Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Postez ici tous vos écrits qui se découpent en plusieurs parties !
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vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

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LIVRE UN : LA CONFRÉRIE DE LOKI

They put a hole in the back of my head and called it suicide

Woke up with these holes in my hands from the day I was crucified



~ Stigmata ~
Grandson


PARTIE 1 : LE MANOIR


Noir. Kalyan se redresse sur un coude, dans l'obscurité presque totale de sa chambre. La gamine a encore essayé de sauter par la fenêtre aujourd'hui.
Ça l'empêche de dormir. Ça, et les souvenirs de son ignoble journée. Comme si gérer une suicidaire ne suffisait pas, il en a deux à sa charge. Kirstin a beau ne pas avoir fait de tentative depuis un moment, elle peut recommencer n'importe quand.
Et puis, pour ne pas faciliter les choses, il y a ce nouveau. D'Aube-Court. Un autre de ces visages stoïques, qui encaissent chaque coup sans jamais broncher, que ce soit un scalpel ou un fouet.
Il commence à ne plus en pouvoir. De refaire ça, encore et encore. Bien sûr, ceux à qui il inflige ces horreurs ne sont pas innocents. Mais la plupart ont déjà plus que payé leurs crimes. Alors, pourquoi recommencer encore demain ?

C'est ton boulot, lui rappelle sa conscience.
Il grogne, se retourne sur le ventre. Une autre nuit blanche en perspective.


| † | † |


Pénombre. Silence lourd, entrecoupé de sanglots. Il aimerait pouvoir aider, changer quelque chose. Mais, même si ce n'est que sa seconde nuit ici, il sait qu'il ne peut rien faire, pas même la réconforter.
— Kirstin... essaie-t-il malgré tout.
Aucune réponse, pas même des hoquets plus marqués. Elle n'est pas là, mentalement en tout cas.
— Pas la peine, souffle une autre voix, masculine et basse. Ça fait trois mois que ça dure. Ils ont tué James devant nos yeux. Et, maintenant que tu es là aussi...
Hurlement. Aigu et perçant, qui vrille les tympans. La seule réaction de Kirstin avant qu'elle ne replonge dans son monde de détresse, de douleur et de deuil.
Il se contente de secouer la tête, malgré sa nuque lacérée qui le fait souffrir. Aucune chance qu'ils ne sortent de ce Niflhel de sitôt.


| † | † |


Lumière. Elle repose le téléphone sur son socle, se pince l'arrête du nez, expire longuement. Un autre, mort. Encore un.
— Maintenant, ça va être Lilith.
Elle lève la tête vers la silhouette masculine qui vient de parler, avachie sans grâce sur une chaise. Il a raison. C’est Lilith Síverdín qui va prendre la place libérée. Et Lilith est dangereuse. Instable. Trouver un moyen de la canaliser risque d’être long, d’autant plus qu’elle n’a désormais aucune attache. Ils en sont tous les deux conscients.
Ils se consultent longtemps du regard, hésitent.
— Ou alors… on fait comme avec les autres, lâche-t-elle après un instant de réflexion.
— Tu sais très bien que ça ne se fera pas aussi facilement, rétorque-t-il.
Elle incline la tête sur le côté. Un sourire vicieux fleurit sur ses lèvres. Il tressaille, devinant l’intention avant même qu’elle ne la formule.
— Je vais mettre Emma sur le coup. Mais il va aussi falloir que tu y mettes du tien.


| † | † |


Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4 – partie 1
Chapitre 4 – partie 2
Chapitre 5
Chapitre 6
Interlude
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11 – partie 1
Chapitre 11 – partie 2
Chapitre 12

PARTIE 2 : UNE VIPÈRE DANS LE NID

Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15 – partie 1
Chapitre 15 – partie 2
Interlude
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19

PARTIE 3 : LES MURMURES DU SERPENT

Chapitre 20
Chapitre 21 – partie 1
Chapitre 21 – partie 2
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Interlude
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32


Remerciements
Actus & avancée des corrections


Digressions & autres hors-sujets
Digression : Loki et la forge des attributs divins
Casting
Casting (2)
OS : Le fauve
OS : Lokinette
OS : Istanbul
HS : Opium
HS : Résolutions

| † | † |


Heyyy, bienvenue !
La Confrérie, c'est un peu mon petit bébé, qui commençait à prendre la poussière dans mes tiroirs… J'y tiens énormément, mais ça ne veut pas dire que je ne tolère pas les avis négatifs, bien au contraire.
(Quoiqu'un petit retour positif, ça fait toujours plaisir ! ;) )
Elle est actuellement en phase de correction, certains chapitres ont été revus, d'autres non. Il n'y a pas de sigle près des chapitres concernés, mais il y a un lien vers l'avancée des corrections un peu plus haut.

Je profite de mon intro pour faire un peu de pub aux personnes que vous recroiserez le plus souvent sur ce sujet :
Tout d'abord, louji, avec son petit bac à sable de fantasy, Oneiris, qui est clairement à la hauteur de romans publiés, même si elle le dévalorise beaucoup, mais aussi avec The Debt, qui déchire probablement encore plus, quoique je n'ai pas encore eu le temps de le lire.
Ensuite TcmA, son (De) construction / (Re) construction est une perle réaliste (attention, toutefois, c'est en anglais ^-^).
Il y a aussi lisagarcia avec Les Enfants d'Amarante, dont le début est très prometteur.
Enfin, Daniel Pagès, sans qui cette section du forum serait terriblement triste. Merci pour tes super conseils ! :)
Et évidemment, un immense merci à wilkymay, qui a fait cette maaaagnifique couverture !

J'espère que Le Cycle vous plaira, n'hésitez pas à me faire part de vos remarques, je suis une grande bavarde. :mrgreen:
Bonne lecture !


| † | † |


Liens de téléchargement
Versions PDF
LCDS [1] : La Confrérie de Loki
LCDS [2] : L'Alliance des Déchus
Versions PDF adaptée aux liseuses
LCDS [1] : La Confrérie de Loki
LCDS [2] : L'Alliance des Déchus
Pièces jointes
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Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 1


J’avais mal aux doigts, à force d’agripper l’écorce rugueuse, constellée d’humidité après la pluie de la veille. Perchée dans un grand marronnier, au niveau d’une épaisse ramification, je guettais depuis trop longtemps la venue de ma cible, qui ne daignait pas pointer le bout de son nez. Je fermai brièvement les yeux, frustrée comme rarement auparavant. J’avais tout préparé. Mon embuscade était a priori parfaite. Pour l’avoir épié pendant près de deux semaines, traversé son quartier à toute heure de la journée, être restée assise dans le parc de jeux en face de chez lui dès l’aube, j’étais plus que certaine de ne pas avoir manqué l'heure de sa balade. Je connaissais toutes ses habitudes. Le thé qu’il prenait le matin, dans le café du coin, l’heure précise à laquelle il lisait son journal, le lieu où il sortait se dégourdir les jambes. Il était maniaque. Prévisible.
Et pourtant, aujourd’hui, il n’était pas là.
Je jetai un dernier regard à ma montre. Trois avril, sept heures vingt-huit. Il avait près d’une demi-heure de retard et, le connaissant, s’il n’était pas venu maintenant, il ne viendrait pas tout court.
Je grinçai des dents, me laissai basculer sur le côté. Six mètres plus bas, je me réceptionnai souplement sur le sol meuble, donnai un coup de pied rageur à une innocente branche racornie. Elle décrivit une magnifique parabole, avant de plonger dans le fleuve en soulevant une gerbe d’eau froide.
Frustrée, je jetai une dernière œillade courroucée au banc vert sur lequel ma cible venait ordinairement s'asseoir, dissipai mon bouclier d’invisibilité, puis me détournai. Quelques rares passants et coureurs matinaux me coulèrent des regards intrigués en croisant mon chemin, mais je les ignorai. Je traversai le grand parc d’un pas énergique, rythmé par ma mauvaise humeur, grimpai les larges escaliers blancs quatre à quatre. Au fur et à mesure de ma montée, le boucan familier de Paris, jusque là tamisé par les murs de verdure, vint progressivement irriter mes tympans. Au sommet, là où les escaliers rejoignaient le pont de Neuilly, la puanteur des voitures qui passaient par dizaines me frappa, s’insinua dans ma gorge et vint irriter mon larynx. Je fronçai le nez, fis craquer mes phalanges pour me calmer un peu, et obliquai vers vers le cœur de la ville, où était situé mon hôtel.

— Selv !
L’interpellée, une jeune femme brune à la silhouette élancée, me retourna un salut de la main accompagné d’un clin d’œil avenant, mais ne se détourna pas un instant de sa conversation avec le réceptionniste. Calmée par les vingt minutes de marche rapide qui m’avaient permis d’évacuer la frustration, j’allai m’asseoir sur un fauteuil en cuir sombre, dans un angle de la salle et observai l’échange. sound
Le français de ma sœur était parfait. Jusqu’à la moindre de ses inflexions, elle parlait comme la plus clichée des bourgeoises parisiennes : assez froide pour calmer le plus féroce des dragueurs, mais masquant son ton hautain derrière des formules de politesse lâchées du bout des lèvres. Une ombre de sourire amusé, à mille lieues de sa voix claire et sèche, étirait ses lèvres charnues, tandis qu’en face, le réceptionniste désespéré lui expliquait encore et encore qu’il aurait aimé l’aider, mais que les protocoles ne l’en empêchaient.
Finalement, alors qu’il était sur le point d’appeler son manager pour expliquer que, non, ce n’était vraiment pas possible de modifier ses dates d’arrivée et de départ alors qu’elle s’était déjà présentée à l’hôtel, Selvigia fit apparaître une liasse de billets dans ses mains, sous le comptoir de la réception. Je vis ses doigts s’activer, compter une quinzaine de billets et les séparer du reste, tandis que le type la fixait, hésitant, la main déjà posée sur le téléphone. Elle les roula à une vitesse ahurissante en une épaisse cigarette aux tons vert et blanc, fit disparaître le reste dans une nuée de poussière turquoise.
— Merci pour votre aide, murmura-t-elle en forçant l’argent dans la paume de l’homme.
Les yeux sombres du réceptionniste s’écarquillèrent alors qu’il considérait la somme qu’elle venait de lui glisser. Vu son expression, c’était probablement deux à trois mois de loyer, et il ne serait pas capable de refuser le service qu’on venait de lui demander. Souriante, victorieuse, la brune passa une main dans ses boucles volumineuses, se détourna et se dirigea vers le petit salon privé en m’adressant un sourire malicieux. Figé derrière son comptoir, l’homme me regarda se diriger à sa suite, ahuri, les doigts crispés autour de la liasse de billets.
Lorsque nous fûmes hors de sa vue, la façade lisse et tranquille de ma sœur s’évanouit, elle fit apparaître son téléphone dans sa main et le consulta avec une tension perceptible.
— Tu t'en vas déjà ? l'interrogeai-je en vieux norrois, surprise.
— Nouvelle mission urgente, soupira-t-elle.
Je m'accoudai au bar de bois sombre, la fixai avec attention. Je connaissais ce petit pli entre ses sourcils, cette grimace grincheuse qui indiquait qu’elle était en réalité nerveuse. Et, peut-être plus important encore, elle évitait mon regard, maintenant que nous étions face à face. Elle savait quelque chose que j’ignorais.
Je ne relevai pas, consciente que si elle ne m’en parlait pas maintenant, cela ne me concernait pas. Ou pas pour le moment, en tout cas.
— Et puis, Kaiser n'aime pas trop puiser dans les ressources de la Confrérie, ajouta-t-elle avec une pointe de sarcasme.
Un mince sourire sarcastique se dessina sur mes lèvres.
— Tu verras, ricanai-je, la prochaine fois, elle va nous expédier au Malawi juste pour ne pas avoir à payer les frais de logement !
Ma meilleure amie éclata de rire, ramena en quelques gestes experts ses cheveux chocolat en un chignon bas.
— Elle risque de compenser avec les frais de déplacement. Et puis, c’est déjà le bordel là-bas, qu’est-ce que tu veux qu’on fasse de plus ?
Je fis semblant de m’interroger un instant, puis rétorquai :
— Il y a toujours du bordel à mettre.
— Même au pôle Nord ? releva-t-elle, narquoise.
— Il y a toujours la fameuse base ultra-secrète d’un certain dictateur… soufflai-je.
Nous échangeâmes un regard complice, pouffâmes d’un bel ensemble. La base en question était, dans le monde humain, une légende urbaine. Mais les légendes avaient une fâcheuse tendance à être très réelles dans notre univers à nous.
Lorsque, pour la quinzième fois d’affilée, le regard de Selvigia dévia vers une antique horloge murale suspendue non-loin, je me résolus à rompre la bulle de bonne humeur et d’innocence qui nous avait entourées jusque là.
— Départ ?
Elle n’eut pas besoin de regarder à nouveau pour me répondre.
— Vingt-trois minutes.
— Destination classifiée ?
Hochement de tête. Je n’insistai pas, me redressai. Elle m’imita, me serra dans ses bras, une étrange pointe de tristesse transparaissant à travers ses lentilles chocolat.
— Sois prudente, lui glissai-je, à peine inquiète.
— Jamais de la vie… ricana-t-elle en pivotant sur ses talons.
Sur le pas de la porte, cependant, elle s’immobilisa, et lâcha :
— À ta place, je regarderais au buffet.
Je haussai un sourcil. De dos, elle me fit un dernier signe de la main, et s’en alla.
Par prudence, je laissai quelques minutes s'écouler, vérifiai d’un regard au miroir le plus proche que l’illusion qui dissimulait la véritable couleur de mes iris était bien en place puis, je me dirigeai vers la cafétéria.
Lorsque je sortis du petit salon, le réceptionniste me coula un regard nerveux, à mi-chemin entre l’angoisse et la stupeur persistante de s’être fait acheter aussi facilement. Je lui retournai un hochement de tête tranquille, obliquai en direction des parfums de croissants qui embaumaient l’air.
— Mademoiselle ! m’interpella-t-il d’une voix tendue. Vous ne…
Je m’arrêtai, tournai la tête.
— Je n’ai rien vu, répondis-je froidement, tant que vous faites ce qu’elle vous a demandé.
Il pâlit imperceptiblement sous le faisceau dur de mes yeux fichés dans les siens, hocha la tête. Un sourire aux lèvres, je repris mon chemin, montai deux à deux une volée d’escaliers pour parvenir au premier étage, où était situé le buffet. Je ne m’immobilisai qu’un bref instant sur le pas de la porte, détaillai les lieux en un éclair, m’arrêtant une brève fraction de seconde seulement sur chaque personne présente.
Parmi la petite dizaine d’individus, deux hommes assis bien trop en retrait par rapport aux autres éveillèrent immédiatement mon attention. Ils conversaient à voix basse, assis côte à côte sur une table ronde, leur petit-déjeuner à moitié entamé dans leurs assiettes, et rien ne les distinguait en apparence des autres convives. Mais à l’instant où je les repérai, mon instinct exacerbé par l’expérience se mit en alerte. J’attrapai un pain au chocolat dans la grande corbeille près de l’entrée, me servis un verre de jus d’orange, et allai m'installer entre eux et la fenêtre, tournée vers l’extérieur. Puis, feignant de regarder le ciel gris pâle au-dehors, j'observai leurs reflets imprécis.
Le premier avait un charme certain, avec ses traits harmonieux et sa mâchoire ciselée. C’était un grand blond aux épaules larges, vêtu d’un costume taillé sur mesure qui lui donnait une allure de jeune cadre, chic mais travailleur. Mais une intonation dans sa voix, ainsi que sa posture discrètement méfiante, me donnaient l’impression qu’il était bien plus vieux qu’il ne le laissait paraître. Et, outre son eau de Cologne qui alourdissait l’air dans un rayon de trois bons mètres, je fus frappée par une chose : ses yeux bleu azur, perçants, lumineux, caractéristiques pour qui savait les reconnaître. Sans cela, j’aurais pu le catégoriser dans une boîte étiquetée Individus classes à draguer un soir.Avec, il rentrait immédiatement dans la case N’approcher qu’en cas d’extrême nécessité.
L’autre avait une peau et des cheveux sombres, des vêtements élégants et une massive montre argentée au poignet, mais il était assis de biais, et je n’arrivais donc pas à voir la couleur de ses yeux. Je ne mis cependant pas longtemps à le reconnaître. Lorsqu’il passa une main sur sa nuque d’un geste pensif, j’avisai le vide à la place de son index droit, et je me figeai. C’était ma cible.
D’intéressante, leur conversation devint soudain essentielle. Je me reculai sur ma chaise, dans une posture faussement décontractée, alors qu’en réalité, j’essayais de capter quelques mots du blond.
— … problème… agent… la Confrérie…
Sa voix grave, basse, se perdait dans les tintements de couverts qui résonnaient dans toute la pièce. Le brun prit la parole à son tour, bien moins discret que son interlocuteur :
— J'ai été filé, récemment.
— Combien de temps ? murmura l’autre.
— Une semaine, peut-être plus. Une Loki.
Je m'empêchai tout juste de grimacer. Si je me trahissais maintenant, ma couverture partirait en fumée, et adieu la mission sans faute. Je ne doutais certes pas de pouvoir les éliminer tous les deux, mais je préférais nettement faire les choses proprement, surtout maintenant que je savais qu’il avait eu vent de ma présence.
Une courte sonnerie retentit. Le brun baissa les yeux vers son téléphone posé sur la table, se redressa comme un ressort.
— Je dois y aller, lâcha-t-il de but en blanc.
— Tu es sûr que ça ira ? demanda l’autre d’un ton légèrement inquiet.
Dans la vitre, je pus voir le reflet d’un sourire arrogant se dessiner sur le visage de ma cible.
— Je me débrouillerai. Ce ne sera pas la première fois.
— Appelle-moi s'il y a un souci, lui répondit l'autre en lui donnant une tape amicale sur l’épaule.
Ils se donnèrent une accolade fraternelle, et le brun s'éloigna. Le blond se rassit, considéra quelques secondes la salle dans son ensemble. Les poils de ma nuque se hérissèrent lorsque je sentis son regard électrique s’attarder sur mon dos. Nos yeux se croisèrent un instant dans le verre de la fenêtre, je forçai un léger sourire sur mes lèvres, et il inclina la tête sur le côté en guise de salut. Le cœur battant, je l’observai finir son petit-déjeuner seul, payer, se lever et s’en-aller, non sans m’avoir auparavant gratifiée d’un regard pensif et intrigué qui me fit brièvement douter de l’illusion derrière laquelle j’avais dissimulé mes yeux turquoise aussi lumineux que les siens. Ce fut seulement lorsque je fus certaine qu’il était parti que je me permis une expiration tendue, nerveuse.
Ce n’était plus la peine d’essayer de mettre en œuvre le kidnapping aujourd’hui, ma cible était sur ses gardes, et je ne tenais pas particulièrement à me retrouver avec un Thor et un Týr à affronter. Mais, une fois la mission terminée… Je resterais sans doute au Manoir le temps de recevoir une nouvelle affectation. Connaissant ma commandante, ça ne tarderait pas ; il suffisait de voir à quelle vitesse Selvigia avait dû plier bagage pour comprendre que la situation s’était envenimée quelque part.
Cela signifiait, entre autres, que j’avais tout intérêt à rentrer au plus vite au Manoir. Donc, à défaut d’enlever le Týr aujourd’hui, il fallait que je le fasse demain. Quelques ébauches d’idées fusèrent devant mes paupières fermées, je souris. C’était faisable, même s’il m’avait repérée.
Face à la vitre qui me laissait admirer le temps parisien maussade – un cliché vieux comme la ville elle-même – je terminai mon thé et mon pain au chocolat en réfléchissant à la meilleure manière de procéder demain, puis je mis l’addition sur le compte de ma chambre et je me dirigeai vers les étages.

Aux alentours de midi, allongée sur mon lit, ennuyée à mourir, il me fallut un moment pour réaliser que mon portable vibrait par intermittence dans ma poche. Je poussai un grognement grincheux, me contorsionnai pour le sortir. Une étoile à la place du numéro de téléphone signalait un appel sur la ligne sécurisée de la famille.
— Oui, je suis encore vivante, grinçai-je en décrochant. Et non, je ne rentre pas tout de suite.
— Toujours aussi agréable, pouffa Sam à l’autre bout.
— Surpris ?
Mon associé du moment se contenta de ricaner, puis embraya sur mon opération :
— Comment ça se passe ?
Sa question me fit gémir. Il rit, pendant que je lui racontais en détail la conversation que j’avais surprise le matin même entre les deux hommes. À travers le combiné, j’entendis ses doigts voleter sur le clavier, prendre en note ce que je résumais, et l’image de sa carrure d’ours coincée derrière un petit bureau me fit brièvement pouffer en silence. Le pauvre, ça faisait trois semaines qu’il était coincé à l’administration et qu’il vivait mes missions par procuration. Adepte du terrain comme il l’était, il devait avoir des fourmis dans les jambes dès l’instant où il s’asseyait sur sa chaise, le matin.
Mais, alors que nous avions à moitié plaisanté durant toute la première partie de ma narration, lorsque j’en arrivai à la partie où ma cible me mentionnait, Sam redevint brusquement sérieux.
— Ta couverture est compromise ? s’informa-t-il, professionnel jusqu’au bout des ongles.
— Je ne pense pas. Il a dit qu’il ne connaissait que mon appartenance.
Et c’est déjà beaucoup trop, ajoutai-je intérieurement, parce qu’il l’a signalé à l’autre imbécile de fils de Thor ! Kaiser allait m’étriper si l’information de ma présence à Paris circulait parmi nos ennemis.
— Mais il est beaucoup trop sûr de lui pour son propre bien, ajoutai-je avec un rictus mauvais.
— Mmhm…
Pensif, mon référent resta silencieux quelques secondes, puis reprit :
— Écoute, vu que tout semble être bon pour le moment, continue comme si de rien n’était. Je te prépare un portail pour demain ?
J’acquiesçai, soulagée.
— Il vaut mieux. Je me débrouillerai pour l’amener.
Je le vis presque hocher la tête. Il y eut une poignée de secondes de silence, durant lesquelles je me contentai de suivre du regard les motifs curvilignes violet sombre peints sur le mur pourpre.
— Ça va, de ton côté ? demandai-je enfin.
Il grogna, mais je devinai le sourire satisfait qui flottait sur son visage lorsqu’il répondit :
— J’ai enfin eu une assignation, je repars en mission dans dix jours.
Je me tortillai pour me mettre sur le dos, observai quelques instants le plafond.
— Tu veux que je te cale quelque chose d’autre d’ici-là ?
— On en parle quand tu rentres ? proposa-t-il au lieu de me répondre directement.
Consciente qu’il devait probablement être dans les bureaux communs, et que par conséquent tout le monde pouvait entendre ses réponses, j’approuvai sans poser de questions.
—  Prépare une équipe pour l’accueillir dès sept heures moins dix, lâchai-je en guise de conclusion. On se voit à mon retour.
Une salutation formelle et impersonnelle plus tard, l’appel se coupait. Je poussai un long soupir, laissai mon téléphone retomber à côté de moi. Parole de Loki, j’allais finir cette mission correctement.

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Dernière modification par vampiredelivres le mar. 03 mars, 2020 8:21 pm, modifié 4 fois.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par louji »

Hello ! ^-^ Je viens faire un p'tit compte-rendu de lecture du coup :D
Déjà, la couverture est très belle, bravo à wilkymay, j'aime beaucoup les couleurs et la lumière =)

Merde, je commence à lire et j'ai déjà envie de pleurer (j'ai une musique triste en arrière-fond, ça aide pas) :lol:
Non, c'est vraiment très beau, très bien écrit, sans tomber dans le too-much.

Alors, prologue terminé ! La lecture est fluide, j'aime beaucoup ta façon d'écrire. Une fois happé dedans, on en sort plus. Après, il s'agit d'un prologue, alors je n'ai pas compris grand-chose :lol:
La fille dont il est question dans ce prologue est enfermée depuis 15 ans dans un lieu où on la torture quotidiennement ? Dans quel but ? Et elle a déjà vécu 800 ans, autrement ? Tu n'es pas obligée de répondre à mes questions si tout cela est expliqué dans le chapitre 1 ou plus tard dans l'histoire :roll: C'est surtout pour mettre à l'écrit ce que j'ai compris jusqu'ici.
(et j'ai vu un petit "hors de question" sans tirets entre les 3 mots, une broutille de pas grand-chose :roll: )


J'attaque le chapitre 1 ^^
vampiredelivres a écrit :
CHAPITRE 1


J’avais mal aux doigts, à force d’agripper le bois. Perchée au niveau d’une épaisse ramification d’un grand marronnier, je guettais depuis une bonne heure la venue de ma cible. Qui ne daignait pas pointer le bout de son nez. Je fermai brièvement les yeux, frustrée comme rarement auparavant. J’avais tout préparé. Mon embuscade était a priori parfaite. Pour l’avoir épié pendant près de deux semaines, traversé son quartier à toute heure de la journée, être restée assise dans le parc de jeux en face de chez lui dès l’aube, j’étais plus que certaine de ne pas avoir manqué l'heure de sa promenade habituelle. Je connaissais tout de ses habitudes. Le thé qu’il prenait le matin, dans le café du coin, l’heure précise à laquelle il lisait le journal. Il était maniaque. Prévisible.
Et pourtant, je venais de me faire avoir. Parce qu’il n’était pas là. :arrow: Je sais que c'est d'une immaturité affligeante, mais je me suis dit "Il est peut-être constipé". Pardon, j'ai honte de moi maintenant :oops: :lol:

Une dernière œillade courroucée au banc vert sur lequel il venait ordinairement s'asseoir, et je me détournai. Je traversai le grand parc d’un pas énergique, rythmé par ma mauvaise humeur matinale, m’attirant au passage les regards intrigués des quelques passants et coureurs matinaux :arrow: petite répétition ^^ qui croisèrent mon chemin.


Terminé ! C'est un bon chapitre 1 à mon goût, assez dans l'action pour nous tenir éveillé, avec quelques indices de l'univers dévoilés par-ci par-là sans frustrer ou tout révéler ^^
Est-ce que ton histoire se passe dans un monde qui aurait pu être le nôtre ? :)

D'ailleurs, je viens de checker ta biblio pour voir si tu l'avais lu, mais apparemment non, tu connais Magnus Chase ? C'est une autre (encore) histoire de R. Riordan (l'auteur de Percy Jackson), qui traite de la mythologie nordique. Comme tu sembles en plein dedans... Si tu as peur d'être confrontée à de la littérature jeunesse trop... jeunesse, j'ai trouvé cette série plus "sérieuse" que les PJ, les Héros de l'Olympe ou les Chroniques de Kane. Que ce soit au niveau des personnages (plus âgés, plus matures), que les thèmes (la religion, l'intolérance, la sexualité, les conditions de vie...), ou du scénario, qui fait plus dans le sombre et le violent (bien que ça reste soft, c'est quand même destiné essentiellement aux ados).
Je te mets le lien si ça t'intéresse ;)

Bonne fin de vacances !
(Ne t'inquiète pas de me prévenir pour la publication des nouveaux chapitres, le forum le fait pour moi ^^)
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par vampiredelivres »

Heyyy !
Merci beaucoup d'être passée ^-^

Ahah, c'est sûr que la musique triste en arrière-fond, ça n'aide pas du tout… :lol: Oui, le prologue est assez confus, vu que personne ne sait rien des personnages, mais c'est fait pour. D'ailleurs, pour répondre à tes questions : oui, la fille a vécu huit cent ans, oui, elle est enfermée depuis quinze ans, parce que… mystère ! Ce sera expliqué plus tard, forcément… mais vraiment plus tard.
J'ai vérifié, "hors de question" s'écrit sans tirets… ^-^

Tu auras beau t'excuser, mais ça m'a bien fait rire, ton "Il est peut-être constipé" :lol:
Aiiie, la répétition, merci !
Oui, c'est sur le même principe que les PJ/HdO et Magnus Chase (que j'ai lu, d'ailleurs, il est bien planqué dans ma biblio :) ), le monde de base est le nôtre, avec une petite touche de magie et de surnaturel. Et oui, MC est beaucoup plus mature que les PJ/HdO, c'est bien pour ça que je les préfère… d'ailleurs, il faudrait que je mette la main sur le tome 3, moi… :mrgreen:

Contente que ça te plaise ! :)
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit :Heyyy !
Merci beaucoup d'être passée ^-^

Ahah, c'est sûr que la musique triste en arrière-fond, ça n'aide pas du tout… :lol: Oui, le prologue est assez confus, vu que personne ne sait rien des personnages, mais c'est fait pour. D'ailleurs, pour répondre à tes questions : oui, la fille a vécu huit cent ans, oui, elle est enfermée depuis quinze ans, parce que… mystère ! Ce sera expliqué plus tard, forcément… mais vraiment plus tard.
J'ai vérifié, "hors de question" s'écrit sans tirets… ^-^

Tu auras beau t'excuser, mais ça m'a bien fait rire, ton "Il est peut-être constipé" :lol:
Aiiie, la répétition, merci !
Oui, c'est sur le même principe que les PJ/HdO et Magnus Chase (que j'ai lu, d'ailleurs, il est bien planqué dans ma biblio :) ), le monde de base est le nôtre, avec une petite touche de magie et de surnaturel. Et oui, MC est beaucoup plus mature que les PJ/HdO, c'est bien pour ça que je les préfère… d'ailleurs, il faudrait que je mette la main sur le tome 3, moi… :mrgreen:

Contente que ça te plaise ! :)
De rien, c'est normal ;)

Oui, c'est normal que ce soit confus en même temps, ce ne serait pas drôle si on comprenait tout d'un coup :roll:
Oups, ben je me sens bête maintenant, je l'ai toujours écrit avec des tirets :oops: (on m'a jamais rien dit, c'est que ça doit pas choquer !). Désolée du coup ^^'

Ah, bon, si tu as ri, ça va :lol:
Ah ben merde alors, j'ai fait toute ta biblio et rien vu du tout :lol: Je crois que j'ai besoin de lunettes :geek: :roll: (edit : je viens de voir le groupe "Rick Riordan", je comprends maintenant :lol: )
Bon, ben, tant mieux si tu connais ! Tu en penses quoi de cette série ? ;)
Oui, idem pour le tome 3, mais une flemme monumentale de le lire en anglais (alors j'attends 2 mois et je l'aurais en français :P )
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par vampiredelivres »

Exactement ! :mrgreen:
Si ça peut te rassurer, pendant très, trèèèès, longtemps, j'ai écrit "s'il te plaît" avec des tirets, donc je serai bien la dernière à juger ^-^

Oui, j'ai tendance à tout classer en groupes, c'est plus simple à mon sens. Mais en termes de visibilité… on aura vu mieux. (Sinon, y'a l'option 2 : la biblio graphique, c'est trois fois plus rapide.)
Ah, j'adore Magnus Chase, dans son ensemble. Il y a juste des fois où je la trouve un peu trop tirée par les cheveux, même en comparaison avec le cycle PJ (je pense notamment à Heimdall qui passe son temps à faire des selfies), mais ce côté tordu et bizarre reste propre à la mythologie nordique, donc ça va. Et puis, j'ai beau parler de décalé et tordu, mais avec Lilith… hum !
Je vais probablement le lire en anglais, de mon côté, je préfère ça aux traductions (surtout que je ne suis actuellement pas dans un pays francophone, donc pour trouver une VF, ça va être… compliqué :lol:
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit :Exactement ! :mrgreen:
Si ça peut te rassurer, pendant très, trèèèès, longtemps, j'ai écrit "s'il te plaît" avec des tirets, donc je serai bien la dernière à juger ^-^

Oui, j'ai tendance à tout classer en groupes, c'est plus simple à mon sens. Mais en termes de visibilité… on aura vu mieux. (Sinon, y'a l'option 2 : la biblio graphique, c'est trois fois plus rapide.)
Ah, j'adore Magnus Chase, dans son ensemble. Il y a juste des fois où je la trouve un peu trop tirée par les cheveux, même en comparaison avec le cycle PJ (je pense notamment à Heimdall qui passe son temps à faire des selfies), mais ce côté tordu et bizarre reste propre à la mythologie nordique, donc ça va. Et puis, j'ai beau parler de décalé et tordu, mais avec Lilith… hum !
Je vais probablement le lire en anglais, de mon côté, je préfère ça aux traductions (surtout que je ne suis actuellement pas dans un pays francophone, donc pour trouver une VF, ça va être… compliqué :lol:
On a tous nos tics d'écriture de mot bizarres je crois :lol:

Oui, en fait, je cherchais le groupe "Magnus Chase", c'est pour ça que je n'ai pas trouvé du 1er coup :roll: Et je n'y ai pas pensé sur le coup à la biblio graphique :?
Oui, Heimdall, c'est "abusé", clairement :roll: Ça fait sourire la 1ère fois puis ça devient un peu lourd ^^'
Oula, je sais pas à quoi m'attendre avec ton roman là :lol:
Oui, tu as raison, puis les blagues sont mille fois mieux en VO :D Tu es en Suisse, non ? C'est francophone, quand même ! Surtout que tu es du bon côté... A moins que le français ne soit pas la langue majoritaire là-bas ? L'allemand ?
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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par DanielPagés »

Hello Sarah !
J'ai juste lu le prologue. Faute de temps et de concentration pour aller plus loin. Mais je reviendrai !

