Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

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louji

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Re: Kyara II (1/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : jeu. 15 juil., 2021 2:43 pm
louji a écrit : mer. 14 juil., 2021 6:01 pm Yooo. J'ai mis mon temps, mais me voilà de retour :"D J'attaque dès à présent le chapitre qui me manque !
Hellyo ! Tkt, no stress ^^ Tu as réussi à finir ton mémoire du coup ? :arrow: Oui, sans soucis !

ACTE II : L'ÉTRANGÈRE
(1/4)



Puis, Saedor lui serra la main. Elle releva les yeux vers lui et se figea, stupéfaite par la bonté qui émanait de se traits. Il arborait un grand sourire avenant, bien loin des regards suspicieux auxquels elle avait eu le droit durant la traversée de la ville. Un instant, elle se sentit presque coupable de la haine et de la colère qui lui étreignaient le cœur. Puis, il l’incita à poser sa main dans la paume d’Yngvar, et un frisson la parcourut quand elle rencontra sous sa peau douce les doigts calleux. Elle serra les dents. :arrow: J'ai un sourire si crispé :lol: Saedor, bon, il est sympa, mais toutes les souffrances qui ont précédé cette rencontre... :'') C'est normal. Et j'essaie de faire en sorte que ce ne soit pas une apologie, ni même une justification, des sévices qu'elle a subis. (C'est compliqué bordel… pourquoi je me suis engagée là-dedans moi ?) :arrow: Ah bah grande question gurl :lol:


:arrow: Cette réalisation un peu tardive est étonnante (je crois pas qu'elle ait mentionné ce point précédemment ? Mais ça reste impactant d'y placer ici car on a vraiment le dernier ancrage de Kyara qui la lâche face à sa nouvelle destinée. Un peu de drama en plus :twisted: Ça vient effectivement un peu tard, mais Kyara n'a jamais vraiment eu de proximité ou de tendresse de sa mère, donc ce n'est pas vers elle qu'elle se tourne, autant physiquement que en pensées, quand quelque chose ne va pas. Là, c'est seulement parce que c'est justement le dernier point d'ancrage qui saute, parce qu'elle se rend compte que ses attaches, même les plus distantes, n'existent plus. :arrow: Oui, c'est ce qu'on ressent en effet !



Alors, je fais une pause dans ma lecture.
Peut-on faire une haie de l'honneur pour Uma ?
Merci.

(en vrai j'ai peur qu'elle finisse par péter un câble, c'est tellement lourd ce qu'elle vit en parallèle de Kyara).

Elle mérite clairement une belle haie d'honneur pour tout ce qu'elle endure et la manière dont elle le vit et l'exprime, notamment avec Kyara. La pauvre. :arrow: Ah mais terrible. Haie d'honneur plus fondation d'un hug squad en urgence

La nausée qui avait commencé à l’habiter finit par refluer, mais quand ils s’immobilisèrent enfin après les dernières notes, elle avait la sensation que la terre s’apprêtait à s’ouvrir sous ses pieds. La splendeur des lieux et la solennité du moment lui donnaient le tournis. Dans un autre univers, si ce mariage avait été arrangé, il aurait été l’un des plus beaux de l’histoire du continent. Mais ce n’était pas le mariage qu’elle aurait voulu. Quitte à épouser quelqu’un, elle aurait souhaité épouser Rowan dans les jardins du château de Ciel, recevoir avec lui la bénédiction d’un prêtre du Temple, déposer avec lui dans la rivière un cristal qui aurait symbolisé leur union. Ou même quiconque d’autre. Tant qu’ils auraient été à Helvethras. :arrow: Ouais. Coup dur. Dur dur. Parce que en soi, être promise à quelqu'un, ça faisait partie de sa vie, elle savait que ça allait lui tomber sur le nez. Mais pas comme ça. :cry: :arrow: Yes, clairement :"""D


— Vous ne me verrez jamais dans cette cité. Sauf peut-être si vous retrouvez le fils de chien qui a tué mon père et ma mère. :arrow: C'était le général Machin-Truc qui a tué Uriel et Karashei si je me souviens ? Il avait un gosse ? Pas ouf de rejeter la faute sur lui urgh Nan, c'était Laurus-anus qui les avait faits assassiner, et Vilhelm était dans le complot aussi ^^ :arrow: Ah pardon, je m'étais focalisée sur cette histoire de général qui trahit, je sais pas pourquoi :v OK, donc Vilhelm est encore en vie ?? Il doit pas être en méga forme mdr

◊~◊~◊

J'aime bien ce chapitre parce qu'il est à la fois tense et très très cool en termes d'ambiance générale. Alya et Varhalie en veulent effectivement pas mal à Ciel et à l'ensemble d'Helvethras… et oui, leur relation avec Yngvar est un peu tendue. C'est moins le cas avec Eliane, mais ce n'est pas totalement chill et familial non plus pour autant. D'ailleurs, je pense que je vais rename Alya en Alia, tout simplement, dans la correction, et mentionner l'hommage à la mère d'Eliane, y'a rien qui justifie le changement de lettre. x)
L'ambiance de bal est vraiment un mood, j'étais vraiment à fond quand je l'ai écrit (mais paradoxalement, j'ai une scène semblable à écrire maintenant, et j'ai vachement plus de mal !). Mais de manière générale, j'aime bien ce genre d'ambiance, même si faire ressortir chaque personnage suffisamment peut être compliqué.

Le truc que je crains un peu, et tu l'as mentionné, c'est le sujet extrêmement glissant de la relation Kyara-Yngvar. Parce que ouais, trauma et abus sexuels et psychologiques… même si Yngvar fait ce qu'il a à faire, je ne veux en aucun cas le justifier. En tout cas, le personnage est très intéressant à traiter, très (peut-être trop) complexe, et je comprends bien tes ressentis mitigés. ^^
La pauvre Kyara va devoir réellement trouver un nouveau point d'ancrage dans tout ce bordel, et ce n'est pas encore gagné-gagné, la partie ne s'appelle pas L'Étrangère pour rien. À voir ce qu'elle va devenir.

Merci beaucoup pour ton passage !
Je comprends qu'elles aient les nerfs toutes les 2. Quelle enfance de merde elles ont dû avoir déjà. Oui, ça pourrait être sympa cette histoire de mention !
Oui, les scènes d'ambiance, quand t'es pas dans le mood c'est beaucoup plus dur d'un coup :") Courage !

Yes, c'est une bonne relation glissante :roll: Oui, c'est injustifiable :| Surtout que le mariage était pas encore prononcé, Kyara le connaissait pas. Fin, je pense que tu peux gérer tes devoirs maritaux dans d'autres circonstances (ce sera jamais correct, on s'entend, mais ce qu'a fait Yngvar au début... mec t'es à quelques mois près ? Tu peux pas attendre qu'une sorte de confiance un peu crasse s'installe un minimum ?). Mais oui, gros sujet, je te souhaite bien du courage avec ça hein :lol:
Oui, la vie au palais risque d'être très très sympa, aucun doute ;) ;) ( :cry: )
vampiredelivres

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Re: Kyara II (1/4)

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : sam. 17 juil., 2021 10:22 am Yooo. J'ai mis mon temps, mais me voilà de retour :"D J'attaque dès à présent le chapitre qui me manque !
Hellyo ! Tkt, no stress ^^ Tu as réussi à finir ton mémoire du coup ? :arrow: Oui, sans soucis ! Nice !

ACTE II : L'ÉTRANGÈRE
(1/4)



Puis, Saedor lui serra la main. Elle releva les yeux vers lui et se figea, stupéfaite par la bonté qui émanait de se traits. Il arborait un grand sourire avenant, bien loin des regards suspicieux auxquels elle avait eu le droit durant la traversée de la ville. Un instant, elle se sentit presque coupable de la haine et de la colère qui lui étreignaient le cœur. Puis, il l’incita à poser sa main dans la paume d’Yngvar, et un frisson la parcourut quand elle rencontra sous sa peau douce les doigts calleux. Elle serra les dents. :arrow: J'ai un sourire si crispé :lol: Saedor, bon, il est sympa, mais toutes les souffrances qui ont précédé cette rencontre... :'') C'est normal. Et j'essaie de faire en sorte que ce ne soit pas une apologie, ni même une justification, des sévices qu'elle a subis. (C'est compliqué bordel… pourquoi je me suis engagée là-dedans moi ?) :arrow: Ah bah grande question gurl :lol: Si seulement je savais…

Alors, je fais une pause dans ma lecture.
Peut-on faire une haie de l'honneur pour Uma ?
Merci.

(en vrai j'ai peur qu'elle finisse par péter un câble, c'est tellement lourd ce qu'elle vit en parallèle de Kyara).

Elle mérite clairement une belle haie d'honneur pour tout ce qu'elle endure et la manière dont elle le vit et l'exprime, notamment avec Kyara. La pauvre. :arrow: Ah mais terrible. Haie d'honneur plus fondation d'un hug squad en urgence Uma Hug Squad à la rescousse !


— Vous ne me verrez jamais dans cette cité. Sauf peut-être si vous retrouvez le fils de chien qui a tué mon père et ma mère. :arrow: C'était le général Machin-Truc qui a tué Uriel et Karashei si je me souviens ? Il avait un gosse ? Pas ouf de rejeter la faute sur lui urgh Nan, c'était Laurus-anus qui les avait faits assassiner, et Vilhelm était dans le complot aussi ^^ :arrow: Ah pardon, je m'étais focalisée sur cette histoire de général qui trahit, je sais pas pourquoi :v OK, donc Vilhelm est encore en vie ?? Il doit pas être en méga forme mdr Je ne sais pas encore s'il est encore vivant… mais on verra bien. Ça dépendra de mon humeur :mrgreen:

◊~◊~◊


Je comprends qu'elles aient les nerfs toutes les 2. Quelle enfance de merde elles ont dû avoir déjà. Oui, ça pourrait être sympa cette histoire de mention !
Oui, les scènes d'ambiance, quand t'es pas dans le mood c'est beaucoup plus dur d'un coup :") Courage !

Yes, c'est une bonne relation glissante :roll: Oui, c'est injustifiable :| Surtout que le mariage était pas encore prononcé, Kyara le connaissait pas. Fin, je pense que tu peux gérer tes devoirs maritaux dans d'autres circonstances (ce sera jamais correct, on s'entend, mais ce qu'a fait Yngvar au début... mec t'es à quelques mois près ? Tu peux pas attendre qu'une sorte de confiance un peu crasse s'installe un minimum ?). Mais oui, gros sujet, je te souhaite bien du courage avec ça hein :lol:
Oui, la vie au palais risque d'être très très sympa, aucun doute ;) ;) ( :cry: )
Une joyeuse enfance où tes parents ont été assassinés par le souverain et l'ex-souverain du royaume voisin x)

Yep… bref. J'ai essayé de faire au mieux dans le prochain chapitre, on verra bien. Compliqué tout ça.
Eh, y'a une bonne nouvelle pour Kyara qui arrive. Si si, promis ! :D
vampiredelivres

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Kyara II (2/4)

Message par vampiredelivres »

L'ÉTRANGÈRE
(2/4)


Les portes claquèrent, et malgré la claire lumière des chandeliers, une sorte de pénombre tomba dans la pièce. Yngvar se délesta souplement de sa cape, la laissa tomber sur l’accoudoir d’un fauteuil. Kyara, démunie face à tant de grandeur et d’espace, mit un moment avant de songer à se délester des dizaines d’épingles qu’on avait enfoncées dans ses cheveux pour en faire une coiffure élégante, ô combien alambiquée.
Alors qu’elle finissait de s’en débarrasser en les déposant sur sa coiffeuse, une ombre massive se manifesta à la limite de son champ de vision. Elle frissonna, une épingle en main, se retourna en levant la tête. Le Corbeau était juste derrière elle. Elle sentit son souffle se bloquer dans sa poitrine, mais étrangement, elle ne ressentit pas autant d’anxiété que précédemment, quand il venait. Quand il leva lentement la main vers son visage, songeur, appuya sa paume rêche et ses doigts calleux contre sa joue douce, elle ne se déroba pas. Elle n’oubliait pas la cruauté des massacres qu’il avait perpétrés et l’aura menaçante qui se dégageait de lui à chaque instant, ou encore sa froideur et son indifférence à Helvethras. Cependant, le contact de cette main qui, durant toute la soirée, l’avait guidée et l’avait – quelque part du moins – protégée, était rassurant. Elle ferma les yeux.
— Si jeune… soupira-t-il pour lui-même.
Un long moment s’écoula, ils demeurèrent ainsi, tous les deux immobiles, figés dans l’instant. Puis, Yngvar reprit la parole, tout bas. Une nuance inhabituelle, inconnue, habitait sa voix.
— Je sais que cela ne vaut pas grand-chose aujourd’hui, mais je veux te dire que je regrette les conditions qui t’ont amenée ici. Sache, Avelke, si tu le souhaites, si tu me hais, tu n’auras pas à me voir souvent. La seule responsabilité et le seul lien qui nous uniront seront ce mariage et nos futurs enfants. Si c’est ce que tu souhaites, il te suffit de le dire.
De l’amertume ? Du dépit ? Du regret ? Elle n’aurait su mettre un mot sur cette sonorité rauque d’animal blessé, mais elle la ressentait au fond d’elle-même, en écho à ses propres émotions.
Elle l’observa attentivement, curieuse de voir que, pour une fois, il laissait ses sentiments transparaître dans sa voix et dans ses gestes. La Citadelle Rouge l’avait étrangement rendu plus humain, comme si, de retour dans un milieu familier, il laissait entrevoir les brèches de son armure et prenait le temps de se dévoiler.
— Tu… es différent, ici… murmura-t-elle, pensive elle aussi. Moins brutal… plus réel…
— Ah ? releva-t-il avec une pointe de sarcasme.
Il la saisit par la taille, sans violence mais sans tendresse, l’amena sur le lit, parut un instant étonné qu’elle ne se débatte pas. Il haussa les sourcils.
— Ta décision ?
Des milliers de mots qui s’entrechoquaient dans sa gorge, Kyara ne parvint pas à en proférer un seul. Muette, passive, elle se laissa faire, démunie dans cet environnement étranger, face à cet homme à qui elle appartenait. Même si, en titre, elle était son égale, elle n’entretenait pas d’illusions sur sa position réelle. Elle n’était qu’une babiole, un trophée de chair et de sang ramené à la capitale, un gage de paix. Tous ses droits, elle les tiendrait du Corbeau uniquement ; au fond, elle n’était rien ni personne.

