une chance à ces enfants. Jamais je ne l’avouerai, bien sûr.
C’est en observant l’orphelinat que je remarquai un jour cette enfant. Elle attendait souvent devant les portes du bâtiment un homme, un peu plus âgé que moi, et ils disparaissaient une bonne partie de la journée. Cette petite a attiré mon attention car, contrairement aux autres enfants d’Errydor, elle souriait tout le temps. Elle avait l’air de n’avoir peur de rien et d’avoir un caractère bien trempé. Je me plaisais parfois à observer ses interactions avec les autres enfants et, surtout, avec ce mystérieux jeune homme qui venait régulièrement la chercher. Je les observai tous deux quelques mois jusqu’au jour où je vis cette petite s’aventurer en dehors de l’orphelinat sans la surveillance de son grand ami. Je n’avais jusqu’alors jamais envisagé d’entrer en contact avec ces personnes, je n’ignorais pas être sur le territoire des Sentinelles et je n’avais aucun intérêt à me faire remarquer, que du contraire.
Pour une raison que j’ignore, mon instinct me dit qu’il valait mieux ne pas laisser cette petite s’aventurer toute seule dans les rues d’Errydor. Ce fut une sage décision car, aux abords du marché, cette petite manqua de se faire agresser par une bande d’adolescents pré pubères, ces derniers souhaitant probablement décharger toute leur frustration sur une gamine passant par là. Je ne leur laissai pas l’opportunité de lever ne serait-ce qu’un doigt sur elle et ils déguerpirent bien vite en m’apercevant. La gamine, plutôt que de fondre en larmes, déversa un flot de paroles ininterrompu, dans le but de me remercier de lui avoir sauvé la vie et de se présenter à moi. J’appris donc qu’elle s’appelait Layla, qu’elle était une ancienne Evayenne, condamnée à mort par une maladie incurable. L’aisance avec laquelle elle vous annonçait cette information était d’ailleurs très perturbante. Comme si le fait d’être mourante n’était qu’un élément supplémentaire de sa personnalité.
Une fois remise de cette information, je compris que l’homme avec qui elle quittait tous les jours l’orphelinat, un certain Dimitri, avait pour mission de lui faire découvrir Errydor avant qu’elle ne meure. Elle le considérait comme son grand-frère et lui en voulait très fort, ce jour-là, d’avoir été en retard. Dans un élan de gentillesse qui me surprit grandement, je décidai de lui tenir compagnie jusqu’à ce que ce dernier la retrouve. Bien que je lui aie proposé de la ramener à l’orphelinat, elle disait vouloir le punir pour ne pas avoir été là à l’heure, qu’il passe son temps à la chercher dans l’angoisse. Cette petite avait un côté très sadique, si vous voulez mon avis.
Au final, ce Dimitri mit très peu de temps pour la retrouver. Cela ne faisait même pas une demi-heure que je lui tenais compagnie qu’il débarqua, complètement échevelé et transpirant, un air paniqué dans son regard. Voyant que Layla n’était pas décidée à le rassurer, j’entrepris de lui raconter brièvement ce qu’il s’était passé. Il me remercia chaleureusement d’avoir pris soin de la petite et je compris qu’il devait beaucoup tenir à elle. Je n’éprouvais que rarement de la compassion pour les gens mais leur relation m’émut plus que je n’oserais l’avouer. Un sermon suivit, bien sûr, et une petite dispute éclata entre les deux. Je décidai de discrètement m’éclipser mais cette petite devait avoir un sixième sens car, en plein milieu de leur dispute, elle se tourna vers moi, ignorant totalement Dimitri, et me fit promettre de revenir la voir. C’était la dernière chose que j’avais envie de promettre mais je ne réussis pas à lui dire non. Je regrette encore aujourd’hui cette décision, qui m’aurait épargné beaucoup de peine.
Pendant plusieurs semaines, je repensai à cette rencontre incongrue, hésitant à tenir ma promesse vis-à-vis de Layla. Après tout, nous étions à Errydor, elle devait apprendre que l’honnêteté n’existait pas ici. Pourtant, alors que je me promenais pour la énième fois dans le quartier des Sentinelles, j’aperçus de loin cet étrange duo et mes pas se portèrent dans leur direction sans que je ne le réalise. Le ravissement qui apparut sur le visage de cette petite me brisa le cœur car je réalisai alors qu’elle n’était pas faite pour vivre ici. On ne pouvait être aussi pur et survivre dans cette région de Meynoras.
