Chap.2 Iceberg au menu
PDV : Lisa
_J’ai une grande nouvelle à vous annoncer, s’exclame la grand-mère à ses petits-enfants après avoir commandé du champagne. J’arrive à un certain âge, qui peut savoir combien de temps il me reste ? un jour ? un mois ? un an ? J’ai pensé que ce serait une bonne idée de venir vivre au palais avec vous.
La petite voix stridente d’Emmanuel retentit, si fort que mes tympans en souffrirent. Du coin de l’œil, je vois son père déglutir péniblement. Il devient rouge, son visage gonfle pour devenir une grosse tomate sur le point d’éclater. Je le regarde avec amusement, je ne pense pas qu’il était au courant des projets de sa maman… Pauvre chou… Le roi et moi avons une relation… conflictuelle, c’est le cas de le dire.
_Oh, oui ! Grand-mère va rester avec nous, crie Manue avec joie.
N’est-il pas adorable, ce petit ? Les yeux du roi sortent de ses orbites. Il n’a pas l’air ravi à l’idée qu’elle puisse rester. Il enroule ses mains autour de son cou, il essaie de tousser sans succès. Son visage se peint dans des expressions très réalistes et comiques. Est-ce que c’est un code pour dire qu’il a envie de l’étrangler ? Je ne le pensais pas si doué pour le mime ! La vieille dame regarde son petit-fils avec un sourire attendrissant.
_Tu le penses vraiment ?
Il secoue sa tête de haut en bas en montrant ses dents blanches. Le roi quant à lui, se met à faire de grands gestes pour attirer l’attention. Personne ne s’en préoccupe. Il me montre un morceau de pain sur la table. Pourquoi me montre-t-il du pain ? J’en ai, merci. Il continue de montrer la nourriture puis sa gorge. Est-ce qu’il… s’étouffe ?! Eh, merde ! Est-ce que je devrais le sauver d’une mort imminente… ? L’idée de le laisser agoniser pendant qu’on mange tranquillement est très tentante… Je coupe la parole de la vieille quand elle se remets à babeler.
_Sa majesté est en train de s’étouffer, annoncé-je avec naturel avant de boire une gorgée d’eau, l’air de rien.
J’aurais pu sortir en toute simplicité
‘’Il fait beau, aujourd’hui’’ que ça aurait eu le même effet. Ils tournent tous la tête vers lui, personne ne réagit. Bon, ben s’ils ont décidé de le laisser crever ce n’est pas ma faute. J’ai fait ma part, bien plus que je ne le devrais. Son sort est entre les mains de sa famille, ce n’est plus mon problème. Édouard prenant conscience de la situation se lève lentement et se met derrière son père. Il glisse sa main sous le bras du roi pour la poser sur sa gorge. Il le fait pencher en avant et lui administre cinq grandes tapes entre les omoplates. Je suis sûr qu’il tape plus fort qu’il ne le devrait… Le roi va-t-il mourir d’asphyxie ou de coups et blessures ? Mystère… Édouard peste avant de passer ses bras autour de son père et d’enfoncer ses poings pour les remonter dans son ventre. Le roi crachote. Un projectile humide et non n’identifié prend son envol pour rencontrer mon œil. Beurk ! Je cligne des paupières puis me frotte frénétiquement l’œil. Je sens l’objet tombé dans mon décolleté. Oh, non ! Je sors délicatement le morceau de pain. Il est rempli de bave, du roi en plus. Je le jette sur la table en faisant une moue dégoûtée. Emmanuel, James, William et Charlotte éclatent de rire. Quand je relève les yeux, je croise le regard moqueur du prince Édouard sur moi. Son rictus amusé disparaît bientôt par un regard noir quand nos yeux se rencontrent. Pfff… James me tend une serviette en gloussant.
_Tu ne peux pas faire ça, s’horrifie le roi encore rouge.
Sa mère, l’ancienne reine, lui jette un regard dédaigneux. Attendez… est-ce qu’il s’est étouffé car il a appris que sa maman comptait rester ? C’est ça que j’appelle de l’amour !
_Et pourquoi donc ? Tu accueilles bien des jeunes filles sans le sou, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas rester pour profiter de mes petits-enfants, rétorque-t-elle.
Jeunes filles sans le sou… elle parle de moi, là ?! J’ai beau la foudroyer du regard, elle reste de marbre. Est-ce que Julien avait raison quand il disait qu’elle allait me détester car je fricotais avec son petit-fils ? L’enfoiré avait juste, Mamie Dragon me méprise.