Pour moi c'est un peu long et pour un prologue. Je serais partisan de mettre seulement une des scènes que tu décris. Quelque chose qui t'attrape à la gorge. Et le reste, de l'intégrer plus tard dans la narration.

Je crois te l'avoir déjà dit, tant pis si je me répète : tu as une jolie écriture ! :lol: Beaucoup de talent et de la technique, bravo !

Un petit problème repéré au passage de mes yeux glissant sur la suite ;)

Enfin, lasse de devoir négocier, elle finit par faire apparaître – très discrètement – une liasse de billets dans sa main, et les fit tendit à l’homme.
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par vampiredelivres »

#louji
Je crois, oui… :lol:
Mes classements peuvent être très bizarres, si ça peut te rassurer ^-^
C'est vrai qu'une fois, ça passe, deux, ça commence à être tordu, trois, tu te dis "Nan mais faut pas abuser, là…" :?
Ouh… en fait, j'ai beaucoup plus tendance (cf. le prologue) à verser dans le dark, contrairement à RR, qui arrive à garder un ton relativement joyeux…
Alors oui, je lis en VO, j'habite en Suisse, mais ce n'est pas là que je passe mes "vacances", actuellement. Et, outre ceci, en fait, ça dépend de la région de la Suisse. Tu as – sans épiloguer trop longtemps – la Suisse romande, la partie francophone, la Suisse alémanique, où on parle allemand, et la Suisse italienne, où on parle… ben devine ! :lol: Du coup, on a quatre langues nationales : français, allemand, italien et romanche. Me demande pas ce que c'est, le dernier, je ne l'ai jamais entendu. :lol:

#Daniel
Coucou Daniel !
Merci d'être passé ! Et ne t'en fais pas, je suis moi-même totalement débordée, donc je peux parfaitement comprendre ^-^
Je note ça dans un coin, mais je ne sais pas si je vais modifier mon prologue, parce que "elle" est un personnage qu'on ne verra en fait… quasiment pas. Voire pas du tout, à moins que je change encore en cours de route…
Merci ! :)
Ouille ! Je file modifier ça tout de suite !
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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit :#louji
Je crois, oui… :lol:
Mes classements peuvent être très bizarres, si ça peut te rassurer ^-^
C'est vrai qu'une fois, ça passe, deux, ça commence à être tordu, trois, tu te dis "Nan mais faut pas abuser, là…" :?
Ouh… en fait, j'ai beaucoup plus tendance (cf. le prologue) à verser dans le dark, contrairement à RR, qui arrive à garder un ton relativement joyeux…
Alors oui, je lis en VO, j'habite en Suisse, mais ce n'est pas là que je passe mes "vacances", actuellement. Et, outre ceci, en fait, ça dépend de la région de la Suisse. Tu as – sans épiloguer trop longtemps – la Suisse romande, la partie francophone, la Suisse alémanique, où on parle allemand, et la Suisse italienne, où on parle… ben devine ! :lol: Du coup, on a quatre langues nationales : français, allemand, italien et romanche. Me demande pas ce que c'est, le dernier, je ne l'ai jamais entendu. :lol:
Oui, mais le dark, c'est cool héhé. Puis ça s'accorde plutôt bien à la mythologie nordique, non ? ^^
Ah, désolée, je pensais que tu étais de retour en Suisse =) Et où as-tu passé tes vacances, autrement ? =D C'était bien ?
Oui, oui, je sais, j'ai de la famille en Suisse :P
Je ne sais pas quand tu reprends, mais profite bien des vacances avant la reprise (et tes exams :? )
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Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 2


J’avais pris toute l’après-midi qui avait suivi ma conversation avec Sam pour surveiller l’intérieur de l’appartement de ma cible via la minuscule caméra, équipée d’un micro que j’y avais plantée durant l’une de ses absences, et rattraper les heures de sommeil que je perdais trop souvent en filatures et surveillances nocturnes. Ainsi, je m’éveillai à cinq heures tapantes, d’excellente humeur, pour profiter d’une petite heure de course à pied en centre-ville malgré l’air vicié qui irritait mes poumons. Un arrêt dans une boulangerie plus tard, j’étais appuyée contre un muret, à quelques mètres du domicile de ma cible, en train de manger mon croissant, tout en relisant les informations principales une dernière fois.
Séraphin Cobb, Français de nationalité, fils du dieu Týr. Basé à Paris depuis treize ans, il avait suivi dans son enfance la formation militaire avancée commune aux Maisons æsir, un entraînement complet qui prenait en général une bonne quinzaine d’années, ce qui voulait dire qu’il devait en avoir plus de quarante au total. Curieuse, je remontai rapidement jusqu’à son âge, sur lequel je ne m’étais pas attardée jusque là. Cinquante-sept, effectivement.
Et, en cette demi-décennie d’existence, il était sorti vainqueur de toutes ses altercations avec ma famille. Quelques rares victimes lui étaient officiellement associées, mais aucun nom ne se détachait du reste à mes yeux, ce qui signifiait que c’étaient tous de petits agents, pas très puissants, qui avaient péri sous ses coups. Cela n’avait rien de très glorieux pour lui, mais clairement, il en avait tiré son assurance arrogante de la veille. J’étouffai un rire narquois, continuai à faire défiler les informations.
De par sa formation, c’était un combattant professionnel, avec un statut privilégié au sein de sa Maison, spécialisé dans les opérations conjointes. Je marquai un bref temps d’arrêt, pensive. Le « convaincre » de me suivre n’allait pas être facile, tout allait dépendre de ses armes. Ici, les informateurs de la Confrérie signalaient qu’il combattait souvent à l’ancienne, soit avec sa lance, soit avec une épée et un bouclier.
Pitié, qu’il n’utilise pas sa lance. Je détestais combattre des lances.
Un message en provenance de Sam masqua brièvement le document. J’esquissai un mince sourire satisfait. C’était le code pour activer le portail depuis mon emplacement. Je me le répétai deux ou trois fois dans ma tête pour le mémoriser, supprimai le message, poursuivis ma lecture en guettant discrètement le moindre signe d’une protection rapprochée.

Le portail de l’immeuble grinça en s’ouvrant et Séraphin sortit, mains dans les poches, dix minutes plus tôt que prévu. Les yeux rivés sur mon téléphone, je le laissai gagner quelques dizaines de mètres d’avance avant de m’engager à sa suite. Au lieu de mes habituelles lentilles, j’avais aujourd’hui choisi les lunettes de soleil. La confrontation était inévitable, et il savait à quelle Maison j’appartenais, cela n’avait donc aucun sens de continuer à dissimuler mes yeux.
Tout en le suivant, je le détaillai avec attention. Il mesurait environ un mètre soixante-seize, soit quelques centimètres de plus que moi, avec une carrure de militaire aguerri. Aucune trace d’armes de poing dans sa tenue de citadin, même si chez un demi-divin, cela ne voulait rien dire, une démarche régulière, rythmée, mais pas pressée ni nerveuse. Il était tranquille, assuré et confiant en ses capacités. Pourtant, j’étais certaine qu’il m’avait repérée, puisque je n’avais rien fait pour me dissimuler. Mes lèvres se retroussèrent en un sourire cynique quand je compris que ses certitudes l’avaient probablement poussé à passer sous silence ma présence auprès des siens.
En arrivant sur le pont de Neuilly, hurlant et fumant comme toujours en cette heure matinale où toutes les voitures se bousculaient pour gagner le moindre demi-mètre d’avance sur les autres, Séraphin pressa le pas. J’allongeai mes foulées pour calquer mon allure sur la sienne et le garder en vue, et nous marchâmes ainsi jusqu’au milieu du pont, lui perdu dans ses pensées, moi focalisée sur lui, la distance entre nous s’étendant progressivement. Assez paradoxalement, j’étais de moins en moins tendue à mesure que je sentais le bon moment approcher, que je découvrais que, malgré sa certitude d’être épié, il ne changeait pas ses vieilles habitudes. En général, j’aurais supposé qu’il cherchait à m’entraîner dans un piège, mais aujourd’hui, j’étais presque certaine que c’était juste son excès de confiance en lui.
Un soupçon d’amusement s’infiltra brièvement sous ma carapace de vigilance lorsqu’il tourna à droite, puis descendit tranquillement les marches qui menaient à un petit parc situé sur une île longiligne au milieu de la Seine. Il aurait dû profiter de son avantage, me tendre un guet-apens. Mais non, il se contentait de faire comme chaque jour, sans même chercher à rompre le schéma. Son assurance aveugle allait le perdre.
Un léger sourire aux lèvres, je demeurai campée quelques secondes en haut des escaliers, guettant d’éventuelles silhouettes qui n’auraient pas leur place sur les lieux. Mais, à part les coureurs matinaux, il n’y avait personne d’inhabituel. Rassérénée par ce constat, ainsi que par la végétation assez touffue en cette fin de printemps, qui empêchait la présence de snipers, je m’engageai à mon tour sur les marches grisâtres, constellées de mégots. Cette île était pour moi un petit paradis, le lieu parfait pour une embuscade.
Dans le calme qui régnait tout au bout de l’île, là où Séraphin s’asseyait tous les matins, les gravats qui crissaient sous mes pas l’alertèrent immédiatement de ma présence. Il broncha à peine, ne me regarda réellement que lorsque je me plantai en face de lui, bouchant sa vue sur la Seine presque étale. Un rictus narquois tordit son visage, une étincelle farouche s’alluma dans son regard.
— Bonjour ?
— Bonjour, répondis-je tout naturellement en français.
Ses sourcils droits se fléchirent vers le haut, je renvoyai d’une petite pression de l’index mes lunettes de soleil dans mon inventaire magique. Ses yeux d’acier liquide rencontrèrent les miens, turquoise lumineux. Choc des Maisons. Son sourire s’accentua, dévoilant une rangée de dents blanches qui contrastaient incroyablement avec sa peau sombre.
— Pas trop tôt… marmotta-t-il en se redressant, basculant en vieux norrois au passage. T’es vachement pas discrète, aujourd’hui.
— Je n’avais pas envie de l’être, rétorquai-je sur le même ton. Dois-je t’exploser le visage, ou me suivras-tu de ton plein gré ?
L’espace de deux secondes, il fit semblant de se pencher sérieusement sur la question. Puis, les graviers crissèrent sous ses pieds alors qu’il prenait brusquement ses appuis, et son bras jaillit, fulgurant, vers mon arcade sourcilière.
Les bonnes habitudes ne se perdaient jamais, disait-on. Je n’étais pas sûre que savoir frapper au bon endroit soit une bonne habitude, en société civilisée, mais dans notre univers, c’était clairement le cas. Et mes réflexes étaient bien rodés, surtout face à une attaque aussi prévisible.
J’attrapai son poing fermé, m’écartai d’un pas, profitai de l’élan qu’il avait accumulé pour le projeter au sol puis, sans lui laisser le temps de se redresser, je lui explosai le nez d’un coup de pied. Un puissant rayon d’énergie jaillit de ses mains, me frappa au niveau du ventre, me repoussa de quelques mètres. Je croisai les bras devant ma poitrine en faisant apparaître un bouclier magique, encaissai l’assaut en grognant.
Entre temps, Séraphin s’était redressé, et me guettait, désormais méfiant et surpris. L’air vibrait, empli de nos magies combinées qui irradiaient, à peine contrôlées. Je le jaugeai un instant, réalisai qu’il n’avait pas encore sorti sa lance.
Je ne devais pas lui en laisser le temps.
Dents serrées, j’enfonçai mes talons dans le sol, projetai une volée de boules de feu dans sa direction. Instinctivement, il baissa la tête, se couvrit d’une protection immatérielle comme je l’avais fait un instant plus tôt. Sa distraction momentanée fut mon ouverture. L’assaillant de flammes, je m’élançai dans sa direction, ajustai quelques coups bien placés. Puis, un uppercut de la gauche me cueillit au menton, et il arrêta mon crochet à quelques centimètres de son visage. Les muscles de sa mâchoire se contractèrent, son regard se durcit.
J’évitai un premier coup, mais le second m’atteignit de plein fouet. Je me pliai en deux avec un râle, la douleur irradiant de ma poitrine. Une côte fêlée, diagnostiquai-je sans même avoir à y réfléchir, voire cassée. Séraphin passa derrière moi, me saisit par le cou, serra violemment. Par réflexe, mon coude emboutit son plexus solaire, et ce fut à son tour de gémir en me lâchant. Le souffle coupé, il recula d’un pas. Ouverture parfaite. J’ignorai les vagues de souffrance qui m’aiguillaient, lui assénai mon talon dans le torse. Il encaissa le coup, stoïque. Je n’eus pas le temps d’analyser. Ni de m’étonner. Déjà, il avait saisi ma cheville. Je me sentis perdre pied – mauvais jeu de mots – et mordis la poussière. Au sens littéral, cette fois-ci. Le nez dans le gravier, les lèvres et le menton éraflés, je vis brièvement trente-six chandelles.
Avant que je ne reprenne mes esprits, Séraphin m’attrapa par les épaules, me remit brutalement debout, et ses mains comprimèrent à nouveau ma gorge. Je hoquetai, tentai de le frapper, mais cette fois-ci, il me tenait à distance pour ne pas se faire avoir.
Entre deux aspirations convulsives qui ne changeaient absolument rien au vide intersidéral dans mes poumons et mon esprit, j’eus pourtant une idée. Luttant contre mon corps, qui quémandait désespérément un peu d’air, je tendis les bras loin en avant, m’agrippai du bout des doigts à sa nuque, me cambrai, crochetai son pied gauche par l’arrière du genou, mis tout mon poids et toute ma force dans le mouvement. Fauché, il bascula en arrière, et la pression sur ma gorge diminua. Je pus prendre une inspiration, infime, mais une inspiration malgré tout.
Puis, le monde se mit à tourner. Je sentis confusément la terre meuble sous mes semelles, un instant seulement, avant qu’il ne s’affale sur moi de tout son poids. Entraînée par ses quatre-vingts kilos de muscles, je dévalai la pente en roulé-boulé, sans réaliser – ou en réalisant trop tard – que, au bas du versant, il y avait le fleuve.

Lorsque je plongeai dans l’eau la tête la première, l’humidité s’infiltra partout en même temps que la panique. Alors que je luttais pour une gorgée d’air une fraction de secondes plus tôt, là, je retins instinctivement ma respiration, me raidis sous l’effet de la terreur.
De l’autre côté, électrocuté par le contact glacial, Séraphin se mit à se tortiller comme un ver de terre. Son genou percuta mon estomac, mais j’encaissai en silence, trop obnubilée par le contact poisseux du liquide sale sur ma peau qui me donnait la nausée. Le puissant courant m’emprisonna dans un tourbillon visqueux, et je me retrouvai à lutter non pas pour me débarrasser de mon assaillant, mais pour rester accrochée à lui le plus longtemps possible. Lorsqu’il émergea à l’air libre en grognant comme un buffle en colère, j’enfonçai mes doigts dans ses épaules, me juchai sur son dos et enroulai mes jambes autour de son torse, le cœur battant, une peur panique, terrifiante, primitive, pulsant dans mes veines.
Séraphin, semblant deviner ma phobie, replongea immédiatement. Je m’agrippai plus fermement à son t-shirt d’une main et, frénétiquement, cherchai mon portable dans ma poche de l’autre. L’ombre du pont de Neuilly nous couvrit au moment où mes doigts se refermèrent dessus. Faisant – difficilement – abstraction des ruades furieuses du brun qui essayait de me déloger de son dos, j’ouvris une application précise et, à bout de souffle, je tapai le code envoyé par Sam. L’écran s’illumina de vert en guise de confirmation.
La traction au niveau du nombril, Séraphin dut aussi la percevoir, car il se raidit brutalement. Je crus l’entendre crier, mais j’aurais été incapable de l’affirmer avec certitude. Le flux magique nous entraîna ensemble, nous disparûmes avant d’être sortis de l’ombre du pont.

Je repris contact avec le monde réel en atterrissant sur une surface dure et granuleuse, mais à l’air libre. Dans le même temps, un poing fermé m’atteignit une deuxième fois entre les côtes, frappant à nouveau l’endroit précédemment touché, expulsant à nouveau tout l’air que j’avais pu emmagasiner. Je serrai les dents, refusant de gémir.
Assez souplement si l’on prenait en compte mon état, je me dégageai de l’emprise de Séraphin et virevoltai pour me retrouver face à lui. Il y eut quelques cris, des ordres jetés, des bruits de pas précipités, des cliquetis de crans de sécurité ôtés, et une nuée de soldats casqués lourdement armés se déployèrent à mes côtés. Je laissai ma magie affluer au bout de mes doigts sous la forme d’un concentré d’énergie turquoise, vibrante, menaçante. Tout juste si elle ne crépitait pas, mais on laissait ça aux enfants de Thor.
Séraphin nous regarda un moment d’un air mauvais, ne réalisant pas encore qu’il venait de se faire avoir pour la première fois après tant d’années. Puis, de mauvaise grâce, il posa ses mains au sommet de son crâne, à la vue de tous. Je passai derrière lui, le forçai à genoux sans ménagements. Cliquetis métallique. J’attrapai au vol les menottes que l’un de mes frères m’envoyait, les passai aux poignets de Séraphin. Les soldats l’entourèrent, je reculai, et ils le relevèrent de force pour s’éloigner avec lui.
Le seul à ne pas le faire fit disparaître son casque noir, avec un soupir.
— Bienvenue à la maison, j’imagine ? lâcha-t-il sans enthousiasme alors que le nouveau prisonnier disparaissait dans les escaliers.
Un instant, je maudis Sam de ne pas avoir songé à regarder qui s’occuperait de l’accueil du prisonnier. Parce que, le connaissant, il avait juste mis une annonce puis vérifié que quelqu’un s’était inscrit, sans regarder son identité. Et, en l’occurence, j’aurais aimé tomber sur n’importe qui d’autre que cet abruti.
— Levi, grognai-je sans amabilité.
De ses yeux turquoise identiques aux miens, il affronta un instant mon regard critique, puis baissa la tête, passa une main dans sa tignasse blonde pour l’ébouriffer. Je notai qu’il faisait passer son poids d’un pied sur l’autre, nerveux, esquissai un demi-sourire caustique, mais ne dis rien, préférai me tourner vers l’arche métallique située dans mon dos, au centre de laquelle pulsait un tourbillon d’énergie bleuté.
— Je m’en charge, m’arrêta Levi d’une voix mesurée. T’occupe.
Je fronçai le nez, vaguement interloquée, puis, je haussai les épaules.
— Merci, lâchai-je néanmoins du bout des lèvres.
Je lui tournai le dos, grimpai deux à deux les larges marches de béton usées qui me séparaient du rez-de-chaussée, mais, terrassée par la douleur qui vrillait mon torse, dus m’arrêter alors qu’il me restait encore cinq étages à gravir pour rejoindre ma chambre. Une grimace aux lèvres, je m’appuyai quelques secondes contre le mur pour reprendre mon souffle. De l’autre côté de l’immense hall du manoir, trois immenses antiques horloges circulaires, suspendues à près de trois mètres de hauteur, indiquaient respectivement les heures des trois mégalopoles mondiales majeures : l’américaine BosWash, la japonaise Taiheiyō Belt et la dorsale européenne. Dans le fuseau horaire où je me situais actuellement — celui de Paris, donc — il était sept heures dix. Cela faisait à peine deux heures que j’étais réveillée et j’avais déjà eu le temps de me fêler au moins une côte. Je levai les yeux au plafond, mais souris, amusée.
Mon rictus se transforma bien vite en grimace lorsque je repris mon chemin dans les larges couloirs bondés, laissant dans mon sillage une longue traînée de gouttelettes. Maintenant que l’adrénaline avait reflué, la douleur de mes côtes irradiait dans toute ma poitrine et rendait chaque inspiration difficile. Le temps que je parvienne à l’infirmerie, mes pas s’étaient faits hésitants, vacillants. Encore trempée jusqu’aux os, je m’affalai sur le premier lit venu, tendis la main vers la trousse de secours la plus proche.
— Pas touche ! m’interrompit une voix féminine sèche.
Je croisai une paire de prunelles vert feuille, étincelantes. La guérisseuse – une fille d’Eir dont je ne connaissais pas le nom puisqu’elle venait seulement d’intégrer le service du Manoir – s’approcha de moi. Elle m’enleva la sacoche des mains, posa ses doigts sur mon ventre, et appuya doucement. La tension faillit m’arracher un cri. Je me mordis les lèvres. Seul un gémissement sourd m’échappa.
— Cassées. Deux, affirma-t-elle.
Elle souleva avec précaution mon t-shirt trempé ainsi que ma brassière de sport, fit apparaître une serviette sèche et un pot de pommade violette, essuya lentement l’eau qui dégoulinait sur ma poitrine, puis appliqua la crème granuleuse au parfum suave sur la zone blessée. Ensuite, elle ferma les yeux, et sa magie prit le relais. Elle procéda en douceur, réparant les liens rompus, réassemblant les os brisés. Une agréable fraîcheur la brûlure de la douleur, je poussai un soupir d’aise en sentant les fêlures se ressouder sans heurts.
— Merci, souris-je une fois qu’elle eut terminé.
Elle me rendit un hochement de tête et, sans même chercher à me demander si ça allait mieux, comme sa prédécesseure l’aurait fait, elle s’isola à nouveau dans son petit bureau attenant. J’arquai un sourcil face à sa froide distance. Apparemment, elle aurait préféré être assignée à une Maison ase ou vane plutôt qu’à la Confrérie. Dommage pour elle, songeai-je avec une grimace amère.
Nonobstant, j’étais satisfaite du boulot qu’elle avait fourni. Mes côtes ne me faisaient plus mal, je pouvais bouger comme si rien ne m’était arrivé. Je profitai du calme de l’infirmerie pour me métamorphoser et récupérer ainsi le visage que j’utilisais au Manoir, sans écorchures ni lèvres fendues, bleus et contusions en tout genre, puis, me séchai sommairement en augmentant la température à la surface de mon corps jusqu’à ce que mes vêtements cessent de dégouliner. Une douche s’imposait, j’empestais l’algue et l’eau croupie.
De retour dans les larges couloirs blancs, je remontai à contre-courant le flux de personnes qui descendaient depuis les dortoirs communs du troisième étage pour prendre leurs fonctions dans les différents bureaux européens. On s’écarta sur mon passage, on me salua vaguement, mais, en voyant mon état, personne ne prit le temps de discuter avec moi. Ainsi, je parvins bien vite au cinquième, bien plus calme que les deux précédents. Le voyant de ma porte vira au vert lorsque je posai mes doigts sur le détecteur d’empreintes digitales, et je me faufilai dans mon sanctuaire avec un soupir de soulagement, ravie de retrouver mon univers impersonnel. Après un mois d’absence, une fine couche de poussière s’était déposée sur la toile grise dont j’avais pris l’habitude de recouvrir mon lit pour en protéger les draps. J’écartai les épais rideaux noirs pour laisser entrer la pâle lumière du ciel printanier septentrional, me glissai dans la petite salle de bains attenante, me déshabillai rapidement.
Le petit miroir situé au-dessus du lavabo me renvoya un reflet auquel je ne prêtai pas attention. Me voir ne me faisait plus aucun effet particulier depuis longtemps ; cela faisait des années déjà que j’avais établi mon apparence habituelle, et la reprendre était désormais un réflexe. C’était le corps qui me convenait le mieux. Fin, ferme, tonique. Sans trop de formes féminines, mais adapté aux combats répétitifs que ma vie m’imposait. Pas beau, mais efficace.
Mes longs cheveux noirs détachés, je me glissai sous le jet glacé en grimaçant. Depuis ma naissance, c’était quelque chose qui m’insupportait profondément, qui m’effrayait, même, quand je n’étais encore qu’une gamine. Quelque chose qui avait causé énormément de problèmes à ma mère, durant les quelques années où elle avait pu s’occuper de moi. La cause de cette phobie était encore aujourd’hui un mystère. Logiquement, après ce qui était arrivé à ma mère, j’aurais dû être effrayée par la foudre… mais non, c’était la flotte qui me terrorisait. J’avais dû apprendre à vivre avec cette peur, à transformer l’angoisse en désagréable sensation d’inconfort quand j’avais la tête immergée plus de deux secondes.
Aussi la douche fut-elle très rapidement expédiée. Je ressortis propre, quoique foncièrement irritée, mais au moins, je n’empestais plus l’algue à dix mètres à la ronde. Une serviette nouée autour de la poitrine, je retournai dans ma chambre, fis apparaître une grosse valise dans laquelle j’entassais une partie de mes vêtements sur le gros drap gris, farfouillai dedans quelques secondes pour me dénicher des habits propres. Au vu de mon manque absolu de choix, j’optai pour un t-shirt et un pantalon noirs unis, laissai la valise ouverte sur mon lit pour me rappeler de faire ensuite ma lessive, et me mis en quête de mes bottines noires, que j’avais oubliées en partant d’ici un mois plus tôt. J’en retrouvai une sous la table, l’autre sous la commode. Un dernier coup d’œil au miroir, un soupir. Prête.
Je redescendis en quatrième vitesse les marches que j’avais montées un peu plus tôt, m’arrêtai au deuxième étage, m’enfonçai dans le labyrinthe d’étroits corridors tapissés de blanc. Parvenue devant une porte roux sombre, je m’immobilisai, inspirai profondément pour ralentir les battements de mon cœur, et toquai deux coups secs.
— Entrez !
Assise derrière son écran, droite et raide comme si elle avait avalé un manche à balai, la cheffe de la Confrérie travaillait. Petite, mince, avec un visage anguleux, elle paraissait avoir trente ans, mais malgré cette apparence plutôt jeune, elle s’entêtait à vouloir porter un tailleur noir à la coupe stricte et des ballerines blanches, qui lui donnaient un air assez sinistre de femme d’affaires. De loin, on aurait dit une véritable bureaucrate, mais il se murmurait dans les couloirs qu’elle avait fait partie de l’Élite, il y avait longtemps de cela. Pour ma part, je ne l’avais jamais vue sur le terrain de mon vivant.
Je la fixai dans les yeux, la saluai, polie. Elle se leva, quitta son massif bureau de bois verni sur lequel la paperasse était méticuleusement ordonnée, et m’invita à m’asseoir dans un fauteuil sombre situé à gauche de la porte. Je m’exécutai, tendue, posai mes mains à plat sur les accoudoirs pour ne pas me ronger les ongles. Enfin, de ce qu’il m’en restait. Je n’étais pas nerveuse, juste impressionnée face à cette femme qui gérait les affaires de ma famille depuis tant d’années. Mais, une fois n’étant pas de coutume, j’avais aussi un mauvais pressentiment. Quelque chose me dérangeait dans son regard, une ombre que je n’y avais jamais vue par le passé.
— Bonjour Lilith, me salua-t-elle.
Sa voix douce, cordiale, me mit un peu plus à l’aise. Je m’enfonçai un peu plus dans mon fauteuil, lui souris.
— Bien, merci. Et vous ?
Elle se contenta de hocher la tête et attendit. Consciente qu’elle était nettement plus intéressée par mon boulot que par mes questions sur sa vie, je me dépêchai de lui narrer en détail tous les évènements depuis mon départ du manoir, un mois plus tôt. Je lui racontai toutes mes missions une à une. D’abord, les assassinats au service des gouvernements qui nous avaient permis de renflouer nos caisses. Puis, les vols de rapports scientifiques pour un laboratoire pharmaceutique international qui voulait éviter un scandale. Ensuite, de « petits » nettoyages de serveurs, réalisés pour des hommes peu scrupuleux, où je m’étais faite assister par un informaticien de la Confrérie. Enfin, j’en vins à l’enlèvement du fils de Týr. Tout le long, elle m’écouta sans mot dire, attentive, emmagasinant les informations l’une après l’autre. Lorsque je me tus, quelques secondes de silence s’écoulèrent, puis elle inclina lentement la tête, l’air satisfaite, mais un peu ailleurs.
— C’est du bon boulot, admit-elle.
Quelques secondes s’écoulèrent dans un silence inhabituel. Elle parut hésiter, et je dus me mordre la langue pour ne pas lui demander ce qui la turlupinait. Était-ce en rapport avec le départ précipité de Selvigia, la veille ?
— Il faut que tu saches quelque chose.
Sa voix était neutre, mais son visage était fermé. Je m’enfonçai davantage dans mon siège, crispai instinctivement mes doigts sur le cuir doux. Quand Kaiser affichait cette expression, les ennuis ne tardaient pas. Cette fois-ci ne fit pas exception à la règle.
— Ekrest est mort.
Mon cœur fit une violente embardée.
— Quoi ?! hoquetai-je.
Elle garda le silence. Ceci, plus que tout autre commentaire de sa part, me persuada que c’était la vérité. Elle n’aurait pas menti sur un tel sujet. Jamais.
— Il a… Il est tombé dans une embuscade il y a trois jours, reprit-elle, et je fus choquée de l’entendre buter sur les mots.
— Qui ? lâchai-je dans un murmure rauque.
— Un certain Kalyan. Maison de Thor.
Le souffle coupé, je fermai les yeux, serrai les dents pour ne pas insulter le coupable à haute voix. C’étaient les risques du métier, je le savais pertinemment. Ekrest me l’avait mille fois répété. Mais jamais je n’aurais envisagé que ça s’applique à lui un jour. Il avait toujours été le meilleur.
— Il est tombé dans une embuscade. Six contre un, mais le final s’est déroulé entre lui et Kalyan.
Il n’avait aucune chance, sous-entendait le ton de sa voix. Inconsciemment, j’enfonçai profondément mes ongles rongés dans le cuir des accoudoirs, passant toute ma rage sur ce pauvre fauteuil qui ne m’avait rien fait. Ça valait toujours mieux que sur ce salopard qui méritait de pourrir au Niflhel. Même si, connaissant la légendaire justice divine des Neuf Mondes, il allait probablement finir au Valhalla lorsque je le tuerais parce qu’il m’aurait combattue « honorablement ».
Je ne prêtai qu’une oreille distraite à Kaiser, qui continuait à me parler. Le choc était encore trop fort pour que je me préoccupe des implications d’une telle révélation.
Ekrest.
Mort.
Non. Ce n’était pas possible.
Une boule se forma dans ma gorge, m’empêchant de respirer. Je me mordis la langue, gardai un regard fixe et un air faussement attentif, alors que ma commandante me disait qu’il valait mieux laisser couler pour le moment, aussi dur cela puisse-t-il paraître. Ce qui était hors de question. J’allais le tuer. Pas tout de suite, certes, même si j’aurais pu le faire dans l’instant s’il avait été en face de moi. Mais bientôt.
C’était ça ou fondre en larmes.
Et un assassin ne pleurait pas.