Petit à petit, je me surpris à vouloir leur rendre visite de plus en plus souvent, au point de négliger mes entraînements secrets de danse. Je me retrouvai happée dans leur monde, si différent du mien. Je me rendais bien compte de la méfiance, totalement légitime, de Dimitri à mon égard. Si je m’étais trouvée à sa place, jamais je n’aurais laissé une inconnue approcher de mes proches sans qu’elle ne détaille son curriculum vitae devant moi. Cependant, il semblait que Layla se soit vite attaché à moi et cela semblait suffire à Dimitri. Tant que je ne faisais pas un pas de travers, cela allait de soi. Il s’agissait d’un accord tacite que nous avions passé sans nous en rendre compte. Cela m’arrangeait, évidemment, étant donné que je n’avais aucune intention de révéler à qui que ce soit que je faisais partie du gang des Phalènes alors que je me trouvais sur le territoire des Sentinelles.
Les semaines passèrent ainsi, suivies des mois. Je me rapprochai de Layla et Dimitri et ils se frayèrent une place totalement inattendue dans mon cœur. Je n’avais pas prévu de m’attacher à eux comme je l’ai fait mais leur relation était tellement pure, tellement innocente et tellement vraie que je ne pus faire autrement. J’avais, pour la première fois de ma vie, l’impression de faire partie d’une vraie famille. Bien vite, ils devinrent ma faiblesse. Moi qui étais si fière de ne pas m’attacher aux gens, de toujours faire ce qui était nécessaire pour survivre et pas plus, je me retrouvais piégée dans une relation dont je n’avais pas voulu mais que je ne pouvais me permettre de briser. Ils étaient trop précieux à mes yeux.
Ainsi, au fil des mois, j’appris à m’ouvrir à Dimitri comme à un confident. Le jour où je décidai de lui avouer d’où je venais, j’eus très peur que notre amitié se fracture. Je savais quel était son point de vue sur les gangs qui n’étaient pas du côté des Sentinelles, et je connaissais surtout son opinion sur le gang des Phalènes. Il se montra cependant beaucoup plus compréhensif que ce que je pensais. Il m’avoua avoir déjà eu des doutes sur mon identité et avoir compris que je faisais partie d’un gang. Bien sûr, cela n’empêcha pas une discussion houleuse de débuter, dans laquelle il s’était mis en tête de me faire ouvrir les yeux sur les agissements de mon gang. Comme si je n’étais pas au courant de la politique des Phalènes. Je lui avouai beaucoup de choses sur moi ce jour-là, sur ce que j’avais fait et sur la personne que j’étais réellement. Je lus de la déception dans ses yeux, lui qui avait passé sa vie sur le territoire des Sentinelles et qui partageais leurs valeurs.
Mon appartenance au gang qui m’avait vue naître fut d’ailleurs un sujet de disputes récurrent dans notre relation. Nous étions cependant trop attachés l’un à l’autre que pour laisser ce sujet briser notre relation, c’est pourquoi nous nous mîmes d’accord pour ne plus aborder ce sujet, tant que ce n’était pas nécessaire.
Malgré l’entrée dans ma vie de ces deux fabuleuses personnes, je n’en oubliais pas mes responsabilités au sein du gang. Le fait que je me sois attachée à deux personnes étrangères au gang ne voulait pas dire que j’allais tout d’un coup le renier, lui qui faisait partie intégrante de mon être. Bien que Layla et Dimitri étaient très importants pour moi, ils n’éclipsaient en rien cette autre partie de ma vie, c’est pourquoi, lorsque je les quittais, je reprenais ma vie aux côtés de Teegan comme si rien ne s’était passé. Premièrement, car j’avais ma place auprès des Phalènes et que j’aimais cette place et, deuxièmement, car je refusais que quiconque se doute de mes activités sur le territoire des Sentinelles. Je savais que, si qui que ce soit apprenait l’existence de Layla et Dimitri, j’aurais de très gros problèmes et eux aussi. Il fallait donc que je m’applique à oublier leur existence lorsque j’étais avec le reste du gang et surtout avec mon frère.
Cela s’avéra plutôt facile, jusqu’au jour où la maladie de Layla se manifesta. J’avais alors vingt ans et ma vie bascula du tout au tout en quelques mois. Je savais qu’elle était malade, elle me l’avait expliqué en long en large et en travers. C’est à cause de cette maladie qu’elle avait été jetée d’Evaya, les soins nécessaires à sa survie étaient beaucoup trop chers pour ses parents. Pourtant, à force de la voir crapahuter sans cesse, de la voir discuter et rire pendant des heures, ce détail m’avait échappé. Si elle était condamnée à Evaya, il était inimaginable qu’elle survive à Errydor. Mon cerveau avait cependant décidé d’occulter cette information, c’est pourquoi ce fut si dur de gérer les émotions qui me traversèrent lorsque son état s’aggrava.
