Le Temps des Surplombs - Fin 3e Partie [Fantasy-Steampunk-Aventure]

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Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.2 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

Attention : ceci est la troisième partie du chapitre, il y en a deux autres à la page précédente, ne vous faites pas piéger. Il y a aussi un bonus vraiment bienvenu ;)
Attention² : dans ce chapitre, je tiens compte d'éléments que je n'ai pas encore écrit ! En effet, je prévoit d'écrire de gros compléments à la Partie 2 du Temps des Surplombs, quand l'équipage est à bord de l’Éclat et vole vers la Capitale. J'y ajoute notamment une escale à Hab'Kir, un Surplomb indépendant, où il se passera quelques trucs. Ici, ce qui nous intéresse c'est qu'à Hab'Kir, Asha a désobéit à Taylor en volant de l'argent à des pirates, ce que son Capitaine n'a pas apprécier (elle est la seule à lui désobéir). Elle a du donner l'argent à Taylor et ça a résolu la "crise". Voilà, avec ça il ne vous manque rien pour comprendre ce qui suit !

Voici la suite ! Oui, je suis passé à un rythme d'écriture plus rapide, et heureusement Enora suit ! Mille mercis à elle, notamment pour ce chapitre qui a demandé quelques ajustements vraiment bienvenues !
Vu que personne n'a encore commenté le morceau de chapitre précédent, j'hésitais à poster... puis me suis dit que, mince, je n'allais pas me ralentir pour ça :mrgreen: Et puis ça vous fera plus à lire ^^
Sans transition, donc, voici le chapitre !!



[attachment=0]Cartographie de l'Empire (septembre 2018).jpg[/attachment]


CHAPITRE 19 : Les chiens de guerre, partie 3



C’était bien la première fois qu’Angora mettait les pieds dans le quartier que tout le monde, à la Capitale, appelait l’Étincelle. Son nom se révélait mérité car il s’étendait en bas des escaliers qui montaient au Temple de la Victoire, éclairé en permanence par le gigantesque feu entretenu à son sommet. Les gens d’ici ne connaissaient pas la nuit. Il s’agissait d’un ensemble de vieilles rues, parfaitement rectilignes, dans lesquelles se succédaient les restaurants et auberges, décorés richement et annoncés en lettres d’or. L’Étincelle accueillait ainsi en toute heure les curieux, les vadrouilleurs et les gourmets. Malgré son faste apparent, les flamboyants hôtels côtoyaient des gargotes plus modestes et, dans les rues, nobles, marchands et roturiers marchaient de concert. On se rendait aux cabarets ou au restaurant, animé par l’alcool ou l’ivresse nocturne.

Au milieu de ces frasques, la Dragon Angora suivait la sabreuse qui ajoutait à l’Étincelle sa petite couleur personnelle. A ses côtés, Yulia ouvrait de grands yeux et s’émerveillait de la moindre rencontre. Sa protectrice la tenait par la main, inquiète à l’idée que quelque chose lui arrive. Au fil des rues, cependant, elle devait admettre que ce n’était pas l’endroit le plus dangereux qu’elles aient visité. Il en faudrait plus pour la détendre totalement, mais c’était un début.

La Première Épée de l’Éclat s’était parée de ses plus beaux habits : de longues chausses noires et un bustier serré en partie couvert par les fins voiles d’un vert de jade qui se croisaient dans son dos. En comparaison, Angora devait avoir l’air d’une paysanne avec ses gros gants, sa chemise usée et son pantalon digne des mines.

Elles avaient à peine franchi la première avenue qu’Ashä les arrêta à hauteur d’une petite bâtisse, éclairée par des lampe à huile. A travers les larges vitres et sur l’enseigne, on pouvait lire :

Faribole – Confiserie


A cette heure, les clients se faisaient rares. Quand elles entrèrent, elles firent sursauter le tenancier qui somnolait jusqu’alors. Ce dernier, un gros bonhomme rasé de près, s’empressa de les installer à une table, près des grandes vitres, comme s’il espérait que leur vue attire les clients. Alors que son corps s’enfonçait dans les moelleux coussins de la banquette, Angora ne put s’empêcher de lister les issues par lesquelles elles pourraient s’enfuir en cas de soucis. Il y en avait cinq : la porte principale, les deux vitres qu’elles pouvaient briser, un petit escalier qui montait sûrement aux appartements du confiseur, et une porte de service qui devait donner sur la cuisine ou une arrière-cour.

Yulia s’installa contre la vitre, à ses côtés, tandis qu’Ashä s’asseyait en face d’elle, lui glissant un regard complice. Elle avait fini par s’y habituer. La sabreuse se montrait heureusement beaucoup moins insistante qu’autrefois.

Après leur avoir glissé des bouts de papier présentant ses offres de desserts, le tenancier se présenta, armé d’un petit calepin et d’un crayon noir, et leur demanda ce qu’elles souhaitaient manger.

— Une pêche au sirop et deux marrons glacés pour mon amie, lui répondit Ashä avec un grand sourire. Et toi, Yulia ?

La petite parcourait toujours la liste, indécise. Quand elle releva le museau, ce fut pour leur présenter un regard hésitant. Elle tournait la tête d’une femme à l’autre, avant d’oser demander d’une petite voix :

— Je… peux prendre plusieurs choses ? Ça ne sera pas trop cher ?

Angora ne s’était même pas interrogée sur la façon de payer. Elle n’avait jamais mené de vie… civile, pour ainsi dire. Même à Cathuba où elle n’était plus officiellement membre de l’armée, on ne lui demandait jamais d’argent. Heureusement, Ashä sortit de sa besace une courte bourse qu’elle agita sous leur nez.

— Il me reste quelques pièces de mon coup à Hab’kir. Allez-y, c’est moi qui invite.

La Dragon fronça les sourcils, mais Yulia s’empressait déjà de commander :

— Alors ! Trois loukoums, six calissons, un bâton d’anis, des…

Angora laissa sa protégée composer son festin et se pencha vers Ashä :

— Taylor ne voulait pas que tu gardes cet argent, lui reprocha-t-elle.

L’autre haussa les épaules d’un air désinvolte.

— Ce qu’il ne sait pas ne lui causera pas de tort. Je lui ai remis seulement la moitié de ce que j’ai piqué et gardé le reste… C’est maintenant que tu vas t’en plaindre ?

A voir la mine extatique de Yulia devant tout le sucre qui lui était promis, Angora en doutait. Elle poussa seulement un gros soupir et, exaspérée, se laissa aller dans les coussins. La sabreuse n’avait pas totalement tort, ce qui avait été volé ne pouvait plus être rendu, autant en profiter. Mais qu’Ashä mente à son Capitaine lui posait plus de problème.

— Pourquoi tu ne joues pas franc-jeu avec eux ? Tu te rends compte que c’est pour ça que la plupart des membres de l’Éclat ne te font pas confiance ?

L’Éclair de Jade, qui avait commencé à regarder par la vitre en souriant du coup qu’elle venait de jouer, fut prise de court par la question de la Dragon. Ses yeux tombèrent dans les siens, déstabilisés. Ne l’avait-on jamais confrontée à ce sujet avant ? Angora en doutait.

La Première Epée hésita visiblement quelques instants. La femme au bras d’acier crut que celle-ci allait lui faire une confidence personnelle mais, au dernier moment, elle retrouva sa contenance et son sourire provocateur réapparut.

— Bah ! balaya-t-elle. Je suis comme ça, c’est tout ! L’Éclair de Jade ne va pas changer du tout au tout pour les beaux yeux du Capitaine, hein ?

Pour la seconde fois, Angora fronça les sourcils. Ce rendez-vous commençait mal.

— Tu vas continuer à jouer la garce, même ici ? Même avec moi ?

— Qu’est-ce que tu attendais ? demanda Ashä, troublée.

— Autre chose. Qu’on discute, pas qu’on continue à jouer à s’envoyer des piques. On s’entend bien, depuis quelques jours, mais je ne suis pas venue ici pour t’amuser, alors fait attention à ce que tu dis.

La sabreuse cligna des yeux trois fois, encaissant le coup. Yulia, à côté, essayait de se faire toute petite entre ses coussins. Elle ne devait pas comprendre ce qui se passait.

— Tu tiens Taylor en haute-estime, c’est ça ? comprit la Thämari avec un temps de retard.

— Il nous a sauvés la vie sur Cathuba, confirma la Dragon. Une fois qu’on a eu échappé à l’Inquisition, il n’était plus obligé de nous aider, mais il est ici, à la Capitale, avec nous, et il œuvre pour retrouver l’Amiral Ford. Il me ressemble plus que tu ne sembles le voir.

— Pas physiquement en tout cas, glissa-t-elle malicieusement. Je veux dire, il n’est pas… waouh !

Angora ignora sa pique et enchaîna. Elle ne devait pas se laisser distraire.

— Mais toi aussi, tu tiens Taylor en haute estime. Tu ne veux juste pas le montrer.

Cette fois-ci, Ashä s’immobilisa un court instant. Elle était intriguée.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Tu aurais pu nous abandonner, à Hab’kir. Tu en avais les moyens, et je suis sûre que tu aurais trouvé une place confortable à bord d’un vaisseau pirate. Mais tu es restée, même après ta dispute avec Taylor. Pourquoi ?

— Parce que… je m’amusais ?

— Tu n’as pas trouvé meilleur mensonge ? s’impatientait la Dragon. Tu aimes t’amuser, oui, mais tes actes restent raisonnés.

Ashä s’apprêtait à répondre, mais ce fut à ce moment-là que le tenancier apporta leur commande. Les confiseries leur furent servies dans des petites assiettes en porcelaine. Les deux femmes dévisagèrent leurs friandises, sans oser commencer à manger tant que la conversation était en suspens. Yulia, elle, trouva la parfaite diversion et se jeta sur ses loukoums.



Cet aparté dût cependant permettre à la Première Épée de réfléchir aux paroles d’Angora car, quand elle reprit la parole, son ton avait changé :

— Tu as raison, j’apprécie Taylor. C’est le premier Capitaine qui joue franc-jeu avec moi. Il m’intègre à ses plans, me donne des responsabilités, sans chercher à abuser de moi ou de ma confiance. Je me sens bien à bord de l’Éclat et c’est pour ça que, même si j’ai des différents avec certains, je reste au service du Sans-nom.

Elle la sentait déjà plus sincère, mais il manquait encore quelque chose.

— Alors, pourquoi tu lui mens ?

— Des vieilles habitudes, j’ai encore du mal à… penser autrement.

On lisait à présent dans son regard une peine sincère. Angora, soulagée, lui adressa un petit sourire qu’elle espérait être réconfortant. Comme elle n’avait pas particulièrement faim, elle prit entre ses doigts l’un de ses marrons glacés et lui offrit en signe de paix.

D’abord surprise, Ashä se laissa séduire et ouvrit délicatement la bouche. Qu’attendait-elle donc de la Dragon ? Plutôt que de lui glisser directement entre les lèvres, cette dernière préféra lui poser dans l’assiette. L’autre eut une moue déçue, mais accepta le cadeau.

— Ce n’était pas comme ça, à bord des autres navires pirates où tu as servi ? demanda Angora qui ne lâchait pas encore l’affaire.

Ashä croquait déjà son marron. Elle répondit néanmoins, sans détour.

— Pas du tout comme dans l’Eclat, non. J’ai été pirate pendant cinq ans, avant de rencontrer Taylor, et ça n’a pas été de grands moments d’amitiés. Le premier, Sabbir le Roux, voulait absolument me mettre dans son lit. J’avais quatorze ans, je l’ai planté et je me suis enfuie. A partir de là, je suis entrée au service de plusieurs Lieutenants du Seigneur Pirate Ghour, je suis passée d’équipages en équipages, sans jamais rester plus de quelques semaines… jusqu’à ce qu’un raid aux alentours de Khoro dégénère. Les autres ont été capturés mais moi j’ai réussi à sauter sur le Surplomb et je suis restée cachée pendant une semaine avant de réussir à rejoindre Ghour. Mais certains m’ont accusée d’avoir abandonné ma Capitaine. Dans une taverne sur Aphoor, son compagnon est venu me chercher des noises, on s’est battu, et je l’ai tué devant ses hommes. Après ça, il n’était plus question que je reste dans l’entourage de Ghour et je suis partie dès le lendemain. J’ai fait ensuite quelques années sous la protection de Quo Gin, mais ma réputation n’a fait qu’empirer… Bagarreuse, indisciplinée, peu fiable, et j’en passe. Au final, on ne me recrutait guère que pour mes talents aux sabres. Dans ces affaires-là, au moins, personne ne pouvait me reprocher de ne pas faire mon travail.

— Je confirme, la complimenta Angora en dégustant sa friandise, tu as beaucoup de talent.

Ashä lui sourit.

— Merci, mais je n’en ai pas tout le mérite. J’ai eu un bon maître.

Yulia ne manquait plus une goutte de leur conversation. Pas plus qu’elle ne manquait une miette de ses gâteaux.

— Qui était-ce ?

— T’Chëim, le père de ma mère. Il était le maître d’arme de l’Ecole du Chat, j’ai étudié et grandi dans son Ecole.

— Tes parents étaient des combattants aussi ?

— Toute ma famille l’était. Thäma possède une culture très différente de l’Empire : nos meilleures familles ne sont pas des commerçants, des écrivains ou des administrateurs, mais bien des guerriers. L’art du sabre se transmet de pères en fils et de mères en filles. Mon père, Sigar de Bizänce, a formé mes frères, moi j’ai été éduquée par notre mère, Visça. Une fois qu’un enfant sait correctement tenir un sabre, on l’envoi étudier auprès d’une école.

— Bizänce c’est… ton nom de famille ?

— Nous n’avons pas ce genre de chose, ni la tria nomina. Les non-combattants n’ont droit qu’à un prénom, mais un Adepte gagne le droit de se nommer d’après la ville qu’il défend et le Seigneur de Guerre pour qui il se bat. Même si l’exil a poussé beaucoup des nôtres à quitter Thäma, nous n’avons pas abandonné nos noms.

— Ça n’a, en effet, rien à voir avec ce que je connais, admit Angora.

— Tes parents n’étaient pas des guerriers ? lui demanda Asha, que la question intéressait manifestement.

— C’est difficile à dire, je ne sais que très peu de choses sur mon père. Son nom est Jast Trieh Valk’ozir, Seigneur de Ku’rum, mais je ne suis même pas son enfant légitime. Ma mère m’a abandonnée dans un Temple et mon père m’a vendue au Sanctuaire Impérial pour se débarrasser de moi. C’est là-bas que je suis devenue un Dragon.

Yulia finissait son repas nocturne par son bâton d’anis. Angora, quant à elle, prenait le temps de savourer son marron glacé. Elle n’avait pas pu mettre la main sur ce genre de petit plaisir depuis leur départ de Cathuba et, avec toutes leurs péripéties à la Capitale, avait presque oublié que la détente pouvait encore être permise. Face à elle, Ashä s’était laissée aller également et avait croisé les pieds sur la table. De sa main gauche, elle piochait dans son assiette et émiettait ses friandises de la main droite avant de les porter à sa bouche. Le confiseur avait disparu dans sa cuisine et, de ce fait, elles étaient seules si on omettait les nombreuses silhouettes qui passaient de l’autre côté des vitres.

— Comment se fait-il qu’une Dragon Impérial ait développé un goût pour les confiseries ? vint finalement la titiller Ashä sur un ton badin.

Cette dernière haussa les épaules, car la réponse était moins drôle que la question :

— Ce sont des cadeaux parfaits pour les officiers. Personne n’offre rien aux Dragons –il n’y a pas vraiment de fraternité militaire envers nous– mais quand un officier n’aime pas une ou deux confiseries qu’on lui a offertes, il arrive qu’on nous les apporte. J’ai servi auprès d’armée Impériales pendant dix ans avant de passer au service de Ford… j’ai eu le temps de forger mes goûts.

Cette réponse arracha un sourire à Ashä. Dans son coin, Yulia se tapait la panse, repue, et commençait à somnoler.



La conversation badina ensuite jusqu’à ce que Yulia ne demande –un peu maladroitement car elle luttait contre le sommeil– pourquoi Ashä avait craché en prononçant le nom de l’Amiral Rouge. La sabreuse répondit en grimaçant :

— Ce qu’a dit Taylor, ce soir, a fait remonter des souvenirs. Vous avez l’Amiral Rouge en ennemi, ça nous fait un point commun. J’ai hâte qu’on puisse se battre contre ce salopard.

— Tu le détestes à cause de la guerre en Thäma ?

— Si tu avais connu mon ancienne terre, tu le haïrais aussi. Thamä n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été.

— J’ai lu les rapports…

— Ça n’a rien à voir avec les rapports. Il faut le voir pour vraiment mesurer l’horreur. Nos champs et nos cultures, qui auparavant couvraient notre pays et faisaient notre richesse sont aujourd’hui réduits à de pauvres tiges brunes. Et notre peuple ? Lui, qui hier était fier, se trouve réduit en esclavage dans les mines ou en exil aux quatre coins des Surplombs. Hockard nous a tout volé. Hockard m’a tout volé.

Elle serrait le poing à s’en faire blanchir les phalanges.

Le sang d’Angora se gela à ces mots. Elle pouvait presque toucher du doigt la peine de sa compagne, mais celle-ci semblait se retenir, hésiter à se confier. Du bout des lèvres, la Dragon formula une demande :

— Raconte-moi.

Ashä inspira profondément, comme si elle se préparait à plonger dans un bain de Vapeur. Quand finalement elle débuta son récit, son regard s’était fait aussi dur que l’acier de ses lames.

— La guerre est née d’une graine Impériale : Vorsh Hun Ndjidah était le bâtard noble d’Arcadie et de la Seigneure Agräah à qui il vola le fief d’Ndjidah. Sous son règne tyrannique, il força son peuple à travailler dans les mines de fer, augmentant démesurément leur rendement. Il acheta des machines aux marchands Impériaux, sans se soucier de la douleur de ses gens, et sans craindre de dépeupler les champs et les villages. Tout ce qui lui importait était les montagnes d’or dont l’arrosaient les Impériaux. Après cinq ans d’horreur, les Seigneurs de Guerre s’unirent pour renverser Vorsh et libérer Ndjidah. Plus aucun fer ne fut vendu à l’Empire, et Thäma en tira une grande fierté.

— Ça n’a pas plus aux Impériaux…

— Et comment. Je suis née pendant la guerre, ma mère m’a confiée à mon grand-père pendant qu’elle et mon père se battaient pour le Seigneur de guerre Golgoth de Bizänce. Nous ne faisions pas le poids dans les airs mais, à chaque fois que les troupes de l’Empereur posaient le pied sur le sol de Thäma ils étaient mis en pièces par les adeptes du sabre. Désespéré, l’Empereur a appelé les forces de l’Amiral Rouge… et celles de l’Inquisition. Ils commirent le pire des sacrilèges pour remporter la guerre : ils pillèrent et détruisirent les Temples de l’eau qui, au sommet de nos montagnes, créaient les sources de nos fleuves.

Angora hoqueta de surprise :

— Ils ont détruit des Temples ? Mais c’est impensable !

De dépit, Ashä nia de la tête.

— Il y a une raison pour laquelle c’est l’Inquisition qui est intervenue. Quand leurs consœurs des Prêtresses de la Vapeur sont arrivées sur le continent, elles ont cherché les sources et se sont mêlées aux villages des hauteurs qui pratiquaient déjà une forme archaïque du culte de la Vapeur. Aussi loin dans les terres, elles se sont retrouvées isolées de leurs consœurs et le culte a emprunté chez nous une évolution particulière. La différence principale était que les Temples n’avaient pas le luxe d’être uniquement constitués de femmes : ils fonctionnaient comme des villages où chacun, hommes et enfants inclus, participait aux rites. Ce n’est pas comme si, dans les hautes montagnes, on pouvait se priver de la moitié d’une population… Mais l’ordre des Gardiennes considérait les Temples Thämari comme hérétiques, et à ce titre l’Inquisition les a rasés. Ils débarquaient depuis les airs, à bord de leurs gigantesques navires à volant, sereins, car aucune armée ne pouvait remonter les gorges et les montagnes depuis les plaines. Pendant des semaines, ils ont attaqués nos communautés de Gardiennes, bombardés, tués et violés, jusqu’à détruire chacune des pierres qui y condensaient la Vapeur.

— Quelle horreur.

Angora avait passé ses années d’enfance dans un Temple. Elle y avait souffert, mais l’espace entre ses murs représentait malgré tout un foyer. Les bains et les autels de prière constituaient pour les habitants des Surplombs le seul refuge inviolable que l’Empire leur laissait. Entendre qu’on pouvait s’y livrer aux pires exactions avait de quoi bouleverser le plus athée des Impériaux.

L’Inquisition était décidément la main qui exécutait jusqu’au plus vil des plans.

— Alors, reprit Ashä, nos rivières se sont taries. Nos cultures ont dépéri. Nos villes ont commencé à crier famine. En deux ans, il ne restait de nos armées que des bataillons de fantômes faméliques, animés seulement par la colère et la haine. C’est l’Amiral Rouge qui nous a vaincus : il a attiré les Seigneurs de guerre Golgoth et Cothaire dans le col de Yodit, là où nous ne pouvions donner l’assaut à ses canons. Cette bataille nous coûta la guerre. Les deux Seigneurs de Guerre furent capturés et un grand nombre de leurs guerriers de Caste furent tués. Mon père y laissa la vie. Les survivants furent emprisonnés par Hockard : ma mère et tant d’autres, furent emmenés loin de Thäma, dans des camps dispersés dans le Protectorat d’Œcar. Ces guerriers étaient le trophée de Léopold Faidherbe Hockard, il ne les laissa jamais remettre le pied en Thäma.

— C’est ainsi que s’est finie la guerre ?

— Oui, l’Empereur a laissé les Seigneurs de guerre en place, mais ils devaient obéir à l’Amiral Rouge, nouveau Gouverneur de Thäma. Il ne fit pas construire de nouveaux Temples pour rétablir nos rivières, non, au contraire il veilla à nous laisser continuellement affamés, nous rendant dépendants de la nourriture arrivant des Surplombs. Les prix devinrent intenables et il enchaîna notre population aux mines : nous devions tous des « heures de travail » au gouvernement colonial, en échange d’une paye misérable qui ne suffisait pas à nous nourrir. Comme tous guerriers de Caste étaient captifs d’Hockard, les Seigneurs de guerre ne disposaient d’aucune force armée pour entrer en révolte et nous mourrions à petit feu tandis que l’Empire suçait le fer jusqu’à la moelle de nos montagnes.

— Et toi, pendant ce temps ? Tu travaillais aussi aux mines ?

— J’apprenais le sabre à l’Ecole du Chat, sous la tutelle de mon grand-père T’Chëim, et avec mes grands-frères. J’étais encore trop jeune pour les mines et, un jour où des Impériaux sont venus me réclamer, T’Chëim a menti sur mon âge et j’ai pu rester.

— Il y en avait beaucoup, des enfants comme toi ?

Elle hocha la tête.

— Les maîtres qui enseignaient aux novices et les enfants des guerriers n’étaient pas partis à la guerre. Nos parents étaient captifs ou morts, mais nous étions saufs, et nous étions formés par les anciens. Beaucoup, comme mes frères, étaient forcés de descendre dans les mines mais, quand ils revenaient à l’Ecole, ce n’était que chargés de plus de haine et de désir de vengeance.

— Pourquoi Œcar n’a pas démantelé les Ecoles comme l’Inquisition a démantelé les Temples ?

Ashä haussa les épaules, indiquant qu’elle ne savait pas ou qu’elle se fichait bien de la réponse.

— La même raison qui explique pourquoi ils ont laissé les Seigneurs de guerre en place, j’imagine. Ils devaient imaginer que les Seigneurs tenaient la bride des Ecoles, mais c’est bien méconnaître notre culture : une Ecole ne répond à aucun Seigneur, une Ecole forme des guerriers de la Caste qui ensuite décideront d’un Seigneur à servir. Les choses ont toujours fonctionné ainsi et ils n’en allaient pas différemment pendant l’occupation. Rien d’étonnant alors à ce que ces Ecoles deviennent les instigatrices d’une rébellion : nos Maîtres étaient les meilleurs lames du pays, et ils entraînaient des jeunes gens qui ne rêvaient que de venger leur peuple.

— Ne tenaient-ils pas vos parents ?

— Cela a retenu la lame de certains pendant quelques années. Mais on retrouvait régulièrement un soldat Impérial, la gorge tranchée dans une rizière ou au fond d’une ruelle sombre. Quand, sept ans après la bataille de Yodit, une grève dans les mines fut réprimée à coup de fusils, Ndjidah se souleva et beaucoup de novices de la Caste prirent les armes. J’en fus, je ne le cache pas. J’ai tué deux hommes ce jour-là : le premier était un simple soldat, mais le second était un officier qui n’imaginait pas avoir de difficultés à affronter au sabre une gamine en haillons.

Elle posa sur leur table son premier sabre, celui dont la garde était faite d’ivoire de baleine des airs.

— C’est de lui que j’ai obtenu Griffe, expliqua la sabreuse. Elle fut mon premier sabre d’adulte.

— Tu… donne des noms à tes sabres ? s’étonna Angora.

— Ah, tu ne le savais pas ? Voici Griffe et Croc. Griffe est la plus timide, mais Croc est parfois jalouse car elle est un peu plus longue.

Elle désigna de la main son second sabre qui reposait sur ses cuisses.

— Et où tu as obtenu… Croc ? demanda la Dragon, non sans un petit sourire.

— Un pillage, un comptoir dans la Bordure de Bronze il y a quelques années. Elle sortait à peine de la forge. Dès que je l’ai eue dans la main, j’ai su qu’on allait bien s’entendre.

Angora la sentit sur le point de se lancer dans une allusion douteuse –peut-être allait-elle la comparer à un sabre– aussi elle changea de sujet.

— La révolte de Thäma ne s’est pas bien finie, j’imagine.

Ce n’était pas particulièrement difficile à deviner : l’Amiral Rouge tenait toujours Thäma.

— Elle n’a pas très bien commencé non plus, avoua Ashä, amère. A peine notre coup d’éclat à Ndjidah fut-il connu que Hockard fit un exemple : il exécuta tous les otages d’un camp de prisonnier et envoya leur tête aux Seigneurs de guerre en guise d’avertissement. Nous n’obéissions pas aux Seigneurs, ils n’auraient de toute façon pas pu arrêter notre révolte, mais en exécutant des prisonniers, ils ont brisé la plus sacrée des lois de guerre. Même sans armée, les Seigneurs de guerre ne pouvaient rester indifférents face à ce déshonneur et sont entrés en rébellion à nos côtés. Furieux, L’Amiral Rouge a fait tuer tous les autres prisonniers. Ma mère est morte dans un camp, sans jamais que je ne puisse revoir son visage.

Angora ne sut quoi dire. Ashä resta silencieuse pendant quelques secondes, puis finit par reprendre la parole :

— La révolte a duré cinq ans. Nous n’avons jamais combattu en bataille rangée : ça aurait été signer notre mort. Au lieu de ça, les Seigneurs de guerre se sont entourés des jeunes guerriers de la Caste, ceux qui étaient enfants lors de la bataille de Yodit, et ont livré une guerre de terreur en se cachant dans les montagnes : des dignitaires Impériaux étaient assassinés dans les villes, les provisions étaient empoisonnés, et des troupes d’Œcar tombaient dans nos embuscades. Parfois, nous libérions une ville et y égorgions tous les Impériaux que nous y trouvions, mais nous en repartions aussitôt car les vaisseaux d’Hockard ne manquaient pas de nous y suivre et la répression y était sanglante. Plus que la famine, c’est la guerre qui a poussé la majeur partie de notre peuple à fuir Thäma : la peur d’être exécuté pour l’exemple, la peur d’être pris au piège d’un affrontement entre rebelles et Impériaux… Ces années-là furent terribles, pour notre peuple comme pour la rébellion. On ne pouvait pas gagner contre un Empire entier, pas avec notre maigre organisation. On leur bouffait que l’orteil, et il leur restait encore tout le pied pour nous écraser. Mes frères sont morts les uns après les autres. L’Ecole du Chat a été incendiée. T’Chëim a été arrêté et fusillé sans autre forme de procès. Les Seigneurs de guerre en révolte n’ont pas duré plus de cinq ans. L’Amiral Rouge les a remplacés par leurs fils, leurs neveux en bas âges, par des vieillards qu’il pouvait contrôler grâce à une régence dirigée par ses propres hommes. La plupart des rebelles sont morts avec les Ecoles de sabre, et avec eux les derniers restes de la culture Thämari.

— Comment tu t’en es sortie ? demanda la Dragon en peine.

— De la seule manière possible : j’ai fui, j’ai quitté mon pays. Beaucoup de fils de guerriers ont fait comme moi et ont choisi la piraterie pour échapper à l’Empire. Aujourd’hui, il ne reste en Thäma que des champs asséchés et des esclaves dans les mines. Ce n’était plus chez moi, ma patrie était morte avec la guerre.



Un long silence s’installa, pendant lequel Ashä évita son regard. Elle passait le doigt dans son assiette pour en récupérer les dernières traces de sucre. Angora ne se serait pas risqué à parier sur son état d’esprit mais, quand la sabreuse releva la tête, elle semblait simplement soulagée.

— Merci, dit-elle.

— Merci pour quoi ?

— Elles sont bien peu… à me de demander de raconter mon histoire.

Il se passa alors quelque chose, dans cette confiserie, qui dépassa le cadre des simples mots. A cette heure avancée de la nuit, la fatigue faisait naturellement tomber les quelques barrières qui s’étaient établies entre les deux femmes.

Elles regardèrent autour d’elles et s’aperçurent que, dans son coin, Yulia ronflait doucement à présent. Il était bien tard pour une enfant et le tenancier n’était toujours pas revenu. Elles se levèrent.

— Tu penses à ce que je pense ? demanda la femme aux cheveux rouges.

— Il a pu nous reconnaître et partir chercher l’Inquisition. Il faut qu’on parte.

— La porte de derrière ?

Ashä hocha la tête et ce fut décidé. Angora prit Yulia sur son dos sans que la petite ne se réveille. Avant de partir, cependant, l’Eclair de Jade se permit de taquiner la Dragon une dernière fois :

— C’était bien sage, pour un rendez-vous galant ! Tu penses qu’on peut remercier la petite chipie pour cela ?

Angora sourit et répondit sans hésiter :

— Je ne pense pas que le rendez-vous se serait déroulé différemment, sans Yulia. Et j’en suis heureuse.

Ashä se gratta la tête, ne sachant trop comment répondre à cela. Ce fut la Dragon qui reprit la parole la première, amusée d’avoir ainsi cloué le bec à l’impertinente épéiste.

— J’accepte.

— Tu acceptes quoi ? demanda l’autre femme, confuse.

— J’accepte le prochain rendez-vous. Je ne pense pas qu’on reviendra dans cet établissement mais, quoi que tu proposes, j’accepte de t’y accompagner. Et en laissant Yulia chez Emy, cette fois.

Elle termina avec un tendre regard sur sa protégée :

— Tu as raison : je ne suis plus la seule à la protéger.

Le visage de la sabreuse rayonna pendant le reste de la nuit.

Ils se faufilèrent facilement hors de la confiserie, sans qu’Ashä ne laisse la moindre pièce sur le comptoir. Leur retour au bar se fit en silence et, lorsque les deux femmes se séparèrent pour regagner leur chambre, ce ne fut pas sans s’adresser un dernier signe de la tête.

Angora s’endormit le plus sereinement du monde.
Pièces jointes
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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.3 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par DanielPagés »

Et Zut ! BN m'a mangé mon commentaire ! heureusement j'en ai le plus gros morceau dans mon bloc-note !!

Donc, je disais qu'il y avait des passages géniaux, que c'est vraiment très bon, même s'il reste des maladresses et de fautes.
C'est super agréable à lire !
(On retient ta candidature pour la constitution de la 6e république ! :lol: )

Quelques remarques !

Ch 18 quelques remarques après re-lecture
apprendre son alibi n’était pas suffisant. "alibi" c'est quelque chose qui dit que tu es autre part (traduction du latin) mais pas l'ensemble des éléments faisant vivre un autre personnage
ce que joue un espion sous couverture (sous "légende" comme dans la série le bureau des légendes ?) c'est un rôle... je n'ai pas trouvé un mot technique, je n'ai pas d'entrées à la DGSE

dé-convaincre - hum... "se débarrasser de cette peau qui était en train de se coller sur la sienne et la modifiait profondément", peut-être quelque chose comme ça, quelque chose de plus imagé ? ça me semblerait mieux et plus français

Ses cheveux blonds en bataille goûtaient - ne pas confondre goûter (un fruit mûr) et goutter (comme la pluie d'un toit percé) :D

Ch 19 part. 1
La cendre et les déchets de la combustion des métaux s'accumulaient en une écume grise qui entourait les navigations - les navigations ? Tu veux dire les traces des bateaux qui naviguaient ? das ce cas pourquoi pas "les sillages des navires"

Nadejda ne savait pas si ceux-ci étaient particulièrement efficaces, mais ils semblaient continuer à tenir les galeries debout, - contribuer à tenir les galeries debout, plutôt ?
à défaut d’en réduire l’effritement ou les infiltrations d’eaux impures. - ou d'empêcher les infiltrations d'eaux impures ?

*** J'adore (c'est pas le seul passage, mais bon !) là, j'y suis, je vois la scène !!
Le bossu les mena un moment, leur fit monter quelques marches biscornues, enjamber une crevasse obscure cachée sous un tapis, contourner un pilier si massif qu'on aurait pu y creuser une salle intérieure, avant qu'enfin il ne leur désigne, de son doigt décharné à l'ongle le plus long, leur table. Celle-ci, placée dans une alcôve grossièrement taillée, était sculptée dans la souche d'un chêne massif dont les racines constituaient les pieds. Assise contre la pierre, sur un formidable amas de coussins, se tenait une femme au teint cuivré dans une tenue ample qui laissait ses formes indistinctes. Devant elle se balançait, au bout de sa chaîne, une bouteille verdâtre dont la bougie se noyait lentement dans sa vieille cire.

ils savaient que j’arrivais avec des marchandises convoitées et ils m’ont tendus attendus. Coline l'a déjà noté

Le moteur, placé à l’avant, entrainait une hélice dont les derniers modèles se passaient bien, - ?? tu veux dire que les nouveaux modèles n'ont pas besoin d'hélice ? si oui, faudrait expliciter un peu c'est pas trop net

Ch 19 part. 2
— C’est sans doute la plus permissive de leurs attributions - permissive ? me semble pas convenir, mais j'ai pas trouvé l'adjectif qui exprimerait que cette attribution lui donnait un pouvoir discrétionnaire des plus étendus, que c'était la plus avantageuse, la plus rentable...