Kaiser me congédia finalement en me conseillant d’aller interroger le prisonnier. Je pris l’invitation pour ce qu’elle était – un ordre dissimulé sous une politesse factice – et descendis jusqu’au niveau –2, où étaient localisées les prisons. Mes phalanges me démangeaient déjà. Si je m’étais écoutée, j’aurais étranglé tous ceux que je croisais. Qu’ils remercient Loki, je me maîtrisais pour le moment.
En passant devant les nombreuses salles d’interrogatoire de la section où la magie était bloquée par des statuettes rituelles, j’entendis quelques cris de douleur, ne pus m’empêcher de sourire. C’était ma solution temporaire. Noyer la douleur dans le sang. Faire souffrir, pour oublier qu’on souffrait soi-même. Pour oublier ce vide béant qui avait déjà commencé à me ronger de l’intérieur.
Je croisai Levi, en faction dans le couloir, lui fis signe de me rejoindre. La main posée par habitude sur la crosse de son fusil, il s’exécuta en essayant de paraître le moins désagréable possible. Ce qui n’était pas gagné d’avance, puisqu’il paraissait renfrogné même lorsqu’il était de bonne humeur. La faute à ses sourcils bizarres.
— Où est mon nouveau ?
Le blond m’indiqua d’un signe du menton l’une des cellules non loin.
— Tu peux me l’amener en salle trois ?
Il hocha la tête, toujours mutique. À croire qu’on lui avait arraché la langue durant mon absence, puisque d’habitude, il ne se privait pas de commentaires stupides. Et irritants. Dommage. J’aurais aimé lui hurler dessus, peu importe la raison. Haussant intérieurement les épaules, je me dirigeai vers la pièce dont j’avais parlé. Séraphin, encadré par trois gardes, m’y rejoignit quelques minutes plus tard, s’assit sur une chaise comme s’il avait pesé trois tonnes.
— Mains sur la table, lui enjoignis-je d’une voix sèche.
Il obéit, maussade. Je bloquai ses poignets par des bracelets magnétiques, immobilisai son torse par une entrave de cuir bien plus serrée que nécessaire. Levi revérifia d’un regard les vis qui maintenaient la table métallique au sol, fit de même pour la chaise, puis nous tourna le dos pour sortir. Mais il s’arrêta sur le pas de la porte pour faire apparaître un petit scalpel au fil aiguisé, un carnet et un stylo, qu’il me tendit.
Décidément, il connaît trop bien mes habitudes, songeai-je, grincheuse, en m’asseyant en face du prisonnier.
— Nom, prénom et Maison.
— Séraphin Cobb, Maison de Týr. À quoi ça sert que tu me poses ce genre de questions si tu connais déjà les réponses ?
Je le regardai un moment dans les yeux, puis le giflai violemment. Il cilla à peine, mais son regard d’acier liquide se fit haineux.
— D’autres questions ? rétorquai-je.
Il resta coi, se contenta de faire quelques grimaces pour détendre sa mâchoire. Je griffonnai son nom à la tête d’une nouvelle page du carnet, levai les yeux.
— Âge ?
— Cinquante-sept ans.
Et l’apparence d’un jeune adulte à peine sorti de l’adolescence. Les pommes d’Idunn étaient décidément efficaces.
Mes questions se succédèrent d’autant plus vite qu’il fut plutôt coopératif, au début. Mais, à mesure que je commençai à l’interroger sur des sujets plus personnels – phobies, amis proches – ou sur sa Maison – supérieurs hiérarchiques, relations diplomatiques et internationales, bases militaires – il en vint à se braquer. Ce furent d’abord des réponses évasives, même si, en insistant, j’eus ce que je voulais, jusqu’au premier silence équivoque. Je le regardai un moment en biais. Il se tendit, prêt à se prendre une nouvelle gifle.
Négligemment, j’attrapai le scalpel, et le fis tourner entre mes doigts, affectant un détachement que j’étais loin de ressentir. Je ne rêvais que d’une chose : le planter dans sa gorge. Lui, obnubilé par le mouvement de la lame, en oublia de faire attention à ce que je faisais avec. Il ne vit pas arriver la première strie sanglante sur son avant-bras gauche, perdit toute sa contenance et poussa un hurlement de douleur. Je lâchai un ricanement méprisant.
— Qu’on soit clairs, lui jetai-je en me penchant vers lui, menaçante. Tu ne veux pas emprunter cette voie-là.
Il cligna des paupières, gronda comme un animal blessé, mais garda le silence. Voyant qu’il n’allait pas parler immédiatement, je poussai un soupir de fausse déception. Le scalpel se lança à nouveau à l’assaut de sa chair, creusant lentement un serpent écarlate qui resterait pour l’éternité gravé dans sa peau sombre. Une goutte, un peu plus grosse que les autres, perla, glissa le long de son bras. Elle fut suivie par un flot continu, qui éclaboussa le sol bétonné. Faussement réprobatrice, je le tançai :
— Tu réalises le travail que tu donnes à ceux qui vont venir nettoyer ici ?
Son mutisme me tira un sourire cynique. D’un seul geste fluide, j’enfonçai la lame dans le creux de son coude, appuyai négligemment dessus. La souffrance déforma son expression butée, un râle rauque s’échappa de sa gorge. J’avais volontairement choisi un point sensible, mais pas mortel. En revanche, nous savions tous les deux que, si j’appuyais encore un peu, je sectionnerais le nerf moteur de sa main dominante. Il perdrait l’usage complet de tout ce qui se situait après le pli du coude.
Il allait craquer. Je le devinais. Il n’aimait pas souffrir, n’y était pas préparé. Il n’avait jamais imaginé pouvoir se faire avoir un jour. Dans sa prétention, il s’était cru meilleur que tous ceux de ma famille, et maintenant qu’il était dans la gueule du loup, il ne savait pas comment faire. Il luttait visiblement pour ne pas montrer qu’il avait mal, et qu’il aurait voulu parler rien que pour abréger ses souffrances. Sauf que je ne comptais pas lui offrir ce plaisir.
— Essia Winston, siffla-t-il.
Je pris mon temps, calligraphiai avec attention le nom de son contact chez les Heimdall, responsable de signaler sa disparition et de traiter les négociations en sa faveur. Une fois ceci fait, je récupérai ma lame d’un geste sec, arrachant malencontreusement quelques poils et autres morceaux au passage. Séraphin se détendit très légèrement.
— Ne crois pas t’en tirer à si bon compte, le prévins-je avec un ricanement sarcastique.

Le Týr réintégra sa cellule les bras couverts de fines stries sombres qui imitaient vaguement un tatouage complexe. Au bout du compte, malgré quelques désagréments, l’interrogatoire s’était avéré plutôt concluant, et j’avais obtenu des informations complémentaires qui allaient me permettre de remettre à jour quelques fiches de renseignement. Je n’en avais pas vraiment espéré plus pour un premier jour.
— Ça va ?
Levi s’était approché de moi, l’air presque… soucieux. Je lui jetai un regard en biais, sceptique.
— Depuis quand…? commençai-je.
— Oh, c’est bon, la ferme…
Le voir râler me rassura quelque peu. Il n’avait peut-être pas totalement perdu la boule. Peut-être. Je le vis cacher ses mains dans son dos, probablement pour se tortiller les doigts. Une mauvaise manie qu’il avait. Comme moi, qui me rongeais les ongles quand je n’avais rien à faire — ce qui était actuellement le cas.
— Tu as un créneau de libre ? osa-t-il enfin.
— Pour quoi faire ?
— M’entraîner.
Au vu de ses allégeances plus que douteuses et des nombreux coups foireux dont j’avais souvent fait les frais dans mon enfance, je faillis l’envoyer balader sur-le-champ. Mais le souvenir de ma conversation avec Kaiser était encore trop vivace dans ma mémoire. Et, comme je pus le constater, malgré le sang qui avait coulé à flots durant ces deux dernières heures, toujours douloureux. Un véritable étau d’acier qui me comprimait les entrailles.
Ekrest était mort.
Il n’était plus le meilleur combattant de la Confrérie. C’était moi, maintenant, et c’était mon devoir d’aider les miens à progresser, qu’importent nos différends passés ou présents.
— Dans vingt minutes.
Levi me lança un sourire entendu, exécuta une parodie de salut militaire, et s’en alla à grands pas vers l’arène située au rez-de-chaussée. Alors qu’il s’éloignait, une voix dans mon dos me fit tourner la tête.
— Est-ce que je pourrais au moins savoir comment t’appeler ? maugréa Séraphin derrière ses barreaux.
J’étouffai un sourire dur, tournai les talons. Nous avions tout notre temps pour apprendre à nous connaître.

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Dernière modification par vampiredelivres le mar. 03 mars, 2020 8:44 pm, modifié 5 fois.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki

Message par louji »

vampiredelivres a écrit :
CHAPITRE 2


Le lendemain, je me réveillai à cinq heures tapantes, d’excellente humeur. :arrow: Non. C'est de l'antithèse ça :lol: J’avais pris toute l’après-midi qui avait suivi ma conversation avec Sylvia pour préparer mon plan et dormir. Rattraper les heures de sommeil que je perdais trop souvent en filatures et surveillances, aussi. De fait, je fus prête en un éclair. Motivée par l’envie de rentrer chez moi, j’avalai à la hâte le croissant que j’avais acheté la veille pour pallier un éventuel petit creux matinal, et sortis de l’hôtel en signalant mon départ définitif. Personne ne broncha, ni ne protesta. Pas comme la veille, avec Selvigia. Après tout, ma chambre ayant été prépayée jusqu’au lendemain, ils n’allaient pas se plaindre, bien au contraire.
Vingt minutes plus tard, j’étais plantée devant le domicile de ma cible. Je m’appuyai contre un muret, sortis mon téléphone pour relire une dernière fois les informations principales une dernière fois :arrow: petite répétition ^^. Séraphin Cobb, français :arrow: Comme tu fais référence à sa nationalité, je crois que ça prend un F majuscule ^^ de nationalité. Il vivait à Paris depuis quinze ans, mais il avait suivi la formation militaire avancée des enfants de Týr avant. Les entraînements complets comme celui stipulé prenant en général une quinzaine d’années, il devait en avoir plus de quarante au total. Je remontai jusqu’à son âge. Cinquante-sept, effectivement.
Mais jusqu’à maintenant, il était sorti vainqueur de toutes ses altercations avec ma famille. Ce qui justifiait son arrogance de la veille. Je jetai un bref coup d’œil à la liste des victimes qui lui étaient associées, sans qu’aucun nom ne se détache du reste. Ce qui signifiait que c’étaient tous de petits agents, pas très puissants, qui avaient péri sous ses coups. Rien de très glorieux pour lui, mais cela allait me simplifier la vie. Il se ferait trop confiance. J’étouffai un rire en imaginant son visage au moment où il comprendrait qu’il n’avait aucune chance, continuai à faire défiler les informations. Combattant professionnel, statut privilégié au sein de sa Maison. Je marquai un bref temps d’arrêt, pensive. Le « convaincre » de me suivre n’allait pas être facile. Tout allait dépendre de ses armes. Ici, les informateurs de la Confrérie me disaient qu’il utilisait soit une lance, soit une épée et un bouclier.
Pitié, qu’il n’utilise pas sa lance. Je détestais combattre des lances.
Un message en provenance de Sylvia masqua brièvement le document. J’esquissai un mince sourire satisfait. C’était le code pour activer le portail depuis mon emplacement. Je me le répétai deux ou trois fois dans ma tête pour le mémoriser, supprimai le message, poursuivis ma lecture.

Le portail de l’immeuble grinça en s’ouvrant. Séraphin sortit tranquillement, dix minutes plus tôt que prévu, mains dans les poches, sans me remarquer. Les yeux rivés sur mon téléphone, je le laissai gagner quelques dizaines de mètres d’avance avant de m’engager à sa suite. Par précaution, j’avais – encore – changé d’apparence, et mis des lunettes de soleil pour cacher mes yeux turquoise.
Tout en le suivant, je le détaillai avec attention. Aucune trace d’armes de poing dans sa tenue de citadin, pas l’ombre d’une crosse de pistolet ou d’un manche de dague. Mes lèvres se retroussèrent en un sourire cynique. Cela en disait long sur son état d’esprit. Mais je n’allais pas l’en blâmer, puisque c’était à mon avantage.
En entrant dans le parc, il accéléra le pas. Je dus calquer mon allure sur la sienne pour le garder en vue. Nous marchâmes ainsi quelques minutes, lui perdu dans ses pensées, moi focalisée sur lui. De moins en moins tendue à mesure que je sentais le bon moment approcher, assez paradoxalement. Il ne s’arrêta qu’une fois à son endroit habituel, sur le banc, en face du lac étale :arrow: je connaissais pas l'adjectif, j'ai cherché... Je me coucherai moins bête :lol: , qui reflétait les contours du Pavillon d’Armenonville. Sans hésiter, je vins m’asseoir à côté de lui, et laissai mon regard dériver sur l’eau.
— Euh… Bonjour ?
— Bonjour, répondis-je tout naturellement en français.
Je vis ses sourcils se fléchir vers le haut. Baissai négligemment mes lunettes. Ses yeux gris acier rencontrèrent les miens, bleu turquoise. Choc des Maisons. Un sourire sarcastique se dessina sur ses lèvres
— Pas trop tôt… La discrétion, tu connais ?
— Les négociations, tu connais ? rétorquai-je sur le même ton. Dois-je t’exploser le visage pour te convaincre, ou me suivras-tu de ton plein gré ?
Il fit semblant de se pencher sérieusement sur la question. Plutôt bon comédien, même si j’aurais pu lui donner quelques leçons. Et son bras jaillit, fulgurant, vers mon arcade sourcilière. Mais, même si elle était rapide, son attaque était restée très prévisible. J’attrapai son poing fermé en pleine course, me penchai sur le côté. Mes lunettes tombèrent à terre. Tout comme moi. Sauf que je l’entraînai dans ma chute. Et, dès l’instant où il fut à terre, j’étais sur lui.
Les bonnes habitudes ne se perdaient jamais, disait-on. Je n’étais pas sûre que savoir frapper au bon endroit soit une bonne habitude, en société civilisée, mais dans mon monde, c’était clairement le cas. Et mes poings trouvaient d’eux-mêmes le chemin. Je lui explosai le nez, voulus faire la même chose au niveau de son front. Son uppercut me cueillit au menton avant que je ne puisse le faire. Je basculai à mon tour, grognai. Me redressai immédiatement, en appui léger sur mes orteils.
Il ne sortit aucune arme, contrairement à mes attentes. Se contenta, comme moi, de se remettre souplement sur ses pieds. Je plantai mon regard dans le sien. Les muscles de sa mâchoire se contractèrent. Il se jeta sur moi.
J’évitai un premier coup, mais le second m’atteignit de plein fouet. Je me pliai en deux en grognant, la douleur irradiant de ma poitrine. Une côte fêlée, diagnostiquai-je sans même avoir à y réfléchir, voire cassée. Il passa derrière moi, m’attrapa par le cou. Serra violemment. Par réflexe, mon coude vint emboutir son plexus solaire, et ce fut à son tour de gémir en me lâchant. Le souffle coupé, il recula d’un pas. Ouverture parfaite. Ignorant les vagues de souffrance qui venaient m’aiguiller, je lui assénai mon talon dans le torse. Il encaissa le coup sans broncher, stoïque. Je n’eus pas le temps d’analyser. Ni de m’étonner. Déjà, il avait saisi ma jambe. Je me sentis perdre pied – mauvais jeu de mots – et mordis la poussière. Au sens littéral, cette fois-ci. Le nez dans le gravier, les lèvres et le menton éraflés, je vis brièvement trente-six chandelles.
Séraphin m’attrapa brusquement les épaules, me remit debout. C’était positif. Ses mains vinrent à nouveau comprimer ma gorge. Ah. Moins positif. Apparemment, la strangulation, c’était quelque chose qu’il aimait beaucoup…
Je hoquetai. Entre deux aspirations convulsives qui ne changeaient absolument rien au vide intersidéral dans mes poumons, j’eus une idée. Luttant contre mon corps, qui cherchait désespérément un peu d’air, je tendis les bras loin en arrière, crochetai sa nuque. Me cambrai, crochetai par les pieds l’arrière de ses genoux, mis tout mon poids et toute ma force dans le mouvement. Fauché, il bascula en arrière. Sans me lâcher. Mais la pression sur ma gorge diminua. Je pus respirer. À peine, mais respirer malgré tout.
Puis, le monde se mit à tourner. Je sentis confusément la terre meuble sous mes semelles, un instant seulement, avant qu’il ne s’affale de tout son poids sur mon dos. Entraînée par ses quatre-vingt kilos de muscle, je dévalai la pente. Sans réaliser – ou en réalisant trop tard – qu’au bas du versant, il y avait le lac.

Lorsque je touchai l’eau, tête la première, je sentis l’humidité s’infiltrer partout, en même temps que la panique. Alors que je luttais pour une gorgée d’air une fraction de secondes plus tôt, là, je retins instinctivement ma respiration.
Comme si le contact glacial l’avait électrocuté, Séraphin repassa du stade de mollusque inerte à celui de combattant actif. Il se contorsionna, son genou atteignant du même coup mon estomac. J’encaissai en silence, me donnai comme objectif premier de regagner la surface en esquivant le plus de coups possible. Difficile, mais pas impossible. Une fois cela fait, je pris une grande inspiration. Les oreilles encore emplies d’eau, j’entendais à peine les cris des personnes qui avaient commencé à se rassembler. Je les ignorai, comme la douleur qui jaillissait maintenant de presque partout. Ne restait que la peur panique, terrifiante, primitive, qui avait remplacé l’adrénaline dans mes veines.
Mon adversaire émergea à son tour hors de l’eau, grognant comme un buffle en colère. Instinctivement, j’enroulai mes jambes autour de son torse. Il avait l’air bon nageur. Il m’empêcherait de couler.
Séraphin, semblant deviner ma phobie, replongea presque immédiatement. Je m’agrippai plus fermement à son T-Shirt et, frénétiquement, cherchai mon portable dans ma poche. Lorsque mes doigts se refermèrent dessus, je faillis couiner de joie. Seule l’idée de perdre de l’oxygène m’en empêcha. Faisant – difficilement – abstraction des ruades furieuses du brun qui essayait de me déloger de son dos, je posai mon doigt sur l’écran pour le déverrouiller. :arrow: elle peut utiliser son portable sous l'eau ? :lol: Fortiche ! Ouvris une application précise. À bout de souffle, tapai le code envoyé par Sylvia. Une petite lumière de confirmation verte s’alluma. Je poussai un gros soupir de soulagement, expulsant au passage tout l’air de mes poumons.
La traction au niveau du nombril, Séraphin dut aussi la percevoir, car il se raidit. Cessa de bouger. Je crus l’entendre crier « Non ! », mais j’aurais été incapable de l’affirmer avec certitude. Je me contentai de me laisser entraîner par la magie, en gardant les mains sur ses épaules pour ne pas le perdre en cours de téléportation.

Je repris contact avec le monde réel en atterrissant sur une surface dure et granuleuse, mais à l’air libre. Dans le même temps, un poing fermé m’atteignit une deuxième fois entre les côtes, frappant à nouveau l’endroit précédemment touché. À nouveau, tout l’air que j’avais pu emmagasiner fut expulsé. Je serrai les dents, refusant de gémir. J’étais chez moi.
Assez souplement si l’on prenait en compte mon état, je me dégageai de l’emprise de Séraphin, et virevoltai pour me retrouver face à lui. Il y eut quelques cris, des ordres jetés, des bruits de pas précipités, des cliquetis de crans de sécurité ôtés, et des soldats se déployèrent à mes côtés. Je laissai ma magie affluer au bout de mes doigts sous la forme d’un concentré d’énergie turquoise, vibrante, menaçante. Tout juste si elle ne crépitait pas, mais on laissait ça aux enfants de Thor. :arrow: On sent le mépris :lol:
Séraphin nous regarda un moment d’un air mauvais, visiblement agacé par l’idée de s’être fait avoir pour la première fois après tant d’années. Puis, de mauvaise grâce, il leva les mains au-dessus de sa tête, et les croisa derrière sa nuque. Je passai derrière lui, le mis à genoux sans ménagements. Cliquetis métallique. J’attrapai au vol les menottes que l’un de mes frères m’envoyait, les passai aux poignets de Séraphin. Ensuite, je reculai, alors qu’il se relevait et que les soldats l’entouraient.
Le seul à ne pas le faire enleva son casque, avec un soupir, et se tourna vers moi.
— Bienvenue à la maison, j’imagine ? lâcha-t-il sans enthousiasme alors que le nouveau prisonnier disparaissait dans les escaliers.
— Levi, grognai-je sans amabilité.
Je n’étais pas heureuse de le voir non plus, et il le savait. C’était sans doute l’une des personnes que je supportais le moins à la Confrérie. Même s’il n’était à côté de moi que depuis une minute, j’avais déjà envie de m’éloigner au plus vite. Et pourtant, je me retrouvais encore une fois obligée de travailler avec lui. Enfin, travailler…
Je le dévisageai, critique. Il n’avait pas vraiment changé depuis la dernière fois que je l’avais vu. Pas si surprenant. Sa tignasse blonde presque blanche, d’habitude en bataille, était plaquée contre son crâne avec du gel. Il l’ébouriffa machinalement, nerveux, et fit passer son poids d’un pied à l’autre. J’esquissai un demi-sourire amusé, mais ne dis rien, et reportai mon regard sur le portail par lequel j’étais arrivée. Il allait falloir le désactiver rapidement, sinon Sylvia risquait de faire une crise de nerfs.
— Je m’en charge, m’arrêta Levi alors que j’esquissais un pas en avant. Va faire ton rapport, toi.
Je levai un sourcil, vaguement interloquée. Depuis quand…? Puis, je haussai les épaules. Après tout, cela ne m’importait pas plus que ça.
— Merci, lâchai-je néanmoins du bout des lèvres.
Je lui tournai le dos, et grimpai deux à deux les marches des trois niveaux qui me séparaient du rez-de-chaussée. M’arrêtai néanmoins alors qu’il me restait encore cinq étages à gravir, terrassée par la douleur qui vrillait mon torse. Je grimaçai, et obliquai pour prendre le chemin de l’infirmerie, laissant une longue traînée de gouttelettes dans mon sillage. Au passage, je jetai un regard à la pendule accrochée à un mur. Sept heures moins dix. Cela ne faisait pas deux heures que j’étais réveillée et j’avais déjà eu le temps de me fêler au moins une côte. Je levai les yeux au plafond, mais souris, amusée. Ça me changeait de mes précédentes missions, qui avaient toutes été assez ennuyeuses. Là, je retrouvais le plaisir du combat… et la douleur qui l’accompagnait.
L’infirmerie était déserte lorsque j’y entrai, d’un pas qui se faisait de plus en plus hésitant, malgré toute la volonté que j’y mettais. Je m’affalai sur un lit aux draps gris, ouvris la trousse de secours la plus proche.
— Pas touche ! m’interrompit une voix masculine.
Je croisai des yeux similaires aux miens, d’une incroyable nuance turquoise, tirant sur le vert. L’infirmier – dont j’avais encore oublié le nom – s’approcha de moi. Il m’enleva la sacoche des mains, posa ses doigts sur mon ventre, et appuya doucement. La tension faillit m’arracher un cri. Je me mordis les lèvres. Seul un gémissement sourd m’échappa.
— Cassées. Deux, affirma-t-il.
Je n’eus pas le temps de lui demander ce qu’il comptait faire que déjà, sa magie prenait le relais. Il procéda en douceur, réparant les liens rompus, réassemblant les os brisés. Une agréable chaleur déferla, remplaçant la douleur. Je poussai un soupir d’aise alors que je sentais les fêlures se ressouder, la brûlure s’apaiser.
Il me demanda ensuite de faire quelques étirements, pour vérifier que tout était en place. Ce qui semblait être le cas. J’en profitai pour me métamorphoser, récupérant ainsi mon visage habituel, sans écorchures ni lèvres fendues. Et me sécher sommairement, en augmentant la température à la surface de mon corps assez longtemps pour que mes vêtements cessent de dégouliner. Marre d’être une fontaine sur pattes. Même si une nouvelle douche s’imposait, puisque j’empestais l’algue et l’eau croupie.
— J’aurais bien prescrit une semaine de repos, mais…
— Ça ne va pas être possible, complétai-je avec un sourire sarcastique. Merci quand même.
— Veille à bouger le moins possible.
Je hochai la tête, peu convaincue mais néanmoins reconnaissante, et m’en allai après l’avoir remercié. Quelques regards admiratifs m’accompagnèrent durant ma montée ; je les ignorai royalement. Tout ce qui m’importait en ce moment, c’était ma chambre.
Dans le couloir du cinquième étage, je posai mes doigts sur le détecteur d’empreintes digitales :arrow: Ils font de la magie, créent des portails de téléportation, réparent des côtes en 2-2, mais ils ont quand même un détecteur d'empreintes pour ouvrir les portes ? :D près de ma porte. Le voyant vira sans bruit au vert, et je me faufilai dans mon sanctuaire. Un simple coup d’œil circulaire me permit de vérifier que, même après un mois d’absence, rien n’avait changé. À part peut-être les draps de mon lit. De bleu azur à mon départ, ils étaient devenus verts forêt. Ce qui, en soi, ne me dérangeait pas vraiment. Tant qu’on ne me mettait pas du rose bonbon…
Je me glissai dans la petite salle de bains :arrow: le "s" est nécessaire ? attenante, me déshabillai rapidement, croisant au passage mon reflet dans le miroir sans m’y attarder. Me voir ne me faisait plus aucun effet particulier ; cela faisait des années déjà que j’accordais peu d’importance à mon apparence… D’autant plus que j’étais métamorphe. J’avais choisi le corps qui me convenait le mieux. Fin, ferme, tonique. Sans trop de formes féminines, mais adapté aux combats répétitifs que ma vie m’imposait. Pas beau, mais efficace.
Mes longs cheveux noirs relevés en chignon hâtif, je me glissai sous le jet glacé. Et, comme d’habitude, je n’appréciai absolument pas. Depuis ma naissance, c’était quelque chose qui m’insupportait profondément. Qui m’effrayait, même, quand je n’étais encore qu’une gamine. Quelque chose qui avait causé énormément de problèmes à ma mère, durant les quelques années où elle avait pu s’occuper de moi. La cause de cette phobie était toujours un mystère. J’avais seulement appris à vivre avec, à transformer la terreur en désagréable sensation d’inconfort quand j’avais la tête immergée plus de deux secondes. Aussi, la douche fut rapidement expédiée. Je n’étais pas apaisée en ressortant, mais j’avais au moins la sensation d’avoir accompli quelque chose alors que la journée ne faisait que commencer. Et de ne plus sentir mauvais à dix mètres à la ronde.
Une serviette nouée autour de la poitrine, j’allai fouiner dans mon armoire pour me dénicher des vêtements propres. Au vu de mon manque absolu de choix, je dus opter pour un T-Shirt et un pantalon noirs unis, ma traditionnelle broche argentée, marque de mon rang actuel. Puis, je me mis à la recherche de mes bottines noires, que j’avais jetées depuis la salle de bains. J’en retrouvai une sur mon lit, l’autre en dessous. Un dernier coup d’œil au miroir, un soupir. Prête.
Quelques minutes plus tard, j’avais redescendu les marches montées un peu plus tôt, en direction du deuxième étage. Mon objectif : le bureau de Kaiser. Je m’arrêtai juste devant, inspirai profondément pour ralentir les battements de mon cœur, et toquai deux coups secs.
— Entrez !
La voix provenant de l’intérieur me fit grimacer. J’aurais préféré qu’elle soit occupée, au moins n’aurais-je pas eu à faire mon rapport immédiatement. C’était inutile, puisque je faisais toujours tout conformément aux ordres. Mais c’était « la procédure », et même l’Élite que j’étais ne pouvait y échapper. Je poussai donc le battant, me faufilai en silence dans la pièce décorée aux couleurs de la Confrérie : noir et turquoise. Seule la table de travail rompait avec la tradition ; le bois roux foncé sautait aux yeux. C’était un rappel de l’ancienne époque, où notre emblème était un renard, pour la ruse. Mais les temps changeaient. Aujourd’hui, nous nous représentions par un serpent enroulé sur lui-même, comme celui de ma broche, qui symbolisait Jörmungand. Notre demi-frère.
Assise derrière son écran et droite comme si elle avait avalé un manche à balai, la commandante en chef de la Confrérie travaillait. Petite, mince, avec un visage anguleux, elle paraissait avoir trente ans, mais malgré cette apparence plutôt jeune, elle s’entêtait à vouloir porter un tailleur noir à la coupe stricte et des ballerines blanches, qui lui donnaient un air assez sinistre de femme d’affaires. De loin, on aurait dit une véritable bureaucrate, mais il se murmurait dans les couloirs qu’elle avait fait partie de l’Élite, il y avait longtemps de cela. Personnellement, je ne pouvais pas en attester, ne l’ayant jamais vue sur le terrain.
Je la fixai dans les yeux, la saluai, polie. Elle se leva, vint me serrer la main, et m’invita à aller s’asseoir dans un fauteuil sombre. Je posai mes mains à plat sur les accoudoirs pour ne pas me ronger les ongles. Enfin, de ce qu’il m’en restait. Je n’étais pas nerveuse. Juste… impressionnée. Comme toujours, face à cette femme qui gérait les affaires de ma famille depuis tant d’années.
— C’est un plaisir de te voir de retour. Comment se sont déroulées ces missions ?
Je lui narrai en détail tous les évènements depuis mon départ du manoir, un mois plus tôt. Cela avait d’abord consisté en une série d’assassinats au service des gouvernements, qui nous avaient permis de renflouer nos caisses. Puis des vols de rapports scientifiques pour un laboratoire pharmaceutique international qui voulait éviter un scandale. Ensuite de « petits » nettoyages de serveurs, réalisés pour des hommes peu scrupuleux, où je m’étais faite assister par un informaticien de la Confrérie. Enfin, j’en vins à l’enlèvement de Séraphin. Et, de façon assez inhabituelle, je la vis sourire.
— C’est parfait.
Je me mordis la langue pour ne pas demander immédiatement pourquoi, sachant pertinemment qu’elle ne tarderait pas à m’expliquer. Elle n’était pas de ceux qui faisaient une remarque et taisaient tout le reste. Plus avec moi, en tout cas, depuis que j’avais rejoint l’Élite.
— Cobb nous sera très utile dans les prochaines négociations. Et il a déjà fait pas mal de dommages, comme tu auras pu le constater, c’est d’autant mieux s’il est hors-service pendant quelques semaines. Mais tout d’abord, il faut que tu saches quelque chose.
Je m’enfonçai davantage dans mon siège, crispant instinctivement mes doigts sur les accoudoirs. Quand Kaiser affichait cet air sérieux, les ennuis ne tardaient pas à arriver. Cette fois-ci ne fit pas exception à la règle.
— Ekrest est mort.
Mon cœur fit une violente embardée.
— Quoi ?!
Elle garda le silence. Ceci, plus que tout autre commentaire de sa part, me persuada que c’était la vérité. Elle n’aurait pas menti sur un tel sujet. Jamais.
— Il a… Il est tombé au cours d’une mission, reprit-elle, et je fus d’autant plus choquée de l’entendre buter sur les mots
— Qui ? lâchai-je dans un souffle rauque.
— Kalyan. Maison de Thor.
Je serrai les dents pour ne pas commencer à insulter le coupable. Ma raison me soufflait de me calmer, de ne pas réagir face à la commandante. De laisser couler maintenant, digérer, puis de revenir dessus. C’était ainsi qu’Ekrest m’avait appris à faire. Mais jamais je n’aurais envisagé que ça s’applique à son… décès. Je dus me faire violence pour l’écouter.
— Il est tombé dans une embuscade. Six contre un, mais le final s’est déroulé entre lui et Kalyan.
« Il n’avait aucune chance » sous-entendait le ton de sa voix. Inconsciemment, j’enfonçai profondément mes ongles rongés dans le cuir des accoudoirs, passant toute ma rage sur ce pauvre fauteuil qui ne m’avait rien fait. Ça valait toujours mieux que sur ce salopard qui méritait de pourrir à Helheim. Même si, connaissant la légendaire justice divine des Neuf Mondes, il allait probablement finir en Valhalla lorsque je le tuerais.
Je ne prêtai qu’une oreille distraite à Kaiser, qui continuait à m’expliquer comment elle en avant été informée. Ce n’était pas ma tasse de thé actuellement. Le choc était encore trop fort pour que je me préoccupe des détails techniques.
Ekrest.
Mort.
Non. Ce n’était pas possible.
Une boule se forma dans ma gorge, m’empêchant de respirer. Je serrai les dents, gardai un regard fixe et un air faussement attentif, alors que ma commandante me disait qu’il valait mieux laisser couler pour le moment, aussi dur que ça paraisse. Ce qui était hors de question. J’allais le tuer. Pas tout de suite, certes, même si j’aurais pu le faire dans l’instant s’il avait été en face de moi. Mais bientôt.
C’était ça ou fondre en larmes.
Et un assassin ne pleurait pas.

