Bonjour!
Voici mon texte, écrit souvent de nuit. La nuit c'est aussi quand se déroule l'histoire.
C'est la bonne version car il y a eu un problème et un brouillon a été envoyé avec une mise en forme incompréhensible. Je n'arrivais pas à le supprimer.
J'espère que le jeu de piste vous plaira.
Mots croisés
Alors… Ici : "mot en quatre lettres, horizontal. Elle met au monde un enfant".
Mon Dieu que ces mots croisés sont cons! Clara complète les cases horizontales de sa petite grille avec le mot "mère".
Oh ! Quelle prouesse!
Elle sirote un énième whisky.
Phonétiquement le mot correspond exactement à un prénom qu’elle connaît bien. C’est celui d’une héroïne de série américaine dont elle est fan. Elle s’appelle Mare et ça se prononce exactement comme "mère" en français.
1825 jours de confinement. 1825 jours meublés de séries, de films, de romans et et de mots croisés. Indices de cette activité à plein temps, d’innombrables grilles de toutes sortes jonchent le parquet. Il faut les enjamber pour passer de pièce en pièce .
Cette grille là est la plus nulle de toutes. Elle a hâte de la terminer car elle n’en laisse aucune inachevée, mais elle s’ennuie.
À l’exception du caractère anecdotique de ce rapprochement phonétique entre "mère" et "Mare"'cette grille ne l’amuse pas. Trop d’évidences. Elle y cherche des subtilités mais elle se juge trop limitée -elle ne s'aime pas - pour les dénicher. Toutefois "sage" conviendrait peut-être, pense-t-elle.
"Sage" comme dans sage- femme …
Quadrillage infernal.
Plus de minuit. Dans l’obscurité poisseuse et oppressante de son appart’ Clara fixe encore la grille éclairée par une vieille lampe de bureau. Mais lignes et colonnes se brouillent et se superposent, les cases éclatent en se dispersant une à une sur sa page. Elle chausse ses lunettes mais rien n’y fait…
Nuit noire, plus de 2h du matin, silence absolu, signe d’un sommeil profond dans son voisinage. Clara se décide à se lever et se dirige vers le couloir qui mène à sa chambre. Le désordre de la pièce l’angoisse, et parfois elle dort sur le canapé du salon.
Elle ouvre la porte du couloir puis s’y dirige à tâtons. Deux pas et elle s’arrête net, tétanisée. Elle constate avec stupeur qu’au delà ce n’est plus son appartement. Au sol, plus de parquet mais des dalles carrées guidant son chemin, droit devant elle. Elle avance et remarque aussi que les portes ont disparu pour s’ouvrir sur des couloirs croisant sans fin le sien. C’est un quadrillage à parcourir à l’infini.
Mais je suis où?……. ?.......Ressaisis toi, crétine. Tu as trop bu, tu es sûrement sortie de chez toi et maintenant tu ne sais plus où tu es !
Un peu plus tôt, elle est effectivement sortie faire un tour avant de dormir, mais elle est trop éméchée pour s’en souvenir. Elle est dehors, en bas de son immeuble. En baissant les yeux elle retrouve les dalles carrées qui pavent le trottoir. Sa rue très étroite ressemble étrangement à ce couloir sans fin, coupé par une multitude de couloirs parallèles. Elle se trouve bien devant chez et elle n'aperçoit pas de couloirs mais une multitude de rues coupant la sienne perpendiculairement. C'est ça le quadrillage infernal que son esprit embué imagine... De là où elle se tient, elle peut voir d’ailleurs sa grande terrasse au 3ème étage. Complètement rassurée, elle décide de remonter se coucher.
Mais quelque chose cloche. L’ambiance de la rue est inhabituelle. Ordinairement et jusque très tard on y entend chaque soir voitures et conversations de passants qui s’attardent. Là c’est anormalement calme. Juste quelques faibles chuchotements sont perceptibles. Comme si, embusqués quelque part, des gens se parlaient tout bas.
On se prépare à t’agresser, cours!
Elle essaie mais rebrousser chemin est impossible.
Oh my god! Tu es trop soule, tu vas crever ici...
