Chapitre 1 et 2
Chapitre 3 et 4
Chapitre 5 et 6
Lundi 29 juin
Chantier à dix-heure
Lucie marmonna quelque chose à propos de sa mère et du fait qu’elle n’avait pas envie d’aller à l’école tandis que Louise se redressa de son lit comme s’il était devenu brûlant.
- Debout là dedans, c’est le grand jour !
Elle s’activa à travers la chambre pour se préparer et remua ses deux amies encore sous les couvertures.
Lucie se leva en maugréant et alla directement se préparer à devenir Enola dans la salle de bain adjacente.
- Tu avais raison Louise, c’était la pire des idées. Je ne peux pas y aller. Lança la petite voix d’Enola étouffée par les couverture.
- Lève toi, trop tard pour regretter maintenant.
Louise s’assit sur le lit près de son amie.
- Nono, ça va bien se passer je te le promet et plus tard quand on en reparlera on en rira toutes ensemble.
- Contente de voir que ma vie est un sujet risible. Grogna Enola toujours enfouie sous la couette.
Louise leva les yeux au ciel et continua de se préparer.
- Lève toi, ou nous y allons sans toi.
Enola prit une grande inspiration et retira le drap. Elle se redressa et Lucie sortit de la salle de bain au même moment.
La jeune fille resta bouche bée: Lucie était magnifique. Elle portait une robe pull légère de couleur beige qui appartenait à Enola qui lui remontait subtilement sur le haut des cuisses et une paire de converses noires. C’était une tenue que portait souvent la jeune fille bien que celle-ci y ajoutait un collant et que la robe lui tombait mi-cuisse. L’ensemble donnait sur Lucie un côté candide et sexy à la fois. Enola la dévisagea avec envie et lança avec amertume:
- Et ben, voilà une Enola bien mieux que l’original. Léo ne va pas être déçu.
- Arrête tes bêtises, cette robe te va très bien à toi aussi, elle met tes formes en valeur. Lui répondit sèchement Louise en lui balançant un oreiller. Bon sang Enola, lève toi maintenant !
Enola se leva enfin, la panique qui la submergeait lui donnait la nausée. Elle alla s’enfermer dans la salle de bain et se regarda un long moment dans le miroir en soupirant.
- C’est parti...
Elle brossa ses cheveux bruns roux qui re-tombèrent en boucles soyeuses sur ses épaules. Elle piqua du blush , du liner et du mascara dans la trousse de maquillage de Louise. Sa tâche terminée, elle se regarda de nouveau dans le miroir et se trouva étonnamment jolie maquillée et coiffée de la sorte. Son regard s’égara un instant sur son corps à moitié nu et plantureux. Sa gorge se serra. Elle enfila une paire de collant noirs opaques et une petite robe noire qui lui arrivait mi-cuisse. Elle compléta la tenue avec une veste en jean qu’elle affectionnait tout particulièrement et une paire de Doc Martens appartenant à Lucie. Elle jeta un dernier coup d’oeil dans le miroir, se disant que sa tenue ferait l’affaire et sortit de la salle de bain.
- T’es canon ! Tu vas me voler la vedette! Enfin, TE voler la vedette, enfin, whaou ! S’extasia Lucie en tapant dans ses mains.
- J’avoue que tu es pas mal, ajouta Louise en fronçant les sourcils, Je pensais que le but de tout ça c’était qu’on ne te remarque pas, on avait convenu d'un simple jean pull non?
Enola sentit le rouge lui monter aux joues, elle trouvait son amie injuste mais se sentit soudain ridicule. Louise avait l'habitude d'avoir toute l'attention sur elle et elle adorait ça, elle le prouvait d'ailleurs encore aujourd’hui avec sa tenue: Elle portait une blouse en mousseline blanche sur une une petite jupe jaune pissenlit vaporeuse. Ses fines jambes étaient mises en valeur par des escarpins à talons vertigineux qui complétaient la tenue avec goût.
Enola se garda de lui faire la moindre remarque mais elle songea que sa tenue n’était pas vraiment appropriée pour une rencontre de guilde.
- Je ne sais pas, je voulais marquer le coup pour me donner du courage. Mais si tu trouves que c’est trop je vais enfiler un jean. Répondit Enola dont la confiance tout récemment acquise devant le miroir s’écroulait comme un château de cartes.
- N’importe quoi, tu es PAR-FAITE. Ils ne vont plus savoir ou regarder avec trois bombes comme nous ! Affirma Lucie dont l’enthousiasme était contagieux.
Louise haussa les épaules et réajusta son top. La voix de Christian se fit entendre à l’autre bout de l’appartement:
- Il est l’heure d’y aller les filles !
Le père d’Enola devait les déposer à la gare de Montparnasse pour qu’elles prennent le train direction Versailles. Elles échangèrent un regard anxieux et Lucie éclata de rire:
- Aller les filles ! On va s’amuser, haut les cœurs !
***
Quand elles sortirent du train, Enola avait une mine déconfite. Elle n’avait pas parlé de tout le trajet malgré les encouragements de ses amies. La jeune fille se figea avant de sortir des tourniquets. Était-ce vraiment une bonne idée ? Elle inspira profondément et s'avança vers la barrière.
Il était dix heure moins le quart sur la grande horloge de la gare, leur point de rendez-vous se trouvait sur le parvis. Quand elle vit le petit attroupement déjà présent, son estomac failli rendre tout son contenu.
Comme prévu, Lucie, devenue Enola, s’avança vers eux tout sourire tandis que les deux autres restèrent légèrement en retrait. Quand la petite troupe les remarqua, tous les regards se braquèrent sur la jolie brune. A l’écart, Enola pu constater
avec amertume qu’elle faisait son petit effet sur la gente masculine. Elle ne pu s’empêcher de ressentir une pointe de jalousie envers sa cousine si parfaite.
Au milieu du groupe, se tenait la femme blonde et l’homme à lunettes de la photo qu’Arcadia lui avait envoyé: Mysteria et Heldadras, ou plutôt Christelle et Laurent. Le jeune homme se trouvait à leur côté et fixait Lucie avec un regard fasciné. Cela blessa profondément Enola, elle était certaine que son arrivée n’aurait pas provoqué le même effet. Lucie avait reconnu le couple de quadragénaires et elle les enlaça l’un après l’autre feignant de les connaître depuis toujours. Elle fit de même avec Arcadia ou plutôt Léo, non sans rougir. Elle était bonne comédienne et cela ne fit que renforcer la culpabilité d’Enola. Elle aurait voulu les serrer dans ses bras, leur dire à quel point ils comptaient pour elle mais elle devait se contenter de regarder la belle Lucie réciter à la perfection le texte qu’elles avaient mis au point. Celle-ci se tourna vers Enola et Louise et les présenta à leur tour :
- Voici Agatha, ma cousine et son amie Louise. Je crois que tu les connais Arca? Dit-elle en prenant sa cousine par les épaules.
