Hello !
Voici le chapitre 9 ! Il est un peu plus long que le 8 mais j'espère que ça ne dérangera pas !
Bonne lecture !
Chapitre 9
Reprendre forme humaine n’était pas chose aisée. Dean était assis en tailleur sur le sol de ma chambre, en face de moi, à me donner des instructions et des conseils. Il fallait que je me concentre sur mes souvenirs de moi-même lorsque je n’étais pas un animal à quatre pattes, que je respire profondément et surtout, que je sois déterminée. Je devais rester calme, mais plus le temps passait, plus je m’inquiétais de ne pas y parvenir, alors cela m’immergeait dans une boucle infernale.
La détermination, je l’avais. La respiration profonde aussi. Néanmoins, il me manquait la concentration. Je n’arrêtais pas de me focaliser sur l’odeur de la viande, puis sur les bruits provenant de l’extérieur. C’était d’ailleurs pour cela que nous nous étions repliés dans cette pièce : nous espérions que j’aurais moins de distractions. Cela ne fonctionnait pas énormément. Mes sens plus aiguisés m’offraient une myriade de choses à découvrir.
Il fallait que je me replie en moi-même, et j’avais du mal. Ou alors que je me repasse un souvenir qui m’apaisait. Je n’en avais pas une tonne.
Voyant que je pataugeais toujours autant dans la semoule, Dean soupira et passa une main dans ses longues boucles noires. Je lui jetai un regard désolé.
— Peut-être que les déclencheurs ne sont pas les mêmes pour toi, fit-il d’un air pensif. Certains se concentrent sur une chose qui les apaise, et non sur le souvenir d’eux-mêmes. Ça peut être un son, une odeur, une impression…
J’inclinai la tête sur le côté, l’espoir me revenant.
Lui, m’apaisait. Mais les souvenirs récents que j’avais partagé avec lui étaient tous un peu ternis par leur contexte. Soit c’était pendant notre fugue, soit lorsque j’étais malade, soit quand nous étions avec d’autres personnes, mais la discussion n’était pas forcément joyeuse non plus.
Alors j’allais faire autrement.
Je décidai de me concentrer uniquement sur lui, et non sur ma mémoire. Seulement sur ce que je ressentais en le voyant, là, maintenant.
Je me mis à écouter ses battements de cœur, je respirai son parfum naturel, mêlé à une fragrance rappelant les sapins de la forêt. Ainsi que la pointe d’odeur typique des loups-garous.
Voyant que mon expression changeait et que je paraissais me concentrer à nouveau, il m’encouragea sur un ton bas. Je fermai les yeux pour être enveloppée par sa présence. Je me laissai bercer par sa voix, son timbre grave, profond et suave qui me faisait l’effet d’une caresse.
Je restai ainsi pendant un moment, encore. Cela faisait déjà bien une demi-heure que nous étions dans cette chambre, et il me fallut quinze minutes de plus pour que le processus s’enclenche.
Je finis par me détendre complètement en me passant le visage de Dean derrière mes paupières closes. Des frissons commencèrent à me parcourir et je ressentis des picotements partout sur mon corps. Je me forçai à rester calme et à ne pas m’inquiéter. Je redoutais la douleur qui surviendrait sûrement encore une fois, mais ce serait nécessaire.
Sans que je ne puisse le contrôler, mon dos se courba et je mis ma tête entre mes pattes. La gêne se transforma petit à petit en douleur, et je serrai les dents pour ne pas laisser sortir de gémissements. Mais des couinements finirent par m’échapper malgré moi.
Pendant de longues minutes, je luttai, alors que ma silhouette se faisait de plus en plus petite, que mes os et mes muscles changeaient à nouveau, que mes crocs redevenaient des dents, mes griffes, des ongles, et que les poils laissaient la place à ma peau. Mes plaintes devenaient plus humaines, le loup laissant la place au bipède.
Je me retrouvai roulée en boule sur le sol, tremblante à cause des sensations ou du froid. Peut-être des deux. Cela faisait une drôle d’impression de ne plus avoir une épaisse fourrure pour se tenir au chaud.
Je sentis un tissu me recouvrir. Je relevai finalement la tête pour voir que Dean m’avait entourée d’une couverture. J’en saisis les bords pour la refermer sur moi et le remerciai d’un signe de tête. Il m’aida à me relever et je parvins à me ressaisir, afin d’éviter que mes jambes ne continuent à s’entrechoquer.
— Tu l’as fait, fit Dean en me regardant dans les yeux.
Un sourire emplit de tendresse étirait ses lèvres. Je hochai la tête. J’avais réussi. Grâce à lui, à ses conseils et au fait qu’il m’apaisait, mais aussi grâce à moi, dans le fond. J’étais plutôt fière. Et émue.
— Je l’ai fait, répétai-je, en confirmant.
Ne pouvant me retenir, je me rapprochai de lui et l’étreignis d’un bras, mon autre main retenant la couverture. Il entoura mes épaules et je le remerciai pour son aide. En réalité, intérieurement, je le remerciais pour tout.
~
J’avais retrouvé mon appétit.
Après avoir mangé deux gros steaks et une bonne portion de riz, j’avais écarquillé les yeux, arrivant à peine à croire que tout avait fini dans mon estomac. Et pourtant, mon ventre gargouillait encore. Alors – puisque Dean avait cuisiné pour un régiment – j’avais enchaîné avec un plat de spaghettis accompagnés d’une escalope de poulet cuite au four. Et encore une fois, je n’étais pas rassasiée. Et le loup en face de moi suivait le même rythme. Il m’avait expliqué qu’après une transformation, et surtout pendant la pleine lune, nous étions beaucoup plus voraces. Et apparemment, je le serais quand même pas mal le reste du temps. Il nous fallait de l’énergie pour nourrir la bête en nous. Il avait aussi ajouté que ma transformation m’avait permis de récupérer mes anciennes habitudes en ce qui concernait la nourriture, d’un coup, comme si cela m’avait permis de tourner une page pour mieux reprendre ma vie là où elle s’était arrêtée trois ans plus tôt.