Les justiciers
Loin devant, elle repère des silhouettes blanches et floues. Une lumière blafarde de vieux néon les éclaire. Elle déteste cette lueur. Ces gens sont postés à chaque coin de rue. Ils communiquent par gestes comme s'ils étaient des mimes. Ils portent une large tenue blanche et leur visage est dissimulé sous une sorte de haute et large cagoule. Clara fait quelques pas et les observe sans qu’on la voie. Dans le dos, leur tenue est marquée d’une lettre. Elle essaie de les déchiffrer toutes malgré la distance et une brume ambiante : J, U, S, T…Justice, c’est ça, JUSTICE. Clara est interdite et ne comprend pas. Trop confuse pour réfléchir, elle tente cependant de trouver une explication rationnelle à ce qu'elle voit.
Quelle justice pourrait-on bien venir réclamer en pleine nuit?! Ça ne tient pas debout.
Pourtant soudain tout ce petit monde se rassemble en un cortège qui se met en marche. D’un pas uni et déterminé il progresse vers elle.
Un coup de sifflet retentit comme pour marquer la pause de ce défilé militaire et rythmé. Quelqu’un s’extrait du groupe. L’individu, d’un signe de la main, donne l’ordre d’arrêter la marche. En rangs serrés et organisés, on s’immobilise.
Celui qu’elle imagine être le chef s’approche de Clara. Elle le voit arriver tel un spectre. Elle a peur, elle ne contrôle plus ses tremblements, ses jambes ne la soutiennent plus. Elle s’écroule lourdement comme une proie en attente d’elle ne sait quoi…
Au centre d’un halo flou elle distingue un inconnu qui la frôle de très près dans une sorte de danse macabre autour d’elle.
Le visage semble décharné et taillé brut comme celui d’un bourreau nazi aux traits parfaitement ariens. L’homme est aussi grand, musclé et massif que son visage est fin et creux. La pâleur de son teint et ses yeux bleu glacial paralysent Clara. Lui aussi est entièrement vêtu de blanc…Mais il a retiré sa cagoule.
Dans le cortège immobile personne ne bouge, ni n’ose s’approcher d’elle à moins de cinq mètres. Elle se sent étrangère à cette horde de gens très disciplinés et méfiants.
Mais plus que tout autre chose, elle ressent intimement une haine rageuse de tous envers elle.
À ce moment, la scène lui rappelle une vision figée et glaçante enfouie dans sa mémoire. Elle s'imagine soumise au jugement de féroces assassins comme on en rencontre dans les réunions très fermées de la communauté du Khlan.
Aux actualités, elle se souvient avoir vu souvent ces images des temps les plus sombres d’une Amérique rongée par un racisme haineux et violent.
L’espace de cet infime instant, elle panique et pense sans plus aucune rationalité : elle va brûler vive sur une croix en feu portée très haut par ces créatures hostiles vêtues de blanc et cagoulées. Les peurs s’infiltrent et se bousculent en elle, la migraine est là, lourde et lancinante.
Surtout ne pas imaginer la suite, se dit-elle. Pour garder son sang froid et organiser sa fuite elle doit réfléchir, faire taire la peur et donc ne pas imaginer.
Avec ses quelques forces elle se lève alors et fait face à l’homme qui est là. Il rompt le silence d’une voix ferme et cynique…
Pieds et poings liés
– Bonsoir Clara. Je suis Buck…
– Buck ?? Mais…
– … On ne se connait pas, enchaîne-t-il.
– Vous… vous connaissez mon prénom! Que voulez-vous? Laissez moi, je rentre chez moi!!
– Impossible. On te recherche depuis longtemps et il va falloir nous suivre.
–Vous suivre?!!! ... C’est qui "On"? Qui me recherche ? Je n’ai rien fait, je ne comprends rien, vous faites erreur, je ne vous suivrai pas.
Son refus d’obéir déplait à l’homme qui se durcit. Mais peu importe sa colère, elle ne le suivra pas. C’est un piège, elle pressent déjà ce qui va lui arriver. L’homme est sûrement un violeur mais, trop soule, elle est incapable d'en faire une certitude. Elle ne sait pas si elle pense vrai et encore moins quoi faire. Seule l’intuition lui dit de lutter.
Il l’attrape subitement mais elle suit son intuition et se débat avec hargne dans les contorsions vaines de son petit corps menu. Il la projette alors brutalement au sol pour la maîtriser. Quand elle y arrive elle heurte violemment la chaussée de la tête et sa lèvre éclate. Le sang jaillit. Tiède et fluide il s’écoule lentement dans sa bouche, elle a mal.