Léo eu un léger mouvement de recul quand ses yeux rencontrèrent ceux d’Enola. Il se reprit et lança:
- Alors ça c’est une surprise ! S’exclama t-il. Si j’avais imaginé ça ! Louise et … Agatha de Mariette.
Sa voix s’était légèrement durcie quand il prononça le faux prénom d’Enola et la jeune fille ne sut plus où se mettre. Elle leva les yeux vers Christelle qui était en train de la dévisager les sourcils froncés. Léo faisait la bise à Louise en lui demandant comment s’était passé ses examens et Lucie faisait le tours des autres membres de la guilde présents. Quand Léo vint vers elle pour la saluer, elle ne put s'empêcher de baisser les yeux. Il sourit et se pencha à son oreille :
- Décidément tu ne peux pas te passer de moi. Murmura t-il.
La jeune fille retint son souffle, elle était submergée d’un tas d’émotions contradictoires. Elle essaya de bafouiller quelque chose mais il poursuivit:
- Je suis vraiment heureux de rencontrer enfin ta cousine, elle était déjà formidable sur le jeu mais là je la trouve parfaite.
Sa remarque la frappa comme un uppercut donné à pleine vitesse. Enola mit un court instant à reprendre ses esprits et lui lança, agacée :
- Ouais, elle est jolie. Tache d’être un peu moins imbu de ta personne quand tu seras avec elle. Elle n’aime pas beaucoup les mecs prétentieux.
Il l’a regarda, étonné par sa remarque.
- Tu sais Agatha, pour quelqu’un qui n’aime pas qu’on la juge, tu es bien prompt à cataloguer les autres. Tu ne me connais pas alors évite de lui dire du mal de moi tu veux?
Il s’éloigna en secouant la tête pour aller rejoindre Lucie, laissant Enola à son désarroi. Louise s’approcha d’elle et murmura avec un léger sourire :
- Il semblerait que ça se passe bien. Je suis surprise, je m’attendais à une bande de pré-pubères boutonneux.
Elle balaya la petite assemblée du regard et sourit d’un air satisfait.
- La semaine pourrait finalement être intéressante pour moi aussi. Continua t-elle en se frottant les mains.
Enola ne répondit pas, elle avait le cœur dans les chaussettes et les chaussettes perdues quelque part au fond de sa valise. Elle observait Lucie faire son numéro et s’attirer toute l’attention de ses amis. Elle savait que l’idée venait d’elle et qu’elle devait être reconnaissante envers Lucie mais la situation était plus difficile à gérer qu’elle ne l’avait pensé.
Seule Christelle restait à l’écart. De temps en temps, elle lançait des regards intrigués vers Enola. Elle fit d’ailleurs un pas vers elle pour venir discuter et Enola se crispa, Mysteria était probablement la personne qui pourrait le plus facilement la démasquer, il ne fallait surtout pas qu’elles passent trop de temps ensemble. Elle chercha Louise des yeux pour qu’elle fasse diversion mais celle-ci était occupée à parler avec un type barbu d’une trentaine d’années qui se présenta comme Tiboy, un démoniste humain de niveau 70.
Christelle l’avait rejoint quand un jeune homme d’une vingtaine d’année arriva tout essoufflé. Il était grand et musclé, ses cheveux blond était mi-longs et ondulés comme ceux d’un surfeur californien. Il portait une chemise du même orange que les chaussures de Louise et un short bariolé. A ses pieds, Enola fut amusée de le voir porter des tongs. Elle savait déjà qui il était à sa dégaine et en eu la confirmation quand il fit la révérence devant elles:
- Mesdames, Frosti... ou Arthur pour vous servir.
Mysteria éclata d’un rire cristallin et fit la révérence à son tour:
- Mysteria ou Christelle, enchantée Monsieur.
Il lui fit une accolade chaleureuse et se tourna vers Enola qui souriait bêtement. Il était exactement comme elle l’avait imaginé, haut en couleur !
- Et toi tu dois être notre jolie Nola la chasseuse ! Lui dit-il en la serrant affectueusement dans ses bras.
- hmm...je … bafouilla Enola en rougissant.
- Non, Nola, ou plutôt Enola, est là bas avec Arcadia. Je te présente
Agatha, sa cousine.
Christelle avait prononcé son faux prénom avec raideur mais Frosti ne sembla pas le remarquer. Il lâcha brusquement Enola en regardant derrière elle. Lui aussi semblait charmé par le physique de Lucie.
- Wouahou, je ne l’imaginais pas comme ça ! S’écria Frosti. Je pensais bien qu’elle devait être une jolie fille mais là… Ce bon vieux Arcadia est un p'tit chanceux !
- Effectivement, je ne l’imaginais pas comme ça non plus. Répondit Christelle en fixant Enola.
- Et oui… ma cousine fait souvent cet effet là quand elle arrive quelque part. Marmonna Enola avec jalousie en fixant le sol.
Frosti alla voir les autres, le groupe était tellement enthousiaste que leurs éclats de voix faisaient se retourner les passants. Enola rejoignit Louise pour éviter de discuter avec Christelle. Avec un dernier regard suspicieux pour la jeune fille, celle-ci était retournée près des autres et semblait parler d’un bus qui devait passer les prendre.
Quand le bus arriva, les quatorze compagnons qui participaient à la rencontre s’étaient tous présentés les uns aux autres. Les rires et les conversations allaient de bon train et Lucie semblait comme un poisson dans l’eau dans son rôle parmi tous ses gens avec qui elle ne partageait pourtant pas le loisir. Même Louise semblait s’être liée d’amitié avec le trentenaire barbu. Enola savait que son amie avait un sérieux penchant pour les hommes mûrs, elle ne s’étonnait pas de la voir ainsi discuter avec Tiboy le démoniste.
Enola se sentait à l’écart. Elle aurait voulu se mélanger au groupe mais elles avaient convenu qu’elle devait rester le plus discrète possible. Elle avait imaginé que la situation allait être difficile pour elle mais elle n’avait pas pensé se sentir si isolée parmi des gens qu'elle considérait comme ses meilleurs amis.
Il montèrent dans le bus et elle se retrouva assise derrière Léo et Lucie. Elle aperçu Christelle qui semblait hésiter à venir s'asseoir près d'elle mais celle-ci se ravisa pour s’asseoir à côté de son époux à l'avant du véhicule. Frosti monta à son tour et se dirigea vers Enola tout sourire :
- La place est libre? Agatha c’est bien ça? Demanda t-il d’un ton enjoué.
Léo se retourna et lança un coup d’oeil à Enola, son regard se porta ensuite sur Frosti et il lui lança en riant:
- Fais attention mon pote, Agatha est très gentille mais un peu maladroite !
Lucie lui donna un coup de coude et Enola senti à nouveau son cœur se ratatiner.