J’avais aidé Dean à cuisiner et à réchauffer les steaks que nous avions abandonnés pour que je redevienne humaine, pendant un petit moment, salivant en sentant tous ces effluves. Néanmoins, j’avais l’impression que mon odorat était moins exacerbé, soudainement. Toujours plus qu’à l’ordinaire, mais c’était moins intense que lorsque j’étais métamorphosée. Je lui avais demandé pourquoi.
— Même si tu as plus de facultés maintenant que tu t’es transformée une fois, tu en as toujours moins sous forme humaine. C’est tout à fait normal, m’avait-il informé.
Alors que je faisais attention à ce que l’omelette ne brûle pas, j’avais suspendu ma spa-tule pour me tourner vers lui.
— Oh… alors ça ne reste pas ? fis-je avec une moue déçue.
Il eut un petit rire.
— Plus tu te transformeras, plus tes sens se développeront. Tu pourras ressentir plus de choses, sur de plus grandes distances. Et même sans être sous forme de loup. Cela sera moins intense, certes, mais ça fera quand même une sacré différence.
Cette idée m’avait plût.
J’avais d’ailleurs appris que si Dean et moi faisions plusieurs plats, c’était pour que je profite de toutes ces saveurs différentes pleinement, pour la première fois depuis trois ans.
Eh bien c’était réussi ! Mais après l’omelette, je décidai qu’il était temps pour moi d’arrêter de tout dévorer. Je redoutais un peu d’être malade, aussi. Je n’avais vraiment pas l’habitude de manger autant.
Cette nuit-là, allongée dans mon lit et regardant les étoiles, je me sentis soulagée. Soulagée d’avoir enfin libéré ma louve, enfermée depuis plusieurs années et maltraitée. Ravie, même. Je n’étais pas pleinement
moi, mais je me découvrais, petit à petit.
Pour la première fois, je m’endormis avec le sourire.
~
Je sortis les deux plaques du four. Je transpirais un peu à cause de la chaleur régnant dans la cuisine, mais cela en valait la peine : j’allais rencontrer les autres membres du clan Sparks. J’étais très nerveuse, alors je m’étais plongée dans la confection de cookies aux pépites de chocolat. Cette envie m’était venue d’un coup et je m’étais rendue compte que j’aimais beaucoup faire des gâteaux.
La table de la cuisine devenait petite, à force d’enchaîner les fournées. Plusieurs assiettes pleines trônaient dessus et j’avais encore mes dernières gourmandises à ajouter. Une fois cela fait, je mis mes poings sur mes hanches, satisfaite du résultat et contente de moi.
J’entendis la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer. Dean était rentré. Il m’avait annoncé, en début d’après-midi, qu’il devait faire quelques vérifications à son travail mais qu’il n’en aurait pas pour longtemps. Consciente qu’il s’en était absenté pendant des jours pour veiller sur moi, je lui avais répondu qu’il pouvait prendre tout son temps. J’avais su qu’il travaillait avec Celeste, qu’ils étaient associés et étaient les propriétaires d’une boîte de nuit et d’un hôtel. Mais la cobra avait déclaré qu’elle s’en sortait très bien toute seule et qu’il pouvait revenir quand il le voulait. Mais apparemment, il y avait une urgence. Ce que je comprenais parfaitement, et d’ailleurs, cela me gênait d’être la cause de son absence à son boulot. Il fallait que je lui montre que je pouvais me débrouiller.
Dean me salua puis haussa un sourcil en voyant tous les biscuits sur la table. Ses yeux pétillaient. Il m’avait confié que la Lyn d’avant aimait la cuisine sucrée, cela devait lui rappeler des souvenirs. Cette idée m’apaisa. Peut-être que je finirais par retrouver celle que j’étais, tout en étant à la fois… la nouvelle
moi.
— Je me suis dit qu’ils seraient sûrement aussi voraces que nous, déclarai-je pour justifier les énormes tas de cookies.
Il lâcha un petit rire.
— Il n’y a pas de doute, approuva-t-il. Ils vont être contents.
Je souris.
— Super ! J’ai envie de faire bonne impression, arguai-je. Tiens, dis-moi ce que t’en penses !
Je lui tendis une assiette et il saisit un biscuit avant de mordre dedans. Certes, j’en avais déjà mangé quelques-uns moi-même, mais il me fallait un avis extérieur. J’attendais le verdict en me dandinant d’un pied sur l’autre, comme une enfant. Je devais me retenir de m’exclamer « Alors ? Alors ? ».
Il hocha la tête avec un regard approbateur.
— Ils sont très réussis, assura-t-il.
Je serrai le poing en un geste victorieux.
— Et donc, tu comptes les acheter avec des cookies ? me nargua-t-il.
— Totalement, raillai-je. Enfin, j’ai aussi mon charme naturel, cela va sans dire.
J’étais de bonne humeur, aujourd’hui.
— Évidemment.
— Est-ce qu’il y a des choses que je devrais savoir sur eux, avant qu’ils n’arrivent ? demandai-je soudainement. Est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre… que je connaissais, avant ?
Je m’étais posée cette question une bonne centaine de fois pendant que je préparais les gâteaux. Au moins, je le saurais en avance et pourrais me préparer psychologiquement.
Il opina. Je croisai les bras.
— Tu connaissais la fille de Griffin. Eden, m’apprit-il.
Eden… Eden…
Même en me forçant à avoir au moins une impression en entendant ce nom, rien ne me venait.
— On s’entendait bien ? m’enquis-je, curieuse.
— Très bien. Quand elle est née, tu l’as pris sous ton aile. Tu as quatre ans de plus qu’elle et tu étais un peu comme sa grande-sœur.