Les jours s’écoulèrent lentement, et dans le chaos de cette nouvelle existence, lentement, Kyara sentit la haine profonde qui l’avait habitée à son arrivée se diluer dans un vaste océan de sentiments mitigés. Préférant rester isolée autant que cela lui était possible, elle ne sortait qu’occasionnellement pour prendre l’air, toujours tard le soir et sous le couvert de la nuit tombante pour éviter les courtisans. Sinon, elle vadrouillait dans l’immense suite, allant et venant de la fenêtre au canapé et du canapé à la fenêtre, les mains affairées par sa broderie, s’essayant aux complexes motifs avaloniens, l’esprit occupé par les livres qu’elle demandait occasionnellement.
Un jour qu’elle était ainsi installée, une aiguille et un reste de chiffon subtilisé aux couturières en main, on lui annonça un visiteur. Étonnée, elle demanda aux gardes de le laisser entrer. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle se retrouva nez à nez avec son nouveau beau-père, l’Empereur Saedor. Vêtu de gris anthracite, discrètement ourlé de rouge, coiffé avec un savant effet décoiffé, et un sourire jovial aux lèvres, il s’invita dans sa suite et lui prit gentiment les mains.
— Princesse Kyara, pardonnez-moi, je n’ai pas eu le temps de vous rendre visite plus tôt.
Le vouvoiement helvethrien, devenu presque étranger à son vocabulaire dans cette contrée où tous se tutoyaient, fit tiquer Kyara. Elle esquissa un sourire gêné, mais déjà, il poursuivait dans la langue natale de la princesse :
— Comment vous accommodez-vous ?
La question, posée avec bon ton, la hérissa malgré tout, elle crut percevoir sous sa spontanéité et son sourire avenant une pointe de sarcasme.
— Je m’occupe comme je peux, Votre Grâce, répondit-elle, esquivant avec une certaine élégance les sous-entendus.
— J’imagine… Écoutez, je viens vous voir pour deux raisons. Déjà pour vous assurer que, quoi que vous pensiez, vous gardez une certaine liberté. Vous étiez la princesse d’Helvethras, certes, mais actuellement, vous êtes surtout l’épouse de mon fils, et lui, comme tout le monde autour de vous, vous doivent le respect. Ne vous laissez pas marcher sur les pieds.
La tirade, étrangement sincère, la rasséréna quelque peu.
— Merci… souffla-t-elle.
Il sourit, avec l’expression paternelle qu’aurait arborée son père s’il l’avait surprise à enfreindre l’étiquette. La pensée, douloureuse, quoiqu’un peu moins chaque jour, lui piqua le cœur.
— D’autre part, ajouta le souverain d’Avalaën avec un geste en direction de la porte restée grande ouverte, une de vos amies a fait appel à une faveur que je lui devais depuis longtemps déjà.
Un serviteur entra, portant avec une incroyable précaution un panier d’osier fermé. Curieuse, Kyara l’observa déposer son chargement au centre de la pièce, puis se retirer. Saedor lui fit un signe du menton pour lui indiquer que c’était à elle d’agir. Méfiante mais intéressée, elle s’en approcha doucement, détacha la lanière de cuir qui retenait le couvercle… et poussa un petit cri de stupeur et de joie. Au milieu du panier, lové sur un coussin, un chaton blanc aux longs poils et aux yeux verts leva la tête vers elle. Il se laissa prendre sans protester, commença même à ronronner quand Kyara le serra doucement dans ses bras.
— M…m…merci…
Son balbutiement tira un sourire attendri au maître des lieux, qui inclina la tête.
— Il n’y a pas de quoi.
— Qui…
Elle comprit avant même d’avoir posé sa question. La nuit précédant leur arrivée à la Citadelle Rouge, ils s’étaient installés dans une auberge. Les chats du propriétaire, d’abord effrayés par les envahisseurs, s’étaient longtemps terrés dans un coin de la maison, cachés dans des lieux qui n’appartenaient qu’à eux. Quand, enfin, le calme était tombé sur les lieux, ils avaient repris possession de l’espace qui leur appartenait, se promenant presque sans crainte entre les dormeurs. Kyara, qui avait veillé au coin du feu avec Uma, avait passé la moitié de la nuit à jouer avec eux et à les câliner.
En réalisant qu’Uma s’en était souvenue, et qu’elle avait agi ainsi pour elle, Kyara sentit un sourire étirer ses lèvres. Elle pressa son nez contre le museau du chaton, qui la renifla avec attention, puis se tourna vers Saedor pour le remercier, voire même pour s’excuser de ses absurdes suppositions. Mais celui-ci avait déjà disparu.
Interdite, mais foncièrement heureuse, elle se tourna à nouveau vers le chaton, l’emmena avec elle sur le canapé, et s’absorba dans des jeux d’enfant. Avec des bouts de fils que ses dames de chambre gardaient dans un coin, elle lui confectionna une petite boule au bout d’une corde, qu’elle s’amusa à lui agiter sous le nez, et le chaton, redoublant d’efforts, à chaque fois que la boule passait près de son museau, se contorsionna pour l’attraper. Ils passèrent ainsi l’après-midi ensemble, et pour la première fois depuis plus de deux lunes, Kyara se sentit heureuse et se prit à même à rire sans crainte.