- Oh je prends le risque, et puis je suis le guerrier du groupe, c’est moi qui encaisse les coups souviens toi. Répondit Frosti en riant.
Lucie gloussa et Enola lui lança un regard noir. Elle allait avoir du mal à supporter la comédie de sa cousine toute la semaine. N'avaient elles pas convenu qu’elle devait tenir Léo un peu à l’écart et ne pas l’encourager?
Heureusement pour elle, Frosti, ou Arthur, se trouva être un compagnon de voyage très distrayant et Enola eu moins de mal qu’elle ne le pensait à lui faire la conversation. Elle évitait soigneusement de faire référence au jeu pour ne pas éveiller les soupçons mais se sentait en confiance avec lui, il lui faisait penser à son frère Lucas. Les regards qu’il lançait à sa cousine n’échappèrent pas à la jeune fille et elle ne pu s’empêcher de penser que ces deux là formeraient un très beau couple.
Ses yeux se posèrent sur le profil de Léo à travers les sièges. Lui aussi avait l’air absorbé par le charme de Lucie, comment aurait-il pu en être autrement? Cette fille dégageait quelque chose d’hypnotisant.
Enola profita de cette proximité pour le détailler du regard. Ses cheveux bruns en bataille et sa barbe naissante qui courrait sur l’arrête de sa mâchoire lui donnait des airs de voyou qu’adoucissaient des yeux noisettes doux et rieurs. Il était vraiment très beau. Alarmé par un sixième sens, Léo se retourna et ses yeux rencontrèrent ceux d’Enola. Il lui lança un sourire sincère, il semblait heureux et beaucoup moins arrogant entouré de tous ces gens. Elle lui rendit timidement son sourire et il parut surpris. Décontenancé, il se concentra sur Lucie qui racontait avec enthousiasme la fois où elle, enfin où Enola, avait dut manger des insectes pour un pari. Enola ne se reconnaissait pas du tout dans cette histoire, mais le public de sa cousine ne semblait pas douter du miel qui se déversait de sa bouche.
***
Le gîte dans la forêt
Il arrivèrent au gîte après une bonne demie-heure de route. Il s’agissait d’un grand corps de ferme rénové avec une immense salle commune et quelques dizaine de chambres. Enola songea que Christelle et Laurent avait du dépenser une fortune pour louer cet endroit mais elle fut rassurée en entendant que cette bâtisse appartenait à un vieil oncle de Christelle. Tout le monde s’installa avec une franche camaraderie et ils passèrent l’après midi à se promener dans le domaine qui se révéla être immense et magnifique.
Le soir venu, Enola s’était isolée dans la cuisine prétextant qu’elle voulait mettre la main à la pâte pour le repas. Mysteria l’avait accompagné en râlant que les bonnes femmes finissaient encore en cuisine pendant que ces messieurs se prélassaient dans les canapés. Léo se proposa de venir aider mais, au grand soulagement d’Enola, quand il vit Lucie en grande conversation avec Frosti il resta vissé à son fauteuil.
Dans la cuisine, Christelle lança d’un ton détaché:
- Ta cousine fait fureur avec les garçons. Je crois qu’ils sont tous tombés sous son charme.
- Oui, c’est souvent l’effet qu’elle fait sur la gente masculine. Grommela Enola un brin agacé.
- C’est drôle, je l’avais imaginé différente, plus calme et moins bavarde. Elle est sympa c’est sûr mais je ne lui avais jamais deviné cette assurance.
Enola s’agita nerveusement et fit mine de se concentrer sur le champignon qu’elle était en train d’émincer. Christelle poursuivit:
- Tu sais je l’aime beaucoup, je la considère un peu comme ma fille virtuelle. C’est drôle hein? Je ne la connais pas vraiment et pourtant j’ai un lien très fort avec elle. Enfin assez parlé de ta cousine, c’est vrai que tu ne joues pas sur le jeu mais j’ai l’impression que tu es un peu à l’écart de tout le monde. Comment trouves-tu l’endroit? La chambre te convient? Tiens, peux-tu me passer la salière Enora ?
Instinctivement, la jeune fille attrapa la salière et la tendit à Christelle avec agacement, elle avait horreur qu'on écorche son prénom:
- C’est Enola en fait.
Elle s’arrêta net. Horrifiée par sa stupidité, elle tenta de se rattraper :
- Enfin je veux dire…
Elle leva les yeux vers Christelle qui la regardait avec une expression victorieuse.
C'est malin, son secret n'avait même pas tenu plus de 3h.
- Je le savais ! Je savais que c’était toi, ce n’était pas possible autrement ! Je te connais suffisamment pour savoir que cette fille n’était pas notre petite Nola ! Zut Enola, c’est quoi cette histoire ! s’emballa Christelle.
- Je… pas si fort Myst je t’en supplie ! Je n’avais pas le choix. Léo me connait là-bas à l’école et il ne m’aime pas beaucoup… Enfin tu sais à quel point c’est compliqué pour moi… je n’ai simplement pas eu le courage de dire que c’était moi Nola. Je suis désolée, je ne voulais pas vous mentir et surtout pas à toi. S’il te plait Myst.. Elle leva ses yeux larmoyants vers Christelle et celle-ci la prit dans ses bras.
- Petite sotte, comment as-tu pensé que je n’allais pas te reconnaître. Tu n’imagines pas comme Laurent et moi attendions ce moment, tu comptes énormément pour nous.
- Je suis désolée… Sanglota Enola sur l’épaule de son amie. Je ne voulais pas, je t’assure.
Elle reprit ses esprits, réconfortée par l’étreinte de Christelle et poursuivit avec un petit sourire gêné :
- Je savais que ça allait être difficile avec toi mais je ne pensais pas que tu me démasquerais aussi rapidement.
- J’ai hésité au début, puis j’ai vu comme tu regardais Arca. Tu sais Enola, c’est un bon garçon, vraiment, tu ne devrais pas lui mentir ainsi.
- Il n’est pas si sympa que ça avec Agatha crois moi, et puis tu vois comme il est vite tombé sous le charme de ma cousine. Il aurait été bien déçu de m’avoir moi à la place.
Elle avait dit ça en accélérant la cadence sur son couteau de cuisine, Christelle lui prit des mains et le posa sur le comptoir. Elle regarda Enola dans les yeux et la serra de nouveau dans ses bras.
- Tu n’imagines même pas à quel point tu es jolie, tu es exactement comme nous l’imaginions et je t’assure qu’Arca n’aurait pas été surpris un seul instant si il avait su que tu étais la vraie Nola. Les deux nuits qu’il a passé à la maison, il n’a fait que parler de toi et je t’assure qu’il est vraiment tombé sous ton charme.
- Il est tombé sous le charme d’une personne virtuelle, dans la vraie vie les garçons comme Léo tombent sous le charme des filles comme Lucie ou Louise. Lâcha Enola en soupirant.
