Chapitre 2
Mes paupières semblent peser une tonne. Je mets du temps à pouvoir les soulever. Je cligne des yeux avant de regarder autour de moi. Quatre murs blancs m'entourent. Je suis à l'hôpital. Les souvenirs me reviennent petit à petit. Les filles derrière moi, l'ordinateur, les lumières, l'assistant d'anglais, moi, tétanisée. Puis les flash-back sur cet accident de voiture que j'ai eu. Lorsque la porte de ma chambre s'entrouvre, je me retrouve propulsée au 3 décembre de l'année passée.
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J'ouvre difficilement les yeux. Le sang bat dans mes tempes. Une lumière vive éclate au-dessus de moi. J'essaie de bouger les bras, mais tout mon corps reste immobile, comme si mon cerveau en était déconnecté. Je regarde autour de moi, les paupières mi-ouvertes. Deux hommes en blanc sont penchés sur moi. L'un donne un ordre à l'autre, mais ses paroles sont noyées dans un brouhaha. Ma tête me fait très mal. Je réalise que l'un des deux hommes s'adresse à moi, mais je ne comprends pas ce qu'il me dit. Je sens mes paupières se refermer lentement et j'entends des personnes s'affoler autour de moi. Quand bien même j'essaie de lutter, je finis par sombrer.
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C'est un bip régulier qui me réveille. Avec difficulté, je réussis à ouvrir les yeux. Je regarde à côté de moi et voit une machine qui émet des signaux réguliers. Des fils sont rattachés à moi et une aiguille est plantée dans mon bras. Je sens également un tuyau passer sous mon nez. Je commence aussitôt à paniquer et essaie de me lever. C'est à ce moment-là que la porte de la pièce où je me trouve s'ouvre, laissant apparaître mes parents. Ma mère s'élance vers moi, les larmes aux yeux, et me serre fortement dans ses bras. Mon père, qui a lui aussi les yeux brillants, s'approche également de moi pour me prendre la main.
— Maman tu m'étouffes …
Ma mère se recule, essuyant ses joues striées de larmes. Je la regarde, nageant dans une incompréhension totale.
— Maman … Je suis où ? Qu'est-ce que je fais ici ? demandé-je la voix tremblante.
— Ma chérie … commence ma mère, la voix hésitante.
Elle jette un regard vers mon père.
— Maman ? insisté-je.
Elle me regarde longuement avant de m'annoncer :
— Tu es à l'hôpital.
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Ma mère entre dans la chambre d'hôpital, où j'ai été emmenée après mon malaise en classe, suivie de mon père, m'arrachant ainsi à mes souvenirs. Elle s'assoit à côté de moi.
— Comment tu te sens ma puce ?
— J'ai un peu mal à la tête, mais ça va.
Mes parents restent une heure avec moi, essayant de comprendre ce qu'il m'est arrivé, avant de partir. Ma mère, réticente au début, finit par sortir de ma chambre avec la promesse de revenir dès demain matin. Sitôt partis, un médecin entre à son tour. Je le reconnais aussitôt : c'est celui qui s'est occupé de moi après mon accident.
— Alors, Cassie, comment te sens-tu ?
Il se poste près de moi.
— Je vais … bien. Enfin, je crois.
Il sort une petite lampe de sa poche et dirige la lumière vers mes yeux.
— As-tu mal quelque part ?
— Un peu à la tête, répété-je pour la deuxième fois de la journée.
Il m'écoute tout en notant quelque chose dans son carnet. J'hésite quelques secondes avant de commencer à parler.
— J'ai eu des sortes de flashs de certains souvenirs.
Le médecin me regarde avant de s'assoir sur la chaise à côté de mon lit.
— Quel genre de souvenir ?
— … De mon accident.
— Tu en es sûre ?