Cette fois-ci, Yulia n’aurait jamais deviné avoir affaire à un Amiral si elle ne reconnaissait pas le manteau et les insignes - Cette fois-ci, Yulia n’aurait jamais deviné avoir affaire à un Amiral si elle n'avait pas reconnu le manteau et les insignes


Pas le temps de lire la 3e partie... à suivre !!
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.3 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

DanielPagés a écrit :Et Zut ! BN m'a mangé mon commentaire ! heureusement j'en ai le plus gros morceau dans mon bloc-note !!

Donc, je disais qu'il y avait des passages géniaux, que c'est vraiment très bon, même s'il reste des maladresses et de fautes.
C'est super agréable à lire !
(On retient ta candidature pour la constitution de la 6e république ! :lol: )

Quelques remarques !

Ch 18 quelques remarques après re-lecture
apprendre son alibi n’était pas suffisant. "alibi" c'est quelque chose qui dit que tu es autre part (traduction du latin) mais pas l'ensemble des éléments faisant vivre un autre personnage
ce que joue un espion sous couverture (sous "légende" comme dans la série le bureau des légendes ?) c'est un rôle... je n'ai pas trouvé un mot technique, je n'ai pas d'entrées à la DGSE

dé-convaincre - hum... "se débarrasser de cette peau qui était en train de se coller sur la sienne et la modifiait profondément", peut-être quelque chose comme ça, quelque chose de plus imagé ? ça me semblerait mieux et plus français

Ses cheveux blonds en bataille goûtaient - ne pas confondre goûter (un fruit mûr) et goutter (comme la pluie d'un toit percé) :D

Ch 19 part. 1
La cendre et les déchets de la combustion des métaux s'accumulaient en une écume grise qui entourait les navigations - les navigations ? Tu veux dire les traces des bateaux qui naviguaient ? das ce cas pourquoi pas "les sillages des navires"

Nadejda ne savait pas si ceux-ci étaient particulièrement efficaces, mais ils semblaient continuer à tenir les galeries debout, - contribuer à tenir les galeries debout, plutôt ?
à défaut d’en réduire l’effritement ou les infiltrations d’eaux impures. - ou d'empêcher les infiltrations d'eaux impures ?

*** J'adore (c'est pas le seul passage, mais bon !) là, j'y suis, je vois la scène !!
Le bossu les mena un moment, leur fit monter quelques marches biscornues, enjamber une crevasse obscure cachée sous un tapis, contourner un pilier si massif qu'on aurait pu y creuser une salle intérieure, avant qu'enfin il ne leur désigne, de son doigt décharné à l'ongle le plus long, leur table. Celle-ci, placée dans une alcôve grossièrement taillée, était sculptée dans la souche d'un chêne massif dont les racines constituaient les pieds. Assise contre la pierre, sur un formidable amas de coussins, se tenait une femme au teint cuivré dans une tenue ample qui laissait ses formes indistinctes. Devant elle se balançait, au bout de sa chaîne, une bouteille verdâtre dont la bougie se noyait lentement dans sa vieille cire.

ils savaient que j’arrivais avec des marchandises convoitées et ils m’ont tendus attendus. Coline l'a déjà noté

Le moteur, placé à l’avant, entrainait une hélice dont les derniers modèles se passaient bien, - ?? tu veux dire que les nouveaux modèles n'ont pas besoin d'hélice ? si oui, faudrait expliciter un peu c'est pas trop net

Ch 19 part. 2
— C’est sans doute la plus permissive de leurs attributions - permissive ? me semble pas convenir, mais j'ai pas trouvé l'adjectif qui exprimerait que cette attribution lui donnait un pouvoir discrétionnaire des plus étendus, que c'était la plus avantageuse, la plus rentable...

Cette fois-ci, Yulia n’aurait jamais deviné avoir affaire à un Amiral si elle ne reconnaissait pas le manteau et les insignes - Cette fois-ci, Yulia n’aurait jamais deviné avoir affaire à un Amiral si elle n'avait pas reconnu le manteau et les insignes


Pas le temps de lire la 3e partie... à suivre !!
Roh, méchant Booknode ! Faut pas manger les commentaires !
Merci :oops: Ahah ouais, ce serait plutôt un système politique infernal qu'une 6e République :lol:

Je prends bonne note de toutes les remarques, merci !!

Je suis tellement heureux que tu aimes ce passage ! J'en suis très fier, je pense que c'est ce que j'ai fait de mieux avec l'Interlude 2 dans le Temps des Surplombs ! Je trouve qu'il y a, ici, un petit côté Carlos Ruiz Zafón, avec une ambiance gothique fantastique qui déforme le quotidien... tu vois ce que je veux dire ? (oui, j'ai beaucoup aimé l'ombre du vent, même si tout dedans ne me parle pas)

Merci énormément Daniel <3
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.3 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

Marjogch a écrit :Huuum, alors là je dois dire bravo. Pas mal de lecture en une fois. Je prends mon temps pour savourer cet état de fait :lol: :lol: . Tout d'abord, bravo pour l'écriture. Hormis la présence de quelques petites fautes passées sous l’œil avisé de ta correctrice (ça peut arriver, ce n'est point grave), tes textes sont vraiment bien.

L'illustration sur les amiraux est très intéressante et présentée. J'aime bien l'idée des fanions représentant leur couleur, comme une sorte d’armoiries. Le cours offert par Taylor apporte une lumière nouvelle sur la situation également. On y voit un peu plus clair sur qui fait quoi, où et comment. Chapeau bas aussi pour la carte géographique.

Mais j'avoue que j'ai eu un gros coup de coeur pour le second texte et cet instant magique entre Angora et Asha. Bon, je suis déjà in love d'Angora, mais je ne m'attendais pas à un tel rapprochement entre elles. Sous sa carapace, on devine une Asha meurtrie par son passé, ce qui n'est pas trop étonnant quand on découvre ce par quoi elle est passée. Ca la rend plus humaine à mon sens. Ca ouvre aussi droit à de nouvelles questions sur l'évolution de leur relation. J'attends donc la suite avec impatience.

Je reste avec mes interrogations. Quel est le plan de Taylor pour la suite? Ford est-il vivant? Où est Dick? Comment Yulia va-t-elle se venger????
C'est sûr que je vous ai habitué à un rythme bien plus lent :lol: Enfin, c'est en train de changé et je suis bien motivé :twisted: Enfin, euh... j'étais motivé et puis cette semaine j'ai beaucoup eut d'heures de travail (donc plus l'énergie pour écrire quand je rentrais en fin de journée) et là depuis samedi j'ai... une belle angine, et un rhume carabiné :lol: Donc on va considérer que je suis en arrêt maladie ^^

Merci ! :D L'illustration des armoiries m'a pris pas mal d'heures x) Et puis y'avait Zahhak qui venais me frapper quand elle voyais que j'utilisais simplement paint (j'ai tenu bon et terminé avec paint, peu importe l'adversité !)
La carte, elle, est faite avec le logiciel Inkanate... puis modifée, une fois n'est pas coutume, avec paint (Zahhak pas taper !)

Je me suis moi-même surpris avec ce passage... en fait, je pense qu'avant de l'écrire, je ne comprenais pas vraiment Asha, même si j'essayais. Maintenant, je comprends son comportement et ses motivations, c'est quelqu'un de très seul qui essaye d'attirer l'attention à sa manière, que ce soit en étant assez exubérante (la fête à bord de l'Eclat) ou très dure, limite cruelle (l'entrainement et son duel avec Leoda), qui cherche une forme de reconnaissance qu'on refuse de lui donner : celle de son talent aux armes est la seule qu'on lui a offert, elle en recherche une plus humaine, sans succès jusque là, car on ne lui a jamais donné sa chance jusqu'à ce qu'elle rencontre Taylor (avec qui ça reste difficile) puis Angora (avec qui... uhuh)

Que de questions !! Ahah, j'en jubile ^^
Merci beaucoup !!!
DanielPagés

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.3 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par DanielPagés »

Là tu commences à comprendre que l'écriture et la publication d'un roman apportent une drogue puissante : l’œil du lecteur qui brille quand il a pénétré dans ton monde et qu'il t'en raconte quelques bribes... Et parfois il en a exploré des recoins que tu ne savais pas exister et que tu découvres à cette occasion. Pour moi c'est de là que vient une motivation puissante... et le désespoir de ne rencontrer que peu de ces complices, peu de gens avec qui l'on peut partager. Les rencontres scolaires, les salons, les discussions en médiathèque sont des moyens de s'alimenter. Et Booknode est génial pour ça, aussi !

Je suis content que tu fasses le parallèle avec L'Ombre du vent où on respire la vieille Barcelone de l'après guerra civil dans la puanteur du charbon, de la crasse, de la misère et de l'oppression.
Je me souviens du Cycle de Vel où tu as commencé à vivre le décor avec tous tes sens... Je suis profondément heureux de voir comment ton talent a grandi !
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.3 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

DanielPagés a écrit :Là tu commences à comprendre que l'écriture et la publication d'un roman apportent une drogue puissante : l’œil du lecteur qui brille quand il a pénétré dans ton monde et qu'il t'en raconte quelques bribes... Et parfois il en a exploré des recoins que tu ne savais pas exister et que tu découvres à cette occasion. Pour moi c'est de là que vient une motivation puissante... et le désespoir de ne rencontrer que peu de ces complices, peu de gens avec qui l'on peut partager. Les rencontres scolaires, les salons, les discussions en médiathèque sont des moyens de s'alimenter. Et Booknode est génial pour ça, aussi !

Je suis content que tu fasses le parallèle avec L'Ombre du vent où on respire la vieille Barcelone de l'après guerra civil dans la puanteur du charbon, de la crasse, de la misère et de l'oppression.
Je me souviens du Cycle de Vel où tu as commencé à vivre le décor avec tous tes sens... Je suis profondément heureux de voir comment ton talent a grandi !
C'est vraiment bien raconté <3
Merci beaucoup Daniel, tu m'as beaucoup donné humainement ces dernières années <3
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.3 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

Petit bonus : un organigramme pour résumé tout ce qu'on a dit sur la politique dans l'Empire !
C'est fait avec paint, c'est fait pour être lisible, pas joli :mrgreen:
(faites clic gauche => afficher l'image)
[attachment=0]organigrame Empire.png[/attachment]
Pièces jointes
organigrame Empire.png
organigrame Empire.png (151.64 Kio) Consulté 1253 fois
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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.3 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

Bonsoir à tous ! Eh bien, désolé j'ai peu décroché du rythme... en effet, j'ai enchaîné deux semaines de travail chargé avec des vacances sans pc car... mon fidèle m'a lâché ^^' Le fourbe est en bien mauvais état, je vais devoir le faire remplacer.
Avec ses dernières forces cependant, je vous poste ce chapitre qui aura mit un peu de temps à venir, mais qui précède le dernier acte des aventures des Yulia à la Capitale ;)
Découvrez les multiples visages de la ville et frissonnez devant les affaires politiques qui promettent de devenir plus musclées que jamais !
Merci à Enora pour la superbe correction !
Je vous souhaite une bonne lecture, prenez soin de vous !



Chapitre 20 : Au grand jour
Neufs jours après avoir débarqué à la Capitale, Yulia put enfiler les habits de Nora Dihya Alvez et jouer son rôle en public. Après six jours d’entraînement, Yssandre avait déclaré qu’à défaut de pouvoir impressionner un véritable noble, elle ferait parfaitement illusion auprès de la plèbe. Il avait donc été décidé de lancer officiellement le plan qui mènerait, ils l’espéraient tous, les Wöllner à mordre à l’hameçon.

Yulia en était la pièce maîtresse, ce qui ne participait pas à rassurer Angora, mais emplissait la fille de Ford d’une détermination nouvelle. Étudier pour apprendre un rôle était stimulant, mais enfiler enfin le costume et sentir que l’on avait enfin une prise sur les événements qui secouaient nos vies l’était plus encore. Ce matin-là, elle s’était levée aux aurores et ne se calma pas avant qu’on lui ait présenté la robe de Nora.

A présent glissée dans l’étoffe nacrée, serrée à la taille mais relâchée aux épaules, elle sentait un grand calme investir son corps alors que son esprit adoptait la logique de cette autre elle-même qu’elle avait construite. Taylor s’entretint un moment avec Angora avant de se retourner vers la jeune noble de Fezzan.

— Aujourd’hui, dit-il, Nora débarque officiellement à la Capitale. Tu devras être vue sur le port, comme si tu descendais d’un navire. Ils sont trop nombreux pour que quiconque puisse espérer tous les connaître : personne ne doutera de cette version. Ensuite, tu suivras Angora jusqu’à l’hôtel convenu. Le coup est arrangé.

— Angora sera ma garde du corps ?

Depuis que la Dragon s’était faite teindre les cheveux et avait revu sa tenue, elle paraissait sans problème être une authentique mercenaire.

— Exactement. Ne te préoccupe pas d’éventuels bagages, Nora n’en aurait pas beaucoup, vu sa situation, et il est de convenance qu’on envoie les employés de l’hôtel les chercher une fois que la noblesse est installée dans ses quartiers. Le plus difficile sera de te faire atteindre le port sans qu’on ne te remarque : si les gens voient une jeune fille noble sortir de la Pissotière, ils se poseront des questions.

— On va donc te couvrir, enchaina Nadejda en désignant un ample manteau et un grand voile qu’elle portait à bout de bras.

— C’est crasseux… Nora ne porterait jamais ça.

— Angora trouvera un coin près du port où tu pourras les enlever, tu ne devras les porter que jusque-là.

Elle opina du chef. C’était une mission simple, qui ne semblait pas présenter de grand danger… Voilà qui était donc excellent pour éprouver sa nouvelle identité.

Les membres de l’Eclat s’étaient réunis pour assister à son départ. Emy tentait de cacher son intérêt en frottant frénétiquement ses verres, mais ne pouvait résister à l’envie de leur lancer quelques regards en coin. Yssandre aussi s’était montré et il la bombardait nerveusement de questions à propos de Nora, voulant s’assurer que la petite connaissait bien son rôle. Mais il ne pouvait ébranler la confiance de Yulia : celle-ci était nourrie par l’excitation et ne laissait plus de place au doute.

Les deux femmes dirent adieux au Lynch Bar en agitant la main, certaines cependant qu’elles y reviendraient avant la fin de leur aventure.



Traverser la Pissotière fut facile : pas un chat ne traînait dans les rues, et le manteau protégea Yulia des filets d’eau crasseuse qui ne cessaient de couler des hauteurs. Elles ne se dirigèrent pas vers le fleuve, mais suivirent une série de ruelle qui les entraîna, de boyaux en boyaux, jusqu’à une large avenue. Celle-ci menait visiblement à une des portes de la ville et semblait être le seul coin entretenu et pavé du quartier. Le seul coin étroitement surveillé, aussi, puisque de petites tours de guets accueillaient des vigies qui observaient avec attention le flot de passants. On avait à peine passé l’heure de l’embauche, aussi ne trouvait-on plus autant de travailleurs qu’au lever du soleil, mais Yulia pouvait sans peine les imaginer avancer, comme des automates, en direction des usines et des champs, franchir les grandes portes noires pour sacrifier leur force vitale aux machines.

En cette heure, donc, on croisait surtout dans l’avenue des cohortes de petits marchands, colporteurs et mendiants. Une mercenaire aux cheveux noirs et une enfant dans un manteau sale y passaient inaperçues. Les gardes, en haut, paraissaient fermement s’ennuyer et on pouvait sentir que le fusil les démangeait. Ces hommes en noir, étaient-ils des Gardes Impériaux ou des Miliciens de l’Inquisition ? Cela ferait-il seulement une différence lorsqu’ils trouveraient une excuse pour tirer dans la foule ?

Fort heureusement, leur présence diminua à mesure qu’elles s’éloignaient des remparts et remontaient l’avenue. Yulia fut moins anxieuse. La route s’éleva soudain pour enjamber l’Azurite et le quartier pieux, formant un point élancé qui leur offrit une vision lointaine du Temple de l’Abondance.

La petite sût alors qu’elle n’avait jamais encore emprunté ce chemin. A leur gauche devait s’établir le quartier des Rieuses et ses bordels, théâtres et résidences d’artistes. A leur droite, s’épanouissaient les lumières de l’Etincelle et ses restaurants, auberges et cabarets. Les deux filles, elles, montaient sur une colline et apercevaient déjà le Temple de la Victoire.

Là, sur cette colline, s’élevaient des immeubles aux façades blanches, décorées de petits carreaux de céramiques aux couleurs pastelles. Il vadrouillait dans les rues un petit nombre de miliciens, clairement affiliés à l’Inquisition –ils en portaient le croissant rouge, en brassard ou cousu au revers du gilet. Pouvait-on expliquer l’absence de mendiants par leur présence intimidante ? La foule s’était éclaircie depuis qu’elles avaient laissé l’Azurite derrière elles. A présent, seuls les marchands pressaient le pas tandis qu’un certain nombre de bourgeois marchaient, sereins, et flânaient sur les petites places pavées qui s’ouvraient entre deux rues.

— La Coline Blanche, révéla Angora en désignant le quartier du menton. On y trouve surtout les résidences secondaires de beaucoup de bourgeois des Surplombs, mais aussi des hôtels réservés aux officiers et actionnaires des compagnies marchandes que nous verrons au Port.

— On y arrive bientôt ?

— On va y descendre, assura la Dragon.

Et, en effet, après seulement quelques rues, elles se trouvèrent face à un carrefour dégagé qui leur offrit une belle vue sur la baie et le Port de la Capitale. Les bords du Surplombs plongeaient dans le vide en suivant une crête arrondie jusqu’à l’horizon. La seule exception à cette harmonie était une fissure gigantesque, large de plusieurs centaines de mètres, qui s’enfonçait dans la ville au-delà du quartier des Rieuses. Les collines alentours descendaient en terrasse, suivant les plis de la faille, jusqu’au niveau le plus bas où s’établissait le Port : un grand ensemble de bâtiments, de grues et d’entrepôts qui jouxtait les quais. Ceux-ci se couvraient de pierres blanchâtres, taillées avec soin, et lançaient des pontons aux armatures sculptées dans la fonte et au bois lisse. Le Port se présentait au bas de l’avenue qui s’ouvraient à elles, et continuait encore jusqu’à disparaître derrière le Temple de la Victoire où devaient se situer les quartiers nobles. Sur la rive opposée, les bâtiments se faisaient plus opulents encore, jusqu’à atteindre, à la pointe de la faille, des hauteurs démesurées. Là s’élevaient de nouvelles murailles qui encadraient des jardins dont on apercevait la cime des arbres centenaires. Au centre de cet édifice, il y avait un ensemble de tours et de verrières finement sculptées, rayonnant au soleil vif de la matinée.

— On voit jusqu’au Palais de l’Empereur, commenta Angora. N’espère pas y être admise un jour : seule la Garde d’Honneur y possède des entrées. On dit que les domestiques y naissent et meurent sans jamais en franchir les murs. Même un Dragon n’a pas le droit d’en gravir les marches.

Si sa Protectrice pensait que Yulia n’avait d’yeux que pour les tours de l’Empereur, c’était bien mal la connaître. En vérité, les iris de la fille de Ford avaient bien vite quitté le Palais pour retomber en contrebas, sur le Port. Ou plus précisément sur les navires et ballons qui peuplaient ce Port.

C’était, de son propre aveu, le plus grand rassemblement de voiles qu’elle n’ait jamais vu. Son cœur se serait arrêté si elle n’avait pas en tête sa mission en tant que Nora.

Angora lui adressa un sourire amusé :

— Allez, descendons donc sur les quais !



Yulia avait déjà remarqué qu’il n’y avait pratiquement aucun vaisseau qui survolait la Capitale. La peur de heurter une tour, un Temple ou un empilement d’abris de fortune devait jouer, mais elle n’en comprit qu’en ce jour la raison profonde. Il volait dans les airs autour de la faille du Port un bon nombre de petits aéronefs métalliques, peinturlurés de couleurs criardes, qui fonçaient à la rencontre des navires qui montaient plus haut que les toits des environs du Port : ces derniers se voyaient signifier par la police du ciel de redescendre rapidement et étaient redirigés dans le trafic portuaire. Le survol de la Capitale semblait défendu, si bien que tout navire devait s’engager entre les deux rives de la faille pour entrer ou sortir de la Capitale.

En résultait le plus formidable des carnavals aériens : tout ce que comptaient les Surplombs d’embarcation transitait ici, pour le plus grand bonheur des yeux.

La fille de Ford et sa protectrice marchaient, main dans la main, le long des quais. Elles avaient auparavant effectué un petit détour derrière des caisses que débarquait un slaout, afin que Yulia se débarrasse de l’affreux manteau qui cachait sa robe. A présent, elle pouvait réellement agir en tant que Nora Dihya Alvez !

Fort heureusement, elle avait décidé que Nora partageait sa passion des navires, et ne boudait donc pas son plaisir en se promenant le long des quais !

Au bas de la Coline Blanche se trouvaient les entrepôts et les grues les plus imposantes. C’était là que l’on pouvait admirer les grandes caravelles aux cales remplies de denrées venues du Nouveau Monde.

Celle qui attira l’œil de la petite portait sur le bois de son flanc une longue griffure, comme si elle avait heurté les défenses d’une baleine des airs ou percuté un rocher en contournant un Surplomb. Elle portait le nom de Glorieux Cador, mais ne possédait qu’une seule rangée de canons afin de laisser plus de place en cale pour le transport de marchandises. Son château arrière s’élevait, lui, sur trois niveaux, si bien que pour accéder au poste de pilotage on devait emprunter des escaliers à l’intérieur des quartiers du Capitaine –une hérésie dont les gabiers se fichaient bien puisqu’ils se déplaçaient à l’aide des cordages. Malgré son air maladroit et un peu idiot, le vaisseau possédait un caractère certain, tendu comme un arc, déterminé à franchir les collines et les monts qui s’élèveraient sur son chemin. Son nom véritable mériterait d’être La Fronde, ou La Filante, elle n’avait pas encore décidé.

Ses sœurs s’arrimaient en nombre sur les quais et on y voyait s’affairer toute une panoplie de marins venus de Surplombs proches ou lointains. Les drapeaux peints sur les Ballons à Voile se montraient aussi colorés que les équipages : Yulia reconnaissait de temps en temps un drapeau d’Amirauté, mais c’était le plus souvent le pavillon d’un Surplomb en particulier qui était choisi. La plupart venaient cependant du Protectorat de Cent-Port, elle en reconnaissait les symboles de l’alphabet Kaelid qui était employé sur les armoiries de cette région.

Les choses changèrent quand elles dépassèrent les caravelles. La flottille marchande se faisait plus diverse un peu plus à l’intérieur du Port : Yulia reconnut même des drapeaux qu’elle apercevait jadis à Cathuba !

Mais cette joie fut éclipsée par une bien plus grande lorsqu’elle aperçut le Melajah, une gigantesque gourabe venue de Paam ! Le vaisseau ne se contentait pas d’être grand et allongé avec goût, il était également richement décoré : son bois était peint du vert le plus subtile et son bastingage se couvrait de dorures. De ses cordages pendaient des petits pompons jaunes et des petites clochettes de cuivre qui sonnaient au vent. Sa figure de proue représentait un aigle d’Aatraj sculpté avec soin et laqué d’or. Sur le pont s’activaient les Paamiens, des hommes à la peau hâlée vêtus de larges pantalons à lacets, tandis que sur le quai une dizaine de femmes en sari négociait pour vendre leurs marchandises à des représentants de diverses compagnies marchandes. Une certaine foule se pressait pour admirer le Melajah, mais une demi-douzaine de miliciens veillait à laisser aux marchands un espace de confort.

Yulia n’échappait pas à l’intérêt général pour le navire. Elle ne chercha pas à refréner sa curiosité, se disant très justement que Nora serait aussi intriguée par la culture des confins de l’Empire. Elle resta donc une bonne dizaine de minutes, les yeux grands ouverts, à tenter de capturer l’image de ce bijou. Ce devait être la première fois qu’un nom lui paraissait parfaitement choisi, il ne lui en vint pas d’autre qui puisse convenir au Melajah.

Angora s’impatientait cependant, et la petite accepta de repartir. Elles passèrent devant bien d’autres navires venus des huit Protectorats, d’Āto, de Myrth, du Nouveau Monde ou même du Royaume de Saqqarah. Yulia les dévorait tous des yeux, mais elle ne se remémorait que le Melajah, sachant que le colosse de Paam peuplerait ses rêveries pendant des jours.
La foule se faisait plus dense à mesure qu’elles remontaient vers le centre de la ville. Nora ne dépareillait pas dans le paysage : les promeneurs étaient richement vêtus, grands bourgeois quand ils n’étaient pas nobles, et ils ignoraient ostensiblement les dockers et les marins qui s’échinaient à la manutention. Les marchands ne transportaient rien eux-mêmes : ils signaient quelques papiers et commandaient à des hommes en haillons qui descendaient la marchandise, portaient les caisses et les tonneaux, puis tiraient les charrettes jusque dans les hauteurs de la ville. Certains cependant recouraient à des automates, à la façon des Ātoli, mais à juger par leur utilisation, ceux-ci devaient revenir plus cher que la main d’œuvre misérable des docks.

Ils passèrent bientôt devant les marches qui menaient au Temple de la Victoire, longue ascension qui se perdait dans un dense fourmillement de bâtisses à flanc de colline. Certaines échoppes annonçaient le titre que ce quartier avait gagné : « la halte des Chutes », « l’auberge des Chutes », « la dernière Chute ».

A l’ombre des ballons, Angora lui glissa à l’oreille :

— On continue encore jusqu’aux Terrasses.

— Le Port est encore long ?

— Un peu, oui, avoua-t-elle.

Ce n’était pas peu dire. Le soleil avait atteint son zénith quand le dernier des vaisseaux fut dans leur dos. Elles s’engageaient à présent dans des rues sinueuses, encadrées par de hautes maisons à colombage. Les devantures se montraient sobres, parfois seulement surmontées d’un petit écriteau en lettres d’or. Des hôtels, des résidences et des établissements de luxe. Yulia ne comprenait pas la raison qui faisait qu’on surnommait ce quartier les Terrasses, jusqu’à ce que, au détour d’un carrefour, elle aperçoive le fleuve.

Elles marchaient bien plus en hauteur que ce qu’elle croyait. L’Indigo, second des trois fleuves de la Capitale, ondulait paisiblement à plus d’une centaine de mètres des hauteurs du quartier. Pour le rejoindre, il y avait une succession de terrassement, et on passait de l’un à l’autre au moyen d’un des quatre funiculaires qui circulaient entre les édifices. Angora lui indiqua, sur la deuxième terrasse, un hôtel vers lequel elles semblaient se diriger.

La fille de Ford commençait à comprendre pourquoi ce quartier était apprécié des nobles : il était agréable. A l’exception des longs sifflets des funiculaires, il était silencieux car peu de personnes en encombraient les rues. Celles-ci n’étaient pas assez larges pour laisser passer les carrioles, et la hauteur des bâtiments isolait des bruits lointains. On devait bien y vivre, assis à ces balcons garnis de fleurs.

Ce fut cependant la première fois qu’elle se sentit clairement regardé. Quand elle croisait un groupe de flâneurs, ceux-ci interrompaient leurs plaisanteries pour surveiller sa démarche. Il s’agissait le plus souvent de jeunes hommes, aux vêtements impeccables, imitation d’uniforme, qui portaient le fleuret à la ceinture. Jamais loin, cependant, se tenaient des gardes du corps, d’authentiques mercenaires qui ressemblaient grossièrement au style qu’Angora imitait. A la vue des armes qui côtoyaient les sourires et les badineries, Yulia se remémora les plus terribles histoires de Taylor. Ces clubs qui réglaient leurs comptes par l’assassinat… combien de leurs membres croisait-elle actuellement ?

Le monde aristocrate –aussi bien celui dont lui avait parlé Marisa, fait de robes, de courtisans et de bonnes manières, que celui qu’évoquait sombrement Taylor, fait de complots, d’assassinats et de sous-entendus menaçants– habitait le quartier des Terrasses mieux que tout autre : ses places semblaient dessinées pour y danser la quadrille ou se défier au pistolet, ses balcons pour abriter des violonistes aussi bien que des fusiliers, ses grandes portes sculptées pour s’ouvrir sur une procession de dames parées de velours comme de mercenaires bardés d’acier. Une pièce d’or étincelante, dont les deux faces s’alternent à mesure qu’elle tourne dans les airs. Yulia se demandait encore de quel côté Nora allait tomber quand elles aperçurent leur hôtel.
C’était un établissement presque trop commun pour le quartier. La façade aurait demandé un bon coup de peinture mais l’enseigne s’y révélait en parfaites lettres d’or :

Havre de Méléon, Hôtel distingué


Il s’agissait d’une grande maison, haute de trois étages, bâtie dans une pierre solide entre deux bâtiments bien plus délicats. Le rez-de-chaussée se composait d’un grand hall, entièrement couvert de bois précieux, éclairé à l’électricité par des lustres dernier-cri. Deux escaliers montaient dans les étages et, sous chacun d’eux, une petite porte menait aux arrières salles.

Le coup avait été arrangé à l’avance par Taylor. Au guichet, elle déclina l’identité de Nora et formula son souhait de réserver une chambre, pour trois semaines –elle ne resterait pas aussi longtemps, mais ils avaient convenu qu’un séjour plus court aurait été moins crédible. On exauça son vœu : en échange d’une petite signature et d’une petite avance –cinq pièces d’or, tout de même !– le personnel se plia en quatre pour répondre à ses exigences.

Elle donne le nom d’un navire fictif pour qu’on aille chercher ses bagages –les Corsaires arrangeraient l’affaire– et on lui demanda de patienter quelques minutes le temps de préparer sa suite. Yulia avait cru disposer d’une simple chambre, mais elle était en réalité loin du compte. Elle n’était pas une simple roturière dans une auberge du quartier des Rieuses, elle était l’héritière d’une famille noble, en mission à la Capitale !

Par conséquent, ses appartements chez Méléon s’ouvraient sur une antichambre où ses mercenaires pourraient monter la garde –ceux-ci disposaient d’une alcôve discrète où se reposer– avant de donner sur une large et luxueuse pièce à vivre. Cette dernière disposait d’une demi-douzaine de fauteuils moelleux réunis autour d’une table basse et d’un service à thé, de gros tapis de laines auxquels on avait brodé la rose impériale, de meubles en bois précieux dans lesquels on trouvait tout le nécessaire de toilette imaginable, d’un grand miroir qui couvrait pratiquement tout un mur, et même d’un authentique clavecin, trônant au milieu de la pièce, lustré comme un sous neuf. La petite ne savait pas en jouer, mais on ne pouvait contempler un si bel objet sans désirer l’entendre chanter. Deux autres pièces s’offraient encore à elle : la première se révéla être la chambre, pour le coup assez classique bien que le linge soit de qualité. Un grand lit disposant d’un édredon en plume d’oie et d’un pot de chambre en porcelaine. En découvrant la seconde pièce, cependant, elle sentit son cœur se soulever, transporté de bonheur : une salle de bain, entièrement carrelée, disposant de sa propre baignoire et d’une petite cheminée pour faire bouillir l’eau.

Plusieurs pensées lui traversèrent la tête pendant que les domestiques lui faisaient visiter les lieux, mais aucune ne lui perça plus le cœur que celle qui s’imposa dans son esprit lorsqu’elle s’attarda à la fenêtre pour reprendre ses esprits : cette robe, cet appartement, cette cité… c’était la vie que Marisa avait rêvée pour elle. Cette existence où tous ne semblaient se préoccuper que de son confort et renvoyaient le désir de satisfaire la moindre de ses envies, elle l’aurait sans doute obtenu bien facilement si sa mère n’était pas morte en la mettant au monde. Sa gouvernante à Cathuba le lui répétait bien : elle était la fille d’un Amiral, elle pouvait y prétendre de droit. Malheureusement, la grande Prêtresse, en la déclarant enfant Sinistre, l’avait privée à la fois du droit de rejoindre les Gardiennes et du droit de se faire une place parmi la noblesse.

Cependant, confort matériel mis à part, la jeune fille ne pensait pas que cette vie lui aurait convenue. Elle convenait à merveille à Nora Dyhia Alvez, bien sûr, mais pas à Yulia Angora. Il n’y avait dans le monde des nobles aucune place pour les escapades, les courses sur les toits et les chapardages de bonbons. Elle n’aurait sans doute jamais pu devenir amie avec quelqu’un comme Dick Tales.

Cette seule pensée envers le garçon suffit à la rendre triste. Elle aurait aimé l’avoir à ses côtés, mais elle avait conscience que lui imposer un tel voyage aurait été cruel.

Elle était donc d’humeur sombre lorsque le maître des lieux vint lui rendre visite. Angora finissait d’inspecter les issues, à commencer par la solidité des fenêtres et le fond de la cheminée dans la salle de bain. Il toqua à la porte et n’attendit pas qu’on vienne lui ouvrir pour s’immiscer dans la pièce.

C’était un gros bonhomme à la moustache luisante. Court sur pattes et myope comme une taupe, il avançait en froissant entre ses doigts le tissu brodé de son gilet. Son visage ne trahissait aucune émotion.

Angora sortit de la cheminée et se frotta les paumes, méfiante. Tout s’était passé comme prévu, mais comment savoir lorsque le temps d’arrêter de jouer la comédie était venu ? L’hôtelier ne leur facilita pas la tâche : il balaya la pièce du regard, évaluant sans doute quelque chose qui n’importait qu’à lui.

Yulia voulu s’avancer, encore dans la peau de Nora, mais le dénommé Méléon parla avant elle :

— Il n’est pas encore arrivé ?

— Qui ça ?

A cet instant, on entendit trois petits coups discrets portés à un battant. Yulia crut que ceux-ci venaient de la porte et entreprit de contourner Méléon –qui ne réagissait pas– mais ce fut Angora qui en identifia correctement la provenance.

Elle se tient face au miroir quelques secondes. Yulia la rejoignit, intriguée.

— Ne le fais pas attendre, bon sang, s’impatienta l’hôtelier. Ouvrez-lui donc !

La Dragon posa les mains sur le cadre et comprit le mécanisme. Délicatement, elle fit pivoter la glace. Derrière, on découvrit une petite porte de bois sombre, verrouillée par un loquet qui fut immédiatement relevé. Derrière se tenait Taylor, tentant de contenir son fameux sourire.

