Bonjour, voici ma participation
J'ai hésité entre deux extraits s'inscrivant dans une plus grande histoire, mais tournant autour du même personnage. J'ai opté pour cet extrait ci, plutôt qu'un autre, où le personnage était plus jeune (bien qu'on m'avait félicité plus d'une fois pour le réalisme des combats de cet autre passage. À vous de me dire si ceux ci ont l'air réels également).
Ce n'est pas ma meilleure scène, loin de là, elle n'est pas non plus représentative de mon œuvre, mais c'est l'une des seules à intégrer ce qui ressemble à un duel.
Bonne lecture !
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-Le Rempart est le surnom du personnage principal de cet extrait
-Fallem désigne une organisation ennemie
-Le flane est un alliage inventé plus résistant que l'acier
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Les chevaux faiblissaient, impactant leur vitesse de progression. Tous fatiguaient, s’énervaient pour un rien, ne juraient que par leurs lits. Il leur restait encore deux bonnes heures avant d’espérer apercevoir les tours de la Ronceraie et rejoindre leurs couches. Aucun astre solaire n’effleurait l’horizon, mais les symphonies rythmiques des insectes nocturnes perdaient de leur intensité. Ils progressaient sur une étendue de neige plate parsemée de quelques arbres massifs hivernaux, et au loin, quelques ruines de ce qui avait dû être une bourgade depuis longtemps désertée. Le groupe, atone, affamé et épuisé par la route si vite engloutie, se laissait guider par les montures, alternant entre trot et marche, et un guerrier en armure noire qui commençait à dodeliner du heaume.
Des cliquetis métalliques, étouffés par le vent moyen qui les poussait en avant, les avaient alertés, mais trop tard. À l’approche des ruines, une trentaine d’hommes armés surgissaient sur le chemin pour leur barrer la route, les encerclant, freinant l’avancée des montures et leur ôtant toute possibilité aisée d’évasion. Les soldats mirent pied à terre, dégainèrent leurs armes puis apaisèrent leurs chevaux affolés, chuchotant entre eux pour préparer leurs défenses. Pas Stall. Nonchalamment encore en selle, ils jaugeaient les nouveaux arrivants, assez pacifiques. S’ils les bloquaient sans les attaquer par surprise, c’est qu’ils voulaient autre chose que leurs vies. Et donc qu’il y avait plus rentable à faire que s’énerver et foncer dans le tas.
— Il reste donc des têtes pensantes pour vous envoyer à la mort, nota-t-il.
— Et il y en aura jusqu’à l’endormissement, répliqua un Fallem.
— C’était une très mauvaise idée de tuer Otelmas, lui reprocha un second.
— Je la trouvais plutôt bonne, objecta le Rempart, descendant de sa carnassière ailée et empoignant calmement son arme favorite. Pas d’arbalète pour me mettre un carreau dans le crâne ?
Apparemment non. Ce qui accréditait son hypothèse. Ils n’étaient pas là pour tuer. Ce n’était pas la première embuscade qu’ils subissaient et généralement ils recevaient des flèches et des carreaux avant les paroles. Les flèches en fer des Fallems avaient tendance à se briser ou à ricocher contre le Flane du Rempart, que ce soit son torse, ses jambes ou sa tête, de visés, ce qui lui avait évité maintes fois la mort. Ses surnoms ne venaient pas de nulle part, l’Invulnérable en tête. Il ne pouvait toutefois pas en dire autant des quelques compagnons qu’ils avaient perdu de la sorte au cours des dernières années. Combien de défigurés, combien de borgnes, combien de morts ? Il ne les comptait plus, mais n’oubliait pas leurs noms. Disait-il. Mais il en avait oublié la plupart.
En tout cas, tant que les Fallems n’y allaient pas à la baliste de guerre, Stall ne craignait plus vraiment les embuscades, sauf pour ses hommes. Et quoi que voulaient leurs agresseurs, cette nuit, il comptait bien les empêcher de nuire à ceux qui l’accompagnaient. Il y tenait un peu.
Indifférent aux demandes de Thoann, le pressant de revenir dans le groupe, il s’avança sans crainte vers l’homme le plus proche, qui leva alors son arme vers lui, plus par prudence que par menace, sans l’attaquer. Galen déploya ses larges ailes et ses serres affilées, prête à bondir au moindre signe agressif. C’était à se demander qui les intimidait le plus entre la créature et le créateur.
— Si vous n’attaquez pas, c’est que la peur vous domine, présuma le Rempart. Ou que vous nous voulez autre chose. Je vous écoute.