Mon visage se rembrunit. Oh… Je serrai les lèvres, mal à l’aise et un peu peinée de ne pas me souvenir d’elle. Qu’est-ce que ça allait lui faire, en me voyant ainsi ?
— Je suis désolé de te dire ça comme ça, mais je me suis dit qu’il valait mieux être totalement honnête, fit-il avec une expression navrée.
Je secouai la tête.
— Tu as raison, le rassurai-je. De toute façon, j’aurais bien fini par le savoir en voyant sa réaction.
Ce serait la première fois qu’elle me reverrait depuis ma disparition. Elle devait savoir que j’étais amnésique, pour autant, cela lui ferait sûrement un choc quand même.
— Quelqu’un d’autre ? demandai-je, même si j’avais un peu peur de la réponse.
— Non. En revanche, il y autre chose que tu dois savoir : Ezekiel, le plus jeune d’entre nous, a été adopté il y a deux ans par Griffin. Il vaut mieux éviter de mentionner ses parents, grimaça-t-il.
Je mis une main sur mon cœur. Le pauvre bout de chou. Je comprenais parfaitement que ça puisse être un sujet sensible. Je fis signe que j’avais compris.
— Et la mère d’Eden est décédée, ajouta-t-il. Tu… le savais, avant, alors au cas-où…
Je lui fis signe que j’avais compris. Cela ferait mal si j’en parlais, mais doublement en ayant oublié. Cela en rajouterait encore une couche.
— Ok. Ne t’en fais pas, dis-je. J’en prends bonne note. Ça va bien se passer.
Je ferais tout pour que ça se déroule bien. Et puis, j’avais hâte de les rencontrer, même si j’étais nerveuse. Celeste et Griffin ne seraient pas là, étant retenus par leur travail respectif, mais apparemment, il y aurait tout de même un sacré monde. Mais le Bêta ferait peut-être une apparition, plus tard.
Nous emportâmes les assiettes dans la salle à manger et à peine furent-elles posées, que nous entendîmes la sonnette retentir. Nous n’eûmes pas le temps de faire un pas, que la porte s’ouvrit à la volée. Nous vîmes entrer une petite silhouette dans la maison. Un petit garçon qui ne devait pas avoir plus de dix ans et qui reniflait l’air exagérément, qui entrait comme si c’était chez lui.
— J’ai senti du chocolat ! s’exclama-t-il, sans gêne.
Je me mordis la lèvre pour me retenir de rire. Dean leva les yeux au ciel mais ses lèvres frémirent.
— Lyn, je te présente Ezekiel. Il a l’habitude de débarquer un peu quand bon lui semble pour voler des bonbons. Ezekiel, je te présente Lyn.
L’intéressé me salua de sa petite main et avec un sourire timide, avant de s’approcher de la table et de lever la tête afin de toiser les biscuits avec envie, de ses yeux bleu. Ses boucles d’un châtain clair étaient en bataille et semblaient s’emmêler un peu plus à chacun de ses pas.
— Je sais que les bonbons sont pour moi, rétorqua le garçon avec désinvolture. Tu les achètes exprès.
Dean eut un sourire en coin.
— Que tu crois, répliqua-t-il.
L’enfant lui tira la langue. Je masquai un rire en voyant l’Alpha prendre un air faussement outré.
— Hé ho, n’oublie pas à qui tu tires la langue, le prévint-il.
— Un jour je serai plus fort que toi ! s’amusa le garçon.
— On en reparlera quand tu auras une crinière.
Une crinière ? Il était vrai qu’Ezekiel ne sentait pas le loup. Un cheval ?
— Pas besoin d’une crinière pour te battre, se vanta le petit en piquant un cookie.
— Tu n’es qu’un lionceau.
Ah. J’y étais presque.
Le garçon piqua un fard et prit un air boudeur, des miettes aux coins de sa bouche. Il était à croquer.
— Je ne suis pas un lionceau, protesta-t-il.
Dean lui ébouriffa les cheveux et le félin fit mine de trouver ça agaçant. C’était assez drôle de les regarder, ils devaient avoir l’habitude de se taquiner ainsi. C’était même touchant.
— Ez ! Je t’avais dit de m’attend…
Cette voix féminine, provenant de l’entrée, attira notre attention. Je me retournai. Une toute jeune femme se tenait là. Vu son âge et sa façon de parler au lionceau, elle devait être Eden. Ma gorge se serra.
Elle s’était coupée en pleine phrase et arborait un air choqué, ses yeux d’un violet épatant, écarquillés. Ses cheveux bruns lui arrivant aux épaules qui étaient désordonnés et quelques gouttes de transpiration sur son front montraient qu’elle venait de courir. De plus, elle semblait avoir du mal à reprendre sa respiration. Je sus – d’après son odeur – qu’elle était une louve.
Elle laissa voir une fragilité soudaine et un kaléidoscope d’émotions traversa son regard. Elle était si mignonne, et en même temps, sa peine apparente me serrait le cœur.
— Lyn…
Elle fit quelques pas dans ma direction. Pour ma part, mes pieds paraissaient ancrés au sol, refusant de bouger. J’avais beau la regarder, rien ne me venait. C’était terrible. En la voyant ainsi, j’aurais aimé me souvenir d’elle afin de la rassurer. Mais rien.
En un éclair, elle fondit sur moi pour me prendre dans ses bras. L’élan me fit reculer d’un pas mais je retrouvai mon équilibre. Elle était maintenant secouée de gros sanglots. J’étais figée.
— Je ne pouvais pas y croire quand on m’a dit que tu étais revenue ! Tu étais morte… Tu…, déclara-t-elle en reniflant. J’ai eu envie de venir te voir mais il te fallait du temps et… Quand on m’a dit qu’aujourd’hui… Tu es là !
Ses paroles étaient embrouillées et entrecoupées par ses pleurs. Mes yeux se mirent à me piquer. J’étais émue par Eden, et si désolée pour elle, aussi. Ceux qui m’avaient connu avaient traversé une période horrible et je ne me souvenais même pas d’eux.