Le soir en revanche, quand Yngvar revint, l’atmosphère s’alourdit d’un seul coup, le calme retomba brutalement dans la pièce qui avait abrité les jeux. Il grogna en entrant, congédia les gardes d’un geste, se débarrassa de sa longue cape et de ses bottes en les jetant dans un coin. Le valet, un garçon d’une dizaine d’années qui suivait son prince comme son ombre depuis son retour à la Citadelle Rouge, se précipita pour les ramasser et les ranger dans un coin. Puis, il se vit lui aussi renvoyé de la pièce. Kyara, qui avait assisté au spectacle depuis le canapé, repliée sur elle-même, serra le chaton contre elle en un dérisoire rempart contre la colère qu’elle sentait émaner de son époux.
— Qu’est-ce que c’est-que ça ? siffla-t-il en s’approchant et en voyant la boule de poils blancs dans les bras de la princesse.
Le cœur battant, elle ouvrit la bouche pour répondre, mais les mots s’étranglèrent dans sa gorge. Elle ne l’avait jamais vu aussi furieux. Dénué d’émotions, oui, mais colérique ? Jamais. Même si, à la Citadelle, il exprimait davantage ses émotions que durant le voyage ou à Ciel, il paraissait toujours aussi distant, enveloppé dans un manteau d’insensibilité guerrière, dissimulé derrière une barrière qui le rendait imperméable à toute contrariété.
En remarquant le léger tremblement des lèvres de Kyara, il poussa un long soupir, se détourna et se dirigea vers la salle d’eau. Elle entendit le bruit des gouttelettes quand il plongea les mains dans la bassine d’eau tiède, des éclaboussures quand il s’aspergea le visage, puis il revint, le visage séché à l’exception de quelques rares filets d’eau qui coulaient de ses cheveux. La lueur violente dans ses iris violets avait presque disparu ; n’en subsistait qu’un léger éclat, maîtrisé, enfoui.
— Navré, s’excusa-t-il platement. Qu’est-ce donc ?
Encore effrayée par son arrivée, mais quelque peu rassurée par le calme et l’indifférence de façade qu’il affichait, elle osa enfin articuler :
— Un présent de ton père.
— Ah.
Il grommela :
— Je n’aime pas les chats.
— Tu ne m’aimes pas non plus et pourtant…
Elle s’interrompit avant d’avoir fini sa phrase, mais il était trop tard pour ravaler les mots qui s’étaient déjà enfuis. Un instant, elle craignit pour elle-même, mais avant même qu’elle ne trouve comment se rattraper, corriger ses paroles, il éclata de rire. Un son grave, pareil au tonnerre, qui aurait pu faire trembler les vitres de la fenêtre, et qui fit frissonner Kyara jusque dans ses os. Elle esquissa une grimace, qui ne parvint qu’à le faire rire davantage, et il se laissa tomber dans un fauteuil non loin, les épaules secouées de tremblements, son visage sévère déformé en une grimace amusée qui la laissa perplexe. Alors elle ne bougea plus, attendant que la tempête passe et qu’il s’explique enfin sur son soudain accès de joyeuse folie.
Il mit quelques poignées de secondes à se calmer enfin et à retrouver son expression impassible habituelle, même si les coins de ses lèvres étaient relevés et qu’il ne paraissait pas aussi sévère que la plupart du temps.
— Merci, princesse. Ça fait longtemps que j’en avais besoin.
Elle haussa les sourcils, perplexe.
— De te sentir défié ?
— Non, d’avoir une surprise. Tout le reste est si morne et si fatigant. Les conseillers sont pénibles, mon père vient de partir pour Ciel comme il l’avait annoncé, ma mère est absente et moi je suis coincé ici au lieu de tenir un point stratégique. Et puis il y a toi.
Au ton de sa voix, elle ne sut si elle devait s’en sentir offensée ou heureuse. C’était un mélange de reproches et de gratitude, une sorte de rancœur et d’espoir mêlés. En le regardant, elle sentit le conflit qui hantait son esprit depuis trois décades revenir à l’assaut, fendiller son cœur et ses résolutions. Elle ne haïssait pas Yngvar, elle en était incapable. Malgré ses tentatives, malgré tout le mal qu’il avait causé, tout ce qu’il lui avait pris et tout ce qu’il représentait, elle n’y arrivait tout simplement pas, et ce constat la rendait furieuse contre elle-même. Elle aurait dû apprendre à lutter, essayer de le combattre, trouver des moyens de l’atteindre, de lui causer du tort.
Sauf que, d’une part, elle n’avait aucune idée de comment s’y prendre puisqu’elle avait toujours esquivé les complots de la Cour, et d’autre part, elle n’en avait pas vraiment envie. Il n’y avait pas que la crainte de représailles qui la bloquait, il y avait aussi cette pensée insidieuse qui s’était instillée dans son esprit et qui paralysait ses velléités de rébellion : ça ne changerait rien.
Seule, elle ne se sentait guère capable de renverser les oppresseurs. Soixante-quatorze étés auparavant, il avait fallu l’intervention de la province d’Ombre, sur-armée et bien entraînée, et le sacrifice de toute une unité d’élite, en plus de lourdes peines humaines, pour venir à bout de l’envahisseur. Aujourd’hui, Ombre était un royaume indépendant qui refusait de prendre part au conflit. Ses habitants, repliés dans leurs montagnes, terrés dans trois pieds de neige au début du printemps, n’avaient pas bougé d’un cheveu quand Avalaën avait massacré les avant-postes de la province de Lumière, malgré les appels à l’aide de feu le Roi Jesten. La résistance qui s’était organisée avait été futile, aussi efficace qu’un fétu de paille contre une bourrasque. Même s’ils avaient réussi à provoquer quelques pertes, les soldats d’Helvethras avaient été balayés par les Bataillons Sanglants.
Kyara savait pertinemment qu’en cédant la capitale et en se soumettant, elle avait évité un massacre, mais quelque part, elle n’arrivait pas à faire la paix avec la défaite. D’un autre côté, seule et entourée d’ennemis, elle ne pouvait faire grand-chose.
Certes, elle avait songé à poignarder Yngvar, mais même dans le cas où elle aurait réussi, qu’est-ce que ça aurait changé pour ceux qui étaient déjà morts ? À part se jeter la tête la première sous la potence, elle ne parviendrait qu’à cristalliser les tensions et la haine d’Avalaën pour Helvethras, ce qui se traduirait certainement par des raids, des taxes étouffantes pour la population et des massacres comme ceux qu’elle avait cherché à éviter jusque-là.
— Princesse ? Tu m’écoutes ?
Elle se secoua brusquement, réalisant qu’elle s’était enfoncée dans le tourbillon de ses pensées en occultant son interlocuteur.
— Pardon… tu disais ?
Il la considéra quelques instants, comme essayant de deviner ce qui se tramait dans son esprit, puis haussa les épaules et s’étira longuement.
— Je disais qu’il faut qu’on dîne ensemble ce soir, publiquement. Au combien je déteste ces abrutis privilégiés qui se croient tout permis, on a besoin d’eux pour faire tourner l’économie de l’Empire. Il faudrait que nous présentions un front uni face à eux. Ne le prends pas personnellement, je ne le souhaite pas plus que toi.
Elle serra les dents, se sentant brusquement traitée comme un animal de foire.
— Eh bien, je suppose que ce sera enfin l’occasion de mettre ma nouvelle garde-robe à profit, grinça-t-elle, mi-figue mi-raisin.
Le Corbeau haussa un sourcil, l’air sceptique.
— Que crois-tu que les couturières du palais se soient amusées à faire ces dernières décades ?
Elle sourit presque en y songeant. Dans les jours qui avaient suivi son arrivée, une étrange routine s’était installée. Dès que les domestiques étaient autorisés à rentrer dans la suite royale, soit aux alentours de neuf heures du matin, le ballet des couturières commençait. Armées de longues cordelettes, de fils, d’aiguilles, d’épingles, elles emprisonnaient la princesse dans les épaisses étoffes avaloniennes. Puis, au bout d’une heure ou deux d’essayages et d’ajustements, elle se repliaient dans leur tanière, quelque part dans les tréfonds du château, et n’en émergeaient que le lendemain avec les habits cousus, ajustés, préparés pour un nouvel essayage. Encore aujourd’hui, Kyara avait été méchamment piquée par des épingles enfoncées de travers.
Mais elle avait appris à apprécier ces femmes à la ponctualité effarante. Au contraire des servantes, qui l’ignoraient ostensiblement et l’insultaient dès qu’elles se croyaient hors de portée de ses oreilles, les couturières étaient gentilles. Paisibles, quoiqu’exigeantes, tant envers les autres qu’envers elles-mêmes. Plus d’une fois elle les avait entendues se fustiger, pester et râler, mais jamais elles n’avaient exprimé une seule parole déplacée envers elle. Elles la traitaient toujours avec respect, avec les égards de son rang, malgré son statut d’étrangère et de prisonnière, et à chaque fois qu’elles partaient, Kyara avait l’impression qu’elle perdait quelque chose de précieux.
— Tant mieux, finit par soupirer le Corbeau. Comment s’appelle la bestiole ?
— Kama, souffla-t-elle doucement.
Yngvar réfléchit un moment, creusant apparemment dans sa mémoire, puis demanda :
— Est-ce un mot qui a une signification particulière en helvethrien ? Je ne le connais pas.
Elle sourit. Elle avait hésité à prendre un terme commun, un nom qui symboliserait quelque chose. Mais elle n’avait pas réussi à trouver un mot qui exprime réellement ce qu’elle ressentait. Elle aurait presque voulu l’appeler Espoir ou Joie, parce que c’était ce qu’elle avait ressenti quand Saedor le lui avait offert, mais elle avait imaginé devoir répéter son nom dans les moments les plus tristes, et l’idée l’avait brisée.
— Non, j’aimais juste sa sonorité.
Il acquiesça.
— Voudrais-tu me montrer ces fameuses nouvelles robes ?
Elle hésita un moment, se demandant s’il le pensait vraiment, s’il l’exigeait, si c’était un ordre, puis elle décida finalement de hocher la tête et se redressa pour se diriger vers son dressing. Kama demeura confortablement installé sur le canapé, jaugeant le Corbeau de ses yeux verts brillants.
La suite comportait deux dressings, de part et d’autre du grand lit à baldaquin. Celui de gauche était celui de Kyara, celui de droite, elle ne l’avait jamais approché, mais elle l’imaginait spartiate, austère et bien rangé. Au contraire du sien, rempli de vêtements et de mannequins croulants sous le poids de certains lourds caftans de soie ou de velours. Elle aurait presque pu dire que le dressing était à l’image de son esprit : chaotique et désorganisé, essayant de mêler deux univers différents.
En arrivant dans la pièce, qui s’apparentait par sa taille davantage à une petite chambre de domestique qu’à un espace de rangement, Yngvar haussa un sourcil, mais s’abstint de tout commentaire désobligeant. Il esquissa même un sourire amusé en avisant une petite boîte de bijoux cachée entre deux piles de vêtements, clairement inutilisée. C’était celle qu’il avait, officiellement du moins, offert à son épouse le jour de leur mariage. En voyant son regard sur la boîte, Kyara rougit imperceptiblement, détourna la tête au plus vite pour qu’il ne le remarque pas. Peine perdue.
— Le bleu et l’argent ne te vont pas, semblerait-il.
— Pourquoi m’en avoir offert alors ?
— Parce qu’un cadeau s’imposait, et que c’étaient les couleurs les plus proches de tes origines.
Elle battit des paupières, sidérée par la froide sincérité de sa réponse, ne parvint pas à répondre immédiatement. La voyant immobile, sous le choc, il pouffa et se détourna pour lui laisser le temps de reprendre ses esprits. Elle l’observa détailler une à une les lourdes robes finement brodées, concentré comme s’il planifiait sa prochaine bataille. Il pinça les lèvres, et elle osa :
— Pourquoi sembles-tu toujours te préparer à une guerre ?
— Parce que la Cour est un véritable champ de bataille. Je ne sais pas comment c’était, chez toi, mais ici, les vautours sont prêts à tout pour me dévorer.
— Qu’y gagneraient-ils ? releva-t-elle, sceptique.
Il haussa les épaules sans répondre, et elle préféra ne pas insister. Pour le moment, elle n’avait pas trop osé sortir son nez hors de la suite, si ce n’était pour quelques promenades dans les jardins impériaux, seule. Sinon, elle avait esquivé de son mieux tout contact avec ceux qui peuplaient le palais, à l’exception des couturières et des femmes de chambre. Mais elle imaginait sans mal les rumeurs qui couraient, ainsi que les éventuelles tentatives d’empoisonnement, qui pouvaient être monnaie courante ici, si elle avait bien compris. À croire que, comme chez elle, la famille souveraine était universellement haïe, même si tout le monde en public prétendait l’aimer.
— Est-ce que celui-ci te conviendrait pour ce soir ? finit par demander Yngvar en désignant un caftan noir largement brodé d’or.
Kyara se demanda un instant si elle avait réellement son mot à dire, puis finit par décider de tenter quelque chose d’inhabituel. Elle pointa du doigt une autre robe à la coupe similaire, d’un violet profond souligné de rose pâle. Yngvar haussa les sourcils, réfléchit un moment, puis finit par acquiescer, comme s’il venait d’évaluer combien ce choix politique allait lui coûter.
— Combien de temps te faudra-t-il pour te préparer ?
— Trois quarts d’heure. Au moins.
Si elle devait dîner en public, elle devait appeler les femmes de chambre. Si elle appelait les femmes de chambre, elle en aurait pour un bon quart d’heure d’habillage, et au moins une demi-heure de coiffure et de maquillage. Mais le Corbeau ne parut pas dérouté par la mention du temps. Au contraire, il hocha simplement la tête, et lui souffla :
— Je t’attendrai dans le salon. Ne tarde pas trop.
Et il s’en fut. Étonnée par la tournure des évènements, Kyara mit quelques longues secondes à se ressaisir, et finit par sonner la clochette suspendue au mur du dressing pour appeler les domestiques. L’une d’entre elles, une vieille mégère aigrie qu’elle connaissait pour ses remarques acides et ses paroles venimeuses, se présenta au bout de quelques minutes, mais quand la princesse annonça son dîner officiel avec le Corbeau, le mépris disparut dans les yeux de la femme, remplacé par l’urgence. Elle fila appeler ses deux compagnes à la rescousse et, à trois, elles se mirent à l’œuvre afin de rendre Kyara présentable aux yeux de la Cour avalonienne.
Il leur fallut bien les trois quarts d’heure qu’elle avait prévus initialement, ainsi que dix bonnes minutes supplémentaires, pour finir de la harnacher dans ses vêtements, passer un peu de rouge sur ses joues et de noir sur ses paupières, et surtout dompter ses cheveux. Depuis les décades qu’elle avait passées ici, Kyara aurait pu penser qu’elles avaient finalement appris à faire avec ses cheveux frisés, rebelles, dressés en halo autour de son crâne, mais non. Elles insistèrent pour les aplatir, les lisser, leur faire perdre tout le volume qu’ils possédaient, et qu’ils retrouveraient au bout d’une nuit seulement avec l’humidité des murs. Désormais habituée à leurs manières cassantes et à leurs remarques acerbes, la princesse se laissa faire, et quand elles eurent enfin fini, ses cheveux étaient aussi raides que des brins de paille.
Elle passa de la chambre au salon à petits pas précautionneux, instable avec ses talons qui s’enfonçaient dans la moquette, pour trouver de l’autre côté Yngvar, assis dans le canapé. À deux pas de lui, Kama s’était roulé en boule, mais il ne dormait que d’un œil, épiant le prince entre ses cils recourbés. En voyant Kyara arriver, ils se redressèrent tous les deux, le chaton en bâillant. Kyara lui gratta le sommet du crâne, le souleva doucement pour frotter son nez contre son petit museau, et sourit.
— Je reviens, promis.
Il poussa un miaulement plaintif, mais n’osa plus approcher quand Yngvar tendit son bras et que Kyara s’y raccrocha. Ils s’engagèrent ensemble dans les couloirs déserts de l’aile ouest, escortés par dix membres du premier Bataillon Sanglant.
— Pourquoi lisses-tu tes cheveux ? demanda soudain le Corbeau.
Déroutée par la question, Kyara ne sut d’abord comment répondre. Puis, après un long moment de réflexion, elle souffla :
— Ils ne conviennent pas, ici.
— C’est stupide. En plus, cela semble pénible.
Elle n’aurait pas pu lui donner davantage raison à ce sujet. Mais elle était déjà suffisamment une étrangère dans ce palais. Si, en plus, elle ramenait avec elle son épaisse touffe frisée caractéristique de Terre, elle ne serait jamais acceptée. Pour peu qu’elle le soit un jour. Pour peu qu’elle le veuille un jour. Elle n’était pas encore certaine de vouloir franchir le pas.
Contrairement à ses attentes, Yngvar ne la mena pas dans l’une des grandes salles de banquet du palais, mais plutôt dans une petite cour pavée, où cinq dais surmontés de baldaquins de velours avaient été montés. De nombreuses autres tables avaient été dressées le long des murs et autour des aires fleuries. Au centre de la cour brûlait un immense brasero, sur lequel grillait un grand sanglier. L’intégralité de la cuisine semblait avoir été déplacée à l’extérieur, en vérité.
Quand le doux parfum de la viande grillée la frappa, Kyara sentit son estomac se tordre brutalement. Elle ne s’était même pas rendue compte qu’elle avait si faim. Yngvar sourit poliment aux invités, et la guida vers l’estrade centrale, aux deux places du milieu, et même si elle n’y connaissait pas grand-chose à la politique d’Avalaën, elle parvint à reconnaître à gauche d’Yngvar l’opraki, le guide spirituel de la nation, et à sa droite à elle, le conseiller des affaires étrangères. Le premier était un éminent membre du Culte d’Esga, la divinité unique de l’Empire. Elle se demanda un instant si le culte avait également été imposé à Helvethras, puis se rappela que l’Impératrice avait dit vouloir préserver les liens arcaniques des quatre provinces. L’idée que les conflits deviennent religieux plutôt que politiques l’effleura un instant, puis on lui apporta une assiette, et elle oublia ses questionnements pour se focaliser sur son repas.
Un échanson se matérialisa devant elle, lui proposa du vin, qu’elle accepta, mais que le Corbeau déclina d’un regard dédaigneux. Il ne lui fit pour autant aucune remarque, même si sa bouche s’était plissée en une fine moue, à peine perceptible. Après un long moment de réflexion, Kyara réalisa que les seules fois où elle l’avait vu boire, c’était durant le voyage. Depuis qu’ils étaient rentrés, comme à Ciel auparavant, il ne buvait jamais d’alcool pour accompagner ses repas, et jamais il n’était revenu avec une haleine avinée ou le regard un peu trouble.
Elle mangea en silence tandis que, à côté d’eux, la soirée battait de son plein. Certains convives dînaient, d’autres dansaient sur les aires herbeuses au son d’un petit quatuor à cordes posté sur la gauche, d’autres encore s’échappaient vers les jardins pour profiter de la fraîcheur de la soirée. L’ambiance était festive, un peu moins formelle que ce à quoi elle se serait attendue, tant bien qu’elle craignit quelques minutes que les protocoles et l’étiquette ne l’aident pas si quelqu’un venait lui parler. À sa gauche, Yngvar conversait avec l’opraki, d’un ton qui se prétendait patient mais qui ne pouvait pas totalement cacher sa condescendance. En écoutant un peu, elle ne comprit pas tout, mais elle devina que cela traitait de la construction d’un cardigrê, un édifice de prière, dans une région reculée de l’Empire, et que les coûts faramineux étaient loin d’être approuvés par la Couronne Impériale.
Puis, à sa grande surprise, le conseiller à sa droite l’aborda avec une série de questions sur les provinces de Ciel et d’Eau, et elle se surprit à mener avec lui une discussion animée, parfois un peu nostalgique. Il lui parla des endroits qu’il avait visités, mentionna même brièvement Ombre et ses forteresses neigeuses à un moment donné, mais ils parlèrent surtout des plus belles plages près de la mer et de cette coutume d’Eau qu’il trouvait si fascinante, celle de rendre les morts à la mer plutôt que de les brûler comme à Avalaën. Kyara se surprit même à songer que la conversation était intéressante, et qu’il n’y avait aucun mépris ou dédain dans les paroles de l’homme.
Ils furent interrompus quelques fois par des couples de courtisans venus saluer leurs souverains, et là encore, sans réellement savoir si ce n’était qu’une sordide comédie ou une réelle sympathie, la princesse ne se sentit ni jugée ni ignorée. Les femmes prenaient le temps de lui poser quelques questions tandis que leurs époux parlaient avec Yngvar de chasse ou de chevaux, elles l’invitaient à un thé ou à une partie de cartes, puis leurs époux la complimentaient sur sa tenue et ses ravissantes épingles à cheveux et ils s’en allaient. Et, après une énième salutation, n’y tenant plus, Kyara s’excusa de la discussion qu’elle avait tenue avec le conseiller, se pencha vers Yngvar et lui souffla :
— Comment se fait-il qu’ils me tolèrent aussi aisément ?
Yngvar haussa les sourcils, l’air sceptique, adressa un hochement de tête à l’opraki pour lui signifier qu’ils reprendraient certainement plus tard, et demanda :
— C’est à dire ?
— Je ne suis pas d’ici. Je ne suis pas…
Elle s’interrompit en voyant le sourire sur ses lèvres, l’amusement dans son regard. Il paraissait plus heureux dans cette ambiance festive, même si sa raideur habituelle ne le quittait pas totalement.
— L’Empire connaît bien les princesses étrangères. L’une des plus célèbres de notre histoire en était une.
— Qui ça ? relevai-t-elle, étonnée.
Il en parlait comme si c’était une banalité, mais les étrangères étaient-elles vraiment si nombreuses dans la famille impériale ? À Ciel, les conjoints ou conjointes du souverain faisaient inéluctablement partie de l’une des familles les plus prestigieuses des autres provinces. Sa propre mère, Mara, était la seconde fille de Falwë, Dame d’Eau. Et avant elle encore, précédant Jesten sur le trône, il y avait eu…
— Cassandra.
— La Maudite ?!
— Maudite, certes, mais qui établi la dynastie des Corbeaux.
Kyara fronça les sourcils, bataillant pour se rappeler ses leçons d’histoire qu’elle avait sciemment oubliées dès que son professeur avait cessé de lui demander de les répéter. Mais les souvenirs étaient trop flous dans sa mémoire, enterrés par les années et le désintérêt.
— Raconte-moi ! réclama-t-elle, sincèrement curieuse.
Il y avait si longtemps qu’on ne lui avait pas parlé d’un passé empreint de guerres, de conflits politiques ou de violences. Si quelques centaines d’étés pouvaient faire la différence et raconter une histoire un peu plus paisible, elle avait envie de la connaître. Même si c’était l’histoire d’Avalaën.
Le Corbeau poussa un long soupir songeur, ses yeux perdus au loin. Un instant, il parut regretter d’avoir soulevé le sujet, mais face au regard insistant de Kyara, il finit par se fendre d’un sourire et d’entamer :
— Les Zaor’Vil… ma famille, donc, même si nous ne portons officiellement plus ce nom depuis très longtemps…Où commencer ? Cassandra était la fille de Laëtitia Zaor’Vil, la seconde femme de l’Empereur Karo. Elle n’était pas la fille directe de Karo, ceci dit, et l’héritier du trône était Raven, fils de Karo et d’Alima, sa première épouse. Laëtitia avait empoisonné Karo…
La princesse fronça le nez, sentant arriver les ennuis.
— Puis avait instauré une brève tyrannie, qui avait été ensuite renversée par le peuple, et elle s’était enfuie.
Légèrement rassurée, Kyara hocha la tête. Pour peu, elle en aurait presque oublié les centaines d’yeux qui les guettaient, elle et Yngvar. Mais après tout, ils étaient en public. Ils étaient justement là pour entretenir l’illusion d’un couple uni.
— Cassandra est arrivée au palais adulte. Raven voulait donner une seconde chance à la fille de sa belle-mère… et puis, à l’époque, on craignait qu’elle soit potentiellement une héritière de Karo. Rien ne prouvait le contraire. Ils ont fini par se marier, et à ce moment-là, Cassandra l’a trahi et elle et sa mère ont pris le contrôle du palais et de la Citadelle.
Kyara battit des paupières, totalement à l’écoute, essayant de visualiser la situation chaotique.
— La période qui a suivi était floue. Laëtitia a commencé à imposer à nouveau son règne de terreur, mais finalement, c’est Cassandra qui y a mis fin en la tuant.
— Elle a tué sa propre mère ? hoqueta-t-elle.
— Notamment à cause de la malédiction.
Un long silence suivit. La jeune femme, incapable de s’imaginer comment les choses auraient pu dériver au point que quelqu’un tue sa propre mère, ne fut sortie de ses pensées que quand Yngvar reprit, toujours songeur :
— Après cela, les temps ont été troubles. L’insécurité régnait, l’Empereur Raven a été porté disparu pendant une longue période.
— Et la malédiction ?
— C’est finalement Cassandra qui l’a rompue. Elle a fait la seule chose qui permettait de briser le cycle de morts des Zaor’Vil. Le jour des vingt-cinq hivers de sa fille, elle s’est proclamée coupable des crimes de sa mère et traîtresse à sa patrie devant une assemblée de plus de quinze mille personnes. Et, ensuite, elle a ingéré de l’essence de kaera sulfurée, une fleur toxique des forêts de Wikandil.
— Pourquoi y a-t-il toujours tant de sang et de morts ? soupira Kyara tristement, peinée.
— C’est le prix du trône.
Le rappel, pourtant douloureux, ne fit pas autant de mal à Kyara qu’elle l’aurait escompté. Il semblait que c’était toujours la même rengaine. Par l’épée ou le poison, les souverains finissaient par mourir, ou alors ils étaient trahis par ceux qui leur étaient chers. Ou alors, ils voyaient mourir ceux qui leur étaient chers.
— C’est injuste.
Il haussa les épaules, fataliste, et elle songea un bref instant que, contrairement à elle, il n’avait pas sacrifié grand-chose pour ce trône si vorace, assoiffé de sang. Puis, elle songea aux morts sur les champs de bataille, aux amis qu’il avait peut-être enterrés, et elle se ravisa. Qui était-elle pour le juger, après tout ?
— Y a-t-il eu d’autres princesses étrangères ? osa-t-elle après un silence.
Un vague souvenir de leur soirée fusa brusquement dans son esprit.
— Ta mère, non ? L’Impératrice.
Il leva un sourcil, l’air de lui demander d’où elle tirait une telle information, et elle poursuivit :
— Tu as appelé Alya et Varhalie tes tantes… Donc elle serait leur cousine ? L’une des filles d’Alzen ?
Cette fois-ci, il parut légèrement agacé, mais répondit malgré tout :
— Ma mère, oui.
Et il ne dit rien de plus. Comprenant qu’il lui demandait de ne pas insister, elle préféra détourner la conversation sur un sujet plus léger, et ils n’y revinrent plus.

