Bonjour ! Je me reprends au jeu de l'écriture avec cette nouvelle ! Bonne lecture
Oggy
La culture est l’ennemi du gouvernement. Elle pousse les gens à réfléchir, à se révolter. Les livres et les tableaux sont brûlés, les statues et les monuments historiques détruits. L’Autorité Officielle produit ses propres films, édite ses propres livres, diffuses ses chansons et discours de propagande sur tous les réseaux. Le pays s’est refermé sur lui-même, rompant tout contact avec ses voisins.
Il y a 1 an maintenant, je suis rentrée à l’université. La fac c’est vraiment un monde à part. Les étudiants les plus vieux ont connus le monde d’avant. Ils créent des réseaux de résistance dans les campus, ils ont des planques où ils cachent des livres et des films. Les rebelles font profil bas. Ils ne font jamais d’opération coup de poing, ils ne luttent pas activement contre le régime. Tout se fait discrètement, sans éclat. C’est sans doute pour cela que notre réseau n’a pas été démantelé alors que des groupes favorable à des actions violentes ont été rapidement déporté.
Je suis entrée dans un groupe de résistance il y a quelques mois. Ils m’ont raconté l’ancien monde, ils m’ont montré comment vivent les pays libres. J’ai juré allégeance au groupe et j’ai promis de tout faire pour être la plus discrète possible. Après ce serment, j’ai enfin eu accès au local secret. J’y ai découvert des dizaines de livres, des reproductions d’œuvres d’art, une petite télé pour regarder des films. J’ai séché des heures de cours pour me rassasier de cette culture et de ses idées de liberté dont l’AO nous prive dès le berceau.
La semaine suivante, j’ai volé un livre. Antigone de Anouilh, une résistance aussi. Mais je me suis faite arrêtée. Le directeur m’a convoquée dans son bureau. En entrant, j’ai découvert le directeur accompagné de notre déléguée, Jane, la fille d’un soldat de l’AO.
- Lena, je vous ai fait venir car vos camarades de classe s’inquiète pour vous.
- Oh vraiment ? Je fais pourtant mon possible pour être une bonne élève !
Jane a pris la parole de sa voix mielleuse :
- Il me semble que tu rates beaucoup de cours en ce moment.. Pour quelqu’un qui veut être une bonne élève..
- J’aide une amie à préparer un exposé en ce moment. Elle veut devenir photographe de notre bien-aimée Autorité Officielle vous savez, je l’aide à faire ses photos.
Le directeur sort une photo prise par les caméra de surveillance. On me voit assise dans le couloir avec Ruben, un autre résistant.
- Vous espionnez vos élèves ?
- C’est de la surveillance.
- Mais on a encore le droit de discuter dans les couloirs non ?
- La question n’est pas de savoir si vous avez le droit mais plutôt avec qui..
- Ruben est un ami.
- Il s’est déjà fait convoqué ici plusieurs fois pour comportement déviant. Il a laissé certaines idées interdites s’insinuer dans son esprit.
- Je ne crois pas que revendiquer une certaine liberté de pensée soit malsain pour l’esprit.
C’est sorti tout seul. J’ai été trop impulsive.
- Désolée, je me suis laissée emporter, je suis confuse..
- Tu es bien prompte à défendre ce Ruben, d’autant plus que je vous ai vu rentrer tous les deux dans une salle désaffectée.
- Tu m’espionnes maintenant ?
- Je veux juste t’éviter de choisir un mauvais destin !
Je me lève, furieuse.
- Tu ne veux pas me protéger tu veux juste rentrer dans les bonnes grâces du régime !
Le directeur se racle la gorge. Je me rassois lentement.
- Votre sac Lena.
Vaincue, je tend mon sac. Il en sort mes cahiers et bien sur, Antigone. Il se tourne vers Jane :
- Merci Jane, vous serez récompensée pour vos efforts !
Il appuie sur une sonnette sur son bureau.
- Lena, vous êtes condamnée pour détention d’objets prohibés et trahison au régime.
Je ne cherche même pas à nier. Je préfère mourir que de devoir me conformer à nouveau au régime. Deux vigiles débarquent, m’empoignent et me passent les menottes. Ils me frappent à la tête et c’est le noir complet.