_Ce n’est pas la même chose, mère ! Vous devriez aller vous amuser à votre âge, profiter de la vie ! Les enfants vont vous fatiguer, ce n’est pas votre rôle de vous en occuper.
_Ils sont adorables, je ne vois pas ce que tu leur reproches. Et puis, je ne pense pas t’avoir demandé ton avis, rétorque-t-elle en jugeant.
Son fils serre sa serviette dans son poing. Il se contient d’éclater sa mauvaise humeur.
_Pourquoi ne pas aller chez Anémone, mère ? Ses enfants sont plus âgés, alors qu’Emmanuel…
_Je te dis que non. Les enfants de ta sœur ont beau être gentils, ils ne sont pas aussi beaux qu’eux. Ses enfants manquent cruellement de classe et de… vitalité. On voit que les tiens ont tous pris de ta femme, ils ne peuvent clairement pas être aussi adorable grâce à toi. Ma décision est prise, je viendrais au palais.
Je jette un coup d’œil au grand rouquin à côté de moi. James contemple la scène avec humour. Bien que le roi soit têtu, il l’est beaucoup moins que sa mère. Nous savons que quoiqu’il arrive, elle réussira à intégrer le palais. Il faut le dire, bien qu’elle soit vieille et menue, elle a un caractère bien trempé. Léopold, le roi veut ajouter quelque chose mais elle ne lui en laisse pas le temps.
_De quoi as-tu peur au juste ? Que mon autorité dépasse la tienne ? Cingle-t-elle, le regard perçant d’intelligence.
Il reste bouche-bée, ne sachant qu’avaler les mouches qui passent dans le coin. Il finit par se reprendre.
_Absolument pas, mère ! C’est simplement parce qu’une dame de votre âge ne devrait pas… s’occuper d’enfant. Elle devrait être au repos chez elle à… à faire des choses de dame, répond-t-il durement.
_À tricoter, tu veux dire ? Je pensais que je devais profiter de ma vie, mais toi, tu me conseilles de rester à la maison devant un thé fumant à me morfondre sur le passé ? Ne comprends-tu donc pas que j’ai déjà assez perdu des êtres chers dans ma vie ?! Je ressasserais sans arrêt les souvenirs de feu mon mari, geint-elle en essuyant une larme imaginaire sur sa joue. Il était si bon avec moi, avec toi. Il aurait honte de te voir ainsi ! À vouloir me mettre dans un home loin de ma famille ! Et mon petit Amedeo, il était si jeune. Lui n’aurait jamais permis qu’on m’envoie dans ces maisons de retraite. C’est l’endroit facile pour se débarrasser de sa pauvre mère qui a déjà tellement souffert ! Je suis sûre que tu y penses mais que tu ne le fais pas à cause de la presse !
Même si, je n’apprécie pas spécialement Mamie Dragon -bien qu’elle remette toujours son fils à sa place- elle me fait de la peine. Cela doit être tellement dur pour elle d’avoir perdu son fils, Amedeo. Édouard m’a expliqué que son oncle -qui était le roi avant que son père le succède après sa mort- est décédé d’un accident de voiture le jour même où Édouard naissait. Sa grand-mère se recroqueville sur sa chaise en sanglotant faussement derrière son mouchoir. Elle pousse quelques soupirs chargés de chagrin, elle est très habile.
_Bien sûr que ta mère peut habiter avec nous, coupe court la reine.
Sa belle-mère fait un petit sourire puis tapote ses joues à la recherche de larmes qui n’ont jamais couler. Quelle manipulatrice… Je sais d’où Emmanuel tient ses talents de comédien. Je me disais bien qu’un esprit aussi sain que le sien ne pouvait pas apprendre tout seul de si viles manières !
_Oh, c’est si gentil de votre part Camille. Je vous ai toujours beaucoup apprécier, vous avez tellement plus de cœur que mon fils. Je pense que la décision appartient aux enfants, non ?
Elle se tourne vers Édouard en prenant son couteau en main. Elle le pointe discrètement sur son petit-fils.
_Est-ce que tu veux que je vienne vivre avec vous au palais ? Demande-t-elle innocemment en le menaçant de son arme.