— Le Capitaine de l’Eclat présente ses hommages à l’héritière de la famille Alvez, déclara-t-il en posant le pied dans la salle. Êtes-vous satisfaite de nos services ?

Méléon fronça les sourcils.

— Ne pousse pas ta chance trop loin, Taylor, prévient-il. Je peux supporter beaucoup de choses, mais tu as passé l’âge des blagues.

L’autre haussa les épaules comme si la pique le laissait indifférent et se retourna vers Yulia et sa protectrice, à peine surprises de l’entrée du pirate.

— Je vous présente Méléon Thiersonn : un vieux baroudeur qui a passé quelques années au Nouveau Monde avant d’intégrer la Garde Impériale et, finalement, de toucher l’héritage d’une tante et devenir propriétaire d’un des plus anciens hôtels du quartier des Terrasses.

Il renifla bruyamment pour marquer son irritation.

— Et moi je vous présente le passage secret.

— Tu ne me présentes pas moi ? se vexa Taylor.

Décidément, Méléon ne goûtait vraiment pas les blagues. Il fronçait à nouveau les sourcils et refusait de dire un mot de plus. Angora intervint pour désamorcer la situation :

— Ignorons le Corsaire. Vous pouvez nous parlez du passage secret ?

— La porte est cachée derrière le miroir, comme vous avez pu le voir. Si vous recevez un visiteur, il ne devrait pas la remarquer, à moins de laisser traîner ses doigts partout, ce que je déconseille peu importe la situation. Le loquet peut s’ouvrir de l’intérieur mais il y a une petite serrure qui permet d’ouvrir également depuis l’extérieur si on possède la clé.

Il plongea la main dans la poche de son gilet et en tira une petite clé en bronze qu’il posa délicatement avec un mouchoir sur la table basse.

— Le vestibule donne sur une petite échelle, reprit-il, qui descend sur une dizaine de mètres jusque sous la rue. C’est un vieux passage secret, je ne sais pas qui l’a construit, mais il continue sur près d’un kilomètre jusqu’à déboucher dans la cave d’une bâtisse au bord de l’Azurite. La porte là-bas est en acier et j’ai racheté moi-même le lieu : au rez-de-chaussée c’est une guinguette bon marché, et je me sers des étages pour loger mes employés et quelques marchands qui me payent leur chambre. Le gérant a l’habitude et ne pose généralement aucune question si vous arborez ce symbole…

Il posa, juste à côté de la clé, cinq exemplaires d’une pièce d’or à l’effigie d’un vieil Empereur que Yulia ne reconnaissait pas.

— Commandez-lui quelque chose, n’importe quoi, et insistez pour le payer avec ces pièces-là. Il vous mènera à la porte dans sa cave et vous pourrez emprunter le passage. Vous pouvez aussi l’emprunter en sens inverse : il ne questionne pas plus les gens qui sortent, mais n’oubliez pas la pièce.

— Je viendrais par ce chemin, expliqua Taylor, et les membres de l’Eclat nous rejoindront ainsi également lorsque nous devrons planifier la suite des opérations. Si vous êtes attaquées ici…

Il regardait Angora sans sourire.

— … fuyez par là sans hésiter. Nous ne devons prendre aucun risque.

La Dragon acquiesça avec gravité. Elle se tourna ensuite vers l’hôtelier :

— Y a-t-il autre chose que nous devons savoir ?

— Les repas sont servis à midi pile et à dix-neuf heures. Les domestiques vont toquer, si vous ne répondez pas ce sera laissé sur le guéridon devant votre porte.

On frappa quatre petits coups secs. Yulia se précipita vers le miroir, mais cette fois ça venait bien de la porte de la suite. Angora souleva un sourcil :

— Le dîner est en avance.

Taylor sourit :

— J’ai invité des amis.



Méléon alla ouvrir. Yulia reconnut le couple de vieux journalistes qu’ils avaient rencontrés au théâtre à l’instant où ils se montrèrent. Leurs noms lui échappaient encore, mais le Sans-nom répéta les présentations :

— Joshua, Margareth, voici Nora Dyhia Alvez, héritière de Fezzan et tout juste débarquée à la Capitale !
Joshua, tiré à quatre épingles dans un costume mauve couronné d’un chapeau blanc, se fendit d’un grand sourire, découvrant ses dents déchaussées :

— Comme elle est jolie ! Une vraie princesse de Bérudie !

Margareth, elle, fut plus critique en ajustant son châle à froufrou.

— Un peu juste niveau fioritures, le costume. Il serait de bon goûts d’ajouter quelques symboles… des crocus à safran, peut-être ? Joshua, qu’en dites-vous ?

— Veuillez excusez mon épouse, ses rhumatismes affectent son humeur.

Taylor souriait. Il appréciait visiblement beaucoup le vieux couple.

Méléon leur proposa de s’asseoir autour du service à thé afin d’être plus à l’aise pour discuter. Seule Angora resta debout, comme une authentique mercenaire payée pour protéger l’héritière de Fezzan. Le Capitaine, bien entendu, s’assit de travers, les jambes par-dessus un accoudoir, au désespoir de l’aubergiste.

— Ici, on ne pourra pas bénéficier d’autant de marge de manœuvre que chez Emy, annonça-t-il en préambule. Yssandre te rejoindra en utilisant le miroir, mais vous aurez moins d’heures de travail car Nora devra se montrer en ville régulièrement pour être identifiée. Pour le reste, j’ai confiance en ton jeu d’acteur, mais il te manque encore certaines bases de culture de la cour impériale. A l’heure actuelle, te lâcher au milieu d’un banquet de nobles serait trop risqué… c’est pour ça que j’ai demandé à Joshua et Margareth de venir.

— Il est logique qu’une jeune noble originaire d’un lointain Surplomb ne connaisse pas spécifiquement les us et coutumes de la Capitale, pas plus que les subtilités de la politique interne. Engager des journalistes pour rattraper ce manquement est crédible, jugea la dame.

— Et nous sommes ravis de rendre ce service à la fille de Ford, précisa son mari.

La petite coula un regard vers le Sans-nom :

— Un peu comme les leçons que tu me faisais au bar ?

— Ce sera plus spécifique, trancha Margareth. Le petit Taylor a déjà comblé tes plus grosses lacunes, de ce qu’il nous a dit, mais il s’agit d’entrer bien plus dans les détails. Nous allons t’apprendre à reconnaître certains individus et à correctement t’adresser à eux. L’important, dans l’aristocratie, est de jauger correctement le rapport de force que l’on entretient avec ses interlocuteurs.

— Le petit poisson doit montrer du respect au gros poisson, illustra Joshua. Il y a mille et une façons de faire passer un message, d’insulter ou de courtiser, simplement en utilisant le protocole.

— Assez parlé dans le vide, trancha cependant sa femme en rectifiant de la main les plis de sa robe. Gardons nos métaphores animalières pour des heures plus avancées, tendre époux ! Nous avons des informations qui pourraient intéresser le petit Taylor.

Ce dernier se redressa sur son siège. Méléon leva les yeux au ciel, l’air de dire « enfin ! ».

— Je vous écoute.

— Il s’agit de l’Amiral Rouge, grimaça le vieil homme au chapeau blanc. Un communiqué est arrivé hier, il a fuité dans la presse ce matin.

— L’Inquisition avait nommé un Administrateur à Cathuba, après avoir purgé la ville des soutiens de Francis.

— Oui, acquiesça Taylor. Menckim Sanche Riviera, un petit noble sans histoire, c’est ça ?

Margareth opine du chef, l’air grave.

— Il n’est plus Administrateur, révéla-t-elle. Les événements sont encore très troubles, mais il y aurait eu des émeutes à Cathuba, qui auraient dégénéré et forcé Riviera à en appeler à l’aide de l’Œcar.

— Merde, jura le Capitaine en serrant la mâchoire.

— C’est ce qu’on craignait, reprit Joshua, l’Amiral Rouge a débarqué avec quelques-uns de ses navires et Riviera lui a confié les clés de la ville. Le communiqué d’hier annonçait que Hockard s’était fait nommer Protecteur de Cathuba.

Un long silence s’ensuivit. Taylor ne quittait plus le tapis du regard, comme s’il réfléchissait intensément. Angora, elle, faisait les cent pas dans la pièce, nerveuse. Au risque de paraître idiote, Yulia osa demander :

— Il a le droit de faire ça ? Cathuba, ce n’est pourtant pas son Protectorat !

— La question de savoir s’il en a ou non le droit ne se pose plus : il l’a fait, expliqua Taylor. Il a engagé un bras de fer avec les autres prétendants à l’Amirauté. Peu de familles nobles l’apprécient vraiment, en Bérudie, mais, maintenant qu’il s’est imposé à Cathuba, je crains pour la suite.

— L’armée de Ford se chargeait de repousser les pirates, intervint Angora. Une partie a été emmenée au Nouveau Monde, le reste a été dissout par l’Inquisition à la destitution de Ford. Les Surplombs les plus isolés doivent craindre pour leur sécurité à présent… et devraient être tentés de laisser Hockard les annexer en échange de la protection de ses armées.

— Le jeu politique va se muscler, annonça Margareth.

— En réaction, continua son mari, les autres familles prétendantes au poste devraient rapidement entreprendre de former leurs propres armées, afin de répondre à l’Amiral Rouge. Les Azkedir, les Ehdrya, les Wöllner ou encore les Labberg disposent tous des moyens financiers pour entretenir leur propre flotte de guerre et engager des mercenaires en nombre. Si l’Empereur ne se décide pas vite et que l’affrontement politique dure plus de quelques semaines, il y a fort à parier que ces armées en viendront à se livrer bataille pour le contrôle de certains Surplombs stratégiques.

— Ils ne feront pas le poids face à Hockard s’ils sont désunis, jugea Angora.

— Je ne serais pas si catégorique, nuança la journaliste. Hockard est Gouverneur de Thäma : la plupart de ses troupes sont occupées à tenir la colonie, il ne pourra déployer qu’un nombre réduit d’hommes en Bérudie.

La femme au bras d’acier durcit le ton :

— Trois Dragons Impériaux servent dans l’armée de l’Amiral Rouge. S’il les utilise en bataille, les familles n’ont aucune chance.

— Les Dragons servent l’Empereur et le Sénat ! s’offusqua Joshua. Hockard ne peut pas s’en servir pour des intérêts personnels !

— Tant que l’Empereur ne dira rien et que le Sénat ne prendra pas parti…

Elle laissa sa phrase en suspens. Tous avaient compris : tant que l’Empereur ne dit rien et que le Sénat ne prend pas parti, les Dragons bénéficient d’une certaine marge de manœuvre. Certains agents impériaux, en Œcar, pourraient être tentés de se mêler de la guerre civile.

Un autre Dragon avait peut-être déjà posé le pied sur Cathuba à l’heure où ils parlaient.

Taylor prit alors la parole, sans pour autant quitter le tapis des yeux :

— La question n’est pas de savoir qui va l’emporter sur le terrain militaire… La victoire sera diplomatique : Hockard vient déjà de marquer des points de légitimité en devenant le sauveur de Cathuba. Les autres vont chercher à l’imiter. Il leur faut une opération militaire, à risque minime, qui pourrait rapporter gros en prestige.

Il releva la tête. Cette fois, il fixait Yulia. Son sourire de chacal était de retour.

— Et c’est précisément ce que nous avons à leur offrir. Nora Dihya Alvez leur permettra de devenir le sauveur de Fezzan : ne pouvait-on pas rêvé mieux ?

Yulia se retint de lui répondre qu’elle pouvait rêver de bien mieux : un retour de son père, par exemple. Mais la jeune fille garda cette pensée pour elle, car Nora n’était pas du genre à céder à la colère ou à ce permettre d’aussi acerbes remarques.

— Il faut se dépêcher dans ce cas, annonça Angora, les premiers affrontements ne devraient pas tarder.

— Nous nous chargeons de lancer les rumeurs sur votre arrivée, s’engagea Margareth, mais ce ne sera pas suffisant pour convaincre les familles qui convoitent Cathuba. Pour cela il faudrait…

— Une apparition publique, la devança Taylor.

— Exactement, approuva la journaliste.

— La petite doit se montrer, développa son mari. Il faut prendre part, dès que possible, à la vie mondaine. Quand les nobles la verront parmi eux, ils la considéreront comme crédible. Ce dont vous avez besoin, c’est d’un bal.

— Un bal ?

L’étonnement lui avait arraché cet éclat de voix. Elle reprit immédiatement sa contenance et rougit de son impair. Celui-ci pourtant n’attira pas l’attention sur elle. Tout le monde regardait Taylor, confortablement assis dans son fauteuil, qui sortait de sa poche un petit morceau de papier, plié comme une lettre.

— C’est presque déjà arrangé, souriait-il. Voici une lettre à destination du Sénateur Viull Guiciss Hackso, de la part de Nora. Elle demande à être invitée au bal que celui-ci tient en son hôtel particulier, dans deux jours.

Yulia avait beau savoir que les nobles ne rédigeaient pas eux-mêmes la plupart de leurs lettres, l’idée qu’on ait pu en écrire une, en son nom, sans l’en informer, la mettait mal à l’aise. C’était une vilaine manie qu’avait Taylor, de taire quelque chose pour se réserver un effet d’annonce. Plutôt désagréable pour ses collaborateurs.

— Je vous la confie, continua-t-il en remettant la lettre entre les mains des journalistes, assurez-vous qu’elle parvienne à l’entourage du Sénateur en même temps que les rumeurs de l’arrivée de l’héritière des Alvez.

— Ça ne devrait pas poser de problème, assura Joshua. Considérez-vous déjà comme invités.

Yulia examina sa robe, peinant à croire qu’elle allait, aussi vite, se confronter à la plus haute noblesse de la Capitale. Les mots du Capitaine de l’Eclat tournaient dans sa tête et elle se surprit à les prononcer à voix basse, comme pour s’assurer de leur réalité :

— Deux jours… Dans deux jours… Le bal, dans deux jours.

Angora posa une main confiante sur son épaule.


fin du chapitre 20.
Prochainement : le grand bal !
DanielPagés

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par DanielPagés »

J'avoue que ça fait deux jours que j'ai lu et que je n'avais pas grand chose d'intelligent à dire... :lol:
Je suis fan des ports (avec de l'eau) et celui-là j'aimerais bien le voir ! Quant à cette gigantesque gourabe venue de Paam qui émerveille tant Yulia, si tu la vois à la Gde Motte, tu m'appelles tout de suite ! :lol: (je sais c'est le modèle aérien !)
Une gourabe ? qu'es aquò ? me suis-je dit... Et comme je suis (très) curieux j'ai cherché si ça existait ou si tu l'avais inventée. Et ça existait bel et bien. Et ma culture maritime s'est un peu agrandie. Merci ! ♡ Quant à Paam, tant que j'y étais... :?: Et là j'ai trouvé : Parcours d'Ateliers d'Artistes de Montpellier (c'était le we dernier !) Ouais chaque mot qui m'interroge passe à la moulinette ! :ugeek:

Sinon, on s'attend à chaque instant qu'il arrive quelque chose. Mais non, promenade de la riche donzelle... c'est épuisant !
Reste plus qu'à attendre le bal... Non, là, déconne pas ! elle va pas tomber amoureuse du fils de son ennemi, hein ? :lol:

Bon, je vais finir de préparer mes cartons : je file mardi dans le Nord pour une tournée de deux semaines avec plein de gamins à rencontrer (qui travaillent en classe sur mes bouquins).
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

Marjogch a écrit :Naaaan, tu t'arrêtes là? Juste au moment le plus important du récit. Le bal :D . Tu es sadique, je tiens à te le dire.

Néanmoins, je vais prendre mon mal en patience pour la suite de ton récit. Je suis ravie de retrouver Yulia et Angora, surtout que là, l'intrigue prend un tournant stratégique. Ce chapitre me fait penser à une transition dans l'histoire. Le plus important reste à venir avec le bal. Beaucoup d'enjeux et la suite des événements dépend de ce qui va s'y passer.

De nouvelles questions se posent. Comment va se dérouler la présentation de notre héroïne aux mondains? Les gens vont-ils se laisser berner? Sont-elles en sécurité?

Et où est Dick????? Où l'as-tu mis bon sang de bon sang :lol: :lol: :lol:

Histoire top, comme toujours, vivement la suite.
Ahah, promis la prochaine fois il y aura la scène du bal, en entière, et sans vingt pages d'avant-propos :lol: Je vais même passer en ellipse les préparations et le choix des robes pour vous faire plaisir :roll: (c'est atroce, vous saveeeeez que j'adore faire des pages entières de descriptions sur les robes :lol: )
Merci énormément, tes comm me font super plaisir :oops:
Ouip, transition c'est le mot : il faut rentrer dans le dure de l'intrigue et mettre un peu les personnages en danger... ce qui est en train d'arriver ^^
Ahah Dick... arrivera, mais pas tout de suite :twisted:
Merciiiiiiii ! Allez, ça me motive pour tout donner dans le prochain chapitre !!
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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

DanielPagés a écrit :J'avoue que ça fait deux jours que j'ai lu et que je n'avais pas grand chose d'intelligent à dire... :lol:
Je suis fan des ports (avec de l'eau) et celui-là j'aimerais bien le voir ! Quant à cette gigantesque gourabe venue de Paam qui émerveille tant Yulia, si tu la vois à la Gde Motte, tu m'appelles tout de suite ! :lol: (je sais c'est le modèle aérien !)
Une gourabe ? qu'es aquò ? me suis-je dit... Et comme je suis (très) curieux j'ai cherché si ça existait ou si tu l'avais inventée. Et ça existait bel et bien. Et ma culture maritime s'est un peu agrandie. Merci ! ♡ Quant à Paam, tant que j'y étais... :?: Et là j'ai trouvé : Parcours d'Ateliers d'Artistes de Montpellier (c'était le we dernier !) Ouais chaque mot qui m'interroge passe à la moulinette ! :ugeek:

Sinon, on s'attend à chaque instant qu'il arrive quelque chose. Mais non, promenade de la riche donzelle... c'est épuisant !
Reste plus qu'à attendre le bal... Non, là, déconne pas ! elle va pas tomber amoureuse du fils de son ennemi, hein ? :lol:

Bon, je vais finir de préparer mes cartons : je file mardi dans le Nord pour une tournée de deux semaines avec plein de gamins à rencontrer (qui travaillent en classe sur mes bouquins).
Aaaaah moi aussi j'aimerais tellement :mrgreen: cela dit, j'ai de belles images dans la tête, ça suffit peut-êttre ;)
Yop ! J'adore collectionner les noms de navires... et en plus, ça permet de faire passer assez subtilement le renvoi à l'imaginaire de l'inde :D
Par contre Paam n'a aucun rapport... mais j'ai beaucoup rigolé ! :lol:
Hé oh, tu crois que j'écris de la Young Adult ou quoi ? :lol: Non, je serais bien plus sadique que ça :twisted: (en vrai pas vraiment :roll: :oops: )
Merci merci MERCI pour ton commentaire <3 J'ai vraiment hâte de te revoir, quand tu arrêteras de vouloir m'échapper ;)
Je te souhaite le meilleur et un très bon voyage <3 profite bien des enfants, je les envie ;)
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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par SenseiSuricate »

Salut !
J'ai commencé le chapitre 1 (oui, je débarque :)) et l'univers a l'air génial ; les personnages aussi (Angora a trop la classe, Yulia est super mignonne et Dick-Tale m'a bien fait marrer :mrgreen: ) ! Tous ces aéronefs, ça m'a fait penser au dessin animé Le Château dans le ciel :lol:
J'ai téléchargé les pdf et je ne vois pas les références des musiques :cry: , c'est normal ??
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

SenseiSuricate a écrit :Salut !
J'ai commencé le chapitre 1 (oui, je débarque :)) et l'univers a l'air génial ; les personnages aussi (Angora a trop la classe, Yulia est super mignonne et Dick-Tale m'a bien fait marrer :mrgreen: ) ! Tous ces aéronefs, ça m'a fait penser au dessin animé Le Château dans le ciel :lol:
J'ai téléchargé les pdf et je ne vois pas les références des musiques :cry: , c'est normal ??
Hello !!
Merci beaucoup de me lire, ça fait super plaisir :D
J'aime beaucoup les films Ghibli ! Le Château dans le ciel ça fait trop longtemps que je l'ai pas vu ^^' Mes préférés étant Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké et Porco Rosso
Ouep, j'ai pas mis les musiques dans le pdf... principalement car je souhaite juste y garder le texte, je pensais que ça intéressait peu de gens les musiques ^^'
1654

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par 1654 »

Salut ! Je viens de lire toute la 1ere partie et je suis bluffée ! Cela fait longtemps que je n'avais pas lu quelque chose d'aussi bonne qualité. L'histoire sort de l'ordinaire par rapport à ce que je lis d'habitude dans le même genre. L'histoire est bien menée, bien construite et entraînante, avec juste ce qu'il faut de magie et de mystères pour maintenir le suspense. J'adore !
Les personnages sont complexes et je me suis très vite attachée à Yulia et Angora. J'ai hâte de lire la 2nde partie !
Bon courage pour la suite !
DanielPagés

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par DanielPagés »

Ah ! Le château dans le ciel... J'adore moi aussi ces dessins animés.
Faut dire que j'ai une conseillère en DA de choc, Auriane, mon illustratrice qui m'a initié au vrai beau film d'animation !
Allez, bosse bien pour la fac.
On attendra patiemment la suite des aventures de Yulia... ;)
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

1654 a écrit :Salut ! Je viens de lire toute la 1ere partie et je suis bluffée ! Cela fait longtemps que je n'avais pas lu quelque chose d'aussi bonne qualité. L'histoire sort de l'ordinaire par rapport à ce que je lis d'habitude dans le même genre. L'histoire est bien menée, bien construite et entraînante, avec juste ce qu'il faut de magie et de mystères pour maintenir le suspense. J'adore !
Les personnages sont complexes et je me suis très vite attachée à Yulia et Angora. J'ai hâte de lire la 2nde partie !
Bon courage pour la suite !
Bonjour et merci beaucoup pour ton commentaire !! :D
Je suis désolé j'ai été pas mal (beaucoup) occupé sur autre chose et ça fait quelques mois que je ne m'étais plus connecté au site :? (maxi désolé !)
Mais aujourd'hui je sors de ma léthargie et je vais lancer quelque chose pour ranimer mon monde ;)
DanielPagés a écrit :Ah ! Le château dans le ciel... J'adore moi aussi ces dessins animés.
Faut dire que j'ai une conseillère en DA de choc, Auriane, mon illustratrice qui m'a initié au vrai beau film d'animation !
Allez, bosse bien pour la fac.
On attendra patiemment la suite des aventures de Yulia... ;)
Ahah, moi c'est mon amie qui dessine mes personnages :mrgreen: elle a de très bons goûts ;) mais mon dessin animé préféré ne lui plait pas ! (même s'il reconnait qu'il est objectivement très bon) il s'agit du film d'animation Ghost In The Shell dont... dont... euh, je peux regarder ce film trois fois d'affilé en une soirée sans me lasser, ça dit à quel point je suis à fond dedans ? :lol:
Ah oui, il doit y avoir une suite ? Quand ça ? Hum, je ne sais pas... 8-)
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

Bon, je voulais poster ce soir... mais c'est rappé je suis trop fatigué ^^'
Un chapitre arrivera ce week-end ;) Et d'ici là j'essayerais de vous faire un petit résumé des intrigues politiques... ce qui n'est pas facile !
Prenez soin de vous, et à très bientôt <3
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

Bienvenue à tous ! Aujourd'hui prend fin quelques mois de vide pour le temps des Surplombs... En effet il s'est passé pas mal de choses dans la vie et mon moral comme ma santé a fait des hauts et des bas. Aujourd'hui cependant je trouve un peu de stabilité et, signe du retour du beau temps, j'ai réussie à reprendre l'écriture pour finir ce long chapitre qui trainait depuis trop longtemps !
Beaucoup beaucoup d'infos, aussi je vous suggère de relire les derniers paragraphes du chapitre précédent ;) Petit résumer :
La nouvelle de l'arrivée de l'Amiral Rouge sur Cathuba (vu dans le pov de Dick-Tales) a enfin atteint la Capitale, ce qui fait que les prétendants au titre d'Amiral pour succéder à Ford entrent dans une phase plus "musclée" et le spectre de la guerre civile s'agite pour la région de Yulia. Dans tout ça, le rôle de Nora Dihya Alvez, héritière d'un Surplomb régional qui compte vendre son mariage contre le secours à sa famille, prend des airs d'appat un peu trop parfait. Comme l'a dit Taylor, le prochain Amiral de Cathuba pour forcer l'Empereur a le nommer en prennant la région par la force ou par la diplomatie en s'alliant les plus importants soutiens.
C'est alors que doit se faire sa première apparition publique officielle : au bal tenu dans le bastion du Sénateur Hackso !


Pour ce chapitre, je ne vais pas joindre de musiques. Vous pouvez ressortir vos plus beaux morceaux classiques pour accompagner la lecture, moi je n'ai pas d'idée :oops:
J'espère que ce chapitre vous plaiera autant qu'il a été excitant pour moi à écrire !
On peut tous remercier Enora qui s'est donnée à fond pour la correction, malgré la longueur et le délais super court ! Elle déchire de ouf, allez visiter son blog !!
https://lesdreamdreamdunebouquineuse.wordpress.com/
Quand à nous... retrouvons enfin Yulia !



Chapitre 21 : le bal

Marisa disait que l’on pouvait mesurer l’importance d’un noble au nombre de personnes qui se rendent à ses fêtes. Elle aurait sans doute pris Viull Guiciss pour l’Empereur en personne.

Il se succédait, devant les portes du bastion du Sénateur, une prodigieuse armada de carrosses et de voitures. A la Capitale, un noble marchait peu lui-même : d’autres marchaient à sa place, portant à bout de bras une petite cabine capitonnée. Taylor avait pour cela engagé deux domestiques du Havre de Méléon, deux garçons un peu trop sombres pour être réellement Numien comme ils le prétendaient, mais de bons porteurs au sourire facile et à la perspicacité douteuse. Ils pensaient conduire l’héritière de Fezzan et cela les emplissait d’une fierté évidente. A côté d’eux, Angora, la carabine en travers du dos –son sabre de Dragon, trop reconnaissable, avait été confié à Emy Lynch– composait l’unique escorte armée de Nora Dihya Alvez.

De l’intérieur de sa cabine, Yulia jetait de petits coups d’œil anxieux à l’extérieur en entrouvrant les gros rideaux de velours. Le reste du temps, elle passait et repassait les doigts sur les plis de sa robe. Celle-ci, elle l’avait choisie entre trois modèles que Joshua et Margareth lui avaient apportés, insistant pour lui offrir une étoffe et ne jurant que par leur propre sens de la mode. Aucun principe n’avait pu la sauver de l’épreuve du corset. La pièce était en cuir, teinte d’un noir digne des pierres de chauffe, décorée à la main par des dorures reprenant les runes propre au Kharr Libe, un fameux récit mythologique Paamien. Ces attentions en faisaient une parure magnifique et désirable, à défaut d’être agréable à porter. Le corset enserrait une robe aux voiles safran, beige et cuivre, coupée droite et près du corps, sans manche. Sur les avant-bras, elle portait des bracelets en cuivre et, autour du cou, un collier du même métal, serré autour de sa gorge à la manière des reines de Saqqarah. Nora aurait sans doute trouvé, à raison, qu’il s’agissait là d’une tenue magnifique qui symbolisait parfaitement l’esprit des Alvez et de leur Surplomb de Fezzan, mais Yulia ne pouvait s’empêcher de se sentir piéger dans cette armure pour Dame, le torse emprisonné, la gorge serrée par un lien de métal.

Sans la main rassurante qu’Angora lui proposa lorsqu’on ouvrit sa portière pour la faire descendre, elle aurait sans doute craqué et pleuré comme elle l’avait fait, dix jours auparavant, en entrant au Temple de l’Abondance.

Dès que ses sandales touchèrent le pavé humide, elle fut éblouie par les lumières électriques qui inondaient le large perron du Bastion. En bas des marches se croisaient les différents cortèges, en un chassé-croisé incessant de costumes, de robes et de gilets. Les porteurs de cabines passaient devant ses yeux et toutes les couleurs se mélangeaient alors, jaune, rose, bleu et vert… tout se perdait dans un grand tourbillon qui n’avait pas de centre.

Angora lui toucha le dos de la main et elle se décida à avancer.

A partir du moment où elle entra en mouvement, le chaos alentour s’ordonna. On reconnaissait sa noblesse apparente, on s’écartait pour la laisser passer, on se rangeait sur le côté avec le plus grand zèle. Les porteurs de cabine la contournèrent avec largesse pour évacuer les lieux. Les couleurs arrêtèrent ainsi de tourner et ses pas se firent plus confiants sur le pavé.

De long tapis rouges s’écoulaient comme des cascades du haut perron, dévalant la série de marches dans trois directions différentes jusqu’à atteindre l’endroit où les invités descendaient de leur cabine. Il se pressait sur ces tapis une petite foule de nobles, impatiente d’entrer à la fête. Au niveau de la porte, trois majordomes accueillaient les participants au bal pendant qu’un lettré remplissait avec attention un registre qui devait contenir la liste des invitations. A ses côtés se tenait un beau jeune homme, aux dents trop blanches, ses cheveux sans couleur coiffés avec soin, vêtu d’un costume carmin à la dernière mode, une cape aux couleurs de l’amirauté de Cent-Port sur les épaules. Il distribuait les sourires et plaisantait gaiement avec les convives en attendant que le registre soit signé. Une fois cela fait, il ouvrait grand les bras et offrait à ses interlocuteurs d’entrer dans le Bastion. Ce petit numéro, il le répétait à tous ceux qui se présentaient, et tous acceptaient de feindre de rire et de partager sa complicité.

Yulia le reconnaissait d’après les descriptions que lui avaient faites Joshua et Margareth. Henry Riula Hackso, cousin du Sénateur. Promu officier dans l’armée de l’Amiral Renh pour flatter le Sénateur. Coureur de jupon, incompétent notoire. Il ne fallait pas être particulièrement perspicace pour deviner qu’on l’avait chargé de cette tâche ingrate pour l’éloigner du bal et des vraies affaires qui se dérouleraient ce soir-là. Cependant, le joli cœur semblait particulièrement passionné par sa corvée… il devait apprécier d’être en position de pouvoir, caresser les bienvenus et chasser les indésirables.

Avant de rejoindre la noblesse, cependant, Yulia dut passer sous le regard du peuple qui entourait la résidence. Sans aller jusqu’à approcher trop près de la façade du bâtiment, un grand nombre de personnes se bousculait pour observer les grands de l’Empire. On y trouvait aussi bien des pauvres aux pieds nus que des bourgeois en manteaux de velours. Parmi eux se trouvaient certainement des journalistes qui, comme Joshua et Margareth, vendaient cher les potins et les rumeurs qu’ils créaient parfois de toute pièce. Ceux qui n’avaient pu obtenir d’invitation se présentaient malgré tout, désireux d’apercevoir quelque chose qui échapperait à tous les autres. Douce illusion.

Nora Dihya Alvez avait obtenu une invitation pour sa personne, mais la lettre précisait qu’il lui était permis de se faire accompagner par deux serviteurs de son choix. Angora la suivait donc, en tant que son garde du corps. Avec Taylor, ils avaient bien réfléchi à déguiser un autre membre de l’Eclat mais… personne n’avait trouvé le courage de demander à Asha de jouer les soubrettes. Du moins, pas après avoir ri une demi-heure durant à cette idée saugrenue.

La fille de Ford monta donc les marches, sous le regard attentif de toutes les personnes alentours. Certains, plus informés que d’autres, chuchotaient déjà le nom de son identité d’emprunt : « Nora Dihya Alvez ! ». Joshua et Margareth n’avaient pas menti, la rumeur la précédait.

Henry Riula Hackso l’accueillit avec le même sourire satisfait que ses autres invités. De près, elle put constater qu’il n’avait pas hérité des yeux rouges, caractéristiques des origines Arkadienne de sa famille. Il raconta une blague qu’elle écouta à moitié et rit seul. Yulia, pétrifiée, craignait de perdre sa contenance à l’instant où elle ouvrirait la bouche. Lorsque le scribe réclama son nom, elle desserra à peine les lèvres et parla aussi vite qu’elle put. Il lui demanda de répéter distinctement et elle dut inspirer profondément pour ne pas perdre ses moyens. Quand le lettré fut satisfait, il inscrivit du bout de sa plume la mention « accueillie » à côté du nom de l’héritière de Fezzan. Henry, lui, ne semblait pas vexé de ne pas avoir été considéré. Il lui fit passer la porte, lui glissant à l’oreille :

— Bienvenue chez nous, mademoiselle Alvez. Si vous avez besoin de quoi que ce soit… venez me trouver à la porte.

La proposition fut entendue, à défaut d’être considérée.

Dans la galerie, les gens qui étaient passés avant elle s’attardaient quelques instants. C’était un couloir très large, illuminé par des plafonniers en porcelaine. Manifestement, les Hackso n’avaient pas vu en l’électricité une dépense futile : la moindre pièce de leur Bastion en semblait équipée. Avaient-ils leur propre générateur quelque part ? Ou bien les Hauts quartiers partageaient-ils un réseau ? Elle chassa bien vite ce genre de question : Yulia s’y intéressait, pas Nora. Et elle devait garder en tête son personnage avant tout.

De grands miroirs couvraient les murs opposés de la galerie, si bien que, lorsqu’on y marchait, une armée de sosie défilait à vos côtés. Quand elle s’en aperçut, Yulia eut envie de prendre ses jambes à son cou. Mais c’était peut-être pour ces miroirs que les nouveaux arrivants flânaient ici quelques instants : ils se regardaient, examinaient leur mine une dernière fois et, sous couvert de papotages, rassemblaient leur force avant d’entrer dans l’arène. La fille de Ford, elle, sentait que si elle ne sautait pas immédiatement à l’eau, elle n’en aurait plus jamais le courage. Elle allongea donc le pas, rentra la tête dans les épaules, et se borna à ne regarder que la porte entrebâillée qui donnait sur le grand hall.

Un majordome lui ouvrit un battant pour lui économiser le mouvement. Alors, elle fut dans la salle de bal.