◊~◊~◊

ACTE II (3/4)
Dernière modification par vampiredelivres le mar. 30 nov., 2021 6:26 am, modifié 2 fois.
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par TcmA »

Hiello~
Fouah, c'est toujours aussi bien.
Comme tu nous l'avais dit, c'est plus calme, mais c'est peut-être pas plus mal, parce que tu exposes pas mal de choses ! Et c'est loin d'être ennuyant.
Rahlala, ça m'énerve, j'aime bien Ygnvar maintenant.
La dernière partie du chapitre, quand Yngvar explique la malédiction à Kyara, était vraiment intéressante, on avait pas eu autant d'infos sur les rois/reines d'Helvethras (enfin, dans mes souvenirs), c'est vraiment top, puis ça montre à quel point tu as développé l'univers de Dynasties, wow !
Maintenant, j'attends que ça dérape un peu et que la mouise commence (continue) pour ces pauvres persos :roll: (Et puis Eliane, coucou, ça faisait longtemps qu'on avait pas parlé de toi ! :mrgreen: )
La bise~
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par vampiredelivres »

TcmA a écrit : mer. 21 juil., 2021 7:25 pm Hiello~
Fouah, c'est toujours aussi bien.
Comme tu nous l'avais dit, c'est plus calme, mais c'est peut-être pas plus mal, parce que tu exposes pas mal de choses ! Et c'est loin d'être ennuyant.
Rahlala, ça m'énerve, j'aime bien Ygnvar maintenant.
La dernière partie du chapitre, quand Yngvar explique la malédiction à Kyara, était vraiment intéressante, on avait pas eu autant d'infos sur les rois/reines d'Helvethras (enfin, dans mes souvenirs), c'est vraiment top, puis ça montre à quel point tu as développé l'univers de Dynasties, wow !
Maintenant, j'attends que ça dérape un peu et que la mouise commence (continue) pour ces pauvres persos :roll: (Et puis Eliane, coucou, ça faisait longtemps qu'on avait pas parlé de toi ! :mrgreen: )
La bise~
Heyo !
Contente que ça te plaise toujours autant !
Oui, c'est plus calme, mais en même temps, il y en a besoin. Kyara a enfin débarqué dans son nouvel univers, maintenant il faut qu'elle s'adapte.
Ah c'est pénible, hein, il en deviendrait presque humain et appréciable :mrgreen:
Mici ! La malédiction, c'est surtout pour faire référence à Cassandra, qui est le troisième (mais en théorie premier dans l'ordre chronologique) opus de Dynasties, avec Eliane et Kyara. On en reparle une fois que j'aurai commencé à l'écrire :D
Allez, on attend les ennuis maintenant ! (Hello Eliane, elle nous avait manqué :mrgreen: )
La bise ~
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Re: Kyara II (1/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : lun. 19 juil., 2021 1:53 pm
Je comprends qu'elles aient les nerfs toutes les 2. Quelle enfance de merde elles ont dû avoir déjà. Oui, ça pourrait être sympa cette histoire de mention !
Oui, les scènes d'ambiance, quand t'es pas dans le mood c'est beaucoup plus dur d'un coup :") Courage !

Yes, c'est une bonne relation glissante :roll: Oui, c'est injustifiable :| Surtout que le mariage était pas encore prononcé, Kyara le connaissait pas. Fin, je pense que tu peux gérer tes devoirs maritaux dans d'autres circonstances (ce sera jamais correct, on s'entend, mais ce qu'a fait Yngvar au début... mec t'es à quelques mois près ? Tu peux pas attendre qu'une sorte de confiance un peu crasse s'installe un minimum ?). Mais oui, gros sujet, je te souhaite bien du courage avec ça hein :lol:
Oui, la vie au palais risque d'être très très sympa, aucun doute ;) ;) ( :cry: )


Une joyeuse enfance où tes parents ont été assassinés par le souverain et l'ex-souverain du royaume voisin x)

Yep… bref. J'ai essayé de faire au mieux dans le prochain chapitre, on verra bien. Compliqué tout ça.
Eh, y'a une bonne nouvelle pour Kyara qui arrive. Si si, promis ! :D
Hey !

"Je ne sais pas encore s'il est encore vivant… mais on verra bien. Ça dépendra de mon humeur" :arrow: Ah ! :lol: Bon, j'ai hâte de voir ce que tu lui réserves (ou pas) du coup

"Eh, y'a une bonne nouvelle pour Kyara qui arrive. Si si, promis ! :D" :arrow: Je vais lire le chapitre de suite, on va bien voir :ugeek:


Mes réactions au nouveau chap :

Ahalalala, ce 1er passage mama. Je arrrgh. Je te hais le Corbeau, toi et tes devoirs. Yngvar, mphf, au moins tu reconnais tes torts et offre un semblant de réparation. Eeeesh.

"mais cette nuit-là, pour la première fois, il fut doux avec elle" :arrow: ouais bon j'ai vomi un peu quoi quand même

omg je l'avais trop pressenti le chaton à l'apparition du panier d'osier. Chaton 4ever ♥

"Qu’est-ce que c’est-que ça ?" :arrow: l'être le plus adorable de la terre espèce de brute :evil:

"elle n’arrivait pas à faire la paix avec la défaite" :arrow: j'aime beaucoup cette tournure !

Arf, tu teases trop avec Cassandra. Grave hâte de lire tout ça et de pleurer.

" il n’avait pas perdu sacrifié grand-chose pour ce trône si vorace" :arrow: trop de choses à affronter, Lokinette beugue :lol:

BON. C'est tendu du string comme on dit plus depuis 2010. Franchement, c'est cool, car j'adore cette histoire alors que les histoires d'alliances politiques, de mariages arrangés, de princesses, c'est pas toujours ma came. Mais tu rends les choses toujours très intéressantes et nuancées. Les personnages y jouent pour beaucoup. J'aime beaucoup Kyara, elle change clairement de tes protagonistes habituels. On sent que tu te sens parfois aussi perdue qu'elle sur son devenir et c'est pas plus mal je trouve. Ça la rend plus accessible.

L'écriture toujours au top, autrement ! Suffisamment de descriptions pour bien s'imaginer les lieux et elles sont très cool en prime :D
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Re: Kyara II (1/4)

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : lun. 26 juil., 2021 9:04 pm Hey !

"Je ne sais pas encore s'il est encore vivant… mais on verra bien. Ça dépendra de mon humeur" :arrow: Ah ! :lol: Bon, j'ai hâte de voir ce que tu lui réserves (ou pas) du coup

"Eh, y'a une bonne nouvelle pour Kyara qui arrive. Si si, promis ! :D" :arrow: Je vais lire le chapitre de suite, on va bien voir :ugeek:


Mes réactions au nouveau chap :

Ahalalala, ce 1er passage mama. Je arrrgh. Je te hais le Corbeau, toi et tes devoirs. Yngvar, mphf, au moins tu reconnais tes torts et offre un semblant de réparation. Eeeesh.

"mais cette nuit-là, pour la première fois, il fut doux avec elle" :arrow: ouais bon j'ai vomi un peu quoi quand même

omg je l'avais trop pressenti le chaton à l'apparition du panier d'osier. Chaton 4ever ♥

"Qu’est-ce que c’est-que ça ?" :arrow: l'être le plus adorable de la terre espèce de brute :evil:

"elle n’arrivait pas à faire la paix avec la défaite" :arrow: j'aime beaucoup cette tournure !

Arf, tu teases trop avec Cassandra. Grave hâte de lire tout ça et de pleurer.