Il regarde l’outil tranchant le visant, d’un œil sceptique. Il relève la tête et lui fait un sourire hypocrite en poussant doucement la lame dans une autre direction.
_Bien sûr, grand-mère. Pouvez-vous juste, pointer autre chose avec votre couteau ?
Sa grand-mère prend un air effaré en mettant sa main sur sa poitrine.
_Grand Dieu ! Je n’y avais pas fait attention !
Ils s’échangent un regard entendu. Est-ce qu’elle ne pourra pas le lui planter dans le torse ? Ça m’éviterait de m’inquiéter pour ma vie à chaque instant. Bizarrement, ses autres petits-enfants n’ont pas une onde d’hésitation en acceptant qu’elle vienne séjourner chez eux... On pourrait presque croire qu’ils ont peur d’elle… Des serviteurs chargés de nos plats entrent dans la salle. Quelques-uns d’entre eux me jettent des coups d’œil charmeur. Certains vont même jusqu’à loucher ouvertement sur mon décolleté. Je commence à regretter d’avoir mis cette robe échancrée. Je regarde Édouard en attente de réaction, je ne sais pas pourquoi mais… je m’attendais à quelque chose de sa part. Ne fusse que des regards menaçants destinés aux serveurs. À la place, il contemple son assiette fumante. Je m’oblige à faire de même, bien que je sente mon cœur se trouer de balle. Ah, quelle ironie quand on sait de quoi il est capable… !
Je commence à manger en silence quand la reine m’interpelle.
_Ton frère rentre pendant les vacances de Noël en Lucianie ?
Mon grand frère, Lucas, fait des études d’avocat en Belgique. Comme nos deux pays sont en lien, les diplômes sont acceptés aussi bien ici que là-bas.
_Je n’en n’ai aucune idée, avoué-je gênée. Je sais qu’il avait envie de rentrer au pays mais… il a blocus, grimacé-je.
Ce n’est pas la vraie raison. Mon frère aime vraiment ses études et il se donne du mal pour étudier pendant toute l’année. Il suffit qu’il relise ses cours pour qu’il réussisse. La vérité, c’est que mon père ne voudra jamais l’héberger à la maison et qu’il n’a pas les moyens de se payer une chambre d’hôtel pour deux semaines.
_Il pourrait venir au palais, il saura étudier à son aise et profiter de sa sœur. C’est important. Mon frère et moi, nous nous octroyons toujours des moments ensemble, me dit-elle.
Je n’ai pas besoin de tourner la tête vers James que je sais qu’il est chagriné. Son père après avoir appris qu’il était gay n’a plus donné signe de vie. Cela fait plus d’un mois qu’il vit chez sa tante sans nouvelle. Je cherche sa main sous la table et lui serre avec affection.
_Ce serait génial mais…
_Il n’y pas de soucis. Je pense qu’avec tout ce qui s’est passé et ce que tu as fait pour ma fille, tu mérites de voir ton frère. L’argent m’importe peu, prends ça comme un… remerciement.
Un long silence s’ensuit, comme si tout le monde se remémorait cette soirée. J’hoche la tête en acceptant son offre. Je me rappelle comment Édouard m’a serré contre lui, m’a veillé toute la nuit, comme.... C’est au tour de James de m’étreindre la main. Leur grand-mère voulant changer de conversation se met à parler avec le roi de ses visites officielles.
_Je dois assister au cinquantenaire de l’Orphelinat des Enfants de Marie demain. Je vais visiter les lieux et certainement discuter avec les animateurs et les enfants démunis. Je devrais sûrement donner des fonds et choisir des cadeaux pour les enfants, dit-il d’un ton las comme si c’était sa routine quotidienne.
Derrière son air détaché, on remarque bien qu’il se la joue.
_Ce ne sont pas des enfants démunis, ils ont perdu leurs parents ! s’offusque Mamie Dragon.
_Certains préféraient ne pas en avoir, marmonne Édouard pas très discrètement.
Son père se tourne vers lui. Il n’a pas le temps de vouloir en débattre que la grand-mère réagit.
_Tu ne peux pas lui donner tort, le prévient-elle. Édouard t’accompagnera, déclare sa mère. Parler ou comprendre des enfants n’a jamais été ton fort. Au moins ton fils est empathique. Ce n’est pas toi qui vas réussir à parler à des petits ayant perdu leurs parents, ou s’étant fait battre, lance-t-elle d’un regard perçant. Surtout vu ta haute estime envers eux.