Le Bastion tout entier paraissait organisé autour de cette pièce. Il s’agissait d’un gigantesque pentagone, couvert d’un parquet lustré et brillant, dont les murs s’élevaient sur trois étages jusqu’à atteindre une verrière démesurée aux couleurs éclatantes. Des portes gravées de scènes mythologiques se distinguaient sur trois des cinq murs du parterre tandis que dans les étages s’ouvraient des galeries aux colonnes de marbre rose. Le quatrième mur était occupé par une estrade sur laquelle un orchestre installait ses instruments. Le cinquième mur, par contre, sur l’intégralité de sa hauteur de quinze mètres, présentait une magnifique fresque de couché de soleil vu du Temple de la Victoire : on y reconnaissait les différents quartiers de la Capitale, son port, et jusqu’aux flèches graciles du palais impérial, sublimé par la lumière du couchant. Au centre du panorama, un drapeau aux proportions exagéré flottait au vent : il affichait ce que Yulia devina être l’emblème de la famille Hackso, un faucon albinos aux yeux enflammés.

Le moindre élément de la salle se révélait décoré de gravures et de fioritures, des murs au mobilier en passant par les six imposants lustres en cristal qui pendaient, suspendus par de lourdes chaînes fixées à la pierre du troisième étage. Des câbles électriques couraient le long de celles-ci pour alimenter la centaine d’ampoules qui éclairait l’orchestre, la piste de danse et les tables de repos.

Il n’y avait pas encore foule dans la salle de bal, seulement une vingtaine de personnages, sans compter les domestiques et les serviteurs qui s’affairaient pour les servir. Le couple de journaliste l’avait prévenue : « plus un noble se voit comme important, plus il arrive en retard ». Comme Yulia s’était immobilisée en entrant, une petite femme en habits de gouvernante s’approcha pour lui demander où elle souhaitait s’établir. Ne sachant guère quoi répondre, elle se laissa guider jusqu’à une petite table –à peine digne du titre de guéridon– où elle s’assit.

On lui demanda si elle désirait manger quelque chose. L’heure du dîner était passée depuis un petit moment et elle n’avait certainement pas envie de remplir cet estomac qui se retournait et se tordait à cause du stress. Voyant que personne d’autre ne mangeait dans la salle, elle déclina la proposition. La domestique s’éloigna alors après lui avoir souri et s’être inclinée.

Angora se positionna juste derrière son épaule gauche, sans afficher la moindre émotion. Sa protégée s’était inquiétée de sa venue : et si elle croisait un autre Dragon Impérial et qu’elle était découverte ? Et si un Sénateur la reconnaissait ? La femme au bras d’acier ne s’alarmait pourtant pas : elle jurait que la teinture sur ses cheveux faisait illusion et que les lunettes empruntées à Taylor la rendaient invisible. Elle avait pu le vérifier : depuis qu’elle était descendue de la cabine, tout le monde avait regardé Nora, et personne n’avait fait attention à sa garde du corps. Cela semblait également faire partie du protocole de politesse : il n’était pas rare, dans le Bastion, de croiser des hommes d’armes chargés de la protection d’un noble, mais on les ignorait ostensiblement lorsque l’on se parlait.
Angora n’avait pas tort quand elle disait être invisible.

La fille de Ford aurait aimé bénéficier du même traitement. Depuis la table qu’on lui avait choisie, elle avait vu sur toute la pièce, mais l’inverse était également vrai et on s’intéressait à elle. Dès qu’elle croisait certains regards, cependant, ses observateurs détournaient les yeux et faisaient mine de s’intéresser à autre chose, sans arrêter pour autant de discuter avec leur troupe. Combien de ces petits groupes discutaient actuellement de Nora et de l’histoire des Alvez ? Elle n’avait aucun moyen de le savoir, mais espérait que les journalistes n’avaient pas trop bien fait leur travail.

Elle n’était pas la seule à s’être assise. A mesure que les nouveaux arrivants sortaient de la galerie, les chaises autour d’elle se remplissaient, sans pour autant que l’on ose occuper une place trop proche de la curiosité venue du sud. La piste de danse occupait les deux tiers de l’espace de la pièce, en son centre parfait. Tout autour s’étalait l’espace dédié aux tablées. Les gens se tenaient encore pour la plupart debout, aux bords du cercle central, quand leur hôte apparut pour la première fois.

Elle entendit distinctement quelqu’un s’exclamer :

— Voici le Sénateur !

Tous levèrent alors les yeux vers une galerie du deuxième étage. Malheureusement, Yulia se trouvait dos à la façade qu’ils fixaient tous. Elle eut beau se retourner sur sa chaise, elle ne vit rien car elle était trop proche du mur. Le Sénateur ne dit pas grand-chose –il dut se contenter de remuer la main– mais ses invités ôtèrent leurs chapeaux et levèrent leurs canes en signe de respect. Pas tous, cependant, puisque certain et certaines poursuivirent leur discussion comme si de rien était. Etait-ce l’une de ces subtilités politiques auxquelles on lui demandait d’ouvrir l’œil ? Yulia n’en savait foutrement rien, mais elle préféra se tenir immobile plutôt que d’envoyer un signe qu’elle n’aurait pas voulu.

L’orchestre commença à jouer peu après et la salle se remplit progressivement.
La constante exposée par Margareth se vérifiait bien : « plus un noble se voit comme important, plus il arrive en retard ». Elle ne pouvait identifier personne jusqu’à ce qu’entrent deux femmes, très grandes et fines, enroulées dans de longs pans de tissus mauves aux motifs d’argents. Leurs yeux presque entièrement blancs étaient soulignés par un fin tatouage au henné qui s’étirait de la base du nez à leurs oreilles. Yulia les reconnut, car on lui en avait parlé quelques fois à Cathuba, et parce que les journalistes lui en avait tantôt présenté des portraits. Les Harpir, mère et fille, matriarches d’une des trois Familles de Razabha. Leur regard acéré se saisit de la pièce et poignarda la moindre personne présente. Elles prirent cependant conscience qu’elles étaient arrivées avant leurs concurrents pour l’Amirauté… et cela faillit faire virer leurs yeux du blanc au rouge.
Vexées, elles s’assirent loin de tous et prirent une domestique en grippe pour se passer les nerfs.

Angora se pencha vers sa protégée :

— Tu as déjà rencontré les Harpir ?

— Non, elles ne sont jamais venues à Cathuba.

Elle anticipa également sa prochaine question :

— Impossible qu’elles connaissent mon visage : mon père n’a jamais fait faire de portraits de moi…

Elle s’en était parfois vexée, autrefois, car même Senex avait eu droit à sa peinture. Aujourd’hui, elle commençait à penser qu’il s’agissait d’une sage précaution prise par l’Amiral Ford. Angora hocha la tête et retourna à son observation passive. Elle lui toucha cependant l’épaule quelques secondes plus tard, pour lui indiquer un bonhomme ventru qui se faufilait hors d’une porte de service.

— Mercer de Qadim, présenta celle qui se faisait passer pour une mercenaire. Un riche marchand aux pratiques douteuses, ton père l’Amiral Ford a souvent hésité à le faire juger pour piraterie mais on manquait de preuve. Il est devenu frère par alliance du Seigneur Azkedir il y a trois ans de ça et, depuis, il intrigue pour lui.

— Qu’est-ce qu’il faisait dans les couloirs ?

— Il devait avoir un rendez-vous, une discussion à un balcon, peut-être même avec un Sénateur…

Yulia mourait d’envie de partir enquêter, mais elle devait se retenir pour continuer à jouer le rôle de Nora.

— Le Seigneur Azkedir m’a déjà vue à Cathuba il y a…

Elle hésita deux secondes.

— … cinq ans.

Angora sourit.

— Une chance qu’il ne soit pas là en personne à la Capitale, dans ce cas, mais peut-être est-il en chemin. C’est peu probable qu’il te reconnaisse, car une enfant change énormément en cinq ans. Cependant, Qadim n’est pas très éloigné de Fezzan… il connaît peut-être Nora Dihya Alvez.

— Merci de me rassurer, ironisa Yulia.

— Il n’est pas à la Capitale, Taylor n’aurait pas pris le risque sinon.

Ce point était discutable, mais la fille de Ford n’était pas d’humeur. Garder l’impassibilité de son rôle lui demandait déjà assez d’énergie.

Heureusement, il y avait de quoi se distraire, au bal. A commencer par la musique : elle retrouvait cet état de grâce qui l’avait envoûtée à Hab’Kir, servi par une vingtaine de musiciens. Les mélopées changeaient cependant, moins vives, plus lyriques, quelque chose de plus sage et poli.

Sa seconde distraction consistait à essayer d’identifier les nobles qui passaient les portes pour se joindre au bal. Elle avait l’impression de découvrir un nouveau jeu, dont elle n’avait pas disputé assez de partie pour y être douée. Joshua et Margareth lui en avaient cependant enseigné les bases et, de ce fait, elle ne manqua pas de remarquer l’entrée des sénateurs et de leur cour.

Ces hommes, composant l’organe de pouvoir le plus puissant de la Capitale, si ce n’est de l’Empire et du monde des Surplombs tout entier, entrèrent dans la salle comme un oiseau de proie fend une nuée d’étourneaux. Les autres nobles se bousculèrent pour leur laisser le passage… et même les musiciens semblèrent marquer un temps d’arrêt respectueux. Ils marchaient lentement, chacun à la tête d’une procession réduite de courtisans, suivis de leurs femmes et de leurs enfants.

Costumes de velours, cols arrogants, souliers vernis, robes aux doublures carmin, colliers éclatants de perles, bagues d’or et d’argents, médailles et distinctions au cœur.

Angora parla bas, comme si elle craignait soudain de faire plus de bruit que nécessaire :

— Sénateurs Baumann, Aguillera, Kaltià et Bromsberg. Je ne pensais pas qu’ils seraient si nombreux à faire le déplacement…

— Ils ne sont pourtant que quatre, fit remarquer Yulia.

— Il y en a six de plus aux balcons, révéla la Dragon. Plus du tiers des familles sénatoriales est présent…

La fille de Ford ignorait comment sa protectrice pouvait être au courant de ce qui se passait dans les étages… avait-elle raté quelque chose plus tôt ? Comme s’ils souhaitaient confirmer les paroles de la fausse mercenaire, les Sénateurs et leur cour ne firent que traverser la salle de réception en répondant aux sourires et aux marques de respect. Les domestiques du Bastion Hackso s’empressèrent de leur ouvrir les portes menant aux étages. Les balcons étaient, semble-t-il, réservés aux gens de cette caste très restreinte.

Yulia pensait avoir assisté à la conclusion du premier acte de la soirée, l’apothéose qui clôturerait le défilé des acteurs. Tout avait suivi une logique rigoureusement théâtrale : les personnages indépendants, puis les serviteurs, et enfin les maîtres… Mais elle n’avait pas pensé à tous les acteurs de ce récit.

Derrière les maîtres suivaient les chiens.

Des hommes et des femmes au pied raide et au port de tête strict, serrés dans des uniformes noirs à col haut. Un croissant rouge leur était cousu au cœur. Ils étaient deux.

Deux Inquisiteurs Impériaux.

Le cœur de Yulia se figea et les yeux fous de Viral Hun Automne ressurgirent de sa mémoire, s’extirpèrent du cachot sombre où elle les avait exilés.

Une seconde durant, elle se crut plongée dans un cauchemar. Autour d’elle des murs de briques se dressaient, dégoulinant d’eau croupie et de sang, les lumières s’éteignaient et elle entendait le métal se tordre. La terreur lui saisit la gorge et serra jusqu’à la faire suffoquer.

Puis Angora posa la main sur son épaule et l’obscurité éclata.

Elle fut de retour dans la salle de bal, qu’elle n’avait pourtant jamais quittée, et un long frisson lui parcourut l’échine.

Avec ses mains, elle palpa ses bracelets, sa robe, ce corset qui l’enserrait et la broche qui lui retenait les cheveux. C’était le corps de Nora Dihya Alvez qui était présent, là, dans cette salle. Ce n’était pas Yulia qu’ils pouvaient blesser, ce n’était pas Yulia qu’ils voyaient en cette jeune fille habillée comme une adulte.

Nora n’avait aucune raison d’avoir peur comme Yulia.

Alors elle sourit quand les Inquisiteurs balayèrent la salle du regard. Elle sourit malgré la peur qui saisissait ses muscles. Elle combattait cette peur qui n’était pas la sienne. Juste aujourd’hui, ici et maintenant, elle devait tuer Yulia Mangora. Elle ne devait plus exister.
La musique reprit. Les Inquisiteurs ne montèrent pas rejoindre les Sénateurs. Les chiens mangeaient avec les serviteurs.

Le plus grand des deux, un homme aux cheveux gris plaqués contre son crâne, adressa un regard ambiguë à sa camarade. Le second Inquisiteur était une femme, habillée à son pareil, mais il se sentait entre eux comme une résistance. La langue du premier claqua un ordre bref, que personne ne réussit à entendre, et il se détourna de sa consœur pour aller se mêler à quelques nobles qui s’attablaient près des musiciens.

Yulia observait l’Inquisitrice avec les yeux les Nora. Le silence qu’elle avait imposé à la fille de l’Amiral lui permit de ne pas paniquer lorsque la femme en noir passe entre les tables pour venir en sa direction.

La fille des Alvez regarda autour d’elle et constata que les dernières tables non-occupées l’entouraient. L’avait-on assise à un endroit déserté ? ou bien personne n’avait-il voulu s’asseoir proche de la nouvelle invitée à la cour ? Elle commençait à soupçonnait une méchante blague, quelque jeu mesquin, mais manifestement l’Inquisitrice s’en souciait peu.
Elle prit une chaise à la table voisine. Elles étaient à présent assez proches pour s’attraper si elles tendaient le bras.

Sa nouvelle voisine portait bel et bien l’uniforme de l’Inquisition. Sa peau était cependant plus pâle que la majorité des invités au bal et elle semblait être à peu près de l’âge d’Ashä. Elle avait des petits yeux las, qui brillaient pourtant d’un bleu éclatant. Ses cheveux soignés, châtain clair, tombaient en fines mèches bouclées jusqu’en haut de sa nuque qu’elle avait rasée. Son costume paraissait trop serré pour ses hanches et sa poitrine.

C’était comme si on l’avait rabotée et tassée pour entre dans le moule de sa fonction.
Quand le regard de l’inconnue croisa le sien, Yulia retint son souffle, honteuse de l’avoir ainsi dévisagée. Mais l’Inquisitrice ne s’en offusqua pas.

— Je ne vous ai jamais vue ici, remarqua-t-elle.

Un instant, Yulia crut être démasquée. Mais son interlocutrice se contenta de lui glisser un timide sourire.

— Bienvenue, je m’appelle Merriam.

— Je suis Nora Dihya Alvez, répondit Yulia qui savait qu’on attendait d’elle qu’elle réponde et fasse bonne impression.

Manifestement, son nom n’évoqua rien de particulier pour l’Inquisitrice qui fit mine de l’inscrire dans sa mémoire mais se désintéressa vite du sujet. La rumeur lancée par les journalistes n’avait-elle pas atteint l’Inquisition ? Peu probable, vu leur présence dans les rues et chez les nobles. Alors peut-être était-ce Merriam qui n’était pas tenue informée chez l’Inquisition ?

Cela soulevait soudain un certain nombre de questions chez Yulia, mais aucune d’entre-elle n’avait à sortir de la bouche de l’héritière des Alvez.

L’orchestre fit une pause et les domestiques se croisèrent pour servir le repas. On posa devant la jeune fille une pleine assiette de patates douces coupées en dés et cuites à l’huile, accompagnée de croquants de pois-chiche au cumin puis on lui apporta serviette et couverts. On lui proposa du vin, qu’elle refusa.

Elle n’était pas une experte en nourriture, mais ses connaissances suffisaient pour dire que ce repas devait avoir coûté plus d’argent que certaines de ses robes. La patate douce était un met raffiné, importé il y a peu du Nouveau Monde. Quant aux épices… ce n’était pas pour rien qu’une famille comme les Alvez avait pu s’enrichir considérablement par leur commerce.

Sa voisine ne montra pas le moindre étonnement devant la richesse du plat. Elle utilisa les petits couverts avec bien plus d’agilité que Yulia et le repas sembla la sortir un peu de sa morne humeur.

— C’est la fourchette à dessert que vous tenez… fit-elle-même remarquer à la jeune fille qui la maniait pour planter ses bouchées.

Elle s’empourpra. Voilà une erreur qu’elle n’avait jamais commise lors de ses entraînements avec Joshua et Margareth ! Ce devait être la présence de cette femme qui la perturbait. Derrière le masque de Nora, Yulia ressentait tour à tour de la peur et de la curiosité pour cette Inquisitrice au regard triste. L’affrontement de sa curiosité et de sa crainte monopolisait toute son attention.

Tandis que la jeune fille en robe s’efforçait de retrouver une contenance, Merriam s’attendrit et lui pointa discrètement la bonne fourchette à saisir.

Yulia fut bien forcée de la remercier d’un signe de tête et, alors, plus rien ne pouvait la soustraire à une conversation :

— Vous venez souvent chez le Sénateur Viull ?

— Non, madame, c’est la première fois.

— Ce doit être plutôt impressionnant…

Elle hocha la tête, penaude.

— Oui madame.

— Quel âge as-tu ?

— Quinze ans, madame.

— Tu fais plus jeune…

Yulia avait effectivement treize ans.

— On me le dit souvent, madame.

Merriam grimaça.

— Les gens ne m’appellent pas madame, en général. Ils préfèrent me donner du Lieutenant.

— Vous préférez que je vous appelle Lieutenant ?

— Non, je préférerais qu’on m’appelle par mon nom.

— Merriam ?

Elle lui adressa un drôle de regard, aussitôt suivi d’un petit sourire qui paraissait bien plus franche que les précédents. Ce n’était plus juste de la politesse.

— Ce n’est pas à ce nom-là que je pensais, mais c’est bien mieux que madame. Merci.
La petite hocha la tête.

— Tu ne sais pas qui je suis, n’est-ce pas ? demanda sa voisine, soudainement beaucoup plus amicale.

Elle commençait à sourire sans se retenir. Ses yeux avaient retrouvé un peu de vie.

— Vous êtes… Lieutenant d’Inquisition ? tenta Yulia.

L’autre pouffa de rire, puis joua des épaules pour se redonner une contenance. Son rire n’était cependant pas une moquerie. Il ressemblait davantage à… un soulagement ?

— Ça oui, je suis Lieutenant ! Mais je doute de devenir Colonel un jour…

Elle pointa le doigt vers l’autre bout de la salle, droit vers son camarade Inquisiteur, tout de noir vêtu.

— Tu vois mon partenaire ? C’est Rawen Mozang Shiqqera, l’un des dix Colonel Inquisiteurs qui servent le Sénat. Je suis sa Seconde, c’est-à-dire que je l’accompagne partout et lui obéit jusqu’au jour où il me promeut officiellement Colonel. Shiqqera lui-même a passé un an à être Second avant de devenir Colonel… Mais tout le monde sait parfaitement qu’il ne compte pas me promouvoir. Je resterais Lieutenant.

— Pourquoi ?

La curiosité l’avait emporté sur la peur de l’uniforme. En plus, Merriam dégageait quelque chose, une impression qui ne faisait pas très autorité. Quelque chose qu’elle n’avait connue, il lui semble, que chez Smath, le chef des Gardes du Surplomb de Cathuba. Et c’était un Inquisiteur qui l’avait tué…

Peut-être que Merriam, si elle avait remplacé Viral, n’aurait pas commis toutes ces atrocités ?

— C’est compliqué…

Elle se dandinait sur sa chaise, mal à l’aise. Ce n’était définitivement pas une attitude d’Inquisiteur mais, avant que Yulia ne puisse l’interroger davantage, une domestique vint les interrompre :

— Le Seigneur O’zir vous sollicite, mademoiselle Alvez. Il vous invite à partager un verre au deuxième balcon en compagnie de sa fille.

Yulia fut prise de court, mais les leçons de Joshua et Margareth lui revinrent vite à l’esprit. On ne refusait pas l’invitation d’un noble, en tout cas pas avant d’être certain de pouvoir le vexer sans conséquence. Ce furent ensuite les leçons d’Yssandre qui lui revinrent et elle adopta le bon parlé :

— Je suis pleinement disposée à le rencontrer. Me montreriez-vous la voie ?

La domestique hocha poliment de la tête et invita la jeune fille à se lever pour la suivre.
Angora leur emboîta le pas mais Merriam, qui n’avait pas raté une miette de la scène, siffla l’héritière des Alvez.

Yulia se retourna, intriguée. L’Inquisitrice paraissait disposée à la conseiller sur la marche à suivre.

— Il est mal vu d’emmener son garde-du-corps lorsqu’on est invité dans une loge. C’est une preuve de méfiance inutile qui ne jouera pas en votre faveur, Nora.

Comme tous les autres invités, Merriam n’avait pas une fois posé précisément les yeux sur Angora, aussi Yulia était bizarrement surprise qu’elle l’ait remarquée. Le conseil était cependant avisé, mais elle pouvait voir que l’idée ne plaisait pas à Angora qui fronçait les sourcils.

La Dragon devait pourtant se résigner. Ce n’était pas elles qui faisaient les règles ici.
Alors que l’Inquisitrice Merriam se voyait servir un verre de vin, Angora retournait à sa place, derrière le siège à présent vide de Nora qui partait remplir son devoir, la boule au ventre.





On l’avait fait monter par un escalier en colimaçon étroit, caché derrière les cuisines. Elle était certaine qu’il ne s’agissait pas là de l’accès officiel aux étages et pensait donc que le noble qui la convoquait ne souhaitait pas forcément que son invitée soit vue.

Ce qui arrangeait Yulia. Elle ne croisa que des domestiques et n’eut pas à subir les regards intéressés. Ce qui lui permit de prendre quelques grandes inspirations avant de se confronter à l’épreuve du Seigneur O’zir.

Il s’agissait d’un noble plutôt en vue, que Yulia reconnut d’après les descriptions de Joshua et Margareth. Sa famille était originaire du Surplomb de Göreh, dans le Protectorat d’Œcar, mais il avait fait sa vie à la Capitale. Cori Habilum O’zir était ainsi devenu, après des années de zèle courtisan, l’un des trois Régulateurs Commercial au port Impérial, une charge prestigieuse.

C’était un gros bonhomme, ventru et huileux, qui se régalait des petits fours que lui offrait la maison. Il avait sous le menton une masse de graisse formidable qui le faisait ressembler à un crapaud et qui, dès qu’il partait dans un éclat de rire, se dodelinait comme une danseuse de charme.

Il accueillit l’héritière des Alvez avec manière et la fit s’asseoir face à lui, sur un gros coussin, tout en lui proposant des gâteaux qu’elle refusa par crainte de rendre le repas dont elle sortait tout juste.

La loge se situait à mi-hauteur de la salle et présentait bien plus de confort que le rez-de-chaussée : il y avait des draperies, des fauteuils garnis et le service accourait au moindre son de clochette. Six personnes entouraient Cori Habilum O’zir, mais une seule lui fut présentée : Lucia Aeria O’zir, sa fille cadette, assise aux côtés de son père sur un coussin semblable à celui de Yulia. Frêle et timide, elle semblait encore plus étrangère au monde de l’intrigue que l’héritière des Alvez.

La personne qu’observait Yulia, cependant, se tenait debout, derrière son père, la main posée consciencieusement sur la poignée de son épée. Reth Saïd O’zir, second fils du Seigneur, Sergent du Palais. D’après Joshua et Margareth, c’était cela la plus grande fierté d’O’zir : qu’un membre de sa famille intègre le plus prestigieux des corps militaires : la Garde Impériale.

Sur l’échiquier politique, cela faisait en théorie de Cori Habilum O’zir un partisan de l’Empereur. En théorie seulement, puisque, vu son poste de Régulateur Commercial, le bon-vivant devait entretenir également de bonnes relations avec le Sénat. Un schéma fort classique en vérité, selon ses instructeurs, que celui du courtisan opportuniste qui essaye d’éviter les querelles partisanes. Beaucoup jugeaient cependant que cette position n’est pas tenable sur le long terme, mais le Seigneur O’zir ne semblait pas en avoir encore fait les frais.

Si ce dernier avait invité Nora Dihya Alvez à partager sa loge, c’était pour lui proposer une affaire qu’il formula sans l’enrober d’aucun artifice : il souhaitait que Nora devienne la demoiselle de compagnie de sa fille, Lucia, le temps de son séjour à la Capitale, en échange de quoi il se proposait de l’aider dans sa tâche et de mettre à sa disposition les moyens de sa maison.

C’était, sans surprise, tout à son bénéfice : Nora Dihya Alvez était l’héritière d’une famille noble, d’un rang bien supérieur à la fille d’un noble qui n’était même pas le souverain de son Surplomb. Si la fille O’zir se voyait pourvue d’une si prestigieuse amie, sa cote monterait en flèche et son père pourrait vendre son mariage à un meilleur prix. De l’autre côté du tableau, il était aussi gagnant car il avait correctement entendu les rumeurs qui disaient que Nora était venu chercher un mari à la Capitale en échange d’une aide pour le Surplomb de Fezzan : en hébergeant l’héritière, il se plaçait de facto au centre des négociations quant à la nomination du nouvel Amiral de Cathuba, une position dont il pouvait abuser pour percevoir pots-de-vin et cadeaux de titres. Il investissait très peu –tout au plus une centaine de pièces d’or– pour des gains possiblement très conséquents.

Yulia déclina son offre, le plus poliment qu’elle put. Suivant un conseil de Taylor et du couple de journalistes, elle lui confirma qu’elle était la recherche d’un mari puissant désirant venir au secours de Fezzan.

— Je vous remercie pour votre proposition, Seigneur O’zir, mais Fezzan a besoin de navires, de soldats et d’argent. Trouver un mari est la seule chose que je demande.

Elle avait craint un instant qu’il lui propose effectivement un mariage, mais le Régulateur Commercial n’était manifestement pas prêt à investir tant que ça pour s’immiscer dans les affaires du Sud.

Après un dernier échange de frivolités, il la renvoya.




Regagner le plancher de la grande salle fut plus difficile que prévu. La porte par laquelle on l’avait introduite à cet étage s’était volatilisée sans qu’elle y ait prêté attention. Peut-être était-elle cachée derrière une draperie ou un de ces lourds rideaux, mais comment en être sûre ? Plutôt que de balader ses doigts n’importe où, Yulia se résigna à suivre la galerie jusqu’au prochain escalier.

Cette marche l’exposa cependant aux regards des nobles qui, comme O’zir, avaient pris leurs aises dans les loges. La quasi-totalité d’entre-eux laissaient en effet leur porte entrebâillée –quand elle n’était pas totalement ouverte– et ne manquaient pas de prêter un coup d’œil à toute ombre distinguée qui passait furtivement devant leur battant. La fille de Ford ne s’en étonnait pas beaucoup : leur jeu ne changeait pas, en bas aux tables comme en haut aux loges, l’important était de se faire voir aux côtés de certains, sans oublier de surveiller les acoquinements de ses rivaux et alliés.

Elle croisait plus de monde que dans les couloirs de service mais, à son grand soulagement, il s’agissait pour la plupart de courtisans et courtisanes sans importance qui montaient ou descendaient comme elle pour répondre à la volonté d’un noble –bien qu’elle soupçonne que certains d’entre-eux se promenaient ici uniquement pour se donner de l’importance, prétendant être demandés par une loge.

Elle s’engageait à peine dans un escalier aux marches couvertes de tapis Paamiens quand lui parvinrent, du bas, l’écho des voix d’une petite troupe. Elle se raidit immédiatement car personne, dans ces couloirs, n’osait faire autant de bruit, parler sans couvrir sa voix… personne ne se sentait aussi légitime à imposer sa présence. Yssandre le lui répétait souvent : la marque la plus évidente de hiérarchie sociale se trouve être la voix, la façon de parler, de couvrir, de dominer l’autre dans la prise de parole. Il trouvait son interprétation de Nora convaincante, mais il la trouvait encore trop timide, disait qu’elle ne parlait pas assez fort pour une noble.

Une critique qu’on ne pouvait pas faire au groupe qui montait alors son escalier. C’était presque s’ils criaient, tant ils s’esclaffaient et beuglaient avec plus d’entrain les uns que les autres. Etaient-ils ivres ? Elle sût que non lorsqu’elle les vit enfin : une demi-douzaine de jeunes hommes, vêtus de pourpoints impeccables et de longues capes en satin mauves ; ils gesticulaient bien dans tous les sens -levant les bras, désignant leur gorge quand ils riaient, s’amusant à sauter de marches en marches- mais pas un ne perdait le contrôle de ses mouvements ou ne renversait son verre de vin. Il y avait deux grands bruns, aux sourires d’ange, qui portaient au cou le nœud des magistrats de Justice – un ordre de notable qui arbitrait les procès lorsque l’Inquisition préférait envoyer un malfrat en prison plutôt que de l’abattre dans une ruelle-, un grassouillet gratte-papier qui transportait une besace plus large que lui, un maigre rouquin dont les joues pelaient de façon inquiétante -on aurait dit qu’il avait essayer de gommer ses taches de rousseur avec quelque produit chimique inefficace-, et un spadassin pas plus grand qu’eux mais au visage féroce, dont les longues canines étincelaient presque qu’autant que la lame nue du long sabre qu’il avait négligemment passé à sa ceinture.

Et, au centre de leur cohue, un jeune homme dont rien ne gênait le pas, qui parfois riait avec eux mais qui, le plus souvent, passait sous l’examen de son regard acéré le moindre grain de poussière qui osait croiser sa route.

Quand ces yeux se posèrent sur la jeune fille déguisée en héritière de Fezzan, l’homme sembla se désintéresser des pitreries de ses compagnons. Il ralentit l’allure, ce qui intrigua sa cohorte, et s’arrêta sur la même marche que Yulia qui, elle, s’était immobilisée à l’instant où elle les avait vus. L’homme avait un visage commun dans ses traits mais unique dans son expression. C’était comme s’il contrôlait le moindre de ses muscles faciaux et qu’il leur imposait une immobilité complète. Yulia, qui essayait de réduire ses mimiques depuis quelques jours, ne pouvait qu’être effrayée par cette perfection surnaturelle. Seules ses paupières se mouvaient, modifiant les touches de couleurs que l’on voyait dans ses yeux. Ceux-ci étaient de feu et de glace, conjointement. Il vous glaçait le sang et vous donnait l’impression que vos entrailles prenaient feu, tout à la fois, sans manifester le moindre effort.

Bien entendu, elle connaissait son nom. Joshua et Margareth l’avaient assez mise en garde.
« Il est Caesar Russ. On dit qu’il eut autrefois un nom de patronage mais qu’il en a banni la mention à son neuvième anniversaire, déclarant n’être sous le patronage de personne d’autre que lui-même. Jeune, ambitieux, sans morale. Il est le plus jeune Sénateur qui ait jamais siégé pour sa maison… certains disent également le plus dangereux. »

— Vous êtes Nora Dihya Alvez, dit-il quand il la tint dans son regard, on me l’a dit en bas.

Elle déglutit difficilement.

— Bonsoir, Sénateur… je vous présente mes hommages.

Se plier en deux pour lui faire la révérence fut difficile, tant son estomac se contractait. Il était le premier Sénateur qu’elle rencontrait en face… et il fallait qu’elle le croise dans un escalier, sans avoir pu préparer sa rencontre. Que pouvait-elle lui raconter ?

— Que faisiez-vous à cet étage ? Votre table est en bas.

— Le Seigneur O’zir m’avait invitée…

— Ce gros-lard est bien insolent de se mêler des affaires de la Bérudie ! pesta un des magistrats. Ne peuvent-ils donc jamais se contenter de ce qu’on leur donne, ces sales parvenus ? On devrait…

Le Sénateur tourna l’œil vers lui et il ravala ses paroles. La courte diatribe avait néanmoins choqué Yulia, qui autorisa Nora à afficher cette émotion. Cori Habilum O’zir était noble, et pas le dernier d’entre-eux ! A quel type élite fallait-il donc appartenir pour être légitime à le traiter de parvenu ?

— Veuillez excuser l’emportement de ma suite, le vin leur monte à la tête.

— Il n’y a eu aucun mal, assura l’héritière des Alvez.

Elle était cependant consciente que son regard témoignait de l’inverse. C’était bien : Yssandre lui conseillait de ne pas trop jouer. Réfléchissait-elle trop ? Il serait préférable qu’elle soit plus naturelle, mais c’était plus facile à dire qu’à faire lorsqu’on se retrouvait face à face avec l’un des hommes les plus craints de l’Empire.

— Vous êtes en ville depuis deux jours, à ce que l’on dit. Vous avez fait bon voyage ?

— Les vents ont été favorables et je n’ai pas été trop bousculée, répondit-elle d’abord. Mais… je n’avais pas l’esprit tranquille, après ce qui est arrivé à Fezzan –à ma famille – et je pensais sans cesse à ce qui m’attendais, ici, à la Capitale.

Un peu trop larmoyant à son goût, mais c’était probablement ce qu’un homme comme Caesar voulait entendre. Ses yeux se plissèrent et son regard se fit plus froid.

— Votre famille a affrété l’un de ses navires pour cette mission ?

— Non, ma mère les a tous mobilisés pour notre défense… J’ai embarqué à bord d’un navire marchand de passage, jusqu’à Qadim. J’y ai pris une fausse identité et j’ai payé un capitaine pour me conduire au nord, sans lui dire qui j’étais. J’ai encore changé de voile à Cent-port avant d’atteindre la Capitale.

Il était bien trop facile de vérifier si un navire de Fezzan avait accosté au port dans les derniers jours, encore plus s’il affichait les armoiries de la famille Alvez. Des navires anonymes arrivant de Cent-port, par contre… on devait en compter, au bas-mot, une trentaine par jour. Et combien d’autres avaient rallié Qadim ? L’information était impossible à vérifier.

— Quels étaient les noms de ces bâtiments ? demanda tout de même Caesar Russ, sans avoir l’air de l’interroger.

— Je ne m’en souviens pas.

Personne ne peut reprocher à une jeune fille noble de ne pas prêter attention à ce genre de détail. On attendait d’elle qu’elle se comporte en Dame, pas en marin.

— Puis-je donc demander où vous logez ?

— Ce n’est pas un secret, cher Sénateur…

Elle se fendit d’un timide sourire, voulant paraître agréable. Ce n’était en effet guère difficile à savoir : ils avaient fait fuiter l’information dans la presse, par l’intermédiaire de Joshua et Margareth, car on devait savoir où lui envoyer courriers et invitations. Caesar Russ jouait-il l’ignorant ? Sans doute que cet échange relevait plus de la politesse que d’un véritable intérêt de sa part.