Je finis par parvenir à bouger, et l’enlaçai timidement à mon tour, ne sachant pas trop comment m’y prendre. Je lui tapotai le dos, maladroitement.
— Je suis vivante…, lui chuchotai-je. Je suis bien vivante.
Je croisai le regard de Dean et il soutint le mien, avec une expression qui se voulait réconfortante. Ezekiel, lui, avait l’air perdu. Il avait laissé son deuxième ou troisième cookie de côté pour observer la scène, inquiet. Il devait se demander pourquoi sa sœur était dans cet état. Ses yeux eurent un éclat réprobateur en me regardant, l’espace d’un instant. Pour lui, je lui avais fait du mal. C’était d’ailleurs le cas.
Moi qui voulais faire une bonne première impression…
Eden finit par se dépêtrer de notre étreinte et par reculer.
— Je suis désolée…, s’excusa-t-elle, le regard fuyant et l’air gêné.
— Ce n’est rien, je t’assure, tentai-je de la rassurer.
Elle sécha ses larmes du dos de la main puis entrecroisa ses doigts, aussi nerveuse et mal à l’aise que moi. Elle finit par aller s’asseoir à côté de son petit frère.
Ça commençait bien…
Je me mordis la lèvre inférieure en réfléchissant à toute vitesse à ce que je pourrais dire afin de détendre l’atmosphère. Dean paraissait faire de même, mais ni lui ni moi ne semblions doués pour ça.
Heureusement, d’autres personnes apparurent dans l’encadrement de la porte, qui était restée ouverte.
— Bonjour à tous ! s’exclama une femme qui portait deux grands paquets dans ses bras, qui lui cachaient presque le visage.
Elle dégageait une telle énergie, une telle aura de jovialité, que j’eus l’impression de mieux respirer. L’ambiance parût se détendre d’un seul coup, grâce à sa présence. Je retroussai le nez. Je sentis la présence de plusieurs métamorphes félins. La femme qui venait d’entrer et l’homme juste derrière elle avaient le même parfum animal, et d’ailleurs, ils se ressemblaient beaucoup. Ils devaient être frères et sœurs. Ils étaient typés, venant sûrement d’Inde. Ils avaient un joli teint hâlé. Tous deux possédaient des cheveux bruns, mais ceux de la fille étaient ondulés et lui arrivaient jusqu’au milieu du dos. Ceux de son frère étaient courts sur les côtés et plus longs sur le dessus de son crâne. Ils étaient assez grands. Elle était mince mais avec des formes généreuses là où il le fallait, perchée sur des jambes interminables. Lui, était large d’épaules et semblait très robuste. Les deux ensemble faisaient sûrement décrocher quelques mâchoires.
— J’ai pris deux grands gâteaux mais je ne sais pas si ça suffira ! annonça-t-elle avant de se délester de son fardeau en le déposant sur la grande table.
Ses yeux noisette se mirent à pétiller en voyant mes confections. Son accent m’indiqua que je ne me trompais pas concernant ses origines. Sa voix était chantante, mélodieuse. Ses vêtements étaient de couleurs vives, qui juraient un peu, ensemble, mais je devais avouer qu’à elle, ça lui allait bien.
— Je retire ce que j’ai dit ! déclara-t-elle avec un sourire que je trouvais renversant. Qui a cuisiné ces merveilles ?
Je me rendis compte que je la fixais encore. Peut-être aussi parce que je cherchais à deviner quel animal elle était. Je me rendis compte qu’elle nous regardait maintenant avec un air interrogateur. Je me ressaisis et eus tout juste le temps de voir Dean réprimer un sourire en coin devant ma réaction.
— Euh… Moi, finis-je par me manifester, timidement.
Je fis un petit signe de la main.
Elle ouvrit grand les bras et vint m’étreindre. Décidément, c’était le jour des câlins ! Tout ça pour des cookies ?
— C’est vraiment gentil à toi ! Et j’avais hâte de te rencontrer, m’informa-t-elle avec enthousiasme. (Son excitation était si contagieuse que je me mis à sourire à mon tour. Elle s’éloigna un peu, ses mains sur mes épaules, pour me regarder.) Je m’appelle Anjali. Je suis enchantée de faire ta connaissance !
— Enchantée…, eu-je à peine le temps de répondre.
Elle désigna l’homme qui lui ressemblait.
— Voici mon frère, Nabarun. Les deux gnomes, derrière, c’est Sage et Sadie.
— Hé ! protesta un des deux intéressés, un homme.
— Et ensuite, c’est Swann, termina de nous présenter l’indienne.
Les gnomes, comme elle les appelait, étaient des jumeaux. Ils devaient avoir dans les dix-sept ou dix-huit ans et étaient plutôt petits. Moins d’un mètre soixante pour la fille et moins d’un mètre soixante-dix pour son frère. Ils s’étaient accordés sur leur coupe de cheveux, les possédant jusqu’aux épaules, et ils étaient d’un blond très clair, au point qu’ils n’étaient pas loin de la teinte des miens. Leur peau était pâle et leurs grands yeux étaient d’un bleu nuit, et me fixaient avec curiosité.
— Ravie de vous rencontrer, souris-je. (Je me focalisai sur les jumeaux et inclinai la tête sur le côté.) Vous êtes aussi… des lions ?
Cela m’aurait étonné, parce qu’ils n’avaient pas la même odeur qu’Ezekiel.
— Non, me répondit Sage, le garçon. Nous sommes de simples chats.
Sa sœur lui mit un coup de coude dans les côtes.
— Nous ne sommes pas de « simples » chats, le réprimanda-t-elle.
— Et nous, nous sommes des lynx, m’informa Nabarun.
Waouh… Immédiatement, mes instincts de louve se réveillèrent. J’avais envie de chahuter avec eux. Des canidés et des félidés dans la même pièce.