Léo débarqua à ce moment dans la cuisine.
- Tout va bien les filles? J’ai entendu dire qu’il vous manquait un cuisinier hors pair ! Plaisanta t-il.
Il s’arrêta net en voyant les deux femmes si proches l’une de l’autre mais Christelle enchaîna :
- Mais quel baratineur ! Tiens attrape donc un tablier et fais bouillir de l’eau. Agatha était justement en train de me dire à quel point tu étais insupportable au lycée, lança t-elle en riant.
Léo resta interdit, il semblait contrarié.
- Sérieux ? Tu me trouves si insupportable que ça Agatha?
Enola rougit mais la présence de Christelle lui donnait du courage. Elle lui répondit en souriant:
- Je n’ai pas dis insupportable, le mot est un peu fort, il me semble que le terme employé était plutôt irritant.
Il la regarda dans les yeux et quand il se rendit compte qu’elle se moquait de lui il lui rendit son sourire.
- Tu es aussi irritante que moi tu sais ! Il prit le tablier et le noua autour de ses hanches fines et musclées. Tu pourrais aussi raconter à Myst la manière dont tu m’as planté un jour en cours de littérature dans lequel j’ai dut écrire une histoire sans queue ni tête, pour finalement la lire à haute voix seul, abandonné de ma partenaire, devant tout le monde. Moi au moins je t’ai porté secours quand l’Homme Grenouille te martyrisait avec ses maths.
Il tourna le dos pour s’occuper de mettre la casserole sur le feu et Christelle lança un torchon à Enola pour attirer son attention. Celle-ci fixait le dos du jeune homme, étonnée qu’il se souvienne de leur cours en commun. Elle se prit le torchon dans l’oeil et laissa tomber sur son pied l’énorme planche à découper en bois qu’elle tenait dans la main. Elle s’était déchaussée dès qu’ils s’étaient installés dans leurs chambres et avait enfilé une paire de chaussettes anti-dérapante jaune canari qui n’amortirent pas du tout le coup.
- Zut, Aïe !
Léo se retourna brusquement, renversant la moitié de l’eau de la casserole par terre et Christelle explosa de rire.
- Merde Agatha ! Quand je dis que tu es maladroite ! Ça va ? Assieds-toi, il faut mettre de la glace avant que ça n'enfle.
Il l’a fit s’asseoir sur un tabouret de bar et alla fouiller dans le congélateur afin de trouver de quoi mettre du froid sur son pied. Christelle se racla la gorge et s’appuya sur le comptoir en lançant un sourire satisfait à Enola. Celle-ci lui répondit par un froncement de sourcils éloquent et une moue réprobatrice. Le jeune homme, débusqua un vieux paquet de petit pois surgelés avec un petit cri de victoire. Il retourna près d’Enola et s'accroupit devant elle.
La jeune fille s'était figée, elle ne savait pas quoi dire ou faire. Elle se contenta de le regarder enlever sa chaussette et lui poser délicatement les petits poids emballés dans un torchon sur le haut du pied. Il était concentré sur sa tâche et ne sembla pas remarquer le trouble de la jeune fille. Enfin, il leva les yeux vers elle et lui fit son sourire à fossettes. Le cœur d’Enola, qui avait été malmené toute la journée, remonta dans sa gorge. Elle déglutit et essaya de formuler une phrase:
- Je … merci, je pense que vais pouvoir éviter l’amputation.
- Je t’en prie, des années d’expérience de coups avec le football. Répondit-il toujours en lui maintenant le pieds et en la regardant dans les yeux.
Ils furent interrompus par Lucie qui entra dans la cuisine, suivi de près par Frosti.
Quand Léo la vit, il lâcha immédiatement le pied d’Enola et se releva brusquement. Il fronça les sourcils en regardant Arthur mais se garda de dire quoi que ce soit. Le jeune homme blond ne remarqua pas son regard et lança à la cantonade:
- Et bien alors, le repas n’avance pas beaucoup par ici ! On meurt littéralement de faim à côté !
- Nous avons eu un petit accident de parcours, s’excusa Christelle en riant et en montrant Enola. Agatha a voulu démontrer la loi de Newton et son pied a subi quelques dommages collatéraux ! Heureusement, Arcadia notre soigneur expérimenté dans le jeu comme dans la vraie vie a su lui prodiguer les premiers soins élémentaires.
La plaisanterie de Christelle détendit l’atmosphère, Enola échangea un regard avec sa cousine mais celle-ci ne souriait pas, elle avait même l’air agacé. Ils finirent de préparer le repas ensemble et furent accueillis comme des héros quand ils passèrent tous à table. En fin de soirée, ils se regroupèrent sur la terrasse pour profiter des derniers instants de la journée en refaisant le monde.
Enola appréciait chacune des personnes présentes. Bien entendu il y en avait avec qui elle n’était pas particulièrement proche mais elle aimait faire partie d’un groupe. Sa bonne humeur n’était entamée que par son agacement envers sa cousine qui ne faisait qu’augmenter d'heure en heure. Celle-ci passait son temps à bavasser et à raconter des histoires plus folles les unes que les autres pour attirer l’attention sur elle. Les hommes du groupe étaient pendus à ses lèvres et Christelle échangeait régulièrement des regards entendus avec Enola. Louise n’était d’ailleurs pas en reste, elle se comportait comme une poulette au milieu d’un cheptel de coqs et gloussait à la moindre blague venant de la gente masculine. Enola trouva soudain ses amies ridicules et regretta un instant que son personnage soit représenté par Lucie. Qu'elle ironie de penser cela alors qu’elle même avait eu honte de s’afficher comme elle était.
Plus tard, Quand elles rejoignirent la chambre qu’elles partageaient à trois, Lucie s’affala sur le lit en soupirant d’aise:
- Et ben ! Quelle journée ! Je me suis drôlement amusée ! Ces gens sont bien plus intéressants que je le pensais. Je m’attendais un peu à tomber sur des obèses boutonneux et malodorants.
Enola fut choquée par sa remarque, elle avait commencé à voir sa cousine autrement au cours de la journée et lui répondit sèchement:
- Les joueurs de World of Warcraft ne sont pas des cas sociaux Lucie. Je suis étonnée que tu ais accepté de m’aider si tu avais de tels aprioris.
- Oh mais ça c’était avant de voir le beau Léo sur la photo ! Sérieux, c’est vrai que ce type est sexy en diable ! Son pote Arthur n’est pas mal non plus ! Et Louise a semblerait-il apprécié le charme brut de la barbe. Répondit elle sans relever la mauvaise humeur d’Enola.
Louise rit et détacha ses cheveux:
- C’est mon côté animal. Affirma t-elle en secouant sa crinière solaire.