Je ne me souviens toujours pas des deux semaines précédant l'accident, mais je me souviens parfaitement de l'accident à présent, j'en suis persuadée. La voiture n'a pas explosé à cause de notre embardée. Quelqu'un l'a faite exploser. Et la personne qui a fait ça nous poursuivait. C'est elle qui a provoqué l'accident. Parce qu'elle voulait tuer la personne qui était avec moi et qui conduisait la voiture. Je commence à douter de mon amnésie. Et si inconsciemment, c'est moi qui avais choisi d'oublier ces deux semaines ? D'après mes parents, rien n'avait changé dans mon comportement, donc impossible de savoir quand est-ce que j'ai rencontré la personne qui conduisait. Alors qu'est-ce qui s'est passé pour que je veuille l'oublier à ce point ? Suis-je sûre de vouloir le savoir ?
— Comment ça se fait que je me souvienne de mon accident ? Je ne devais pas avoir une amnésie irrécupérable ?
— Une amnésie rétrograde, si. Je pensais que ton amnésie était due au choc de l'accident, mais je t'ai aussi dit que ton subconscient avait pu choisir d'oublier ces deux semaines, toutefois j'avais exclu cette possibilité quand j'ai remarqué que tes séances avec le psychologue ne menaient à rien. Mais si tu as eu des souvenirs de ton accident, tu as vraiment dû les enfouir très profondément pour qu'ils reviennent sous formes de flashs qui vont jusqu'à te faire perdre connaissance.
Je réfléchis quelques instants. Et s'il avait raison ? Si j'avais choisi d'oublier ? Et si j'avais vécu quelque chose de tellement traumatisant pendant ces deux semaines que je m'étais forcée à l'oublier ? Parce qu'il est vrai que j'ai parfois des sentiments, ou des impressions que je ne ressentais pas avant l'accident. Par exemple, j'ignore ce qu'il s'est passé avec mon professeur de mathématiques durant ces deux semaines, mais j'ai un sentiment de méfiance envers lui depuis mon accident. Je ne saurais expliquer pourquoi ou même si ce sentiment est justifié, mais il est quand même là, à chaque fois que j'entre dans la salle. A chaque fois qu'il vient m'expliquer quelque chose que je n'ai pas compris en mathématique. Et la seule explication au fait que ces sensations aient survécu à mon amnésie, est que je l'ai choisi.
Je commencer à me lever.
— Il faut que j'aille voir la police. Je peux les aider dans leur enquête.
Le médecin se lève et pose une main sur mon épaule.
— Il faut que tu te reposes d'abord. Je vais aussi te garder jusqu'à dimanche matin.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
— Pour être sûr que ta perte de connaissance est liée à tes souvenirs et pas à autre chose. Et il faut aussi que je surveille les conséquences du retour de ta mémoire. Ces deux jours passeront vite.
— Mais je dois absolument prévenir la police que mon accident était tout sauf un accident, m'écrié-je.
Mon médecin fronce les sourcils.
— Comment ça ?
— Des gens nous poursuivaient.
Il me regarde longuement, semblant réfléchir.
— Bon. Je préviendrais la police que tu as eu des souvenirs. Et s'ils le veulent, ils pourront t'interroger quelques minutes, mais seulement quelques minutes. Tu as besoin de te reposer.
Frustrée, je me rallonge en soupirant. Après le départ de mon médecin, je ferme les yeux, les poings pressés sur mes paupières. Je prends une grande inspiration. Je me concentre et fouille dans ma mémoire. Il faut que je sache qui était avec moi dans cette voiture.
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Plus tard dans la soirée, après que l'infirmière sois passée et que mes parents soient partis, je me lève de mon lit. Elle me l'a déconseillé, mais je dois le faire. Je grimace lorsque la coupure le long de ma jambe me lance. Je marche le plus doucement possible pour ne pas la rouvrir et évite de m'appuyer dessus cette jambe. Difficilement, je réussis à atteindre la salle de bain. J'allume la lumière et me poste devant le miroir, prenant appui sur le lavabo. Je ne reconnais pas la personne qui me fait face. Une multitude de petites coupures barrent ma joue droite. Un pansement recouvre la moitié de mon front. Ma lèvre inférieure est coupée elle aussi et encore gonflée. Ma respiration devient saccadée. Je porte la main pour effleurer mon visage et des vagues de douleur me submergent. Sans que je ne m'en sois rendue compte, une larme a dévalé ma joue. Je reste le regard fixé sur mon reflet. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour me retrouver dans cette situation ? La situation m'échappe. J'étouffe. Je m'attrape les cheveux avec ma main tandis qu'une crise de panique me submerge. Des sanglots secouent mon corps et j'ai du mal à respirer. Je me laisse tomber à même le sol, ignorant la douleur. J'entends la porte de ma chambre s'ouvrir de l'autre côté de la cloison, mais je ne bouge pas.