— Et Swann est un singe hurleur, expliqua Anjali.
Je me tournai vers l’intéressée. Il était vrai que je n’avais pas du tout reconnu le parfum de la dernière à être rentrée. D’ailleurs, elle semblait embarrassée, mal à l’aise. Elle ne me regardait pas dans les yeux et ses bras étaient croisés. Ses cheveux d’un roux flamboyant et raides me cachaient une partie de son visage. Je pus déceler un œil vert et des taches de rousseur sur un teint rosé, de là où j’étais, car je n’osais pas l’approcher. Sans être vraiment hostile, elle paraissait vouloir être n’importe où sauf ici. Sa frêle silhouette donnait l’impression qu’elle pouvait être balayée à tout moment par un courant d’air un peu fort, et elle n’était pas très grande. Pendant un instant, j’eus l’impression de me voir à travers elle. Le même air un peu inquiet, la même maigreur. Et finalement, quand elle releva enfin la tête vers moi, je pus voir qu’elle avait le même regard hanté. Celui que je croisais souvent dans mon miroir.
— Salut…, lui soufflai-je.
Elle serra ses lèvres pleines et ne me répondit pas, mais m’adressa un signe de tête.
— Je vous en prie, asseyez-vous, les invita Dean, pour ne pas laisser le silence s’installer.
Je soupirai intérieurement de soulagement et nous prîmes tous place autour de la table. Eden allait un peu mieux. Ezekiel avait repris son ingurgitation intensive de cookies. Anjali parlait de tout et de rien sur un ton enjoué et ne manquait pas de me questionner sur différents sujets afin de me connaître un peu mieux. Je devais avouer que ça m’aidait, parce que j’en appris plus sur moi-même également. Je parvins à dire qu’elle était ma couleur préférée, entre autres, alors que je ne m’étais pas posée la question une seule fois. Apparemment, j’adorais le violet. Cela pouvait paraître futile, mais l’ambiance était plus détendue.
J’étais assise à côté de l’indienne et sa bonne humeur me ravissait. Sadie était à ma droite. Dean se trouvait en face de moi. Cela me faisait presque bizarre de ne pas être près de lui et je devais me retenir de lever les yeux vers lui constamment.
Eden, qui s’était ressaisie, parlait avec les autres sur un ton qui se voulait léger. Ce n’était peut-être qu’une façade, mais si c’était le cas, elle jouait bien la comédie. Elle entreprit de découper le gâteau au chocolat. Mais le couteau ripa et elle se blessa au doigt. Aussitôt, je bondis sur mes pieds pour lui venir en aide, tendant la main dans l’optique de la guérir, sans me poser de questions. Je savais juste que je devais le faire très rapidement, même si ça me ferait mal.
Swann agit avant moi. D’un regard, elle m’enjoignit à me rassoir, elle prenait les choses en main. Elle enroula la blessure de sa paume et la louve grimaça une seconde, avant de se détendre. Lorsque la singe la lâcha, la plaie avait disparu. Il ne restait plus que le sang.
Une guérisseuse.
— Moi aussi j’aurais pu le faire, d’abord, fit Ezekiel avec une expression vantarde.
Je levai les sourcils. Nous étions trois guérisseurs, dans cette pièce.
Et les paroles de Dean concernant une métamorphe qui avait vécu la même chose que moi, qui était guérisseuse, me revinrent.
C’était elle. Swann. Elle avait été torturée par les chasseurs, elle aussi. C’était pour cela qu’elle était réticente à me voir, me parler. Je comprenais mieux, maintenant.
Elle soutint enfin mon regard. Ses yeux verts me transpercèrent, puis elle les riva sur Dean, avant de les faire revenir à moi. Elle avait compris que je savais. Qu’il m’avait expliqué. Mais elle ne dit rien. Ma gorge s’assécha.
Lorsque nous cessâmes de nous dévisager, nous remarquâmes que certains nous regardaient, quand d’autres gardaient la tête baissée, soudainement fascinés par les desserts.
— Je vais chercher des serviettes, annonça Sage.
Pressée d’échapper à cette tension, je le devançai :
— J’y vais.
Le chat hocha la tête et resta à sa place, tandis que je me levais pour me rendre dans la cuisine. Je revins avec tout un rouleau de sopalins pour essuyer le sang. Oui, c’était beaucoup, mais sur le coup, je m’étais juste dis qu’il fallait de quoi effacer ces traces.
Mon cœur battant à tout rompre, je repris ma place. Je pris une bouchée du fraisier, même si je n’avais plus d’appétit.
~
— Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de pire qu’une personne ayant le même comportement que Betty ? s’enquit Anjali, qui semblait outrée rien qu’à la pensée de cette femme.
J’ignorais qui était cette Betty, mais elle ne l’appréciait pas du tout. Je suivais la conversation, heureuse que l’atmosphère se soit allégée depuis l’incident d’Eden avec le couteau, même si j’avais parfois du mal à suivre.
— Euh…
deux personnes comme Betty ? hasarda Sadie avec un air malicieux.
Mentalement, je me représentai l’image d’un chat dont les moustaches frétillaient. Ce fut vraiment ce à quoi elle me fit penser à ce moment-là.
— Très juste, lui concéda la brune.
— Je peux avoir du sirop ? s’enquit Ezekiel.
— J’ai oublié d’apporter les verres, soupira Dean en faisant mine de se lever.
Je lui fis signe de ne pas bouger.
— Je vais les chercher, assurai-je tout en souriant en écoutant la conversation des filles.
Munies de la bouteille de sirop et de verres, je regagnai la table. Je retournai chercher d’autres boissons. Après avoir refermé le frigo, je faillis me heurter à Dean.
— Oups ! m’exclamai-je.
Je lui souris.
— Je t’ai dit que je m’en occupais, lui rappelai-je.
Il prit deux bouteilles dans ses mains, ne m’en laissant plus qu’une.
— Et moi je suis venu t’aider, répliqua-t-il avec un rictus en coin.