Buck sort de sa poche une cordelette tressée. D’un geste sûr et lentement décomposé, il la ligote, réalisant un nœud savant, probablement fait et refait maintes fois. Clara ne bouge plus, ses pieds et ses poignets sont ficelés. Quand elle abandonne sa lutte il crispe ses muscles et se met à la traîner derrière lui avec une force décuplée.
Dans ce glissement continu sur le bitume, la toile de son survêt’ n’est rapidement plus qu’un lambeau de tissu troué. Sa peau ne la protège plus des frottements sur le revêtement rugueux.. Elle est en chair vive, la brûlure écarlate est profonde et étalée, et la douleur insupportable. Elle va mourir. Il la traînera ainsi jusqu’à l’épuisement, il la violera devant l’assemblée des justiciers qui les suit, et tout s’arrêtera.
Soudain l’homme stoppe net son élan de colosse et la laisse laminée et dépecée à terre. De fines gouttelettes de sang suintent de son corps écorché. Il esquisse un sourire satisfait et sadique, et de son regard bleu il la dévisage sévèrement.
– Voilà. Tu sais, Clara, belle Clara.
– Quoi ?!!!
Malgré l’effroi elle se rebelle. Son cri insolent retentit, il traverse la nuit dans un écho qui se répète. Ce Batman guignol relooké l’exaspère et elle serre les dents. Elle se retient d'exploser.
Je vais lui mettre mon poing dans la gueule !
Elle aimerait être un boxeur lâché sur le ring et le rouer de coups. Mais, liée à sa main gauche par les poignets, elle ne le peut pas…
Révélation.
– Regarde bien, Clara.
Buck tient dans sa main libre une plaque d’identité de type police américaine.
À gauche un insigne doré et rutilant attire l’œil instantanément. Sous l’insigne on peut lire son nom et son prénom, Buck Opale.
Bizarre, Buck Opale ça sonne "shérif ricain". À droite un matricule figure sous sa photo. Elle mémorise les chiffres: 142265826. Tout ça lui évoque les héros emblématiques de ces séries américaines qui envahissent le PAF.
Buck enchaîne.
– Notre pays ne protège pas nos enfants de toute maltraitance. Ceux qui leur font mal ou peur, les rendent tristes, brisent leurs rêves ou les détruisent psychologiquement sont nos cibles.
– … ?...
– On ne punit pas ces maltraitances psychologiques sur enfant. Notre organisation a donc décidé de le faire et de rendre justice. On traque les coupables et on les fait payer cash. Tu comprends?
Sidérée, partagée entre énorme éclat de rire et panique, Clara reste muette. Soit c'est un mythomane qui lui sert une histoire sans queue ni tête, soit l’effet de l’alcool sur elle minore sa capacité à analyser cette situation totalement surréaliste.
Ton glacial et arrogant... Elle répond froidement:
– "L’organisation" a décidé. "Nous". "On". C'est ça oui...
Rire intérieur...
– Bon… Il pousse un soupir agacé et bruyant. Il tapote nerveusement le sol de ses doigts crispés. Une tension froide monte, il perd patience.
– Je continue. On a créé une unité spéciale pour les enfants. Je la dirige et eux, ils sont mes gars, tous là pour toi ce soir. Tu es notre prochaine exécution capitale.
Il rit et se délecte d’un futur proche dont Clara ignore tout.
– Tu suis ce que je te dis?
– NON!!!!! Je ne comprends rien, je ne maltraite pas mes enfants. Je suis blessée, je rentre chez moi, écartez-vous!
Le tapotement de ses doigts agacés s'accélère, il trahit le chef. Sa colère s’amplifie, il serre les dents, creusant davantage son visage de tueur né.
– Vous ne pouvez rien savoir de nous. Vous êtes carrément cinglé, poursuit Clara.
– Tu fais erreur. On connait tout de vous. Notre réseau couvre le pays, on a partout des infiltrés. Profs, médecins, moniteurs de sport, nounous, voisins, tous ceux qui approchent les enfants. Ils nous alertent dès qu’un d’eux souffre. On arrive, on arrête les coupables et on les punit.