Je m’étais tant attaché à cette petite que sa mort me bouleversa au plus profond de mon être. Je me sentais impuissante comme jamais auparavant et je ne supportais pas cette sensation. Je voulais faire quelque chose pour elle mais le fait d’appartenir au gang le plus puissant d’Errydor ne m’était d’aucune aide. Si Dimitri n’avait pas été là, je ne sais comment j’aurais réussi à gérer cette situation. J’aurais probablement explosé, donnant ainsi une raison plus que satisfaisante au gang pour, au mieux, m’expulser et, au pire, me tuer. Dimitri m’aida à canaliser toute cette tristesse, il était là lorsque j’avais besoin de craquer et, moi, j’étais là pour lui lorsqu’il voulait se laisser aller. Durant les mois qui suivirent la mort de Layla, nous fûmes la bouée de sauvetage qui empêchait l’autre de sombrer. Cela ne fit que consolider le lien qui nous unissait et j’en vins à le considérer comme un membre de ma propre famille.
Nous fîmes ainsi notre deuil, qui dura de longs et douloureux mois. Une fois sortie de la torpeur qui m’entourait, je pris une décision qui changea ma vie : plus jamais je ne resterai sans rien faire alors que des enfants continuent de mourir à Errydor. J’avais beau faire partie du gang des Phalènes, ce n’est pas pour autant que je devais ignorer le sort des enfants d’Errydor alors que je pouvais agir. Il n’était bien sûr pas question de demander de l’aide à Teegan, il m’aurait prise pour une folle et se serait débarrassé de moi. Je savais que je ne pouvais pas compter sur l’influence des Phalènes, le gang ne se soucie que de lui-même et il ne leur viendrait jamais à l’idée de faire dans la charité. Cela ne m’avait d’ailleurs jamais traversé l’esprit jusqu’alors.
Sachant que, si je voulais venir en aide aux enfants d’Errydor, je ne pouvais compter sur l’influence de mon gang, je réfléchis en long, en large et en travers aux possibilités qui s’offraient à moi. Je ne pouvais décemment gérer une structure d’aide à moi toute seule sans que cela ne parvienne aux oreilles de Teegan et il était hors de question de m’associer aux Sentinelles pour les aider dans la gestion de l’orphelinat. Non seulement les Sentinelles refuseraient mon aide mais, surtout, je ne pouvais pas les supporter. Je ne fais pas partie du gang des Phalènes pour rien, nous sommes beaucoup trop différents et je refuse d’être associée aux Sentinelles d’une quelconque façon.
Je parvins donc à la conclusion que la seule façon pour moi de venir en aide aux jeunes vivant à Errydor était de sponsoriser l’orphelinat. Je ne pouvais le faire ouvertement, je devais donc trouver des fonds propres, indépendants du gang, à fournir à l’orphelinat de manière anonyme. J’étais complètement dépendante du gang au niveau de mes revenus, il me fallait donc trouver une activité complémentaire me permettant de générer des revenus. Je les reverserais alors de manière anonyme à l’orphelinat en leur spécifiant que ces fonds ne devaient servir qu’à faire tourner l’orphelinat. Hors de question de financer les autres activités des Sentinelles.
L’idée qui me vint à l’esprit était totalement folle et, pourtant, totalement réalisable. Je connaissais le passé de Dimitri, je savais qu’il avait longtemps combattu dans l’Arène. Or, à Errydor, l’Arène est le moyen le plus rapide de se faire un pactole, à partir du moment où on sait se battre. Faisant partie d’un gang, et de celui des Phalènes a fortiori, je n’étais pas étrangère aux combats et je savais très bien attaquer et me défendre. Je pensais donc avoir toutes mes chances et je demandai à Dimitri de m’introduire auprès du directeur de l’Arène et de se porter garant de moi. Il deviendrait alors mon sponsor et gérerais tout ce qui avait rapport aux paris relatifs à mes combats.
Après de nombreuses négociations, il accepta de m’aider dans mon entreprise. Je savais que, malgré ses protestations, il s’était senti aussi inutile que moi lorsque la maladie avait frappé Layla et qu’il s’en voulait. C’était probablement une façon de se racheter. J’avais cependant une dernière condition : il fallait que tout se déroule de manière anonyme, je ne pouvais prendre le risque d’être découverte par un membre de mon gang ou quelqu’un qui fasse affaire avec les Phalènes. Je demandai donc à Dimitri de me forger un masque couvrant l’entièreté de mon visage. Il devait être assez solide pour encaisser les coups portés à mon visage sans se casser. Je me battrai alors dans l’Arène avec ce masque et en couvrant toute marque distinctive. Cela devrait être suffisant.
C’est ainsi que démarra ma carrière de combattante dans l’Arène. Je ne suis certes pas la personne la plus aguerrie et je suis loin de gagner tous mes combats. Cependant, la quasi-totalité des gains que je reçois lorsque je gagne effectivement un combat est reversée à l’orphelinat, une petite fraction de ces mêmes gains revenant tout de même à Dimitri pour son assistance si précieuse. Il m’arrive souvent d’être blessée lors d’un combat mais, heureusement pour moi, le fait de vivre à Errydor fait que Teegan ne se pose jamais de questions quant aux différentes blessures dont j’écope en revenant de mon temps libre. Il est tellement fréquent de se faire agresser dans les rues de la ville que cela ne le surprend même pas.