Je secouai la tête.
Il ne fallut que deux minutes avant qu’Ezekiel ne renverse tout le contenu de son verre sur la table.
— Pardon, je vais nettoyer, dit-il en prenant une mine désolée.
Mais j’étais déjà en train d’essuyer les dégâts tout en suivant la discussion d’Eden et Sage à propos d’une série qui passait à la télé et qu’ils suivaient tous les deux. Finalement, cela ne se passait pas si mal que ça. Mis à part quelques malaises au début, cela se passait mieux, désormais. Eden me décrochait même des sourires de temps à autre. Le fait de me voir bel et bien vivante devait primer sur le fait que je ne me souvienne pas d’elle. Il était toujours difficile d’arracher plusieurs phrases d’affilé à Swann, mais elle faisait mine de s’intéresser à ce que disaient les autres.
Je mis les serviettes pleines de sirop d’un côté, après avoir débarrassé la table de cette substance collante.
— Je rêve d’une bière, s’éleva la voix de Nabarun. T’en as au frigo ?
— Toujours, répondit Dean.
À peine entendis-je ces mots que je voulus me lever, par réflexe, alors que je vis le lynx commencer à faire de même, du coin de l’œil. Mais Anjali me retint en mettant son bras devant moi, me gardant plaquée contre le dossier de ma chaise.
— Euh… Merci, Lyn. C’est très gentil, me remercia le lynx, mais j’y vais, ne t’en fais pas.
Il se leva et alla chercher sa bière.
Je me rendis compte que tout le monde me regardait un peu bizarrement. Qu’est-ce que j’avais fait ?
Anjali désigna Nabarun du pouce, dans un geste nonchalant.
— On n’est plus au siècle dernier, lâcha-t-elle. S’il veut quelque chose, il va le chercher. Il a des jambes.
— Mais il voulait…
— Tu n’as pas à t’occuper de tout dès qu’il se passe quelque chose, fit Sadie d’une voix douce.
Je fronçai les sourcils et croisai le regard de Dean. Sa mine était grave.
Je baissai les yeux. J’allais protester, mais me retins de justesse. Qu’est-ce que j’allais dire ? Qu’il voulait absolument cette bière ? Et alors ? Je l’avais vu se lever pour aller la chercher lui-même, et pourtant je voulais me dépêcher de la lui apporter.
Et je me rendis compte que je l’avais fait plusieurs fois : j’étais allée chercher les serviettes quand Sage avait dit qu’il allait le faire, les verres pour Dean alors qu’il était sur le point de se rendre à la cuisine. J’avais essuyé les bêtises d’Ezekiel après l’incident du sirop de framboise alors qu’il voulait nettoyer. J’étais sur le point de servir Nabarun alors qu’il se levait.
J’avais littéralement bondi pour soigner Eden. J’aurais voulu le faire de toute façon, mais j’avais carrément décollé de ma chaise en me disant qu’il fallait que je fasse vite. Que je la soigne immédiatement.
Comme avec Mike.
J’avais eu peur des représailles. Alors que ces gens n’avaient rien à voir avec lui.
La vérité, c’était que la vieille habitude de me plier en quatre pour les chasseurs et d’obéir au moindre de leur désir était bien ancrée en moi. Inconsciemment, je cherchai le regard de Swann, qui détourna la tête, les lèvres serrées et les bras croisés. Elle avait compris, comme les autres. Mais pour elle, c’était un douloureux rappel.
— Je suis désolée…
Un silence reflétant un malaise s’installa dans la pièce. Puis Anjali le rompit :
— Tu sais, ici, personne n’obéit à personne. Il n’y a pas de hiérarchie.
Dean haussa un sourcil.
— Je suis quand même l’Alpha, lui rappela-t-il, même s’il n’y avait aucun agacement dans sa voix.
— Oh j’oublie tout le temps, rétorqua-t-elle sur un ton léger.
Je voyais bien qu’ils essayaient de détendre l’atmosphère. Je soufflai un bon coup. J’eus soudainement chaud. Le rouge devait m’être monté aux joues.
— À ce qu’il paraît, il est « le chef », poursuivit-elle en mimant des guillemets avec ses doigts et en levant les yeux au ciel dans ma direction. Ce qu’il ne faut pas entendre !
Je leur souris, essayant de leur montrer que j’allais mieux. Que cela m’amusait.
— Bientôt, ça sera moi le chef, nous assura Ezekiel en tentant de prendre un air supérieur, du chocolat venant jusque sur son menton.
Eden frotta sa cuillère sur le nez de son frère, qui émit un cri de protestation.
— Tu n’en avais pas assez sur le visage, se moqua-t-elle.
Les membres du clan Sparks restèrent pendant encore une bonne heure. J’étais parvenue à me détendre. Il fallait dire qu’ils se donnaient tous - mis à part Swann - à fond pour que les conversations soient joyeuses.
Nous les raccompagnâmes à la porte lorsqu’ils furent prêts à partir.
Sans que je ne m’y attende, Swann s’approcha de moi, alors que les autres étaient en train de sortir. Elle me regarda droit dans les yeux, et je me figeai, attendant ce qu’elle allait dire, ou faire. Il s’était passé plusieurs choses lui rappelant son douloureux passé, pendant cette rencontre. Puis, sans rien dire, elle mit une main sur mon épaule, qu’elle serra brièvement. J’avalai difficilement ma salive, puis je lui fis un signe de tête en guise de remerciement. Je fis de même avec elle.
Elle rompit rapidement le contact, mais cela n’effaçait en rien l’importance de son geste.
En la regardant partir, mon cœur se serra. Elle voulait me soutenir mais n’osait pas parler de ce que nous avions vécu, avec moi. Et elle serait sûrement distante un moment. Mais je lui en étais reconnaissante de me montrer que nous n’avions pas besoin de parler pour nous comprendre.