— Une proposition à t’faire, confirma le Fallem. Y’a eu trop d’morts chez nous par ta faute.
— Il y en aura aussi longtemps qu’Evalya l’exigera, répliqua-t-il lentement.
— Sauf si tu nous r’joins. On saura s’montrer généreux. Et on d’dira nos secrets. Tu comprendras.
Stall retint un rire. Un rire sincère et méprisant. Mais sincère quand même.
— À quel moment ça vous a semblé être une bonne idée ? s’intéressa-t-il. De me proposer ça en nous coupant le chemin, je veux dire. J’ai sectionné des gens en deux pour moins que ça.
Il valait mieux en rire qu’en pleurer. C’était bien la première fois que ses ennemis lui proposaient ainsi de rejoindre leurs rangs. Leur audace lui plaisait. Pour une fois, il avait presque une forme de respect, pour eux. Presque.
— On est les messagers, nous, pas les décideurs.
— Et vous êtes une trentaine pour faire passer un message ? les dénombra-t-il. Ça fait beaucoup de bouches pour un seul texte.
— C’pour se protéger, juste au cas où.
— Au cas où, ça risque de ne pas être suffisant, affirma-t-il. Et je décline votre offre. Cassez-vous.
Il y eut un mouvement de recul de la part des plus proches. Sûrement craignaient-ils une attaque fulgurante ou quelque chose du genre ? Ils le connaissaient bien. Stall les observait, platement, attendant qu’ils rebroussent chemin. Il n’était pas motivé à les tuer. Il avait eu sa dose de brutalité, ces derniers jours. Il voulait juste rentrer à la Ronceraie. Expédier cet petit imprévu inédit qui les retardait. Ramener ses hommes à la maison. Et se plonger dans l’un des bains bouillants de la Ronceraie. En charmante compagnie, si possible.
— T’es con ? réagit enfin l’un de ses opposants. Tu nous r’jettes ? Alors qu’on vient en paix après qu’t’aies pourri Otelmas ? T’sais pas ce qui va arriver, en fait.
Le Rempart tourna la tête vers lui. Si l’imprudence avait un visage... eh bien ce visage n’était pas agréable à voir. Un coup de marteau arrangerait sans doute le tout.
— T’les as pas vus à l’œuvre, accusa le Fallem. Nous si. Une fois. On est allés voir, de très loin. On sait c’qui arrive à ceux qui se dressent devant. On sait qu’fuir sert à rien, qu’l’Ezethia est p'tet l’un des meilleurs endroits et qu’y faut y creuser nos prop' tombes pour espérer en r'ssortir un jour ! s’emporta-t-il. Faut endormir toute la région si on veut la garder pour nous. Faut qu’y’ait pu personne de vivant à la surface quand t'y z'arriveront. Faut êt' le plus discret possible. Reste juste à abattre ceux qui veulent combattre et après c’est bon. On aura une chance. T’sais rien de c’qui va nous tomber d’ssus. Arrête de nous combattre, on t’expliquera, on t’montrera ! T’mourras pas pour rien comme ça.
Stall était fatigué. Fatigué d’entendre des absurdités sans queue ni tête sortant de nulle part. Ce n’était pas la première fois qu’on lui servait cette bouillie incompréhensible et il l’avait toujours rejetée, tout comme Evalya et tous ceux ayant la malchance d’en entendre parler. Il n’avait même pas le courage d’interroger le Fallem sur la nature de ce qu’il affirmait. Il y avait un côté vérité absolue qu’eux seuls connaissaient, un petit côté Sognbern qui le dérangeait au plus haut point. L’envie d’en tuer un ou deux le démangeait, finalement.
— Barrez-vous, exigea-t-il simplement en leur tournant le dos, marchant vers Galen, se contenant.
En tuer un ou deux reviendrait à provoquer les autres, et donc à engager un nouveau combat. Stall savait ses hommes harassés par la route, ils s’attendaient à se coucher sous peu, pas à se battre. En cet instant précis, il ne voulait pas céder à la violence. Pour essayer. Pour une fois. Et ne pas risquer la vie de ses hommes courbaturés pour une trentaine de paumés qui croyaient en n’importe quoi. Ils auraient bien l’occasion de les tuer plus tard, au détour d’une requête d’Evalya, en meilleure forme.
— T’es b'in con d’refuser ! insista le Fallem. Vaut même mieux clamser avant, mais ça, vous l’comprenez pas, quoi qu’on fasse, qu’on dise... Alors on va vous crever. Toi, la reine, sa sœur, tout le monde. Ça d’vrait suffire à gagner du temps, à c’que personne les attaque, à passer inaperçu à leurs yeux quelques mois ou années d’plus. Restera pu qu’à foutre le feu et à se terrer en espérant qu’ils viendront pas. C’comme ça qu’on peut survivre, pas en croyant qu’on peut leur résister.