Kaiser me congédia finalement en me conseillant d’aller interroger le prisonnier. Je pris l’invitation pour ce qu’elle était – un ordre dissimulé sous une politesse factice – et descendis jusqu’au niveau –2, où étaient localisées les prisons. Mes phalanges me démangeaient déjà. Si je m’étais écoutée, j’aurais étranglé tous ceux que je croisais. Qu’ils remercient Loki, je me maîtrisais.
En passant devant les nombreuses salles d’interrogatoire de la section où résidaient les prisonniers avec peu ou pas de pouvoirs magiques, j’entendis quelques cris de douleur. Ne pus m’empêcher de sourire. C’était ça. Noyer la douleur dans le sang. Faire souffrir, pour oublier qu’on souffrait soi-même. Pour oublier ce vide béant qui avait déjà commencé à me ronger de l’intérieur.
Je croisai Levi, en faction dans le couloir. Lui fis signe de me rejoindre. La main posée par habitude sur la crosse de son fusil, il s’exécuta en essayant de paraître le moins désagréable possible. Ce qui n’était pas gagné d’avance, puisqu’il paraissait renfrogné même lorsqu’il était de bonne humeur.
— Où est mon nouveau ?
Le blond m’indiqua d’un signe du menton l’une des cellules.
— Tu peux me l’amener en salle trois ?
Il hocha la tête, toujours mutique. À croire qu’on lui avait arraché la langue durant mon absence, puisque d’habitude, il ne se privait pas de commentaires stupides. Et irritants. Dommage. J’aurais aimé lui hurler dessus, peu importe la raison. Haussant intérieurement les épaules, je me dirigeai vers la pièce dont j’avais parlé. Séraphin, encadré par trois gardes, m’y rejoignit quelques minutes plus tard, s’assit sur une chaise comme s’il avait pesé trois tonnes. Ah. Je n’étais pas la seule à être de mauvais poil.
— Mains sur la table, lui enjoignis-je d’une voix sèche.
Il obéit, maussade. Je bloquai ses poignets par des bracelets magnétiques, et immobilisai son torse par une entrave magique. Levi revérifia d’un regard les vis qui maintenaient la table métallique au sol, fit de même pour la chaise, puis nous tourna le dos pour sortir. Mais il s’arrêta sur le pas de la porte pour faire apparaître un petit scalpel au fil aiguisé et me le lancer.
Décidément, il connaît trop bien mes habitudes, songeai-je en m’asseyant en face du prisonnier.
— Nom, prénom et Maison.
— Séraphin Cobb, maison de Týr. À quoi ça sert que tu me poses ce genre de questions si tu connais déjà les réponses ?
Je le regardai un moment dans les yeux, puis le giflai violemment. Il cilla à peine, mais le sang afflua à ses oreilles. Honte ? Colère ? Quelle importance ?
— D’autres questions ? rétorquai-je.
Il resta coi, se contenant de faire quelques grimaces pour détendre sa mâchoire. Sage décision. Je fis apparaître un bloc-notes ainsi qu’un stylo, et griffonnai son nom en tête de page.
— Âge ?
— Cinquante-sept ans.
Et l’apparence d’un jeune adulte à peine sorti de l’adolescence, pensai-je. La magie permettait décidément bien des choses…
Mes questions se succédèrent, d’autant plus vite qu’il était plutôt coopératif. Enfin, au début. Mais, à mesure que mes questions commencèrent à porter sur des sujets plus personnels – phobies, amis proches – ou relatifs à sa Maison – supérieurs hiérarchiques, relations diplomatiques et internationales – il en vint à se braquer. Ce furent d’abord des réponses évasives, même si, en insistant, j’eus ce que je voulais. Jusqu’à recevoir mon premier silence. Je le regardai un moment en biais. Il se tendit, prêt à se prendre une nouvelle gifle.
Négligemment, j’attrapai le scalpel, et le fis tourner entre mes doigts, affectant un détachement que j’étais loin de ressentir. Je ne rêvais que d’une chose : le planter dans sa gorge. Lui, obnubilé par le mouvement de la lame, en oublia de faire attention à ce que je faisais avec. Il ne vit pas arriver la première strie sanglante sur son avant-bras. Je lâchai un ricanement méprisant.
— Qu’on soit clairs, lui jetai-je en me penchant vers lui, menaçante. Je déteste ne pas avoir mes réponses.
Il cligna des paupières, s’adossa à la chaise, et garda le silence. Voyant qu’il n’allait pas parler immédiatement, je soupirai. Fausse déception.
— Tu aimes le dessin ?
Toujours pas de réponse.
— Je prends ça pour un oui…
Mon couteau revint fouiller dans sa chair, mais cette fois-ci, les blessures étaient plus profondes. Je pris mon temps pour graver un serpent écarlate dans sa peau. Lentement. Souris. Une goutte, un peu plus grosse que les autres, perla, glissa le long de son bras. Elle fut suivie par un flot continu, qui vint éclabousser le sol bétonné.
— Tu réalises le travail que tu donnes à ceux qui vont venir nettoyer ici ? lâchai-je, faussement réprobatrice.
D’un seul geste fluide, j’enfonçai la lame dans le creux de son coude. M’appuyai même négligemment dessus. Le fixant toujours droit dans les yeux, alors que la souffrance commençait à déformer ses traits lisses, qu’il s’abandonnait aux signaux de douleur de son corps. J’avais volontairement choisi un point sensible, mais pas mortel. Et, si j’appuyais encore un peu, je sectionnais le nerf. Il perdrait tout son avant-bras.
Il allait craquer. Je le devinais. Il n’aimait pas souffrir. N’y était pas prêt. N’avait jamais imaginé pouvoir se faire avoir un jour. Dans sa prétention, il s’était cru meilleur que tous ceux de ma famille. Maintenant qu’il était dans la gueule du loup, il ne savait pas comment faire. Ne savait pas gérer. Et je comptais bien en profiter.
— Essia Winston, siffla-t-il.
Il luttait visiblement pour ne pas montrer qu’il avait mal, et qu’il aurait voulu parler rien que pour abréger ses souffrances. Derrière sa façade insensible, il me suppliait d’abréger ses tourments au plus vite. Ce que je ne comptais pas faire.
Je pris mon temps. Calligraphiai avec attention le nom de son contact chez les Heimdall, responsable de signaler sa disparition. Et en runique, s’il vous plaît !
Lorsque je récupérai enfin ma lame, arrachant malencontreusement quelques poils et autres morceaux au passage, il se détendit très légèrement.
— Ne crois pas t’en tirer à si bon compte, le prévins-je avec un ricanement sarcastique.

Séraphin réintégra sa cellule les bras couverts de fines stries sombres qui imitaient vaguement un tatouage complexe. J’avais eu envie de lui dessiner une fleur, mais je m’étais retenue. Au bout du compte, malgré quelques désagréments, l’interrogatoire s’était avéré plutôt concluant ; j’avais obtenu des informations complémentaires qui allaient me permettre de remettre à jour la fiche du fils de Týr. Et quelques autres.
— Ça va ?
Levi s’était approché de moi, l’air presque… soucieux. Je lui jetai un regard en biais, sceptique.
— Depuis quand…?
— Oh, c’est bon, la ferme…
Le voir râler me rassura quelque peu. Il n’avait peut-être pas totalement perdu la boule. Peut-être. Je le vis cacher ses mains dans son dos, probablement pour se tortiller les doigts. Une mauvaise manie qu’il avait. Comme moi, qui me rongeais les ongles quand je n’avais rien à faire. Ce qui était actuellement le cas.
— Tu as un créneau de libre ? osa-t-il enfin.
— Pour quoi faire ?
— Je voulais m’entraîner.
Je faillis l’envoyer balader sans même réfléchir, puisque le plus sollicité pour des cours de combat individuel était Ekrest. Mais le souvenir de ma conversation avec Kaiser était encore trop vivace dans ma mémoire. Et, comme je pus le constater, malgré le sang qui avait coulé à flots durant ces deux dernières heures, toujours douloureux. Un véritable étau d’acier qui me comprimait les entrailles.
Ekrest.
Mort.
Il n’était plus le premier de la Confrérie. C’était moi, maintenant.
Je serrai les dents. Et acceptai. Comme je devrais toujours le faire, à partir de maintenant.
— Dans vingt minutes.
Levi me lança un sourire entendu, exécuta une parodie de salut militaire, et s’en alla à grands pas vers l’arène. Alors qu’il s’éloignait, une voix dans mon dos me fit tourner la tête.
— Est-ce que je pourrais au moins savoir comment t’appeler ? maugréa Séraphin derrière ses barreaux.
J’étouffai un sourire dur.
— Lilith. Mais tu ne t’en souviendras pas quant cela te sera nécessaire.
Il fronça les sourcils. Voulut me poser une question. Trop tard, j’avais déjà tourné les talons.

| † | † |
Bon, ce chapitre était déjà plus intense !
Je l'ai trouvé très bien équilibré, au niveau de l'action, des personnages, des dialogues, des informations apportées sur l'univers... Je me tarde de mieux découvrir cette Confrérie, ces Maisons, ces filles et fils de Dieux... :D
Le seul petit point négatif que je relèverais est qu'on a aucune description de la Confrérie quand Lilith y débarque avec Séraphin. Un peu compliqué d'imaginer les lieux, l'ambiance...

Autrement, j'ai trouvé l'action bien sympa, quoi qu'un peu légère de temps en temps (les remarques ironiques de Lilith ne me dérangent pas, au contraire, mais peut-être que certaines n'étaient pas très bien placées :) ).

A plus ;)
Dernière modification par louji le mer. 17 janv., 2018 9:28 am, modifié 1 fois.
Anya-julie2003

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par Anya-julie2003 »

Je viens de commencer ton histoire et je la trouve génial ! La couverture est sublime et ton style d’ecriture est très entraînant. :D
Roomsinside852456

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par Roomsinside852456 »

En gros, j'ai le même ressenti que louji. Les scènes de combat étaient très prenantes -j'ai l'habitude avec toi ;)- et le tout toujours aussi bien mené. On sent le ficelage de l'histoire nous porter vers peut-être quelque chose de surprenant. Lilith...j'attends de lire plus pour donner mon avis plus en détail.
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par vampiredelivres »

#louji
louji a écrit :
vampiredelivres a écrit :
CHAPITRE 2


Le lendemain, je me réveillai à cinq heures tapantes, d’excellente humeur. :arrow: Non. C'est de l'antithèse ça :lol: Ah, mais ce n'est pas parce que toi tu n'aimes pas ça que c'est le cas de Lily :lol: J’avais pris toute l’après-midi qui avait suivi ma conversation avec Sylvia pour préparer mon plan et dormir. Rattraper les heures de sommeil que je perdais trop souvent en filatures et surveillances, aussi. De fait, je fus prête en un éclair. Motivée par l’envie de rentrer chez moi, j’avalai à la hâte le croissant que j’avais acheté la veille pour pallier un éventuel petit creux matinal, et sortis de l’hôtel en signalant mon départ définitif. Personne ne broncha, ni ne protesta. Pas comme la veille, avec Selvigia. Après tout, ma chambre ayant été prépayée jusqu’au lendemain, ils n’allaient pas se plaindre, bien au contraire.
Vingt minutes plus tard, j’étais plantée devant le domicile de ma cible. Je m’appuyai contre un muret, sortis mon téléphone pour relire une dernière fois les informations principales une dernière fois :arrow: petite répétition ^^ Merci !. Séraphin Cobb, français :arrow: Comme tu fais référence à sa nationalité, je crois que ça prend un F majuscule ^^ Effectivement, merci ! de nationalité. Il vivait à Paris depuis quinze ans, mais il avait suivi la formation militaire avancée des enfants de Týr avant. Les entraînements complets comme celui stipulé prenant en général une quinzaine d’années, il devait en avoir plus de quarante au total. Je remontai jusqu’à son âge. Cinquante-sept, effectivement.

En entrant dans le parc, il accéléra le pas. Je dus calquer mon allure sur la sienne pour le garder en vue. Nous marchâmes ainsi quelques minutes, lui perdu dans ses pensées, moi focalisée sur lui. De moins en moins tendue à mesure que je sentais le bon moment approcher, assez paradoxalement. Il ne s’arrêta qu’une fois à son endroit habituel, sur le banc, en face du lac étale :arrow: je connaissais pas l'adjectif, j'ai cherché... Je me coucherai moins bête :lol: ;) , qui reflétait les contours du Pavillon d’Armenonville. Sans hésiter, je vins m’asseoir à côté de lui, et laissai mon regard dériver sur l’eau.

Séraphin, semblant deviner ma phobie, replongea presque immédiatement. Je m’agrippai plus fermement à son T-Shirt et, frénétiquement, cherchai mon portable dans ma poche. Lorsque mes doigts se refermèrent dessus, je faillis couiner de joie. Seule l’idée de perdre de l’oxygène m’en empêcha. Faisant – difficilement – abstraction des ruades furieuses du brun qui essayait de me déloger de son dos, je posai mon doigt sur l’écran pour le déverrouiller. :arrow: elle peut utiliser son portable sous l'eau ? :lol: Fortiche ! Yep, explications plus tard, mais effectivement, elle peut ^-^ Ouvris une application précise. À bout de souffle, tapai le code envoyé par Sylvia. Une petite lumière de confirmation verte s’alluma. Je poussai un gros soupir de soulagement, expulsant au passage tout l’air de mes poumons.

Assez souplement si l’on prenait en compte mon état, je me dégageai de l’emprise de Séraphin, et virevoltai pour me retrouver face à lui. Il y eut quelques cris, des ordres jetés, des bruits de pas précipités, des cliquetis de crans de sécurité ôtés, et des soldats se déployèrent à mes côtés. Je laissai ma magie affluer au bout de mes doigts sous la forme d’un concentré d’énergie turquoise, vibrante, menaçante. Tout juste si elle ne crépitait pas, mais on laissait ça aux enfants de Thor. :arrow: On sent le mépris :lol: Tu as tout compris :lol:

Dans le couloir du cinquième étage, je posai mes doigts sur le détecteur d’empreintes digitales :arrow: Ils font de la magie, créent des portails de téléportation, réparent des côtes en 2-2, mais ils ont quand même un détecteur d'empreintes pour ouvrir les portes ? :D Comme quoi… :mrgreen: près de ma porte. Le voyant vira sans bruit au vert, et je me faufilai dans mon sanctuaire. Un simple coup d’œil circulaire me permit de vérifier que, même après un mois d’absence, rien n’avait changé. À part peut-être les draps de mon lit. De bleu azur à mon départ, ils étaient devenus verts forêt. Ce qui, en soi, ne me dérangeait pas vraiment. Tant qu’on ne me mettait pas du rose bonbon…
Je me glissai dans la petite salle de bains :arrow: le "s" est nécessaire ? J'ai vérifié (trois fois, je crois, même XD) et oui, on dit salle de "bains". Mais à chaque fois que j'écris ce mot, j'ai un gros doute… C'est frustrant ! :D attenante, me déshabillai rapidement, croisant au passage mon reflet dans le miroir sans m’y attarder.

| † | † |
Merci pour tes remarques ! Les répétitions (toujours en début de chapitre, tiens !), c'est entre deux corrections, quand je décide de déplacer le groupe de mots, mais que je le réécris d'un côté sans le supprimer de l'autre… :lol:
Et, effectivement, ça manque de descriptions…
C'est noté !
À plus !

#Anya
Hey ! Contente que ça te plaise, j'espère que ça continuera à être ainsi ! :)

#Roomsinside
Coucou toi !
Merci d'être passée !
Ouiii, les scènes de combat, c'est ce que j'aime probablement le plus écrire – avec deux ou trois autres passages – même si celle-ci en particulier m'a quand même donné du fil à retordre…
J'espère que ce sera quelque chose de surprenant, j'essaie de ne pas prendre la tournure classique des récentes dystopies et des histoires de fantasy classiques… on verra bien. :mrgreen:
Lilith est très particulière, comme personnage… si tu ne l'aimes pas par la suite, il n'y a pas de souci, elle peut vraiment être insupportable ^-^
À bientôt ! :)
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par louji »

@vampiredelivres

- C'est parce qu'elle est pas humaine qu'elle aime se lever à 5h 8-)
- QUOI. ON DIT "SALLE DE BAINS" ?
Bon sang, j'en apprends des choses ici :lol:
Hors de question, salle de bains..... Quel vocabulaire

Oui, je me doute que c'est un petit souci de relecture, car, autrement, très rarement de fautes en vue dans tes textes :D
Voilà, bon courage pour la suite ;)

A plus ^^
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 3


Durant les vingt minutes que j’avais donnés à Levi pour se préparer, je m’échauffai de mon côté, dans les jardins du Manoir, à l’abri des regards indiscrets. Après mon combat matinal avec Séraphin, je me sentais plutôt en forme, mais je pris mon temps pour vérifier que mes muscles ne me faisaient plus du tout souffrir et que mon corps se pliait à la moindre de mes volontés. Ce n’était qu’un entraînement, certes, mais il était hors de question que je paraisse en difficulté, surtout face à Levi.
Ainsi, une fois convenablement étirée, je longeai au pas de course les immenses murs de granit gris, jusqu’à parvenir dans l’espace aux trois quarts fermés délimité par les branches en U du Manoir. Là, le sol rocailleux, couvert de petites fougères habituées aux températures glaciales des lieux, laissait place à une grande arène sablonneuse bordée de gradins de pierre, illuminée par une trentaine de spots muraux surpuissants, au centre de laquelle mon adversaire finissait de s’échauffer. Autour de lui s’était formé un grand attroupement, notamment composé d’une dizaine de mes demi-sœurs en totale extase devant son torse musclé et la tablette de chocolat qui lui servait d'abdominaux. Je roulai des yeux, dépassée par ce comportement d'adolescentes en manque. Nous étions tous métamorphes, et chacun pouvait choisir l’apparence physique qu’il souhaitait. Là où j’avais défini la mienne en fonction de mon métier, Levi ne s’était basé que sur sa vanité.
Pour briser la transe dans laquelle il semblait avoir plongé les filles, j’élevai la voix par-dessus les conversations enthousiastes :
— Prêt ?
Il me considéra avec un regard narquois, provocateur.
— J'imagine que ça veut dire oui, soupirai-je.
Je fis apparaître mon armure de cuir à même mes vêtements moulants, resserrai quelques lanières à la hâte, levai les yeux. Levi retroussa les lèvres en une grimace de défi, saisit le cimeterre qu’il avait planté à ses côtés dans le sable. En moins de cinq secondes, les groupies avaient détalé, et la place était libre. Je m’approchai de lui, jaugeant les gradins, essayant par habitude d'évaluer le public. Mes demi-sœurs allaient soutenir Levi, c'était évident, mais les regards de mes demi-frères déjà assis étaient plutôt braqués sur moi. Pas que ça change grand-chose à mon inéluctable victoire.
Mon arme favorite se matérialisa entre mes mains dans un scintillement turquoise : une longue épée bâtarde, enchantée par des dizaines de sorts de protection conçus par mes soins. Elle avait été forgée par les nains quelques années après ma naissance, dans un acier mythique qui ne se trouvait que sur Nidavellir. Ce même métal avait été utilisé pour le marteau enchanté de Thor, Mjöllnir, et la majorité des lames, courbes ou droites, fines ou larges, dont se servaient toutes les Maisons. Paradoxalement, les nains avaient beau s’affirmer pro-Æsir quand on leur posait la question, dès qu’on soulevait l’intérêt économique, ils étaient prêts à vendre à n’importe quel camp, que ce soient les Æsir, les Vanir ou la Confrérie. Heureusement, d’ailleurs, sinon nous n’aurions jamais pu lutter à armes égales avec les autres Maisons, et nous nous serions faits annihiler comme les parias que nous étions.
Levi agrippa fermement son cimeterre, se mit en garde, et je chassai mes réflexions philosophiques sur les nains pour me concentrer à nouveau sur le présent. Mon regard rivé dans celui du blond, je guettai l'infime mouvement qui m'indiquerait ses intentions. Il bondit, sa lame siffla. Déjà, je n'étais plus là. Je passai sur sa droite, me faufilai sous son bras tendu. Dans le même temps, je surveillais sa main dominante. Les souvenirs cuisants de mes premiers affrontements avec lui avaient beau dater de quelques années, je n’oubliais pas qu’il aimait jouer avec mes nerfs par son ambidextrie. Et cette fois ne fit pas exception à la règle. Une fraction de secondes seulement après le début de l'affrontement, sa paume gauche se refermait autour de la garde, et la lame changea de direction.
Si, malgré toutes mes prévisions, le mouvement me prit par surprise, je ne lui laissai pas le temps de profiter de cet infime avantage. Régissant à la vitesse de l'éclair, je me glissai le long du tranchant effilé, revins à une distance de sécurité. Bref repos, respiration, feinte. Il recula, fit un moulinet du poignet que j'ignorai. C'était un geste d'intimidation plus qu'une vraie attaque. Ou bien une tentative de distraction. L'un comme l'autre ne fonctionnèrent pas. En revanche, une seconde plus tard, sa lame faisait une volte-face éblouissante, parfaitement maîtrisée. Je contrai, lui assénai un coup de pied dans le genou. Il tangua. Je fis un pas sur le côté, maintenant toujours nos lames croisées, lui portai un coup de coude dans les côtes, appuyai sur son bras. Nos épées s'entrechoquèrent, crissant désagréablement l'une contre l'autre. Sous la pression, il finit par lâcher prise. Son cimeterre vola hors de sa portée.
Je pivotai brusquement. Une gerbe de sable jaillit sous mes semelles alors que je me glissais derrière lui. Il se tordit le cou, cherchant à garder le contact. Un sourire fleurit sur mes lèvres. Du plat de la lame, je le frappai à la hanche, le fauchai d’un coup de talon. Il s'effondra, et la pointe de ma lame se logea près de sa gorge.
— Pas mal… admis-je avec un sourire moqueur.
Il m'avait donné plus de fil à retordre que prévu. Ce que, malgré mon aversion pour lui, je respectais. Je relevai mon arme, lui tendis une main pour l'aider à se relever. Dédaignant l'épée qui lui avait échappé, il m'attrapa le poignet et me propulsa vers l'avant, me gratifiant au passage d'un violent coup de talon dans mon poignet, ce qui me fit lâcher ma lame à mon tour.
Je rentrai les épaules pour amortir ma chute et rouler, mais cela ne m'évita pas de mordre la poussière. Il est à terre ? Tu l'achèves. Pas de pitié. Les souvenirs d'Ekrest flashèrent dans mon esprit, bien vite remplacés par la conscience aiguë de la pression sur mon dos qui m'empêchait de me relever. Levi avait été assez rapide pour me bloquer. J'essayai de me redresser, grinçai des dents. Peine perdue, sous cette forme, je n'avais aucune chance. En revanche…
Mon corps se modifia subtilement. Mes épaules s'élargirent, mes muscles gonflèrent. Je m'appuyai sur les coudes, fis le dos rond, me relevai, comme si les soixante-dix kilos qui me maintenaient plaquée au sol un instant auparavant ne pesaient plus rien. Une contorsion, mon poing dans son visage, et la situation s'était inversée.
— C'est bon, tu as gagné ! admit-il de mauvaise grâce, incapable de se défaire de mon emprise. Mais t'as triché…
Ignorant la critique digne d'un gamin de sept ans, je le libérai, reculai, et soulevai mon t-shirt pour chasser les grains de sable qui s'étaient aventurés en dessous. Pantalon, chaussures, brassière, j’en avais partout !
— Ton coup de tout à l'heure n'était pas mauvais du tout, fis-je, pensive, en enlevant une de mes bottines. Il faut juste que tu te débrouilles pour garder l'avan…
Je ne terminai pas ma phrase, coupée par un réflexe surhumain qui me sauva la vie. Instinct en alerte au moment où je perçus le faible sifflement, je me jetai sur le côté, m'aplatis au sol. La flèche vrombit là où se trouvait ma tête encore une seconde auparavant. Mon Colt apparut dans ma main en même temps que je sautais à nouveau sur mes pieds et pivotais, regard tourné vers le sommet des gradins, cherchant celui qui avait tiré. Mais, sur les toits au-dessus grande arène, il n’y avait personne, juste le vent froid qui balayait les tuiles nues.
Je demeurai immobile, guettant le moindre signe, la moindre ombre, qui aurait pu trahir mon assaillant. Mais personne ne se manifesta. Toujours méfiante, le tête levée vers le ciel, je reculai de quelques pas, m'accroupis près du projectile qui dépassait du sable, tirai lentement dessus le sortir. Coup d'œil, froncement de nez. C’était une pointe crantée en acier noir de Nidavellir, le genre qu'on ne pouvait pas retirer sans arracher au blessé toutes ses entrailles. En prime, des grains de sable demeuraient collés sur l'embout métallique, ce qui signifiait qu'elle avait probablement été trempée dans un quelconque poison. Charmant. Je reportai mon regard sur l'empennage, grimaçai.
— Oh, bordel de merde…

— Bleu ?
— Bleu, confirmai-je, sourcils froncés, plaquant la pièce à conviction sur la table pour appuyer mes propos.
La commandante plissa les yeux, se leva, et commença à faire les cent pas dans son bureau, non sans m’avoir adressé un regard ombrageux. C'était une tentative d'assassinat revendiquée à l'intérieur de l'enceinte du Manoir. Une provocation.
Comme la Confrérie, chaque Maison avait une couleur propre. Une sorte de signe distinctif, utile quand elle voulait signaler sa présence ou ses crimes. La nôtre était le turquoise. Les enfants de Týr utilisaient le gris, ceux d'Heimdall le blanc, ceux d'Odin le doré, et ainsi de suite pour toutes les divinités du panthéon nordique.
Le bleu azur, électrique, comme celui de la flèche, correspondait évidemment aux Thor, descendants du dieu nordique de la guerre et de l’orage.
Kaiser s'arrêta face à la fenêtre, se retourna vers nous. Elle avait retrouvé son impassibilité habituelle, aussi professionnelle que rassurante, même si un voile de contrariété obscurcissait son regard.
— Très bien, décida-t-elle. Je vais mettre Adam sur le coup. Inutile de répandre des rumeurs.
En d'autres termes, inutile de faire paniquer tout le monde. Je hochai la tête, tendue. Si un Thor avait réussi à s'introduire sur notre propriété, c'était une véritable catastrophe. Sans même parler des dommages matériels et informatiques qu'il pouvait causer, la seule idée que le Manoir ne soit plus un refuge et un centre de commandement sécurisé aurait un effet dévastateur sur ma fratrie ; la majorité d'entre eux, moi incluse, considéraient ce lieu comme leur bercail.
— Une idée sur l’identité du tireur ? demanda notre cheffe.
Levi prit la parole :
— Aucune. Il était invisible, la flèche a jailli de nulle part.
Un instant de silence méditatif succéda à cette réponse. Kaiser avait repris le contrôle sur ses expressions, son masque était impénétrable. Mais, même si elle ne le montrait pas, elle était inquiète, tout comme Levi et moi.
— D'accord. Envoyez-moi les autres.
Je hochai la tête, tournai les talons. Dehors, je fis un signe de tête à tous les témoins de la scène qui patientaient, et m'éloignai d'un pas rapide, à la fois pour ne pas gêner le passage dans les étroits corridors, et pour que les autres ne voient pas le pli soucieux qui venait barrer mon front.
— Ça va ?
La petite voix de Levi, à ma gauche, me fit tourner la tête. Je cillai, relevai, ironique :
— Ça te préoccupe vraiment ?
— Pure politesse, me détrompa-t-il immédiatement.
Je gardai le silence un moment.
— La flèche… finis-je par marmonner, réfléchissant à haute voix. Manquer de se faire tuer chez soi… en plein jour, au vu et au su de tous… Rien que le fait qu'il ait pu passer le Labyrinthe m'étonne, sans même parler du fait qu’il ait été invisible.
Il fronça les sourcils. J'eus l'impression de voir les rouages s'enclencher dans son cerveau, alors qu'il traitait les informations.
— Tu sous-entends qu'il aurait un complice ici ?
— Comment aurait-il fait, sinon ?
Il demeura muet. Normalement, il se serait moqué de moi et m’aurait que j'étais folle d'envisager cette éventualité. Mais il ne le fit pas, et cela m'inquiéta encore plus. Je secouai lentement la tête, frustrée par l'idée qu'un potentiel tueur invisible puisse se trouver à deux mètres de moi sans que je ne le sache, mais un sourire caustique éclaira mes lèvres quand je réalisai que, pour une fois, je ressentais exactement la même chose que mes cibles.
— Tu as changé depuis que je suis partie, dis-je pour changer de sujet et passer à autre chose.
C'était plus une affirmation qu'une question.
— Je me sens différent, admit-il, tête basse, en m’adressant un regard en biais.
Je me figeai au milieu d'un pas, en équilibre précaire sur une jambe, priant Loki pour avoir mal interprété la tonalité de sa voix. Trop de sous-entendus évidents dans cette phrase, trop d'insistance inélégante sur ses émotions.
Voyant mon trouble, il pouffa, me bouscula avec une fausse familiarité qui me hérissa le poil. Je me redressai, tendue. Je craignais la suite. Je ne voulais pas entendre ce que je craignais.
— Je crois que j’aime Selvigia, lâcha-t-il tout à trac.
— QUOI ?
Abasourdie un moment, je pris sur moi pour ne pas paraître trop surprise, ravalai les insultes que j’avais déjà préparées pour le dissuader de m’approcher d’un peu trop près.
— Tu sais que c’est une très mauvaise idée de me dévoiler ça ? narguai-je enfin.
— Je sais.
Son ton sérieux me déstabilisa profondément. Il avait toujours été un abruti arrogant et pénible à supporter durant les missions, un supérieur hiérarchique irresponsable et incompétent, qui soutenait toujours un peu trop Adam dans les Jeux de pouvoir du Manoir. Et les quelques rares missions que nous avions effectuées ensemble avaient toutes failli tourner à la catastrophe, notamment Barcelone.
— Et donc ? relevai-je sans comprendre où il voulait en venir.
Il me jeta une œillade entendue, et je me braquai brusquement en réalisant ce que signifiait l’insistance de son regard.
— Non. Je ne suis pas un pigeon voyageur.
Je grognai, boudeuse. C’était hors de question. Et de toute façon, même si j’acceptais, je perdrais mon temps dans quelque chose qui ne marcherait jamais. Les sentiments de Selvie à l’égard de Levi étaient loin d’être amicaux, sans même chercher plus loin.
— S’il te plaît !
Je cillai. Il me suppliait. Levi me suppliait. Levi, ou la personne qui ne pouvait presque pas me voir en peinture depuis que j’avais intégré l’Élite, était venu m’implorer de l’aider. Intéressant. D’une part, cela signifiait qu’il le voulait vraiment, et d’autre part, ça prouvait qu’il n’avait pas d’autre choix que de s’adresser à moi, sinon il aurait gardé le silence. Il avait beau être un imbécile, parfois, il ne l’était pas lorsqu’il s’agissait de ses intérêts. Et si je me laissais désirer… non. Il chercherait des moyens de pression. Il ne me lâcherait pas de sitôt. À tous les égards, je pouvais en profiter tout de suite plutôt que de le laisser fouiner dans ma vie. Je souris, sadique.
— Et en échange ?
Il avait dû prévoir le coup, puisqu’il ne parut pas particulièrement surpris par la question. Mais je l’arrêtai avant qu’il ne me propose quelque chose.
— Je sais, décidai-je. Je veux que tu me défies à la cérémonie de promotion.
Il hésita, se mordit les lèvres. S’il acceptait, il remettait sa vie entre mes mains. S’il refusait, ses minces chances de croiser Selvigia – qui le fuyait comme la peste – partaient en fumée. Grand dilemme.
— À la condition que tu ne me tues pas, se résigna-t-il finalement.
— Je devrais pouvoir survivre à ça…
Il fronça le nez, sceptique, mais me tendit la main :
— Marché conclu. Mais par pitié, ne m’humilie pas trop.
— Tu le fais déjà très bien tout seul.
Je lui adressai un dernier sourire étincelant, et m’éloignai à grands pas. Levi était le sixième en termes de puissance magique, en passe de devenir cinquième puisque tout le classement se décalerait bientôt d’un cran. L’affronter officiellement me permettrait de légitimer une fois pour toutes ma place de première agente de la Confrérie, de rappeler à tout le monde qui succédait à Ekrest. Et de décrédibiliser un abruti dans les règles de l’art.