Je pensais encore à elle alors que nous débarrassions la table, avec Dean. Je restais silencieuse, plongée dans mes pensées. Puis je sentis une main sur mon bras. Je relevai la tête, alors que j’essuyais une assiette que le loup venait de laver, croisant son regard doré.
— Tu n’as pas à baisser les yeux devant nous, lâcha-t-il.
Je ne bougeai pas pendant quelques secondes, comprenant qu’il faisait référence à ma réaction quand Anjali m’avait dit de ne pas me lever pour aller chercher la bière de Nabarun.
— Et tu n’as surtout pas à exaucer le moindre de nos désirs. Tu es
libre, poursuivit-il en insistant bien sur le dernier mot. Ici, tu es chez toi. Tu peux même nous envoyer nous faire voir sans crainte, quand on va trop loin. N’aie pas peur de nous.
Je finis par hocher la tête et me remis à la tâche.
— Je sais…, fis-je d’un ton bas. Il faut que je me débarrasse de cette sale habitude…
Il s’essuya les mains sur un torchon, puis mit un doigt sous mon menton.
— Si jamais tu te sens mal, peu importe l’heure et l’endroit, n’hésite pas à me le dire, me pria-t-il. Même si ça concerne autre chose. D’ailleurs, même si tu vas bien. Dès que tu en ressentiras le besoin, tu peux venir me parler.
Ses paroles me touchèrent. J’opinai.
— Et c’est réciproque, répondis-je. N’hésite pas non plus.
Il me sourit et je lui rendis son sourire.
— Et euh… ça tombe bien, parce que j’ai quelque chose à dire, improvisai-je.
Il prit un air sérieux et attendit. J’ouvris le robinet et mis ma main sous l’eau froide, avant de l’asperger des gouttelettes coulant sur mes doigts. Il ferma les yeux et pris une profonde inspiration, comme s’il avait affaire à une enfant.
— Ok, j’admets que ce n’était pas ma meilleure blague, cédai-je.
— Vraiment ? ironisa-t-il.
— On dirait que ça ne t’amuse pas, remarquai-je en me retenant de rire.
— Je m’éclate, pourtant, rétorqua-t-il d’un ton faussement cynique.
Je pris le torchon et, dans un geste très mature, le lui mis sur la tête. Je l’arrangeai de façon à ce que je ne voie plus son visage.
— Toujours aussi sérieux là-dessous ? demandai-je.
— Ouais.
— Ben au moins je ne le vois pas.
Ne pouvant résister, je soulevai un pan du tissu, juste pour discerner une partie de son visage. Il n’avait pas bougé.
— Tu fais super bien la statue, commentai-je.
Il leva les yeux au ciel mais le coin de ses lèvres se releva. Puis il plongea ses yeux dans les miens.
— Ça fait du bien de te voir plaisanter, avoua-t-il.
Attendrie, j’esquissai un sourire, sans le lâcher du regard. Puis il s’effaça petit à petit en voyant une lueur dangereuse s’allumer dans son regard. L’intensité me coupa le souffle. J’aurais dû bouger, mais j’en étais incapable. Je ne pouvais plus me détourner de lui, ce fut d’ailleurs comme s’il emplissait tout mon champ de vision.
Alors que je venais tout juste de parvenir à prendre une inspiration, j’eus du mal à expirer. Lentement, je me mis sur la pointe des pieds et je le vis se pencher vers moi.
On frappa à la porte.
Ce bruit nous ramena à la réalité et je sursautai. Je détachai mon regard de Dean. Mes joues devaient être écarlates. J’étais à la fois soulagée et frustrée. Surtout frustrée, en fait.
La personne derrière la porte parût s’impatienter.
— Dean ? appela une voix familière.
Griffin.
L’Alpha ôta le torchon de sa tête et le reposa, lentement, sans me quitter des yeux. J’avais presque oublié cet accessoire insolite. J’avalai difficilement ma salive et le regardai à nouveau dans les yeux. Mais le moment était rompu.
Un léger grognement s’échappa de Dean, avant qu’il réponde :
— J’arrive !
Il sortit de la cuisine et j’empêchai un rire nerveux de franchir la barrière de mes lèvres. J’étais prête à l’embrasser. Et en même temps… Cette nouvelle version de moi-même lui plaisait-il ou bien était-ce encore ses anciens souvenirs qui étaient omniprésents ?
Le fait de ne pas le savoir retarderait le moment où je pourrais m’abandonner à mes désirs. Et moi… est-ce que j’étais attirée par lui aussi bien émotionnellement que physiquement ? N’était-ce pas un peu tôt pour que ce soit le cas ?
Je soupirai intérieurement. Ce n’était pas « tôt ». Au fond de moi, des sentiments restaient bien ancrés, amnésie ou non. Et même sans cela, avec ce que nous venions de vivre, cela aurait pu être compréhensible.
Je connaissais la réponse. Même si je n’étais pas encore prête à l’avouer.
Je les rejoignis, alors qu’ils entraient dans le salon. Griffin me salua chaleureusement et je le lui rendis.
— J’ai avec moi tes nouveaux papiers d’identité, m’annonça-t-il. Et un portable pour toi.
Mon cœur s’affola. Cela me paraissait étrange, mais c’était nécessaire. J’appréhendais un peu, néanmoins. Serait-ce un énorme changement ?
Il me les tendit et je dus lire plusieurs fois le nom. Puis un poids s’ôta de mes épaules. « Lyna Snyder ». Ce n’était pas éloigné de « Lyn » du tout, donc on pourrait toujours m’appeler comme ça. Ça passerait pour un surnom.
— Merci beaucoup, lui souris-je.
Je me fis la réflexion que le nom « Jones » me manquerait. Mais lui non plus, n’était pas le mien, à la base. Cela m’avait déjà fait quelque chose en sachant que mon vrai nom était « Miller ». Comme si j’étais déçue.
— On s’est dit que tu ne voudrais pas un prénom trop différent mais qui serait quand même courant, ajouta-t-il.