Stall s’arrêta, à mi-parcours entre sa position et Galen. Il en avait assez entendu. Le coup allait partir, des têtes allaient voler. Se contenir n’avait jamais été son fort. Il se retourna.
— T’es bouché, toi, s’exclama un autre Fallem à la gestuelle très expressive. Tu fais pas c’qui faut, tu fais le fier, du coup, quoiqu’tu fasses, tu crèveras. Mais t’es pas malchanceux, c’nous qu’on va s’en charger, pas eux. Vous écoutez pas, vous nous prenez pour des fous, des ennemis du royaume de nos ancêtres, mais c’est vous qui l’êtes ! Nous on l’est pas !
— Vous agissez comme tels, jugea Stall.
Il marqua une courte pause, cherchant autre chose à rajouter, puis laissa tomber sa hache-marteau dans la neige.
— Je vous tuerai volontiers jusqu’au dernier sans la moindre hésitation, mais je ne souhaite pas vous combattre. Pas tous. Alors on va faire simple.
Il les regarda tous un par un rapidement, tournant lentement sur lui-même. Certains portaient des casques, d’autres non. Y avait-il un arc, une arbalète, quelque chose, caché dans le dos d’un des hommes ? Ce n’était pas quelque chose qu’il craignait vraiment, mais il préférait largement quand l’ennemi venait le combattre au corps à corps, là où il avait tout loisir de le dominer.
L’affrontement était inévitable, la situation ne pouvait pas être désamorcée. À vrai dire, ils l’avaient un peu trop chauffé avec leur insistance et ouvrir le ventre de quelques-uns lui apporterait sans conteste de la satisfaction. Le Rempart voyait pourtant une alternative plus simple, basique, distrayante pour lui, et avantageuse pour sa réputation. Et plus sécurisée pour ses compagnons.
— Vous vouliez me parler, m’inviter à vous rejoindre. Je refuse. Du coup, vous voulez me tuer, très bien, ça vous ressemble plus. Je pense que vous doutez de pouvoir nous avoir, moi et mes hommes, en étant si peu nombreux. Vous êtes trop mal organisés. Il n’y a donc que deux issues pour vous. Dans la première, vous tentez votre chance et vous mourrez tous, dans la seconde, un seul d’entre vous. Votre choix ?
Quelques chuchotements se firent entendre. Rabaisser l’ennemi était une méthode simple pour instiller le doute dans son esprit. Le doute chassait la confiance, brouillait les décisions, invitait l’hésitation, stimulait l’émotion et noyait la raison. Ce qui facilitait les combats et les décès prématurés. Stall croisa les bras, insistant sur les sonorités grinçantes que son armure produisait. Ce n’était pas de l’acier ou du fer, qui se frottait, c’était autre chose et cela évoquait souvent, aux oreilles de ceux qui le lui avaient confié, le râle d’un mort.
Le cercle humain se resserra et les compagnons de route de Stall se rapprochèrent de lui, mais celui-ci leur signifia d’un geste de rester là où ils étaient, de se protéger entre eux. Les chuchotements amplifièrent dans les deux camps.
— Si on est v'nus là et qu’on a veillé toute la nuit, c’pas pour te laisser mener la danse, protesta un Fallem sur sa gauche, levant son arme. Ni pour nous barrer parce que tu crois qu’on a peur !
— Je ne le crois pas, je le sais. Votre choix ? répéta-t-il.
— Soit tu nous rejoins et tu fais faire à Evalya comme on te dit, soit on t’bute ! s’énerva son interlocuteur, bien vite approuvé par ses compagnons.
Ils auraient pu repartir sans faire d’histoire, Stall leur avait accordé cette option. Mais non. Trente hommes le menaçaient et aucun n’osait s’en prendre à lui autrement que verbalement. Peut-être s’étaient-ils surestimés. Ou le surestimaient-ils. Les réputations, les légendes... l’armure noire. Toujours aussi efficace. De nombreux combats lui avaient été favorables uniquement grâce à cela et pas à ses armes.
— Qu’est-ce que t’entends par un seul d’entre nous ? lui demanda une voix de femme. Tu veux un sacrifice ou quoi l’Ystrîmique ?