J’ouvre les yeux. Je tourne mon cou ankylosé. Je suis couché sur une petite couchette dans une cabane en bois. Il fait une chaleur ici ! Je me débarrasse de mes draps et je me lève. Je vacille sur mes jambes, comme si elle n’avait pas fonctionné depuis un moment. Je me dirige vers le voile qui tient lieu de porte. Quand je l’écarte, je suis assaillie de couleurs et d’odeurs nouvelles. Le bleu éclatant du ciel, le beige brillant du sable. L’odeur du feu, de la mer. Et au milieu de tout ça, un petit camp constitué de cabanes en bois autour d’un foyer. Je m’exclame :
- Mais c’est le Paradis ici !
- Faux !
Je me retourne. Une fille s’adosse à mon abri. Une vraie rebelle, avec des yeux soulignés par un large trait noir, des cheveux rouge et noir.
- Bienvenue en Enfer.
- Ce n’est pas la manière la plus sympa d’aborder les gens Whitney.
La voix appartient à un jeune homme qui arrive à notre hauteur. Il me tend la main :
- Enchanté, je suis Benjamin. Bienvenue sur l’Ile, surnommé Oggy.
- Référence à Ogygie, l’île de Calypso dont on ne s’échappe pas.
- Attendez, je suis tombée où là ?
- Ma chère inconnue, entame Benjamin, tu as été condamné pour résistance par le régime. L’AO a conçu cette petite île paradisiaque il y a quelques années pour y enfermer les gens comme nous.
- Les gens qui pensent par eux même. Qui se cultivent.
- J’avoue, j’ai volé un livre. Je me suis faite chopée et me voilà. Je pensais qu’ils aillaient me tuer mais je suis sur un île paradisiaque. Vous vous fichez de moi en fait ?
- On t’expliquera où est le hic ce soir au conseil. C’est la chef du camp qui doit t’en parler. Nous, on va te faire visiter l’île et t’expliquer comment on s’organise.
L’île est magnifique. C’est une île classique, avec des plages de sable fin et une forêt au milieu. Tous les prisonniers participent à la vie du village en fonction de leur connaissance et se serrent les coudes, unis par leur résistance au régime. Nous sommes 20 prisonniers sur l’Ile et chacun à sa tâche. Ben est chasseur, Whitney est responsable des cosmétiques. Moi j’ai été affecté à la boulangerie de l’île.
Le soir venu, je découvre les habitants de l’Ile. Nous sommes regroupés autour du feu de camp. Je sens tous les regards pesés sur moi. Je regarde la chef, Cynthia. Tout le monde se tait quand elle prend la parole :
- Re-bonjour et bienvenue à notre nouvelle voisine : Lena. Je suis sûre que tes guides t’ont briefé sur le fonctionnement de la communauté. C’est vrai que nous vivons sur une île fort belle, dans une communauté solidaire et proche de la nature. Mais il y a une chose que tu dois savoir Lena. Nous ne sommes pas des prisonniers. Nous sommes des condamnés à mort. Certain jour, de façon aléatoire, la Bête vient. Elle s’en prend à un des notre, isolé, et il ne revient jamais. Le régime, dans sa grande bonté, a choisi de nous accorder une mort lente et stressante plutôt qu’une mort rapide. Nous essayons au maximum de limiter les risques en nous déplaçant au minimum à 2 dans l’île. Même pour une tache minime. Ne part jamais seule. Si tu décides de quitter le village, viens prévenir la personne qui est de garde, histoire qu’on ne s’inquiète pas pour rien.
Les semaines passent et se ressemblent sur l’Ile. Malgré la menace constante, je mène une vie douce. Je me lève tôt pour faire du pain, je prend plaisir à cultiver du blé. Je me ballade sur l’Ile, je me baigne, je joue avec les autres. Je goûte à la liberté que j’ai tant espéré.
La Bête refait son apparition 1 mois après mon arrivée. Je suis au village, en train de préparer des tartines en papotant avec Whitney. Soudain, on entend un bruit de pas précipités. C’est Marc, l’infirmier, qui réclame à voir Cynthia. Tout le village se précipite autour de lui.