" il n’avait pas perdu sacrifié grand-chose pour ce trône si vorace" :arrow: trop de choses à affronter, Lokinette beugue :lol:

BON. C'est tendu du string comme on dit plus depuis 2010. Franchement, c'est cool, car j'adore cette histoire alors que les histoires d'alliances politiques, de mariages arrangés, de princesses, c'est pas toujours ma came. Mais tu rends les choses toujours très intéressantes et nuancées. Les personnages y jouent pour beaucoup. J'aime beaucoup Kyara, elle change clairement de tes protagonistes habituels. On sent que tu te sens parfois aussi perdue qu'elle sur son devenir et c'est pas plus mal je trouve. Ça la rend plus accessible.

L'écriture toujours au top, autrement ! Suffisamment de descriptions pour bien s'imaginer les lieux et elles sont très cool en prime :D
Hey !

Tu sais très bien que mes personnages et moi, c'est une longue et éternelle histoire d'improvisation :lol: On verra bien ce qu'est devenu Vilhelm ^^

Chap suivant

C'est marrant parce que autant Sasa a réussi à dépasser ce stade, autant toi tu es toujours aussi deg x) C'est drôle de voir comment un personnage évolue différemment dans la tolérance et l'esprit des lecteurs. :)

Nekko !
Oui bah Yngvar et la délicatesse, hein x)

Aiche, j'ai fail. Merci de l'avoir relevé !

Oui, je me doute que le royal politico-mondain, ça n'a pas l'air d'être trop ta tasse de thé, donc c'est très très cool si j'arrive à te faire accrocher :D En tout cas merci de me suivre toujours aussi fidèlement !
Je suis clairement aussi paumée que Kyara par moments, c'est à la fois très frustrant et très fun à écrire, mais ça m'évite de trop galérer avec le personnage. Parce que sinon, la miss est totalement hors de mes cordes et de mon domaine de prédilection, donc il y a des moments où c'est dur de se mettre dans sa tête alors qu'un de mes persos habituels comme Eliane ou Lily s'en sortirait en écrasant tout le monde sur son passage.

À bientôt !

TcmA

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Re: Kyara II (1/4)

Message par TcmA »

vampiredelivres a écrit : ven. 30 juil., 2021 9:37 am C'est marrant parce que autant Sasa a réussi à dépasser ce stade, autant toi tu es toujours aussi deg x) C'est drôle de voir comment un personnage évolue différemment dans la tolérance et l'esprit des lecteurs. :)

Eeeeh je lui pardonne pas ce qu'il a fait et comment il s'est comporté avant :v Mais j'ai déjà un peu plus de sympathie. Je n'aime pas le Corbeau, mais je commence à apprécier Yngvar (nuance c: ).
louji

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Re: Kyara II (1/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : ven. 30 juil., 2021 9:37 am Hey !

Tu sais très bien que mes personnages et moi, c'est une longue et éternelle histoire d'improvisation :lol: On verra bien ce qu'est devenu Vilhelm ^^

Chap suivant

C'est marrant parce que autant Sasa a réussi à dépasser ce stade, autant toi tu es toujours aussi deg x) C'est drôle de voir comment un personnage évolue différemment dans la tolérance et l'esprit des lecteurs. :)

Nekko !
Oui bah Yngvar et la délicatesse, hein x)

Aiche, j'ai fail. Merci de l'avoir relevé !

Oui, je me doute que le royal politico-mondain, ça n'a pas l'air d'être trop ta tasse de thé, donc c'est très très cool si j'arrive à te faire accrocher :D En tout cas merci de me suivre toujours aussi fidèlement !
Je suis clairement aussi paumée que Kyara par moments, c'est à la fois très frustrant et très fun à écrire, mais ça m'évite de trop galérer avec le personnage. Parce que sinon, la miss est totalement hors de mes cordes et de mon domaine de prédilection, donc il y a des moments où c'est dur de se mettre dans sa tête alors qu'un de mes persos habituels comme Eliane ou Lily s'en sortirait en écrasant tout le monde sur son passage.

À bientôt !

On a le même sentiment avec Sasa du coup ! Le Corbeau est pas dans notre coeur, mais Yngvar, ça va.
Spoiler
Après, l'un comme l'autre restent l'homme qui a violé Kyara et ça on pardonne pas :v
C'est pas plus mal d'être paumés parfois avec ses persos :mrgreen: Ça peut donner de bonnes surprises !
Et ça change un peu d'un perso qui trace son chemin sans trop regarder derrière aussi :lol:
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Kyara II (3/4)

Message par vampiredelivres »

Yosh !
On attaque une partie un peu plus calme et chill (enfin presque) et quelques petits mystères sur lesquels Kyara commence à se pencher…
Bonne lecture !


L'ÉTRANGÈRE
(3/4)


Yngvar se dirigea vers la salle de bains, fit couler un peu dans ses mains, s’aspergea le visage, et Kyara nota que c’était une action qu’il effectuait régulièrement quand il était contrarié. Elle se demanda ce qui avait bien pu l’irriter cette fois-ci, et si c’était en fait le bon moment pour parler de ce qui la tourmentait, mais le sentiment d’injustice qui l’habitait depuis ce matin emprisonnait son cœur dans un étau qui lui donnait l’impression de se consumer de l’intérieur à force de se taire. Elle n’avait fait que…
— Je…
Le Corbeau émit un grognement furieux, elle hésita à se raviser. Et, plus elle détailla ses épaules crispées, ses muscles noués et contractés, plus elle se convainquit que c’était une bonne idée. Lorsqu’il était dans cet état, il valait mieux ne pas le contrarier.
— Oui ? releva-t-il brusquement.
— Non, rien.
Il se figea, se redressa, tourna la tête vers elle. Sous le faisceau de ses iris perçants, elle se sentit mise à nu, transparente, une coquille de verre dans laquelle soufflait une tempête d’émotions.
— Tu me parais agacée.
— Toi aussi. Ce n’est pas la peine d’en rajouter, tu dois avoir des problèmes plus…
— Non, dis-moi.
Kyara se détourna, le cœur battant, se dirigea vers le canapé pour fuir ses yeux inquisiteurs et sa propre colère. C’était injuste, mais c’était aussi futile et enfantin. Prétentieux. Tu n’es qu’une petite poupée qui se prend pour une princesse. Et c’était vrai. La preuve formelle, irréfutable, venait de son comportement actuel.
Elle affala sa tête sur le canapé, expira profondément, le regard perdu dans les dorures qui ornaient les angles du plafond et des murs, devenues si familières depuis le temps qu’elle vivait là. Était-ce justement parce qu’elle s’était habituée à cet endroit, à ces coutumes, à cette jolie cage dorée où on ne lui demandait rien mais où on lui offrait tout ce à quoi elle aurait eu le droit auparavant, qu’elle s’était sentie aussi frustrée ?
Elle replia ses genoux sur le coussin à côté d’elle, et ses doigts cherchèrent par habitude le poil long de son chat blanc. Paraissant sentir sa détresse, Kama se hissa sur ses cuisses, piétina quelques instants sa chair en y enfonçant légèrement ses griffes, puis se roula en boule et se mit à ronronner. Elle ne put s’empêcher de sourire un peu.
— Tu sais, j’avais exactement le même mécanisme de défense quand j’étais jeune.
Yngvar s’assit sur le fauteuil à sa gauche avec une étonnante légèreté compte tenu de sa carrure, si discret que, s’il n’avait pas parlé, elle ne l’aurait pas remarqué. Ses traits s’étaient détendus, faisant presque disparaître le féroce guerrier de la surface, ne laissant que l’humain. Seul l’éclat, comme souvent, de ses iris violets, indiquait qu’il n’avait fait que ranger ses propres troubles quelque part au fond de lui-même. C’était un art dont Kyara était incapable ; elle, ses émotions se manifestaient, qu’elle le veuille ou non, qu’elle se cache ou qu’elle soit en public.
— Je me repliais sur moi-même en disant que je ne voulais pas parler. Il n’y avait pas de raison suffisamment valable pour se mettre en colère, il n’y avait rien qui puisse justifier mes explosions.
Kyara ricana, amère.
— La vérité, que j’ai mis beaucoup trop de temps à admettre, c’est que je n’osais pas parler de mes problèmes parce que j’avais peur de déranger.
Lui, peur ?
— Ma mère paraissait toujours tellement inaccessible, distante, parfaite… poursuivit-il avec une sincérité désarmante. Impossible à atteindre. Mon père était bien plus proche, mais il ne me comprenait pas. Il ne me semblait pas être du même monde que moi.
Plus il parlait et plus ses traits s’effaçaient devant les yeux de Kyara, dont la vision se troublait de perles de sel. L’honnêteté qui émanait d’Yngvar, si semblable à celle qu’elle avait ressentie chez son père, l’effrayait. Aussi brumeux et brouillé le voyait-elle, elle ne l’avait jamais perçu plus réel et tangible qu’à ce moment précis.
— J’étais incapable de faire le pas, de rompre cette distance entre eux et moi pour me faire comprendre. C’est ma mère qui l’a fait, certainement au moment où j’en avais le plus besoin. Aujourd’hui, j’ai appris.
Il fit une brève pause, réfléchit un moment. Kyara, les doigts emmêlés dans les longs poils de Kama, ne bougeait plus, interdite.
— Je ne prétendrai pas que nous sommes proches, que nous nous connaissons, parce que je sais que malgré la saison qui s’est écoulée, tu n’es pas plus ma femme qu’au jour de notre mariage. Mais tu demeures mon épouse, la princesse du royaume. Quiconque cherche à te blesser s’attaque à toute la famille royale. Je sais que je ne parais pas m’en préoccuper, mais je suis là pour veiller à ce qu’il ne t’arrive rien.
Kyara ne s’était pas vraiment rendue compte qu’elle pleurait, jusqu’à ce qu’une larme chaude s’écrase sur son poignet. Elle leva une main tremblante pour essuyer ses joues mouillées, battit des paupières pour éclaircir sa vision. Un instant, elle le haït pour avoir su trouver les mots justes pour décrire cette situation dans laquelle elle se débattait depuis des lunes, mais cela ne dura que l’espace d’un battement de cœur, le temps qu’elle ne réalise l’absurdité de cette émotion.
— Ça va te paraître enfantin…
— Tu n’es toujours qu’une enfant.
Son fin sourire espiègle et son ton gentiment taquin parvinrent à l’apaiser suffisamment pour qu’elle ose poursuivre.
— Je… ça faisait un moment que je voulais apprendre le… la danse des cygnes…
Il hocha pensivement la tête sans rien dire, ne voyant pas pour le moment où elle voulait en venir. La danse des cygnes était une sorte de valse communément pratiquée dans les hautes sphères d’Avalaën, sa principale particularité résidant dans le fait qu’aucun des deux cavaliers ne menait la danse. Bien souvent, elle était donc dansée par des duos de femmes.
— J’ai demandé à l’un des gardes de bien vouloir aller quérir un maître de danse pour moi, mais…
Au souvenir du regard haineux et méprisant de l’homme, de ses mots durs, de ses insultes, sa voix se fêla, sa lèvre inférieure se mit à trembloter. Elle frémit, et les larmes qui n’avaient jamais réellement cessé de couler affluèrent à nouveau. Incapable de parler, elle crispa sa main sur la douce fourrure de Kama, et se replia sur elle-même.
— Yngvar ?
La voix froide s’était élevée, à peine plus forte qu’un murmure. Mais, métallisée par le heaume du soldat, elle résonna comme un grondement, dangereusement menaçant. Le Corbeau releva la tête vers son compagnon des Bataillons Sanglants qui se tenait près de la fenêtre, semblant enfin remarquer sa présence alors que, pourtant, il n’avait pas bougé depuis son arrivée.
— Dis-moi.
— Le garde. Il l’a insultée.
Petite salope, tu penses vraiment avoir ton mot à dire ici ? Traînée.
— Lui a ri au nez.
Tu n’es rien. Personne. Juste un jouet.
— Et il a insulté les Bataillons.
Et toi, écarte-toi de mon chemin. Gentil toutou. Ouaf. Oui. Toi aussi, tu es un chien. Un peu mieux dressé peut-être, mais un chien quand même.
— « Les chiens du prince », pour le citer.
Elle se rappelait son haleine avinée, ses yeux clairs. Elle aurait pu le mettre sur le compte de l’alcool, peut-être, s’il n’y avait pas eu ces iris perçants. Lucides. Chargés d’une méchanceté qu’elle ne pouvait mettre sur le compte d’autre chose que la haine. Elle se souvenait de la peur et de la souffrance qu’elle avait ressenties ; le simple souvenir de ses mots était encore un couteau chauffé à blanc en travers de sa gorge, qui l’empêchait de s’exprimer.
Quand Yngvar se tourna vers elle, elle se contenta d’opiner silencieusement, le nez bas, incapable de piper mot. Je te dirais bien d’aller te faire foutre, mais ça t’arrive déjà assez souvent… Elle détestait la sensation d’impuissance qu’elle avait ressentie, cette certitude que, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle dise, il continuerait simplement à rire.
— Pourquoi ne m’avoir rien dit quand je suis arrivé ?
Le soldat demeura silencieux. À travers ses larmes, Kyara discerna un rictus mauvais sur le visage d’Yngvar.
— Je vois.
Elle ne voyait pas, mais peu lui importait réellement.
— Tu te souviens de son identité ?
— Je le retrouverai.
— Vas-y.
Le soldat traversa la pièce à grandes enjambées, referma la porte de la chambre derrière lui.
— Il avait raison… marmonna tristement Kyara en ramenant ses genoux contre sa poitrine, au grand dam de Kama, qui aurait voulu rester sur ses jambes.
Le chat poussa un miaulement plaintif, regarda sa maîtresse d’un air à la fois curieux et peiné, puis finit par se lover contre sa cuisse, sur le petit canapé.
— Au sujet de…?
— Je n’ai rien. Je ne suis rien, ni personne d’ailleurs. Je n’ai aucune prétention ici.
Le Corbeau poussa un long soupir, passa une main dans ses cheveux. Son exaspération, habituellement effrayante, n’eut pour une fois aucun effet sur la jeune princesse. Perdue dans ses pensées, elle la remarqua à peine.
— C’est dommage que mon père ne soit pas là, il aurait trouvé des mots plus justes pour te le faire comprendre. Mais je vais essayer. Tu es ma femme, même si tu ne l’as pas souhaité – et même si je ne l’ai pas souhaité non plus, en toute sincérité.
Elle esquissa un pâle rictus grinçant, sans pour autant répondre. Songeur, il poursuivit :
— En t’insultant, en te dénigrant, il a dénigré toute la famille impériale. Parce que tu fais partie de cette famille, maintenant.
Kyara haussa les sourcils, sceptique. Aux murmures qui la suivaient les rares fois où elle osait sortir de la suite, elle se sentait davantage comme un animal de foire que comme la future Impératrice, même si officiellement, c’était ce qu’elle était. Personne ici ne voulait d’elle, qu’ils fussent ou non habitués aux princesses étrangères. Dès qu’elle n’était plus au bras d’Yngvar, le palais entier lui rappelait sa petitesse et son insignifiance.
— Personne – et je voudrais insister sur ce terme – n’a le droit de te refuser ce que tu demandes. Sauf peut-être ma mère et moi. Mon père ne te le refusera jamais, en tout cas, ajouta-t-il avec un sourire nostalgique.
Il ne le dit pas, mais Kyara perçut la mélancolie dans son expression un brin rêveuse, et dépitée en même temps. Il était vrai que l’Empereur Saedor, ô combien lucide paraisse-t-il, n’avait jamais manifesté la moindre bribe de colère, d’animosité ou même d’impatience en sa présence. D’un autre côté, elle n’avait pas eu l’occasion de le fréquenter longtemps. Mais il lui avait offert Kama sans sourciller, simplement à la demande d’Uma.
Yngvar se redressa, contourna la petite table de verre, s’assit à côté de la jeune fille en veillant à ne pas déranger le chat qui somnolait entre eux. Nonobstant, la petite bête leva un instant le museau, le détailla de ses yeux réduits à de fines fentes vertes, puis finit par recoucher son menton sur ses pattes avant, comme ayant, au moins pour le moment, approuvé sa présence.
En le voyant approcher, Kyara redressa un peu la tête, chassa ses larmes d’un revers de paume en reniflant bruyamment. Elle se sentait fade. Perdue. Profondément malheureuse. Un fétu de paille balayé par des vents contraires.
— À défaut de savoir te réconforter, je saurai faire passer le message. Il est hors de question que cela se reproduise, avec lui ou quiconque d’autre.
Doucement, comme s’il craignait de la blesser ou de lui faire peur, il passa son bras autour de ses épaules, un peu gauche. Il ne l’attira pas vers lui, se contenta de laisser sa main chaude reposer sur son épaule, mais finalement, à défaut de pouvoir trouver une autre source de réconfort, Kyara laissa aller sa tête contre son bras et se blottit contre lui.