Elle s’avança vers lui, le regard déterminé, avec suffisamment d’assurance pour le défier, voulant profiter de son avantage. Le Rempart réagit aussitôt, sans le lui laisser la moindre chance, en la désarmant. Puis sa main gauche se plaqua contre ses côtes alors que la droite lui agrippait l’épaule opposée. Stall la souleva en l’air comme si elle ne pesait rien. Les armes tirées, les Fallems hésitèrent, ne sachant que trop peu si leur ennemi allait s’en servir comme d’un bouclier ou un projectile. En tout cas, il ne la tuait pas. La Fallem, après avoir hurlé de surprise, haussa les sourcils. Il aurait très bien pu la déchirer en deux. Mais elle restait en l’air, humiliée, gesticulant et ordonnant qu'on la repose à terre.
— Un simple duel, leur proposa alors Stall, se débarrassant de sa prise, la projetant à quelques mètres de là avec un grognement d’effort.
Elle heurta un pan de mur et s’écroula dans la neige. Stall lui accorda quelques secondes d’attention.
— Pas morte, conclut-il. Le compte n’est pas encore bon. Un duel, donc. Si je l’emporte, je ne vous tue pas, je vous laisserai partir vous cacher, c’est votre droit. Et vous nous laisserez l’opportunité de mourir comme bon nous semble.
Deux Fallems portèrent assistance à la jeune femme, qui ne bougeait plus.
— Et s’tu perds ? grogna une voix âgée.
— Ça n’arrivera pas.
La réponse ne leur convenait pas. Il devait leur offrir un espoir, une compensation qui les tenterait et les ferait accepter ses termes. Pour en finir rapidement.
— Si je perds, je me joindrai à vous, ou vous m’achèverez, comme vous préférez. Mes gars vous laisseront faire. Rien de bien contraignant ni contrariant pour vous. Mieux vaut commencer par risquer la vie de deux hommes plutôt que de quarante, non ? C’est dans votre intérêt, vous avez déjà gâché votre effet de surprise. Votre meilleur combattant contre moi. Et vous aurez une chance d’avoir ce pour quoi vous êtes venus. La seule.
Silence. Stall savait qu’on lui reprocherait ce caprice vaniteux, cette petite mise en scène. Thoann lui dirait qu’il se donnait trop en spectacle, qu’il se compliquait l’existence et la risquait pour rien. Qu’il leur suffisait de les écraser, évitant au passage que ces individus-là reviennent et leur causent du tort à l’avenir. Mais ce qu’ils oubliaient c’est que, parfois, tout homme aime changer ses habitudes et se divertir d’une toute autre manière qu’à l’ordinaire. Et Stall avait, souvent, tendance à céder à ce genre de frasques. Pour le bien de sa réputation qui le servait tant. Au grand dam de ses alliés.
— T’pas bête, vraiment pas bête... affirma une petite voix.
Un adolescent. Très jeune. Est-ce que Stall oserait lui fendre le crâne ? La question ne lui traversa même pas l’esprit. Il savait que oui. Il briserait la colonne d’un bambin, s’il le fallait. Il n’avait pas cette notion d’honneur que tant d’autres arboraient. C’était une perte de temps et d’opportunités, à ses yeux.
— On sait tous c’que tu sais faire avec une arme et c’que tu portes te rend presque immortel, poursuivit le jeunot. Ce serait couru d’avance en combat singulier.
Alors que la femme reprenait plus ou moins connaissance et se faisait traîner à l’abri par deux de ses compagnons, le Rempart ôta son heaume, le jeta sur le côté, détacha sa cape et commença à désemboîter ses pièces d’armure sous les regards stupéfaits des Fallems.
— Stall, arrête imbécile ! le somma Thoann en courant vers lui, l’arme au poing. Qu’est-ce que tu fous ?!
Le guerrier se retourna, plus de la moitié de son corps dépourvu de protections, puis lança un regard si expressif à son gradé que celui-ci décéléra sans le contredire de nouveau. Il finit par retirer les dernières pièces de son armure, mis à part ses bottes, puis jeta ses autres armes au sol. Enveloppé d’un simple vêtement de lin renforcé par quelques épaisseurs supplémentaires au niveau des épaules, il commençait à avoir froid, mais se savait prêt. Shinda l’encouragea d’un bref sifflement. À sa place, elle aurait sûrement fait quelque chose de semblable, il le savait.
— Mieux ? demanda Stall en se montrant vulnérable face aux Fallems, trop surpris pour profiter de l’avantage que leur offrait la situation et soupçonnant sans doute une fourberie. Je ne suis plus qu’un homme désarmé. Plus d’Ystrîmique à l’armure d’ébène, comme tu l’as dit. Juste un homme fatigué et désireux d’en finir. Tenté ?