— Cassie ?
Je lève les yeux pour voir le médecin qui s'occupe de moi. Il s'approche doucement de moi pour s'assoir à mes côtés.
— Ça va aller, ne t'inquiète pas.
Il pose sa main sur mon dos jusqu'à ce que ma crise passe. Il m'aide ensuite à me relever et me reconduit jusqu'à mon lit. Je m'y rassois, mais garde les jambes au bord : ma blessure s'étant réouverte il doit refaire quelques points avant de me laisser dormir.
Il installe une chaise à côté de mon lit et défait mon bandage. Tandis qu'il s'occupe de ma blessure, il tente de me rassurer.
— Je sais que c'est effrayant de ne plus se souvenir, mais ce n'est pas grave.
— Et si je ne me souvenais jamais de ce qu'il s'est passé ? murmuré-je.
— Ce n'est pas grave. Tout ce qui compte c'est que maintenant, tu ailles bien. Bientôt, tu pourras rentrer chez toi et mettre toute cette histoire derrière. Parfois, la vie nous donne une seconde chance. Dans ces cas-là, il faut continuer et profiter de ce miracle. Tu comprends ?
Je hoche doucement la tête. Il finit de bander ma jambe et je peux me recoucher. Il m'aide à mettre mes oreillers comme il faut et rabat la couette sur moi.
— Merci.
Il se contente de me sourire avant de me laisser. Je ferme les yeux, et fais le vide dans mon esprit. Enfin, je tombe dans les bras de Morphée.
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Cela fait une semaine que je suis dans cet hôpital. Je me suis réveillée trois jours après mon arrivée. Le médecin m'a dit que j'avais été retrouvée allongée sur la route, près d'une voiture en flamme. Au vu de mes blessures, je me serais retrouvée dans la voiture au moment de l'accident et quelqu'un ou moi-même m'aurait sortie de la voiture, m'évitant une mort certaine, me traînant jusqu'au milieu de la route. D'après lui, j'avais eu de la chance : je m'en étais tirée avec une luxation de l'épaule, des blessures au visage et à la jambe gauche, et une amnésie. Vu l'enfoncement avant des restes de la voitures, le choc aurait pu me tuer ou me plonger dans le coma. Malgré tout le sang perdu à cause de ma blessure à la jambe, je m'étais rétablie rapidement, d'après lui. Mais, pour moi, avoir du mal à se lever et dormir toute la journée n'étaient pas un rétablissement rapide.
Je regarde le plafond de ma chambre quand quelqu'un frappe à la porte. Je tourne la tête vers celle-ci pour voir deux policiers. Ils se présentent comme en charge de l'enquête. Avant de m'interroger, ils me rappellent mon accident, à mon plus grand plaisir. Ils me demandent de les excuser tout d'abord pour cette petite piqûre de rappel qui doit être désagréable pour moi. Mais ils n'ont pas le choix, cela fait partie de la procédure d'enquête.
— La voiture dans laquelle vous étiez était une voiture volée. La dernière fois qu'elle a été vue par une caméra de surveillance, c'était en ville, aux alentours d'une heure du matin. On vous voit monter dedans et on repère la silhouette d'un homme côté conducteur. Malheureusement, un problème technique lié à l'électricité, a mis les caméras hors service. Nous ne savons donc pas qui était avec vous. Vous avez apparemment roulé jusqu'à vous trouver assez éloignée de la ville, avant de foncer dans un arbre. Vous-même ou une tierce personne vous a fait sortir de la voiture. Une fuite d'essence a dû se produire ce qui a déclenché un incendie. Nous pensons ensuite que l'incendie a provoqué une surchauffe du réservoir de gaz entraînant l'explosion de la voiture. Nous vous avons retrouvée allongée sur la route, près de la voiture. Pour le moment, nous cherchons la personne qui était avec vous pour contacter sa famille.