Je hochai la tête.
— C’est parfait, approuvai-je.
Je remerciai également Dean. Je n’osais pas soutenir son regard.
— Désolé d’être arrivé aussi tard, s’excusa le Bêta. Depuis qu’un de nos serveurs est parti, c’est un peu la panique au restaurant.
Ma curiosité fut piquée.
— Personne n’a postulé ? l’interrogea Dean avec compassion.
— Non. Pas encore, soupira son second.
Je pris mon courage à deux mains.
— Je peux le remplacer, intervins-je.
Ils tournèrent leur tête vers moi. Je devais me retenir pour ne pas sautiller d’un pied sur l’autre.
Griffin fronça les sourcils. Dean parût surpris.
— Cela t’intéresserait de travailler en tant que serveuse dans un restaurant tout juste passable ? s’étonna-t-il.
— Si tu veux savoir, je ne savais pas que c’était « tout juste passable » avant que tu le dises, raillai-je.
Son sourire était plus exaspéré qu’amusé. Je repris mon sérieux.
— Oui, affirmai-je. Il faut que je fasse quelque chose de mes journées et que je gagne de l’argent.
Dean m’avait demandé, quand j’arrivais à la fin de mon sevrage et que j’allais mieux, de choisir des vêtements en ligne, arguant que je ne pouvais pas rester qu’avec deux tenues achetées près d’un motel au hasard. Je m’étais promise de le rembourser un jour. Et puis, je ne pouvais pas vivre à ses crochets éternellement.
Et puis il fallait aussi que je donne de l’argent au Bêta pour le portable qu’il venait d’acquérir pour moi.
Je pris un air confiant, sûr de moi.
— Tu en es sûre ? insista l’Alpha.
— Certaine.
Il hocha la tête mais je perçus une lueur d’inquiétude scintiller dans le fond doré de ses yeux. Après tout ce qui s’était passé, il aurait du mal à ne plus avoir peur en me voyant partir, ne serait-ce que quelques heures. Mais ce que nous avaient infligé les chasseurs ne devait plus nous empêcher de vivre. Ce serait le meilleur doigt d’honneur que nous pourrions leur faire.
Je lui adressai un regard rassurant, osant, cette fois, soutenir le sien.
Griffin tapa une fois dans ses mains, l’air soulagé.
— Super ! Tu m’enlèves une sacré épine du pied, Lyn. Enfin, il faudra que tu fasses tes preuves, mais je suis sûr que ça va aller.
J’opinai. J’avais besoin, et envie, d’avoir ce travail.
— Tu peux compter sur moi.
— Je t’appellerai sur ton nouveau portable pour te donner les détails, dit-il avec un clin d’œil. Mon numéro est déjà dedans, si besoin.
Griffin ne resta pas longtemps et nous nous retrouvâmes à nouveau seuls, Dean et moi. Un silence gêné s’était installé, et j’avais lâchement fui le salon en prétextant que j’étais exténuée. Même si ce n’était pas réellement un mensonge.
~
Le lendemain, en fin d’après-midi, Dean m’appela, depuis la terrasse à l’arrière du chalet. Les sourcils froncés, je m’y rendis, sentant qu’il y avait un certain empressement dans sa voix.
— Qu’est-ce qui se passe ? m’enquis-je en enfilant mon manteau et en passant la baie vitrée.
Je refermai la fenêtre derrière moi puis fis face au loup. Il paraissait à la fois nerveux et impatient. Je ne l’avais encore jamais vu ainsi.
— Quoi ? Je vais me transformer à nouveau ? essayai-je de deviner. (Il secoua la tête. Ouf. Je n’étais pas pressée de refaire cette expérience.) L’urgence à ton travail est réglée ? On va faire un barbecue géant ?
Oui, bon, ce n’était pas très pertinent, mais moi aussi, je perdais patience. Et plus ça allait, plus ça le faisait sourire.
— Tu as gagné au loto ?! retentai-je en levant les bras au ciel, avec un air exaspéré.
Il pouffa de rire.
— Je dois te présenter quelqu’un d’autre, m’apprit-il.
— Oh. (Je plissai les yeux.) Tu ne pouvais pas commencer par ça ?
— C’est assez drôle de te voir galérer à deviner.
Je lui tirai la langue.
Bon, en attendant, j’allais voir une nouvelle personne. Sûrement un métamorphe.
Mesdames et messieurs, à vos paris ! Est-ce que je le connaissais ? Oui ? Non ?
Je me fis la réflexion que si c’était un inconnu pour moi, il n’y aurait peut-être pas autant de mystère autour de cette rencontre.
— Où… ? commençai-je.
— Il arrive, annonça-t-il. Il n’a rien voulu que je dise sur lui, préférant le faire lui-même.
Je fus perplexe.
— Pourquoi est-ce si important pour cet homme que je ne sache rien de lui avant de le voir ? m’enquis-je.
— La surprise serait gâchée, retentit une voix derrière moi.
Je bondis et fis volte-face à la vitesse de l’éclair. J’avais visiblement encore perdu un peu de mes sens surnaturels, pour ne pas avoir senti cette personne arriver. Ou bien il s’était montré extrêmement discret.
Des yeux rieurs d’un noir d’encre me toisèrent. De longues mèches blanches en pagaille entouraient un visage ovale, qui aurait pu paraître sévère, mais qui devenait plus doux grâce à ses fines lèvres s’étirant en un sourire taquin.
Son apparence me parût impressionnante. Il paraissait même plus grand que Dean. À l’instar de l’Alpha, la puissance émanait de lui en flots continus. Probablement un chef de clan.
— Salut, Lyn.
— Salut… toi.
Je n’avais absolument aucune idée de qui il s’agissait. Mais apparemment, il me connaissait.
— Je suis ravi de te revoir, fit-il, sa voix douce empreinte de sincérité.
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Chapitre 8
Chapitre 10