Il prenait un gros risque. Il n’y avait pas d’arbalète ou d’arc, mais s’ils se jetaient tous sur lui, rien ne le protégerait. Le Rempart s’effondrerait. Ou peut-être pas. Il ne savait pas exactement pourquoi il faisait ça. Pour écourter la rencontre et ne pas risquer plus de vies dans un affrontement général ? Pas que. Peut-être souhaitait-il en épargner quelques-uns, pour une fois, histoire de voir ce que cela faisait ? Ou peut-être pour se rassurer quant à ses capacités ? Se vanter en risquant plus gros que d’habitude et en sortir victorieux, couvert de gloire et de tripes ? Essayer quelque chose d’inédit ? Dans les tous cas, c’était stupide et irresponsable. Ce qui lui plaisait, sur le moment, il devait bien se l’avouer. C’était peut-être la fatigue qui le rendait ainsi.
— Que l’un de vous s’avance, exigea-t-il d’une voix mi-lasse mi-assurée.
Thoann se rapprocha alors dans son dos.
— T’es vraiment un grand malade... murmura-t-il. Ramasse ton arme au moins. Prends pas plus de risques inutiles.
Plusieurs secondes filèrent. Puis un Fallem s’avança sur sa droite, brisant le cercle. Il portait une hache mal taillée, une armure de mailles très certainement volée sur une dépouille et un casque qui ne laissait apparaître que des yeux.
— T’es bien moins impressionnant sans armure, lui fit remarquer son adversaire volontaire. On dirait un gosse qui a grandi trop vite, se moqua-t-il. J’accepte ton défi, j’vais t’fendre en deux.
Un sourire sur un visage sous un casque. Stall allait les lui arracher. Tous les trois. La peur et la terreur habiteraient de nouveau les esprits des survivants une fois qu’il en aurait terminé avec lui.
— Il doit aussi enlever son équipement et jeter son arme ! exigea alors Thoann en s’adressant aux Fallems.
— Non, s’y opposa aussitôt Stall. Ce doit être un duel équitable.
— Qu’est-ce qui est équitable là-dedans ?! pesta-t-il en un chuchotement agacé. À quoi tu joues bon sang ! Ce sont des assassins, ils n'agiront pas à la loyale ! Ils vont te tomber dessus à quinze, ils vont te broyer ! Arrête ça, t’as rien à nous prouver, recule, on se précipitera à tes côtés pour te protéger, t’auras plus qu’à ramasser ta hache ou tes fléaux et en décapiter plusieurs.
De nouveau, Stall refusa.
— Ils en ont déjà eu l’occasion, argua-t-il.
— Prends au moins cette dague, le pressa Thoann en la lui glissant dans le dos sans que le guerrier ne s’en saisisse. Stall, merde, arrête d’être con ! insista son compagnon, affolé.
Le Rempart l’ignora, convaincu que ses hommes respecteraient sa volonté, même s’ils le désapprouvaient, et s’avança vers son adversaire autoproclamé, le visage inexpressif. Certains Fallems encouragèrent leur compagnon par son nom. Il s’appelait Murmure.
— Tu auras eu une chance unique mon gars, l’informa Stall. Sois-en fier. Tu aurais pu battre le Rempart. Tu aurais pu devenir un héros pour les tiens.
Murmure n’était plus d’humeur bavarde. C’était son moment. Sa hache creva l’air. Une attaque fulgurante que le guerrier n’esquiva que partiellement. Le tranchant de l’arme déchira le lin de son torse et lui entailla la poitrine. Un retour de lame lui frôla le visage. Il n’en fallut pas plus à Galen pour bondir en avant. C’était le premier geste hostile envers Stall qu’elle détectait et elle y réagissait conformément à sa nature. La gueule grande ouverte, les serres projetées en avant, Murmure la vit fondre sur lui. Il plongea à terre pour l’éviter, et la créature poursuivit sa course, effrayant les autres Fallems qui se dispersèrent de son chemin avant de se regrouper à l’écart, vigilants, leurs armes pointées sur elle, craignant qu’elle ne les charge de nouveau.
— Elle est un peu trop protectrice, pardonne-la, s’excusa Stall, en tendant la main à Murmure.
Celui-ci ne la prit pas et le Rempart, taquin, racla rapidement sa botte dans la neige, visant son adversaire, lui recouvrant le heaume et remplissant sa visière. Ulcéré, Murmure se frotta les yeux comme il put à travers son casque alors que Stall s’en allait tapoter le museau de Galen pour la calmer et lui intimer l’ordre de ne rien faire. Il n’était pas sûr qu'elle puisse comprendre une telle directive. Les Fallems se consultaient du regard, moins confiants que quelques instants auparavant.