Je regarde mes mains croisées sur mes genoux. Ils attendent une réponse. Mais que suis-je censée leur dire ?
— Mademoiselle ? insiste l'autre policier.
— Je ne me souviens de rien. De deux semaines avant mon accident jusqu'à ce que je me réveille, tout ça a disparu de ma mémoire. Je ne sais pas qui était avec moi dans la voiture, lâché-je.
Les deux policiers se regardent avant d'en prendre note dans leur carnet.
— Vous ne pouvez pas l'identifier avec de l'ADN ? demandé-je.
— Malheureusement, l'ADN retrouvé ne correspond à personne dans notre base de données.
Je fais un mouvement positif de la tête, pensive.
— Nous allons vous laisser vous reposer. Nous vous recontacterons si nous avons plus d'informations sur l'homme qui était avec vous.
J'acquiesce tandis qu'ils sortent de ma chambre. Je me rallonge correctement sur mes oreillers en réfléchissant. Quelle personne a bien pu me convaincre de sortir dans la nuit, sans prévenir mes parents pour aller si loin de la ville avant d'avoir un accident ?
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Quand je m'arrache à ces souvenirs, je n'ai toujours aucune réponse. Pire, j'ai de nouvelles questions qui s'ajoutent. Comme : comment ai-je pu rencontrer quelqu'un qui était une cible à abattre pour certaines personnes ?
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Allongée dans mon lit d'hôpital, je feuillette un magazine quand on frappe à la porte. J'invite la personne à entrer et je suis soulagée quand une tête châtain clair passe par l'encadrement. C'est ma sœur et non pas mon médecin. Elle entre dans ma chambre avec un sourire timide. Je suis vraiment contente qu'elle soit là, elle réussit toujours à me faire prendre des fous rires pas possibles. Je suis surprise en la voyant entrer avec un petit bouquet de fleurs.
— Comment tu te sens ? me demande-t-elle doucement en s'asseyant au bord du lit.
— Ça peut aller, lui réponds-je en me décalant. C'est quoi ça ?
Elle me tend le bouquet. Les fleurs, des roses, embaument rapidement la chambre. Je saisis la carte, joliment ornée de doré.
Bon rétablissement
— C'est de la part de qui ? lui demandé-je.
— Je n'en sais rien, une fleuriste me l'a donné et ton admirateur secret a voulu rester anonyme.
— N'importe quoi, lui dis-je en rigolant. En tout cas, c'est gentil.
Elle reste quelques minutes de plus avant de partir pour me laisser me reposer. Je me recouche convenablement et me tourne vers le bouquet posé sur la table de nuit près de moi. Je caresse les pétales de rose en souriant avant de m'endormir.
Lorsque je me lève, je ne suis plus dans l'hôpital mais dans un pré fleuri. Je porte une longue robe blanche et le vent vient caresser ma peau. Une personne m'approche de dos, mais je n'arrive pas à me retourner. Elle enroule ses bras autour de ma taille et m'embrasse sur l'épaule. Quand enfin, je peux tourner la tête, je vois deux yeux noirs comme les ténèbres. Le même homme qui hante mes nuits depuis mon accident. Je n'ai aucune idée de qui il est, mais il revient sans cesse dans mes rêves. Mon sauveur ? Celui qui était dans la voiture avec moi ? Je ne sais pas. Il me serre contre lui. Quand il recule, c'est pour partir. Comme d'habitude, je ne peux rien faire pour le retenir. Et je me réveille.
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Les yeux fixés sur la télévision accrochée au mur de ma chambre, je passe d'une chaîne à l'autre sans trouver quoi que ce soit pour me divertir. Passer mon samedi dans un hôpital me déprime. Quelqu'un frappe à la porte.
— Entrez ! crié-je.