— Je loge chez Méléon, hôtelier du quartier des Terrasses. Vous pouvez m’y envoyer une carte si…

Il l’arrêta par un mouvement sobre de la main. Avait-elle commis un impaire ?

— Ne vous méprenez pas, je ne souhaite pas jouer à ce jeu-là.

Derrière lui, ses gens pouffaient et couvraient par politesse leurs rictus de la main. Un sourire cruel se dessina sur les lèvres du Sénateur. Yulia en fut effrayée, car elle savait que le jeune homme choisissait sciemment d’afficher cette expression.

— Ce n’est pas que je ne puisse trouver d’amusement à éduquer une enfant, mais pensiez-vous réellement que je pourrais m’intéresser à votre… personne ? Sous votre robe, je ne vois qu’une gamine maigrichonne aux cheveux secs, cassants et ternes, sans parler de ce qui vous sert de poitrine. Ne vous mentez pas : vous aurez déjà de la chance si le chien du seigneur O’zir éprouve jamais du désir pour vous.

La sentence, terrible, retentit dans son crâne avec la violence des coups de canons qui avaient troublés la paix de Cathuba. Le choc fut si grand qu’elle en resta muette –et c’était probablement mieux ainsi. D’un commun accord, les mignons de Caesar se joignirent à la moquerie, par leurs regards acérés, par les mots qu’ils se glissèrent à l’oreille, par les rires francs qu’ils échangèrent enfin. Leur patron acheva d’écrabouiller l’insecte quand il fit un pas vers elle, pénétrant sans ménagement dans son espace vital, déclenchant en elle un long frison glacé qui naquit au bas de son dos et grimpa le long de ses vertèbres jusqu’à enserrer sa nuque. Quand il posa sa main délicate sur son épaule tremblante, elle étouffa un hoquet d’horreur.

Il la conseilla, d’un ton ferme :

— Mariez-vous pour sauver votre famille ridicule, mais ne vous imaginez pas mériter un seul des ronds de jambe qui vous seront faits dans les prochains jours. Et ne m’adressez plus jamais la parole sur ce ton.

Puis il partit, remontant l’escalier sans lui adresser plus d’attention. Pétrifiée, Yulia regarda passer ses compagnons, un à un, alors qu’ils lui adressaient des grimaces dévalorisantes. Seul le dernier de la troupe, le spadassin à l’air féroce, s’attarda plus que le temps d’un regard. Elle crut qu’il voulait lui dire quelque chose, car il semblait réfléchir, mais il se ravisa et sauta quatre à quatre les marches pour rattraper ses amis.

Après ça, l’escalier fut silencieux, mais on y entendait encore l’écho de la poudre. Yulia en avait oublié la raison de sa présence ici et mit quelques secondes à reprendre ses esprits. Ce ne fut que quand d’autres courtisans dévalèrent les marches, suivis par d’autres serviteurs, qu’elle se remit à marcher, machinalement. Ses pas la ramenèrent dans la salle du bal, sans qu’elle sache trop quels couloirs elle avait empruntés.

Angora fut à ses côtés avant qu’elle n’ait atteint sa place. La Dragon paraissait inquiète et la serrait plus près qu’à l’accoutumée.

— Quelque chose s’est mal passé en haut ? s’enquit-elle tout bas en serrant les dents. Tu nous reviens blême comme la mort !

— Tout va bien, mentit-elle.

Elle ajouta, un peu plus honnête :

— Il n’est arrivé rien de grave.

Mais qu’était-il arrivé au juste ? Yulia aurait bien du mal à y poser des mots à ce moment précis. Ses pensées s’étaient immobilisées comme un navire dont aucun souffle ne gonfle le Ballon. Arrêtées, au-dessus du Contrebas, sans un seul Surplomb en vue.

Le mieux était encore de ne plus y penser. Cet échange la grignoterait probablement lorsqu’elle essayerait de trouver le sommeil, mais dans l’immédiat Yulia avait des obligations à remplir. Nora avait des obligations à remplir.

Quand elle fut de retour à sa table, elle constata que sa voisine, l’Inquisitrice, n’avait pas bougé d’un poil. Peut-être avait-elle décroisé et recroisé les jambes, et encore ce n’était pas sûr. A la voir revenir avec sa petite mine, la dame en noir prit un air contrit. Sans doute imaginait-elle que Nora avait rencontré quelque déconfiture car elle lui dit :

— Quand un homme nous convoque, c’est trop peu souvent pour notre intérêt… Besoin de réconfort ?

Yulia fut forcée de répondre :

— Vous êtes bien bonne, mais je vais bien.

C’était un demi-mensonge, mais elle ne souhaitait pas qu’un Inquisiteur s’immisce dans ses affaires. Enfin, Yulia ne souhaiterait pas, car ce serait dangereux pour sa couverture. Nora, elle, aurait bien besoin d’une amie. Mais comme toutes ces choses étaient compliquées ! Ce jeu de double identité, d’intérêts parfois concordants parfois opposés, lui brouillait la tête.

Le Lieutenant d’Inquisition Merriam eut une moue guère convaincue à sa déclaration.

— Alors rassemble ton courage, jeune fille, car tu n’en as pas fini avec les sollicitations…

L’orchestre jouait sans temps mort. Avec la fin du repas, les gens s’étaient levés et avaient écarté les tables. A présent, on dansait au centre de la salle.

Yulia, encore un peu déboussolée par son aventure, ne comprit pas tout de suite le sens des paroles de la dame en noir. Ce ne fut que lorsqu’un jeune aristocrate –large col immaculé et fine moustache peignée– se faufila jusqu’à elles pour tendre sa main vers l’Inquisitrice, qu’elle identifia enfin la musique :

C’était une valse.

Merriam, sans ménagement, reconduisait chacun des prétendants qui se présentait devant elle. La fille de l’Amiral Ford l’observait avec un mélange d’étonnement et fascination. Pourquoi ces hommes venaient-ils trouver une femme qui ne portait pas de robe, pas de fins souliers, rien qui indique, enfin, qu’elle ait dans l’idée de se comporter en dame dans cette cérémonie aux codes bien ficelés ? Et si elle refusait leurs avances, était-ce parce qu’elle n’aimait pas danser ? Ou avait-elle d’autres raisons ?

Yulia, elle, en avait des raisons de refuser de se lever pour aller prendre part aux virevoltes. La jeune fille avait d’abord cru que personne ne s’intéresserait à elle, ayant constaté lors du dîner que bien peu souhaitait s’approcher de sa table. Mais elle avait tort au moins sur ce point car ils finirent par venir. Ils furent six à se proposer d’être son cavalier. Six qui se présentèrent successivement, devant sa table, en lui tendant une main gantée de blanc. Elle déclina toutes les offres.

— Je croyais que tu participais à cette fête, pas que tu souhaitais rester assise…

Merriam était intriguée par sa conduite. Il était vrai que, contrairement à l’Inquisitrice, la jeune prétendue héritière de Fezzan affichait tous les signes extérieurs d’une sociabilité noble. Robe, souliers, bijoux.

— Je ne suis pas une bonne danseuse, se justifia Nora. Et puis, je suis tout juste arrivée à la Capitale, je ne connais pas la moitié des hommes qui sont venus me voir. Qui sait leur rang ? leur allégeance ? ce que leur association apportera à mon image ? Je n’en sais pas assez pour choisir un cavalier qui ne me mette pas dans une situation délicate dont je ne serais pas avertie. Il y a trop de codes que j’ignore ici, je préfère être prudente.

Elle ne savait pas trop pourquoi elle s’était tant expliquée. Sans doute attendait-elle une validation de sa voisine, un signe enfin rassurant quant à sa conduite à cette soirée. Sa rencontre fortuite avec le Sénateur Russ l’avait laissée troublée, bien qu’elle se refusa à l’admettre.

Merriam afficha un petit rictus qui ne correspondait à rien de ce à quoi elle s’attendait. Était-ce de l’amertume ?

— Bien évidement, souffla-t-elle, il est toujours question de cela : la politique. L’étiquette, les bals et même les petites discussions n’ont que cela en objectif, ne servent qu’à matérialiser la concordance des intérêts de famille, de régions, de partis… Qu’est-ce donc que notre entente, à toutes les deux ? Qu’est-ce que cela leur dit, à eux, de nous voir discuter ? Leurs regards sont constamment braqués sur moi, m’interrogent, ils interprètent le moindre de mes actes comme la parole de mon allégeance, des intérêts de ma famille…

— C’est pour cela que vous les refusez tous ? tenta de décrypter Yulia. Pour vos intérêts ?
Elle fulminait à présent.

— Non ! Si je les renvois tous, ces grappilleurs de prestige, ces goûteurs de vins âcres, c’est parce que je refuse de jouer leur jeu. Suis-je habillée en dame de cour ? Je ne porte pas la robe mais l’uniforme de l’Inquisition. Je refuse qu’on m’utilise à des fins politiques. Je suis une militaire, pas une poupée, avatar de mon frère ! Tous semblent l’avoir oublié, à commencer par mon salaud de Colonel.

Elle attrapa la carafe de vin de son poing ganté et se versa un plein verre.

Yulia se garda bien de faire le moindre commentaire. Nora aurait dû être effrayée par cette infraction au protocole et prendre gare à ne pas être associée à une conduite qui puisse la desservir. Mais la fille de l’Amiral, sous le masque de l’héritière de Fezzan, se trouvait des excuses pour tolérer –voir apprécier– la conduite de l’Inquisitrice qui lui rappelait la sienne propre à l’époque où, sur Cathuba, elle refusait de devenir une dame et désirait voyager sur son propre navire.

Il y avait cependant quelque chose qui lui échappait, qui glissait entre les doigts de sa pensée lorsqu’elle essayait de l’identifier.

Sa discussion avec le Lieutenant Inquisiteur Merriam ne sembla cependant pas lui porter préjudice puisqu’ils furent encore trois à se proposer de la faire danser. Elle resta polie, tâchant d’éviter la tournure de phrase qui lui avait valu la colère du Sénateur Russe, mais déclina leurs offres comme les précédentes. C’était un conseil de Joshua et Margareth, car ceux-ci jugeaient son niveau de danse indigne de la cour. Et Yulia n’était pas contre éviter de se faire remarquer plus que nécessaire.

Du reste, elle observa les danseurs et les musiciens. De temps en temps, elle reconnaissait des visages ou des uniformes que lui avaient décrits le couple de journalistes et essayait de se rappeler leurs familles et fonctions, mais les individus les plus élevés ne dansaient pas. Les acteurs de la bataille pour l’Amirauté de Cathuba ne s’étaient plus montrés, d’ailleurs. Mercer de Qadim comme les Harpir. Et elle n’avait pas vu les autres familles. Les choses sérieuses se déroulaient sans doute dans les étages, comme lorsque le seigneur O’zir l’avait fait monter. Hors des regards et pourtant à portée de main.

Quand, enfin, les premiers invités commencèrent à repartir, elle sut qu’elle n’allait plus s’attarder longtemps. Il s’était écoulé plus ou moins quatre heures depuis qu’elle avait passé les portes. Amplement suffisant pour que tous aient remarqué sa présence, mais pas assez pour qu’elle eut risqué de commettre l’impair de trop.

Cependant, ce fut Merriam qui tira sa révérence la première. En effet, elle se leva dès qu’elle vit que son compagnon, le Colonel Inquisiteur, avait quitté le groupe qu’il fréquentait jusqu’alors. Il n’avait pas dansé, bien entendu, mais personne ne lui avait offert d’être sa cavalière. Ce devait être mal vu, de valser avec l’avatar de la mort.

— Shiqqera en a enfin fini avec ses affaires ! Nous n’allons plus nous attarder…

— Qu’est-ce qu’il faisait avec ces gens ?

La Lieutenant lui glissa un petit sourire en coin.

— Essayeriez-vous de me soutirer des informations ? A qui comptez-vous les vendre ?

Yulia rougit jusqu’aux oreilles mais, avant qu’elle ait pu ouvrir la bouche pour se défendre de telles intentions, l’Inquisitrice leva la main pour prévenir :

— Je plaisante ! Ne vous excusez pas si vous faites preuve de maladresse, c’est normal si vous venez d’arriver à la Capitale.

Elle désigna son compère du menton.

— Mon supérieur fait son boulot d’Inquisiteur. Il rappelait sa présence à ceux qui semblaient avoir oublié que le regard des Sénateurs pèse sur chacun d’entre-nous. Parmi les trois seigneurs avec qui il a dîné, deux se sont livrés, ces derniers mois, à des activités de contrebandes et de ventes non déclarées dont l’Inquisition a eu vent. Il ne leur a rien dit, notez bien, mais sa compagnie a suffi à servir d’avertissement… S’ils ne démantèlent pas leurs activités, les choses se passeront mal pour eux, et ils s’en souviennent à présent.

La fille de Ford était un peu perdue.

— Pourquoi me révélez-vous ça ?

Elle haussa les épaules.

— Les intérêts de l’Inquisition ne sont pas forcément les miens, et puis je veux vous faire comprendre quelque chose.

— Quoi donc ?

Merriam pointa son pouce contre son torse.

— Ne vous fiez à rien de ce que peut dire un agent qui porte cet uniforme. L’Inquisition n’est l’amie de personne, nous sommes les chiens de garde des Sénateurs et vous devez apprendre à voir lorsque nous montrons les dents. Vous devez apprendre vite, sinon vous vous ferez mordre.

Pleine d’une confiance un peu idiote, qu’elle était en réalité loin de posséder, Yulia répondit :

— Toi, tu ne me mordras pas.

Leur discussion l’avait mise en confiance et elle s’était reconnue dans certains reflets du portrait de l’Inquisitrice. Cette proximité de circonstance avait détaché totalement Merriam des Inquisiteurs qu’elle connaissait. C’était à peine si elle ne prétendait pas que la dame en noir n’avait jamais appartenu à cet ordre.

— Je l’espère pour vous, Nora.

La jeune fille réalisa alors qu’elle l’avait tutoyée par inadvertance, et son affirmation lui parut plus insensée que jamais. Est-ce que Nora aurait agi ainsi ?

La Lieutenant d’Inquisition la regardait à présent avec un regard indescriptible. Une sorte de mélange entre de l’étonnement et l’amusement ? Un brin de soupçon également, ou n’était-ce que son imagination ?

— Tu ne sais toujours pas qui je suis, n’est-ce pas ?

— Tu ne sais pas qui je suis non plus, répondit la jeune fille un peu trop vite en voulant se montrer malicieuse.

Merriam se tapota la tête.

— Nora Dihya Alvez, j’ai bonne mémoire. Et j’ai posé des questions sur toi pendant que tu étais avec O’zir. Ton histoire n’est pas commune, j’espère t’avoir aidé à saisir un peu mieux ce qui pouvait se jouer lors de ces soirées… Tu auras besoin de courage lors des jours à venir.

La femme lui offrit un salut de la tête, du genre de ceux qu’on adresse juste avant de s’éclipser. Dans un sursaut de lucidité, Yulia bondit :

— Attends ! Qu’est-ce que ça signifiait je ne sais toujours pas qui tu es ?

— Je ne t’ai pas donné mon nom complet, admit-elle. Je suis Lieutenant d’Inquisition, mais je suis aussi Merriam Téorine Matthias.

Yulia aurait alors juré avoir déjà entendu ce nom quelque part, mais il était trop tard.

Le Colonel Shiqqera passa non loin et lui adressa un signe de la main. L’Inquisitrice le suivit alors sans accorder à l’héritière des Alvez plus qu’un au revoir. Le duo passa la porte sous le regard de l’assemblée qui se mit à respirer plus librement suite à leur départ.

Angora s’approcha pour lui glisser à l’oreille qu’il serait, selon elle, temps de se retirer, mais qu’elle préférait attendre encore une dizaine de minutes pour ne pas risquer de croiser les Inquisiteurs dehors. Yulia approuva d’un hochement de tête distrait.

Les départs se faisaient à présent plus nombreux que les danseurs. L’héritière de Fezzan remercia les domestiques et se retira finalement avec le gros des nobles, escortée par sa mercenaire anonyme.
(à suivre immédiatement)
Dernière modification par Judas_Cris le dim. 21 avr., 2019 12:24 pm, modifié 1 fois.
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

Chapitre 21, suite


Quand elles franchirent enfin les portes du Lynch Bar après une heure passée à simuler un peu de vie dans l’hôtel puis une autre à se faufiler dans les ruelles pour éviter d’être vues, c’était un sacré comité qui les attendait. Tous les membres de l’Eclat qui les avait accompagnés à la Capitale étaient présent et avaient débouché quelques-unes des plus fameuses bouteilles d’Emy. On les accueillit par une ovation, on les prit par les épaules et on les assit pour leur porter un toast.

Quand Yulia demanda ce qui leur valait un tel accueil, Taylor retroussa ses babines dans l’un de ses plus fameux sourires.

— Méléon ne vous a donc pas dit ? On en a reçu une !

— Une quoi ? demanda Angora qui devait commencer à penser qu’on leur jouait quelque sorte de blague.

Le Capitaine Corsaire glissa sa main dans le replis de son manteau, comme s’il avait préparé une scène de théâtre. Non, pas comme si : Yulia était certain qu’il avait préparé son effet avec minutie. Dans la mesure où la situation ne jouait pas contre elle, elle ne bouda cependant pas son plaisir.

Ce fut une lettre qu’il abattit sur la table.

— Elle a été délivrée à l’hôtel pendant que vous étiez au bal. C’est une demande de rendez-vous !

— Déjà ?

Elle s’était imaginée que décrocher ce genre d’honneur prendrait beaucoup plus de temps.

— Notre campagne dans la presse a dû porter ses fruits, suggéra Angora, mais le seigneur en question a dû attendre de t’observer au bal pour se décider à envoyer sa lettre.

La Dragon se tourna vers Taylor :

— Qui est-ce ?

— Flavius Cocterion Rondoran, un Silusien encore célibataire, héritier du Surplomb d’Užka. Proche du parti légitimiens de Donum mais lié par sa famille à l’Amiral d’Œcar.

— Le Rouge a donc tiré le premier, releva Ashä en vidant son verre. Voilà qui arrange nos affaires.

— Ce n’est pas Mark Friedrich Wöllner, fit remarquer Yulia.

— On ne pouvait pas espérer tirer le bon oiseau du premier coup, tempéra le Capitaine de l’Eclat. Mais nous sommes en bonne voie pour l’approcher.

Son sourire gagnait des proportions jusque-là rarement atteintes. Il commença à s’agiter, excité comme une puce.

— Je vais contacter Joshua et Margareth dès ce soir : la lettre d’intérêt du prince d’Užka doit fuiter dans la presse ! Quand ça se saura, les invitations vont pleuvoir et les Wöllner devraient suivre !

— Pourquoi ça ?

— Il n’y a rien que les nobles aiment plus que la concurrence ! affirma le Corsaire avec un sourire féroce. Ils sont comme ça. Tu pourrais être le plus immonde des gâteaux qu’ils voudraient tous croquer dedans si leur voisin te convoitait !

La fille de Ford baissa les yeux à ses paroles. Elle se remémorait soudain celles du Sénateur Caesar Russ : « une gamine maigrichonne aux cheveux secs, cassants et ternes, sans parler de ce qui vous sert de poitrine. Vous aurez déjà de la chance si le chien du seigneur O’zir éprouve jamais du désir pour vous. ». Elle n’aimait pas être un gâteau, mais imaginer être le moins attirant des gâteaux lui tordait le ventre.

— Fezzan est loin d’être un gâteau de troisième plan, nuança Angora sans remarquer la gêne de sa protégée. Les Wöllner ne pourront pas l’ignorer.

Ashä leva son verre à nouveau remplit, comme si elle portait un toast :

— Et quand Yulia obtiendra un rendez-vous avec lui... on lui tombe sur le râble et on le fait parler !

Unanimement, les ex-Corsaires brandirent leurs verres et le Lynch Bar gronda d’un rugissement d’approbation. On but, on rit, et Yulia se prit au jeu de célébrer l’arrivée de cette lettre. La soirée au bal avait été très éprouvante, et certaines choses lui tournaient encore en tête, aussi se trouva-t-elle plus que ravi de cette opportunité de décompresser.

Quand elle alla fureter du côté d’Yssandre –occupé à échanger des anecdotes salaces avec Emy Lynch et Hikari qui rougissait– pour lui parler de ce qu’il s’était passé au bal, il la renvoya, mécontent d’être dérangé.

— Amuse-toi ce soir, lui dit-il, nous parlerons demain.

Elle trouva Taylor en de meilleures dispositions. Il vidait son verre avec Angora et préparait son manteau. Visiblement, il allait partir dans peu de temps, peut-être pour aller trouver les deux journalistes et leur faire copier la lettre ?

— Quelque chose ne va pas ? lui demanda-t-il.

Yulia aurait pu lui parler du Sénateur qui l’avait insultée, mais la honte l’en empêcha. A la place, elle lui dit qu’une Inquisitrice lui avait parlé pendant le bal, et que son nom lui avait paru familier.

Taylor et Angora échangèrent un regard, puis le Capitaine lui répondit en soupirant :

— Nous en parlions justement avec ta protectrice. C’est une rencontre qui risque de nous attirer des ennuis si nous n’y faisons pas attention… Elle t’a dit son nom ?

La petite hocha la tête.

Merriam Téorine Matthias, elle ne pourrait pas l’oublier si facilement.

— Elle est l’une des sœurs de l’Amiral Matthias de Veleria, continua-t-il, la cinquième, je crois. Ses ainées occupent toutes des fonctions importantes dans le Protectorat de son frère, mais elle a été envoyée à l’Inquisition. Certains disent qu’elle lui sert à garder un œil sur le Sénat, d’autres disent l’inverse : qu’elle constitue un otage de luxe qui assure à l’Empereur la paix entre Veleria et Ato, deux anciens empires qui se vouent une haine tenace. Quoi qu’il en soit, elle est au centre d’intérêts politiques dont il vaut mieux se tenir à l’écart.

— Je n’aurais pas dû lui parler ? demanda Yulia, confuse.

— Non, rectifia le Sans-nom, nous ne voulons pas nous mettre le Sénat ou les Veleriens sur le dos… mais, à l’avenir, essaye de l’éviter. Les observateurs pourraient y voir une manœuvre politique des Matthias ou du Sénat, voire leur ingérence dans les affaires de la Bérudie, et nous ne sommes pas en mesure de faire face aux conséquences d’une telle crise politique.

Yulia choisit ses mots avec soin, comme si elle marchait sur du verre :

— Merriam m’a dit haïr ce genre de considération politique… Je ne crois pas qu’elle veuille m’utiliser, elle me proposait juste de l’aide.

— Qu’elle le veuille ou non, ces considérations politiques sont là, trancha Angora. Elle n’est pas stupide au point de l’ignorer. Est-ce qu’elle n’agit que par provocation ? C’est possible, mais ce serait inconscient de sa part. Dans tous les cas, nous ne pouvons pas nous permettre de jouer son jeu.

— Tu penses qu’elle essayera de te recontacter ? lui demanda Taylor.

La petite haussa les épaules d’un air éloquent : elle n’avait aucune idée des intentions de l’Inquisitrice Merriam.

— Si cela arrive, lui conseilla malgré tout Taylor, reste poli, mais prends tes distances. Si les nobles se disent que la sœur de Matthias te courtise, le jeu devient beaucoup plus dangereux et ça risque de décourager beaucoup de prétendants au mariage, dont peut-être les Wöllner.
Yulia tiqua.

— Merriam me… courtise ?

Angora rougit.

— Pas dans ce sens- !

— Elle pourrait chercher à te rallier aux intérêts de Veleria, reformula Taylor.

Il ne parvint cependant pas, malgré tout son sérieux, à réprouver un sourire taquin quant à la gêne de la Dragon.

A quelques tables de là, Irïlan roulait sous la table. Ashä avait visiblement gagné le concours de boisson.

Avant de s’éclipser, Taylor se confia à la guerrière de Ford :

— J’espère qu’Hellshima reviendra vite. Cela fait trois jours qu’il n’est pas rentré, je commence à m’inquiéter.

— Il cherche toujours Connor ? s’enquit Angora.

— Toujours. Aux dernières nouvelles, notre déserteur nous a volé une trentaine de pièces d’or et avait loué une chambre dans le quartier du limon. Il n’y est resté qu’une nuit, après nous perdons sa trace.

Il se mordillait le doigt.

— Je n’aime pas ça. Nous sommes à peu près en sécurité dans les quartiers au sud de l’Azurite, mais au nord tout est beaucoup plus incertain… Les allégeances des gangs changent continuellement et il y a certains gros poissons qu’il ne faut vraiment pas déranger… Même mes anciens amis ne sont plus fiables, je suis parti trop longtemps.

— Nadejda m’a parlé de Pistache, révéla Angora.

Yulia ne voyait plus de quoi ils discutaient.

— J’ai fait affaire avec elle, oui, reconnu Taylor, et pour la contrebande je lui fais confiance. Pour le reste… il y a des possibilités que je dois considérer.

Il refusa d’en dire plus.

— Il se fait tard, finit-il par déclarer. Je ferais mieux d’y aller si je ne veux pas réveiller Joshua et Margareth… ils sont plutôt soupe-au-lait en ce qui concerne leur sommeil.

Yulia le regarda enfiler son manteau sans dire un mot. Malgré ses frasques habituelles, le Capitaine de l’Eclat s’était montré bien plus sombre qu’à son habitude. Cette fête n’était-elle pas pour se réjouir ? Quand elle observait ceux qui s’amusaient, elle louait leur ignorance. Entre les intérêts de Veleria, les affaires des mafias et l’ombre du Sénat, leur arnaque pour approcher les Wöllner semblait se révéler bien plus risquée que prévue. Qui pouvait savoir quel allait être le prochain intriguant à entrer dans la danse pour la succession du Protectorat de Cathuba ?

Fatiguée, elle décida de laisser les ex-Corsaires s’amuser et monta se coucher, suivie d’Angora.





Son esprit peinait à accepter le repos. Elle repensait constamment à l’Inquisitrice qui lui avait offert son amitié lors du bal. Angora et Taylor se méfiait d’elle mais, vu sous un certain angle, les deux filles se montraient bien semblables :

Merriam était la sœur d’un Amiral quand Yulia en était la fille. Son affiliation l’empêchait pourtant d’obtenir la considération qu’elle cherchait dans l’Inquisition. Elle enrageait de ne pas pouvoir exister indépendamment de sa famille. Si Yulia avait pu faire librement sa vie de navigatrice, aurait-elle aussi souffert que chacune de ses actions soit vue comme une émanation de son père ?

Elles avaient ça en commun : un parent à la figure écrasante. Yulia s’y raccrochait cependant comme une partie irremplaçable de son être. Parce que son père avait essayé de ne pas lui faire porter le poids de ses responsabilités ? Avait-il tenté de préserver son enfance ? Adulte, que serait-elle devenue ?

Toutes ces questions tournaient dans sa tête sans qu’elle parvienne à trouver le sommeil.

Elle voulait son père. Lui sauter au cou, le serrer dans ses bras. Elle voudrait qu’il soit là, qu’il la rassure, qu’il lui murmure une histoire jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Mais il y avait entre eux des milliers de kilomètres et plus d’ennemis que d’amis.

A deux mètres d’elle, Angora récurait le canon de son fusil pour trouver le sommeil.

fin du chapitre 21.
à suivre
DanielPagés

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par DanielPagés »

Ffff ! je souffle ! un bon quart d'heure de tension. A chaque détour de phrase j'avais peur qu'il lui arrive quelque chose qui la mettrait dans le caca... t'as réussi ton coup, j'en suis encore vibrant ! Le plus terrible c'est que lorsqu'on termine on se dit que ça va encore être tendu dans la suite ! :oops: :lol: ménage mon estomac, hein ! :evil: Et bravo pour tes décors ! ;)

Joliment corrigé, mais j'ai encore trouvé quelques bricoles qui m'ont sauté aux yeux :
Voyait que personne d’autre ne manger dans la salle, elle déclina la proposition. La domestique s’éloigna alors après lui avoir sourit et s’être inclinée. - Voyant que personne d’autre ne mangeait dans la salle, elle déclina la proposition. La domestique s’éloigna alors après lui avoir souri et s’être inclinée.

Yulia mourrait d’envie de partir enquêter - mourait (deux r seulement au futur et au conditionnel)

On pausa devant la jeune fille une pleine assiette de patates douces - oh ! posa (je fais une pause <> je pose ma main sur la table, je pose pour une photo dans Paris-Match)

— C’est la fourchette à dessert que vous tenez… fit-elle-même remarquée - remarquer

quand il la teint dans son regard - tint (teint = teindre)

elle sut qu’elle n’allait plus s’attardait longtemps. - s'attarder


Continue !
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 20 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

DanielPagés a écrit :Ffff ! je souffle ! un bon quart d'heure de tension. A chaque détour de phrase j'avais peur qu'il lui arrive quelque chose qui la mettrait dans le caca... t'as réussi ton coup, j'en suis encore vibrant ! Le plus terrible c'est que lorsqu'on termine on se dit que ça va encore être tendu dans la suite ! :oops: :lol: ménage mon estomac, hein ! :evil: Et bravo pour tes décors ! ;)

Joliment corrigé, mais j'ai encore trouvé quelques bricoles qui m'ont sauté aux yeux :
Voyait que personne d’autre ne manger dans la salle, elle déclina la proposition. La domestique s’éloigna alors après lui avoir sourit et s’être inclinée. - Voyant que personne d’autre ne mangeait dans la salle, elle déclina la proposition. La domestique s’éloigna alors après lui avoir souri et s’être inclinée.

Yulia mourrait d’envie de partir enquêter - mourait (deux r seulement au futur et au conditionnel)

On pausa devant la jeune fille une pleine assiette de patates douces - oh ! posa (je fais une pause <> je pose ma main sur la table, je pose pour une photo dans Paris-Match)

— C’est la fourchette à dessert que vous tenez… fit-elle-même remarquée - remarquer

quand il la teint dans son regard - tint (teint = teindre)

elle sut qu’elle n’allait plus s’attardait longtemps. - s'attarder


Continue !
Merci beaucoup Daniel !
Je dois avouer que dans l'écriture j'étais beaucoup plus concentré sur la cohérence des évènements que sur la tension intrinsèque des éléments, mais vu que le squelette de ce chapitre est décidé depuis (*temps de réflexion*) piouuuuuuuh une dizaine de mois ? Ben au final j'avais une idée extrêmement clair des éléments à introduire, des péripéties, etc. Ravi que ça ait marché sur toi en tout cas, y'a pas mieux pour me booster !!! :D :D

Ohoh elles sont bien jolies ces fautes :lol: Comme quoi, en 20 pages il y a des trucs bien originaux qui passent x)
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 21 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

Marjogch a écrit :Hey hey, je viens de lire ta dernière production et bravo. Mais c'est quoi cette façon de nous laisser ainsi avec cette fin....

Nous sommes enfin au bal, événement marquant dans l'histoire et Yulia s'en sort bien, je suis ravie de la voir évoluer ainsi mais franchement, pas cool cette façon de se faire traiter par ce sénateur. Tu la jettes dans le grand bain toute seule, elle doit se faire passer pour une autre et ce blanc bec la traite comme une gamine. Naméo, c'est quoi ça :lol: :lol: .

Ce nouveau chapitre ouvre la voie à beaucoup de possibilités et, pour le moment, j'attends de voir comment tu vas faire évoluer l'histoire. L'arrivée de Merriam est aussi un grand moment et je suis partagée sur elle. Je la trouve plutôt touchante mais je ne peux m'empêcher de me demander si elle est sincère ou pas. J'imaginais un bal plus long par contre, avec pleins d'intrigues mais en y réfléchissant bien, je vois bien des évolutions post bal, comme cette invitation reçue. Néanmoins, je me pose des questions.

Bon, sais-tu déjà comment sera la suite de ton histoire? Quelles seront les retombées du bal sur Yulia? Va-t-elle pouvoir faire confiance à l'inquisitrice? Et pourquoi ce blanc bec lui a parlé ainsi? Elle ne lui a rien fait après tout.

Tu envisages combien de chapitres encore?

En bref, je demeure fan de ta plume et encore plus fan de ton histoire. J'attends avec grande hâte la suite pour retrouver Yulia et ma chouchoute, Angora.... :D :D
Merci beaucoup !! :D
Héhé j'avoue que j'avais besoin de poser BEAUCOUP de set-up pour ce qui va se passer dans les prochains chapitres ^^ ça a prit du temps aussi pour ça : je devais aussi tout fixer ce qui doit arriver dans les prochains chapitres pour introduire correctement des éléments dans celui-ci ;)
En réalité il y a eu plein d'intrigues... mais Yulia ne les a pas forcément vue ^^
OUI !! Il y aura pour la partie de la Capitale, encore 3 chapitres qui seront bien longs ! (donc peut-être divisés en sous-chapitres en fonction de l'écriture)
Encore merci ^^ Et j'ai hâte de continuer moi aussi !! :D
elenwe

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 21 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par elenwe »

J'ai adoré le prologue :)

Ca fait longtemps que je n'avais pas pris le temps de venir lire quelque chose sur Booknode, ça m'avait manqué :)


Merci pour cet agréable moment. J'aime beaucoup tes descriptions. Elles sont complètes sans être indigestes. :)
Judas_Cris

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 21 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par Judas_Cris »

elenwe a écrit :J'ai adoré le prologue :)

Ca fait longtemps que je n'avais pas pris le temps de venir lire quelque chose sur Booknode, ça m'avait manqué :)


Merci pour cet agréable moment. J'aime beaucoup tes descriptions. Elles sont complètes sans être indigestes. :)
Merci beaucoup à toi :D
N'hésites pas à lire la suite si ça te tente ^^
louji

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par louji »

Woh.... je... j'ai vraiment 9 mois de retard ???? :? :oops: :oops: Je suis vraiment sincèrement expressément désolée...
J'espère que tu as eu le temps de mûrir les Surplombs entre-temps et d'avancer un peu l'univers, à défaut de chapitres ;) J'ai l'impression que tu as eu une petite chute de motivation ces quelques derniers mois et, à défaut de te remotiver, j'espère te rappeler pourquoi ton histoire est géniale et mérite que tu t'y accroches le plus possible :D
En espérant que tu te portes bien quand même et te souhaitant un bel été 0/

dark-vince a écrit :
Chapitre 19, part.2




Lorsque Taylor et Nadejda passèrent la porte ce soir-là, ils ignorèrent le repas pour se rendre sans détour à l’arrière du magasin et se faire couler un bain. Angora jura bien qu’ils portaient sur eux une odeur abjecte, mais Yulia ne put que remarquer qu’ils avaient taché leurs habits et avaient la peau noircie à certains endroits. S’étaient-ils roulés dans la pierre de chauffe comme elle-même le faisait étant gamine ? Peut-être Nadejda avait-elle été victime d’une blague douteuse de Taylor. :arrow: Ça n'étonnerait personne :lol:

Quoi qu’il en soit, ils ne partagèrent pas le repas et on les entendit frotter avec énergie pendant une bonne demi-heure, à coup d’éponges et de racloir. Emy, elle, tirait la tronche :

— Vous avez pas intérêt à vous salir comme ça tous les jours, hein, j’ai pas une réserve d’eau illimitée ! Allez au Temple, comme tout le monde.