- Je rentrais de ballade avec Amy et.. on a trouvé ça derrière une dune.
Il lance une chemise bleue.
- C’était à Bob. La Bête a encore frappé.
Plusieurs voix s’élèvent. Certains pleurent un ancien ami, d’autre sont agacés : pourquoi était-il seul dans les dunes ? Qui était son binôme ?
- Moi.
Tous les regards se tournent vers Donald, le cuisinier.
- On rentrait de la forêt, j’allais être en retard pour préparer le repas. Il m’a dit de courir, que rien ne pouvait lui arriver à quelques mètres du camp.
- Ce n’est pas grave Donald, tu ne pouvais pas savoir. C’est vrai que les dunes sont tout près du camp.
Soudain, un craquement retentit. Tout le monde se retourne comme un seul homme. C’est Amélie qui revient des bois. Il est clair qu’elle ne va pas bien. Elle titube, elle transpire, elle a les yeux dans le vague. Marc se précipite vers elle :
- Amélie tout va bien ?
- Je.. j’ai l’impression que ma tête va exploser, je ne me sens pas bien du tout...
L’équipe s’organise pour la ramener dans son abri. Je me tourne vers Ben :
- Elle est droguée ou quoi ?
- On est sur une île, donc les insolations, le stress, la peur, la nourriture pas forcément diversifié, ça peut engendrer des malaises.
Le soir, nous avons déposé une pierre signée par les habitants devant « le mur des disparus » en l’honneur de Bob.
Après cet incident, la vie a continué sur l’île. Cynthia m’a expliqué que c’était le fonctionnement normal. On vit, quelqu’un disparaît, puis on revit jusqu’au retour de la Bête. Personne n’est capable de me décrire la Bête. Personne ne l’a jamais vu. Tout le monde s’est fait sa légende, monstre pour les uns, robot pour les autres, géant pour d’autres encore.
Les jours s’écoulent. J’ai appris à aimer notre prison dorée, les couchers de soleil sur la plage, les chants des oiseaux le matin dans la forêt, les courses poursuite dans les dunes, les chansons au feu de camp. Nous discutons de notre histoire de résistant. Et même si nous avons perdu notre vie, nous savons que nous avons fait le bon choix en nous rebellant.
J’ai vécu ma deuxième attaque alors que j’étais au village, en train de faire le ménage dans ma cabane. Ben et Whitney sont affalés sur mon lit et discutent. Ils sont interrompus par un cri. Quelqu’un appelle à l’aide.
- J’y vais, crie Cynthia à la ronde.
Nous nous regroupons tous autour du foyer, éteint en ce début d’après-midi. On entend Cynthia crier pour tenter de trouver la personne en danger. Nous restons tous debout, dans l’attente.
2 heures plus tard, personne n’est revenu. Ni Cynthia, ni la personne en danger, qui se trouve être Marc puisqu’il est le seul manquant ici. Ben décide de partir avec Donald à leur recherche. Ils reviennent au début de la nuit, avec Marc. Tout le monde se regroupe avec une question sur les lèvres : mais où est Cynthia ?
Ben se contente de déposer devant l’abri de Cynthia une fleur et le collier de coquillage qu’elle portait en permanence. Tout le monde a compris.
La journée suivante se déroule assez bizarrement. Nous organisons une cérémonie de souvenir pour Cynthia puis une autre pour faire de Ben notre chef. Au conseil du soir, Ben réclame la version des faits de Marc.
- Pourquoi as-tu appelé au secours ? Quand on est arrivé, tu étais en parfaite santé !
- Je ne sais pas trop.. Je suis tellement désolé, je ne me souviens plus. Je sentais que j’étais en danger...
- Et quand Cynthia est arrivée que s’est-il passé ?
- J’en sais rien, quand je suis revenu il n’y avait que son collier.
- Tu n’as pas vu la Bête ?
- Pourquoi as-tu laissé Cynthia seul ?
Marc baisse la tête. Il n’a pas de réponse.