Ils demeurèrent ainsi, appuyés l’un contre l’autre mais séparés par le chat, jusqu’à ce que quelqu’un toque à la porte. Kyara, épuisée par les émotions contradictoires, battit des paupières, l’esprit ensommeillé. Yngvar, lui, était déjà pleinement alerte, son regard était redevenu inflexible, ses traits s’étaient figés en une froide expression austère. Quand le garde, précédé par le soldat du Bataillon passa la porte, ses yeux firent la navette entre les époux assis côte à côte, et il se fit brutalement livide. Mais, malgré sa soudaine et évidente peur, il demeura droit, tâchant de préserver sa dignité.
Le silence s’éternisa. Kyara, figée sur le canapé, ne trouvait curieusement pas le bras d’Yngvar si lourd sur ses épaules. Il pesait quelque peu, certes, mais il était désormais familier. Il n’était pas aussi intrusif que la haine sous-jacente du garde. Et puis, elle avait gardé une main posée sur le poil chaud et doux de Kama, qui ronronnait doucement sous ses doigts.
Pendant un moment, en luttant pour toujours esquiver les yeux assassins qui la guettaient, elle se demanda ce que le Corbeau avait en tête. Elle lui jeta un coup d’œil rapide, avisa son visage lisse, inhumainement immobile. Il n’y avait pas le moindre pli pour déformer son front ou froisser ses lèvres. Pourtant, elle le sentait furieux. Mais il ne bougeait pas, respirait à peine. En s’y attardant un peu, elle se demanda s’il ne cherchait pas un bon angle d’attaque. Le tacticien en lui devait être en train d’analyser les forces et les faiblesses de son opposant, même si le rapport des forces était totalement déséquilibré depuis le début. Mais c’était le Corbeau. Il ne laissait rien au hasard.
Calquant son attitude sur la sienne, Kyara demeura aussi immobile qu’une statue, sans réellement trouver l’exercice difficile. Cela lui rappelait les cours de maintien de son enfance. Pour peu, elle aurait presque entendu la voix de sa préceptrice et maîtresse de danse lui enjoindre de garder son dos droit. Aujourd’hui, elle le faisait intuitivement, trop habituée pour se laisser aller.
Il ne se passait toujours rien, et le garde commençait à se tortiller, mal à l’aise. Il était seul au milieu de la suite princière, face à son souverain, qui depuis de longues minutes demeurait absolument silencieux et se contentait de le sonder. Plus le temps passait, plus la colère bouillonnante que Kyara avait sentie émaner d’Yngvar s’estompait pour laisser la place à une indifférence glacée. Cependant, elle commençait à le connaître.
Quand il rompit le silence, il s’était transformé en rivière, calme à sa surface, dangereusement tumultueux dans les profondeurs. Sa voix, trop plate, trop impersonnelle, ramena en Kyara une nuée de mauvais souvenirs.
— As-tu une femme ?
— Oui, Kaleko Sen.
— Dois-je donc me faire plus explicite ?
Le garde, paraissant convaincu du bien-fondé de son comportement, malgré la colère orageuse du prince qui menaçait de s’abattre à chaque instant, osa poursuivre :
— Mais, Kaleko Sen, elle n’est pas…
— Qu’es-tu qu’elle ne serait pas ?
L’interruption, sèche et cassante, claqua comme un coup de tonnerre.
— Ou plutôt, qu’est-elle que tu n’es pas ? Elle est l’Avelke de l’Empire. Elle est mon épouse. Insulterais-tu l’épouse de l’un de tes amis sous prétexte qu’elle n’est pas d’ici ?
Cette fois-ci, l’homme ne répondit rien.
— Insulterais-tu ma mère pour cette même raison ?
S’il était possible de devenir encore plus pâle que livide, le garde le devint. La mention de l’Impératrice, à peine une évocation pourtant, jeta un tel froid dans la pièce que Kyara frissonna. Elle fixa la mâchoire contractée d’Yngvar, la ligne en V de ses sourcils froncés. Ainsi, vu de profil, il avait une allure de rapace en chasse. Et elle était heureuse de ne pas en être la proie, de ne jamais l’avoir été. Soudain, ce garde qui l’avait insultée ne paraissait plus aussi méprisant, menaçant ou haineux. Soudain, il avait l’air d’un gamin terrifié, qui n’osait même plus remuer une phalange de peur de déclencher l’apocalypse.
— Tu rendras tes insignes en sortant d’ici.
Soudain, lui non plus n’était plus rien. Au moins, ils étaient deux.
— Kaleko
Yngvar le foudroya du regard, et les mots moururent sur ses lèvres. Puis, le soldat des Bataillons Sanglants, demeuré près de la porte depuis le début de la confrontation, dessina un geste interrogateur. Le prince acquiesça. Le soldat s’avança, silencieux, meurtrier, donna un violent coup à l’arrière des rotules. L’homme s’effondra avec un cri inarticulé qui parvint presque à couvrir le craquement de son os. Kyara fut parcourue d’un violent frisson, mais la main chaude, toujours posée sur son épaule, se serra doucement, lui enjoignant le calme.
— Tu ne t’es pas excusé, sale chien, siffla le soldat à l’oreille du garde.
Le souffle haché, des larmes de douleur au coin des yeux, ce dernier prit une série d’inspirations bruyantes avant de souffler :
— Pardonne-moi je te prie, Avelke Sen
Kyara ne dit rien. Elle en était toujours incapable. La scène se déroulait devant ses yeux comme une pièce de théâtre, avec une mécanique bien huilée où elle n’avait guère sa part. Ou du moins, elle ne voulait pas y prendre part. Le garde n’était ni sincère, ni libre de ses actions. Il n’y avait aucune réelle volonté dans ses mots, qui étaient uniquement guidés par la peur et la douleur. Il n’était pas désolé. Simplement contraint.
— Il y a quelque chose que tu oublies.
Yngvar se redressait lentement, placidement, tel un colosse, face au garde désormais terrorisé. Sa main glissa le long des épaules de Kyara, l’abandonna, laissant derrière elle une désagréable sensation de froid. Il s’approcha pas à pas du centre de la pièce, s’accroupit près de l’homme agenouillé.
— Les Bataillons sont ma fratrie d’armes. En les insultant, tu m’as insulté.
L’homme parut vouloir se mettre à pleurer immédiatement, mais à ce stade, ce fut sa propre terreur qui l’en empêcha. Hoquetant, il s’effondra face contre terre, mais le soldat le releva en l’agrippant par les cheveux malgré ses plaintes, son souffle erratique et son visage blafard.
— J’ai un fils… murmura-t-il. Il a trois lunes… Par pitié…
Kyara le haït de se tourner vers elle au moment où il proférait ces mots. Comme si, réduit à l’impuissance la plus totale, il espérait de l’aide de sa part. Bouillonnante d’une rage incongrue, elle détourna le regard vers la fenêtre et garda le silence. Elle vit seulement, du coin de l’œil, Yngvar adresser un hochement de menton à son compagnon des Bataillons. Ce dernier redressa brutalement le garde sur son pied valide et le brusqua hors de la pièce en le tenant toujours par les cheveux et par un bras.
Le silence tomba. Yngvar, toujours accroupi au centre de la pièce, se redressa lentement, ferma les yeux songeur.
— Navré que tu aies dû assister à cela, lâcha-t-il enfin d’une voix plate. Mais comprends que c’était nécessaire.
— Que… que va-t-il lui arriver ? chevrota Kyara, ne sachant trop si elle voulait vraiment connaître la réponse. Tu ne vas pas…
— La famille impériale n’est aujourd’hui respectée que grâce à ma mère. Quand Aren…
Le Conquérant, songea-t-elle sans pouvoir s’en empêcher.
— … a échoué à conquérir Helvethras, la dynastie ne tenait plus qu’à quelques minces fils. Mon père a beau être bon et juste, il n’est pas cruel, et c’est souvent interprété comme s’il était incapable de prendre les décisions qui s’imposent. Il l’aurait certainement condamné à des excuses publiques avant de le gracier. Ma mère en revanche l’aurait pendu haut et court.
Il se tut un instant, et dans son front plissé et ses épaules repliées, Kyara discerna le tiraillement qui l’habitait. Il parlait autant pour elle que pour lui-même, cherchant certainement la solution adéquate.
— Il a un fils… murmura-t-elle doucement, hantée par ces mots.
Yngvar ne répondit rien, mais son visage se ferma. Il réfléchissait, trop vite, trop intensément. Trop différemment aussi. Incapable de le suivre dans les plans mentaux qu’il se construisait, Kyara se contenta d’attendre, ne sachant trop quelle décision elle voulait entendre. Elle comprenait la symbolique de son geste, elle comprenait presque l’affront, même si elle ne parvenait pas à s’identifier comme un véritable membre de la famille impériale.
L’homme devait mourir, comprit-elle dans le silence qui s’était instauré entre eux. Même s’il n’était pas exécuté publiquement, son sort serait une mise en garde envers ceux qui auraient pu avoir la même attitude que lui. Mais elle ne voulait pas qu’il laisse derrière lui un orphelin. Elle haït son cœur de tolérer et de justifier si aisément la mort d’un homme, et de pourtant s’émouvoir du sort de son fils. Ce n’était pas de la justice. Il suffisait juste de retourner le regard.
— Il doit mourir, n’est-ce pas ?
Le Corbeau hocha froidement la tête. Dans ses iris violets, le tourbillon de doutes s’était apaisé, il ne restait plus qu’une froide colère, et son expression s’était faite inflexible. Kyara n’essaya même pas de lutter, de tenter de le convaincre de changer d’avis. Elle souffla seulement :
— Je ne veux pas voir ça.
Et il acquiesça.