Lorsque deux policiers entrent dans ma chambre, je coupe le son de la télé et me redresse. Ils me saluent avant que l'un deux ne prennent une chaise pour s'assoir à côté de moi.
— On nous a prévenu que vous aviez eu des souvenirs de votre accident, c'est exact ?
Je hoche la tête.
— Vous pouvez nous en dire plus ?
— Ce n'était pas un accident. Des gens nous poursuivaient. Ils voulaient tuer la personne qui était avec moi.
Il ouvre son carnet pour prendre des notes, mais s'arrête lorsque je prononce ces mots-là.
— Qu'est-ce que vous avez dit ?
— Des gens ont essayé de tuer la personne qui était avec moi.
Les deux policiers se regardent.
— Vous ne me croyez pas ? demandé-je.
Face à leur absence de réponse, je reprends :
— Je sais ce que j'ai vu. On nous tirait dessus, une balle a même traversé le pare-brise. C'est à cause d'eux qu'on a foncé dans l'arbre. Peut-être même qu'ils l'ont fait exploser !
— Pourtant nous n'avons trouvé aucune balle.
J'ouvre la bouche pour répliquer, lorsque je me rends compte que je n'ai aucune idée de quoi répondre. Ils ne me croient pas. Je sens la colère monter.
— Je sais ce que j'ai vu ! m'écrié-je.
— On en prend note, ne vous inquiétez pas, dit un des policiers, tentant de me calmer.
Avant que je ne puisse m'énerver davantage, le policier reprend ses questions.
— Vous pouvez nous en dire plus sur l'homme qui était avec vous ?
— Non, je ne sais toujours pas qui il est, soupiré-je
Ils continuent de me poser quelques questions avant de repartir pour me laisser me reposer. Le médecin a peur que je refasse un malaise si je me concentre trop à essayer de retrouver mes souvenirs. A leur départ, j'éteins la lumière et ferme les yeux pour essayer de m'endormir, toujours énervée. J'ai senti que les policiers doutaient de la véracité de mes souvenirs. Mais je revois encore et encore le pare-brise partir en éclat à l'impact de la balle, je ressens encore la douleur sur ma joue des bouts de verres et j'entends encore le bruit de la collision de la voiture avec l'arbre. Je sens que mes souvenirs sont encore là, quelque part dans mon esprit, ou du moins c'est ce dont j'ai l'impression. Il faut juste que je trouve la clé qui me permettra d'y accéder.
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Deux jours après mon arrivée à l'hôpital, j'ai enfin le droit de partir. Avec ces quelques jours d'observations, le médecin est à présent certain que mon malaise est dû à la violence des flash-backs que j'ai eus. Les policiers m'ont recontactée pour me prévenir qu'ils poursuivaient l'enquête. Ils m'ont assurée qu'ils prendraient en compte les nouveaux éléments que j'ai apportés. Pourtant, une petite voix intérieure me dit qu'ils ne me croient pas. Aucune des caméras de surveillance n'a filmé une voiture nous poursuivre. Et il n'y a aucun témoin. Si seulement je pouvais me souvenir de l'identité de l'homme qui était avec moi, tout changerait. Mais malheureusement, rien de plus ne me revient. Ils ont bien essayé de me montrer des photos de personnes dont la disparition correspondrait avec celle de l'accident, mais aucun des visages ne m'était familier, ni à moi ni à aucune personne de mon entourage.
Lorsque je retourne en cours lundi, tout le monde parle toujours de ce qui s'est passé en classe le jeudi. Apparemment ce n'était qu'une surcharge électrique, mais le 18 janvier risque de leur rester longtemps en tête. Je me dirige vers mes deux "amies". Celles-ci m'ignorent.
— Qu'est-ce qu'il vous arrive ? demandé-je.
J'avais l'habitude de leur comportement, mais là elles sont encore plus bizarres que d'habitude.
— On n'est pas amies avec des salopes.
Et elles partent. La phrase qu'on dite les deux filles derrière moi en cours d'anglais me revient en mémoire. Je ferme les yeux en me pressant les paupières avant de me diriger en cours. J'imagine que les filles n'avaient rien d'autre à faire pendant que j'étais à l'hôpital que de lancer des rumeurs sur moi.