– Pffff ! Pauvre dingue, tu te crois dans un film? Elle lui éclate de rire au nez.
……
– Attention Clara…
La menace
Le regard en dit long, il s’est durci et le ton a changé. Glaçant, sournois, il la tient et elle se tait sur le champ.
– Allons, allons, ma jolie… Tu sais très bien pourquoi je suis là.
– Non!!!!!! lance-t-elle encore dans un cri strident.
– Ahhhh. Dommage. Tu ne comprends pas et tu vas mourir. Va savoir pourquoi...
Continue, ordure. Vas-y, tu verras la suite.
– Vas-y connard, je t’écoute!! Hors d’elle, déchaînée, elle réagit, libre de toute peur. Elle contre attaque.
Buck se tourne alors et saisit calmement son sac à dos. Il en extrait un couteau et plaque la lame étincelante et aiguisée sur le cou élégant et fin de Clara, juste à côté de la carotide.
– C’est simple. Si tu l’ouvres, si tu m’insultes encore, je tranche net en deux. Compris ?
Elle fait signe que oui de ses yeux épouvantés, comme si elle ne pouvait pas parler, comme s’il l’avait bâillonnée. Sauf qu’elle n’est pas bâillonnée…
– Maintenant tu la fermes et tu m’écoutes…
Acte d’accusation
Nous t’arrêtons pour avoir maltraité tes fils.
– Quoi??
Accablée, assomée, Clara répond.
– Donc vous les connaissez, vous les suivez, c'est sûr.
Elle voudrait saigner férocement le pseudo justicier-tueur qui ose approcher ses fils. Elle le regarde sans faillir et lance un autre cri hystérique.
– Ne les approchez pas!!!!!!
.....
– Chaque membre va te lire ton acte d’accusation, puis la sentence sera prononcée et tu seras exécutée.
Un premier homme sort des rangs. Buck lui tend un immense parchemin roulé qu’il ouvre pour en commencer la lecture.
– Tu es accusée d’être futile.
D’un ton implacable, l’homme austère a prononcé ce premier chef d’accusation. Et ainsi de suite s’enchaînent tous les autres.
– Tu es accusée d’être orgueilleuse.
– Tu es accusée d’être mondaine et snobinarde.
– Tu es accusée d’être une fêtarde décérébrée.
– Tu es accusée de chercher à plaire à tout le monde.
– Tu es accusée de vivre dans un appartement grand luxe, sans vie comme dans un appartement-témoin.
– Tu es accusée de ne penser qu'à toi.....
......
– Tu es accusée de ne pas avoir rendu tes fils heureux à cause de ce que tu es.
Clara sent le sol se dérober. Elle s’enfonce dans des sables mouvants.
– Mais.. mais… non!! On ne se connaît pas et vous savez tout, là, comme ça sur moi.
Ce que vous dites était vrai, mais plus maintenant. Il y a très longtemps que j’ai tout abandonné pour changer complètement. Cette vie là c’était avant que tout s’écroule. Vous entendez?? Il suffit de voir mon appartement et de me regarder aujourd’hui pour me croire. Je ressemble à une brillante et splendide nana? Regardez-moi!!!!!
Buck ne bouge pas, son visage reste brut, sans aucune émotion.
– Ne cherche pas à nier. On a tout sur toi. Les preuves que tu es une mauvaise mère sont là, Clara, entre nos mains. Ta vie est filmée, des centaines d'heures de films. C'est là, dans la boîte. Il montre à Clara l’écran lumineux de son smartphone.
– Qu’est ce que… Qu’est ce que… Qu’est ce que vous dites? Ma vie filmée? Des centaines d’heures? Qui a osé faire ça?
Elle sanglote, elle étouffe. On a cambriolé sa vie et emporté ses plus beaux moments avec ses fils. Mais les pires aussi. Comme dans Truman show, une fiction poignante, elle comprend qu’ils sont épiés depuis toujours par ces voyeurs-justiciers.
Clara n'est plus ivre. Elle ne se sent plus une goutte d’alcool dans son sang. Donc elle est consciente, et ce qu’elle voit est réel. Il est là bien vivant, avec "ses gars" eux aussi bien réels.