Le lendemain, l’homme mourut. Même si elle n’assista pas à l’exécution, quand elle se rendit à la bibliothèque du palais, les têtes se tournèrent vers elle davantage que d’habitude, elle entendit des murmures qui parlaient de soldat et de décapitation. Tout le palais semblait être au courant, depuis les plus jeunes serviteurs jusqu’aux plus nobles courtisans. Il y avait de la peur et de la méfiance dans les chuchotements, de l’aménité dans les regards, de la retenue dans les postures. Elle essaya de ne pas y prêter attention, et elle y serait presque parvenue si une femme ne l’avait pas interceptée à l’entrée de la bibliothèque, s’adressant si directement à elle qu’il aurait été plus que malpoli de l’ignorer.
Avelke Sen ?
Peu encline à la discussion, Kyara s’arrêta néanmoins et inclina la tête.
— Dame… Ranya ?
— Exact, Avelke. Pardonne-moi de te déranger, je souhaitais seulement te témoigner mon respect pour avoir placé l’enfant du soldat à la crèche impériale malgré les actes de son père. C’est fort noble de ta part.
— Je…
Ai-je fait ça ? Elle ne s’en souvenait pas.
— Merci, finit-elle par balbutier, démunie.
— Je ne te dérange pas davantage.
Et elle s’effaça en esquissant une sobre mais élégante révérence. Kyara battit des paupières, stupéfaite, se mit en mouvement par instinct, ses gardes sur ses talons, muets. Elle franchit la porte de la bibliothèque, la referma derrière elle, s’appuya contre le battant et souffla longuement. Elle n’avait rien organisé pour l’enfant du soldat. Elle s’en était voulue, même, en se couchant. Mais si ce n’était pas elle, qui ?
La seule réponse plausible était Yngvar, mais cela ne collait pas avec l’image qu’elle avait de lui. Se serait-il réellement préoccupé d’un bébé de trois lunes ? C’était une question à laquelle, intuitivement, elle ne sut pas répondre. Mais, en y réfléchissant, elle réalisa que, finalement, cela voulait seulement dire qu’elle ne le connaissait pas suffisamment. Elle pivota vers les quatre gardes qui l’accompagnaient, haussa les sourcils :
— Est-ce Yngvar qui a organisé cela ?
Il lui sembla qu’ils échangeaient un sourire, et l’un d’entre eux finit par acquiescer. Elle n’y répondit rien, soufflée. Elle s’en doutait, pourtant, mais elle réalisait désormais vraiment. Et elle n’avait aucune idée comment la cruauté dont il pouvait faire preuve parfois pouvait cohabiter avec cette justesse et cette… bonté ? Elle n’aurait su trouver de meilleur terme, mais pour le Corbeau, il ne lui paraissait pas approprié.
Songeuse, Kyara finit par se secouer et repousser la pensée d’Yngvar. Elle s’était promis de jeter un œil aux archives impériales afin de retracer le parcours de l’Impératrice. La discussion sur les princesses étrangères qu’ils avaient eue durant un dîner commençait à dater, mais elle lui était revenue récemment, et Kyara avait décidé de chercher les traces de cette mystérieuse Impératrice. Après tout, comment était-il possible qu’une femme aussi puissante, aussi présente dans la sphère publique, sache se faire aussi discrète, presque invisible, tant bien que ceux qui connaissaient son véritable prénom pouvaient se compter sur les doigts d’une main ? Pour la jeune fille, cela dépassait son imagination ; elle espérait pouvoir trouver au moins un indice quelque part dans les vieux livres. Mais pour cela, encore fallait-il qu’elle se rappelle ses cours d’histoire et d’actualités politiques.
Jusqu’à la conquête, les contacts entre Avalaën et Helvethras avaient toujours été froids et restreints, si ce n’était inexistants. Pourtant, elle se souvenait que, des hivers plus tôt, son père et sa mère avaient tenté d’apaiser les tensions et d’inviter l’Empereur et son épouse à un dîner organisé à la frontière. Mais leur lettre avait été rejetée, si agressivement que, par la suite, ils n’avaient plus jamais essayé.
Le mariage de Saedor remontait à bien avant même la naissance de Kyara. Ce qui signifiait que, s’il fallait chercher des traces d’une princesse étrangère, il fallait remonter à partir de cette date.
Elle commença à se promener dans les étroits rayonnages des archives, un doigt levé glissant le long des épaisses tranches de livres reliés, jusqu’à atteindre la lettre M. Ne sachant trop où commencer, elle avait décidé d’attaquer le mystère sous l’angle du mariage. Quand sa main atteignit la série de volumes intitulés Mariages et unions d’Esga, un sourire affleura sur ses lèvres et elle saisit le tome le plus récent pour l’amener sur une petite table située sous une grande fenêtre. Elle l’ouvrit en ahanant, s’immobilisa un instant en se demandant pourquoi les « unions d’Esga » étaient spécifiées dans le titre, puisqu’un mariage était théoriquement une union d’Esga. Puis, elle se rappela que, dans la foi avalonienne, une union d’Esga était un terme générique qui caractérisait toutes les liaisons familiales, ce qui impliquait donc également les adoptions ou les transferts de responsabilité. Ce qui augmentait considérablement la taille du volume et les informations qui y étaient recensées. L’idée lui tira une grimace, mais elle ouvrit résolument le livre et se plongea dans sa lecture.
Les heures s’écoulèrent lentement dans le silence de la grande salle fermée. Patiemment, quoique déprimée par la quantité d’informations dans laquelle elle était noyée, Kyara progressait. Elle avait écarté d’emblée les dates qui étaient trop lointaines ou trop proche, réduisant le volume de recherche à une centaine de pages. Et elle avait constaté, sans réelle surprise mais avec malgré tout un peu d’étonnement, qu’il n’y avait aucune classification hiérarchique dans la liste. Tous les événements venaient par ordre chronologique, sans égard pour le titre des mariés ou la région géographique du royaume, même si ces données étaient elles aussi notées. L’œuvre finale était un véritable travail de fourmi, minutieux et organisé, même si elle regrettait le travail un peu trop consciencieux de l’archiviste qui avait tenu ce registre.
Elle commençait à désespérer, arrivant au bout des pages quand un nom attira son regard. Saedor. Pas de nom de famille, pas de titre, simplement Saedor. La ligne complète indiquait un mariage, mais à la place du nom de l’épouse, il n’y avait qu’un petit mot griffonné : Sailentera. Le terme en avalarë lui était totalement inconnu. Elle releva la tête vers les gardes, toujours postés non-loin, et leur demanda :
— Le mot « sailentera » vous dit quelque chose ?
Trois d’entre eux secouèrent la tête lentement, mais l’un ne bougea pas. Elle riva sur lui un regard insistant, face auquel il finit par ôter son casque pour lui parler en face. Il semblait un peu plus jeune que la majeure partie de ses compagnons, peut-être trois ou quatre ans de moins qu’eux. Ou alors, c’était seulement l’allure de son visage qui lui donnait un air un peu plus adolescent avec ses boucles blondes désordonnées et ses fossettes discrètes.
— Ce n’est pas de l’avalarë. C’est un mot qui provient de la magie des sorcières qui vivent dans les forêts de Wikandil. Pour nous, le terme le plus proche serait « oublié » ou « abandonné ».
Elle haussa les sourcils, songeuse.
— Pourquoi est-il noté dans un registre de mariages, alors ? poussa-t-elle.
Sciemment, elle ne précisa pas à qui le terme était associé. Elle ne voulait pas soulever les interrogations de ses gardes. Elle savait qu’ils rapportaient tout à Yngvar, et il n’y avait là rien d’étonnant, mais tant qu’elle n’avait pas trouvé de réponse, elle voulait garder ses recherches aussi privées que possible. Quel noir secret pouvait pousser une Impératrice à se faire si peu connaître qu’elle n’apparaissait même pas dans les registres impériaux ?
Le jeune soldat haussa familièrement les épaules, secoua la tête et remit son heaume sur sa tête en voyant qu’elle n’insistait pas. Elle poussa un long soupir, s’affala profondément dans sa chaise et leva les yeux vers le plafond. Oublié. Abandonné. L’Oubliée, peut-être ? Mais pourquoi aurait-elle dû être oubliée ? Pourquoi aurait-elle voulu se faire oublier ? Kyara se mordilla les lèvres, songeuse, puis se redressa d’un bond, une idée en tête. Elle pouvait essayer de fouiller les registres des naissances, peut-être qu’un archiviste moins scrupuleux aurait oublié de préserver le secret qui protégeait la mère d’Yngvar ?
Il lui fallut bien deux heures pour localiser le nom du prince parmi les trois tomes qu’elle avait tirés de la bibliothèque sans réellement savoir dans lequel elle allait fouiller. Ils étaient classés par ordre chronologique, comme tous les registres, pourtant, mais n’ayant aucune idée de la date de naissance exacte d’Yngvar, elle avait dû estimer. Le résultat était cependant une déception, comme le livre précédent. À côté d’Yngvar, il n’y avait que Saedor. Pas de femme, pas de note, rien qui ne puisse permettre de tracer son ascendance du côté maternel. L’Impératrice était-elle réellement sa mère ?
L’interrogation parut au début absurde à la jeune fille, mais en y réfléchissant, elle songea que l’idée n’était peut-être pas si farfelue qu’elle le semblait au premier abord. Cela aurait expliqué bien des choses. Mais ça paraissait incohérent. Elle avait beau ne pas avoir vu le Corbeau et sa mère souvent, il y avait quelque chose dans leur attitude qui laissait transparaître leur parenté. La rudesse de leurs traits, la sécheresse renfermée de leur comportement. Leurs yeux froids, leur jugement silencieux, leur allure inaccessible.
Ils étaient certainement affiliés. Elle en était sûre. Mais alors, comment expliquer ce silence dans les archives ?
Le mutisme de la bibliothèque lui devint soudain étouffant. Elle poussa une plainte rageuse, ferma le livre aussi délicatement que son agacement le lui permettait, se redressa, s’épousseta. L’Impératrice ne voulait pas pouvoir être tracée. C’était évident. La raison de ce comportement demeurait un mystère, mais il lui faudrait certainement plus d’une journée pour le résoudre.

En sortant de la bibliothèque, elle fut frappée par la frénésie qui régnait. La bibliothèque impériale était située non-loin de l’un des grands salons où la noblesse locale se prélassait régulièrement, mais pour une fois, il n’y avait aucun courtisan dans les couloirs. En revanche, les serviteurs, habituellement discrets, avaient oublié leurs précautions d’usage. Loin de raser les murs, ils se pressaient en plein centre des couloirs, les bras chargés de tissus, de vases, de fleurs, d’outils de jardinage et de multiples objets encore dont Kyara ne pouvait même pas deviner l’utilité. Étonnamment, ils parvenaient tout de même à s’esquiver avec aisance malgré leurs trajectoires qui se croisaient, et aucun vase, aucun pot, aucune pyramide de verres, ne s’effondra ou ne se rompit malgré les presque-chocs qui menaçaient à chaque instant.
Sidérée par la fièvre ambiante, Kyara demeura quelques instants immobile sur le pas de la porte, jusqu’à ce que l’un de ses gardes se fasse bousculer par un homme dont les bras étaient chargés d’un épais empilement de nappes de soie si haut qu’il lui permettait à peine de voir devant lui. Le soldat poussa un grognement, l’homme vacilla, s’excusa.
— Que se passe-t-il ? l’interpella-t-elle sans réfléchir, saisissant au vol l’occasion. Quelle est la raison de ce chaos ?
Le serviteur hésita un instant, se demandant si la question lui était adressée. Puis, en voyant les yeux sombres de sa princesse rivés sur lui, il esquissa une courbette maladroite, marmonna une phrase inaudible.
— Pardon ?
Mais il s’était déjà esquivé. En revanche, le soldat qu’il avait percuté semblait avoir entendu : il consulta brièvement ses compagnons de quelques mouvements de buste, l’un d’entre eux haussa les épaules puis agita brièvement les doigts en une série de signes incompréhensibles. Il finit par regarder à nouveau sa princesse, et répondre à la question qui avait été posée au serviteur :
— C’est la panique dans le palais, une réception doit être organisée ce soir, en dernière minute, pour le retour de l’Impératrice.
Kyara sentit son souffle se glacer dans sa poitrine.
— Elle arrive ce soir ?
— Elle est déjà dans la cour.

◊~◊~◊

ACTE II (4/4)
Dernière modification par vampiredelivres le ven. 03 déc., 2021 3:12 am, modifié 2 fois.
louji

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par louji »

Zaaaalut

Chuis encore frappée par la flemme de réagir au sein du texte-même, je vais continuer en message classique comme ça... :?

Plutôt sympa cette discussion entre Yngvar et Kyara. Ça fait pas de mal à Kyara qu'il lui rappelle qu'elle a le droit au respect.

C'est cool que Kyara se penche sur les origines de l'Impératrice. Pour elle, ça lui fait une occupation, mais, pour nous, c'est aussi un moyen de savoir s'il va y avoir confrontation directe avec Eliane 8-) Hâte de voir où son enquête va la mener en tout cas !

AH. MAIS LA VOILA. BON.
Gé peur. Gé hâte. Comme d'hab avec Lokinette

Même si ce chapitre est plus chill comme tu dis, il est pas du tout inintéressant. La 1e partie est chouette, avec Yngvar qui se met à nu et Kyara qui assume ses doutes et sa vulnérabilité. J'aime bien quand les persos sont comme ça ! L'écriture est toujours au poil, la diversité du vocabulaire et des phrases est top


Un petit truc :

— Personne – et je voudrais insister sur ce terme – n’a le droit de te refuser ce que tu demandes. Sauf peut-être ma mère et moi. Mon père ne te le refusera jamais, en tout cas, ajouta-t-il avec un sourire nostalgique.
Il ne le dit pas, mais Kyara perçut la nostalgie et la tristesse dans son expression :arrow: répétition
TcmA

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par TcmA »

Yoooooo~

Wow ! Un chap un peu plus tranquille, oui, mais au final il se passe pas mal de choses importantes !
Comme Co, j'aime beaucoup la première partie du chap. Les persos sont vraiment cools et intéressants et ils n'arrêtent pas de se dévoiler : chapeau ! Puis mazette, les recherches de Kyara montrent à quel point tu as développé l'univers de Dynasties, je suis impressionnée.
Aïe aïe aïe, ce petit retour improvisé d'Eliane va venir mettre la pagaille. Ca va être fifoufun (pas pour tout le monde, par contre).

J'ai bien hâte d'avoir mal à nouveau (masochisme, quand tu nous tiens) haha :')

La bise !
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : sam. 14 août, 2021 5:12 pm Zaaaalut

Chuis encore frappée par la flemme de réagir au sein du texte-même, je vais continuer en message classique comme ça... :?