Lucie éclata de rire et une fois encore, Enola se sentait à l’écart. Ces deux là s’entendaient vraiment bien, songea-t-elle avec un pincement au cœur. Elle s’assit devant le bureau qui comportait un miroir et entreprit de se démaquiller. Elle lança prudemment:
- J’ai trouvé que tu avais été un peu trop entreprenante avec tout le monde. Je veux dire, tu joues mon rôle et je pense que je n’aurai pas vraiment agit comme ça. Et puis je pensais que tu ne devais pas encourager Léo, vous avez passé la journée à flirter, c’était pas vraiment le plan.
Lucie se redressa sur son lit et la regarda avec un air mesquin.
- Le but que je joue ton rôle Enola c’est que je paraisse une meilleure version de toi, c’est ce que TU voulais. C’est normal que je sois plus ouverte aux gens et “entreprenante”. Si tu veux parler des choses qu’on a pas respecté, qu’est-ce que vous nous avez fait dans la cuisine avec Léo? Je pensais qu’il ne fallait pas que tu attires l’attention sur toi et je le retrouve à genou devant toi à te masser les pieds.
Elle avait été sèche et directe, Enola rougit et bafouilla:
- C’était un accident en fait, la planche m’a échappé des mains et il… enfin il a été sympa c’est tout.
Au fond d'elle, la jeune fille savait qu’elle n’avait pas à se justifier. Après tout, de vraies amies auraient plutôt dû être surexcitée par cette histoire, pas lui faire des reproches. Elle lança un regard à Louise pour trouver du soutien. Celle-ci était occupée à tapoter sur l’écran de son téléphone et ne donnait que guère peu d’attention à la conversation.
- C’est toi qui m’a embarqué là dedans. Je te l’ai dis, je suis là pour rencontrer des gens et m’amuser. Je te déconseille fortement de tout balancer dès le premier jour, tu risquerais de passer pour une idiote. On va continuer à jouer nos rôles respectifs et tout ira pour tout le monde. Et concernant Léo, tu as dis toi même que c’était un abruti fini, il ne t'intéresse donc pas. Ne soit pas égoïste Enola, tout le monde ne partage pas ton avis. Personnellement il me plait bien à moi ce Léo.
Enola était estomaquée, c’était donc ainsi qu’était sa cousine? Une arriviste, une peste doublée d’une manipulatrice? Elle repensa à son père et à sa description de Lucie, elle commençait un peu à comprendre ce qu'il avait voulu dire par "un peu particulière". Elle fut bien contente de ne pas leur avoir dit que Christelle avait découvert leur secret. Elle éprouva un vive pincement au coeur et se sentait trahie. C’est vrai qu’elle avait trouvé le Léo de Mariette prétentieux et détestable, mais le Léo Arcadia ne lui avait pas donné la même impression. Il avait été charmant et extrêmement prévenant. Elle repensa à sa fuite soudaine quand sa cousine était entrée dans la cuisine et cela la déprima encore plus. Elle n’avait aucune chance face à Lucie et elle le savait pertinemment. Elle pensa à son amie Mysteria et cela lui donna un soupçon de courage:
- M’ouais, souviens toi quand même qu’il t’apprécie aussi parce qu’il croit que tu es Nola la chasseuse.
- J’en suis bien consciente, je veux juste m’amuser un peu et quand la semaine se terminera je lui dirai que c’était cool mais que je ne suis pas prête pour une relation sérieuse. J’aurai eu ma part de loisir et toi ce que tu voulais, que demander de plus.
Lucie avait un sourire mauvais, Louise avait levé la tête de son téléphone pour écouter les deux jeunes femmes mais ne fit aucun commentaire. Sa passivité blessa d'autant plus Enola qui se leva et sortit de la chambre sans répondre.
Elle aurait voulu voir Christelle mais celle-ci était dans sa chambre avec Heldadras. Elle se dirigea vers la terrasse baignée de la douce lumière du clair de lune et s'allongea sur une chaise longue. L’air frais de la nuit l’apaisa légèrement, elle s’en voulait d’avoir fait confiance à sa cousine qu’elle ne connaissait même pas. Elle en voulait à Louise de ne pas avoir pris sa défense et elle en voulait à toute la maisonnée de ne pas avoir conscience de son mal être. Songeuse, elle regardait les étoiles quand un bruit la fit se relever brusquement. Léo était sur le seuil de la porte vitrée.
- Excuse moi je ne voulais pas te faire peur, j’ai vu la fenêtre ouverte en allant dans la cuisine et je voulais la fermer pour les moustiques. S’excusa t-il surpris de la trouver là.
Il fronça les sourcils et demanda:
- Qu’est ce que tu fais là toute seule dans le noir?
Elle le fixa un moment, ne sachant pas ce qu’elle pouvait dire ou non, elle opta pour une petite part de vérité :
- Je n’ai pas l’habitude d’être entourée de beaucoup de monde, être un peu seule me rassure.
Elle leva les yeux vers lui pour déceler de la moquerie dans son regard mais fut surprise d’y trouver de la compréhension.
- Je vois, c’est vrai que tu es souvent toute seule au lycée.
Il surprit son regard gêné et poursuivit maladroitement:
- Pas que ce soit une mauvaise chose bien sûr, la plupart du temps, tu sembles totalement absorbée par un bouquin. Je me demande souvent comment tu fais, j’ai toujours besoin d’avoir des gens autour de moi. Rester seul m’oblige à trop réfléchir.
Comme la jeune fille ne répondait toujours pas, il continua :
- Toi et ta cousine êtes vraiment différentes, elle est très… disons que je ne l’imaginais plus introvertie.
Il semblait visiblement mal à la l'aise et cela amusa la jeune fille.
- Ce n’est pas un reproche bien entendu, ta cousine est super !
Il croisa le regard d’Enola et il y eut un instant de silence entre eux. Elle n’en croyait pas ses oreilles, elle pensait qu’elle était invisible au lycée et Léo James venait tout juste de lui dire qu’il l’avait déjà observé. Elle se sentait à la fois honteuse, ridicule et un brin intriguée. Elle brisa le silence qui s’était installé et parla doucement :
- Ma cousine est… disons qu’elle fait envie à beaucoup de filles. C’est normal que les mecs comme toi la trouve charmante.
- Les mecs comme moi ? Demanda t-il, visiblement blessé.
Enola s'agita sur sa chaise longue, mal à l'aise.
- Tu sais bien ce que je veux dire, les mecs populaires...
Gênée, elle détourna le regard et il lui posa la main sur l’épaule. Enola sursauta et leva les yeux vers lui.
- Il va falloir que tu arrêtes de me coller des étiquettes. Tu sais malgré ta maladresse pathologique et ton antipathie à mon égard, tu n’es pas mal non plus Agatha.
Il plongea son regard dans celui d’Enola et celle-ci se figea. Au bout de quelques secondes, il toussota bruyamment et retira sa main brusquement comme si l'épaule de la jeune fille était devenue brûlante.
- Enfin… Il est tard. On devrait aller se coucher. Je crois que le Patron nous a concocté une chasse au trésor ou un truc comme ça dans la forêt demain.