Leoda et Hikari approuvèrent. Ils se rendaient tous deux au Temple assez régulièrement, aux heures de grande affluence et en changeant toujours de salle pour passer inaperçus. Mais ils étaient bien les seuls car, parmi leur petit groupe ceux qui étaient recherchés comme Ashä ou Nadejda évitaient de sortir du bar. Quant à Irïlan, il allait sereinement de baigner au fleuve chaque matin et revenait sans être inquiété.

Finalement, le Capitaine et son pilote dirent adieux à leurs écharpes, noircies pour de bon, et vinrent se servir le dîner. Yssandre finissait déjà le sien, rapide comme à son accoutumé, et salua Taylor par politesse avant de monter dans sa chambre, sans un mot pour Yulia. Elle fit la moue, vexée, mais n’oublia pas la promesse du Sans-nom : ce soir, il devait lui parler des Amiraux !

Mais il traînait ; il prenait son temps pour savourer un repas pourtant bien fade. Ce ne fut que lorsque tout le monde fut remonté dans sa chambre –à l’exception d’Angora, d’Ashä, et de Nadejda qui se préparait un thé– que le Capitaine vida son bol et se leva pour fouiller dans son sac.

Lorsqu’il revint vers eux, il serrait sous son bras quelques feuilles enroulées. Il les laissa de côté et s’écroula dans le fauteuil rembourré. Comme les trois femmes le fixaient, il haussa un sourcil, soupira, puis prit la parole :

— La dernière fois nous avons vu comment le Sénat dirige la vie politique à la Capitale. Tu te demandes sans doute à présent quels sont les pouvoirs de l’Empereur.

Il prit un air désinvolte et se gratta la barbichette. Yulia s’agaçait déjà.

— Ne me force pas à le demander…

— Demander quoi ?

— Quels sont les pouvoirs de l’Empereur ?

— Ah, je suis ravi que tu le demandes !

Yulia leva les yeux au ciel mais rien ne put empêcher Taylor d’afficher l’air le plus satisfait de la Capitale en se redressant comme s’il sortait d’un long sommeil.

— L’Empereur est le dirigeant officiel de l’Empire, mais toutes ses décisions doivent être approuvées ou rejetées à l’unanimité par le Sénat. S’il n’y a pas de consensus, l’Empereur est libre…

— Pas besoin de me faire un rappel, s’impatienta la fille de Ford, j’ai bien écouté la dernière fois ! Blabla Sénateurs, blabla neutralité politique, blabla les club… c’est enregistré, c’est bon, passe à ce qui m’intéresse !

— A savoir ?

— Les Amiraux !



Taylor l’observait avec un air satisfait qui était à deux doigts de l’énerver sérieusement. Sage bien que vantard, il leva finalement les deux paumes en signe d’armistice.

— Très bien, faisons ça. L’Empereur possède quelques pouvoirs spécifiques sur lesquels nous reviendrons mais dont le plus important est qu’il est le seul capable de nommer et de démettre des Amiraux. C’est ce que Cyrus Boël a fait pour ton père : il a proposé son nom, le Sénat a voté la confiance, alors il l’a nommé Amiral. Quant à sa destitution, il n’y a presque aucune information qui filtre mais ça a sûrement été un vote au Sénat qui a contraint l’Empereur à destituer Ford.

— Il y a besoin d’un vote ? Ce n’est donc pas un pouvoir de l’Empereur…

— Le vote de confiance du Sénat envers un Amiral est une tradition, mais c’est un des rares votes qui ne soit que consultatif. Si le Sénat n’est pas content d’un Amiral, un Empereur peut le nommer malgré tout, mais il engage alors une épreuve de force avec le Sénat… et ça se termine généralement mal pour lui.

Yulia hocha la tête, même si elle avait encore du mal à dire ce qui rendait vraiment le Sénat si puissant.

— Mais avant de te les présenter, sais-tu seulement ce que c’est, un Amiral ? lui demanda sans détour le Sans-nom.

Yulia se remémora chacune des tâches qui occupaient jadis son père :

— Il commande à une armée, il règle les problèmes des gens, il se bat pour l’Empereur ?

— C’est très imprécis, mais c’est plutôt ça.

Ça y est, il avait réussi à la mettre de mauvaise humeur. Que croyait-il ? Qu’elle ne connaissait rien au travail de son père ? Qu’elle se contentait d’agiter son titre d’Amiral comme un drapeau pour se gonfler l’égo sans jamais s’y intéresser ? Il était son père, il avait vécu des années avec elle, chaque jour ; qu’on ait refusé de lui parler du rôle politique des Amiraux ne faisait pas d’elle une enfant ignorante.

— L’Empire est composé de douze territoires, exposa Taylor. Huit d’entre-eux sont des Protectorats, c’est-à-dire qu’ils sont dirigés par un Amiral qui en assure la protection armée, fixe et collecte l’impôt et coordonne les Surplombs qui sont sous sa protection. Ce sont ces :arrow: En soit, ce n'est pas faux, mais j'aurais mis "ses" au vu de la phrase précédente ^^ trois pouvoirs : armée, impôt et coordination.

Il tendit un premier doigt :

— Pour l’Armée, c’est simple : un Amiral peut lever des troupes dans les Surplombs de son Protectorat comme il le souhaite afin de constituer son armée, mais il impose également à ses Surplombs une production de navires de guerre et d’armes, quand il n’en achète pas à des compagnies ou à d’autres Amiraux. Ces forces armées servent à assurer la défense du Protectorat contre les pirates mais également à rivaliser avec des Amiraux concurrents.

Il leva un deuxième doigt :

— Les Surplombs et les sociétés payent un impôt à l’Amiral pour leur protection, qui en reverse une partie à l’Empereur. Vu que ce dernier n’a pas de droit de regard sur les finances précises d’un Protectorat, il ne reçoit en général qu’un trésor modeste. Ce faisant, un Amiral dispose d’énormes moyens financiers, presque comparables à la fortune du Sénat.

— Les Sénateurs sont riches ? s’étonna Yulia, qui ignorait cet aspect de leurs ennemis.

— Très riches, confirma Taylor. Les familles sénatoriales bénéficient d’un grand nombre de privilèges : entre autre, leurs sociétés n’ont à payer d’impôt auprès d’aucune autorité et ils ont le pouvoir de casser certains contrats commerciaux pour se favoriser. Personne n’est aussi riche qu’un Sénateur.

— Et donc ? le repris :arrow: repriT Yulia. Le troisième pouvoir d’un Amiral : coordonner ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

— C’est sans doute la plus permissive de leurs attributions. Pour le dire en seulement quelques mots, un Amiral peut exiger ce qu’il souhaite d’un Surplomb tant que cela renforce l’unité et la puissance du Protectorat. Cela permet à l’Amiral de s’immiscer dans la souveraineté d’un Surplomb, de forcer un souverain, un conseil ou une assemblée à changer leur politique en leur imposant des constructions, une production, ou même des mariages.

Yulia fronça les sourcils.

— Ton père n’a jamais abusé de ce pouvoir, la rassura Taylor. Il était plus un conciliateur qu’un tyran, mais certains Amiraux ne sont pas aussi magnanimes.

[attachment=2]Francis Ford Mangora - petit.png[/attachment]


:arrow: Ohgad, que j'aime ces dessins :D



Il déplia ses jambes et farfouilla dans ses papiers un instant.

— J’ai été assez clair ? demanda-t-il distraitement.

— Les Amiraux, ce sont des mini-Empereur, en somme ?

— Avec bien plus de limitations protocolaires, mais on peut simplifier ça ainsi, oui, accorda le Capitaine de bonne grâce. Le plus important à comprendre est qu’ils forment un contre-pouvoir au Sénat : ils doivent leur nomination à l’Empereur et si celui-ci obtient leur soutient, il peut contraindre les Sénateurs.

— Comment ?

— Par la forme de pression la plus universellement comprise : le rapport de force entre groupes armés.

Il se saisit d’un bout de journal déchiré et d’un crayon à mine de plomb. Il y traça cinq carrés de taille à peu près égale, en colorant trois de noir.

— La Capitale compte cinq compagnies militaires. Trois divisions d’Inquisition, qui sont sous le contrôle directe du Sénat, et les deux compagnies de la Garde Impériale, sous l’autorité unique de l’Empereur. Chaque compagnie possède ses bataillons, ses canons, ses navires, mais le rapport de force est favorable à l’Inquisition : ils sont plus nombreux et mieux équipés. Maintenant…

Il se remit à gribouiller, sur le coin opposé à celui où il avait tracé les carrés.

— Je peux… voilà !

Il avait dessiné quatre ronds.

— Si les carrés représentent les forces militaires de la Capitale, les ronds représentent l’équivalent de l’armée qu’entretenait l’Amiral Ford au sein du Protectorat de Cathuba. Imagine à présent que trois de ces petits ronds…

Il traça une flèche, des ronds vers les carrés.

— … se déplacent jusqu’à la Capitale. Deux carrés blancs et trois ronds contre les vilains carrés noirs. Deux divisions de Garde Impériaux et trois divisions des armées de l’Amiral Ford contre trois divisions d’Inquisition ? Les Sénateurs préféreront voter n’importe quel texte plutôt que de provoquer un affrontement. Avec l’appui d’un Amiral, l’Empereur reprend la main sur le Sénat.

— Pourquoi ne le fait-il pas tout le temps alors ? interrogea Yulia. Tu l’as dit toi-même : le Sénat ne laisse pas l’Empereur gouverner. Pourquoi l’Empereur ne dit-il pas aux Amiraux de venir l’aider à la Capitale ?

— En théorie c’est ce qui devrait se passer, mais en réalité les alliances ne sont pas aussi simples. Les Amiraux sont loin des débats et leur soutient n’est pas acquis. Il y a des Amiraux qui sont plus proches du Sénat que de l’Empereur, d’autres qui sont Amiraux par tradition et ne doivent rien à Cyrus Boël… Je ne pense pas que quelqu’un soit aujourd’hui capable de prédire quel camp rejoindraient les Amiraux si une guerre éclatait entre l’Empereur et le Sénat. Et comme l’indécision est motrice d’inaction, le Sénat conserve la main sur la Capitale.

Il se mit à dessiner d’autres ronds, aux quatre coins de la feuille.

— La carte politique est beaucoup plus complexe que les lignes pro-Empereur et pro-Sénat, certains acteurs ne considèrent même pas devoir se positionner par rapport à celles-ci. Même ici, à la Capitale, il y a des forces armées qui ne dépendent pas clairement de ces deux acteurs. Il y a des mercenaires Veleriens, des brigades Orykem, des milices à la solde de clubs…

Voilà qu’il esquissait des triangles, des étoiles et des losanges… Yulia se sentait perdue.

— Donc les Amiraux restent dans leur protectorat et laissent la Capitale tranquille ? tenta-t-elle de résumer.

— Certains oui, accorda Taylor, mais pas tous. Certains Amiraux financent des clubs, des milices, fournissent des armes ou des vaisseaux à des nobles. Ils participent à la vie politique mais, comme les Sénateurs, se montrent discrets quant à leurs véritables intentions, car un engagement direct pourrait mener à la guerre.

— Qui sont-ils ? demanda la fille de Ford.

Le Capitaine de l’Eclat se frotta les mains.

— Il est temps de te les présenter !

[attachment=1]Cartographie de l'Empire - Protectorats & Frontieres - date.jpg[/attachment]


:arrow: Tellement stylé :o

[attachment=3]armoiries amiraux 2.jpg[/attachment]


:arrow: Meh. Cé trop bi1. J'adore leurs armoiries !




Il attrapa enfin les papiers qu’il avait, jusqu’alors, laissés de côté. Quand il les déplia, Yulia comprit qu’il s’agissait d’affiches, ou plutôt de portraits, imprimés sur du mauvais papier. Le premier qu’on lui présenta fut celui d’un vieux monsieur à la peau parcheminée, teint caramel et cheveux blanc, nageant dans un manteau d’Amiral blanc et or.

— Le plus ancien des Amiraux c’est lui : Karel Al’Abbâs, surnommé le Lion endormi. Son Protectorat comprend Donum, Ku’rum et Antius, les Surplombs d’Arkadie et ceux de Szávar.

— Ce n’est pas un Numien d’origine, ni même un noble, intervint Nadejda qui remuait encore son thé. Il était Vice-Amiral lors de la première guerre du nouveau monde et a pris l’intérim à la mort du précédent Amiral. A son retour dans l’Empire, il avait le soutien de ses hommes et on lui a accordé le titre d’Amiral de Donum. Les grandes familles Numiennes ont longtemps cherché à le faire remplacer, mais il est encore là. Il est solidement établi et, tant qu’il continue à se tenir loin de la politique Impériale, les autres Amiraux n’ont pas intérêt à agiter sa région.

— Comment tu sais tout ça ? s’interrogea Yulia.

Elle tendit le doigt :

— Parce que j’ai travaillé pour lui.



Taylor tenait à présent le portrait d’un grand homme dont le crâne chauve était creusé de multiples balafres. Ses blessures descendaient jusqu’à son arcade gauche sous laquelle roulait un œil de verre. Plus bas, c’était sa mâchoire entière qui semblait avoir été arrachée : de profondes crevasses se dessinaient sur ses joues et il s’était greffé, en lieu et place de mâchoire, une imposante et terrible mandibule en acier trempé. L’unique pupille de ce monstre à moitié humain possédait la couleur du plomb et semblait fixer l’observateur, ce qui accentuait l’impression dure et cruelle de ses traits.

:arrow: J'aimerais tellement voir les portraits que ton amie pourrait en faire... Elle a vraiment un don pour caractériser les visages et là il y a du potentiel avec tes descriptions et ton imagination débordante :mrgreen:

— Wilhelm le Sanguinaire, articula Taylor, Amiral de Tenoch.

Il hésita à ajouter quelque chose, mais préféra se tourner vers Nadejda. Celle-ci croisait les bras et ne trahissait aucune de ses émotions. Seul son regard brûlait d’une haine féroce.

—Cruel. Violent. Impitoyable. Il règne sans partage sur les Surplombs de l’Oryguée et de l’Amiria. Des Amiraux, il est celui qui commande la plus grosse armée grâce à la conscription qu’il a mise en place. Chaque jeune du Protectorat doit servir dans l’armée de dix-huit à vingt-deux ans, après quoi il est libre de retourner à la vie civile ou de faire carrière. En plus de cela, les académies militaires –qui éduquent les fils et filles de soldats– offrent d’accueillir des enfants à partir de quatre ans, ce qui arrive régulièrement lorsque les familles les plus pauvres n’arrivent plus à nourrir leur progéniture. L’éducation y est stricte, dure, et ne laisse aucune place au jeu.

Elle s’interrompit une petite seconde, comme si elle se rappelait de quelque chose. Elle fronça les sourcils, puis secoua la tête et leur confia :

— J’ai grandi dans une de ces académies.

Yulia avait arrêté de respirer un instant.

— En plus de l’armée, Wilhelm fait tourner à fond les chantiers navals. Des dizaines de vaisseaux de guerre et de chasseurs motorisés sortent chaque année des chantiers de Tenoch, Motchkov et Gimerv. Si on en croit les journaux, c’est lui qui a été prendre la place de ton père au Nouveau Monde : on ne peut en attendre aucun bien.

Taylor prit la suite.

— Wilhelm n’est pas directement impliqué à la Capitale, mais il y possède de nombreux soutiens. Il y a un club, notamment, qui se fait nommer les Inflexibles, où Petro Outkine a été vu à plusieurs reprises.

— C’est le Corsaire principal de l’Amiral Wilhelm, expliqua Nadejda. L’un des Chiens de Guerre, sans doute le plus dangereux. Un ancien mercenaire devenu pirate, pendant la guerre des deux arches, il avait conquis par les armes un Surplomb disputé pour le compte des Veleriens avant de les trahir pour se tailler son propre royaume. Les Ātoli et les Veleriens veulent sa peau, mais depuis que Wilhelm le protège il est rentré dans le rang… uniquement pour mieux servir son maître.

— Et cet homme-là est à la Capitale ? demanda Yulia, hébétée.

— Il entretient les querelles entre les clubs, oui, confirma Taylor, et il ne doit pas être étranger aux règlements de comptes qui se généralisent dans le dos des Sénateurs. Mais assez parler des Corsaires ! Recentrons-nous sur les Amiraux.



Il déplia le portrait d’un grand Paamien strict et austère aux cheveux couvert d’un turban aux couleurs vertes et cuivrées.

— On change carrément de registre, ricana Nadejda. Celui-là ne joue pas dans la même ligue que Wilhelm.

Le Capitaine de l’Eclat ne lui donna pas tort :

— L’Amiral Sayajî Râo Godse dirige officiellement le Protectorat de l’ancien Empire de Paam. Mais la véritable figure d’autorité au Nord-Est est la Rani de Paam, Ajeya Meena Lakshmï, sa Vice-Amiral. Les Surplombs Paamiens s’étendent cependant trop loin à l’Est pour être mêlés aux intrigues de la Capitale, d’autant plus que cet ancien Empire est doté de son propre parlement qui est aussi complexe que le Sénat Impérial.

— Sayajî est un chiot inoffensif, cracha Nadejda. Mais la Rani n’est pas incompétente, Wilhelm la faisait déjà surveiller à l’époque où j’officiais pour lui. Certaines rumeurs prétendent que l’Empereur envisagerait d’en faire la première femme Amiral, lorsque Sayajî aura cassé sa pipe. Ça ne pourra qu’être mieux pour les Paamiens.



Taylor leur présenta ensuite une figure bien portante, aux joues rondes et grasses, portant de toutes petites lunettes.

— L’Amiral Renh, le présenta-t-il, je te parlais de lui l’autre jour. Le Protectorat de Cent-Port est le plus proche de la Capitale, géographiquement et historiquement. Par tradition ses Amiraux ont toujours été mêlés à la vie politique, ce que faisait Renh dans sa résidence aux Terrasses : il régulait les clubs, surveillait l’Inquisition, combattait les milices privées… Mais son train de vie lui a joué des tours : il a attrapé la syphilis :arrow: Ah. et a quitté la Capitale.

— Même s’il meurt à petit feu, ajouta la pilote, il contrôle toujours une des régions les plus riches et commerciales de l’Empire, ainsi que les Surplombs jusqu’au Phare, la route vers le Nouveau Monde.

— Exact.

:arrow: À chaque explication d'un Amiral, je consulte les notes de Yulia... C'est vraiment une bonne idée de les avoir rédigées, ça aide vraiment à s'en rappeler ! :)



Taylor ne s’attarda cependant pas sur son cas et déplia le portrait suivant. Cette fois-ci, Yulia n’aurait jamais deviné avoir affaire à un Amiral si elle ne reconnaissait pas le manteau et les insignes. Il s’agissait d’un homme aux joues creusées et aux yeux soulignés de profondes cernes, qui peinait à remplir son uniforme. Bien que grand, il semblait voûté et portait autour du cou une grosse écharpe de laine, comme s’il craignait le froid.

— L’Amiral Maladif, Shaz Qiwang Ralambo.

— Il faut se méfier de celui-là, les mit en garde Nadejda. Shaz n’en a peut-être pas l’air, mais il est aussi impitoyable que Wilhelm.

— Il est l’héritier de la famille Qiwang, du Surplomb d’Harqen, la plus puissante place-forte de la région. En tant qu’Amiral de Farø, il contrôle les Deux Sœurs, les chantiers de Daqin et Yanø, les Surplombs disputés aux pirates du Nord et toute la Bordure de Bronze, à l’ouest, sans compter Farø même qui est un des Surplombs les plus riches de l’Empire.

— Pourquoi il est… comme ça ? demanda Yulia après avoir un temps hésité.

— Une maladie pulmonaire, quand il avait sept ans, répondit Taylor. Il en garde des séquelles : son souffle est court et il remonte généralement son écharpe jusqu’au nez, pour se protéger des poussières. Malgré sa faiblesse, son poste d’Amiral n’est pas contesté car il est un chef militaire efficace.

— Plus qu’efficace, insista Nadejda, c’est une flottille des Ralambo qui a permis aux Matthias de battre les pirates à Ürt. Il était pressenti pour mener la guerre au Nouveau Monde avant que l’Empereur n’y envoie finalement Ford.

— Les "Matthias" ? interrogea Yulia pour qui ce nom ne disait rien.



Taylor se saisit de l’avant-dernier papier. Y figurait un jeune homme au visage clair et aux yeux perçants. Cheveux blonds taillés court, un visage sans la moindre impureté. Rasait-il parfaitement ses joues ou était-il simplement trop jeune pour avoir de la barbe ? Si son uniforme n’affichait pas le moindre pli, son manteau d’Amiral avait été jeté sur ses épaules de manière désinvolte. Contrairement à ses homologues, il ne portait aucune médaille au niveau du cœur, seulement un insigne discret figurant un renard blanc et deux sabres. La petite se dit qu’il devait s’agir de l’emblème de sa famille, tout comme la rosace d’or qu’arborait son père.

— Voici l’Amiral Jean Aerus Matthias, le présenta Taylor. Le plus jeune des Amiraux de l’Empire, héritier de la prestigieuse famille Matthias qui règne sur Veleria depuis bien avant la mémoire des hommes.

— Quel âge a-t-il ? demanda Yulia, intriguée par son air juvénile.

— Ne te fis pas à cette image, grimaça la pilote, elle a déjà quelques années. Entre temps, le gamin a pris quelques centimètres… et encore plus d’arrogance.

— Vingt-quatre ans, répondit le Capitaine de l’Eclat. Il est l’unique fils d’une fratrie de huit enfants. Avant de devenir Amiraux, les Matthias étaient Empereurs de Veleria, un vaste ensemble de Surplombs au nord. Leur Protectorat s’y limite, à l’exception du Surplomb isolé de Kuma, et d’ürt :arrow: Majuscule ? dont nous avons déjà parlé.

— Veleria est le plus petit des Protectorats, précisa Nadejda, mais ce n’est certainement pas le plus faible. Pendant des centaines d’années, les Veleriens ont livré la guerre au Pays d’Āto. Les Surplombs Disputés ont été mis à feu et à sang pendant des siècles, et l’infanterie Vélérienne n’y est pas étrangère.

— Ce n’est pas seulement qu’ils fabriquent les meilleurs fusils et de redoutables canons, reprit Taylor, c’est aussi que les Vélériens ont une tradition guerrière extrêmement exigeante. Ils ne sont pas nombreux, mais on dit que dix Veleriens valent cent hommes.

— Pff, renifla Ashä en croisant les jambes, frimeurs…

Yulia s’interrogeait cependant :

— Pourquoi lui ? Ça ne devrait pas être son père, l’Amiral ?

— Le père de Jean était Amiral, expliqua le Sans-nom, mais il n’a pas accepté le mariage de l’Empereur à la Souveraine d’Āto et l’intégration de ce territoire à l’Empire. Des siècles de guerre font parfois oublier aux gens la possibilité d’une paix… et c’était le cas pour Clétus Reynar Matthias. Il a continué à attaquer des navires Ātoli après la trêve, l’Empereur l’a destitué pour piraterie et l’a condamné à l’exil. Jean Aerus Matthias est devenu Seigneur de Veleria à dix-neuf ans.

— Pourquoi nommer un Matthias s’ils n’obéissent pas à l’Empereur ? questionna la fille de Ford. Il aurait pu nommer une autre famille…

— Ça aurait été risquer la guerre civile, expliqua Taylor. Les Veleriens étaient prêts à prendre les armes pour les Matthias, Cyrus Boël devait condamner Clétus Reynar, mais aussi donner des gages à son Protectorat. Son fils était le seul choix raisonnable.

— Et Jean a appris des erreurs de son père, assura Nadejda. Il se tient, en apparence, loin des débats politiques… en apparence seulement. Il est prudent, mais aussi retors. Comme tout bon Velerien, il doit haïr les Ātoli, et plus encore l’Impératrice.

Yulia hocha la tête. Elle avait entendu parler du mariage de l’Empereur, bien sûr –ses amies ne parlaient presque que de cela, il y a quelques années– mais elle était loin de réaliser que celui-ci avait eu autant de répercussions politiques…
— Ce qui nous laisse l’Amiral Rouge, finit par lâcher Taylor en se saisissant du dernier papier.

Ce titre disait méchamment quelque chose à Yulia. Elle était presque certaine d’avoir déjà entendu des discussions à son sujet sur Cathuba, maintenant que la mémoire lui revenait. Un désagréable goût amer gagna sa bouche alors qu’elle s’employait à trouver une grimace qui traduise son déplaisir.

— Amiral-Gouverneur Léopold Faidherbe Hockard, cracha Ashä en dardant vers son portrait un regard fielleux.
Le personnage était grand, enfoncé dans un superbe uniforme serré trop court qui faisait boudiner son cou. Sa bouche se pinçait en un rictus étrange qu’une longue moustache soignée achevait de rendre hautain. Sur sa joue gauche, une grande tache de vin, pourpre et de la taille d’une main, couvrait jusqu’à son oreille. Était-ce pour cela qu’on l’appelait l’Amiral Rouge ?

Après avoir jaugé un instant Ashä du regard, guettant ses humeurs, Nadejda prit la parole :

— L’Amiral Rouge n’est pas seulement Amiral d’Œcar. Il est également Gouverneur de Thäma depuis la guerre coloniale.
Yulia connaissait Thäma de réputation. C’était un gigantesque continent, très loin au Sud-Est, dont les peintres aimaient représenter les hautes montagnes et les champs à perte de vue. Les Thamari se reconnaissent à la couleur de leur peau allant du teint café au noir de jais. Ashä était assurément Thämari, tout comme la gabière Luce. Par contre, la mention d’Œcar ne lui disait rien.

— L’Œcar est une région de Surplombs assez lointaine, à l’est de Cathuba, présenta Taylor. Ils ont une petite industrie textile, mais c’est surtout dans le travail du métal qu’ils excellent. Historiquement, ce sont des Surplombs colonisés tardivement, sa population est très hétéroclite. L’Œcar comprend de nombreux bagnes impériaux et est doté d’une armée nombreuse, démesurément grande en regard de sa population.

— Mais le Protectorat est surtout tourné vers Thäma, continua Nadejda. L’Amiral Rouge a été le principal artisan des guerres coloniales menées par l’Empereur Karel Donar Liorr, il y a 20 ans. A la capitulation des Seigneurs de guerre, Hockard a été nommé Gouverneur du territoire. L’armée d’Œcar est considérée comme une des plus puissantes de l’Empire, mais la majeure partie de ses effectifs est mobilisée à Thäma où ils assurent le bon fonctionnement des mines et surveillent les Seigneurs.

— L’Amiral Rouge n’a cependant pas étanché sa soif de territoires, reprit le Capitaine de l’Eclat. Depuis des années il argumente pour une extension du Protectorat d’Œcar, qu’il juge trop maigre pour supporter la charge de gouverner Thäma. Son grand projet est une fusion des deux Protectorats du Sud : il a des vues sur Cathuba et ne s’en cache pas.

— C’est un ennemi de mon père ? demanda sans détour la fille de l’Amiral Ford.

— Le plus ouvertement déclaré, oui. Il ne fait nul doute qu’il va profiter de la destitution de ton père pour affirmer sa revendication de Cathuba.



— Les Wöllner, le Sénat, maintenant Hockard ? récapitula Yulia. Et vous attendez que je les berne tous, avec une pièce de théâtre ?

— Précisément, opina Taylor. Ce ne sera pas facile, mais nous sommes là pour te préparer.

— La plupart des grosses pointures ne s’intéresseront pas à Nora, précisa Nadejda. Tu n’auras qu’à ouvrir les yeux et regarder les puissants s’entredéchirer pour Cathuba.

Ashä renchérit en dépliant ses jambes pour se joindre à eux. Elle ancra ses yeux verts à ceux de la petite et fit courir sur sa langue des paroles au goût de miel :

— Les nobles de l’Empire ne sont pas difficiles à berner, tu sais ? Fais quelques jolis sourires, accepte les ballades, et quand ils ne s’y attendront pas…

Elle tira une dague de sa botte et, avant que quiconque ait pu réagir, la planta d’un coup sec au milieu de leur table.

— On les piège.

Après son sursaut, Yulia sentit son ventre chauffer à cette idée. Une vengeance… Tromper les Wöllner qui avaient trahi son père. Voilà un but qu’elle pouvait suivre !

Taylor se gratta la tête, confus.

— Excellent… Je suppose que ça conclue :arrow: concluT ;) mon cours sur les Amiraux ? Maintenant, je suggère que nous montions vite dans nos chambres avant qu’Emy ne se rende compte qu’on a abîmé sa belle table en chêne.

Tous fixèrent l’entaille bien nette qui tranchait à présent dans le bois verni et poli. Ils pouvaient déjà sentir la colère de la tenancière s’abattre sur leur dos tel un fouet sans pitié.

Un repli stratégique fut vite opéré. :arrow: Fuyez bande de truands :lol:

So so so... J'avais eu la bêtise de m'arrêter au milieu d'un chapitre et, après être allée relire la 1e partie, voilà que j'en termine la 2e :D C'était un passage très intéressant et riche en infos sur l'Empire... Tu as l'air d'avoir développé un univers super complexe et intriguant, c'est excitant rien qu'à l'idée de toutes les possibilités que tu as :mrgreen:
Même si ça peut paraître "bateau" d'avoir présenté les Amiraux un par un, ça n'en reste pas moins intéressant et important ^^ Ce que j'apprécie beaucoup, c'est la diversité et la complexité des personnages, ça donne vraiment envie d'avoir affaire à eux pour en découvrir plus sur leurs manières d'être, leur motivation, leurs objectifs...
Alley, c'est ti-par pour la suite :D
louji

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.2 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par louji »

dark-vince a écrit :
CHAPITRE 19 : Les chiens de guerre, partie 3



C’était bien la première fois qu’Angora mettait les pieds dans le quartier que tout le monde, à la Capitale, appelait l’Étincelle. Son nom se révélait mérité car il s’étendait en bas des escaliers qui montaient au Temple de la Victoire, éclairé en permanence par le gigantesque feu entretenu à son sommet. Les gens d’ici ne connaissaient pas la nuit. Il s’agissait d’un ensemble de vieilles rues, parfaitement rectilignes, dans lesquelles se succédaient les restaurants et auberges, décorés richement et annoncés en lettres d’or. L’Étincelle accueillait ainsi en toute heure les curieux, les vadrouilleurs et les gourmets. Malgré son faste apparent, les flamboyants hôtels côtoyaient des gargotes plus modestes et, dans les rues, nobles, marchands et roturiers marchaient de concert. On se rendait aux cabarets ou au restaurant, animé par l’alcool ou l’ivresse nocturne. :arrow: Joli paragraphe ! :D

Au milieu de ces frasques, la Dragon Angora suivait la sabreuse qui ajoutait à l’Étincelle sa petite couleur personnelle. A ses côtés, Yulia ouvrait de grands yeux et s’émerveillait de la moindre rencontre. Sa protectrice la tenait par la main, inquiète à l’idée que quelque chose lui arrive. Au fil des rues, cependant, elle devait admettre que ce n’était pas l’endroit le plus dangereux qu’elles aient visité. Il en faudrait plus pour la détendre totalement, mais c’était un début.

La Première Épée de l’Éclat s’était parée de ses plus beaux habits : de longues chausses noires et un bustier serré en partie couvert par les fins voiles d’un vert de jade qui se croisaient dans son dos. En comparaison, Angora devait avoir l’air d’une paysanne avec ses gros gants, sa chemise usée et son pantalon digne des mines.

Elles avaient à peine franchi la première avenue qu’Ashä les arrêta à hauteur d’une petite bâtisse, éclairée par des lampe :arrow: lampeS ;) à huile. A travers les larges vitres et sur l’enseigne, on pouvait lire :

Faribole – Confiserie


A cette heure, les clients se faisaient rares. Quand elles entrèrent, elles firent sursauter le tenancier qui somnolait jusqu’alors. Ce dernier, un gros bonhomme rasé de près, s’empressa de les installer à une table, près des grandes vitres, comme s’il espérait que leur vue attire les clients. Alors que son corps s’enfonçait dans les moelleux coussins de la banquette, Angora ne put s’empêcher de lister les issues par lesquelles elles pourraient s’enfuir en cas de soucis. Il y en avait cinq : la porte principale, les deux vitres qu’elles pouvaient briser, un petit escalier qui montait sûrement aux appartements du confiseur, et une porte de service qui devait donner sur la cuisine ou une arrière-cour.

Yulia s’installa contre la vitre, à ses côtés, tandis qu’Ashä s’asseyait en face d’elle, lui glissant un regard complice. Elle avait fini par s’y habituer. La sabreuse se montrait heureusement beaucoup moins insistante qu’autrefois.

Après leur avoir glissé des bouts de papier présentant ses offres de desserts, le tenancier se présenta, armé d’un petit calepin et d’un crayon noir, et leur demanda ce qu’elles souhaitaient manger.

— Une pêche au sirop et deux marrons glacés pour mon amie, lui répondit Ashä avec un grand sourire. Et toi, Yulia ?

La petite parcourait toujours la liste, indécise. Quand elle releva le museau, ce fut pour leur présenter un regard hésitant. Elle tournait la tête d’une femme à l’autre, avant d’oser demander d’une petite voix :

— Je… peux prendre plusieurs choses ? Ça ne sera pas trop cher ?

Angora ne s’était même pas interrogée sur la façon de payer. Elle n’avait jamais mené de vie… civile, pour ainsi dire. Même à Cathuba où elle n’était plus officiellement membre de l’armée, on ne lui demandait jamais d’argent. Heureusement, Ashä sortit de sa besace une courte bourse qu’elle agita sous leur nez.

— Il me reste quelques pièces de mon coup à Hab’kir. Allez-y, c’est moi qui invite.