Tous les jours, j'ai vent de la rumeur sur moi. Lundi après-midi, je me serais apparemment jetée sur l'assistant en anglais pour l'embrasser. Mais il m'aurait repoussée en essayant de me raisonner.
Ethan m'aurait ensuite entraîné dans les toilettes du lycée en me disant qu'il avait trop envie de moi et on aurait je cite "baisé dans les toilettes". Ma vie est une catastrophe. Leurs rumeurs me pourrissent la vie. J'essaie de ne pas en tenir compte, mais ce n'est pas toujours facile.
La seule personne qui accepte de rester avec moi c'est Thomas, l'"intello" de la classe selon les gens de ma classe. C'est le seul qui me croit incapable d'avoir fait ça, apparemment. Ou alors il se contrefiche de ce que je peux faire. Alors je partage mes repas avec lui. Il ne parle pas beaucoup et la plupart du temps, il est plongé dans un bouquin. Mais il accepte ma présence, alors ça me va. Quand j'arrive à le faire un peu parler, je découvre un garçon sensible et très gentil. Beaucoup mieux que les langues de vipères qui sont dans notre classe.
Dans la semaine, je reçois un appel des policiers qui me demandent de venir au commissariat. Ils m'ont encore interrogée, essayant de trouver une faille. Mais ils peuvent m'interroger autant qu'ils le veulent, rien de ce que je dis n'est un mensonge ou arrangé. Tout est vrai, je me souviens parfaitement de mon accident.
Le jeudi suivant, je me rends en anglais avec une boule au ventre. L'assistant nous redonne un travail de groupe à faire et Simon n'est toujours pas revenu. Donc je suis toujours seule. L'assistant en anglais se rassoit en face de moi en souriant. J'essaie de lui sourire aussi, mais je suis sûre que j'ai l'air crispée. Lorsque la cloche sonne, je me rue vers la sortie, sans plus de cérémonie. Il faut que ces rumeurs s'arrêtent.
Après une demi-heure de trajet en bus, je monte dans la voiture de mon père, garée sur la place principale de mon village. Il me demande comment s'est passé ma journée et je me contente de lui sourire, essayant d'oublier Ethan.
Une fois rentrée chez moi, je m'installe à mon bureau et travaille mes cours, bien que j'aie du mal à me concentrer. Vers dix-huit heures trente, ma mère entre dans ma chambre après avoir frappé doucement à la porte. Je me tourne vers elle.
— Tu travailles encore, ma chérie ?
— J'ai beaucoup d'interros de prévues, alors je révise un peu.
Elle s'approche de moi et pose un baiser sur le haut de ma tête avant de repartir. Tandis qu'elle se trouve sur le pas de la porte, je relève les yeux vers elle :
— Maman ?
— Oui ma puce ?
Je la regarde, hésitant à parler. Mais finalement, je décide de garder ce que je vis pour moi. Nous sommes tellement proche avec ma famille que ce qui se passe pourrait les inquiéter d'une manière que je ne me pardonnerais pas. J'espère juste que ma sœur, qui est en quatrième n'a pas eu vent des rumeurs ou elle le répétera à nos parents.
— Non rien. Je t'aime, finis-je avec un sourire.
Elle me sourit aussi avant de sortir de ma chambre. Je regarde la feuille de cours posée devant moi, perdue dans mes pensées. Oui, j'ai pris la bonne décision.
Le lendemain, je suis assise sur un banc dans un parc près de mon lycée. Je suis en train de lire un bouquin et j'espère le finir rapidement pour en commencer un autre ce week-end. Le soleil réchauffe mon visage. Une ombre se dresse soudainement devant moi, me cachant du soleil. Je lève les yeux et mon cœur s'arrête de battre quand je vois l'assistant en anglais.
— Je peux m'asseoir ? me demande-t-il avec un accent français qui frôle la perfection.
Je fais un signe positif de la tête et enlève mon sac qui était à côté de moi. Il s'assoit sur le banc, tout près de moi. Je n'ose pas tourner le regard vers lui.