Il s’écarta de la jeune fille et resta un instant debout sur la terrasse sans rien dire.
- Bonne nuit Agatha, dors bien.
Il rentra dans la bâtisse et Enola se retrouva seule en compagnie de son trouble, elle resta quelques minutes sur sa chaise longue puis alla directement se coucher sans adresser un mot à ses camarades de chambre. Elle attrapa son téléphone et envoya un sms à ses parents ainsi qu’à son frère. Elle constata un nouveau message de Mysteria et l’ouvrit.
Mysteria: Ne te dévalorise pas autant Jolie Enola, tu es une jeune fille charmante. Je suis très heureuse d’avoir enfin pu faire ta connaissance. Je ne dévoilerai pas ton secret mais sache que je le trouve ridicule !
Elle consulta ses autres messages et constata un sms d’Arcadia, son cœur fit un bond dans sa poitrine :
Arcadia: Je suis ravie de t’avoir vu aujourd’hui, j’aimerai passer plus de temps seul à seul avec toi et faire plus connaissance. Tu es ravissante. Bise, ton Arca.
Enola savait au fond d’elle que ce message ne lui était pas vraiment destiné. Elle n’était pas quelqu’un de perfide et ne voulait pas bousiller son amitié virtuelle avec Léo. Pourtant, l’idée que Lucie et Léo flirt ensemble lui était insupportable. Elle choisit de lui répondre:
Nola: Très contente de t’avoir rencontré aussi, je ne suis pas contre passer du temps avec toi mais je dois aussi profiter de ma semaine ici pour voir tout le monde. Passe une bonne nuit, Nola.
Elle éteignit son téléphone sans attendre la réponse. Son sms avait été distant mais aimable, parfait pour la situation. Elle sommeilla un moment en repensant aux événements de la journée et aux moments partagés avec Léo et finit par s'endormir au rythme des légers ronflements de Louise.
***
Mardi 30 juin
Un ewok maladroit
Elle fut brusquement réveillée par des rires provenant du couloir. Elle ouvrit les yeux et la lumière émanant de derrière les rideaux tirés lui indiqua que le jour s’était levé. Elle se redressa et lança un rapide coup d’oeil aux lits encore occupés de ses deux camarades de chambre: elles semblaient profondément endormies.
Curieuse de savoir qui était à l’origine de ce tapage, elle se leva discrètement et alla ouvrir la porte de la chambre sans même penser à passer se rafraîchir dans la salle de bain. Ses cheveux flamboyant étaient en bataille et elle portait un pyjama blanc à l’effigie d’un Ewok, un petit personnage pelucheux de l’univers Star Wars. Après tout, elle n’était qu’Agatha et les autres l’avaient accepté comme telle. Elle y avait réfléchi pendant la nuit et était arrivée à la conclusion qu’il ne servait à rien de se cacher ou de se changer, puisque de toute façon il n’y aurait aucun retour en arrière avec Léo.
Dans le couloir, il régnait une atmosphère joyeuse et détendue. Frosti et Tiboy étaient en train de mimer un combat de boxe tandis que Léo et Heldadras les encourageaient en riant. Derrière eux, Mysteria croisait les bras d’un air réprobateur mais un sourire discret sur ses lèvres trahissait son amusement. Son sourire s’élargit quand elle vit apparaître Enola sur le pas de la porte.
- Bravo les garçons, avec votre vacarme vous avez réveillé notre chambrée de douces jeunes filles !
Tous s’interrompirent et se tournèrent vers Enola. Elle se sentit soudain comme nue accoutrée de son pyjama de gamine et sa tête de saut du lit.
- Je… Non, non ne vous arrêtez pas. Lança t-elle en souriant malgré son malaise. Enfin les filles ne sont pas encore réveillées. Je vais aller me changer et j’arrive…
Heldadras balaya l’air de sa main et la coupa.
- Laisse donc dormir ces belles aux bois dormant, viens prendre ton petit déjeuner tu t'habilleras après.
Enola remarqua que la plupart de ses compagnons étaient encore en pyjama. Bien entendu Léo était habillé et portait ce jean si parfait qui moulait à la perfection les muscles de ses jambes et de ses fesses. Mysteria semblait quand à elle avoir besoin d’une bonne dose de caféine. Ses cheveux blonds courts et indomptés étaient dressés sur sa tête et ses yeux semblaient cerclés de bleu. Elle surprit le regard d’Enola et la prit par le bras.
- Dors une nuit avec Laurent et les cernes feront à jamais partie de ta vie. Je suis étonnée que vous ne l’ayez pas entendu ronfler jusqu’ici ! Aller viens,
Agatha, allons prendre ce petit déjeuner.
Elle avait insisté sur le prénom Agatha en faisant un clin d’oeil complice à la jeune fille.
Toute la petite troupe s’installa à table où les attendait un assortiment de pâtisseries et de boissons chaudes à en faire pâlir le plus grand des hôtels.
- Mangez bien les enfants, la journée risque d’être sportive ! Lâcha Heldadras en riant.
- Bon sang Myst, qu’est ce que le Patron nous a encore prévu, j’espère que ce ne sera pas comme la fois où il a voulu qu’on batte le record de vitesse sur le raid de Karazhan ! Fit mine de se plaindre un Frosti toujours guilleret.
Enola gloussa en beurrant sa tartine et lança sans réfléchir :
- C’est sûr que là c’était plus le record de décès et d’utilisation excessives de potions.
Elle leva les yeux et constata avec effroi qu’une fois encore tout le monde la regardait.
- Enfin, j’imagine. Bafouilla t-elle en essayant de se rattraper.
Léo lui demanda:
- Tu as déjà jouer à World of Warcraft Agatha?
- Non! Enfin je veux dire si, vite fais. Mon frère avait un compte et il y a pas mal jouer fut un temps. Du coup, voilà... je connais un peu.
A son grand soulagement, son mensonge sembla passer inaperçu et Frosti lança:
- Tu devrais venir jouer avec nous, ça serait cool ! Et puis, il manque cruellement de femmes dans cette guilde !
Enola se détendit et répondit en souriant :
- Je tâcherai d’y penser oui !
Léo qui était resté debout près de la cafetière, vint s’asseoir à côté de la jeune fille et toucha les oreilles d’Ewok sur la capuche de son pyjama. Il lui glissa à l’oreille:
- Joli pyjama, tu crois qu’ils font le même pour homme ?
Énola s’empourpra et fit tomber sa tartine dans son bol de chocolat chaud, éclaboussant ainsi son beau pyjama immaculé et le t-shirt blanc de Léo.
- Mince ! Je suis tellement désolée !