L’immense bibliothèque qui s’étendait sur trois étages fut mon sanctuaire pour le reste de la journée. Dans le calme intemporel du rez-de-chaussée, où s’entassaient les antiques textes de magie théorique, assise face à une large cheminée dont le feu était perpétuellement entretenu, je me plongeai dans la lecture d’un traité de magie runique. Apaisée par les crépitements des flammes et l’odeur de poussière qui régnait sur ces lieux, je ne levai le nez de l’ouvrage qu’à vingt-et-une heures passées, le crâne bourdonnant de formules rituelles et d’incantations en elfique, mais satisfaite de ma progression.
Les muscles ankylosés par les heures passées assise, je m’étirai longuement, puis refermai le livre avec toute la délicatesse dont j’étais capable de faire preuve, en prenant soin de ne corner aucune page, un sourire nostalgique aux lèvres. C’était sur les conseils d’Ekrest que j’avais entamé ma lecture de ce monstre, pour compenser mes lacunes théoriques sur les autres Élites. Sinon, comble de mes frères et sœurs, je n’aurais même pas envisagé d’ouvrir ce grimoire et j’aurais fui simplement à la vue de son épaisse reliure, qui se craquelait sous le poids des deux mille modestes pages écrites dans la typographie runique alambiquée d’un moine copiste du treizième siècle.
Je jetai un dernier regard à la couverture de cuir grise et ternie, vieillie par les ans, puis ramenai précautionneusement l’ouvrage sur son pupitre et replaçai la cloche de verre par dessus. Un bâillement m’échappa, plus par habitude que par réelle fatigue. Je jetai un dernier coup d’œil à ma montre, me dirigeai vers les étages, fronçant les sourcils au fur et à mesure que j’entendais des basses profondes gagner en puissance.
Au troisième, l’ambiance était plus que festive. Pour une raison qui m’échappait, on avait sorti des dizaines de bouteilles d’alcool, et la musique assourdissante aurait pu faire trembler l’ensemble du bâtiment si l’étage n’était pas aussi bien insonorisé. Je pouffai en croisant des silhouettes vacillantes, le visage rougi, le regard trouble et un sourire niais pendu aux lèvres, qui sortaient prendre l’air aux fenêtres. Remontant à contre-courant, je parvins à me faufiler jusqu’à la salle commune, où c’était le déchaînement absolu : dancefloor multicolore, flashs stroboscopiques, éclats de rires et phrases hurlées par-dessus la chanson du moment. Les tables habituellement placées au centre avaient été disposées contre les murs, surchargées de gobelets contenant des mixtures aux odeurs à la fois étranges et attrayantes. Et, évidemment, une petite centaine de personnes au moins, pressées les unes contre les autres, en train de s’amuser comme si c’était la dernière soirée avant le Ragnarök.
— LILY ! beugla quelqu’un. Bouge pas, j’arrive !
Celui qui m’avait interpellée me fit un bref signe de tête, se détourna un bref instant pour attraper deux verres au bar, et, à coups d’épaule, se fraya un passage jusqu’à moi. Ce qui ne fût pas particulièrement compliqué, avec sa carrure d’ours. Je souris. Sam. Une vieille connaissance, une ancienne romance. J’avais craqué sur lui à quinze ans, nous étions sortis ensemble. Quelques semaines tout au plus, brefs instants arrachés à ses obligations et à mes missions. Mais malgré notre rupture officielle, nous continuions à bosser ensemble de temps à autre.
Il me tendit un shot avec un clin d’œil. Je le pris, levai un sourcil.
— Hey. Qu’est-ce qui se passe ?
— On est mercredi.
Mercredi. Jour de fête presque règlementaire, au Manoir. Le programme changeait d’une semaine à l’autre, alternant assez aléatoirement entre home cinema, jeux d’équipe, entraînements, ou juste soirées, qu’elles soient dansantes ou seulement arrosées. C’était une frénésie hebdomadaire qui permettait à tous les enfants de Loki de se retrouver et de lâcher prise, mais récemment, j’avais si souvent été éloignée des miens que j’en avais oublié la vie communautaire que nous menions à l’intérieur de la grande bâtisse.
— À ta promotion, fit Sam en trinquant avec moi. Et à la capture du Týr.
Je levai mon verre en écho, l’avalai d’une traite, tout comme lui. La combinaison – je ne voulais pas savoir ce qu’on avait mis dedans – me brûla la gorge, mais je souris, et jetai un grand regard circulaire autour de moi pour voir s’il y avait des personnes que je connaissais. Les flashs de lumières colorées, brefs mais réguliers, ne me facilitaient pas vraiment la tâche, mais je parvins à localiser non loin un visage familier, particulièrement séduisant. Quand son regard croisa le mien, il sourit, s’approcha.
— Adam, saluai-je.
— Lilith.
Clin d’œil, poignée de main fraternelle. Je haussai un sourcil, inclinant légèrement mon verre vide dans sa direction.
Jeux ?
Il secoua imperceptiblement la tête de gauche à droite, j’acquiesçai. Un instant plus tard, il s’était à nouveau perdu dans la foule, aussi furtif qu’une ombre.
— Son rang lui monte à la tête ? Je croyais qu’il m’appréciait…
Sam, qui s’était fait royalement ignorer, m’adressa un rictus narquois, mais vaguement frustré. Je haussai les épaules.
— Il est en passe d’être nommé deuxième, et il n’y a personne pour le défier. Donc ouais. Beaucoup, même.
J’aurais cru qu’avec le boucan ambiant, il ne m’aurait pas entendue. Mais après avoir échangé un regard complice, amusés, nous éclatâmes de rire d’un bel ensemble. Et, pour une fois, mon sourire mit un certain temps à s’effacer. Je ne l’aurais jamais admis à haute voix, mais ces instants de tranquillité et de détente me manquaient vraiment, dans ma vie solitaire d’Élite.
Une ombre de ricanement provocateur aux lèvres, Sam m’attrapa par la main, et m’entraîna vers le centre de la pièce, où les autres se déhanchaient au rythme des basses. La bulle dans laquelle nous nous étions isolés durant une poignée de secondes se craquela, s’effrita. Les sons et les couleurs m’assaillirent à nouveau, mêlés aux odeurs des corps échauffés, en sueur.
Traction. Réflexe, pas sur le côté. Retour à la case départ, mains liées. J’avais peu d’espace. Mais je dansais.
Ma soirée s’enchaîna au rythme des verres. Je bus, je dansai, je flirtai avec Sam, même si nous avions dépassé ce stade depuis longtemps. J’oubliai que je n’étais plus une adolescente, que je n’en avais jamais été une, au fond, trop prise par tout le reste. J’abandonnai tous les problèmes derrière moi. Ne serait-ce que pour une nuit, je rangeai les cadavres dans les placards, j’occultai le passé, la pression, le boulot, les morts. Je me laissai emporter par le tempo, les bras adroits qui me guidaient et l’alcool.
Je n’avais plus les pensées claires lorsque je rejoignis ma chambre, éméchée, tout comme mon partenaire d’une nuit. J’étais ailleurs. Pas encore au Valhalla, mais pas très loin.

Vers quatre heures du matin, Sam était endormi à côté de moi sur le matelas d’une place et demi, et je fixais le plafond. J’avais décuvé. Trop vite. Une boule trop familière bloquée ma gorge m’empêchait de respirer correctement. J’aurais dû savoir. Mais je préférais toujours oublier. Ne pas me souvenir que l’ascension était fulgurante, mais que la chute l’était encore plus.
Je venais de retomber. Comme si je m’étais droguée. Ce qui n’était pas le cas, mais la violence du retour à la réalité était identique. Malgré la présence à mes côtés, la solitude me rongeait de l’intérieur. Sam ne m’aimait pas vraiment. Je le savais. Pour lui, j’étais un trophée. Une amie, peut-être, mais surtout un trophée. Pouvoir s’envoyer en l’air avec l’une des Élites, même si ce n’était qu’une fois de temps en temps, ce n’était pas donné à tout le monde. Moi, au fond, je l’aimais bien. Mais il n’y avait rien au bout de ce chemin sur lequel nous nous étions engagés. Et lui comme moi le savions pertinemment, raison pour laquelle, en dehors des nuits que nous passions ensemble, nos relations demeuraient strictement professionnelles.
Et même au sein de l’Élite, ce n’était pas mieux. Pour Adam, j’étais une concurrente. Un potentiel danger, un possible obstacle, qu’il en pouvait pas affronter de face, aussi manœuvrait-il toujours dans mon dos en attendant de pouvoir un jour me trancher la gorge. Et Selvigia, princesse des jeux de pouvoir, maîtresse du plus grand réseau d’espions du Manoir, avait beau être une alliée, elle n’en gardait pas moins ses propres intérêts, parfois divergents des miens. Au bout du compte, plus personne ne me connaissait ou ne m’appréciait vraiment. J’esquissai un sourire amer, alors que les paroles d’avertissement de mon mentor me revenaient, vraies, comme toujours.
Solitude. Rançon de la gloire.
Je me retournai sur le ventre et fis apparaître mon ordinateur d’un geste. En attendant qu’il s’allume, je vérifiai l’état de mon téléphone. La coque était encore légèrement humide suite à son bain forcé de ce matin, mais la couche de magie protectrice qui le rendait résistant à l’eau était intacte, et il fonctionnait parfaitement. J’en revins à mon ordinateur. Après avoir entré trois mots de passe successifs, je pus me connecter au réseau interne, lançai la remise à jour des données, et commençai à fouiner dans les fiches de la Maison de Thor.
Au cours des siècles, la Confrérie avait amassé une gigantesque base de données sur les autres Maisons. Le contraire était malheureusement vrai aussi, mais je suspectais ma famille de posséder bien plus d’informations sur les Æsir et les Vanir qu’ils en avaient sur nous. Les serveurs étaient saturés de pyramides hiérarchiques, de schémas, de liens vers des réseaux secondaires qui répertoriaient les associés humains des Maisons, et de fiches d’identité. Dont celle de ce fameux Kalyan.
Dès que je vis sa première photo de profil, je me figeai, avec l’impression qu’on venait de me déchirer de l’intérieur. Je l’avais déjà vu. C’était le type qui était à l’hôtel avec Séraphin la veille, le blondinet en costume cravate impeccable. Je serrai les poings, traversée par une bouffée de rage fulgurante, parcourus son histoire en diagonale, me focalisai sur sa carrière. Haut placé. Efficace. Dangereux. Excellent stratège, très bon combattant. Ce que je pouvais admettre sans ciller puisqu’il avait réussi à descendre mon mentor. Je me mordis les lèvres, crispée. L’atteindre paraissait impossible. Un peu comme moi, il ne sortait que rarement, pour des missions occasionnelles, avec très peu de personnes au courant de ses déplacements. Une ombre meurtrière, intouchable. Notre précédente « rencontre » avait été totalement fortuite, et les chances que je le recroise dans les prochains jours étaient minimes, voire inexistantes.
Je battis des paupières, chassai les larmes, refermai brutalement l’ordinateur, puis me blottis contre Sam en priant, sans y croire, qu’il y ait une autre personne à mes côtés à mon réveil.
Ekrest.

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Dernière modification par vampiredelivres le mar. 03 mars, 2020 8:46 pm, modifié 4 fois.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki

Message par louji »

vampiredelivres a écrit :
CHAPITRE 3


Plus que la vue de dizaines de personnes occupant déjà la salle, ce fut le bruit des pas martelant régulièrement le tapis qui me persuada dès mon arrivée que je n'allais pas pouvoir courir de sitôt. Marmottant :arrow: Mais tu les sors d'où tes verbes ? :lol: Marmonner + marmotte... C'est sympa dans ma barbe, je dus me rabattre vers les mannequins de combat alignés dans un angle. L'envie d'y aller avec les poings m'effleura un instant, mais je l'écartai rapidement. Je venais de le faire avec Séraphin. Et j'avais eu plus qu'assez de combat au corps-à-corps pour le reste de la journée.
Je pris le temps de m'étirer longuement, faisant jouer mes muscles, appréciant la sensation d'un corps qui se pliait parfaitement à ma volonté, souriant en sentant que mes côtes ne faisaient plus souffrir :arrow: ne ME faisaient... Petit oubli ^^. Souriant, aussi, en me remémorant la recommandation de l'infirmier. Que je n'allais pas écouter, comme souvent. Quand l'avais-je fait pour la dernière fois ? Probablement à Barcelone, lorsque j'avais failli mourir...
Svärt Angel, :arrow: Virgule ? x) se matérialisa entre mes mains dans un scintillement turquoise. Mon ange noir, mon arme favorite : une longue épée bâtarde, enchantée par des dizaines de sorts de protection conçus par mes soins. Elle avait été forgée par les nains quelques années après ma naissance, dans un acier mythique qui ne se trouvait que sur Svartalfheim. Ce même métal qui avait été utilisé pour le marteau enchanté de Thor, Mjöllnir, et la majorité des dagues, couteaux, haches, et autres armes dont se servaient les combattants du monde mythologique. Assez ironiquement, les nains fournissaient à la fois la Confrérie et les Maisons Ases et Vanes. Mais malheureusement, durant une guerre, leur position ne serait pas négociable : ils seraient du côté de nos ennemis. À moins qu'on ne les paie une somme plus que faramineuse. Et encore.
À ce prix, il valait mieux s'acheter des armes de destruction massive plutôt que des forgerons, certes talentueux, mais surtout grincheux...
Avec une grimace de dépit, je chassai mes réflexions philosophiques sur les nains, et me focalisai sur la forme vaguement humaine en face de moi.

La première chose que je vis en entrant dans la grande arène à ciel ouvert, vingt minutes plus tard, fut le – trop – grand attroupement sur l'aire sablonneuse. Au centre, Levi, en train de s'échauffer. Autour, une dizaine de mes demi-sœurs, en totale extase devant son torse musclé. Et la tablette de chocolat qui lui servait d'abdominaux. Absurde, puisqu'il pouvait prendre l'apparence qu'il voulait. Je roulai des yeux. Ce comportement d'adolescentes en manque me dépassait vraiment. Et ce n'était pas comme si Levi était particulièrement difficile, de ce que j'avais entendu. Chacune de ces midinettes avait sa chance. Ce qui, en soi, était peut-être pire que le simple fait qu'elles reluquent leur demi-frère. Mais j'étais mal placée pour juger.
J'élevai la voix par-dessus les conversations enthousiastes :
— Armure ?
Il me regarda avec un petit sourire moqueur, presque déçu.
— J'imagine que ça veut dire non, soupira-je :arrow: soupiraI-je.
Dommage. J'aimais bien mon armure.
Levi retroussa les lèvres dans une grimace de défi. En moins de cinq secondes, les groupies avaient détalé, et la place était libre. Je descendis les quelques marches qui séparaient les gradins de l'arène cloisonnée en essayant d'évaluer le public. Mes demi-sœurs allaient soutenir Levi, c'était évident. Mais les regards de mes demi-frères étaient plutôt braqués sur moi. Pas que ça change quelque chose à mon inéluctable victoire, de toute façon.
Je cachai un sourire caustique. Fis siffler Svärt Angel, me mis en garde. Plantai mon regard dans celui de Levi, guettant l'infime mouvement qui m'indiquerait ses intentions. Il bondit. Déjà, je n'étais plus là. Je passai sur sa droite, me faufilai sous son bras tendu. Dans le même temps, je surveillais son cimeterre. Je l'avais déjà affronté plusieurs fois, et il avait une fâcheuse tendance à aimer jouer avec mes nerfs grâce à son ambidextrie. Et cette fois ne fit pas exception à la règle. Une fraction de secondes seulement après le début de l'affrontement, sa main gauche se refermait autour de la garde. La lame changea de direction.
Si, malgré toutes mes prévisions, le mouvement me prit par surprise, je ne lui laissai pas le temps de profiter de cet infime avantage. Régissant à la vitesse de l'éclair, je me glissai le long du tranchant effilé, revins à une distance de sécurité. Bref repos. Respiration. Il recula, fit un moulinet du poignet que j'ignorai. C'était un geste d'intimidation plus qu'une vraie attaque. Ou bien une tentative de distraction. L'un comme l'autre ne fonctionnèrent pas. En revanche, une seconde plus tard, sa lame faisait une volte-face éblouissante, parfaitement maîtrisée. Je contrai, lui assénai un coup de pied dans le genou. Il tangua. Je fis un pas sur le côté, maintenant nos lames croisées. Lui portai un coup de coude dans les côtes, appuyai sur son bras. Nos épées s'entrechoquèrent, crissant désagréablement l'une contre l'autre. Sous la pression, il finit par lâcher prise. Son cimeterre vola hors de sa portée. Je pivotai brusquement.
Une gerbe de sable jaillit sous mes pieds alors que je me glissais derrière lui. Il se tordit le cou, cherchant à garder le contact. Un sourire fleurit sur mes lèvres. Du plat de la lame, je le frappai à la hanche. Le fauchai. Il s'effondra, et la pointe de Svärt Angel vint se loger près de sa gorge.
— Pas mal... admis-je avec un sourire moqueur.
Il m'avait donné plus de fil à retordre que prévu. Ce que, malgré mon aversion pour lui, je respectais. Je relevai mon arme, lui tendis une main pour l'aider à se relever. Dédaignant l'épée qui lui avait échappé, il m'attrapa le poignet et me propulsa vers l'avant, me gratifiant au passage d'un violent coup de talon dans mon poignet, ce qui me fit lâcher ma lame à mon tour.
Ça, c'était fourbe ! eus-je le temps de penser avant de mordre la poussière à mon tour. Je rentrai les épaules pour amortir ma chute et rouler, mais cela ne m'évita pas de terminer le nez dans le sable. « Il est à terre, tu l'achèves. Pas de pitié. » Les souvenirs d'Ekrest flashèrent dans mon esprit, bien vite remplacés par la conscience aiguë de la pression sur mon dos qui m'empêchait de me relever. Levi avait été assez rapide pour me bloquer, visiblement. J'essayai de me redresser ; peine perdue. Grinçai des dents. Me concentrai. Sous cette forme, je n'avais aucune chance. En revanche...
Mon corps se modifia subtilement. Mes épaules s'élargirent, mes muscles gonflèrent. Je m'appuyai sur les coudes, fis le dos rond. Me relevai, comme si les soixante-dix kilos qui me maintenaient plaquée au sol un instant auparavant ne pesaient plus rien. Une contorsion, mon poing dans son visage, et la situation s'était inversée.
— C'est bon, tu as gagné ! admit-il de mauvaise grâce, incapable de se défaire de mon emprise. Même si t'as triché...
Ignorant la critique digne d'un gamin de sept ans, je le libérai, reculai, et soulevai mon T-Shirt pour chasser les grains de sable qui s'étaient aventurés en dessous. Pantalon, chaussures... J'en avais partout !
— Ton coup de tout à l'heure n'était pas mauvais du tout, fis-je, pensive, en enlevant une de mes bottines. Faut juste que tu te débrouilles pour garder l'avan...
Je ne terminai pas ma phrase, coupée par un réflexe surhumain qui me sauva la vie. Instinct en alerte au moment où je perçus le faible sifflement, je me jetai sur le côté, m'aplatis au sol. La flèche vrombit là où se trouvait ma tête encore une seconde auparavant. Mon Colt apparut dans ma main en même temps que je sautais à nouveau sur mes pieds et pivotais, regard tourné vers le sommet des gradins, cherchant celui qui avait tiré. Mais, en haut de la grande arène, il n’y avait personne. Juste le vent froid qui hurlait dans les branches nues des arbres.
Je demeurai immobile. Guettant le moindre signe, la moindre ombre, qui aurait pu trahir mon assaillant. Mais personne ne se manifesta. Toujours méfiante, je reculai de quelques pas, m'accroupis près du projectile qui dépassait du sable. Tirai lentement dessus le sortir. Coup d'œil, grimace. Pointe crantée, en acier noir de Svartalfheim. Le genre qu'on ne pouvait pas retirer sans arracher au blessé toutes ses entrailles. En prime, des grains de sable demeuraient collés sur l'embout métallique, ce qui signifiait qu'elle avait probablement été trempée dans un quelconque poison. Charmant. Je grimaçai, reportai mon regard sur l'empennage.
— Oh, bordel de merde...

— Bleu ?
— Bleu, confirmai-je, sourcils froncés, plaquant la pièce à conviction sur la table pour appuyer mes propos.
La commandante plissa les yeux, se leva, et commença à faire les cent pas dans son bureau. Et, pour une fois, je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir. Un empennage bleu. À l'intérieur de l'enceinte du Manoir. C'était une tentative d'assassinat revendiquée. Une provocation.
Comme la Confrérie, chaque Maison avait une couleur propre. Une sorte de signe distinctif, utile quand elle voulait signaler sa présence ou ses crimes. La nôtre était le turquoise. Les enfants de Týr utilisaient le gris, ceux d'Heimdall le doré, ceux d'Odin le blanc, et ainsi de suite. Le bleu azur, électrique, comme celui de la flèche, correspondait aux Thor, descendants du dieu nordique de la guerre et de la foudre.
Si l'un d'entre eux avait réussi à s'introduire sur notre propriété, c'était une véritable catastrophe. Sans même parler des dommages matériels et informatiques qu'il pouvait causer, la seule idée que le Manoir ne soit plus un refuge et un centre de commandement sécurisé aurait un effet dévastateur sur ma fratrie. La majorité d'entre eux – moi incluse – considéraient ce lieu comme leur bercail.
Kaiser s'arrêta face à la fenêtre. Se retourna vers nous. Elle avait retrouvé son impassibilité habituelle, aussi professionnelle que rassurante, d'une certaine manière. Même si un voile de contrariété obscurcissait son regard.
— Très bien, décida-t-elle. Je vais mettre Adam sur le coup. Inutile de répandre des rumeurs.
En d'autres termes, inutile de faire paniquer tout le monde. Malgré la situation, je ne pus m'empêcher de grimacer un faible sourire. Voir notre commandante s'inquiéter était assez rare pour que ce jour soit marqué d'une pierre blanche. Et, actuellement, même si elle ne le montrait pas, elle était inquiète.
— Une idée sur le tireur ?
Levi prit la parole :
— Aucune. Il était invisible, la flèche a jailli de nulle part.
Un instant de silence méditatif succéda à cette réponse. Kaiser ayant repris le contrôle sur ses expressions, son masque était impénétrable. Je n'essayai même pas de deviner à quoi elle songeait.
— D'accord... envoyez-moi les autres.
Je hochai la tête, tournai les talons. Fis un signe de tête à tous les témoins de la scène, qui patientaient derrière la porte, et m'éloignai d'un pas rapide. À la fois pour ne pas gêner le passage, et pour que les autres ne voient pas le pli soucieux qui venait barrer mon front.
— Ça va ?
La petite voix de Levi, à ma gauche, me fit tourner la tête. Je cillai, relevai, ironique :
— Ça te préoccupe vraiment ?
— Pure politesse, me détrompa-t-il immédiatement.
Je gardai le silence un moment.
— La flèche... finis-je par marmonner, réfléchissant à haute voix. Sur le terrain, je n'aurais pas été étonnée. Mais manquer de se faire tuer chez soi... en plein jour, au vu et au su de tous... Rien que le fait qu'il ait pu passer la barrière magique et le Labyrinthe m'étonne.
Il fronça les sourcils. J'eus l'impression de voir les rouages s'enclencher dans son cerveau, alors qu'il traitait les informations.
— Tu sous-entends qu'il aurait un complice ici ?
— Comment aurait-il fait, sinon ?
Il demeura muet. Normalement, il se serait moqué de moi, me disant que j'étais folle d'envisager cette éventualité. Mais non. Ce qui m'inquiétait encore plus, d'une certaine manière. Je secouai lentement la tête, frustrée par l'idée qu'un potentiel tueur invisible puisse se trouver à deux mètres de moi sans que je ne le sache.
— Tu as changé depuis que je suis partie, dis-je pour changer de sujet et passer à autre chose.
C'était plus une affirmation qu'une question.
— C'est vrai, admit-il. Je me sens différent.
Je me figeai au milieu d'un pas, en équilibre précaire sur une jambe, statufiée. Trop de sous-entendus évidents dans cette phrase. Trop d'insistance inélégante sur le ressenti. Il pouffa, me bouscula. Je m'appuyai contre le mur pour ne pas tomber, me redressai sans rien dire. Je craignais la suite. Je ne voulais pas qu’il me dise ce que je pensais. Je ne voulais pas que ce soit moi ; je le détestais bien trop pour ne serait-ce qu’envisager cela.
— Je crois que j’aime Selvigia, lâcha-t-il tout à trac.
— QUOI ?
Abasourdie un moment, je pris sur moi pour ne pas paraître trop surprise. Ravalai les insultes, pour plutôt le narguer.
— Tu sais que c’est une très mauvaise idée de me dévoiler ça ?
— Je sais.
Son ton sérieux me déstabilisa profondément. Je ne l’avais jamais vu comme quelqu’un de sérieux. Juste comme un concurrent qui se voulait menaçant, qui ne parvenait qu’à être franchement insupportable. Et incompétent. Nous n’avions jamais formé une bonne équipe durant les quelques rares missions que nous avions effectuées ensemble, trop occupés à nous chamailler comme des gamins.
— Et donc ? relevai-je finalement.
Il me jeta un regard en biais, blasé. Il me fallut un moment pour comprendre ce qu’il attendait de moi.
— Non. Je ne suis pas un pigeon voyageur.
Je grognai, boudeuse. C’était hors de question. Et de toute façon, si j’acceptais, je perdrais mon temps dans quelque chose qui ne marcherait jamais. Je connaissais Selvie, et je connaissais ses sentiments pour Levi. Et ils étaient loin d’être amicaux, sans même chercher plus loin.
— S’il te plaît !
Je cillai. Il me suppliait. Levi me suppliait. Levi, ou la personne qui ne pouvait presque pas me voir en peinture, était venu m’implorer de l’aider. Intéressant. Il le voulait vraiment. D’une part, ça prouvait qu’il n’avait pas d’autre choix que de s’adresser à moi. Sinon il aurait gardé le silence. Il avait beau être un imbécile, parfois, il ne l’était pas lorsqu’il s’agissait de ses intérêts. Et si je me laissais désirer… non. Il chercherait des moyens de pression. Il ne me lâcherait pas de sitôt. À tous les égards, je pouvais en profiter tout de suite plutôt que de le laisser fouiner dans ma vie. Je souris, sadique.
— Et en échange ?
Il avait dû prévoir le coup, puisqu’il ne parut pas particulièrement surpris par la question. Mais sa réponse ne fut pas exactement intelligente non plus.
— Heu…
Je l’arrêtai alors qu’il allait proposer quelque chose :
— Je sais. Je veux que tu me défies à la cérémonie de promotion.
Il hésita, se mordit les lèvres. S’il acceptait, il remettait sa vie entre mes mains. S’il refusait, ses minces chances de croiser Selvie – qui le fuyait comme la peste – partaient en fumée. Grand dilemme.
— À la condition que tu ne me tues pas, se résigna-t-il finalement.
— Je devrais pouvoir survivre à ça…
Il fronça le nez, sceptique, mais me tendit la main :
— Marché conclu. Mais par pitié, ne m’humilie pas trop.
— Tu le fais déjà très bien tout seul.
Je lui adressai un dernier sourire étincelant, et m’éloignai à grands pas. Levi était le sixième en termes de puissance magique, en passe de devenir cinquième puisque tout le classement se décalerait bientôt d’un cran. L’affronter, officiellement, me permettrait de légitimer définitivement ma place de première agente de la Confrérie. Et le décrédibiliser dans les règles de l’art.

La bibliothèque fut mon sanctuaire pour le reste de la journée. Je fis à peine une pause pour aller manger, plongée dans la lecture d’un traité de magie runique. J’aurais bien aimé l’emprunter, mais le regard noir de l’archiviste avait suffi à me dissuader de le faire. Et l’âge du livre ne se prêtait pas non plus à son déplacement.
À vingt-et-une heures passées, je refermai le livre avec toute la délicatesse dont j’étais capable. Si la bibliothécaire l’entendait claquer, j’allais passer un sale quart d’heure, Élite ou pas. Un dernier regard à la couverture de cuir, grise et ternie, vieillie par les ans. Une personne normale n’aurait jamais envisagé d’ouvrir ce grimoire, principalement parce qu’il était relié, et totalisait deux mille modestes pages écrites dans la typographie runique alambiquée d’un moine copiste du treizième siècle. Un véritable plaisir à déchiffrer. J’avais entendu dire qu’ils en avaient fait une version plus récente, mais encore fallait-il que je me la procure.
Je le ramenai donc sur son pupitre en prenant soin de ne corner aucune page, et replaçai la cloche de verre par dessus. Un bâillement m’échappa, plus par habitude que par réelle fatigue. Je jetai un dernier coup d’œil à ma montre, me dirigeai vers les étages, fronçant les sourcils au fur et à mesure que j’entendais des basses profondes gagner en puissance.
Au troisième, l’ambiance était plus que festive. Pour une raison qui m’échappait, on avait sorti des dizaines de bouteilles de rhum et de vodka – dont j’ignorais d’ailleurs l’existence jusqu’à maintenant – et la musique montée à volume maximal aurait pu faire trembler l’ensemble du bâtiment si l’étage n’était pas aussi bien isolé. En un seul mot comme en une phrase, c’était la fête. Je ne pus m’empêcher de rire en voyant les visages rougis qui sortaient prendre l’air, les silhouettes vacillantes, les sourires niais et les regards troubles. Remontant à contre-courant, je me faufilai jusqu’à la salle commune, où c’était le déchaînement absolu. Dancefloor multicolore, flashs stroboscopiques, éclats de rires et discussions assourdissantes par-dessus la chanson du moment. Tables disposées contre les murs, chargées de gobelets contenant des mixtures aux odeurs à la fois étranges et attrayantes. Et, évidemment, une petite centaine de personnes au moins, pressées les unes contre les autres, en train de s’amuser comme si c’était la dernière soirée de leur vie.
— LILY ! Bouge pas, j’arrive !
Celui qui m’avait interpellée me fit un bref signe de tête, se détourna un bref instant pour attraper deux verres, et, à coups d’épaule, se fraya un passage jusqu’à moi. Ce qui ne fût pas particulièrement compliqué, avec sa carrure d’ours. Je souris. Sam. Une vieille connaissance, une ancienne romance. J’avais craqué sur lui à quinze ans, nous étions sortis ensemble. Quelques semaines tout au plus, brefs instants arrachés à ses obligations et à mes missions, dont le nombre avait augmenté de façon drastique cette année-là.
Il me tendit un shot avec un clin d’œil. Je le pris, levai un sourcil.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— On est mercredi.
Mercredi. Jour de fête presque règlementaire, au Manoir. Même si, récemment, j’avais été éloignée des miens tellement souvent que j’en oubliais la vie communautaire que nous menions à l’intérieur de la grande bâtisse. Le programme changeait d’une semaine à l’autre, alternant assez aléatoirement entre home cinema, jeux d’équipe, entraînements, ou juste soirées, qu’elles soient dansantes ou seulement arrosées. Une frénésie hebdomadaire, accordée à chaque Loki au moins deux fois par mois. C’était ça ou totalement abandonner sa santé mentale, avec la vie que nous menions.
— À ta promotion, fit Sam, trinquant avec moi.
Je levai mon verre en écho, l’avalai d’une traite, tout comme lui. La combinaison – je ne voulais pas savoir ce qu’on avait mis dedans – me brûla la gorge, mais je souris. Jetai un grand regard circulaire autour de moi pour voir s’il y avait des personnes que je connaissais. Les flashs de lumières colorées, brefs mais réguliers, ne me facilitaient pas vraiment la tâche. Cependant, je reconnus, non loin, un visage familier. Quand son regard croisa le mien, il sourit, s’approcha.
— Adam.
— Lilith.
Clin d’œil, poignée de main fraternelle. Je haussai un sourcil, inclinant légèrement mon verre vide dans sa direction.
Jeux ?
Il secoua imperceptiblement la tête de gauche à droite. J’acquiesçai. Ce serait pour une autre fois.
Un instant plus tard, il s’était à nouveau perdu dans la foule. Sam, qui s’était fait royalement ignorer, m’adressa un sourire narquois, mais vaguement frustré.
— Son rang lui monte à la tête ? Je croyais qu’il m’appréciait…
Je haussai les épaules.
— Il est en passe d’être nommé deuxième, et il n’y a personne pour le défier. Donc ouais. Beaucoup, même.
J’aurais cru qu’avec le boucan ambiant, il ne m’aurait pas entendue. Mais lorsque nous échangeâmes un regard complice, amusés, j’éclatai de rire. Il me suivit très vite. Et, pour une fois, mon sourire mit un certain temps à s’effacer. Je ne l’aurais jamais admis à haute voix, mais ces instants de tranquillité et de détente me manquaient vraiment, dans ma vie solitaire d’Élite.
Une ombre de ricanement provocateur aux lèvres, Sam m’attrapa par la main, et m’entraîna vers le centre de la pièce, où les autres se déhanchaient au rythme des basses. La bulle dans laquelle nous nous étions isolés durant une poignée de secondes se craquela. S’effrita. Les sons et les couleurs m’assaillirent à nouveau, mêlés aux odeurs des corps échauffés, en sueur.
Traction. Réflexe, pas sur le côté. Retour à la case départ, mains liées. J’avais peu d’espace. Mais je dansais.
Ma soirée défila ainsi, au rythme des verres que j’enchaînais. Je buvais, je dansais, je flirtais avec Sam. Même si nous avions dépassé ce stade depuis quatre ans. J’oubliais que je n’étais plus une adolescente. Que je n’en avais jamais été une, au fond, trop prise par tout le reste. J’abandonnais tous les problèmes derrière moi. Ne serait-ce que pour une nuit. J’enterrais les autres, la pression, les morts. Même Ekrest n’avait plus sa place ici. Pas ce soir.
Je me laissais emporter par le tempo et les bras adroits qui me guidaient. Et l’alcool. Je n’avais plus les pensées claires lorsque je rejoignis ma chambre, éméchée, tout comme mon partenaire d’une nuit. J’étais ailleurs. Pas encore en Valhalla, mais pas très loin.