Réfléchir. Vite, vite ! Pour rester en vie il faut fuir, courir vite, très vite. D’un pas militaire les bourreaux se rapprochent, blancs et silencieux. Ils vont frapper.
Comment faire? Elle est liée à lui. Rien pour couper ses liens. Son couteau? Disparu, Si elle bouge pour se libérer il la tuera et elle veut connaître la sentence.
Quand on lui aura dit tout ce qu’on lui reproche, sans doute se laissera-t-elle exécuter pour que justice soit rendue. Car au fond elle sait qu’elle mérite peut-être cette punition pour avoir brisé la vie de ses fils.
Les aveux
Clara se replie lentement sur elle en position fœtale. Le mouvement la fait hurler de douleur à l’intérieur car les chairs brûlées et à vif se collent les unes aux autres dès qu’elle bouge.
– Mais…
Elle ne peut pas nier. Plus aucun son ne sort de sa gorge pour expliquer. Elle se perd dans des sanglots et des hoquets.
Il ne réagit pas, aucune émotion. Son visage creux rappelle à Clara certains personnages de mangas violents, créés à grands coups de crayons très noirs. Ils incarnent la haine, la fureur et la menace. Elle distingue sur ce faciès très sombre les mêmes angles saillants. Les traits d’un tueur froid.
Il serre fiévreusement son cou pour qu’elle avoue. Quasi étranglée, elle cligne des yeux et il relâche la pression.
– Oui, oui, vous avez raison. La mauvaise mère c’est moi.
– Eh ben voilà, c’est dit. Ça fait du bien non?
Il claque de deux doigts sa joue massacrée. Le geste est sadique et il méprise sa douleur.
L’assemblée silencieuse les regarde et applaudit. Le son est feutré pour ne pas troubler la quiétude de la nuit des gens "normaux".
Elle secoue la tête dans un mouvement convulsif. Oui oui elle a avoué, elle a dit la vérité. À cet instant elle voudrait que ça aille vite et qu’à tous ils la tuent..
Les larmes coulent, elles zèbrent ses joues abimées d'un reste de mascara noir dilué. Ses yeux s’éteignent malgré sa lutte intérieure pour la vie.
– Clara, tu es de ces mères qu’il faut anéantir. Nous allons le faire. Nous allons rendre justice à tes enfants car ce pays ne punit pas les mères comme toi.
Avant…
Malgré la conscience de ses actes elle ne comprend pas la démesure de la sanction. On pourrait l’exécuter sans ce déchaînement.Pourquoi cette haine?
Elle se retourne sur le dos, moins douloureux que le côté, pour y réfléchir et penser.
Le souvenir de ses erreurs de plus jeune mère la hante. Il la hantera toujours.
Avant de divorcer… Elle remonte le temps.
Marc et Jim allaient très bien. Du moins elle le croyait.
Marc dans ses études en histoire de l’Art, animé du désir de restaurer les œuvres d’Art d’un illustre musée. Le Louvre pourquoi pas? Rêve fou d’un métier noble et rare.
Jim brillant élève de prépa, évoluant en vase clos, où lui et ses copains jubilaient en débrouillant des questions de maths totalement opaques. Des surdoués sportifs, fêtards croquant chaque minute.
Les vies de ses fils se déroulaient à grande vitesse et tout les grisait.
Elle se rappelle encore. Après le divorce Marc et Jim ont subitement changé. C’était brutal et ils ne voyaient plus le mal que leur père avait fait à leur mère, ils ne ressentaient que les effets destructeurs de la séparation. Clara, elle, a sombré et a disparu pour être soignée. Doucement réparée, elle a repris forme humaine. Mais elle n’a pas choisi de ne penser qu’à ses fils. Elle a démarré une vie totalement centrée sur elle et dangereusement débridée.
Marc s’est alors abimé dans une tristesse profonde. Il a claqué la porte en disant à Clara qu’elle brisait sa vie en lui imposant la sienne. Elle ne l’a jamais revu. Jim a plongé dans l’univers glaçant de tout ce qui détruit. Alcool, drogue, sexualité délirante, petits délits, actes de violence. Il habite à quelques rues de chez elle. Mais elle n’entend parler de lui que lorsqu’une sirène de police retentit.
Depuis 10 ans Clara ne vit plus, elle survit. Elle est une tueuse de vies en sursis.