Paniquée, elle prit une serviette en papier sur la table et entreprit de nettoyer le t-shirt du jeune homme pour faire partir les tâches. Sans réfléchir, elle avait passé une main sous le tissu pour mieux frotter. Il lui attrapa la main en riant et lui lança :
- Hé ! Tu as la main gelée ! Tu sais Agatha, tu aurais pu simplement me demander si je voulais du chocolat chaud.
Il la regarda dans les yeux et y lu de l’affliction. Sans lui lâcher la main, il poursuivit pour la rassurer :
- Ce n’était pas mon t-shirt préféré de toute façon, et puis quoi de mieux que quelques tâches pour aller se rouler dans la boue. En revanche je suis vraiment désolé pour ce pauvre Ewok, je crains qu’il ne veuille plus toucher une seule goutte de chocolat chaud d’ici un bon moment.
Il avait effleuré une des tâches sur le pyjama de la jeune fille et elle s’était figée. Elle se détestait d’être aussi maladroite mais c’était surtout l’idée d’avoir touché le ventre musclé de Léo qui l'horrifiait. Sentir le contact de la main chaude du garçon sur la sienne la paralysait. La sonnerie du micro-onde la sortit de sa torpeur et elle retira brusquement sa main de celle du jeune homme. Elle se concentra sur la tache de lait sur la table qu’elle se mit à essuyer frénétiquement.
Léo sembla vouloir ajouter quelque chose, mais deux jeunes filles toutes apprêtées firent leur apparition dans la salle à manger.
Enola leva les yeux vers son amie et sa cousine. Lucie avait enfilé un mini short très ajusté ainsi qu’un débardeur blanc et moulant qui ne laissaient que peu de place à l’imagination. Louise avait quand à elle opté pour une combinaison noire près du corps qui faisait penser au costume d’une super héroïne de fiction. Elle se sentit plus que misérable dans son pyjama de gamine taché de chocolat. Pour accentuer son malaise, Lucie leva les bras en l’air (ce qui eu pour effet de dévoiler son nombril parfait) et lança à la cantonade un “bonjouuuuuur tout le monde” digne d’une comédie musicale ringarde.
Enola rougit de honte, jamais elle ne se serait habillée comme ça et n’aurait agit de la sorte. Il semblait que sa cousine avait décidé de n’en faire qu’à sa tête et de ne plus respecter leur accord. Enola sentit une bouffée d’affection quand elle vit Mysteria lever les yeux au ciel et soupirer d’agacement mais sa joie passagère s’estompa rapidement quand elle vit les hommes de la tablée baver une nouvelle fois sur sa cousine. Elle risqua un rapide coup d’oeil vers Léo qui souriait aux deux nouvelles arrivantes. Il leur adressa un bonjour charmant et s’empressa de débarrasser la place vide à côté de lui. Enola en eu le ventre noué et repoussa sa tartine, dégoutée.
Tiboy, dont Enola ne savait toujours pas le vrai prénom, siffla et leur lança de sa voix bourrue :
- Et ben les filles, prêtes à aller débusquer des trésors en forêt à ce que je vois, de vraies tenues d’aventurières !
Enola vit Louise minauder et se dandiner pour aller s’asseoir près d’un Tiboy tout sourire. Elle fronça les sourcils, légèrement inquiète pour son amie. Ils avaient quand même une sacrée différence d’âge. Louise n’était pas à son premier coup d’essai avec des hommes mûrs. Malgré ses airs candides et enfantins elle avait un tempérament mature et l’habitude depuis toute petite de fréquenter des gens plus âgés qu’elle. Enola se souvint alors que Louise n’avait pas prit sa défense la veille et qu’elle ne semblait pas dérangée par le comportement de Lucie, elle en oublia instantanément son inquiétude et se renfrogna.
Bien entendu, Lucie s’empressa de venir s’asseoir de l’autre côté de Léo.
A peine assise, elle l’embrassa sur la joue et lança un regard moqueur à Enola qui était rouge de colère.
- Et ben cousine, tu t’es faite attaquer par un Gnoll ?
Tout le monde éclata de rire. Enola n’en revint pas. Elle était sérieuse? Sa cousine qui ne connaissait rien au jeu et à son univers avait osé utiliser une des rares informations communiquées par Enola à propos des monstres présents dans celui-ci et qui plus est, l’avait utilisé pour la ridiculiser. Elle était tentée de répliquer en lui demandant ce qu’elle entendait par là afin de mettre sa cousine en difficulté et mettre en valeur sa méconnaissance du jeu, mais elle savait que si elle rentrait dans ce petit jeu elles tomberaient ensemble. Lucie semblait aussi en être consciente et elle lui lança un regard d’avertissement. Enola se contenta de lui répondre :
- Je pourrais te retourner la question, il ne manque pas un peu de tissu sur ce débardeur?
Cette fois, personne ne rit, certainement alerté par la tension palpable entre les deux jeunes femmes, seule Mysteria s’esclaffa discrètement.
Lucie regardait sa cousine l’air surpris et Enola fut aussi étonnée par son propre aplomb que le reste de l’assemblée. Jamais elle n’aurait imaginé répondre comme ça à quelqu’un en public. Elle toussota et se leva de sa chaise, emportant la vaisselle sale de son petit-déjeuner dans l’évier. Après une minute de silence, les conversations reprirent de plus belle et Enola s’échappa dans sa chambre.
***
La jeune fille mit à tremper son pyjama et profita de sa nudité pour aller se doucher, l’eau sur son visage la détendit instantanément. Elle soupira d’aise.
Un bruit se fit soudain entendre dans la chambre et elle murmura un juron: elle avait oublié de fermer la porte de la salle de bain à clé et la personne présente dans la chambre pouvait à tout moment débouler et la voir dans le plus simple appareil. Elle songea avec ironie que, qui qu’elle soit, cette personne ne serait pas déçu du voyage.
Alors qu’Enola sortait de la douche pour fermer la porte, celle-ci s’ouvrit à la volée et une cascade de boucles blondes surgit dans l’espace embuée de la salle de bain.
- Louise ! Je suis toute nue, sors de là! S’offusqua Enola en tentant de se cacher avec le rideau de douche.
- On s’en fiche, je t’ai déjà vue toute nue Nono, il faut qu’on parle toutes les deux !
- Tu m’as vu toute nue quand on avait sept ans! Je t’en prie sors de là, on discutera après !
Louise, ajusta ses cheveux devant le miroir embué et s’assit sur la cuvette baissée des toilettes sans se soucier des vociférations de son amie.
Enola leva les yeux au ciel et retourna sous la douche en prenant bien soin d’ajuster le rideau. Elle grommela :
- Tu pourrais au moins fermer la porte de la salle de bain.
- Non, je n’arrive pas à respirer avec toute cette vapeur et en plus de ça je ne veux pas que des oreilles indiscrètes nous écoute à notre insu.
Enola soupira et attendit la suite.
- Ecoute, je suis désolée mais ta cousine est une garce.