Vers quatre heures du matin, Sam était endormi à côté de moi sur le matelas d’une place et demi, et je fixais le plafond. J’avais décuvé. Trop vite. Une boule dans ma gorge m’empêchait de respirer correctement. Elle était maintenant trop familière. J’aurais dû savoir. Mais je préférais toujours oublier. Ne pas me souvenir que l’ascension était fulgurante, mais que la chute l’était encore plus.
Je venais de retomber. Comme si je m’étais droguée. Ce qui n’était pas le cas, mais la violence du retour à la réalité était identique. Malgré la présence à mes côtés, la solitude me rongeait de l’intérieur. Sam ne m’aimait pas vraiment. Je le savais. Pour lui, j’étais un trophée. Une amie, peut-être, mais surtout un trophée. Pouvoir s’envoyer en l’air avec l’une des Élites, ce n’était pas donné à tout le monde. Même si ce n’était qu’une fois de temps en temps, qu’un coup d’un soir. Moi, je l’aimais bien, au fond. Mais il n’y avait rien au bout de ce chemin sur lequel nous nous étions engagés. Et lui comme moi le savions pertinemment.
Même au sein de l’Élite, ce n’était pas mieux. Pour Adam, j’étais une concurrente. Un potentiel danger, un possible obstacle. Qu’il en pouvait pas affronter de face, aussi manœuvrait-il probablement dans mon dos. Au bout du compte, à part Selvigia, plus personne ne me connaissait vraiment. J’esquissai un sourire amer, alors que les paroles d’avertissement de mon mentor me revenaient. Vraies, comme toujours.
Solitude. Rançon de la gloire.
Je me retournai sur le ventre et fis apparaître mon ordinateur d’un geste. En attendant qu’il s’allume, je vérifiai l’état de mon téléphone. La coque était encore légèrement humide, mais il fonctionnait parfaitement. La couche de magie protectrice qui le rendait résistant à l’eau était intacte. J’en revins à mon ordinateur. Après avoir entré trois mots de passe successifs, je pus me connecter au réseau interne, lançai la remise à jour des données, et commençai à fouiner dans les fiches de la Maison de Thor.
Au cours des siècles, la Confrérie avait amassé une gigantesque base de données sur les autres Maisons. Le contraire était malheureusement vrai aussi. Mais je suspectais ma famille d’avoir bien plus d’informations en réserve sur les Ases et les Vanes qu’ils en avaient sur nous. Le réseau était plein de pyramides hiérarchiques, de schémas, de liens vers des réseaux secondaires qui répertoriaient les associés humains des Maisons, et de fiches d’identité. Dont celle de Séraphin, mais aussi de Kalyan.
Dès que je vis sa première photo de profil, je me figeai, avec l’impression qu’on venait de me déchirer de l’intérieur. Je l’avais déjà vu. C’était le type qui était avec Séraphin la veille de sa capture. Le blondinet en costume cravate impeccable. Je serrai les poings, traversée par une bouffée de rage fulgurante. Crispée, je parcourus son histoire en diagonale, me focalisai sur sa carrière. Haut placé. Efficace. Dangereux. Excellent stratège, très bon combattant. Ce que je pouvais admettre sans ciller puisqu’il avait réussi à descendre Ekrest. Je me mordis les lèvres. L’atteindre paraissait impossible. Il ne sortait que rarement, pour des missions périodiques, avec très peu de personnes au courant de ses déplacements. Une ombre meurtrière. Et les chances que je le recroise dans les prochains jours étaient minimes, voire inexistantes. Notre précédente « rencontre » avait été totalement fortuite. Elle ne risquait pas de se reproduire de sitôt. Je fermai les yeux, chassai les larmes. Refermai brutalement l’ordinateur, me blottis contre Sam. En priant, sans y croire, qu’il y ait une autre personne à mes côtés, à mon réveil.
Ekrest.

| † | † |


Argh. Je pense que ça se sent, mais je l'aiiime, ce chapitre… :lol:
Pas que je veuille être prétentieuse, hein. C'est juste que… voilà. J'ai trop adoré l'écrire, pour le coup. Autant les deux premiers, ça se sent (merci louji ^-^) qu'il y a des trucs qui manquent, autant là, j'étais à fond… je ne sais pas si la différence est perceptible… vos avis ?
Terminé !! :D
Je confirme qu'on sent un truc en plus dans ce chapitre... Après, les précédents étaient très bien aussi, donc ce n'est pas comme s'il y avait eu un bond phénoménal, mais les ressentis, les pensées, de Lilith sont très bien exploités et amenés =D
J'ai rapidement survolé le chapitre 2 pour me remettre quelques personnages en tête, et c'est allé tout seul ^^ Le moment de fête est bien, tu tombes dans le "C'est la fiiiesta donc on en fait tout un chapitre entiiier", et tu nous fais oublier en même temps que Lily les événements qu'elle a vécus.
L'entraînement contre Levi est cool, dynamique (j'aime bien Levi au fait, je sais pas pourquoi :lol: ), et se termine sur une tension bien amenée ^^
Je fais un peu dans le désordre, mais tant pis huhu
Pour la fin, je me demande si Ekrest n'était qu'un camarade pour Lilith :D

Voili voilou, à la prochaine ! ;)
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par vampiredelivres »

#louji
louji a écrit :
vampiredelivres a écrit :
CHAPITRE 3


Plus que la vue de dizaines de personnes occupant déjà la salle, ce fut le bruit des pas martelant régulièrement le tapis qui me persuada dès mon arrivée que je n'allais pas pouvoir courir de sitôt. Marmottant :arrow: Mais tu les sors d'où tes verbes ? :lol: Marmonner + marmotte... C'est sympa Si tu fais une recherche, tu remarqueras que le verbe existe ;) dans ma barbe, je dus me rabattre vers les mannequins de combat alignés dans un angle. L'envie d'y aller avec les poings m'effleura un instant, mais je l'écartai rapidement. Je venais de le faire avec Séraphin. Et j'avais eu plus qu'assez de combat au corps-à-corps pour le reste de la journée.
Je pris le temps de m'étirer longuement, faisant jouer mes muscles, appréciant la sensation d'un corps qui se pliait parfaitement à ma volonté, souriant en sentant que mes côtes ne faisaient plus souffrir :arrow: ne ME faisaient... Petit oubli ^^ Arf.. Souriant, aussi, en me remémorant la recommandation de l'infirmier. Que je n'allais pas écouter, comme souvent. Quand l'avais-je fait pour la dernière fois ? Probablement à Barcelone, lorsque j'avais failli mourir...
Svärt Angel, :arrow: Virgule ? x) AAAARF ! :evil: se matérialisa entre mes mains dans un scintillement turquoise. Mon ange noir, mon arme favorite : une longue épée bâtarde, enchantée par des dizaines de sorts de protection conçus par mes soins. Elle avait été forgée par les nains quelques années après ma naissance, dans un acier mythique qui ne se trouvait que sur Svartalfheim. Ce même métal qui avait été utilisé pour le marteau enchanté de Thor, Mjöllnir, et la majorité des dagues, couteaux, haches, et autres armes dont se servaient les combattants du monde mythologique. Assez ironiquement, les nains fournissaient à la fois la Confrérie et les Maisons Ases et Vanes. Mais malheureusement, durant une guerre, leur position ne serait pas négociable : ils seraient du côté de nos ennemis. À moins qu'on ne les paie une somme plus que faramineuse. Et encore.
À ce prix, il valait mieux s'acheter des armes de destruction massive plutôt que des forgerons, certes talentueux, mais surtout grincheux...
Avec une grimace de dépit, je chassai mes réflexions philosophiques sur les nains, et me focalisai sur la forme vaguement humaine en face de moi.

La première chose que je vis en entrant dans la grande arène à ciel ouvert, vingt minutes plus tard, fut le – trop – grand attroupement sur l'aire sablonneuse. Au centre, Levi, en train de s'échauffer. Autour, une dizaine de mes demi-sœurs, en totale extase devant son torse musclé. Et la tablette de chocolat qui lui servait d'abdominaux. Absurde, puisqu'il pouvait prendre l'apparence qu'il voulait. Je roulai des yeux. Ce comportement d'adolescentes en manque me dépassait vraiment. Et ce n'était pas comme si Levi était particulièrement difficile, de ce que j'avais entendu. Chacune de ces midinettes avait sa chance. Ce qui, en soi, était peut-être pire que le simple fait qu'elles reluquent leur demi-frère. Mais j'étais mal placée pour juger.
J'élevai la voix par-dessus les conversations enthousiastes :
— Armure ?
Il me regarda avec un petit sourire moqueur, presque déçu.
— J'imagine que ça veut dire non, soupira-je :arrow: soupiraI-je Oh, bon sang… *va se taper la tête contre un mur*.
Dommage. J'aimais bien mon armure.
Merci ! Bon, pour les fautes… Note à soi-même : se relire quinze mille fois. C'est vraiment des bourdes stupides…
J'aime bien ta conception du "C'est la fiiiesta donc on en fait tout un chapitre entiiier", c'est plus ou moins ce que j'ai eu en tête quand je l'ai écrit :lol:
Ah ? C'est marrant, c'est l'un de ces personnages qui me paraissent les moins sympathiques (en même temps, j'ai pas fait grand-chose pour le rendre sympa :mrgreen: ), et pourtant…? Mais c'est cool que tu l'aimes bien. Ça prouve qu'il n'est pas aussi insupportable que Lily veut le croire.
Pas de souci, dans l'ordre ou le désordre, je m'en contre-fiche !
Ehehe… tu verras 8-)
À la prochaine !
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : Merci ! Bon, pour les fautes… Note à soi-même : se relire quinze mille fois. C'est vraiment des bourdes stupides…
J'aime bien ta conception du "C'est la fiiiesta donc on en fait tout un chapitre entiiier", c'est plus ou moins ce que j'ai eu en tête quand je l'ai écrit :lol:
Ah ? C'est marrant, c'est l'un de ces personnages qui me paraissent les moins sympathiques (en même temps, j'ai pas fait grand-chose pour le rendre sympa :mrgreen: ), et pourtant…? Mais c'est cool que tu l'aimes bien. Ça prouve qu'il n'est pas aussi insupportable que Lily veut le croire.
Pas de souci, dans l'ordre ou le désordre, je m'en contre-fiche !
Ehehe… tu verras 8-)
À la prochaine !
Pour le verbe marmotter, j'ai cherché sur Internet, je te rassure, je me serais pas permis le com autrement x') C'est juste que je connaissais pas du tout et que ça m'a fait rire :D

Les fautes, des coquilles de relecture, rien d'autre ;) Et c'est marrant, car elles étaient que sur la première partie du texte, tout le reste (je crois) était nickel ^^
XD Ben finalement, tu as su rester dans l'équilibre des différentes scènes et, à titre personnel, j'aime bien :)
Ben j'sais pas, je crois que je l'aime bien car il passe dès le début pour un sale type, mais il ne fait rien dans cette pensée, et donc, au fond, ça peut être un gars sympa :lol:

A bientôt ! ;)
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par vampiredelivres »

#louji
Du coup, à chaque chapitre, je suis censée te faire découvrir un nouveau mot ? :P (Remarque, ça pourrait être marrant, ça m'obligerait à fouiner !)
Tu remarqueras que toutes les fautes que tu relèves sont toujours dans la première moitié de mes chapitres… :lol:
Je me suis demandée, en fait, si ça n'allait pas être lourd, la partie "fiestaaa", mais j'ai considéré qu'elle était nécessaire pour donner un aperçu du quotidien au Manoir.
C'est vrai que pour l'instant, il n'a rien fait, ce pauvre Levi… Mais Lilith le déteste quand même :mrgreen:
À plus ! :)
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit :#louji
Du coup, à chaque chapitre, je suis censée te faire découvrir un nouveau mot ? :P (Remarque, ça pourrait être marrant, ça m'obligerait à fouiner !)
Tu remarqueras que toutes les fautes que tu relèves sont toujours dans la première moitié de mes chapitres… :lol:
Je me suis demandée, en fait, si ça n'allait pas être lourd, la partie "fiestaaa", mais j'ai considéré qu'elle était nécessaire pour donner un aperçu du quotidien au Manoir.
C'est vrai que pour l'instant, il n'a rien fait, ce pauvre Levi… Mais Lilith le déteste quand même :mrgreen:
À plus ! :)
Haha, peut-être ! Je passe pour une inculte à chaque fois, mais tant pis :lol:
Oui, c'est vrai :P
Ben ce n'est pas lourd, car tu en expliques les raisons, les tenants et aboutissants, et que ça bouffe pas tout le chapitre ^^
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 4


Les Jeux occupèrent mon esprit pendant les jours qui suivirent, je passai des heures entières à vérifier mon réseau et à gagner du territoire et des alliés. La mort d’Ekrest avait provoqué une délicate anarchie. Et si, par réflexe ou calcul, la majorité des Loki qui lui avaient servi d’informateurs à l’intérieur du Manoir, étaient venus directement vers moi à sa disparition, d’autres avaient préféré se tourner vers Adam. Ou Selvigia. Ou même Levi, à mon grand désespoir. Mais j’étais sans conteste le parti majoritaire. Il fallait juste que je vérifie chacune de mes alliances. Plusieurs fois. Parce que le Manoir n’était qu’un immense théâtre, avec un équilibre précis et des rôles prédéfinis pour chacun. Il suffisait qu’un figurant disparaisse, et c’était une toute nouvelle configuration qui émergeait. Et il fallait jouer. S’adapter et survivre, ou tomber et mourir un soir, au fond d’un couloir sombre. C’était déjà arrivé.
En cela, avoir Sam dans mon lit un soir sur deux – voire plus souvent encore – était plus que bénéfique. Il jouissait d’une bonne réputation générale, dont il n’hésitait pas à se servir à mon avantage. Il faisait du repérage auprès de ceux qui voulaient me rejoindre, vérifiait leurs antécédents, allait voir en mon nom les plus désavantagés par le système de notre Maison et leur apportait des cadeaux, négociait quelques alliances temporaires intéressantes. En retour, j’envoyais ses concurrents dans d’autres régions, l’armais et l’équipais, lui offrais des potions que j’étais l’une des seules à savoir préparer, lui arrangeais des faux papiers quand il en avait besoin. Il était le seul en qui j’avais désormais vraiment confiance, mon homme de main, lié à moi par un serment d’allégeance inviolable et irrévocable.
Ekrest aurait été fier de moi. C’était lui qui m’avait appris les bases des Jeux, m’avait montré comment tirer les ficelles. Et ça faisait mal, mais aujourd’hui, j’apprenais à jouer sans lui.

Comme tous les matins, les espions étaient plusieurs à me guetter lorsque je descendis pour prendre mon petit-déjeuner. Les miens comme ceux des autres. L’un d’entre eux, que j’avais intégré à mon service l’avant-veille plus tôt, me fit un léger signe, s’engagea à ma suite. Une ombre de signal, à peine perceptible pour les autres. Un angle de couloir plus loin, il glissait subrepticement quelque chose dans ma main. Un bout de papier. Je m’adossai contre le mur, tandis qu’il poursuivait son chemin, jetai un regard à la feuille. Les dernières personnes à qui Adam avait parlé, leurs lieux de rencontre. Sans surprise, il y avait Levi dans la liste, ainsi que quelques autres personnes que je connaissais, mais aucun nom inhabituel. J’invoquai une petite flamme dans le creux de ma main pour consumer la note, et repris ma route.
Depuis la mort d’Ekrest, j’avais restreint mes apparitions publiques au minimum, mais Kaiser m’avait convoquée la veille pour me faire la morale. J’étais censée me comporter comme mon mentor. Engendrer le respect et l’envie, me montrer à sa hauteur. L’objectif de toute une vie, que je n’étais même pas certaine de pouvoir atteindre un jour. Je pris une courte inspiration tendue, poussai l’immense battant à droite du hall d’entrée, qui donnait sur la cafétéria.
Les discussions et bruits de couverts moururent en une poignée de secondes. Je fixai mon regard sur le mur du fond, ignorant tous ceux qui me dévisageaient, m’avançai lentement. J’avais l’impression de porter sur mes épaules un sac de randonnée de dix kilos, chargé du poids d’une soixantaine de regards. On aurait dit un arrêt sur image : tout le monde était figé, les yeux tournés vers moi, j’étais la seule en mouvement. Mes talons claquant régulièrement sur le sol carrelé, j’attrapai une corbeille remplie de croissants près de l’entrée, me dirigeai vers le fond de la salle et m’assis à ma table habituelle, feignant l’indifférence. Le silence dura encore quelques secondes, puis les conversations reprirent progressivement, d’abord dans un murmure indistinct, puis dans un brouhaha sans cesse plus sonore. Je souris légèrement, bien que perturbée par cet accueil. C’était ce que, petite, j’avais surnommé l’effet Ekrest. Il suffisait qu’il rentre dans une pièce pour que les gens deviennent aussi muets que Vidar, le dieu de la vengeance.
Son absence à mes côtés s’en faisait d’autant plus ressentir. Son ombre planait encore sur moi, s’attardait à mes côtés. Brièvement, je me demandai si je pourrais un jour me détacher de ce sentiment de vide qu’il avait laissé derrière lui.
— Hey.
Je me tournai vers la personne qui m’avait adressée la parole : une jeune femme brune, souriante, au visage doux mais au regard las. Elle tira la chaise d’à-côté vers elle, s’assit, chipa un croissant dans la corbeille que j’avais posée au centre de la table. Je lui adressai un sourire.
— Selv ! Tu es rentrée quand ?
— Y’a vingt minutes… marmotta-t-elle entre deux bouchées, étouffant un bâillement.
Je lui lançai un regard compatissant.
— Mais Barcelone est magnifique, ajouta-t-elle après réflexion. Ils ont enfin fini les réparations intérieures de la Sagrada Familia, d’ailleurs.
Elle m’adressa un sourire taquin, et je lui tirai la langue, blasée.
— Beau temps ? demandai-je négligemment.
Parler de météo entre nous revenait à évoquer le déroulement de nos missions. Une façon comme une autre d’éviter les questions indiscrètes.
— Gris…
Son grognement irrité m’arracha sourire, qui s’effaça lorsque je remarquai sa posture légèrement repliée sur le côté, la strie rouge sur son cou, marque d’étranglement, et son poignet noirci, probablement cautérisé pour stopper une hémorragie. Dire que la bataille avait été rude aurait été un euphémisme.
— Ça va ? lui demandai-je, sincèrement inquiète.
Elle roula des yeux, puis soupira.
— Cet abruti de Freyr avait des graines de Valkyrie sur lui, il a essayé de m’enchaîner avec.
Voyant mon trouble, elle sourit, et expliqua patiemment :
— La verath est une liane extrêmement urticante de Ljösalfheim. Et sa sève est toxique. La seule chose à faire est de cautériser au plus vite.
Je hochai la tête, muette. Étant la plus jeune de la famille, mon expérience des autres Mondes se réduisait aux trois voyages que j’avais fait en compagnie d’Ekrest. Je préférais pour le moment me cantonner à Midgard, il y avait déjà bien assez à faire simplement face aux autres Maisons, sans même parler des nains, des elfes, des géants et de toutes les autres créatures improbables qui peuplaient les Neuf Mondes.
Selvigia considérait sa main blessée avec un mélange d’intérêt et de fatigue, puis ferma les yeux, se concentra. Son bras se mit à scintiller. Un instant plus tard, la chair noircie avait disparu, et sa peau était à nouveau claire et lisse. Elle prit une inspiration, écarta les paupières.
— Et toi ?
Le changement de sujet était peu discret, mais je ne relevai pas.
— La routine, soufflai-je, écartant la pensée d’Ekrest. Je m’ennuie un peu, à vrai dire. Et…
— Tant mieux, parce que j’ai des infos pour toi ! s’exclama quelqu’un sur ma gauche.
Adam s’affala sur sa chaise à ma droite avec la grâce d’un éléphanteau tombant par terre, tendit une main avide vers les croissants. Selvigia se crispa imperceptiblement. Quant à moi, je levai les yeux au plafond, faussement passionnée par l’épaisse couche de peinture blanche qui dissimulait les briques grises, ce qui tira au brun une grimace. Il me donna un coup de coude faussement amical dans les côtes pour m’obliger à reporter mon regard sur lui. Avec sa mâchoire ciselée, nettement définie par la barbe de trois jours qu’il entretenait soigneusement, ses traits à la fois bruts et étrangement fins, son regard turquoise lumineux et sa carrure idéalement proportionnée, il aurait pu convaincre une Valkyrie d’abandonner le Valhalla et sa virginité pour lui.
Mais, contrairement aux filles du Manoir qui ne rêvaient que de son corps, je savais que derrière son apparence d’ange déchu et sa voix suave se cachait le digne concurrent de Nidhogg, un véritable charognard, prêt à tout pour massacrer ceux qui se mettaient en travers de son chemin.
— J’ai tracé la provenance de la flèche pour trouver ton tireur, me lança-t-il sans attendre que je lui pose la question. Elle a été achetée aux nains dans un paquet de mille, qui a été redistribué ensuite à l’intérieur de la Maison de Thor, donc impossible de savoir qui a eu celle-ci en particulier.
J’ouvris la bouche pour lui annoncer à quel point il était inutile, mais il m’interrompit à nouveau.
— Ceci dit, j’ai peut-être une piste.
— Mais pas encore de vraies conclusions, cinglai-je, un sourire provocateur aux lèvres. Donc ton aide a été inutile, merci beaucoup.
Il grinça des dents, irrité par ma sécheresse. Selvigia, elle, ne releva même pas la mention du tireur. Abandonnant mon observation d’Adam, je la considérai un moment, attentive, puis réalisai que, outre sa fatigue qui aurait pu la rendre moins attentive, si elle ne posait pas la question… cela signifiait qu’elle était déjà au courant. De fait, soit elle m’avait menti à propos de l’heure de son retour, soit elle avait été informée après les évènements par son réseau d’espions, qui était probablement le plus développé de tout le Manoir.
Avais-je une taupe chez moi ? La question m’effleura, sans que je ne puisse y apporter de réponse satisfaisante. Même si j’avais pris le maximum de précautions, il y avait des chances pour que certains jouent double jeu avec moi. Si je leur mettais la main dessus, ils passeraient un sale quart d’heure, mais d’ici là… il fallait que je réduise les informations transmises au minimum, comme toujours. Selvie était une alliée et une amie certes, mais rien ne me garantissait qu’elle le resterait pour l’éternité.
— Tu as quelque chose de prévu ? lui demandai-je après quelques secondes de silence où chacun se contenta de manger son croissant.
Elle haussa les épaules.
— Oui, dormir. Pourquoi ?
Adam et moi pouffâmes de concert, mais lui faillit s’étrangler en avalant de travers. Je ne fis pas même un semblant de geste pour l’aider.
—Je veux faire un tour, répondis-je à ma sœur.
Nous échangeâmes une œillade entendue, et elle hocha la tête. Je me levai pour aller me faire un thé. En passant devant une longue table bondée, je croisai le regard de Levi, lui adressai un hochement de tête à peine visible, qu’il me rendit. Notre échange s’arrêta là.
Lorsque je revins à notre table avec une lourde tasse de faïence blanche dans laquelle mon sachet de mente séchée infusait, un silence glacial régnait entre Selvigia et Adam.
— Et sinon, Adam, tes dernières missions ? fis-je, me réinstallant à leurs côtés.
Il me lança un regard méfiant, passa une main dans ses cheveux.
— États-Unis.
— Un rapport avec les prochaines présidentielles ? Des gens à assassiner ?
Ma voix clairement intéressée lui arracha un soupir, et il secoua la tête.
— C’était plutôt le genre de mission où il faut intelligemment et ne pas décimer la moitié d’un État au passage.
Je fronçai le nez, l’air offusquée.
— Tu sous-entends que mes méthodes ne sont pas délicates ?
— Disons qu’avec le mentor que tu as eu… marmotta-t-il.
Réalisant ce qu’il venait de dire, il se figea. Selvigia plissa les yeux, atterrée, alors que je crispais les poings.
— Fais très attention à ce que tu comptes dire, le prévins-je, soudain menaçante.
— Ou quoi ? releva-t-il, sceptique. Il n’est plus là pour te défendre.
— Pourtant, je n’ai pas eu besoin de lui pour t’humilier à la cérémonie, la dernière fois… sifflai-je.
La haine dans mon ton n’était rien par rapport à la fureur qui froissa brièvement ses traits. Nos façades amicales s’étaient évanouies telles des illusions mal construites. L’espace d’un instant, l’air devint électrique, nous nous dévisageâmes en chiens de faïence, sur le point de nous sauter à la gorge. Il me fusilla du regard, enragé, tandis que je luttais pour ne pas le carboniser sur-le-camp. Puis, il inspira profondément, l’air de vouloir se maîtriser pour le bien de tout le monde. Son ton était de nouveau calme et suave lorsqu’il marmonna, faussement contrit :
— Désolé. Les funérailles sont prévues pour quand ?
— Ta gueule. Selv ?
La tristesse et la colère faillirent bien faire trembler ma voix. Je les ravalai difficilement, me redressai, contenant tout juste l’envie de planter une lame dans la gorge de ce connard.
— Deux secondes, marmotta-t-elle, la bouche pleine.
Elle fit passer sa dernière bouchée avec une gorgée de mon thé, qu’elle m’arracha des mains avec un fin sourire, sans tenir compte de mes protestations, puis se leva.
— À plus, Adam, lâcha-t-elle, glaciale.
Nous quittâmes la salle d’un même pas, poursuivies par le silence qui se faisait sur notre passage. Lorsque les portes claquèrent derrière nous, Selvie se permit un soupir.
— Quel connard.
Je grinçai des dents, ne répondis pas. Ekrest. C’était – officiellement – le seul terrain sur lequel il ne fallait pas m’attaquer. Ça, et ma mère, mais rares étaient ceux qui connaissaient cette faiblesse. Alors que ma relation presque fusionnelle avec mon mentor avait été connue de l’ensemble du Manoir. De ce fait, elle aurait pu être dangereuse pour nous s’il s’était avéré que certains des nôtres étaient des traîtres, mais maintenant qu’il était mort… je ne risquais plus rien, à part souffrir à chaque fois qu’on le mentionnait.
Selvie m’épargna les phrases préconçues qui se voulaient compatissantes, mais ne changeaient rien à la douleur. Elle mieux que personne savait que cela n’aurait fait que m’agacer. Je venais tout juste de naître lorsqu’elle avait perdu son propre mentor, Kirstin Hatwood, ainsi que son frère, Gimöd. Elle mieux que quiconque d’autre savait que les traditionnelles formules de politesse préconçues me feraient plus enrager qu’autre chose.
Nous traversâmes ensemble l’immense hall, submergées de part et d’autre de personnes qui se dirigeaient soit vers les escaliers, soit vers la cafétéria — sans que personne ne sache s’ils allaient prendre leur petit-déjeuner, leur repas de midi ou leur dîner. Car le Manoir ne dormait jamais. Les trois massives horloges de métal suspendues en face de la porte d’entrée déterminaient ses trois rythmes de vie, comme un battement de cœur à trois temps. Ceux qui bossaient sur le continent américain vivaient selon l’horloge de gauche, BosWash. Ceux qui travaillaient en Afrique, en Europe et au Moyen-Orient s’organisaient selon les horaires de la dorsale européenne, au centre. Et ceux qui occupaient les contrées orientales vivaient au rythme de Taiheiyō Belt, la mégalopole japonaise.
Ainsi, il y avait toujours du mouvement dans le hall. Mais, contrairement à ceux qui fonçaient vers les escaliers en direction des portails situés au niveau –1, Selvie et moi nous dirigions vers les immenses portes d’entrée du bâtiment. Nos épaisses vestes de fourrure apparurent à même nos vêtements un instant avant que je ne pousse l’un des battants vers l’extérieur. L’air glacial du nord de la Suède s’engouffra dans le bâtiment, soulevant quelques plaintes dans notre dos, et je pouffai en refermant derrière moi.
— Eva ?
La voix s’était élevée depuis ma droite. Je fronçai les sourcils, comédienne, en aprerapercevantcevant Levi, assis sur un banc, tandis que ma sœur grimaçait. Elle ignora totalement le blond, me lança un regard interrogateur en désignant les immenses parois végétales qui bordaient le bâtiment. J’acquiesçai.
— Eva ? insista Levi.
Il s’était redressé, et s’approchait maintenant de nous. J’étouffai un éclat de rire, consultai ma meilleure amie du regard. Elle roula des yeux, agacée, mais se tourna vers l’importun en l’incendiant du regard.
— Quoi ?
Son ton était rauque, agressif. Je cillai. J’avais des raisons évidentes de détester Levi, mais pour Selvigia… cela avait toujours été un peu plus obscur. À l’instar de moi-même, tout le monde savait que je n’aimais pas le blond, mais personne ne savait réellement ce qui s’était passé entre eux, pas même lui. La princesse des espions du Manoir — la reine étant notre commandante, Kaiser — gardait les détails de sa vie privée strictement sous contrôle.
Face à la colère à peine dissimulée qui irradiait de son attitude, Levi hésita. Il croisa les mains dans son dos, entortillant ses doigts, me jeta un regard nerveux, presque désespéré. Je reculai. J’avais arrangé la rencontre, comme promis, mais pour le reste, il se débrouillerait seul.
Voyant qu’il n’obtiendrait pas de soutien de ma part, il prit son courage à deux mains, avala sa salive. Sa voix s’éleva, mal assurée.
— Voilà, ça fait un moment que je voulais t’en parler…
Selvie pâlit, devinant déjà la suite. Pour ma part, je m’éloignai de quelques pas, peu désireuse de me prendre de plein fouet l’explosion que je sentais venir. Écoutant toujours d’une oreille distraite les tentatives maladroites de Levi pour plaider sa cause, je laissai mon regard errer sur la plaine rocailleuse, couverte de fougères, qui faisait office de jardin, bordée parois végétales bien plus hautes que les murs de briques grises du Manoir.
Le Labyrinthe était un lieu à part. Méconnu, propre à la Confrérie, son existence n’avait jamais été mentionnée dans les textes, probablement parce que, si quiconque d’autre qu’un enfant de Loki s’y aventurait, il n’avait aucune chance d’en ressortir vivant. C’était un immense dédale de verdure où les rayons du soleil ne parvenaient pas à toucher le sol, un organisme indépendant, qui s’alimentait de l’énergie magique des occupants du Manoir. Entre ses murs pullulaient des créatures étranges, attirées par notre aura malsaine. Et, outre ces défenseurs peu amènes à l’égard des inconnus, le dédale lui-même était un système de protection à part entière. Les parois étaient immenses, hautes de plusieurs dizaines de mètres, les sentiers changeaient chaque jour, voire plus souvent encore. Seuls quelques rares points demeuraient fixes, mais même au sein de ma famille, nous étions peu à les connaître, car personne ne s’aventurait là impunément.
Distraite par les explications de Levi, je faillis ne pas remarquer cette cette étrange silhouette, debout de l’autre côté de la plaine vide, près de l’une des entrées du dédale. Je cillai, incertaine d’avoir bien vu. La hauteur des murs plongeait toute la plaine dans une semi obscurité quasiment permanente et, à leur base, distinguer autre chose que des nuances de noir relevait du miracle. Pourtant, j’aurais juré voir quelqu’un, un instant seulement. Je scrutai l’ouverture encore de longues secondes, guettant le moindre mouvement. Mais il n’y avait plus rien, à part les ténèbres.
J’en revins à ma meilleure amie. À ce stade de son argumentaire, Levi avait presque totalement perdu espoir, et ça s’entendait dans sa voix. Il avait beau avoir vanté sa droiture et son honneur — que je savais inexistants — les intérêts politico-économiques de leur alliance, et surtout, la profondeur de ses sentiments, Selvigia était encore plus crispée qu’auparavant. Phalanges crispées, menton rentré et épaules raidies, elle était vraiment sur le point d’exploser.
Sauf qu’elle ne réagit pas du tout comme il s’y attendait. Ni comme je m’y serais attendue, d’ailleurs.
— Non, asséna-t-elle d’un ton glacial.
Elle se détourna pour reprendre sa route. Probablement suicidaire, Levi lui attrapa le poignet.
La suite fut si rapide que si je ne l’avais pas vue faire, je n’aurais pas compris ce qui venait de se passer. Le poing fermé de Selvigia jaillit, fulgurant, percuta violemment la mâchoire du blond, qui recula de deux pas, sonné, libérant au passage sa main.
— Si tu m’adresses à nouveau la parole, si tu me touches… je te tue.
L’opposition entre la tension de son corps et le calme absolu de sa voix froide, maîtrisée à la perfection, était effarante. Elle se tenait raide, inexpressive, et pourtant si menaçante que je sentis un frisson descendre le long de mon échine. Je m’immobilisai, attendant — et redoutant — la suite.
— Mais…?
Je sentis que les choses pouvaient dégénérer rapidement. Cet imperceptible tremblement de ses doigts, l’énergie soudaine qui émanait d’elle, les étincelles qui voletaient à quelques centimètres de sa peau, tout ça n’annonçait rien de bon. Selvie n’était que calme et douceur jusqu’à un certain point, mais si on l’énervait trop…
— Affaire réglée, glissai-je d’un ton volontairement trop sarcastique, tirant le bras de ma meilleure amie pour l’éloigner au plus vite.
 — Attends. Il faut que je règle ça avec cet imbécile une bonne fois pour toutes.
L’ordre n’admettait aucune réplique. J’acquiesçai, reculai à nouveau. Selvigia inspira profondément, sembla essayer de remettre un peu d’ordre dans ses pensées.
— Levi, est-ce que tu te rappelles de ta septième mission ?
Sept. Le chiffre magique par excellence. L’une de ces missions que l’on n’oubliait jamais, puisqu’elles constituaient un rite de passage. La preuve que l’on était un véritable soldat de la Confrérie, capable d’exécuter des opérations en solo. Un militaire, et pas seulement l’un de ces limiers temporaires qui pouvaient être renvoyés à un poste de bureau à tout moment.
— Un fils de Njörd, très haut placé, répondit Levi, ne voyant apparemment pas le rapport.
— Son nom.
— Gimöd Kaldtjis.
Les deux mots n’étaient qu’un souffle, pourtant on aurait dit qu’ils apportaient avec eux une étrange noirceur. Je me mordis les lèvres, le souffle coupé.
— Je m’appelle Eva Selvigia Kaldtjis, murmura ma demi-sœur, sa voix se fêlant presque sur le nom de famille. Gimöd était mon frère.
Des flammes dansaient le long de ses poignets, à peine maîtrisées. Le maigre contrôle qu’elle exerçait encore sur elle-même menaçait d’être brisé à chaque mot supplémentaire que le blond prononcerait. Je priai silencieusement Loki qu’il n’aggrave pas son cas. Je me fustigeais intérieurement, aussi, d’avoir accepté ce marché stupide, de n’avoir jamais fait le lien.
Elle m’avait un peu parlé de lui. Malgré leurs natures contraires – lui était le fils d’un Vane converti en Ase, elle d’un paria – ils s’adoraient, et ils avaient gardé le contact même après avoir découvert qu’ils appartenaient à deux camps opposés. Sauf que je n’avais jamais établi de connexion entre l’interruption des lettres et la septième mission de Levi.
Ce dernier encaissa remarquablement bien le choc. Après un silence ahuri, lourd de sens, il fit apparaître sa lame, en il offrit la poignée à mon amie, et se recula, comme pour lui permettre une totale liberté de mouvement. Encore sous le choc de la révélation, je ne pus m’empêcher de lever un sourcil. Prêt à mourir pour se racheter ? Il n’était pas si intègre, d’habitude. Était-il vraiment possible qu’il l’aime à ce point ?
Le cimeterre était magnifique, avec ses spirales gravées dans le manche et sur la lame courbe. Un côté oriental atypique, mais plaisant, même si je n’aurais personnellement jamais choisi de combattre avec. Ce n’était pas de l’acier de Nidavellir, juste du métal terrestre classique, qui véhiculait beaucoup moins bien le flux magique, et affaiblissait donc les enchantements.
Selvigia parut hésiter. Elle prit l’arme en main, la soupesa, jaugea son propriétaire, critique. Finalement, elle la projeta le plus haut possible. La lame fendit le ciel gris, tournoyant sur elle-même. Un rayon blanc aveuglant jaillit des mains de la jeune femme, rattrapa l’arme au sommet de sa parabole, et la pulvérisa en plein air en un million de particules de poussière étincelantes. Sans mot dire, la jeune femme se détourna. Je m’engageai à sa suite, droit vers l’ouverture du Labyrinthe la plus proche, droit vers les ténèbres du dédale.