Cela fait maintenant huit ans que je me bats dans l’Arène lorsque je le peux, c’est-à-dire pas très souvent. Je me suis fait quelques admirateurs, qui s’amusent à me surnommer la « Joueuse Masquée ». Mon nom officiel lors des combats est Layla, en honneur à cette petite fille qui a changé ma vie. Il est cependant peu utilisé, la plupart des parieurs utilisant mon surnom. Jusqu’ici, personne n’a encore fait le lien entre ces combats et mes absences du gang et je ferai en sorte que cela reste ainsi.
Ma vie peut ainsi se résumer à cela : combats sanglants, mensonges, opportunisme. Une vie presque typique à Errydor. La présence de Dimitri à mes côtés est la seule chose positive dans ma vie et je m’assurerai qu’il ne lui arrive jamais rien. Je n’ai rien pu faire face à la perte de Layla, je ne resterai pas sans rien faire si on doit un jour tenter de m’enlever mon seul véritable ami.
Je suis une personne très simple : soyez de mon côté et je vous traiterai correctement, opposez-vous à moi et vous en paierez les conséquences. Je peux me montrer très généreuse avec les personnes qui comptent pour moi, tout comme je peux vous faire regretter jusqu’à votre propre existence si vous me cherchez misère. Bien que je n’aime pas la cruauté et la torture, je n’aurai aucune hésitation à y recourir si j’en ressens le besoin.
Bien que je ne montre que rarement mes émotions, je ne suis pas pour autant un mur de glace. Il est tout à fait possible de discuter avec moi, c’est d’ailleurs pour cela que Teegan m’a confié le recrutement des strip-teaseurs de l’Extase. Je suis moins effrayante que lui et je peux plus facilement mettre les gens en confiance si c’est nécessaire.
Vous l’aurez compris, je suis également très opportuniste. Je me sers de tout ce qui peut m’être utile et n’ai aucun scrupule à utiliser les autres pour arriver à mes fins.
Malgré cela, j’ai une faiblesse : les enfants. Je n’ai jamais compris d’où me venait cette espèce d’affection (serait-ce de la pitié ?) que je ressens vis-à-vis des enfants qui naissent à Errydor. Une chose est certaine, je serais incapable de faire du mal à un enfant, à moins que ma vie ne soit menacée. Cependant, peu de personnes sont au courant de cet aspect de ma personnalité, il ne me viendrait pas à l’esprit de dévoiler ma seule faiblesse à n’importe qui.
Dimitri Vetloyov : Dimitri est un de mes seuls amis et la personne dont je me sens le plus proche. Nous avons partagé beaucoup de choses ces dix dernières années et, bien qu’il fasse partie d’un gang adverse, les Enfants d’Harvel, ni lui ni moi ne laissons nos appartenances respectives se glisser dans notre amitié.
Nathaniel Leafer : Nat est un strip-teaseur de l'Extase depuis environ 3 ans. Je l'ai personnellement pris en charge après que Teegan ait décidé de l'embaucher. C'est un gamin transi d'amour, cela se voit, mais tant qu'il fait son travail correctement, il pourrait même s'amouracher de mon frère que cela ne me ferait ni chaud ni froid. Comme tous les strip-teaseurs, il sait qu'il peut venir me trouver s'il a le moindre problème. Même si je reste avant tout leur patronne, je ne peux pas nier que certains sont plus que des employés à mes yeux et Nat fait partie des strip-teaseurs avec lesquels je peux parfois baisser ma garde.
Pandora Cyn : J'avais 18 ans quand Pandora est entrée à l'Extase, alors qu'elle n'avait que 13 ans. Je n'étais pas encore en charge de tout ce qui concerne les strip-teaseurs à cette époque mais elle m'a un jour surprise dans les vestiaires, en train de danser alors que je pensais être seule. J'ai ressenti le besoin de la menacer ce jour-là, pour être sûre qu'elle ne dirait rien, mais je me suis rendu compte depuis qu'il ne lui viendrait jamais à l'idée de me dénoncer à Teegan. D'une part, parce que je suis sa supérieure et, d'autre part, parce que la danse nous a permis de nous rapprocher, en quelque sorte. Il nous arrive de nous retrouver pour danser, après certains entraînements réservés aux strip-teaseurs et, bien que je n'irais pas jusqu'à la qualifier d'amie, elle est une compagnie agréable qui me change les idées lorsque je veux oublier que je suis la soeur de Teegan Kejam, chef des Phalènes...