Je suis dans les bois. Whitney est devant moi, je l’accompagne pendant qu’elle cueille diverses plantes. Je ne me sens pas très bien aujourd’hui. J’ai un début de migraine. Je suis irritable. Sans raison, j’ai piqué une crise ce matin, juste parce que Ben a voulu aller à la chasse cet après-midi au lieu de rester au village. Tout le monde a mis ça sur le rôle de l’anxiété ou de l’insolation.
Je vois flou. Je plisse les yeux pour regarder Whitney se pencher pour attraper des fleurs par terre. Je sens mes membres se bloquer. Je veux crier mais je n’y arrive pas. Mes muscles ne m’obéissent plus. Comme dans un rêve, je m’empare d’une grosse pierre pointue. Mes jambes avancent vers mon amie. Je tente de résister mais c’est peine perdue. J’arrive juste derrière elle. Je lève mon bras. Whitney se retourne et je vois ses yeux s’écarquiller de surprise. Elle hurle. « Ben ! Au sec.. » . Elle ne pourra jamais finir sa phrase. Je frappe son beau visage avec ma pierre. Elle meurt en quelques secondes. Mon mal de tête explose et je s’évanouit.
Je me réveille dans mon lit. Ben me toise, ses yeux lancent des éclairs. Je tourne la tête, le mal de tête me déchire le crâne. Je me plie en deux sous la douleur.
- Ouuuhhh ça fait mal. Qu’est ce qui m’arrive ?
- Je te retourne la question. Je t’ai vu assassiné Whitney. Qu’est ce qui t’es passé par la tête Lena ? Tu es folle ou quoi ?
- Oh non Whitney… Ce n’est pas possible, c’est forcément la Bête.
Ben m’empoigne par le bras :
- Je t’ai vu ! Tu étais en train de lui éclater la tête avec une pierre ! Je vais te faire enfermer, tu es dangereuse !
Je pleure à chaude larmes :
- Ce n’est pas possible enfin.. Je ne me souviens pas, c’est le brouillard dans ma tête..
- J’en ai assez de cette excuse ! Tu vas me dire immédiatement ce qu’il s’est passé dans cette forêt !!
- Ben calme toi s’il te plaît !
Les autres habitants rentrent dans la cabane, pour nous séparer. Amélie et Donald l’assoie sur une chaise et se tourne vers moi :
- As-tu vu la Bête ?
- Non.. Elle a du m’assommer, je ne me souviens de rien.
Ils se tournent vers Ben :
- Désolé pour cette question horrible mais.. Tu as retrouvé le corps ?
- Non il a disparu devant mes yeux, il s’est enfoncé dans le sol en laissant juste son collier fétiche.
- Et… Tu nous jures que tu as vu de tes yeux Lena entrain de tuer Whitney ?
Il me regarde, dégoûté :
- Oui je l’ai vu.
Le groupe se tourne vers moi :
- Tu es la Bête Lena.
Je veux protester mais Amélie me coupe :
- On a déjà eu un assassinat ici par le passé et on a toujours retrouvé le corps. Mais quand la Bête intervient, pas de corps, juste un souvenir. La conclusion saute aux yeux.
Donald prend la parole :
- Lena est arrivé depuis peu et la Bête intervient depuis des années, ne soyez pas stupides !
Je reprends la parole :
- Je suis désolée pour tout ce qui s’est passé.. Je le répète, c’est le flou dans ma tête quand je pense à ce moment. Je pense que j’ai été manipulée.
- Tu te crois dans un film ?
- Non mais je le jure ! Écoutez à chaque fois que la Bête intervient il y en a toujours un d’entre nous qui revient avec une amnésie ! Vous n’aviez jamais remarqué ?
- Pas toujours Lena ! Il y a des jours où quelqu’un meurt et personne ne souffre de quoi que ce soit..
- Je ne sentais plus mes membres Ben ! Ils bougeaient seuls ! Il y a quelqu’un qui me contrôlait ! Ils veulent nous entretuer sur cette île !
Ben se lève, l’air grave.
- Si tu as raison, c’est pire que ce nous pensions. Non seulement l’île est une prison dorée, mais en plus nous sommes condamnés à mourir de la main de nos proches..
Tout le monde se dévisage. Dans les regards de mes voisins, je vois des alliances se former, de la méfiance, de la peur..
Sur Oggy, rien ne sera plus comme avant.