— Tu lis quoi ? me demande-t-il.
— Un livre de romance. C'est … ma sœur qui me l'a offert.
Il hoche la tête et le silence prend place entre nous. Il finit par reprendre la parole :
— Tu m'as fait vraiment peur la semaine dernière. Quand tu t'es évanouie.
Je me tourne vers lui.
— Ce n'était rien de très grave ce malaise. Vous n'avez pas à vous inquiéter.
— Tutoie-moi.
Sa demande me prend au dépourvu. Je ne devrais pas le tutoyer, il est comme un professeur. Certes il est jeune et juste en stage, mais tout de même. J'accède pourtant à sa demande.
— Les fleurs t'ont plu ?
— C'était vous ?
Devant son haussement de sourcil, je reprends ma phrase :
— C'était toi ?
Il me sourit avant d'acquiescer.
— Eh bien, merci, balbutié-je. Ça m'a fait très plaisir.
Nous nous sourions mutuellement. Puis il me demande ce que j'aime faire en dehors du temps de l'école. C'est ainsi que nous sommes restés trois heures à discuter sur ce banc. Tant pis, je finirais mon livre ce week-end.
Lorsqu'arrive dimanche soir, une envie de m'enfuir pour éviter le lycée me prend. J'avais réussi à tout oublier : l'enquête, les rumeurs … Tout ça grâce à Ethan. Puis je me souviens du vendredi dernier et un sourire se dessine sur mon visage. Ethan a été la lumière dans ma semaine. Même si des rumeurs courent sur nous. Je m'en moque pour la première fois. Il m'a rendue heureuse. Et cela fait du bien. Vraiment du bien. Ça fait longtemps que je n'avais pas ressenti un tel bonheur avec une personne. Je finis par m'endormir, un sourire toujours plaqué sur mon visage.
Je passe la journée du lundi comme les jours de la semaine dernière : seule. Thomas était malade alors il est resté absent toute une semaine et apparemment, il ne s'est pas encore rétabli. Mais peu importe. Il vaut mieux être seule que mal accompagnée, pas vrai ? Enfin, plus facile à dire qu'à vivre. Je monte les escaliers pour mon dernier cours de la journée. C'est à ce moment-là que je le vois. Ethan. Il me fait un petit sourire et me salue. Je le salue également. Je passe à côté de lui pour me rendre dans ma salle. Je sens alors sa main effleurer la mienne et son petit doigt accrocher rapidement le mien. Je me tourne vers lui pour voir si j'ai rêvé ou non, mais il continue de marcher sans un regard en arrière. Il n'a sûrement pas fait exprès.
J'attends avec impatience le jeudi suivant pour revoir Ethan et retravailler avec lui. Lorsque l'heure arrive, l'assistant en anglais fait le point sur quelques difficultés puis nous redonne un travail à faire en binôme. Instinctivement, il se dirige vers moi pour faire le travail. Un sourire prend place sur mes lèvres et nous travaillons ensemble.
Comme tous les vendredis après mes cours et ce depuis le début de l'année scolaire, je me rends dans le parc en face de mon lycée, m'installe à mon banc habituel et sors mon livre de mon sac. Je l'ouvre à la page où je me suis arrêtée. Je lis quelques minutes avant de voir une ombre se dresser devant moi.
— Je peux m'asseoir ? me demande l'assistant en anglais.
— Bien sûr.
Je range mon livre et me décale.
— Tu as passé une bonne semaine ? me demande-t-il.
Je m'apprête à lui dire à quel point mes journées sont horribles en ce moment vu que tout le monde me tourne le dos mais je hoche la tête à la place. Nous discutons de tout et de rien quand mon téléphone vibre dans ma poche. Je le sors pour voir que c'est ma mère qui m'appelle.
— Excuse-moi, je dois répondre.
Je m'éloigne un peu et décroche.
— Allô ?
— Ma chérie ? Je voulais savoir à quelle heure tu rentrais. Je te trouve distante en ce moment et je me suis dit qu'on pourrait se faire une soirée film en famille. On pourrait commander des pizzas ou un plat qui te ferait envie.