| † | † |

<= Mon dieu, ce chapitre est long… tellement que je me sens obligée de le scinder en deux pour ne pas faire de pavé…
Dernière modification par vampiredelivres le mar. 03 mars, 2020 8:48 pm, modifié 6 fois.
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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki

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vampiredelivres a écrit :
CHAPITRE 4


Les Jeux occupèrent mon esprit pendant la majorité des trois jours qui suivirent. Je passai des heures entières à vérifier mon réseau. À gagner du territoire. La mort d’Ekrest avait provoqué une délicate anarchie. Et si, par réflexe ou calcul, la majorité des Loki qui lui avait servi d’informateurs à l’intérieur du Manoir, étaient venus directement vers moi à sa disparition, d’autres avaient préféré se tourner vers Adam. Ou Selvigia. Ou même Levi, à mon grand désespoir. Mais j’étais le parti majoritaire. Il fallait juste que je vérifie chacune de mes alliances. Plusieurs fois. Parce que le Manoir n’était qu’un immense théâtre, avec un équilibre précis et des rôles prédéfinis pour chacun. Il suffisait qu’un figurant disparaisse, et c’était une toute nouvelle configuration qui émergeait. Et il fallait jouer. S’adapter et survivre, ou tomber et mourir un soir, au fond d’un couloir sombre. C’était déjà arrivé.
En cela, avoir Sam dans mon lit un soir sur deux – voire plus souvent encore – était plus que bénéfique. Il jouissait d’une bonne réputation générale, dont il n’hésitait pas à se servir à mon avantage. Il me laissait ainsi quelques indices sur les bonnes personnes à qui parler, allait voir en mon nom les plus désavantagés par le système de notre Maison, leur apportait des cadeaux, négociait quelques alliances bien placées. En retour, je dispatchais ses concurrents dans d’autres régions, les envoyais sur d’autres sites, lui offrais quelques potions que j’étais l’une des seules à savoir préparer, lui arrangeais une nouvelle identité qui pouvait lui servir lors d’une prochaine mission. Il était, d’une certaine manière, mon homme de main. Il agissait en mon nom, parfois à couvert, parfois non.
Ekrest aurait été fier de moi. C’était lui qui m’avait appris les bases des Jeux. M’avait montré comment tirer les ficelles. Et ça faisait mal, mais aujourd’hui, j’apprenais à jouer sans lui. :arrow: J'aime beaucoup l’enchaînement de ces phrases et la chute à la fin ^-^

Comme souvent, ce matin, ils étaient plusieurs à me guetter lorsque je descendis pour prendre mon petit-déjeuner. Mes espions comme ceux des autres. L’un d’entre eux, que je reconnus vaguement comme l’un des miens, me fit un léger signe de la main. Rien de plus. Une ombre de signal, à peine perceptible pour les autres. La marque qu’il avait quelque chose pour moi. Je battis des paupières, et il s’engagea à ma suite.
Un angle de couloir plus loin, il glissait subrepticement quelque chose dans ma main. Un bout de papier. Je m’adossai contre le mur, tandis qu’il poursuivait son chemin. Je jetai un regard. Les dernières personnes à qui Adam avait parlé, leurs lieux de rencontre. Rien d’intéressant en soi, mais ne savait-on jamais. J’invoquai une petite flamme dans le creux de ma main, qui consuma la note. Et repris ma route, jusqu’à parvenir aux deux grandes portes au rez-de-chaussée, qui donnaient sur la cafétéria.
Kaiser m’avait convoquée la veille pour me faire la morale. M’enjoindre de me comporter comme mon mentor. Engendrer le respect et l’envie, me montrer à sa hauteur. L’objectif de ma vie. Je pris une courte inspiration, et poussai la porte.
Rester droite.
Je fixai mon regard sur le mur du fond, ignorant tous ceux qui me dévisageaient. Je sentais peser sur mes épaules les nombreux regards curieux. Les discussions et bruits de couverts étaient morts. On aurait dit un arrêt sur image : tout le monde était figé, les yeux tournés vers moi. J’étais la seule en mouvement, talons claquant régulièrement sur le sol carrelé. Je me dirigeai vers le fond de la salle et m’assis à ma table habituelle, feignant l’indifférence. Le silence dura encore quelques secondes, puis les conversations reprirent progressivement, d’abord dans un murmure indistinct, puis dans un brouhaha sans cesse plus sonore. Je souris légèrement, bien que perturbée par cet accueil. C’était ainsi depuis que j’étais revenue. Il suffisait que je rentre dans une pièce pour que le silence tombe. D’habitude, c’était Ekrest qui faisait cet effet.
Son absence à mes côtés s’en faisait d’autant plus ressentir. Son ombre planait encore sur moi, s’attardait à mes côtés. Brièvement, je me demandai si je pourrais un jour me détacher de ce sentiment de vide qu’il avait laissé derrière lui.
— Hey.
Je me tournai vers la personne qui m’avait adressée la parole : une jeune femme, au visage presque identique au mien, brune, souriante, mais au regard las. Elle s’assit lourdement sur la chaise d’à-côté, chipa un croissant dans la corbeille au centre de la table. :arrow: C'est con, mais... Je rêve d'avoir un self où les trucs sont déjà sur table :lol:
— Selvie ! Tu es rentrée quand ?
— Ce matin… marmotta-t-elle entre deux bouchées en étouffant un bâillement. Vers une heure.
Je lui lançai un regard compatissant.
— Mais l’Espagne est un pays magnifique, ajouta-t-elle après réflexion.
— Beau temps ? demandai-je négligemment.
Parler de météo entre nous revenait à évoquer le déroulement de nos missions. Une façon comme une autre d’éviter les questions indiscrètes.
— Gris…
Son grognement irrité m’arracha sourire. Qui s’effaça lorsque je remarquai la strie rouge sur son cou et son poignet noirci. Dire que la bataille avait été rude aurait été un euphémisme. Je m’attardai un moment sur sa main brûlée au troisième, voire au quatrième degré. À part nous, seuls les enfants de Surt pouvaient faire ça. Et ils étaient rares.
— Ça va ? lui demandai-je, sincèrement inquiète.
Elle roula des yeux, puis soupira.
— Je suis passée chez l’infirmière dès que je suis arrivée. Elle a cautérisé la plaie. Ça partira à la prochaine métamorphose, de toute façon… Tiens, d’ailleurs…
Elle ferma les yeux, se concentra. Son bras se mit à scintiller. Un instant plus tard, le noir avait disparu, et sa peau était à nouveau claire et lisse. Elle prit une inspiration, écarta les paupières.
— Et toi ?
Changement de sujet peu discret. Mais je ne relevai pas.
— La routine, soufflai-je, écartant la pensée d’Ekrest. Je m’ennuie un peu, à vrai dire. Et…
— Tant mieux, parce que j’ai des infos pour toi ! s’exclama quelqu’un sur ma gauche.
Adam s’affala sur sa chaise avec la grâce d’un éléphanteau tombant par terre, tendit une main vers les croissants. Je levai les yeux, observai un moment le plafond, faussement passionnée par le marbre noir, ce qui lui tira une grimace. Il me donna un coup de coude faussement amical dans les côtes. Je reportai mon regard sur lui. Il avait les traits tirés et ses yeux turquoise étaient obscurcis par de larges cernes, mais il semblait malgré tout satisfait.
— J’ai tracé la provenance de la flèche pour trouver ton tireur, me lança-t-il sans attendre que je lui pose la question. Elle a été achetée aux nains dans un paquet de mille, qui a été redistribué ensuite à l’intérieur de la Maison de Thor, donc impossible de savoir qui a eu celle-ci en particulier.
J’ouvris la bouche pour lui annoncer à quel point il était inutile, mais il m’interrompit à nouveau.
— J’ai peut-être une piste. Je t’en dirais bien plus, mais…
— Mais tu n’as pas encore de vraies conclusions. Donc ton aide a été inutile, merci beaucoup, rétorquai-je avec un ricanement.
Il me tira la langue, comme un gamin.
— Un tireur ?
Selvigia me couvait un regard surpris. Je résumai, le plus succinctement possible. Trois phrases, donc.
—Je me suis fait tirer dessus dans l’arène. Une flèche bleue. On n’a pas encore retrouvé le responsable.
— Ah. Et sinon ? demanda-t-elle.
Nous échangeâmes un regard complice. Banaliser. La clé, pour survivre dans notre monde. De voir le côté positif, malgré les morts. D’autres, comme Adam ou Levi, se prenaient souvent bien trop au sérieux. Et finissaient par mourir dans de tragiques circonstances.
Levi… je ne pouvais décemment pas parler de mon pacte avec lui à Selvigia, sinon elle allait me tuer. Mais, si j’arrivais à arranger leur rencontre, que je lui trouvais une occasion de déclarer sa flamme… J’étouffai un sourire. Il allait se prendre une baffe mémorable. Il fallait juste que je ne sois pas directement impliquée, sinon Selv’ allait m’en vouloir.
— Rien. Tu as quelque chose de prévu ?
Elle haussa les épaules.
— Oui, dormir. Pourquoi ?
Adam et moi pouffâmes de concert.
—Je veux faire un tour.
Nos regards se croisèrent, et elle devina le lieu auquel je faisais allusion. Elle hocha la tête. J’avalai le reste de mon pain au chocolat, me levai pour aller me faire un thé à la menthe à la machine. En même temps, je parcourus la salle à la recherche d’un certain blond qui me devrait bientôt une grosse faveur. Je l’aperçus très vite, attablé non loin, avec quatre de ses amis. J’hésitai, puis souris, et me concentrai. Faillis éclater de rire lorsque je vis ses sourcils se froncer, alors que des lettres scintillantes apparaissaient sur le pourtour de son assiette. Il leva les yeux, chercha un moment le responsable, tandis que j’affectais le détachement et que j’ouvrais la boîte de verveine menthe pour mettre un sachet à infuser. Un fin ruban vert s’étira en minces volutes dans l’eau blanchâtre dans la tasse de faïence. J’observai, passionnée, la lente évolution.
Quand, enfin, je relevai la tête, je vis que Levi me fixait intensément. Je laissai un léger sourire narquois, annonciateur d’ennuis, affleurer sur mes lèvres, et rejoignis à nouveau ma chaise.
— Et sinon, Adam, tes dernières missions ? fis-je, me réinstallant à côté des deux autres Élites.
Le brun fronça les sourcils, mais ne répondit pas. J’éclatai de rire.
— Oh, allez ! Pas de secrets entre bons amis, non ?
Il me lança un regard méfiant, passa une main dans ses cheveux.
— Etats-Unis.
— Un rapport avec les prochaines présidentielles ? Des gens à assassiner ?
Je fis un sourire narquois alors qu’il soupirait, et secouait la tête.
— Contrairement à toi, je fais partie de ceux qui savent agir intelligemment et ne pas décimer la moitié d’un État au passage.
Je fronçai le nez, faussement offusquée.
— Tu sous-entends que mes méthodes ne sont pas délicates ?
— Disons qu’avec le mentor que tu as eu… marmotta-t-il.
Je me figeai. Lui aussi, réalisant ce qu’il venait de dire. Selvigia plissa les yeux, atterrée, alors que je crispais les poings.
— Fais très attention à ce que tu comptes dire, le prévins-je, soudain menaçante.
— Je sais. Désolé. La cérémonie est prévue pour quand ?
— Je ne sais pas encore.
La colère et la tristesse faillirent bien faire trembler ma voix. Je les ravalai difficilement, me redressai légèrement sur ma chaise.
— Selv’ ?
— Deux secondes, marmotta-t-elle, la bouche pleine.
Elle fit passer sa dernière bouchée avec une gorgée de mon thé, qu’elle m’arracha des mains avec un fin sourire, sans tenir compte de mes protestations, puis se leva. Je vidai ma tasse en quelques instants.
— À plus, Adam.
Nous quittâmes la salle d’un même pas, poursuivies par le silence qui se faisait sur notre passage. Lorsque les portes claquèrent derrière nous, Selvie se permit un soupir.
— Quel crétin.
Je grinçai des dents, ne répondis pas. C’était – officiellement – le seul terrain sur lequel il ne fallait pas m’attaquer. Ekrest. Ça, et ma mère, mais rares étaient ceux qui connaissaient cette faiblesse. Alors que ma relation presque fusionnelle avec mon mentor était connue dans tout le Manoir. De ce fait, elle aurait pu être dangereuse pour nous s’il s’était avéré que certains des nôtres étaient des traîtres. Ce qui ne risquait plus d’arriver, maintenant qu’il était mort.
Selvie m’avait épargné les traditionnels « je suis désolée pour toi ». Elle mieux que personne savait que cela n’aurait fait que m’agacer. Elle avait perdu son propre mentor, Lena Hatwood – qui avait aussi été celui d’Ekrest, plus tôt encore – alors que je venais tout juste de naître. Elle mieux que quiconque d’autre savait que les formules de politesse toutes faites ne changeaient rien à la douleur.
En passant devant le secrétariat, j’adressai un petit signe de la main à Sylvia, qui me le rendit vaguement, déjà occupée à taper à toute vitesse sur son clavier. Je souris, ouvris la porte, et l’air glacé du nord de la Suède s’engouffra dans le bâtiment. Je me dépêchai de sortir, en profitant pour faire apparaître une épaisse veste de fourrure.
— Selvigia ?
La voix s’était élevée depuis un banc. Je fronçai les sourcils, comédienne, alors que j’apercevais Levi assis sur ma droite. Intérieurement, je souriais, alors que ma meilleure amie grimaçait. Elle ignora totalement le blond, me lança un regard interrogateur en désignant le dédale non loin. J’acquiesçai.
— Tu peux venir ?
Mais c’était qu’il était insistant ! Ma meilleure amie roula des yeux, agacée, mais elle s’approcha de lui.
— Selv’ ?
Elle pivota sur ses talons, m’adressa un hochement de tête, signe que je pouvais rester. J’allai me camper derrière elle, curieuse de voir comment Levi allait s’y prendre.
Comprenant que je ne comptais pas bouger, il prit une inspiration tremblante. Avala sa salive, mains dans le dos. Je devinais ses paumes moites, ses doigts entortillés, plus que je ne les voyais, et cela me fit sourire.
— Je… Ça fait un moment que je voulais t’en parler…
Selvie pâlit, devinant déjà la suite. Elle attendit, blanche comme un linge, la suite, qui ne semblait pas vouloir venir. Je laissai mon regard errer sur la plaine vide qui faisait office de jardin. Elle était bordée de hauts murs végétaux, qui dessinaient les contours du Labyrinthe, un immense dédale abritant des dizaines de bestioles peu sympathiques.
La mythologie nordique n’était pourtant pas une source d’aberrations, comparée à d’autres. Bon, on avait certes un cheval à huit jambes et des loups géants, des géants, des elfes, des nains, et un sanglier et des chèvres qui ressuscitaient tout les jours, mais par rapport aux traditions grecques ou romaine, on était assez tranquilles. Mais le Labyrinthe était un lieu à part. Méconnu, parce qu’il était propre à la Confrérie. Entre ses murs s’accumulaient des créatures étranges, attirées par notre aura malsaine. Et, outre ces défenseurs peu amènes à l’égard des inconnus, le dédale lui-même était un système de protection à part entière. Les parois étaient immenses, hautes de plusieurs dizaines de mètres, les sentiers changeaient chaque jour. Parfois plus souvent, même. Quelques rares points demeuraient fixes, mais même au sein de ma famille, nous étions peu à les connaître. Car personne ne s’aventurait là impunément.
Sauf peut-être cette étrange silhouette, que j’entrevis brièvement près de l’une des entrées. Je cillai, incertaine d’avoir bien vu. La hauteur des murs plongeait tout le Manoir dans une semi obscurité quasiment permanente. Et, à leur base, voir autre chose que du noir relevait du miracle. Pourtant, j’aurais juré voir quelqu’un, un instant seulement. Je scrutai l’ouverture encore de longues secondes, guettant le moindre mouvement. Mais il n’y avait plus rien, à part les ténèbres.
J’en revins à ma meilleure amie, qui serrait les poings alors que Levi lui faisait un semblant de déclaration. Qui se termina par l’inévitable « Voudrais-tu sortir avec moi ? », teinté d’une pitoyable nuance d’espoir.
Sauf qu’elle ne réagit pas du tout comme il s’y attendait. Ni comme je m’y serais attendue, d’ailleurs.
— Non, asséna-t-elle d’un ton glacial.
Elle se détourna pour reprendre sa route. Levi lui attrapa le poignet.
La suite fut si rapide que si je ne l’avais pas vue faire, je n’aurais pas compris ce qui venait de se passer. Le poing fermé de Selvigia jaillit, fulgurant, percuta violemment la mâchoire du blond. Qui recula de deux pas, sonné, libérant au passage sa main.
— Si tu m’adresses à nouveau la parole, si tu me touches… je te tue.
Proférées de cette voix froide, maîtrisée à la perfection, sans même une influence hautaine, la menace était tout simplement terrifiante. Je sentis un frisson descendre le long de mon échine, m’immobilisai. Attendant – et redoutant – la suite.
— Mais…?
— Non. Juste non.
L’opposition entre la tension de ses épaules et le calme de sa voix était effarante. Je sentis que les choses pouvaient dégénérer rapidement. Ce tremblement dans ses doigts laissés près de ses hanches n’annonçait rien de bon. Selvie n’était que calme et douceur, habituellement… mais si on l’énervait…
— Affaire réglée, glissai-je d’un ton volontairement trop sarcastique, tirant le bras de ma meilleure amie pour l’éloigner au plus vite.
— Attends. Il faut que je règle ça avec cet imbécile une bonne fois pour toutes.
L’ordre n’admettait aucune réplique. J’acquiesçai, reculai à nouveau. Selvigia inspira profondément, paraissant essayer de remettre de l’ordre dans ses pensées.
— Levi, est-ce que tu te rappelles de ta septième mission ?
Sept. Le chiffre magique par excellence. L’une de ces missions que l’on n’oubliait jamais, puisqu’elles constituaient un rite de passage. La preuve que l’on était un agent à part entière, au sein de la Confrérie. Un véritable militaire, et pas seulement l’un de ces limiers temporaires qui pouvaient être envoyés à un poste de bureau à tout moment.
— Un fils de Njörd, très haut placé, répondit Levi, ne voyant apparemment pas le rapport.
— Son nom.
— Gimöd Kaldtjis.
Les deux mots n’étaient qu’un souffle, pourtant on aurait dit qu’ils apportaient avec eux une étrange noirceur. Ils avaient cet écho des noms qui porteraient un jour malheur. Je me mordis les lèvres, devinant aisément la suite.
— Je suis Selvigia Kaldtjis, murmura ma demi-sœur, sa voix se fêlant presque sur le nom de famille. Gimöd était mon frère.
Ses mains tremblaient bien visiblement, désormais. Le maigre contrôle qu’elle exerçait encore sur elle-même menaçait d’être brisé à chaque mot supplémentaire que le blond prononcerait. Je priai silencieusement Loki qu’il n’aggrave pas son cas. Je me fustigeais intérieurement, aussi. Si j’avais su, jamais ne n’aurais accepté ce marché stupide.
Elle m’avait un peu parlé de lui. Malgré leurs natures contraires – lui était le fils d’un Vane, elle d’un paria – ils s’adoraient, et ils avaient gardé le contact même après avoir découvert qu’ils appartenaient à deux camps opposés. Sauf que je n’avais jamais fait le lien entre l’interruption des lettres et la septième mission de Levi.
Le blond, lui, encaissa remarquablement bien le choc. Après un silence, il fit apparaître sa propre lame, dont il offrit la poignée à mon amie.
— Venge-toi.
Il se recula, comme pour lui permettre une totale liberté de mouvement. Je levai un sourcil. Il n’était pas si intègre, d’habitude. Prêt à mourir pour se racheter ? Ça ne collait absolument pas avec lui.
Selvigia parut hésiter. Elle prit l’arme en main, la soupesa, jaugeant son propriétaire, critique. Le cimeterre était magnifique, avec ses spirales gravées dans le manche et sur la lame courbe. Ce n’était pas de l’acier de Svartalfheim. Juste du métal terrestre classique. Un côté oriental atypique, mais plaisant, même si je n’aurais jamais combattu avec, personnellement.
Finalement, ma sœur le lança le plus haut possible. La lame fila telle une flèche vers le ciel, tournant sur elle-même. Un rayon turquoise jaillit des mains de Selvie, rattrapa l’arme au sommet de sa parabole. Et la pulvérisa en plein ciel, en un million de particules de poussière étincelantes.
Sans mot dire, la jeune femme se détourna. Je m’engageai à sa suite, droit vers l’ouverture du Labyrinthe où j’avais cru apercevoir quelqu’un. Et, dès que nous fûmes à l’intérieur, la relative clarté des jardins disparut, et nous fûmes avalées par les ténèbres.

| † | † |


Mon dieu, ce chapitre est long… tellement que je me sens obligée de le scinder en deux pour ne pas faire de pavé…
Me voilà après... un certain moment :oops: (J'ai procrastiné héhé)

Huum, j'ai bien aimé ce chapitre ^^ L'univers de ton histoire, l'ambiance dans le Manoir, commencent à s'installer petit à petit et j'ai juste envie d'en découvrir plus :D
J'ai juste trouvé un peu vague la façon dont tu as de présenter les "Jeux"... Est-ce ainsi que tu appelles les mouvements politiques internes au Manoir ? Ou est-ce que j'ai mal saisi le truc ? :?
Le passage entre Selv et Levi était assez intense, et très intéressant, car porteur d'infos =D Je me demande comment vont évoluer les relations entre les différents personnages...
De plus, j'aime beaucoup la "présence" d'Ekrest malgré sa mort, son ombre, comme tu dis si bien, qui plane au-dessus de Lilith...
Hâte de lire la deuxième partie ! :D

Ton écriture est toujours fluide et prenante, c'est agréable :) Et j'ai pas vu de fautes =D Juste un endroit où je ne savais s'il fallait accorder le participe passé (l'auxiliaire "avoir" avait un "qui" devant), alors j'ai préféré ne rien dire pour éviter une bêtise ^^'

A bientôt ;)
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par vampiredelivres »

#louji
louji a écrit :
vampiredelivres a écrit :
CHAPITRE 4


Ekrest aurait été fier de moi. C’était lui qui m’avait appris les bases des Jeux. M’avait montré comment tirer les ficelles. Et ça faisait mal, mais aujourd’hui, j’apprenais à jouer sans lui. :arrow: J'aime beaucoup l’enchaînement de ces phrases et la chute à la fin ^-^ Contente que ça te plaise, je le cherchais un peu, ce rythme, et j'avais quelques doutes…

Je me tournai vers la personne qui m’avait adressée la parole : une jeune femme, au visage presque identique au mien, brune, souriante, mais au regard las. Elle s’assit lourdement sur la chaise d’à-côté, chipa un croissant dans la corbeille au centre de la table. :arrow: C'est con, mais... Je rêve d'avoir un self où les trucs sont déjà sur table :lol: Ehehe, on en rêve tous ! :lol:
Pas de souci, prends le temps qu'il te faudra ;)
C'est volontairement vague, pour le moment… Oui, ce sont à la fois des mouvements politiques, mais pas que. C'est une sorte de compétition généralisée, mais seuls quelques rares personnes la jouent consciemment (les Élites, surtout), et les autres ne sont que des pions. Et puis, il y a des règles, mais… on y viendra en temps voulu ^-^ Pour le moment, je n'ai pas trop voulu m'attarder dessus, parce que ce n'est pas vraiment la priorité…
Pour répondre à ta question sur les relations entre les personnages, d'ici un petit chapitre ou deux, ça va totalement partir en cacahuètes… :lol:
D'ailleurs, petite rectification, Gimöd est un fils de Týr, pas de Njörd, je ne sais pas pourquoi j'ai changé ça. ^-^ Détail à part, breeef…
Ekrest, on entendra souvent parler de lui. C'est probablement l'un de mes personnages préférés, si ce n'est LE personnage que j'aime le plus. Ironiquement, ce n'est pas mon héroïne, même si elle est juste derrière… (Tu l'auras compris, Levi est loiiiiin, en fin de liste :mrgreen: )
Où ça, dis toujours, peut-être que je me suis foirée ^-^
Elle arrivera bientôt ;) Merci pour ton commentaire !
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit :
Pas de souci, prends le temps qu'il te faudra ;)
C'est volontairement vague, pour le moment… Oui, ce sont à la fois des mouvements politiques, mais pas que. C'est une sorte de compétition généralisée, mais seuls quelques rares personnes la jouent consciemment (les Élites, surtout), et les autres ne sont que des pions. Et puis, il y a des règles, mais… on y viendra en temps voulu ^-^ Pour le moment, je n'ai pas trop voulu m'attarder dessus, parce que ce n'est pas vraiment la priorité…
Pour répondre à ta question sur les relations entre les personnages, d'ici un petit chapitre ou deux, ça va totalement partir en cacahuètes… :lol:
D'ailleurs, petite rectification, Gimöd est un fils de Týr, pas de Njörd, je ne sais pas pourquoi j'ai changé ça. ^-^ Détail à part, breeef…
Ekrest, on entendra souvent parler de lui. C'est probablement l'un de mes personnages préférés, si ce n'est LE personnage que j'aime le plus. Ironiquement, ce n'est pas mon héroïne, même si elle est juste derrière… (Tu l'auras compris, Levi est loiiiiin, en fin de liste :mrgreen: )
Où ça, dis toujours, peut-être que je me suis foirée ^-^
Elle arrivera bientôt ;) Merci pour ton commentaire !
Je vois ! ^^ Ça me semble déjà plus concret avec tes quelques explications ;)
Oula, j'ai peur :lol:
Ah, je ne sais pas non plus pourquoi tu as changé ça :lol: Týr est aussi un Vane (désolée, je m'y connais pas beaucoup :roll: ) ?
C'est vrai que cet Ekrest dégage quelque chose, même en étant absent... J'ai hâte d'en apprendre plus lui à travers les autres personnages ^-^ (Mais qu''est-ce qu'il a fait, ce Levi, pour être méprisable aux yeux de sa créatrice ? :D )
Bwarf, ce n'était qu'un détail... x') (un peu la flemme de le retrouver, je dois avouer :oops: )
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par vampiredelivres »

Je prends note, quelques éventuelles explications casées au coin d'un chapitre ne seraient pas dérangeantes, apparemment. :)
Aucune idée, sincèrement. Je crois que c'était un coup de tête stupide… Et effectivement, Týr est un Ase, et pas un Vane.
C'est volontaire… mais je suis contente que l'effet Ekrest marche XD
Beeen, en fait… C'est juste qu'en question de prise de parti, et je penche plus du côté de Lilith que de Levi. Et ce n'est pas vraiment une question de qu'est-ce qu'il a fait… mais ça, tu le verras bientôt.
Pas de souci :lol:
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 4
(suite)