— C’était déloyal, Rempart ! l’accusa Murmure, qui se remettait en position de combat.
— Je n’ai jamais prétendu combattre loyalement. Qu’attends-tu ? Affronte-moi, je te laisse venir.
— Ta bête va me mettre en pièces !
— Elle non, moi oui. Attaque donc le gosse qui a grandi trop vite. Fends-moi en deux. Tue-moi, tu pourras t’en vanter !
Rageur, Murmure le chargea. Un rictus aux coins des lèvres, Stall se précipita sur son ennemi, évitant son attaque et bosselant la face avant de son heaume d’un puissant coup de poing, lui fracassant à coup sûr l’arête nasale. Sonné, Murmure se dégagea en titubant, à reculons, plaquant inutilement une main contre son heaume, agitant son arme devant lui, à l’aveugle et sur la défensive. Ce simple coup lui assurait la victoire, Stall en était certain. Les dents serrées en raison de la douleur qui lui traversait la main, il se mit à lui courir autour, cherchant à le déstabiliser, ravi de voir le sang couler au niveau du cou de son adversaire. Il l’habitua à ce mouvement circulaire, le désorientant, enchaînant quelques feintes pour le déstabiliser, hésitant à envoyer sa botte rencontrer brutalement sa rotule au point de la lui retourner. Puis il se jeta en avant, au ras du sol, les jambes tendues, heurtant les mollets de Murmure. Celui-ci perdit l’équilibre sans parvenir à toucher Stall lors de sa chute.
Le Rempart lui agrippa le poignet d’une main et lui enfonça résolument les doigts de l’autre dans la visière. Il secoua le poignet armé de Murmure, l’abattant avec force et à de nombreuses reprises contre le sol gelé, jusqu’à ce que celui-ci lâche sa hache. Stall ne la ramassa pas. Il se contenta de frapper, encore et encore, le casque de son rival, cabossant plus encore le métal, tuméfiant ses traits à l’intérieur, l’assommant presque, compressant son crâne.
— Tu souris moins, on dirait ? articula Stall, ignorant les rappels insistants de son système nerveux lui hurlant que ce qu’il faisait n’était pas du tout dans l’intérêt de ses phalanges.
Il jeta un œil à Galen. Elle était sage. Terrifiante, mais sage. Elle le sentait maître de la situation. Il savait qu’elle assurait ses arrières. Qu’un seul Fallem le charge, et elle le capturerait au vol.
Certain de ne plus rien risquer, Stall passa dans le dos de Murmure, profitant de la semi-inconscience de sa victime pour lui maintenir le bras droit tendu. Il lui désarticula le coude d’un violent coup de botte. Murmure se mit à geindre de douleur et, malgré sa gesticulation, ne put éviter le même destin à son bras gauche. Tout le monde connaissait désormais le nom du vainqueur, si jamais quelqu’un en doutait encore.
Bien que sa barbarie et l’agressivité de Galen semblaient les faire réfléchir, les Fallems pouvaient encore choisir de le charger tous ensemble. Mais les hommes de Stall les surveillaient. Ils le savaient, leurs pertes seraient lourdes, leur venue, définitivement vaine, et même s’ils arrivaient au bout des guerriers ezethiens, la créature ailée les annihilerait. Quelque part, le calme et la violence méthodique de Stall les paralysaient. Pour leur bien. Cela leur évitait de prendre une décision regrettable. C’était une bonne excuse.
Le Rempart ôta, non sans difficultés et moult écorchures de visage, le casque déformé de Murmure avant de lui saisir le crâne entre ses deux mains. Il y exerça une pression puissamment amplifiée par le lien d’Arendale. L’homme se mit à hurler de douleur, agitant simplement ses jambes, ses membres antérieurs étant devenus inutilisables. Il hurla, hurla, hurla. En vain.
Conscients du pari perdu, certains Fallems semblèrent vouloir profiter de la vulnérabilité temporaire de Stall pour inverser la tendance, reprendre l’avantage. Les quatre plus téméraires l’atteignirent avant que Thoann et les autres ne puissent s’interposer convenablement. Ce ne fut pas le cas de Galen, qui le protégea en fauchant le premier des assaillants, l’empalant contre sa gueule fermée, qu’elle ouvrit ensuite, déchirant le malheureux de l’intérieur en une explosion rougeoyante.
Parallèlement à cela, le guerrier lâcha sa prise, récupéra la hache de Murmure, décapita son plus proche adversaire — effaré par ce que la carnassière ailée venait de faire —, éventra le suivant puis planta si violemment son arme dans le front du dernier que celui-ci implosa sous l’impact, mettant à nue sa cervelle rosie.