Pas besoin de ces justiciers en blanc pour payer. Elle paie déjà, et elle paiera jusqu’au bout.
Verdict.
Elle repense à cette Reine de coeur imposante trônant sur son siège et ordonnant rageusement "Qu’on lui coupe la tête!!". Elle se sent dans la peau d’Alice terrifiée. Elle ne voit plus que le rouge sanglant de ces cœurs.
Vont-ils rendre justice à ses fils en lui coupant la tête à elle aussi? Eux si blancs vont-ils faire jaillir le sang rouge de sa tête bondissante sur ce bitume noir? Les idées d'exécutions possibles l'obsèdent et la font basculer.
L’exécution.
C’est l’heure. Ils arrivent, armés chacun différemment. Bâton, batte de base ball, bouteille en verre, hache, couteau, cutter, marteau, fusil, sabre.
Dans une minute elle sera en miettes. Elle espére ne rien sentir.
Ils se placent en cercle autour d’elle. Elle est à terre et ils la fixent de haut, tous de ce même regard bleu perçant.
Le chef se détache d’elle et donne un signal bref.
Comme dans la hola d’un stade, les bras s’élèvent en cascade. Quand ils sont tous pointés vers le haut, le chef siffle. On conspue la mauvaise mère. Les bras aussitôt se baissent sur Clara avec une brutalité de barbares. Au même moment la voix du chef lui ordonne d’un ton sec
"Maintenant sors de la grille!"
La première arme à s’abattre sur elle est la hache…
Épilogue
Les paupières lourdes ne s’ouvrent pas. La tête de Clara oscille sur son parquet brillant. Elle a mal, terriblement mal au crâne et son dos est meurtri. Elle sent la chaleur ouatée de son appartement l'envelopper. C'est une chaleur imprégnée de son odeur. Elle abuse tous les jours de son parfum pour sentir elle-même sa présence dans ses murs et tout est imprégné de son odeur. Sa chaise de bureau est renversée et le verre de whisky est au sol, en mille morceaux. À la main elle tient encore son crayon à papier.
À côté d’elle, elle aperçoit son livret de mots croisés ouvert à la page de cette grille ennuyeuse et stupide. Tout lui revient. La sommeil, la fatigue, les paupières lourdes, une grille qu’elle ne voit plus et soudain plus rien sauf Buck et ses hommes. Où est Buck? Caché dans un recoin silencieux?
Elle se lève, ramasse sa chaise et se rassied à son bureau. Les souvenirs reviennent encore.
Buck Opale…Phonétiquement BUCOPALE. Elle essaie de comprendre qui lui a infligé cette nuit d’horreur, de savoir si elle est en vie. Et si je mélangeais les lettres?
Des essais successifs avec diverses lettres au début. Avec le C, ça donne CAU...COU...COUPABLE !!!!! Oui c’est ça COUPABLE !! Il lui a dit "sors de la grille" avant que la hache la frappe.
La grille, où est sa grille?! Affolée, elle la retrouve la grille et regarde les définitions des mots en vertical restant à deviner. Il faut qu'elle sache. "Pire que responsable"dit l’avant dernière définition. "COUPABLE" ça correspond. Elle le place dans la colonne correspondant à la définition. Il se termine par le premier E de "mère" si simpliste.
Pour finir la grille il reste un mot en vertical qui se termine par le dernier E de "mère".
Il n’y a pas de définition, c’est un mot à décoder. Elle visualise le code : 142265826.
Elle sait, ça lui parle.
Bon sang c’est quoi?? Je l’ai vu ce code, j’en suis sûre.
… ??..
La plaque, le matricule. Buck!
Buck est un justicier, il punit mais il sauve aussi. Les...? Les... INNOCENTS !! Oui, oui c’est ça!!!!!! INNOCENTE. Voyons. Qu’est ce que ça donne?
222 c’est NNN? 66 c’est EE? 1 peut être I. Elle place N et E où ils peuvent aller. Elle essaie le I dans IRIS horizontal. Ensuite pour que ça colle avec les mots déjà placés on ne peut avoir que C en 4, O en 5 et T en 8. Tout colle parfaitement.
Elle place les trois lettres restantes, la grille est complète. Sur un fond de cases pâlement colorées en gris elle lit ceci :
MÈRE COUPABLE INNOCENTE…