— Maman, je vais bien si c'est ça qui t'inquiète. Je pense rentrer dans une heure ou deux. Tu sais comme j'aime lire ou faire des photos au parc, lui réponds-je, une petite pointe de culpabilité me perçant le cœur à cause de mon mensonge. Mais c'est vrai que j'adorerais une soirée en famille.
— Super, ma puce. A tout à l'heure. Bisous, je t'aime.
Je raccroche après lui avoir dit je t'aime et retourne m'installer sur le banc.
— Désolée, c'était ma mère.
Ethan me regarde avant de me demander :
— Tu es proche de ta famille ?
— Oui, très proche même. Et toi ? Ta famille ?
Il semble hésiter avant de baisser la tête.
— Désolée, je ne voulais pas être indiscrète. Ça ne me regarde pas et …
— J'ai perdu mes parents quand j'étais petit. C'est un oncle qui m'a recueilli chez lui mais je ne m'entends pas très bien avec lui.
— Oh … Je suis désol…
— Arrête de t'excuser. Tu ne pouvais pas savoir, me dit Ethan en me souriant.
Il pose alors sa main sur la mienne.
— J'en parle rarement avec les autres. D'habitude j'invente des excuses bidons. La vérité, c'est que mes parents me manquent. Terriblement. J'étais petit quand c'est arrivé, mais je me souviens parfaitement d'eux. Surtout de ma mère, quand elle venait me border le soir. Je me souviens même de l'odeur de son parfum.
Je le regarde sans rien dire. Mon autre main se pose sur la sienne, pour qu'elles entourent sa main. Je la serre doucement. Nous restons sans parler quelques minutes comme ça. Puis, finalement, Ethan se redresse et me sourit.
— Parlons d'autre chose. Tu m'as dit la dernière fois que tu avais un chien. Comment il s'appelle ?
— Elle s'appelle Lola, c'est une femelle.
Sur ce, il me raconte qu'il a toujours voulu adopter un chien, mais comme il n'arrivait pas à tenir en vie une plante, il préférait attendre. Je lui montre ensuite des vidéos de ma chienne, là où elle fait des trucs vraiment idiots et nous prenons tout deux un fou rire. Lorsqu'il me raccompagne chez moi, le soleil est déjà couché. Il se gare dans mon allée, mais assez loin de chez moi pour que mes parents ne me voient pas. Je ne leur ai pas parlé d'Ethan, pas encore du moins, et je ne veux pas qu'ils l'apprennent en me voyant sortir de la voiture d'un inconnu. Il coupe le moteur et le contact. Je reste immobile, repoussant le plus possible le moment où je vais sortir de la voiture. Ethan me regarde.
— J'aime bien qu'on se retrouve sur le banc le vendredi.
— Moi aussi, avoué-je en souriant.
Sa main vient alors saisir la mienne et son pouce caresse tendrement le dos de ma main. Une bouffée de chaleur m'envahit et des frissons me parcourent. Au bout de quelques instants, je finis par dire :
— Je vais y aller, ma mère et mon père doivent m'attendre.
Il fait un vague geste de la tête tout en me regardant, avant de se pencher vers moi. Ses lèvres se posent sur ma joue. Elles glissent jusqu'à frôler la commissure de mes lèvres, mais il s'arrête là et recule. Les joues en feu, je lui souhaite une bonne soirée et sors. Lorsque je rentre chez moi, je ne peux m'empêcher de sourire. Quand je suis avec lui, j'ai l'impression d'être en plein conte de fée. J'ai même parfois l'impression de le connaître depuis des années, alors que cela ne fait que trois semaines qu'il s'est mis avec moi en groupe pour la première fois. Même les rumeurs me passent au-dessus de la tête, tout ce qu'il reste c'est Ethan et moi. Une petite voix me dit pourtant que c'est malsain, que je ne devrais pas le laisser m'embrasser comme il vient de le faire. Mais c'est plus fort que moi, l'attirance que je ressens envers lui est plus forte que tout.
--> La suite avec le chapitre 3 ici <--