Des deux côtés, les armes étaient tirées, pointées sur le camp adverse, chaque bras engourdi d’indécision. Il n’y eut pas d’autre charge, les plus arrogants gisaient déjà à terre. Tous regardaient Galen, la tête abondamment recouverte de viscères et de sang, plonger ses immenses crocs dans le cou et les entrailles du décapité. L’horreur et le dégoût se lisaient sur leurs visages, la majorité n’avait qu’une seule et unique envie : fuir. Ce qu’au moins cinq d’entre eux firent, écœurés, détalant comme des lapins, sous les insultes de ceux qui se considéraient plus intrépides. Plus stupides, aux yeux de Stall.
Celui-ci s’agenouilla de nouveau auprès de Murmure, qui n’avait pas bougé, reprenant là où il s’était arrêté, le cœur battant. Si peu d’audacieux pour trente peureux... Comment avait-il pu craindre leur embuscade ne serait-ce qu’une seule seconde ? Les hurlements retentissant de nouveau précédèrent un sinistre craquement, puis le silence. La boîte crânienne fracturée, la tête de Murmure retomba mollement dans la neige. Le guerrier se releva, les mains et les avant-bras recouverts de sang. Lui et Galen s’accordaient visuellement bien. Subrepticement, il repensa à une très vieille phrase d’Othas. Tue proprement, rapidement, sans douleur. Il souffla du nez. Non, le vieux, on ne peut pas toujours être propre. Même quand on le veut.
— Qu’est-ce que vous attendez ? Cassez-vous.
Il s’avança vers ses ennemis désormais avares de remarques, intimidés et choqués, mais pas encore assez pour fuir, puis se pencha pour ramasser ses pièces d’armure. Thoann et ses hommes l’encadraient de près maintenant, bien plus stressés que lui. Ils étaient une dizaine, encore encerclés par deux fois ce nombre.
— Quatre morts de trop, navré, s’excusa Stall en rajustant l’une de ses spallières. Partez, autant que vous sauvegardiez vos vies, leur suggéra le guerrier. Ceux qui veulent rester, restez et mourrez, ma belle a toujours faim, les menaça-t-il, plus pour qu’ils abandonnent que pour qu’ils engagent la lutte. Les autres, partez. PARTEZ !
Finalement, il n’avait pas réussi à les convaincre d’en terminer avec un simple duel. Ils étaient têtus. Et le paieraient de leurs vies, s’ils persistaient. Quitte à en avoir déjà abattu un bon nombre, Stall commençait à envisager de revenir sur sa parole et de tous les exécuter.
Plusieurs Fallems, déchaînés par les exécutions de leurs confrères et ne souhaitant apparemment pas repartir moins nombreux qu’avant et bredouilles, voulurent profiter de sa proximité et de son inattention alors qu’il finissait de se rééquiper, refermant leur cercle sur leurs proies en armure. Finalement, ils venaient de décider à sa place de leur sort.
Thoann l’alerta, mais Stall avait déjà prévu son coup. Il empoigna promptement l’un de ses morgensterns encore au sol, à côté de ses pièces d’armure, et l’abattit sur le crâne de l’agresseur le plus proche, qui s’effondra sur le coup. Au même instant, une lame lui transperçait l’extérieur du bassin. Stall riposta d’un coup d’épaule, ce qui fit tomber son propriétaire à terre. Ramassant sa hache-marteau, le Rempart inspira profondément, leva, abattit, et la masse creusa son nid entre les côtes brisées du Fallem, avant de s’en échapper. C’était deux vieillards. La cinquantaine. Dommage, ils étaient encore vifs.
Autour de lui, les combats furent brefs. La neige rougissait sous les dépouilles des Fallems tombés. Ses hommes et Galen, protégeant ses flancs et ses arrières, les massacraient sans réelle complication. Les autres, ceux ayant survécu aux premiers échanges de coups, s’enfuirent, comprenant qu’ils ne l’emporteraient définitivement pas, essuyant un échec cuisant et coûteux. La jument en pourchassa deux, les abattant sur le coup, puis Stall la siffla.
Les survivants parleraient. Sa notoriété n’en serait que meilleure. Au moins, ils avaient l’instinct de survie. Mais pas celui de communauté : ils venaient d’abandonner la femme, adossée à un muret. Stall ne se donna ni la peine de l’aider ni de l’achever. Qu’elle crève. Elle les fixait, effarée, muette de terreur, ignorant si son immobilité lui sauverait la vie ou si son destin la mènerait dans l’estomac d’un monstre que les ragots ne dépeignaient qu’en dessous de la réalité.