La Dragon fronça les sourcils, mais Yulia s’empressait déjà de commander :

— Alors ! Trois loukoums, six calissons, un bâton d’anis, des… :arrow: Jolie gourmande :D

Angora laissa sa protégée composer son festin et se pencha vers Ashä :

— Taylor ne voulait pas que tu gardes cet argent, lui reprocha-t-elle.

L’autre haussa les épaules d’un air désinvolte.

— Ce qu’il ne sait pas ne lui causera pas de tort. Je lui ai remis seulement la moitié de ce que j’ai piqué et gardé le reste… C’est maintenant que tu vas t’en plaindre ?

A voir la mine extatique de Yulia devant tout le sucre qui lui était promis, Angora en doutait. Elle poussa seulement un gros soupir et, exaspérée, se laissa aller dans les coussins. La sabreuse n’avait pas totalement tort, ce qui avait été volé ne pouvait plus être rendu, autant en profiter. Mais qu’Ashä mente à son Capitaine lui posait plus de problème.

— Pourquoi tu ne joues pas franc-jeu avec eux ? Tu te rends compte que c’est pour ça que la plupart des membres de l’Éclat ne te font pas confiance ?

L’Éclair de Jade, qui avait commencé à regarder par la vitre en souriant du coup qu’elle venait de jouer, fut prise de court par la question de la Dragon. Ses yeux tombèrent dans les siens, déstabilisés. Ne l’avait-on jamais confrontée à ce sujet avant ? Angora en doutait.

La Première Epée hésita visiblement quelques instants. La femme au bras d’acier crut que celle-ci allait lui faire une confidence personnelle mais, au dernier moment, elle retrouva sa contenance et son sourire provocateur réapparut.

— Bah ! balaya-t-elle. Je suis comme ça, c’est tout ! L’Éclair de Jade ne va pas changer du tout au tout pour les beaux yeux du Capitaine, hein ?

Pour la seconde fois, Angora fronça les sourcils. Ce rendez-vous commençait mal.

— Tu vas continuer à jouer la garce :arrow: Ouh, elle rigole pas Angora :o , même ici ? Même avec moi ?

— Qu’est-ce que tu attendais ? demanda Ashä, troublée.

— Autre chose. Qu’on discute, pas qu’on continue à jouer à s’envoyer des piques. On s’entend bien, depuis quelques jours, mais je ne suis pas venue ici pour t’amuser, alors fait :arrow: faiS attention à ce que tu dis.

La sabreuse cligna des yeux trois fois, encaissant le coup. Yulia, à côté, essayait de se faire toute petite entre ses coussins. Elle ne devait pas comprendre ce qui se passait.

— Tu tiens Taylor en haute-estime, c’est ça ? comprit la Thämari avec un temps de retard.

— Il nous a sauvés :arrow: sauvé la vie sur Cathuba, confirma la Dragon. Une fois qu’on a eu échappé à l’Inquisition, il n’était plus obligé de nous aider, mais il est ici, à la Capitale, avec nous, et il œuvre pour retrouver l’Amiral Ford. Il me ressemble plus que tu ne sembles le voir.

— Pas physiquement en tout cas, glissa-t-elle malicieusement. Je veux dire, il n’est pas… waouh !

Angora ignora sa pique et enchaîna. Elle ne devait pas se laisser distraire.

— Mais toi aussi, tu tiens Taylor en haute estime. Tu ne veux juste pas le montrer.

Cette fois-ci, Ashä s’immobilisa un court instant. Elle était intriguée.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Tu aurais pu nous abandonner, à Hab’kir. Tu en avais les moyens, et je suis sûre que tu aurais trouvé une place confortable à bord d’un vaisseau pirate. Mais tu es restée, même après ta dispute avec Taylor. Pourquoi ?

— Parce que… je m’amusais ?

— Tu n’as pas trouvé meilleur mensonge ? s’impatientait la Dragon. Tu aimes t’amuser, oui, mais tes actes restent raisonnés.

Ashä s’apprêtait à répondre, mais ce fut à ce moment-là que le tenancier apporta leur commande. Les confiseries leur furent servies dans des petites assiettes en porcelaine. Les deux femmes dévisagèrent leurs friandises, sans oser commencer à manger tant que la conversation était en suspens. Yulia, elle, trouva la parfaite diversion et se jeta sur ses loukoums.



Cet aparté dût :arrow: dut cependant permettre à la Première Épée de réfléchir aux paroles d’Angora car, quand elle reprit la parole, son ton avait changé :

— Tu as raison, j’apprécie Taylor. C’est le premier Capitaine qui joue franc-jeu avec moi. Il m’intègre à ses plans, me donne des responsabilités, sans chercher à abuser de moi ou de ma confiance. Je me sens bien à bord de l’Éclat et c’est pour ça que, même si j’ai des différents avec certains, je reste au service du Sans-nom.

Elle la sentait déjà plus sincère, mais il manquait encore quelque chose.

— Alors, pourquoi tu lui mens ?

— Des vieilles habitudes, j’ai encore du mal à… penser autrement.

On lisait à présent dans son regard une peine sincère. Angora, soulagée, lui adressa un petit sourire qu’elle espérait être réconfortant. Comme elle n’avait pas particulièrement faim, elle prit entre ses doigts l’un de ses marrons glacés et lui offrit en signe de paix.

D’abord surprise, Ashä se laissa séduire et ouvrit délicatement la bouche. Qu’attendait-elle donc de la Dragon ? Plutôt que de lui glisser directement entre les lèvres, cette dernière préféra lui poser dans l’assiette. L’autre eut une moue déçue, mais accepta le cadeau.

— Ce n’était pas comme ça, à bord des autres navires pirates où tu as servi ? demanda Angora qui ne lâchait pas encore l’affaire.

Ashä croquait déjà son marron. Elle répondit néanmoins, sans détour.

— Pas du tout comme dans l’Eclat, non. J’ai été pirate pendant cinq ans, avant de rencontrer Taylor, et ça n’a pas été de grands moments d’amitiés. Le premier, Sabbir le Roux, voulait absolument me mettre dans son lit. J’avais quatorze ans, je l’ai planté et je me suis enfuie. A partir de là, je suis entrée au service de plusieurs Lieutenants du Seigneur Pirate Ghour, je suis passée d’équipages en équipages, sans jamais rester plus de quelques semaines… jusqu’à ce qu’un raid aux alentours de Khoro dégénère. Les autres ont été capturés mais moi j’ai réussi à sauter sur le Surplomb et je suis restée cachée pendant une semaine avant de réussir à rejoindre Ghour. Mais certains m’ont accusée d’avoir abandonné ma Capitaine. Dans une taverne sur Aphoor, son compagnon est venu me chercher des noises, on s’est battu, et je l’ai tué devant ses hommes. Après ça, il n’était plus question que je reste dans l’entourage de Ghour et je suis partie dès le lendemain. J’ai fait ensuite quelques années sous la protection de Quo Gin, mais ma réputation n’a fait qu’empirer… Bagarreuse, indisciplinée, peu fiable, et j’en passe. Au final, on ne me recrutait guère que pour mes talents aux sabres. Dans ces affaires-là, au moins, personne ne pouvait me reprocher de ne pas faire mon travail.

— Je confirme, la complimenta Angora en dégustant sa friandise, tu as beaucoup de talent.

Ashä lui sourit.

— Merci, mais je n’en ai pas tout le mérite. J’ai eu un bon maître.

Yulia ne manquait plus une goutte de leur conversation. Pas plus qu’elle ne manquait une miette de ses gâteaux. :arrow: Une protagoniste parfaite, cette Yulia 8-)

— Qui était-ce ?

— T’Chëim, le père de ma mère. Il était le maître d’arme de l’Ecole du Chat, j’ai étudié et grandi dans son Ecole.

— Tes parents étaient des combattants aussi ?

— Toute ma famille l’était. Thäma possède une culture très différente de l’Empire : nos meilleures familles ne sont pas des commerçants, des écrivains ou des administrateurs, mais bien des guerriers. L’art du sabre se transmet de pères en fils et de mères en filles. Mon père, Sigar de Bizänce, a formé mes frères, moi j’ai été éduquée par notre mère, Visça. Une fois qu’un enfant sait correctement tenir un sabre, on l’envoi :arrow: envoiE étudier auprès d’une école.

— Bizänce c’est… ton nom de famille ?

— Nous n’avons pas ce genre de chose, ni la tria nomina. Les non-combattants n’ont droit qu’à un prénom, mais un Adepte gagne le droit de se nommer d’après la ville qu’il défend et le Seigneur de Guerre pour qui il se bat. Même si l’exil a poussé beaucoup des nôtres à quitter Thäma, nous n’avons pas abandonné nos noms.

— Ça n’a, en effet, rien à voir avec ce que je connais, admit Angora.

— Tes parents n’étaient pas des guerriers ? lui demanda Asha :arrow: Elle a perdu son tréma ? :( , que la question intéressait manifestement.

— C’est difficile à dire, je ne sais que très peu de choses sur mon père. Son nom est Jast Trieh Valk’ozir, Seigneur de Ku’rum, mais je ne suis même pas son enfant légitime. Ma mère m’a abandonnée dans un Temple et mon père m’a vendue au Sanctuaire Impérial pour se débarrasser de moi. C’est là-bas que je suis devenue un Dragon.

Yulia finissait son repas nocturne par son bâton d’anis. Angora, quant à elle, prenait le temps de savourer son marron glacé. Elle n’avait pas pu mettre la main sur ce genre de petit plaisir depuis leur départ de Cathuba et, avec toutes leurs péripéties à la Capitale, avait presque oublié que la détente pouvait encore être permise. Face à elle, Ashä s’était laissée aller également et avait croisé les pieds sur la table. De sa main gauche, elle piochait dans son assiette et émiettait ses friandises de la main droite avant de les porter à sa bouche. Le confiseur avait disparu dans sa cuisine et, de ce fait, elles étaient seules si on omettait les nombreuses silhouettes qui passaient de l’autre côté des vitres.

— Comment se fait-il qu’une Dragon Impérial ait développé un goût pour les confiseries ? vint finalement la titiller Ashä sur un ton badin.

Cette dernière haussa les épaules, car la réponse était moins drôle que la question :

— Ce sont des cadeaux parfaits pour les officiers. Personne n’offre rien aux Dragons –il n’y a pas vraiment de fraternité militaire envers nous– mais quand un officier n’aime pas une ou deux confiseries qu’on lui a offertes, il arrive qu’on nous les apporte. J’ai servi auprès d’armée Impériales pendant dix ans avant de passer au service de Ford… j’ai eu le temps de forger mes goûts.

Cette réponse arracha un sourire à Ashä. Dans son coin, Yulia se tapait la panse, repue, et commençait à somnoler.



La conversation badina ensuite jusqu’à ce que Yulia ne demande –un peu maladroitement car elle luttait contre le sommeil– pourquoi Ashä avait craché en prononçant le nom de l’Amiral Rouge. La sabreuse répondit en grimaçant :

— Ce qu’a dit Taylor, ce soir, a fait remonter des souvenirs. Vous avez l’Amiral Rouge en ennemi, ça nous fait un point commun. J’ai hâte qu’on puisse se battre contre ce salopard.

— Tu le détestes à cause de la guerre en Thäma ?

— Si tu avais connu mon ancienne terre, tu le haïrais aussi. Thamä n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été.

— J’ai lu les rapports…

— Ça n’a rien à voir avec les rapports. Il faut le voir pour vraiment mesurer l’horreur. Nos champs et nos cultures, qui auparavant couvraient notre pays et faisaient notre richesse sont aujourd’hui réduits à de pauvres tiges brunes. Et notre peuple ? Lui, qui hier était fier, se trouve réduit en esclavage dans les mines ou en exil aux quatre coins des Surplombs. Hockard nous a tout volé. Hockard m’a tout volé.

Elle serrait le poing à s’en faire blanchir les phalanges.

Le sang d’Angora se gela à ces mots. Elle pouvait presque toucher du doigt la peine de sa compagne, mais celle-ci semblait se retenir, hésiter à se confier. Du bout des lèvres, la Dragon formula une demande :

— Raconte-moi.

Ashä inspira profondément, comme si elle se préparait à plonger dans un bain de Vapeur. Quand finalement elle débuta son récit, son regard s’était fait aussi dur que l’acier de ses lames.

— La guerre est née d’une graine Impériale : Vorsh Hun Ndjidah était le bâtard noble d’Arcadie et de la Seigneure Agräah à qui il vola le fief d’Ndjidah. Sous son règne tyrannique, il força son peuple à travailler dans les mines de fer, augmentant démesurément leur rendement. Il acheta des machines aux marchands Impériaux, sans se soucier de la douleur de ses gens, et sans craindre de dépeupler les champs et les villages. Tout ce qui lui importait était les montagnes d’or dont l’arrosaient les Impériaux. Après cinq ans d’horreur, les Seigneurs de Guerre s’unirent pour renverser Vorsh et libérer Ndjidah. Plus aucun fer ne fut vendu à l’Empire, et Thäma en tira une grande fierté.

— Ça n’a pas plus aux Impériaux…

— Et comment. Je suis née pendant la guerre, ma mère m’a confiée à mon grand-père pendant qu’elle et mon père se battaient pour le Seigneur de guerre Golgoth de Bizänce. Nous ne faisions pas le poids dans les airs mais, à chaque fois que les troupes de l’Empereur posaient le pied sur le sol de Thäma ils étaient mis en pièces par les adeptes du sabre. Désespéré, l’Empereur a appelé les forces de l’Amiral Rouge… et celles de l’Inquisition. Ils commirent le pire des sacrilèges pour remporter la guerre : ils pillèrent et détruisirent les Temples de l’eau qui, au sommet de nos montagnes, créaient les sources de nos fleuves.

Angora hoqueta de surprise :

— Ils ont détruit des Temples ? Mais c’est impensable !

De dépit, Ashä nia de la tête.

— Il y a une raison pour laquelle c’est l’Inquisition qui est intervenue. Quand leurs consœurs des Prêtresses de la Vapeur sont arrivées sur le continent, elles ont cherché les sources et se sont mêlées aux villages des hauteurs qui pratiquaient déjà une forme archaïque du culte de la Vapeur. Aussi loin dans les terres, elles se sont retrouvées isolées de leurs consœurs et le culte a emprunté chez nous une évolution particulière. La différence principale était que les Temples n’avaient pas le luxe d’être uniquement constitués de femmes : ils fonctionnaient comme des villages où chacun, hommes et enfants inclus, participait aux rites. Ce n’est pas comme si, dans les hautes montagnes, on pouvait se priver de la moitié d’une population… Mais l’ordre des Gardiennes considérait les Temples Thämari comme hérétiques, et à ce titre l’Inquisition les a rasés. Ils débarquaient depuis les airs, à bord de leurs gigantesques navires à volant, sereins, car aucune armée ne pouvait remonter les gorges et les montagnes depuis les plaines. Pendant des semaines, ils ont attaqués :arrow: attaqué nos communautés de Gardiennes, bombardés, tués et violés, :arrow: bombardé, tué, violé jusqu’à détruire chacune des pierres qui y condensaient la Vapeur.

— Quelle horreur.

Angora avait passé ses années d’enfance dans un Temple. Elle y avait souffert, mais l’espace entre ses murs représentait malgré tout un foyer. Les bains et les autels de prière constituaient pour les habitants des Surplombs le seul refuge inviolable que l’Empire leur laissait. Entendre qu’on pouvait s’y livrer aux pires exactions avait de quoi bouleverser le plus athée des Impériaux.

L’Inquisition était décidément la main qui exécutait jusqu’au plus vil des plans.

— Alors, reprit Ashä, nos rivières se sont taries. Nos cultures ont dépéri. Nos villes ont commencé à crier famine. En deux ans, il ne restait de nos armées que des bataillons de fantômes faméliques, animés seulement par la colère et la haine. C’est l’Amiral Rouge qui nous a vaincus : il a attiré les Seigneurs de guerre Golgoth et Cothaire dans le col de Yodit, là où nous ne pouvions donner l’assaut à ses canons. Cette bataille nous coûta la guerre. Les deux Seigneurs de Guerre furent capturés et un grand nombre de leurs guerriers de Caste furent tués. Mon père y laissa la vie. Les survivants furent emprisonnés par Hockard : ma mère et tant d’autres, furent emmenés loin de Thäma, dans des camps dispersés dans le Protectorat d’Œcar. Ces guerriers étaient le trophée de Léopold Faidherbe Hockard, il ne les laissa jamais remettre le pied en Thäma.

— C’est ainsi que s’est finie la guerre ?

— Oui, l’Empereur a laissé les Seigneurs de guerre en place, mais ils devaient obéir à l’Amiral Rouge, nouveau Gouverneur de Thäma. Il ne fit pas construire de nouveaux Temples pour rétablir nos rivières, non, au contraire il veilla à nous laisser continuellement affamés, nous rendant dépendants de la nourriture arrivant des Surplombs. Les prix devinrent intenables et il enchaîna notre population aux mines : nous devions tous des « heures de travail » au gouvernement colonial, en échange d’une paye misérable qui ne suffisait pas à nous nourrir. Comme tous guerriers de Caste étaient captifs d’Hockard, les Seigneurs de guerre ne disposaient d’aucune force armée pour entrer en révolte et nous mourrions à petit feu tandis que l’Empire suçait le fer jusqu’à la moelle de nos montagnes.

— Et toi, pendant ce temps ? Tu travaillais aussi aux mines ?

— J’apprenais le sabre à l’Ecole du Chat, sous la tutelle de mon grand-père T’Chëim, et avec mes grands-frères. J’étais encore trop jeune pour les mines et, un jour où des Impériaux sont venus me réclamer, T’Chëim a menti sur mon âge et j’ai pu rester.

— Il y en avait beaucoup, des enfants comme toi ?

Elle hocha la tête.

— Les maîtres qui enseignaient aux novices et les enfants des guerriers n’étaient pas partis à la guerre. Nos parents étaient captifs ou morts, mais nous étions saufs, et nous étions formés par les anciens. Beaucoup, comme mes frères, étaient forcés de descendre dans les mines mais, quand ils revenaient à l’Ecole, ce n’était que chargés de plus de haine et de désir de vengeance.

— Pourquoi Œcar n’a pas démantelé les Ecoles comme l’Inquisition a démantelé les Temples ?

Ashä haussa les épaules, indiquant qu’elle ne savait pas ou qu’elle se fichait bien de la réponse.

— La même raison qui explique pourquoi ils ont laissé les Seigneurs de guerre en place, j’imagine. Ils devaient imaginer que les Seigneurs tenaient la bride des Ecoles, mais c’est bien méconnaître notre culture : une Ecole ne répond à aucun Seigneur, une Ecole forme des guerriers de la Caste qui ensuite décideront d’un Seigneur à servir. Les choses ont toujours fonctionné ainsi et ils n’en allaient pas différemment pendant l’occupation. Rien d’étonnant alors à ce que ces Ecoles deviennent les instigatrices d’une rébellion : nos Maîtres étaient les meilleurs lames du pays, et ils entraînaient des jeunes gens qui ne rêvaient que de venger leur peuple.

— Ne tenaient-ils pas vos parents ?

— Cela a retenu la lame de certains pendant quelques années. Mais on retrouvait régulièrement un soldat Impérial, la gorge tranchée dans une rizière ou au fond d’une ruelle sombre. Quand, sept ans après la bataille de Yodit, une grève dans les mines fut réprimée à coup de fusils, Ndjidah se souleva et beaucoup de novices de la Caste prirent les armes. J’en fus, je ne le cache pas. J’ai tué deux hommes ce jour-là : le premier était un simple soldat, mais le second était un officier qui n’imaginait pas avoir de difficultés à affronter au sabre une gamine en haillons.

Elle posa sur leur table son premier sabre, celui dont la garde était faite d’ivoire de baleine des airs.

— C’est de lui que j’ai obtenu Griffe, expliqua la sabreuse. Elle fut mon premier sabre d’adulte.

— Tu… donne des noms à tes sabres ? s’étonna Angora.

— Ah, tu ne le savais pas ? Voici Griffe et Croc. Griffe :arrow: italique ? ;) est la plus timide, mais Croc est parfois jalouse car elle est un peu plus longue.

:arrow: J'aime beaucoup les noms des sabres :lol:

Elle désigna de la main son second sabre qui reposait sur ses cuisses.

— Et où tu as obtenu… Croc ? demanda la Dragon, non sans un petit sourire.

— Un pillage, un comptoir dans la Bordure de Bronze il y a quelques années. Elle sortait à peine de la forge. Dès que je l’ai eue dans la main, j’ai su qu’on allait bien s’entendre.

Angora la sentit sur le point de se lancer dans une allusion douteuse –peut-être allait-elle la comparer à un sabre– aussi elle changea de sujet.

— La révolte de Thäma ne s’est pas bien finie, j’imagine.

Ce n’était pas particulièrement difficile à deviner : l’Amiral Rouge tenait toujours Thäma.

— Elle n’a pas très bien commencé non plus, avoua Ashä, amère. A peine notre coup d’éclat à Ndjidah fut-il connu que Hockard fit un exemple : il exécuta tous les otages d’un camp de prisonnier et envoya leur tête aux Seigneurs de guerre en guise d’avertissement. Nous n’obéissions pas aux Seigneurs, ils n’auraient de toute façon pas pu arrêter notre révolte, mais en exécutant des prisonniers, ils ont brisé la plus sacrée des lois de guerre. Même sans armée, les Seigneurs de guerre ne pouvaient rester indifférents face à ce déshonneur et sont entrés en rébellion à nos côtés. Furieux, L’Amiral Rouge a fait tuer tous les autres prisonniers. Ma mère est morte dans un camp, sans jamais que je ne puisse revoir son visage.

Angora ne sut quoi dire. Ashä resta silencieuse pendant quelques secondes, puis finit par reprendre la parole :

— La révolte a duré cinq ans. Nous n’avons jamais combattu en bataille rangée : ça aurait été signer notre mort. Au lieu de ça, les Seigneurs de guerre se sont entourés des jeunes guerriers de la Caste, ceux qui étaient enfants lors de la bataille de Yodit, et ont livré une guerre de terreur en se cachant dans les montagnes : des dignitaires Impériaux étaient assassinés dans les villes, les provisions étaient empoisonnés, et des troupes d’Œcar tombaient dans nos embuscades. Parfois, nous libérions une ville et y égorgions tous les Impériaux que nous y trouvions, mais nous en repartions aussitôt car les vaisseaux d’Hockard ne manquaient pas de nous y suivre et la répression y était sanglante. Plus que la famine, c’est la guerre qui a poussé la majeur :arrow: majeurE partie de notre peuple à fuir Thäma : la peur d’être exécuté pour l’exemple, la peur d’être pris au piège d’un affrontement entre rebelles et Impériaux… Ces années-là furent terribles, pour notre peuple comme pour la rébellion. On ne pouvait pas gagner contre un Empire entier, pas avec notre maigre organisation. On leur bouffait que l’orteil, et il leur restait encore tout le pied pour nous écraser. Mes frères sont morts les uns après les autres. L’Ecole du Chat a été incendiée. T’Chëim a été arrêté et fusillé sans autre forme de procès. Les Seigneurs de guerre en révolte n’ont pas duré plus de cinq ans. L’Amiral Rouge les a remplacés par leurs fils, leurs neveux en bas âges, par des vieillards qu’il pouvait contrôler grâce à une régence dirigée par ses propres hommes. La plupart des rebelles sont morts avec les Ecoles de sabre, et avec eux les derniers restes de la culture Thämari.

— Comment tu t’en es sortie ? demanda la Dragon en peine.

— De la seule manière possible : j’ai fui, j’ai quitté mon pays. Beaucoup de fils de guerriers ont fait comme moi et ont choisi la piraterie pour échapper à l’Empire. Aujourd’hui, il ne reste en Thäma que des champs asséchés et des esclaves dans les mines. Ce n’était plus chez moi, ma patrie était morte avec la guerre. :arrow: Damn, c'est poignant :?



Un long silence s’installa, pendant lequel Ashä évita son regard. Elle passait le doigt dans son assiette pour en récupérer les dernières traces de sucre. Angora ne se serait pas risqué :arrow: risquéE à parier sur son état d’esprit mais, quand la sabreuse releva la tête, elle semblait simplement soulagée.

— Merci, dit-elle.

— Merci pour quoi ?

— Elles sont bien peu… à me de demander de raconter mon histoire.

Il se passa alors quelque chose, dans cette confiserie, qui dépassa le cadre des simples mots. A cette heure avancée de la nuit, la fatigue faisait naturellement tomber les quelques barrières qui s’étaient établies entre les deux femmes.

Elles regardèrent autour d’elles et s’aperçurent que, dans son coin, Yulia ronflait doucement à présent. Il était bien tard pour une enfant et le tenancier n’était toujours pas revenu. Elles se levèrent.

— Tu penses à ce que je pense ? demanda la femme aux cheveux rouges.

— Il a pu nous reconnaître et partir chercher l’Inquisition. Il faut qu’on parte.

— La porte de derrière ?

Ashä hocha la tête et ce fut décidé. Angora prit Yulia sur son dos sans que la petite ne se réveille. Avant de partir, cependant, l’Eclair de Jade se permit de taquiner la Dragon une dernière fois :

— C’était bien sage, pour un rendez-vous galant ! Tu penses qu’on peut remercier la petite chipie pour cela ?

Angora sourit et répondit sans hésiter :

— Je ne pense pas que le rendez-vous se serait déroulé différemment, sans Yulia. Et j’en suis heureuse.

Ashä se gratta la tête, ne sachant trop comment répondre à cela. Ce fut la Dragon qui reprit la parole la première, amusée d’avoir ainsi cloué le bec à l’impertinente épéiste.

— J’accepte.

— Tu acceptes quoi ? demanda l’autre femme, confuse.

— J’accepte le prochain rendez-vous. Je ne pense pas qu’on reviendra dans cet établissement mais, quoi que tu proposes, j’accepte de t’y accompagner. Et en laissant Yulia chez Emy, cette fois.

Elle termina avec un tendre regard sur sa protégée :

— Tu as raison : je ne suis plus la seule à la protéger.

Le visage de la sabreuse rayonna pendant le reste de la nuit.

Ils se faufilèrent facilement hors de la confiserie, sans qu’Ashä ne laisse la moindre pièce sur le comptoir. Leur retour au bar se fit en silence et, lorsque les deux femmes se séparèrent pour regagner leur chambre, ce ne fut pas sans s’adresser un dernier signe de la tête.

Angora s’endormit le plus sereinement du monde. :arrow: Moh, avec la musique du Château Ambulant derrière, c'est juste beaucoup trop adorable :D
C'est vraiment une jolie fin de chapitre, même si le passé d'Ashä est très douloureux. Ce que j'aime bien, c'est qu'Ashä parle globalement de son pays et pas seulement de son propre passé et ça donne une dimension historique très sympa à sa narration ^^
Ce chapitre m'a un peu donné le sentiment du "calme avant la tempête", alors je me demande bien ce qui va arriver dans les prochains chapitres... =D

Bref, je replonge avec un grand plaisir dans le Temps des Surplombs et redécouvre tes personnages divers et travaillés, qui sont un véritable régal et une grande force en plus de ton univers riche et intriguant :)
Comme toujours, ton écriture est au poil, même si je trouve qu'il y a parfois quelques longueurs dans les dialogues à cause d'un manque de ponctuation, mais c'est un détail ;)

Bonne soirée, j'attaquerai la suite un autre jour, j'ai déjà mal aux yeux là :''''D (fragile).

Courage pour tout ;)
louji

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Re: Le Temps des Surplombs - Chap 19, part.3 [Fantasy-Steampunk-Aventure]

Message par louji »

Dire que j'ai dit que j'allais être rapide... :| Désolée pour le retard à nouveau ! :oops:
dark-vince a écrit :Bonsoir à tous ! Eh bien, désolé j'ai peu décroché du rythme... en effet, j'ai enchaîné deux semaines de travail chargé avec des vacances sans pc car... mon fidèle m'a lâché ^^' :arrow: Non ! Jesuistristessepourtoi :( Le fourbe est en bien mauvais état, je vais devoir le faire remplacer.
Avec ses dernières forces cependant, je vous poste ce chapitre qui aura mit un peu de temps à venir, mais qui précède le dernier acte des aventures des Yulia à la Capitale ;)
Découvrez les multiples visages de la ville et frissonnez devant les affaires politiques qui promettent de devenir plus musclées que jamais !
Merci à Enora pour la superbe correction !
Je vous souhaite une bonne lecture, prenez soin de vous !



Chapitre 20 : Au grand jour
Neufs jours après avoir débarqué à la Capitale, Yulia put enfiler les habits de Nora Dihya Alvez et jouer son rôle en public. Après six jours d’entraînement, Yssandre avait déclaré qu’à défaut de pouvoir impressionner un véritable noble, elle ferait parfaitement illusion auprès de la plèbe. Il avait donc été décidé de lancer officiellement le plan qui mènerait, ils l’espéraient tous, les Wöllner à mordre à l’hameçon.

Yulia en était la pièce maîtresse, ce qui ne participait pas à rassurer Angora, mais emplissait la fille de Ford d’une détermination nouvelle. Étudier pour apprendre un rôle était stimulant, mais enfiler enfin le costume et sentir que l’on avait enfin une prise sur les événements qui secouaient nos vies l’était plus encore. Ce matin-là, elle s’était levée aux aurores et ne se calma pas avant qu’on lui ait présenté la robe de Nora.

A présent glissée dans l’étoffe nacrée, serrée à la taille mais relâchée aux épaules, elle sentait un grand calme investir son corps alors que son esprit adoptait la logique de cette autre elle-même qu’elle avait construite. Taylor s’entretint un moment avec Angora avant de se retourner vers la jeune noble de Fezzan.

— Aujourd’hui, dit-il, Nora débarque officiellement à la Capitale. Tu devras être vue sur le port, comme si tu descendais d’un navire. Ils sont trop nombreux pour que quiconque puisse espérer tous les connaître : personne ne doutera de cette version. Ensuite, tu suivras Angora jusqu’à l’hôtel convenu. Le coup est arrangé.

— Angora sera ma garde du corps ?

Depuis que la Dragon s’était faite :arrow: fait ^^ teindre les cheveux :arrow: Onion, ses beaux cheveux rouges :( et avait revu sa tenue, elle paraissait sans problème être une authentique mercenaire.

— Exactement. Ne te préoccupe pas d’éventuels bagages, Nora n’en aurait pas beaucoup, vu sa situation, et il est de convenance qu’on envoie les employés de l’hôtel les chercher une fois que la noblesse est installée dans ses quartiers. Le plus difficile sera de te faire atteindre le port sans qu’on ne te remarque : si les gens voient une jeune fille noble sortir de la Pissotière, ils se poseront des questions.

— On va donc te couvrir, enchaina Nadejda en désignant un ample manteau et un grand voile qu’elle portait à bout de bras.

— C’est crasseux… Nora ne porterait jamais ça.

— Angora trouvera un coin près du port où tu pourras les enlever, tu ne devras les porter que jusque-là.

Elle opina du chef. C’était une mission simple, qui ne semblait pas présenter de grand danger… Voilà qui était donc excellent pour éprouver sa nouvelle identité.

Les membres de l’Eclat s’étaient réunis pour assister à son départ. Emy tentait de cacher son intérêt en frottant frénétiquement ses verres, mais ne pouvait résister à l’envie de leur lancer quelques regards en coin. Yssandre aussi s’était montré et il la bombardait nerveusement de questions à propos de Nora, voulant s’assurer que la petite connaissait bien son rôle. Mais il ne pouvait ébranler la confiance de Yulia : celle-ci était nourrie par l’excitation et ne laissait plus de place au doute. :arrow: Ah, l'enthousiasme et l'assurance juvéniles :D

Les deux femmes dirent adieux au Lynch Bar en agitant la main, certaines cependant qu’elles y reviendraient avant la fin de leur aventure.



Traverser la Pissotière fut facile : pas un chat ne traînait dans les rues, et le manteau protégea Yulia des filets d’eau crasseuse qui ne cessaient de couler des hauteurs. Elles ne se dirigèrent pas vers le fleuve, mais suivirent une série de ruelle :arrow: ruelleS qui les entraîna, de boyaux en boyaux, jusqu’à une large avenue. Celle-ci menait visiblement à une des portes de la ville et semblait être le seul coin entretenu et pavé du quartier. Le seul coin étroitement surveillé, aussi, puisque de petites tours de guets accueillaient des vigies qui observaient avec attention le flot de passants. On avait à peine passé l’heure de l’embauche, aussi ne trouvait-on plus autant de travailleurs qu’au lever du soleil, mais Yulia pouvait sans peine les imaginer avancer, comme des automates, en direction des usines et des champs, franchir les grandes portes noires pour sacrifier leur force vitale aux machines. :arrow: J'ai clairement eu du Chaplin en tête :geek:

En cette heure, donc, on croisait surtout dans l’avenue des cohortes de petits marchands, colporteurs et mendiants. Une mercenaire aux cheveux noirs et une enfant dans un manteau sale y passaient inaperçues. Les gardes, en haut, paraissaient fermement s’ennuyer et on pouvait sentir que le fusil les démangeait. Ces hommes en noir, étaient-ils des Gardes Impériaux ou des Miliciens de l’Inquisition ? Cela ferait-il seulement une différence lorsqu’ils trouveraient une excuse pour tirer dans la foule ?

Fort heureusement, leur présence diminua à mesure qu’elles s’éloignaient des remparts et remontaient l’avenue. Yulia fut moins anxieuse. La route s’éleva soudain pour enjamber l’Azurite et le quartier pieux, formant un point élancé qui leur offrit une vision lointaine du Temple de l’Abondance.

La petite sût :arrow: sut alors qu’elle n’avait jamais encore emprunté ce chemin. A leur gauche devait s’établir le quartier des Rieuses et ses bordels, théâtres et résidences d’artistes. A leur droite, s’épanouissaient les lumières de l’Etincelle et ses restaurants, auberges et cabarets. Les deux filles, elles, montaient sur une colline et apercevaient déjà le Temple de la Victoire.

Là, sur cette colline, s’élevaient des immeubles aux façades blanches, décorées de petits carreaux de céramiques aux couleurs pastelles. Il vadrouillait dans les rues un petit nombre de miliciens, clairement affiliés à l’Inquisition –ils en portaient le croissant rouge, en brassard ou cousu au revers du gilet. Pouvait-on expliquer l’absence de mendiants par leur présence intimidante ? La foule s’était éclaircie depuis qu’elles avaient laissé l’Azurite derrière elles. A présent, seuls les marchands pressaient le pas tandis qu’un certain nombre de bourgeois marchaient, sereins, et flânaient sur les petites places pavées qui s’ouvraient entre deux rues.