- Ah vraiment ? Tu ne semblais pas vraiment de cet avis hier soir…
- Ok, je suis désolée. C’est vrai que sur le coup j’ai pensé qu’elle n’avait peut être pas tort. Tu voulais absolument éviter Léo et j’ai pensé qu’au moins, si elle fricotait avec lui et qu’elle le lâchait après, tout serait réglé.
- C’est totalement stupide comme raisonnement, répondit Enola avec lassitude, Le but c’était qu’une fois rentré à la maison tout redevienne comme avant. Là elle me fait passer pour quelqu’un que je ne suis pas devant toute ma guilde.
- Oui justement, il est là le problème ! Elle drague tout ce qui bouge ! Léo, Arthur et maintenant Eric !
- Qui est Eric ? l’interrogea Enola.
- Ben Eric, enfin Tiboy si tu préfères ! Cette fille est une sangsue, rien que tout à l’heure après que tu sois partie elle est venue lui servir son café et exhibant sa poitrine de mannequin sous son nez. Une garce !
Enola sentit la moutarde lui monter au nez, Louise n’avait pas pris sa défense la veille et maintenant que Lucie faisait son petit numéro avec Tiboy il fallait absolument se préoccuper de la situation. Enola était agacée mais elle était également heureuse d’avoir enfin Louise de son côté. Elle était son amie et elle savait que Louise était comme ça. Sa bienveillance naturelle revint au galop et elle lança à la blondinette:
- Tiboy n’a d’yeux que pour toi de toute façon, et ça m'inquiète un peu d’ailleurs, tu ne trouves pas qu’il est un peu vieux pour toi? Enfin, tu vois… je voudrais pas qu’il t’arrive des trucs…
- Je t’en prie Nono arrête de me materner ! Je suis majeure et ce n’est pas le problème ! Le problème c’est ta cousine et sa libido démesurée !
Enola ne put s'empêcher de rire et elle demanda à Louise de lui tendre sa serviette. Elle en fit une robe et sortit de la douche ainsi vêtue. Louise la reluqua avec bienveillance. Elle trouvait sincèrement que les formes de son amie lui allait à merveille. Bien sûr, elle était bien trop fière et prétentieuse pour le lui dire.
- Au fait en parlant d'âge, jeudi c’est ton anniversaire ! Bientôt dans le club sélecte des majeurs ! A nous les soirées en boite de nuit et les verres payés par de beaux inconnus au bar !
Enola s’esclaffa en secouant la tête.
- Merci, mais pas un mot sur mon anniversaire aux autres. J’ai dis à Léo que mon anniversaire tombait au début du mois… enfin l’anniversaire d’Enola. Je n’ai pas très envie qu’il s’en souvienne, il ne manquerait plus que je doive regarder tout le monde célébrer Lucie à ma place ! Et il est hors de question que je mette les pieds en boite. Poursuivit elle en arrosant son amie avec ses cheveux mouillés.
Elles entendirent la porte de la chambre s’ouvrir et Lucie déboula sans gêne dans la salle de bain.
- Ah vous êtes là ! On va pas tarder je crois. Je suis venue chercher une veste parce que le vieux dégarni m’a dit qu’il faisait un peu froid en forêt. Je pense qu’il avait surtout peur que je déconcentre tout le monde avec tout ça. S’exclama t-elle en tournant sur elle-même sans modestie.
Elle poursuivit en voyant l’accoutrement d’Enola.
- Ça te va bien de faire des remarques sur mon débardeur, tu n’avais pas plus petit comme serviette?
Enola piqua un fard et tenta inutilement de tirer sur le bas de la serviette tout en essayant de remonter le haut. Ses formes généreuses n’étaient effectivement pas très cachées par l’étroit bout de tissu. Louise sembla vouloir rétorquer quelque chose mais Léo fit soudain irruption dans la chambre dont la porte était restée grande ouverte sur le couloir en disant qu’ils allaient bientôt partir. Il se figea stupéfait devant la porte ouverte de la salle de bain et les trois filles qui s’y trouvaient. Son regard se posa sur Enola à moitié nue qui était mortifiée. Pendant un instant qui sembla durer une éternité, ils restèrent tous les quatre sans bouger, puis Léo eut la présence d’esprit de se tourner en se confondant en excuses.
Louise sortit de la salle de bain en poussant Lucie et referma la porte sur une Enola au bord de la crise de nerf.
- Merde les filles je suis désolé, la porte était ouverte, je pensais que vous étiez prêtes ! (Il haussa la voix) Agatha je suis désolé ! Je vais euh... rejoindre les autres dans le salon.
Le jeune homme lança un regard à la porte fermée de la salle de bain avec un mélange de culpabilité et de curiosité.
- Ça va, elle n’était pas nue non plus ! Riait Lucie, amusée de la situation.
- Oui, c’est ça, on va tous faire ça, aller au salon. Lâcha Louise en les poussant vers la sortie, non sans jeter un regard inquiet vers la porte de la salle de bain.
Quand Enola entendit la porte de la chambre claquer, elle éclata en sanglot. Elle essuya le miroir embué et se regarda, les larmes coulant encore sur ses joues. Elle était morte de honte, Léo avait vu ça, tout ça. Son reflet la dégoûtait, elle ne voulait plus sortir de la salle de bain et encore moins revoir le jeune homme. Pourquoi est-ce qu’il fallait toujours qu’elle se retrouve dans ce genre de situation?
Elle continua de se regarder dans le miroir et s’essuya les larmes. Qu’est ce que ça pouvait bien changer de toute façon, elle était Agatha, la fille au pyjama taché et à la serviette trop petite pour cacher tout son corps. La fille d’une maladresse pathologique qui ne brille que par ses gaffes. Rester dans cette salle de bain plus longtemps ne servirait à rien, elle devrait en sortir tôt ou tard.
Elle inspira une grande bouffée d’air et alla s’habiller. Autant passer cette journée la tête haute. Une fille comme Lucie ou Louise s’amuserait d’avoir été surprise si peu vêtue. Malheureusement elle n’avait le physique ni de l’une ni de l’autre et elle ne trouvait rien d’hilarant à tout ça. Elle mit un peu de mascara et enfila un jean slim noir ainsi qu’un gros sweat à capuche de la même couleur. Elle chaussa ses Converses usées par les promenades dans les dunes et s’attacha les cheveux en une queue de cheval haute qu’elle coiffa d’une casquette sombre. Elle jeta un coup d’oeil dans le miroir. Elle n’avait rien d’une aventurière sexy mais cette tenue la rassurait, elle avait dépassé son quota d’exhibition pour la journée.
Enfin prête, elle se dirigea vers le salon pour rejoindre ses compagnons et s’assit aux côtés de Mysteria sans adresser le moindre regard autour d’elle. La quadragénaire lui demanda si tout allait bien mais la jeune fille resta silencieuse et s'enfonça de plus belle dans le canapé.
***
Chapitre 8 (suite)
Chapitre 9 et 10