Nous progressions en silence, d’un pas assuré. Malgré les nombreux embranchements, bifurcations, croisements et nœuds par lesquels le Labyrinthe nous menait, nous savions toujours plus ou moins où nous allions. Les chemins avaient beau changer régulièrement, certaines configurations réapparaissaient souvent. Aujourd’hui était l’une de celles que Selvigia connaissait le mieux, aussi était-elle celle qui menait. Elle marchait vite, plongée dans ses pensées, ses cheveux bruns voletant autour de ses épaules, seulement éclairée par la petite flamme qu’elle semblait tenir entre ses mains.
Malgré l’oppression des hauts murs qui ne laissaient qu’entrevoir le gris du ciel, et l’obscurité qui régnait autour de nous, je me permis une ombre de sourire. Selvigia était l’une des rares avec qui Ekrest me laissait vadrouiller, petite. Il n’avait jamais fait confiance à quiconque d’autre pour me surveiller. Ainsi, j’avais une quantité impressionnante de souvenirs d’heures passées avec elle dans le dédale de verdure. Gamine, c’étaient des parties de cache-cache géantes. Adolescente, des courses contre-la-montre et des énigmes à résoudre. À chaque fois, ça se terminait par des démonstrations magiques, que ce soit la métamorphose, la manipulation d’énergie ou la pyrokinésie.
Une fois, j’avais mis le feu accidentellement à la bordure est. Le temps que les flammes meurent, un tiers du dédale avait brûlé. Kaiser s’était tout juste abstenue de m’étriper, mais comme les murs s’étaient reformés dès le lendemain, elle m’avait pardonnée. Enfin, presque. J’avais été de corvée de nettoyage des prisons pendant deux semaines. Une horreur.
— Il m’a vraiment demandé de sortir avec lui ?
Perdue dans mes pensées, je mis un moment à réaliser que Selvie s’adressait à moi. Et qu’elle attendait une réponse, malgré la sonorité rhétorique de sa question.
— Est-ce que tu aurais pu l’envisager ?
Elle rejeta une mèche de cheveux en arrière en soupirant, leva la tête vers la fine tranche de ciel qui nous surplombait.
— C’est un arriviste insupportable. Il l’était déjà avant de tuer Gimöd. Donc non. Tu savais qu’il comptait me demander ça ?
Je me mordis les lèvres, partagée entre honte et agacement envers moi-même. N’entendant que mon silence, Selvigia s’arrêta, se retourna.
Ce n’était pas une boule de feu dans le creux de sa paume qui l’éclairait. C’étaient ses mains entières qui étaient entourées d’un halo rougeâtre. Les flammes dansaient autour de ses doigts, s’enroulaient autour de ses poignets, virevoltaient, comme animées d’une vie propre. Je cillai, impressionnée, presque effrayée par l’intensité de son regard iridescent qui reflétait la lumière des flammes.
— Oui, admis-je finalement. Et je suis désolée. Je ne savais pas que c’était Levi qui…
Elle sourit, claqua des doigts juste sous mon nez. Des étincelles volèrent, et je me tus.
— Tu ne pouvais pas savoir. Tu avais… quoi, douze ans ?
— Sept.
— Pareil. Tu n’avais même pas accès aux dossiers classiques, non ?
— Ça dépendait du dossier, admis-je en fronçant le nez.
— Voilà. Tu ne savais pas.
Elle écarta les bras pour un câlin. Je ne bougeai pas, regard fiché sur ses mains incandescentes. Elle baissa les yeux, curieuse, puis éclata de rire, et fit disparaître les flammes. Alors seulement, j’avançai, la serrai dans mes bras, heureuse de voir qu’elle ne m’en voulait pas.
Trompe l’œil. À l’instant où elle m’eut attrapée, sa main gauche se referma autour de ma nuque, dangereusement brûlante. Je fus parcourue d’un frisson d’appréhension, agrippai par réflexe ses cheveux, mais elle parut n’en avoir cure.
— Mais la prochaine fois que tu as une info dans ce genre, tu ne la gardes pas pour toi, sinon je te fais la peau… me murmura-t-elle à l’oreille.
Un instant dominée par la culpabilité de ne pas avoir réalisé qu’elle souffrait de devoir supporter le meurtrier de son frère au quotidien, je faillis acquiescer. Puis, les leçons d’Ekrest se manifestèrent à nouveau dans mon esprit, et je réalisai que j’étais sur le fil du rasoir. Selvie serait bientôt la troisième Élite. Si je cédais maintenant, je perdais en puissance.
Et le but de mon arrangement avec Levi avait été l’exact contraire.
— Je ne te dois rien, sifflai-je en tirant ses cheveux en arrière, à part peut-être des excuses. Que tu as entendues.
Nous demeurâmes quelques instants ainsi, immobiles, à la fois menacées et menaçantes. Puis, elle pouffa, me libéra de sa poigne, et m’enlaça réellement.
— C’est vrai, sourit-elle en se reculant, l’air apaisée.
Et elle se détourna. Je l’observai quelques instants tandis qu’elle progressait sur l’étroit sentier, finis par secouer la tête, sourire, et me remettre en marche à sa suite. Nous continuâmes à avancer ainsi, sans parler, entourées uniquement des craquements de feuilles et branches mortes sous nos pas, jusqu’à parvenir à la berge d’un petit ruisseau qui serpentait sous les épais murs. Selvigia haussa les sourcils. J’acquiesçai, fis disparaître mes chaussures et mon pantalon, mis les pieds dans l’eau. Puis, simultanément, j’envoyai le reste de mes vêtements dans la dimension magique et me métamorphosai en saumon. L’eau me submergea immédiatement, m’entraîna vers l’aval. Je claquai des dents, agacée, donnai un grand coup de queue pour me propulser vers l’avant, à contre-courant.
Pour une raison obscure, la métamorphose en poisson était l’une des seules choses qui me permettaient de lutter contre ma phobie de l’eau. C’était ainsi qu’Ekrest m’avait presque totalement guérie, à force de plongeons et de transformations. À la longue, j’en étais venue à tolérer la sensation d’immersion sous forme humaine, même s’il m’arrivait encore de paniquer quand le choc du contact n’était pas prévu. Alors que quand j’étais un saumon… je m’en fichais totalement. Probablement parce que les poissons avaient une affinité naturelle avec l’eau. Et peut-être aussi parce que je n’avais pas d’eau dans le nez, ce qui était encore aujourd’hui l’un de mes plus grands problèmes.
L’esprit totalement libéré des contraintes habituelles que m’imposait la nage, je pus ainsi remonter tranquillement le cours du ruisseau, jusqu’à un petit lac, pas très large, mais profond. Là, je bondis hors de l’eau, me transformai à nouveau en plein saut, n’accordant que l’ombre d’une pensée aux vêtements qui apparaissaient à même ma peau en même temps, et roulai au sol.
Nous étions arrivées dans une clairière obscure, prise entre deux collines sur lesquelles les murs poussaient légèrement en biais, formant un véritable toit de verdure au-dessus de nos têtes. De l’une des collines jaillissait une petite cascade, qui se déversait dans le bassin duquel nous venions de sortir. Les chutes de Franagr. Un nom pompeux, pour un filet d’eau comme celui-ci, mais là n’était pas le plus important.
Non, ce qui était intéressant, c’était la cabane construite juste à côté du lac. Une construction toute simple, quatre murs, une porte et trois fenêtres. Mais ce n’était pas juste une cabane. C’était la cabane. Celle dans laquelle notre père s’était réfugié, des millénaires plus tôt, après avoir insulté les Æsir et tué deux serviteurs d’Ægir durant une réception. Un lieu sacré, pour nous, ses enfants. Un refuge en cas d’extrême nécessité, même si nous étions peu à connaître sa localisation exacte.
Nous pénétrâmes à l’intérieur, éclairées uniquement à la lueur des flammes qui jaillissaient de nos mains. Une fois dedans, je transformai les flammèches en une boule de feu, que je plaçai dans l’âtre, pendant que Selvigia sortait un poignard noir, et dessinait dans le sol meuble un pentacle entouré de runes. Puis, elle fit apparaître une plume, et moi une coupelle, dans laquelle je puisai un peu d’eau du bassin, avant de revenir la placer à l’une des pointes de l’étoile à cinq branches.
Ce lieu avait toujours été notre lieu de rendez-vous. C’était ici qu’elle m’avait enseigné ce qu’elle savait de la pyromanie, c’était ici que nous avions construit ce qui ressemblait le plus à de l’amitié pour moi : une solide relation coronale. Mais aujourd’hui, il y avait une autre ambiance. Plus lourde, plus mélancolique. J’avalai difficilement ma salive, soudain nerveuse, me préparant à ce qui allait suivre. Nous n’en avions pas discuté, mais ma sœur savait exactement ce que je voulais faire.
— Tu veux commencer ? me demanda-t-elle doucement.
Je hochai la tête. Tendis la main. Une flamme, échappée du feu dans l’âtre, flotta jusqu’au pentacle, pour venir se déposer sur l’une des pointes encore libres. Bras toujours étendu au-dessus du pentacle, j’attrapai la lame de Selvigia, m’entaillai l’avant-bras d’un geste fluide, qui aurait presque pu paraître assuré, s’il n’y avait pas eu mes doigts tremblants sur le manche. Le sang coula le long de mon bras, goutta lentement jusqu’au cœur du pentacle, grésilla en touchant le sol. Je me focalisai sur un seul visage. Les paroles rituelles d’une prière à Odin, en vieux norrois, s’échappèrent en une lente litanie, rythmée uniquement par les sonorités rauques entre mes lèvres serrées. Je n’y réfléchissais pas vraiment. Seul le visage gravé dans mes souvenirs m’importait.
Je sentais le sort drainer mon énergie magique, lentement, mais sûrement. Chaque répétition supplémentaire de l’enchantement m’arrachait une parcelle de plus. D’abord vint le mal de tête, désagréable, mais pas invivable. Une demi minute plus tard, le mal de ventre, déjà plus douloureux. Puis, je commençai à trembler sur mes jambes alors que l’angoisse s’infiltrait, insidieuse. Mon estomac déjà contracté se noua encore un peu plus.
Il ne venait pas.
J’insistai, répétai, encore une fois, la prière à Odin, dieu de la nécromancie, aspirai une goulée d’air qui me parut être trop pauvre en oxygène, fermai les yeux.
Encore une fois.

— Lily !
Je vacillai, me pris les pieds, sans trop savoir comment, dans une aspérité du sol. Ou avais-je buté sur mes propres orteils ? Je n’en avais aucune idée. La seule chose que je savais, c’était qu’il n’était pas là. Le bourdon dérangeant qui avait envahi ma tête m’empêchait de réfléchir correctement. Je basculai, sentis, comme à travers un brouillard cotonneux dans mon crâne, les bras qui me rattrapaient in extremis, m’allongeaient, doucement, au sol. Et Selvigia prit ma place. Sa voix, plus douce, recommença à psalmodier. Une seule variation, dans la phrase rituelle : ce n’était pas Ekrest qu’elle appelait, mais son frère.
J’entrouvris à peine les paupières, juste assez pour voir des rubans de brume, sombres et épais, s’engouffrer à l’intérieur de la cabane par la porte et les fenêtres ouvertes, s’enrouler autour de nous. Je sentis l’un d’entre eux passer près de ma joue, me frôler d’une caresse glaciale. Je frissonnai. Mais déjà, le brouillard se concentrait à l’intérieur du pentacle, s’accumulait, jusqu’à former une immense masse tourbillonnante qui rappelait vaguement une pâle silhouette humaine, d’un rouge sombre, sanguin, aux contours brouillés. Je me redressai sur un coude, tiraillée par un horrible mal de crâne. Selvigia répéta encore une fois la prière à Odin.
Flash. Aveuglant.
Gimöd Kaldtjis venait de se matérialiser.
Mon amie parut tout juste se retenir de sauter dans les bras de l’ectoplasme. Au lieu de cela, elle se contenta d’un salut formel.
— Gimöd.
— Selvigia, gronda son aîné, je t’ai déjà dit de ne pas m’invoquer comme ça. Tu t’épuises pour rien…
Je me remis debout, encore chancelante, jetai un regard préoccupé à mon amie. Même dans la faible lumière du lieu, elle était pâle, probablement autant — si ce n’était plus — que moi. Je m’approchai, posai une main sur son épaule.
Le fantôme n’était fait que de fumée pourpre, mais j’imaginais sans difficultés des prunelles bleus cobalt sombres enfoncées dans leurs orbites, des cheveux bruns et une peau mate, burinée par le soleil. Physiquement, il était fidèle aux quelques photos que Selvie m’avait montrées de lui, et moralement… j’avais l’impression d’entendre Ekrest. Cette nuance réprobatrice dans sa voix était identique à celle de mon mentor lorsqu’il me rabrouait. Si identique que j’en eus mal. Pourquoi n’était-il pas venu alors que je l’avais invoqué ?
— Je sais. Mais tu ne vas pas me reprocher de vouloir être avec toi, non ? lâcha Selvigia, provocatrice.
Elle laissa passer un silence, mais il ne répondit rien. Malgré son commentaire désapprobateur, ses yeux de fumée scintillaient du plaisir contenu de voir sa sœur. Et elle le voyait aussi bien que moi. Avec un sourire triomphant, elle reprit d’un ton bien trop pompeux :
— Gimöd, je te présente Lilith, première Élite de la Confrérie.
Je roulai des yeux, mais ne relevai pas. Je commençais doucement à m’y faire.
— Enchanté, sourit-il. Je te serrerais bien la main, mais…
Je lâchai un bref éclat de rire, presque un aboiement. Même dans la mort, il avait gardé une touche de cet humour si particulier dont m’avait parlé sa sœur.
— Lily, tu sais qui est Gimöd.
Un hochement de tête suffit à conclure les présentations. Je les écoutai discuter un moment, puis reculai pour leur laisser un semblant d’intimité. Selvie m’avait implicitement autorisée à rester, mais je me sentais de trop. Ils étaient heureux, tous les deux, ensemble pour la première fois depuis des années. Je ne faisais pas partie de cette famille-là.
Je me repliai dans un coin de la pièce en silence, chassai une larme solitaire, ravalai la nausée de l’épuisement. Ekrest n’avait pas répondu à mon appel. Était-ce parce qu’il n’était pas encore parvenu au Helheim, après deux semaines ? Improbable. Ou était-ce parce que je ne lui avais pas encore offert des funérailles correctes ? Je me mordis les lèvres, peinée. La seule chose qu’il m’avait laissée était ce douloureux vertige qui me prenait dès que j’étais debout.
Ruminant des souvenirs heureux, qui prenaient maintenant une teinte mélancolique, je faillis rater le tournant qu’avait pris la conversation des Kaldtjis. Mais la tournure d’une phrase du revenant me fit dresser l’oreille malgré tout.
— Tu as été affecté quelque part ? venait de demander Selvigia.
Gimöd secoua la tête.
— Pas pour le moment, mais ça ne va pas tarder, je pense.
— Comment ça ? demandai-je, curieuse, sans bouger de mon coin.
Gimöd se tourna vers moi.
— Helheim est dans un chaos infernal. Apparemment, la nomination de l’Élu de Loki est en passe d’avoir lieu. Et, entre les commandants qui revendiquent un poste plus haut placé, les envoyés de dame Hel qui essaient de mettre de l’ordre et les autres fantômes qui sont appelés à prendre leur service, c’est le foutoir absolu. Tout le monde se prépare à la dernière bataille, même si personne ne sait quand elle aura lieu.
Je fronçai les sourcils, sceptique. L’Élu de Loki était une vieille légende urbaine de notre monde, un mythe transmis de bouche à oreille depuis la nuit des temps, sans réel fondement. On racontait qu’il ou elle aurait le pouvoir de transcender les prophéties des Nornes, d’altérer le cours du Ragnarök et de vaincre les dieux. Mais notre père avait prouvé des années auparavant, avec le meurtre de Baldr, que nul n’échappait à son destin, pas même lorsqu’il était béni par les dieux. Être l’Élu, c’était une chimère, un rêve fou pour quelques uns des miens, un espoir illusoire de pouvoir contrer une destinée déjà établie depuis longtemps.

| † | † |

<= C'est marrant, en même temps que je poste ce bout de chapitre, je corrige un autre passage qui se passe aussi dans le Labyrinthe… :lol:
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louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki

Message par louji »

vampiredelivres a écrit :
CHAPITRE 4
(suite)


Nous progressions en silence, d’un pas assuré. Malgré les nombreux embranchements, bifurcations, croisements et nœuds par lesquels le Labyrinthe nous menait, nous savions toujours plus ou moins où nous allions. Les chemins changeaient régulièrement, mais certaines configurations réapparaissaient assez souvent. Aujourd’hui était l’une de celles que Selvigia connaissait le mieux, aussi était-elle celle qui menait. Elle marchait vite, plongée dans ses pensées, ses cheveux bruns voletant autour de ses épaules, seulement éclairée par la petite flamme qu’elle semblait tenir entre ses mains.
Malgré l’ambiance sombre et l’obscurité qui régnait autour de nous, je me permis une ombre de sourire. Selvigia était l’une des rares avec qui Ekrest me laissait vadrouiller, petite. Il n’avait jamais fait confiance à quiconque d’autre pour me surveiller. Ainsi, j’avais une quantité impressionnante de souvenirs d’heures passées dans le dédale de verdure avec elle. Gamine, c’étaient des parties de cache-cache géantes. Adolescente, des courses contre-la-montre et des énigmes à résoudre. À chaque fois, ça se terminait par des démonstrations magiques, que ce soit la métamorphose, la manipulation d’énergie ou la pyrokinésie.
Une fois, j’avais mis le feu accidentellement :arrow: Oups :lol: à la bordure est. Le temps que les flammes meurent, un tiers du dédale avait brûlé. Kaiser avait failli m’étriper sur-le-champ, mais comme les murs s’étaient reformés dès le lendemain, elle m’avait pardonnée. Enfin, presque. J’avais été de corvée de nettoyage des prisons pendant deux semaines. Une horreur.
— Il m’a vraiment demandé de sortir avec lui ?
Perdue dans mes pensées, je mis un moment à réaliser que Selvie s’adressait à moi. Et qu’elle attendait une réponse, malgré la sonorité rhétorique de sa question.
— Est-ce que tu aurais pu l’envisager ?
Elle rejeta une mèche de cheveux en arrière en soupirant, observa les minces tranches de ciel bleu qui transparaissaient encore à travers la verdure.
— C’est un arriviste insupportable… Il l’était déjà avant de tuer Gimöd. Donc non. Tu savais qu’il comptait me demander ça ?
Je me mordis les lèvres, partagée entre honte et agacement envers moi-même. N’entendant que mon silence, Selvigia s’arrêta, se retourna. Ce n’était pas une boule de feu dans le creux de sa paume qui l’éclairait. C’étaient ses mains entières qui étaient entourées d’un halo rougeâtre. Les flammes dansaient autour de ses doigts, s’enroulaient autour de ses poignets, virevoltaient, comme animées d’une vie propre. Je cillai.
— Oui, admis-je finalement. Et je suis désolée de ne pas te l’avoir dit. Je ne savais pas que c’était Levi qui…
Elle sourit, claqua des doigts juste sous mon nez. Des étincelles volèrent. Je me tus.
— Tu ne pouvais pas savoir. Tu avais… quoi, douze ans ?
— Neuf.
— Pareil. Tu n’avais même pas accès aux dossiers classiques, non ?
— Ça dépendait du dossier, admis-je en fronçant le nez.
— Voilà. Tu ne savais pas. Arrête de t’excuser.
Elle écarta les bras pour un câlin. Je ne bougeai pas, regard fiché sur ses mains incandescentes. Elle baissa les yeux, curieuse, puis éclata de rire, et fit disparaître les flammes. Alors seulement, j’avançai, la serrai dans mes bras, trop heureuse de voir qu’elle ne m’en voulait pas.
— Mais la prochaine fois que tu as une info dans ce genre, tu ne la gardes pas pour toi, sinon je te fais la peau… me murmura-t-elle à l’oreille avant de se détourner.
La remarque avait une étrange sonorité de sermon. J’esquissai un sourire, me remis en marche à sa suite.
Nous continuâmes à avancer ainsi, sans parler, précédées uniquement des craquements de feuilles et branches mortes sous nos pas, jusqu’à parvenir à la berge d’un petit ruisseau qui serpentait sous les épais murs. Selvigia haussa les sourcils. J’acquiesçai. Fis disparaître mes chaussures et mon pantalon, mis les pieds dans l’eau. Puis, simultanément, j’envoyai le reste de mes vêtements dans la dimension magique et me métamorphosai en saumon :arrow: Pardon ? :lol: J'ai bugué sur le coup, je m'y attendais pas, bien trouvé !.
Immédiatement, l’eau me submergea, m’entraîna vers l’aval. Je claquai des dents, agacée. Donnai un grand coup de queue pour me propulser vers l’avant, à contre-courant.
Pour une raison obscure, la métamorphose en poisson était l’une des seules choses qui me permettaient de lutter contre ma phobie de l’eau. C’était ainsi qu’Ekrest m’avait – presque totalement – guérie. À force de plongeons et de transformations. Ainsi, à la longue, j’en étais venue à tolérer la sensation d’immersion, même si elle ne m’était jamais agréable. Alors que sous ma forme actuelle… je m’en fichais totalement. Probablement parce que les poissons avaient une affinité naturelle avec l’eau. Et peut-être aussi parce que je n’avais pas d’eau dans le nez, ce qui était encore aujourd’hui l’un de mes plus grands problèmes.
L’esprit totalement libéré des contraintes habituelles que m’imposait la plongée, je pus ainsi remonter tranquillement le cours du ruisseau, jusqu’à un grand lac profond. Là, je bondis hors de l’eau, me transformai à nouveau en plein saut, n’accordant que l’ombre d’une pensée aux vêtements qui apparaissaient à même ma peau en même temps, et roulai au sol.
— Ça va ? demanda Selvie, qui était arrivée un instant avant moi.
— Et toi ? relevai-je, un brin provocatrice.
Elle me lança un sourire étincelant, parfaitement consciente de ma terreur habituelle de l’eau. Je me relevai, jetai un long regard autour de moi. Nous étions arrivées dans une clairière obscure, prise entre deux collines sur lesquelles les murs poussaient légèrement en biais. De l’une des collines jaillissait une petite cascade, qui se déversait dans le bassin duquel nous venions de sortir. Les chutes de Franagr. Un nom pompeux, pour un filet d’eau comme celui-ci, mais là n’était pas le plus important.
Non, ce qui était intéressant, c’était la cabane construite juste à côté du lac. Une construction toute simple, quatre murs, une porte et trois fenêtres. Mais ce n’était pas juste une cabane. C’était la cabane. Celle dans laquelle notre père s’était réfugié, des millénaires plus tôt, après avoir insulté les Ases et tué deux serviteurs d’Ægir durant une réception. Un lieu sacré, pour nous, ses enfants. Un refuge en cas d’extrême nécessité, même si nous étions peu à connaître sa localisation exacte.
Je claquai des doigts, et une flamme apparut dans l’âtre :arrow: Elles sont entrées dans la cabane ? Ce n'est pas très clair ^^, jaillissant du néant. Pendant ce temps, Selvigia sortit un poignard noir, et dessina dans le sol meuble un pentacle entouré de runes. Puis, elle fit apparaître une plume, et moi une coupelle, dans laquelle je puisai un peu d’eau du bassin, avant de revenir la placer à l’une des pointes de l’étoile à cinq branches.
Ce lieu avait toujours été notre lieu de rendez-vous. C’était ici que nous avions construit ce qui ressemblait le plus à de l’amitié pour moi : une solide relation fraternelle. Mais aujourd’hui, il y avait une autre ambiance. Plus lourde, plus mélancolique. J’avalai difficilement ma salive, soudain nerveuse, me préparant à ce qui allait suivre.
— Tu veux commencer ?
Je hochai la tête. Tendis la main. Une flamme, échappée du feu dans l’âtre, flotta jusqu’au pentacle, pour venir se déposer sur l’une des pointes encore libres. Bras toujours étendu au-dessus du pentacle, j’attrapai la lame de Selvigia, m’entaillai l’avant-bras d’un geste fluide, qui aurait presque pu paraître assuré, s’il n’y avait pas eu mes doigts tremblants sur le manche. Le sang coula le long de mon bras, goutta lentement jusqu’au cœur du pentacle, grésilla en touchant le sol. Je me focalisai sur un seul visage. Les paroles rituelles, en vieux norrois, s’échappèrent en une lente litanie, rythmée uniquement par les sonorités rauques entre mes lèvres serrées. Je n’y réfléchissais pas vraiment. Seul le visage m’importait.
Je sentais le sort drainer mon énergie magique, lentement, mais sûrement. Chaque répétition supplémentaire de l’enchantement m’arrachait une parcelle de plus. D’abord vint le mal de tête, désagréable, mais pas invivable. Une demi minute plus tard, le mal de ventre, déjà plus douloureux. Puis, je commençai à trembler sur mes jambes alors que l’angoisse s’infiltrait, insidieuse. Mon estomac déjà contracté se noua encore un peu plus.
Il ne venait pas.
J’insistai. Répétai, encore une fois, la formule d’appel. Terminai ma phrase, aspirai une goulée d’air qui me parut être trop pauvre en oxygène. Fermai les yeux.
Encore une fois.

— Lily ?
Je vacillai. Me pris les pieds, sans trop savoir comment, dans une aspérité du sol. Ou avais-je buté sur mes propres orteils ? Je n’en avais aucune idée. La seule chose que je savais, c’était qu’il n’était pas là. Le bourdon dérangeant qui avait envahi ma tête m’empêchait de réfléchir correctement. Je basculai. Sentis, comme à travers un brouillard cotonneux dans mon crâne, les bras qui me rattrapaient in extremis. M’allongeaient, doucement, au sol. Et Selvigia prit ma place. Sa voix, plus douce, recommença à psalmodier. Une seule variation, dans la phrase rituelle : ce n’était pas Ekrest qu’elle appelait, mais son frère.
J’entrouvris à peine les paupières, juste assez pour voir des rubans de brume, sombres et épais, s’engouffrer à l’intérieur de la cabane par la porte et les fenêtres ouvertes. Ils s’enroulèrent autour de nous, très brièvement. Je sentis l’un d’entre eux passer près de ma joue, me frôler d’une caresse glaciale. Je frissonnai. Mais déjà, le brouillard se concentrait à l’intérieur du pentacle, s’accumulait, jusqu’à former une immense masse tourbillonnante, dessiner vaguement une pâle silhouette humaine, d’un rouge sombre, sanguin, aux contours brouillés. Je me redressai sur un coude, tiraillée par un douloureux mal de crâne.
Flash. Aveuglant.
Gimöd Kaldtjis venait de se matérialiser.
Selvigia parut tout juste se retenir de sauter dans les bras de son frère. Au lieu de cela, elle se contenta d’un salut formel.
— Gimöd.
— Selvigia, gronda son frère, je t’ai déjà dit de ne pas m’invoquer comme ça. Tu vas t’épuises pour rien…
Je me remis debout, encore chancelante, jetai un regard préoccupé à mon amie. Même dans la faible lumière du lieu, elle était pâle. Je m’approchai, posai une main sur son épaule.
La fumée m’empêchait de distinguer les couleurs, mais j’imaginais sans difficultés un regard gris acier, perçant, et des cheveux bruns. Il était tel que Selvie me l’avait décrit, tant dans son apparence que dans ses manières : un grand frère protecteur. Et, étrangement, il ressemblait beaucoup à Ekrest dans ses attitudes. Cette nuance réprobatrice dans sa voix, je l’avais bien souvent entendue dans le ton de mon mentor. Si souvent que j’en eus mal. Pourquoi n’était-il pas venu, lui, alors que je l’avais invoqué ?
— Je sais. Mais tu ne vas pas me reprocher de vouloir être avec toi, non ?
Elle laissa passer un silence, mais il ne répondit rien. Malgré son commentaire désapprobateur, ses yeux de fumée scintillaient du plaisir contenu de voir sa sœur. Et elle le voyait aussi bien que moi. Avec un sourire triomphant, elle reprit d’un ton bien trop pompeux :
— Gimöd, je te présente Lilith, première Élite de la Confrérie.
Je roulai des yeux, mais ne relevai pas. Je commençais doucement à m’y faire.
— Enchanté, sourit-il. Je te serrerais bien la main, mais…
Je lâchai un bref éclat de rire, presque un aboiement. Même dans la mort, il avait gardé une touche de cet humour si particulier dont m’avait parlé sa sœur.
— Lily, tu sais qui est Gimöd.
Un hochement de tête suffit à conclure les présentations. Je les écoutai discuter un moment, reculai pour leur laisser un semblant d’intimité. Selvie m’avait implicitement autorisée à rester, mais je me sentais de trop. Ils étaient heureux, tous les deux, ensemble pour la première fois depuis des années. Et je ne faisais pas partie de cette famille-là.
Je me repliai dans un coin en silence, ravalant une larme solitaire et un goût amer. Ekrest n’était pas venu. N’avait pas répondu à mon appel. Était-ce parce qu’il n’était pas encore parvenu à Helheim, après deux semaines ? Improbable. Ou était-ce parce que je ne lui avais pas encore offert les funérailles correctes ? Je me mordis les lèvres, peinée. La seule chose qu’il m’ait laissée était ce douloureux vertige qui me prenait à chaque pas.
Ruminant des souvenirs heureux, qui prenaient maintenant une teinte mélancolique, je faillis rater le tournant qu’avait pris la conversation des Kaldtjis. Mais la tournure d’une phrase du revenant me fit dresser l’oreille malgré tout.
— Le monde des morts s’agite…
— Comment ça ? demandai-je, curieuse, me rapprochant à nouveau.
— Apparemment, la nomination des Élus ne va pas tarder. Helheim est dans un chaos infernal, entre les soldats fantômes qui revendiquent un poste plus haut placé, les envoyés de dame Hel qui essaient de mettre de l’ordre et les autres fantômes qui sont appelés à prendre leurs uniformes et se mettre en service.
Je fronçai les sourcils. La désignation des Élus impliquait le début d’une quête mystérieuse qui aboutirait à la libération de Loki et au début du Ragnarök, la fin du monde prophétique. Jusqu’à maintenant, elle avait plus été considérée comme une légende urbaine du monde mythologique, même si elle alimentait un nombre important de ragots. Et causait des rêves fous chez une grande partie de demi-dieux. Dont moi.
— Tu as été affecté quelque part ?
Gimöd secoua la tête à la question de Selvigia.
— Pas pour le moment, mais ça ne va pas tarder. Les visites de dame Hel sont rares, mais les quelques fois où elle passe, elle est survoltée. Tout mort proche dans un rayon de vingt mètres autour d’elle est désintégré sans qu’elle ne fasse quoi que ce soit volontairement. Elle irradie littéralement. Et on dit que c’est encore pire sur Asgard et à Vanaheim, où les dieux se chamaillent maintenant sans cesse.
— Tant qu’ils s’occupent entre eux, ça vaux mieux pour nous, je grommelai. Je me demande qui sont les Élus…
Selvigia ricana, soudain moqueuse.
— Est-ce que tu te poses vraiment cette question ?
Je haussai un sourcil. En voyant mon air interloqué, elle leva les yeux au ciel et soupira, presque blasée. Je lui retournai une grimace faussement coupable. Être l’Élue, celle qui mènerait les armées de Loki au combat lors du Ragnarök, la fin du monde prophétique… C’était une chimère. Mais une chimère qui m’avait toujours poussée à donner le meilleur de moi-même. Aussi, lorsque ma meilleure amie me répondit, je ne pus retenir une pointe d’espoir.
— Tous les Loki parient sur toi. Et moi aussi.

| † | † |


C'est marrant, en même temps que je poste ce bout de chapitre, je corrige un autre passage qui se passe aussi dans le Labyrinthe… :lol:
Pouh ! Me voilà enfin :roll:

Ah oui, ton chapitre 4 devait être balaise si tu l'as divisé en 2 ^^

Le passage du sort est très sympa, bien décrit, envoûtant...

C'est intéressant que ce soit cette cabane qui serve de point de rencontre avec les morts... C'est gardé plutôt secret, je suppose ? ^^

Pour la nomination des Elus, ça promet du bazar :lol: Du coup, quand on parle d'"Elus", il faut comprendre la(es) personne(s) qui dirigera(ont) les armées fantômes pour Ragnarök ? :)

Ohlala, j'ai plein de choses à dire, mais la tête vide... :')

Ah oui, pour les demi-dieux... Tu expliqueras un peu comment fonctionne la relation entre le monde "mortel" (Midgard) et ceux "divins"... Il y a des demi-dieux de toutes origines ? Qui est le parent mortel de Lilith ?
Héhé, j'ai plein d'interrogations en tête :D

A bientôt ;)
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Re: Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de Loki [Fantasy / Action / Espionnage / Mythologie]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit :
vampiredelivres a écrit :
CHAPITRE 4
(suite)


Nous progressions en silence, d’un pas assuré. Malgré les nombreux embranchements, bifurcations, croisements et nœuds par lesquels le Labyrinthe nous menait, nous savions toujours plus ou moins où nous allions. Les chemins changeaient régulièrement, mais certaines configurations réapparaissaient assez souvent. Aujourd’hui était l’une de celles que Selvigia connaissait le mieux, aussi était-elle celle qui menait. Elle marchait vite, plongée dans ses pensées, ses cheveux bruns voletant autour de ses épaules, seulement éclairée par la petite flamme qu’elle semblait tenir entre ses mains.
Malgré l’ambiance sombre et l’obscurité qui régnait autour de nous, je me permis une ombre de sourire. Selvigia était l’une des rares avec qui Ekrest me laissait vadrouiller, petite. Il n’avait jamais fait confiance à quiconque d’autre pour me surveiller. Ainsi, j’avais une quantité impressionnante de souvenirs d’heures passées dans le dédale de verdure avec elle. Gamine, c’étaient des parties de cache-cache géantes. Adolescente, des courses contre-la-montre et des énigmes à résoudre. À chaque fois, ça se terminait par des démonstrations magiques, que ce soit la métamorphose, la manipulation d’énergie ou la pyrokinésie.
Une fois, j’avais mis le feu accidentellement :arrow: Oups :lol: Mais tellement :lol: à la bordure est. Le temps que les flammes meurent, un tiers du dédale avait brûlé. Kaiser avait failli m’étriper sur-le-champ, mais comme les murs s’étaient reformés dès le lendemain, elle m’avait pardonnée. Enfin, presque. J’avais été de corvée de nettoyage des prisons pendant deux semaines. Une horreur.

Nous continuâmes à avancer ainsi, sans parler, précédées uniquement des craquements de feuilles et branches mortes sous nos pas, jusqu’à parvenir à la berge d’un petit ruisseau qui serpentait sous les épais murs. Selvigia haussa les sourcils. J’acquiesçai. Fis disparaître mes chaussures et mon pantalon, mis les pieds dans l’eau. Puis, simultanément, j’envoyai le reste de mes vêtements dans la dimension magique et me métamorphosai en saumon :arrow: Pardon ? :lol: J'ai bugué sur le coup, je m'y attendais pas, bien trouvé !. Merci :mrgreen:
Immédiatement, l’eau me submergea, m’entraîna vers l’aval. Je claquai des dents, agacée. Donnai un grand coup de queue pour me propulser vers l’avant, à contre-courant.

Je claquai des doigts, et une flamme apparut dans l’âtre :arrow: Elles sont entrées dans la cabane ? Ce n'est pas très clair ^^ Oui, elles sont entrées, c'est vrai que ce n'est pas très clair ^-^, jaillissant du néant. Pendant ce temps, Selvigia sortit un poignard noir, et dessina dans le sol meuble un pentacle entouré de runes. Puis, elle fit apparaître une plume, et moi une coupelle, dans laquelle je puisai un peu d’eau du bassin, avant de revenir la placer à l’une des pointes de l’étoile à cinq branches.
Hey hey !
Comme je te le dis toujours, prends ton temps :)
Pareil, le chapitre 7 fait aussi trois kilomètres de long, je ne sais pas si je vais le poster en une fois ou deux… XD
Merci, j'ai adoré l'écrire !
En fait, ce n'est pas spécialement la cabane, c'est juste Lily et Selv' qui utilisent cet endroit. Et, comme l'a dit Lily, le lieu n'est pas très connu parce que peu de gens osent s'aventurer dans le Labyrinthe, malgré les siècles écoulés ^-^
Exactement ;)
N'hésite pas à poser toutes les questions que tu veux, j'y répondrai en général soit dans le texte, soit à part, en commentaire ^-^ Oui, il y a des demi-dieux descendant de tous les dieux "majeurs" du panthéon nordique, c'est eux qui forment les fameuses Maisons. La mère de Lilith… on ne va pas la rencontrer, mais il y aura quelques mentions d'elle. Notamment comment elle est morte (le fameux chapitre sept…)
Merci pour ton passage !
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