— La Coline Blanche :arrow: Y'a vraiment qu'un seul "L" ? :lol: La montagne, c'est avec les 2 L, autrement... c'est le prénom :roll: , révéla Angora en désignant le quartier du menton. On y trouve surtout les résidences secondaires de beaucoup de bourgeois des Surplombs, mais aussi des hôtels réservés aux officiers et actionnaires des compagnies marchandes que nous verrons au Port.

— On y arrive bientôt ?

— On va y descendre, assura la Dragon.

Et, en effet, après seulement quelques rues, elles se trouvèrent face à un carrefour dégagé qui leur offrit une belle vue sur la baie et le Port de la Capitale. Les bords du Surplombs plongeaient dans le vide en suivant une crête arrondie jusqu’à l’horizon. La seule exception à cette harmonie était une fissure gigantesque, large de plusieurs centaines de mètres, qui s’enfonçait dans la ville au-delà du quartier des Rieuses. Les collines alentours descendaient en terrasse, suivant les plis de la faille, jusqu’au niveau le plus bas où s’établissait le Port : un grand ensemble de bâtiments, de grues et d’entrepôts qui jouxtait les quais. Ceux-ci se couvraient de pierres blanchâtres, taillées avec soin, et lançaient des pontons aux armatures sculptées dans la fonte et au bois lisse. Le Port se présentait au bas de l’avenue qui s’ouvraient à elles :arrow: J'ai un petit doute, là : qu'est-ce qui s'ouvre et à qui ? (pas de blague salace svp :lol: ), et continuait encore jusqu’à disparaître derrière le Temple de la Victoire où devaient se situer les quartiers nobles. Sur la rive opposée, les bâtiments se faisaient plus opulents encore, jusqu’à atteindre, à la pointe de la faille, des hauteurs démesurées. Là s’élevaient de nouvelles murailles qui encadraient des jardins dont on apercevait la cime des arbres centenaires. Au centre de cet édifice, il y avait un ensemble de tours et de verrières finement sculptées, rayonnant au soleil vif de la matinée.

:arrow: Ces descriptions... *bave*
D'ailleurs, j'adore le travail que tu as fait sur les différents quartiers de la Capitale... Non seulement leurs noms sont très bien trouvés, mais ils ont tous leur propre âme. On sent vraiment la différence d'esprit quand les personnages les traversent !


— On voit jusqu’au Palais de l’Empereur, commenta Angora. N’espère pas y être admise un jour : seule la Garde d’Honneur y possède des entrées. On dit que les domestiques y naissent et meurent sans jamais en franchir les murs. Même un Dragon n’a pas le droit d’en gravir les marches.

Si sa Protectrice pensait que Yulia n’avait d’yeux que pour les tours de l’Empereur, c’était bien mal la connaître. En vérité, les iris de la fille de Ford avaient bien vite quitté le Palais pour retomber en contrebas, sur le Port. Ou plus précisément sur les navires et ballons qui peuplaient ce Port.

C’était, de son propre aveu, le plus grand rassemblement de voiles qu’elle n’ait jamais vu. Son cœur se serait arrêté si elle n’avait pas en tête sa mission en tant que Nora.

Angora lui adressa un sourire amusé :

— Allez, descendons donc sur les quais !



Yulia avait déjà remarqué qu’il n’y avait pratiquement aucun vaisseau qui survolait la Capitale. La peur de heurter une tour, un Temple ou un empilement d’abris de fortune devait jouer, mais elle n’en comprit qu’en ce jour la raison profonde. Il volait dans les airs autour de la faille du Port un bon nombre de petits aéronefs métalliques, peinturlurés de couleurs criardes, qui fonçaient à la rencontre des navires qui montaient plus haut que les toits des environs du Port : ces derniers se voyaient signifier par la police du ciel de redescendre rapidement et étaient redirigés dans le trafic portuaire. Le survol de la Capitale semblait défendu, si bien que tout navire devait s’engager entre les deux rives de la faille pour entrer ou sortir de la Capitale. :arrow: C'est beaucoup trop stylé, ce principe de faille servant de port :geek:

En résultait le plus formidable des carnavals aériens : tout ce que comptaient les Surplombs d’embarcation :arrow: embarcationS transitait ici, pour le plus grand bonheur des yeux.

La fille de Ford et sa protectrice marchaient, main dans la main, le long des quais. Elles avaient auparavant effectué un petit détour derrière des caisses que débarquait un slaout, afin que Yulia se débarrasse de l’affreux manteau qui cachait sa robe. A présent, elle pouvait réellement agir en tant que Nora Dihya Alvez !

Fort heureusement, elle avait décidé que Nora partageait sa passion des navires, et ne boudait donc pas son plaisir en se promenant le long des quais !

Au bas de la Coline Blanche se trouvaient les entrepôts et les grues les plus imposantes. C’était là que l’on pouvait admirer les grandes caravelles aux cales remplies de denrées venues du Nouveau Monde.

Celle qui attira l’œil de la petite portait sur le bois de son flanc une longue griffure, comme si elle avait heurté les défenses d’une baleine des airs ou percuté un rocher en contournant un Surplomb. Elle portait le nom de Glorieux Cador, mais ne possédait qu’une seule rangée de canons afin de laisser plus de place en cale pour le transport de marchandises. Son château arrière s’élevait, lui, sur trois niveaux, si bien que pour accéder au poste de pilotage on devait emprunter des escaliers à l’intérieur des quartiers du Capitaine –une hérésie dont les gabiers se fichaient bien puisqu’ils se déplaçaient à l’aide des cordages. Malgré son air maladroit et un peu idiot, le vaisseau possédait un caractère certain, tendu comme un arc, déterminé à franchir les collines et les monts qui s’élèveraient sur son chemin. Son nom véritable mériterait d’être La Fronde, ou La Filante, elle n’avait pas encore décidé. :arrow: J'avais oublié que Yulia adorait nommer les bateaux... Et moi j'adore la voir faire :mrgreen:

Ses sœurs s’arrimaient en nombre sur les quais et on y voyait s’affairer toute une panoplie de marins venus de Surplombs proches ou lointains. Les drapeaux peints sur les Ballons à Voile se montraient aussi colorés que les équipages : Yulia reconnaissait de temps en temps un drapeau d’Amirauté, mais c’était le plus souvent le pavillon d’un Surplomb en particulier qui était choisi. La plupart venaient cependant du Protectorat de Cent-Port, elle en reconnaissait les symboles de l’alphabet Kaelid qui était employé sur les armoiries de cette région.

Les choses changèrent quand elles dépassèrent les caravelles. La flottille marchande se faisait plus diverse un peu plus à l’intérieur du Port : Yulia reconnut même des drapeaux qu’elle apercevait jadis à Cathuba !

Mais cette joie fut éclipsée par une bien plus grande lorsqu’elle aperçut le Melajah, une gigantesque gourabe venue de Paam ! Le vaisseau ne se contentait pas d’être grand et allongé avec goût, il était également richement décoré : son bois était peint du vert le plus subtile :arrow: subtil et son bastingage se couvrait de dorures. De ses cordages pendaient des petits pompons jaunes et des petites clochettes de cuivre qui sonnaient au vent. Sa figure de proue représentait un aigle d’Aatraj sculpté avec soin et laqué d’or. Sur le pont s’activaient les Paamiens, des hommes à la peau hâlée vêtus de larges pantalons à lacets, tandis que sur le quai une dizaine de femmes en sari négociait pour vendre leurs marchandises à des représentants de diverses compagnies marchandes. Une certaine foule se pressait pour admirer le Melajah, mais une demi-douzaine de miliciens veillait à laisser aux marchands un espace de confort.
:arrow: Mais tout est tellement classe dans ce que tu décris :o

Yulia n’échappait pas à l’intérêt général pour le navire. Elle ne chercha pas à refréner sa curiosité, se disant très justement que Nora serait aussi intriguée par la culture des confins de l’Empire. Elle resta donc une bonne dizaine de minutes, les yeux grands ouverts, à tenter de capturer l’image de ce bijou. Ce devait être la première fois qu’un nom lui paraissait parfaitement choisi, il ne lui en vint pas d’autre qui puisse convenir au Melajah.

Angora s’impatientait cependant, et la petite accepta de repartir. Elles passèrent devant bien d’autres navires venus des huit Protectorats, d’Āto, de Myrth, du Nouveau Monde ou même du Royaume de Saqqarah. Yulia les dévorait tous des yeux, mais elle ne se remémorait que le Melajah, sachant que le colosse de Paam peuplerait ses rêveries pendant des jours.
La foule se faisait plus dense à mesure qu’elles remontaient vers le centre de la ville. Nora ne dépareillait pas dans le paysage : les promeneurs étaient richement vêtus, grands bourgeois quand ils n’étaient pas nobles, et ils ignoraient ostensiblement les dockers et les marins qui s’échinaient à la manutention. Les marchands ne transportaient rien eux-mêmes : ils signaient quelques papiers et commandaient à des hommes en haillons qui descendaient la marchandise, portaient les caisses et les tonneaux, puis tiraient les charrettes jusque dans les hauteurs de la ville. Certains cependant recouraient à des automates, à la façon des Ātoli, mais à juger par leur utilisation, ceux-ci devaient revenir plus cher que la main d’œuvre misérable des docks.

Ils passèrent bientôt devant les marches qui menaient au Temple de la Victoire, longue ascension qui se perdait dans un dense fourmillement de bâtisses à flanc de colline. Certaines échoppes annonçaient le titre que ce quartier avait gagné : « la halte des Chutes », « l’auberge des Chutes », « la dernière Chute ».

A l’ombre des ballons, Angora lui glissa à l’oreille :

— On continue encore jusqu’aux Terrasses.

— Le Port est encore long ?

— Un peu, oui, avoua-t-elle.

Ce n’était pas peu dire. Le soleil avait atteint son zénith quand le dernier des vaisseaux fut dans leur dos. Elles s’engageaient à présent dans des rues sinueuses, encadrées par de hautes maisons à colombage. Les devantures se montraient sobres, parfois seulement surmontées d’un petit écriteau en lettres d’or. Des hôtels, des résidences et des établissements de luxe. Yulia ne comprenait pas la raison qui faisait qu’on surnommait ce quartier les Terrasses, jusqu’à ce que, au détour d’un carrefour, elle aperçoive le fleuve.

Elles marchaient bien plus en hauteur que ce qu’elle croyait. L’Indigo, second des trois fleuves de la Capitale, ondulait paisiblement à plus d’une centaine de mètres des hauteurs du quartier. Pour le rejoindre, il y avait une succession de terrassement, et on passait de l’un à l’autre au moyen d’un des quatre funiculaires qui circulaient entre les édifices. Angora lui indiqua, sur la deuxième terrasse, un hôtel vers lequel elles semblaient se diriger.

La fille de Ford commençait à comprendre pourquoi ce quartier était apprécié des nobles : il était agréable. A l’exception des longs sifflets des funiculaires, il était silencieux car peu de personnes en encombraient les rues. Celles-ci n’étaient pas assez larges pour laisser passer les carrioles, et la hauteur des bâtiments isolait des bruits lointains. On devait bien y vivre, assis à ces balcons garnis de fleurs.

Ce fut cependant la première fois qu’elle se sentit clairement regardé :arrow: regardéE. Quand elle croisait un groupe de flâneurs, ceux-ci interrompaient leurs plaisanteries pour surveiller sa démarche. Il s’agissait le plus souvent de jeunes hommes, aux vêtements impeccables, imitation d’uniforme, qui portaient le fleuret à la ceinture. Jamais loin, cependant, se tenaient des gardes du corps, d’authentiques mercenaires qui ressemblaient grossièrement au style qu’Angora imitait. A la vue des armes qui côtoyaient les sourires et les badineries, Yulia se remémora les plus terribles histoires de Taylor. Ces clubs qui réglaient leurs comptes par l’assassinat… combien de leurs membres croisait-elle actuellement ?

Le monde aristocrate –aussi bien celui dont lui avait parlé Marisa, fait de robes, de courtisans et de bonnes manières, que celui qu’évoquait sombrement Taylor, fait de complots, d’assassinats et de sous-entendus menaçants– habitait le quartier des Terrasses mieux que tout autre : ses places semblaient dessinées pour y danser la quadrille ou se défier au pistolet, ses balcons pour abriter des violonistes aussi bien que des fusiliers, ses grandes portes sculptées pour s’ouvrir sur une procession de dames parées de velours comme de mercenaires bardés d’acier. Une pièce d’or étincelante, dont les deux faces s’alternent à mesure qu’elle tourne dans les airs. Yulia se demandait encore de quel côté Nora allait tomber quand elles aperçurent leur hôtel. :arrow: Wow, ce paragraphe était beaucoup trop classe et bien mené :shock:
C’était un établissement presque trop commun pour le quartier. La façade aurait demandé un bon coup de peinture mais l’enseigne s’y révélait en parfaites lettres d’or :

Havre de Méléon, Hôtel distingué


Il s’agissait d’une grande maison, haute de trois étages, bâtie dans une pierre solide entre deux bâtiments bien plus délicats. Le rez-de-chaussée se composait d’un grand hall, entièrement couvert de bois précieux, éclairé à l’électricité par des lustres dernier-cri. Deux escaliers montaient dans les étages et, sous chacun d’eux, une petite porte menait aux arrières salles.

Le coup avait été arrangé à l’avance par Taylor. Au guichet, elle déclina l’identité de Nora et formula son souhait de réserver une chambre, pour trois semaines –elle ne resterait pas aussi longtemps, mais ils avaient convenu qu’un séjour plus court aurait été moins crédible. On exauça son vœu : en échange d’une petite signature et d’une petite avance –cinq pièces d’or, tout de même !– le personnel se plia en quatre pour répondre à ses exigences.

Elle donne le nom d’un navire fictif pour qu’on aille chercher ses bagages –les Corsaires arrangeraient l’affaire– et on lui demanda de patienter quelques minutes le temps de préparer sa suite. Yulia avait cru disposer d’une simple chambre, mais elle était en réalité loin du compte. Elle n’était pas une simple roturière dans une auberge du quartier des Rieuses, elle était l’héritière d’une famille noble, en mission à la Capitale !

Par conséquent, ses appartements chez Méléon s’ouvraient sur une antichambre où ses mercenaires pourraient monter la garde –ceux-ci disposaient d’une alcôve discrète où se reposer– avant de donner sur une large et luxueuse pièce à vivre. Cette dernière disposait d’une demi-douzaine de fauteuils moelleux réunis autour d’une table basse et d’un service à thé, de gros tapis de laines auxquels on avait brodé la rose impériale, de meubles en bois précieux dans lesquels on trouvait tout le nécessaire de toilette imaginable, d’un grand miroir qui couvrait pratiquement tout un mur, et même d’un authentique clavecin, trônant au milieu de la pièce, lustré comme un sous neuf. La petite ne savait pas en jouer, mais on ne pouvait contempler un si bel objet sans désirer l’entendre chanter. Deux autres pièces s’offraient encore à elle : la première se révéla être la chambre, pour le coup assez classique bien que le linge soit de qualité. Un grand lit disposant d’un édredon en plume d’oie et d’un pot de chambre en porcelaine. En découvrant la seconde pièce, cependant, elle sentit son cœur se soulever, transporté de bonheur : une salle de bain, entièrement carrelée, disposant de sa propre baignoire et d’une petite cheminée pour faire bouillir l’eau. :arrow: Tu devrais poster une annonce sur leboncoincoin (comme dit Daniel), ça vend du rêve là :lol:

Plusieurs pensées lui traversèrent la tête pendant que les domestiques lui faisaient visiter les lieux, mais aucune ne lui perça plus le cœur que celle qui s’imposa dans son esprit lorsqu’elle s’attarda à la fenêtre pour reprendre ses esprits : cette robe, cet appartement, cette cité… c’était la vie que Marisa avait rêvée pour elle. Cette existence où tous ne semblaient se préoccuper que de son confort et renvoyaient le désir de satisfaire la moindre de ses envies, elle l’aurait sans doute obtenu :arrow: obtenuE bien facilement si sa mère n’était pas morte en la mettant au monde. Sa gouvernante à Cathuba le lui répétait bien : elle était la fille d’un Amiral, elle pouvait y prétendre de droit. Malheureusement, la grande Prêtresse, en la déclarant enfant Sinistre, l’avait privée à la fois du droit de rejoindre les Gardiennes et du droit de se faire une place parmi la noblesse.

Cependant, confort matériel mis à part, la jeune fille ne pensait pas que cette vie lui aurait convenue. Elle convenait à merveille à Nora Dyhia Alvez, bien sûr, mais pas à Yulia Angora. Il n’y avait dans le monde des nobles aucune place pour les escapades, les courses sur les toits et les chapardages de bonbons. Elle n’aurait sans doute jamais pu devenir amie avec quelqu’un comme Dick Tales :arrow: C'était pas Dick-Tale ? :geek: .

Cette seule pensée envers le garçon suffit à la rendre triste. Elle aurait aimé l’avoir à ses côtés, mais elle avait conscience que lui imposer un tel voyage aurait été cruel.

Elle était donc d’humeur sombre lorsque le maître des lieux vint lui rendre visite. Angora finissait d’inspecter les issues, à commencer par la solidité des fenêtres et le fond de la cheminée dans la salle de bain. Il toqua à la porte et n’attendit pas qu’on vienne lui ouvrir pour s’immiscer dans la pièce.

C’était un gros bonhomme à la moustache luisante. Court sur pattes et myope comme une taupe, il avançait en froissant entre ses doigts le tissu brodé de son gilet. Son visage ne trahissait aucune émotion.

Angora sortit de la cheminée et se frotta les paumes, méfiante. Tout s’était passé comme prévu, mais comment savoir lorsque le temps d’arrêter de jouer la comédie était venu ? L’hôtelier ne leur facilita pas la tâche : il balaya la pièce du regard, évaluant sans doute quelque chose qui n’importait qu’à lui.

Yulia voulu :arrow: vouluT s’avancer, encore dans la peau de Nora, mais le dénommé Méléon parla avant elle :

— Il n’est pas encore arrivé ?

— Qui ça ?

A cet instant, on entendit trois petits coups discrets portés à un battant. Yulia crut que ceux-ci venaient de la porte et entreprit de contourner Méléon –qui ne réagissait pas– mais ce fut Angora qui en identifia correctement la provenance.

Elle se tient :arrow: tint face au miroir quelques secondes. Yulia la rejoignit, intriguée.

— Ne le fais pas attendre, bon sang, s’impatienta l’hôtelier. Ouvrez-lui donc ! :arrow: Tutoiement puis vouvoiement ? :D

La Dragon posa les mains sur le cadre et comprit le mécanisme. Délicatement, elle fit pivoter la glace. Derrière, on découvrit une petite porte de bois sombre, verrouillée par un loquet qui fut immédiatement relevé. Derrière se tenait Taylor, tentant de contenir son fameux sourire.

— Le Capitaine de l’Eclat présente ses hommages à l’héritière de la famille Alvez, déclara-t-il en posant le pied dans la salle. Êtes-vous satisfaite de nos services ?

Méléon fronça les sourcils.

— Ne pousse pas ta chance trop loin, Taylor, prévient-il. Je peux supporter beaucoup de choses, mais tu as passé l’âge des blagues.

L’autre haussa les épaules comme si la pique le laissait indifférent et se retourna vers Yulia et sa protectrice, à peine surprises de l’entrée du pirate.

— Je vous présente Méléon Thiersonn : un vieux baroudeur qui a passé quelques années au Nouveau Monde avant d’intégrer la Garde Impériale et, finalement, de toucher l’héritage d’une tante et devenir propriétaire d’un des plus anciens hôtels du quartier des Terrasses.

Il renifla bruyamment pour marquer son irritation.

— Et moi je vous présente le passage secret.

— Tu ne me présentes pas moi ? se vexa Taylor.

:arrow: J'adore Taylor, vraiment :lol:

Décidément, Méléon ne goûtait vraiment pas les blagues. Il fronçait à nouveau les sourcils et refusait de dire un mot de plus. Angora intervint pour désamorcer la situation :

— Ignorons le Corsaire. Vous pouvez nous parlez du passage secret ?

— La porte est cachée derrière le miroir, comme vous avez pu le voir. Si vous recevez un visiteur, il ne devrait pas la remarquer, à moins de laisser traîner ses doigts partout, ce que je déconseille peu importe la situation. Le loquet peut s’ouvrir de l’intérieur mais il y a une petite serrure qui permet d’ouvrir également depuis l’extérieur si on possède la clé.

Il plongea la main dans la poche de son gilet et en tira une petite clé en bronze qu’il posa délicatement avec un mouchoir sur la table basse.

— Le vestibule donne sur une petite échelle, reprit-il, qui descend sur une dizaine de mètres jusque sous la rue. C’est un vieux passage secret, je ne sais pas qui l’a construit, mais il continue sur près d’un kilomètre jusqu’à déboucher dans la cave d’une bâtisse au bord de l’Azurite. La porte là-bas est en acier et j’ai racheté moi-même le lieu : au rez-de-chaussée c’est une guinguette bon marché, et je me sers des étages pour loger mes employés et quelques marchands qui me payent leur chambre. Le gérant a l’habitude et ne pose généralement aucune question si vous arborez ce symbole…

Il posa, juste à côté de la clé, cinq exemplaires d’une pièce d’or à l’effigie d’un vieil Empereur que Yulia ne reconnaissait pas.

— Commandez-lui quelque chose, n’importe quoi, et insistez pour le payer avec ces pièces-là. Il vous mènera à la porte dans sa cave et vous pourrez emprunter le passage. Vous pouvez aussi l’emprunter en sens inverse : il ne questionne pas plus les gens qui sortent, mais n’oubliez pas la pièce.

— Je viendrais par ce chemin, expliqua Taylor, et les membres de l’Eclat nous rejoindront ainsi également lorsque nous devrons planifier la suite des opérations. Si vous êtes attaquées ici…

Il regardait Angora sans sourire.

— … fuyez par là sans hésiter. Nous ne devons prendre aucun risque.

La Dragon acquiesça avec gravité. Elle se tourna ensuite vers l’hôtelier :

— Y a-t-il autre chose que nous devons savoir ?

— Les repas sont servis à midi pile et à dix-neuf heures. Les domestiques vont toquer, si vous ne répondez pas ce sera laissé sur le guéridon devant votre porte. :arrow: La fin de phrase est pas évidente

On frappa quatre petits coups secs. Yulia se précipita vers le miroir, mais cette fois ça venait bien de la porte de la suite. Angora souleva un sourcil :

— Le dîner est en avance.

Taylor sourit :

— J’ai invité des amis.



Méléon alla ouvrir. Yulia reconnut le couple de vieux journalistes qu’ils avaient rencontrés au théâtre à l’instant où ils se montrèrent. Leurs noms lui échappaient encore, mais le Sans-nom répéta les présentations :

— Joshua, Margareth, voici Nora Dyhia Alvez, héritière de Fezzan et tout juste débarquée à la Capitale !
Joshua, tiré à quatre épingles dans un costume mauve couronné d’un chapeau blanc, se fendit d’un grand sourire, découvrant ses dents déchaussées :

— Comme elle est jolie ! Une vraie princesse de Bérudie !

Margareth, elle, fut plus critique en ajustant son châle à froufrou.

— Un peu juste niveau fioritures, le costume. Il serait de bon goûts :arrow: goût d’ajouter quelques symboles… des crocus à safran, peut-être ? Joshua, qu’en dites-vous ?

— Veuillez excusez mon épouse, ses rhumatismes affectent son humeur.

Taylor souriait. Il appréciait visiblement beaucoup le vieux couple.

Méléon leur proposa de s’asseoir autour du service à thé afin d’être plus à l’aise pour discuter. Seule Angora resta debout, comme une authentique mercenaire payée pour protéger l’héritière de Fezzan. Le Capitaine, bien entendu, s’assit de travers, les jambes par-dessus un accoudoir, au désespoir de l’aubergiste.

— Ici, on ne pourra pas bénéficier d’autant de marge de manœuvre que chez Emy, annonça-t-il en préambule. Yssandre te rejoindra en utilisant le miroir, mais vous aurez moins d’heures de travail car Nora devra se montrer en ville régulièrement pour être identifiée. Pour le reste, j’ai confiance en ton jeu d’acteur, mais il te manque encore certaines bases de culture de la cour impériale. A l’heure actuelle, te lâcher au milieu d’un banquet de nobles serait trop risqué… c’est pour ça que j’ai demandé à Joshua et Margareth de venir.

— Il est logique qu’une jeune noble originaire d’un lointain Surplomb ne connaisse pas spécifiquement les us et coutumes de la Capitale, pas plus que les subtilités de la politique interne. Engager des journalistes pour rattraper ce manquement est crédible, jugea la dame.

— Et nous sommes ravis de rendre ce service à la fille de Ford, précisa son mari.

La petite coula un regard vers le Sans-nom :

— Un peu comme les leçons que tu me faisais au bar ?

— Ce sera plus spécifique, trancha Margareth. Le petit Taylor a déjà comblé tes plus grosses lacunes, de ce qu’il nous a dit, mais il s’agit d’entrer bien plus dans les détails. Nous allons t’apprendre à reconnaître certains individus et à correctement t’adresser à eux. L’important, dans l’aristocratie, est de jauger correctement le rapport de force que l’on entretient avec ses interlocuteurs.

— Le petit poisson doit montrer du respect au gros poisson, illustra Joshua. Il y a mille et une façons de faire passer un message, d’insulter ou de courtiser, simplement en utilisant le protocole.

— Assez parlé dans le vide, trancha cependant sa femme en rectifiant de la main les plis de sa robe. Gardons nos métaphores animalières pour des heures plus avancées, tendre époux ! Nous avons des informations qui pourraient intéresser le petit Taylor.

:arrow: J'aime beaucoup ces deux journalistes, surtout leur façon de parler, elle est très vivante et leur donne du charme en plus :D

Ce dernier se redressa sur son siège. Méléon leva les yeux au ciel, l’air de dire « enfin ! ».

— Je vous écoute.

— Il s’agit de l’Amiral Rouge, grimaça le vieil homme au chapeau blanc. Un communiqué est arrivé hier, il a fuité dans la presse ce matin.

— L’Inquisition avait nommé un Administrateur à Cathuba, après avoir purgé la ville des soutiens de Francis.

— Oui, acquiesça Taylor. Menckim Sanche Riviera, un petit noble sans histoire, c’est ça ?

Margareth opine du chef, l’air grave.

— Il n’est plus Administrateur, révéla-t-elle. Les événements sont encore très troubles, mais il y aurait eu des émeutes à Cathuba, qui auraient dégénéré et forcé Riviera à en appeler à l’aide de l’Œcar.

— Merde, jura le Capitaine en serrant la mâchoire.

— C’est ce qu’on craignait, reprit Joshua, l’Amiral Rouge a débarqué avec quelques-uns de ses navires et Riviera lui a confié les clés de la ville. Le communiqué d’hier annonçait que Hockard s’était fait nommer Protecteur de Cathuba.

Un long silence s’ensuivit. Taylor ne quittait plus le tapis du regard, comme s’il réfléchissait intensément. Angora, elle, faisait les cent pas dans la pièce, nerveuse. Au risque de paraître idiote, Yulia osa demander :

— Il a le droit de faire ça ? Cathuba, ce n’est pourtant pas son Protectorat !

— La question de savoir s’il en a ou non le droit ne se pose plus : il l’a fait, expliqua Taylor. Il a engagé un bras de fer avec les autres prétendants à l’Amirauté. Peu de familles nobles l’apprécient vraiment, en Bérudie, mais, maintenant qu’il s’est imposé à Cathuba, je crains pour la suite.

— L’armée de Ford se chargeait de repousser les pirates, intervint Angora. Une partie a été emmenée au Nouveau Monde, le reste a été dissout par l’Inquisition à la destitution de Ford. Les Surplombs les plus isolés doivent craindre pour leur sécurité à présent… et devraient être tentés de laisser Hockard les annexer en échange de la protection de ses armées.

— Le jeu politique va se muscler, annonça Margareth.

— En réaction, continua son mari, les autres familles prétendantes au poste devraient rapidement entreprendre de former leurs propres armées, afin de répondre à l’Amiral Rouge. Les Azkedir, les Ehdrya, les Wöllner ou encore les Labberg disposent tous des moyens financiers pour entretenir leur propre flotte de guerre et engager des mercenaires en nombre. Si l’Empereur ne se décide pas vite et que l’affrontement politique dure plus de quelques semaines, il y a fort à parier que ces armées en viendront à se livrer bataille pour le contrôle de certains Surplombs stratégiques.

— Ils ne feront pas le poids face à Hockard s’ils sont désunis, jugea Angora.

— Je ne serais pas si catégorique, nuança la journaliste. Hockard est Gouverneur de Thäma : la plupart de ses troupes sont occupées à tenir la colonie, il ne pourra déployer qu’un nombre réduit d’hommes en Bérudie.

La femme au bras d’acier durcit le ton :

— Trois Dragons Impériaux servent dans l’armée de l’Amiral Rouge. S’il les utilise en bataille, les familles n’ont aucune chance.

— Les Dragons servent l’Empereur et le Sénat ! s’offusqua Joshua. Hockard ne peut pas s’en servir pour des intérêts personnels !

— Tant que l’Empereur ne dira rien et que le Sénat ne prendra pas parti…

Elle laissa sa phrase en suspens. Tous avaient compris : tant que l’Empereur ne dit rien et que le Sénat ne prend pas parti, les Dragons bénéficient d’une certaine marge de manœuvre. :arrow: J'ai trouvé un peu étrange ce passage au présent... Certains agents impériaux, en Œcar, pourraient être tentés de se mêler de la guerre civile.

Un autre Dragon avait peut-être déjà posé le pied sur Cathuba à l’heure où ils parlaient.

Taylor prit alors la parole, sans pour autant quitter le tapis des yeux :

— La question n’est pas de savoir qui va l’emporter sur le terrain militaire… La victoire sera diplomatique : Hockard vient déjà de marquer des points de légitimité en devenant le sauveur de Cathuba. Les autres vont chercher à l’imiter. Il leur faut une opération militaire, à risque minime, qui pourrait rapporter gros en prestige.

Il releva la tête. Cette fois, il fixait Yulia. Son sourire de chacal était de retour.

— Et c’est précisément ce que nous avons à leur offrir. Nora Dihya Alvez leur permettra de devenir le sauveur de Fezzan : ne pouvait-on pas rêvé mieux ?

Yulia se retint de lui répondre qu’elle pouvait rêver de bien mieux : un retour de son père, par exemple. Mais la jeune fille garda cette pensée pour elle, car Nora n’était pas du genre à céder à la colère ou à ce :arrow: se permettre d’aussi acerbes remarques.

— Il faut se dépêcher dans ce cas, annonça Angora, les premiers affrontements ne devraient pas tarder.

— Nous nous chargeons de lancer les rumeurs sur votre arrivée, s’engagea Margareth, mais ce ne sera pas suffisant pour convaincre les familles qui convoitent Cathuba. Pour cela il faudrait…

— Une apparition publique, la devança Taylor.

— Exactement, approuva la journaliste.

— La petite doit se montrer, développa son mari. Il faut prendre part, dès que possible, à la vie mondaine. Quand les nobles la verront parmi eux, ils la considéreront comme crédible. Ce dont vous avez besoin, c’est d’un bal.

— Un bal ?

L’étonnement lui avait arraché cet éclat de voix. Elle reprit immédiatement sa contenance et rougit de son impair. Celui-ci pourtant n’attira pas l’attention sur elle. Tout le monde regardait Taylor, confortablement assis dans son fauteuil, qui sortait de sa poche un petit morceau de papier, plié comme une lettre.

— C’est presque déjà arrangé, souriait-il. Voici une lettre à destination du Sénateur Viull Guiciss Hackso, de la part de Nora. Elle demande à être invitée au bal que celui-ci tient en son hôtel particulier, dans deux jours.

Yulia avait beau savoir que les nobles ne rédigeaient pas eux-mêmes la plupart de leurs lettres, l’idée qu’on ait pu en écrire une, en son nom, sans l’en informer, la mettait mal à l’aise. C’était une vilaine manie qu’avait Taylor, de taire quelque chose pour se réserver un effet d’annonce. Plutôt désagréable pour ses collaborateurs. :arrow: C'est ce qui fait son charme non ? ;)

— Je vous la confie, continua-t-il en remettant la lettre entre les mains des journalistes, assurez-vous qu’elle parvienne à l’entourage du Sénateur en même temps que les rumeurs de l’arrivée de l’héritière des Alvez.

— Ça ne devrait pas poser de problème, assura Joshua. Considérez-vous déjà comme invités.

Yulia examina sa robe, peinant à croire qu’elle allait, aussi vite, se confronter à la plus haute noblesse de la Capitale. Les mots du Capitaine de l’Eclat tournaient dans sa tête et elle se surprit à les prononcer à voix basse, comme pour s’assurer de leur réalité :

— Deux jours… Dans deux jours… Le bal, dans deux jours.

Angora posa une main confiante sur son épaule.


fin du chapitre 20.
Prochainement : le grand bal !
Bouh ! Je suis tout aussi secouée que Yulia à cette annonce... Car je sais que t'en feras pas un bal de pacotille, mais une vraie rencontre ambitieuse avec la noblesse de la capitale... J'ai hâte et j'ai peur en même temps :lol: Je retrouve vraiment cette angoisse qu'avait Vin avant de se rendre à un bal, dans Fils-des-brumes... et sachant qu'elle se contentait rarement de danser gentiment, j'ai un peu peur :P Mais je te fais entièrement confiance pour pimenter ce bal de rencontres importantes et de descriptions immersives comme tu sais bien les faire ^^
Concernant ce chapitre, j'ai beaucoup aimé la balade de Yulia et Angora à travers les différents quartiers... Ça permet de se rappeler les anciens et d'en découvrir des nouveaux ^^ Puis avec ton sens aigu de la description, c'est un vrai plaisir d'immersion ! J'ai un peu une impression de cinéma lorsque tu décris, les scènes qui changent d'angle et se succèdent... :D
Pour la partie de l'hôtel, le passage caché est vraiment crédible, il est pas là parce qu'il le faut (enfin, un peu, mais il découche pas dans la rue en contrebas quoi XD), et j'apprécie toujours autant les machinations rusées de Taylor, c'est un vrai renard, et je le trouve sincèrement attachant.
J'espère ne pas trop traîner avant la lecture du chapitre du bal, cette fois-ci :'''D

Courage pour la suite et à bientôt !
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