Galen revint rapidement vers eux puis, constatant l’absence de danger, planta ses serres dans l’un des cadavres proches, entamant immédiatement son repas. Sans doute était-elle tentée d’emporter avec elle un ou deux corps plus loin, mais elle se devait de garder son créateur à l’œil et de veiller à sa sécurité. Alors elle dînait sur place. Ses yeux dévoués braqués sur son maître.
Stall plaqua sa main contre sa blessure, feignant de paraître en état de combattre sans le moindre handicap. Tout le reste de l’escorte l’entourait, la garde baissée. Il n’y avait plus le moindre danger. Ils s’inquiétaient pour lui, sans la moindre retenue cette fois.
Tout en délogeant la sphère cloutée du crâne dont elle était prisonnière, il leur rappela à tous sa première règle de sécurité. Et ils se mirent à décapiter méticuleusement les corps autour d’eux. Sans la moindre exception.
— Et elle ? voulut savoir Shinda en la désignant de ses deux cimeterres rougeâtres.
— Laisse. Témoin.
— Est-ce que ça va ? lui demanda Thoann, inquiet. Tu saignes... J’ai pas l’habitude de voir ça. Prends Galen et vole jusqu’à la Ronceraie, qu’on te recouse la peau au plus vite.
— Ça ira, je tiendrai, le froid gèlera tout ça. On rentre tous ensemble.
Il s’abaissa plusieurs fois pour ramasser d’autres pièces d’armure et les rééquiper, sans jamais ôter sa main de sa blessure. Malheureusement pour lui, Stall n’était pas capable de soigner par le biais des Arcanes... Ores s’en émut et s’ingénia à lui confectionner des bandages à l’aide de vêtements ponctionnés sur les cadavres, et ce, sans lésiner sur les remarques angoissées.
— Tu sais, on sait se défendre, lui assura Baltemar en s’approchant de lui. Rentre par les airs, conseilla-t-il. Ce n’est plus très loin.
— La dernière fois qu’on est sortis tous ensemble et que je me suis éloigné, on a perdu Rob et Wilten. Cette fois, je ne veux perdre personne. Pas même toi. On rentre ensemble, on veille les uns sur les autres.
— C’est touchant, mais là tu ne serviras plus à grand-chose, répliqua-t-il. Tu vas juste mourir en chemin.
— Je vais bien, les soins attendront qu’on arrive, s’obstina-t-il en replaçant ses cuissards.
Il grelottait, de plus en plus sévèrement. Les rajouts de cuir à l’intérieur de son armure mettraient beaucoup de temps à le réchauffer et il n’avait vraiment pas assez de gras pour affronter les températures.
— Tu ne protégeras pas grand monde avec un trou dans le bassin, lui fit remarquer Ores.
— Tu vas pas t’y mettre toi aussi ! J’apprécie votre inquiétude, se tempéra-t-il. Mais vous me connaissez, vous savez que vous n’obtiendrez rien, alors foutez-moi la paix. Ou Galen vous bouffera.
La carnassière redressa la tête en entendant son nom, les naseaux inondés de fluides corporels. Pas si affamée que cela, elle semblait s’amuser avec la dépouille, ses longs crocs déchirant le cadavre et le secouant.
Ses hommes liges l’aidèrent à réinstaller certaines pièces d’armure plus rapidement puis ils chevauchèrent de nouveau en direction de la Ronceraie, sans plus de réflexions à l’égard de leur inconscient meneur, arrachant Galen à ses distractions sanguinolentes, qui en emporta toutefois un bout dans sa gueule. Elle n’aimait pas gâcher.
Un peu moins de deux heures plus tard, alors que les lunes allaient laisser leurs places à Drojkal, achevant leur ballet commun, la forteresse devenait visible, au loin.
Les blessures de cette nuit-là, Stall ne s’en souciait plus depuis longtemps. Arendale s’était plainte de sa stupidité. Ash, quant à elle, s’était bien occupée de lui, et ce, malgré les infections que les vêtements des morts lui avaient léguées et qui persistèrent plusieurs jours. Elle lui avait interdit, le soir-même, de rejoindre les bains chauds avant plusieurs semaines. Interdiction qu’il avait formidablement ignorée une fois sorti de l’Orbite, jusqu’à comprendre le bien fondé de la décision lorsque le liquide bouillant lui brûla les plaies et que son sang se mélangea à l’eau, ruinant l’instant et la minutie des soins de la botaniste.