Ce dîner est de mieux en mieux, ma parole ! Sait-elle aussi qu’Édouard se fait battre par son fils ? Le roi Léopold préfère demander la carte des desserts que de répondre. Un jeune serveur m’apporte mon sorbet et la glace à la vanille d’Emmanuel. Il marche lentement vers nous, un sourire dragueur sur les lèvres. Ses yeux s’attardent sur mon décolleté plongeant quand il tend le bras pour déposer la glace de Manue. Il me regarde niaisement en renversant le dessert dans mon décolleté. J’ouvre grand la bouche en sentant les deux boules de glaces se faufiler dans mon soutien. Putain… ! Je pousse un petit couinement en remuant les bras, comme un oiseau qui apprend à voler. Je sursaute sur ma chaise, elle bascule en arrière avec moi dessus. Un brut mat retentit quand j’atterris sur le dos contre le dossier. Dans ma chute, mon pied cogne le bras du serveur qui lâche le reste des desserts sur moi. Mes jambes sont écartées dans les airs, faisant revenir le bas de ma robe vers moi. Oh, pitié ! Faîtes que personne ne voit ma petite culotte ! Heureusement que je n’ai pas mis de string ! Quoique mon dessous rose bonbon avec des cœurs ne soient pas non plus le top. J’essaie de rabattre ma robe mais elle ne fait que revenir vers moi. La honte… James se penche sur moi pour cacher la vue aux autres et me relever. Je sautille sur place en essayant de retirer l’une des boules glacées qui commencent à fondre. De quoi j’ai l’air, à fouiller mon soutien-gorge ?! Dans un cri satisfait, je réussi à en agripper une, je la prends et la lance le plus loin possible de moi. Je trouve la deuxième et lève la tête en la jetant. Le serveur l’évite de justesse malheureusement ce n’est pas le cas de… Oh mon dieu ! Oh, non, non, non ! Elle a atteint la pire personne dans ce bas monde. Les mâchoires serrées, il prend une serviette d’un air furieux pour essuyer son visage. Édouard tourne un visage venimeux dans ma direction. Le serveur se lance dans une panoplie d’excuses mais je suis beaucoup plus préoccupée par l’air vengeur du prince.
Je tire sur ma robe rouge pour l’éloigner le plus possible de mon corps. Je marmonne que je vais aux toilettes pour essayer de nettoyer tout ça. Je pousse sans ménagement le serveur qui est sur mon passage pour quasiment courir jusqu’au wc. À peine ais-je fermé la porte, qu’elle se rouvre. Je tourne la tête pour rencontrer le regard tueur d’Édouard. Je crois que je vais m’évanouir…
_Sans cette tenue provocante, rien de tout cela ne serait arrivé, cingle-t-il en se tapotant le visage de sa serviette.
Quoi ?! Une tenue provocante ?! Est-ce ma faute si le serveur était obnubilé par ma poitrine ?! D’habitude j’aurais frémi de l’avoir en face de moi mais là, je suis beaucoup trop furieuse pour ménager son humeur.
_Qu’est-ce que tu veux dire par là ?!
Est-ce qu’il insinue que je m’habille comme une pute ?! Il lève les sourcils, l’air de dire que ça tombe sous le sens. Je le regarde choquée avant d’abattre ma main sur sa joue. Au même moment, sa famille ouvre la porte. Ils nous regardent stupéfaits. Édouard ne bouge pas, sa tête est déviée sur le côté. Je recule d’un pas en comprenant mon geste. Il finit par m’envoyer au visage sa serviette et partir sans cérémonie, je sens le regard de toute sa famille sur moi… Je l’ai giflé devant eux. Le rouge me monte aux joues. Je porte mes mains à mon visage. Je suis sur le point de partir en pleurs quand James s’approche de moi pour me serrer dans ses bras et m’éloigner d’eux. Il s’engouffre avec moi dans les toilettes des filles. Après m’être ramassé un morceau de pain baveux, puis de la glace, être tombée à la renverse, avoir montré ma petite culotte à toute la famille royale et avoir visé le prince avec des boules de glace. Voilà que je le gifle. Qui parie que je vais mourir avant la fin du mois et pas par cause naturelle ? Si ce n’est pas de honte, ce sera entre les mains furieuses d’un prince. Je vous ais déjà dit que j’étais suicidaire ?!
Suite: Chap.3: Les Enfants de Marie