Plutôt sympa cette discussion entre Yngvar et Kyara. Ça fait pas de mal à Kyara qu'il lui rappelle qu'elle a le droit au respect.

C'est cool que Kyara se penche sur les origines de l'Impératrice. Pour elle, ça lui fait une occupation, mais, pour nous, c'est aussi un moyen de savoir s'il va y avoir confrontation directe avec Eliane 8-) Hâte de voir où son enquête va la mener en tout cas !

AH. MAIS LA VOILA. BON.
Gé peur. Gé hâte. Comme d'hab avec Lokinette

Même si ce chapitre est plus chill comme tu dis, il est pas du tout inintéressant. La 1e partie est chouette, avec Yngvar qui se met à nu et Kyara qui assume ses doutes et sa vulnérabilité. J'aime bien quand les persos sont comme ça ! L'écriture est toujours au poil, la diversité du vocabulaire et des phrases est top


Un petit truc :

— Personne – et je voudrais insister sur ce terme – n’a le droit de te refuser ce que tu demandes. Sauf peut-être ma mère et moi. Mon père ne te le refusera jamais, en tout cas, ajouta-t-il avec un sourire nostalgique.
Il ne le dit pas, mais Kyara perçut la nostalgie et la tristesse dans son expression :arrow: répétition
Heyyyyo !
Tkt no stress, les commentaires inline c’est long à faire parfois !
Voui, elle a tendance à oublier qu’elle vaut encore au moins autant qu’un être humain, si ce n’est plus…
C’est effectivement et une occupation et une manière d’amorcer un futur axe d’intrigue avec Eliane donc après tout x)
Je note la p’tite répétition, merci !
Merci, contente que ça te plaise ! J’ai beaucoup aimé ce chapitre aussi, ça calme un peu le jeu après la folie et la noirceur de la P1, c’est bien ^^
À plouche !


TcmA a écrit : lun. 16 août, 2021 3:26 am Yoooooo~

Wow ! Un chap un peu plus tranquille, oui, mais au final il se passe pas mal de choses importantes !
Comme Co, j'aime beaucoup la première partie du chap. Les persos sont vraiment cools et intéressants et ils n'arrêtent pas de se dévoiler : chapeau ! Puis mazette, les recherches de Kyara montrent à quel point tu as développé l'univers de Dynasties, je suis impressionnée.
Aïe aïe aïe, ce petit retour improvisé d'Eliane va venir mettre la pagaille. Ca va être fifoufun (pas pour tout le monde, par contre).

J'ai bien hâte d'avoir mal à nouveau (masochisme, quand tu nous tiens) haha :')

La bise !
Yooo :)
Voui, y’a plein de choses importantes qui se passent ici !
C’est prévu qu’ils s’ouvrent encore un peu plus ^^ Mais en même temps, on est partis de deux inconnus qui se sont rencontrés sur un champ de bataille, donc bon x)
Eh, fallait bien qu’elle revienne un jour ! Mais tkt, ça va être fun !
La bise ~
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Kyara II (4/4)

Message par vampiredelivres »

Heyo !
Kyara commence enfin à faire ses propres choix… mais si les raisons qui l'y poussent sont-elles les bonnes ?
Bonne lecture !


L'ÉTRANGÈRE
(4/4)


Pour la seconde fois depuis son arrivée, Kyara se retrouvait devant l’immense vantail de bois qui menait à la petite cour intérieure. Mais cette fois-ci, ce n’était plus de son mariage qu’il s’agissait, c’était du retour de celle qui l’avait orchestré. Sanglée dans une large robe noir et or, celle qu’Yngvar lui avait désignée pour le précédent dîner, elle se sentait à nouveau ridiculement petite et insignifiante. Pourtant, son allure n’aurait pas pu être plus cérémonieuse. Le Premier Bataillon sanglant au complet était rangé derrière le Corbeau et elle, en uniforme de parade. Mais, même si leurs habits étaient richement brodés, ils n’étaient pas là pour faire la fête. Leurs épées pendaient à leurs ceintures, soigneusement rangées dans leur fourreaux mais accessibles à tout moment. Ils étaient là pour assurer une parfaite sécurité, quoique cent hommes pour deux personnes paraissait à la jeune fille quelque peu démesuré. D’autant plus que le Huitième Bataillon, qui avait accompagné l’Impératrice durant son retour d’Helvethras, serait présent aussi, doublant les effectifs. Dans tous les cas, la famille impériale ne lésinait pas sur sa propre sécurité.
Elle leva la tête vers Yngvar, planté à sa droite, raide comme un piquet, curieuse de connaître les raisons qui se cachaient devant une telle exubérance de pouvoir militaire. Mais il ne disait rien, songeur. En vérité, cela faisait bien cinq minutes qu’ils étaient debout devant la porte, alignés dans un ordre parfait, et qu’elle peinait à comprendre ce qu’ils attendaient… ou plutôt ce que le Corbeau attendait. Car, même si les soldats s’étaient rassemblés sans avoir besoin d’ordres directs, ils restaient sous son commandement en tout temps.
Noir et or, comme moi, songea-t-elle sans pouvoir s’en empêcher en laissant ses yeux errer sur les vêtements du prince. Il n’était pas là quand elle s’était habillée, mais elle était certaine qu’il avait choisi sciemment, en sachant pertinemment ce qu’elle avait enfilé. Pourtant, elle s’était précipitée, se jetant sur la première tenue qui lui paraissait convenable, prenant à peine le temps de faire lisser ses cheveux correctement. Gênée par cette simple idée, elle porta la main à ses longueurs qui rebiquaient en boucles nerveuses. Le haut de sa crinière était raide et droit, mais sur les pointes, ça partait dans tous les sens. Même si, au fond, l’effet était intéressant. Elle se mordilla les lèvres, songeuse, laissa sa main retomber en fixant le miroir à sa droite.
Puis, soudain, de l’autre côté des battants, le volume de la musique chuta, et les discussions s’éteignirent. Kyara se figea mais, comme si c’était le signal que le Corbeau attendait, il se tourna vers elle :
— Tu te souviens de ma mère.
Elle opina silencieusement.
— Elle ne sera pas tendre, mais elle restera polie.
Pas comme la dernière fois, donc. La simple idée de revoir l’Impératrice lui donnait des frissons, qu’elle n’était pas certaine de pouvoir contenir une fois face à elle. Mais avait-elle réellement le choix ?
— Tout va bien se passer, lui souffla Yngvar plus doucement. C’est juste un dîner, et elle ne restera probablement pas plus de vingt minutes.
Elle ne put s’empêcher de hausser les sourcils, et il se permit un bref sourire. Sa froideur habituelle ne s’en allait jamais totalement, mais elle se prit à se sentir presque rassurée par sa simple présence, devenue un véritable compas pour elle. Elle savait que, même s’il n’était pas là de la journée, accaparé par ses devoirs, même s’il revenait se coucher tard, épuisé par une longue journée, il finissait invariablement par s’endormir à ses côtés. Il était presque toujours là à son réveil, dans son petit bureau dont la porte restait entrebâillée, où il travaillait silencieusement la majeure partie de la matinée, avant d’aller vaquer à ses devoirs princiers. Elle ne savait même plus trop si elle craignait encore autre chose que ses rares explosions de colère, qui n’étaient au fond jamais tournées contre elle.
Quand il offrit son bras et qu’elle posa sa paume dans la sienne, les cals de ses doigts lui parurent familiers. Elle lui rendit un petit sourire, secoua la tête et souffla :
— Allons-y, alors.
Il donna un bref signe de tête, deux gardes ouvrirent les battants, et la lumière dorée du couchant automnal s’engouffra dans le couloir. Kyara plissa les yeux, baissa la tête pour repérer les premières marches blanches. Quand, enfin parvenue sous le couvert des murs du patio, elle put relever la tête sans subir les rayons agressifs du soleil, elle repéra sans mal l’Impératrice, assise sur le rebord de la fontaine, qui avait à peine levé la tête vers eux. En vérité, à part le fin diadème d’or dans ses cheveux, il n’y avait rien qui la distinguait des autres courtisanes, mais une sorte d’aura se dégageait de sa personne. Lacée dans une simple robe rouge et or au col remonté, fluide et tombante, elle discutait plutôt allègrement avec un ministre au long nez et au regard de vipère, et s’il n’y avait eu que cela, elle aurait pu être une femme de la Cour parmi tant d’autres. C’était plutôt le magnétisme étrange qu’elle dégageait qui forçait les regards, attirait l’attention, faisait que tous les membres de la petite foule se tournaient toujours, consciemment ou non, vers elle. Kyara n’était même pas certaine qu’elle s’en rende compte.
Arrivés au bas des escaliers, ils fendirent les rangs droit dans sa direction, saluant poliment les rares personnes qui tentaient de les intercepter sans jamais s’arrêter. Derrière eux, le Premier Bataillon se déployait avec son efficacité coutumière, couvrant le terrain, surveillant les sorties, effrayant de coordination.
— Mère.
— Yngvar.
Il y n’y avait qu’une froide reconnaissance dans le ton de la femme quand elle leva enfin les yeux vers son fils. Kyara, soudain terrorisée par les souvenirs qui s’accumulaient dans son esprit, se pétrifia, espérant passer inaperçue par son immobilité. Son père. Aidan. Rowan. Les plaines de Ciel, en contrebas des remparts, la terre gorgée de sang, les armures poussiéreuses, fissurées. La foule au pied du château, transpercée de lances et d’épées, les cris. Le sang. La mort.
Sans même s’en rendre compte, elle recula d’un pas et, immédiatement, les yeux de glace se braquèrent sur elle. Elle sentit son souffle se figer dans sa poitrine, les muscles de sa gorge se tétaniser. Elle en était venue à presque apprécier Yngvar, oubliant tout le sang qu’il portait sur son épée, tous ses sombres actes. Mais avec le retour de sa mère, elle réalisa que les souvenirs étaient toujours là, et que les grandes portes derrière lesquelles elle avait cru les enfermer n’avaient jamais été verrouillées à double tour.
— Avelke Sen, ravie de te voir, salua poliment la souveraine. Cela fait si longtemps, comment te portes-tu ?
— Je… Très bien, Aveltia Sen, merci.
Elle aurait voulu lever un regard désemparé vers Yngvar, à la recherche d’une once de soutien, ou d’une indication sur le comportement qu’elle devait adopter, mais elle était paralysée par le faisceau d’acier des yeux bleus en face d’elle.
— Comment s’est passé ton voyage, Mère ?
— Rapide, même si je pourrais presque croire qu’il n’en vaut pas le déplacement. Tu sembles te débrouiller sans mal ici.
— Si seulement, pouffa Yngvar, et Kyara haussa les sourcils, stupéfaite de voir qu’il admettait ses difficultés aussi publiquement. J’aurai besoin de ton aide avec quelques problèmes.
— Si ce n’est que quelques uns, j’aurais pu rester un peu plus longtemps avec ton père.
Ils soutinrent un moment le regard de l’autre, bleu azurin contre violet perçant, et finalement, ils se fendirent d’un même sourire, comme s’ils venaient d’échanger une plaisanterie qu’eux seuls comprenaient. Et comme de juste, l’orchestre qui s’était arrêté de jouer à l’entrée du couple princier reprit doucement une mélodie légère, joyeuse. Une valse des vagues. Yngvar pressa doucement la main de Kyara, puis la relâcha, et tendit son bras en avant.
— Mère ?
Kyara ne put que se résigner à s’écarter de leur passage en essayant de conserver sa façade. Bientôt, ils valsaient dans la pièce, emplis d’une grâce et d’une élégance avec laquelle elle ne pourrait jamais rivaliser. L’Impératrice, légère et agile, semblait avoir dansé toute sa vie. Sa longue robe tournoyait autour d’elle quand elle pirouettait dans les bras de son fils, flottait au vent quand il l’entraînait dans un enchaînement de pas complexe, qu’ils avaient clairement pratiqué. La mascarade, pourtant répétée, ne parvint qu’à rendre la princesse un peu plus triste. Ils s’aimaient réellement. Aussi cruelle leur famille soit-elle, aussi secrets soient leurs liens et aussi brutale puisse être leur vie, ils passaient du temps ensemble, ils essayaient de s’entendre et de préserver ce qu’ils avaient. Elle n’était qu’une étrangère parmi eux, trop douce pour tolérer leur froideur, trop jeune pour comprendre leurs liens, trop différente pour espérer s’intégrer.
Elle l’avait vu entre Yngvar et Saedor, elle le voyait désormais entre sa mère et lui. Au front, à la Cour, ils portaient des masques, ils devenaient des monstres impitoyables, mais entre eux, ils avaient quelque chose d’indiciblement familier et rassurant. Quelque chose qu’elle ne pourrait plus jamais avoir avec son père… et qu’elle ne pensait pas avoir eu un jour vraiment. Quelque chose qu’elle n’avait certainement jamais eu avec sa mère.
Alors pourquoi étaient-ils des monstres, si leur famille n’était pas brisée ? Pour quoi luttaient-ils si ardemment, si ce n’était pour réparer quelque chose ?
Les yeux fixés sur le duo qui se mouvait avec fluidité sur une piste de danse dégagée à la hâte, elle ne put s’empêcher de battre des paupières pour chasser ses larmes. Elle n’avait plus pleuré depuis longtemps, excepté l’incident de la veille avec le soldat, mais chaque seconde qui passait lui donnait la sensation de se sentir encore plus misérable. Pourtant, elle aurait cru s’être accoutumée à la vie ici, elle aurait cru qu’elle n’était plus totalement une étrangère parmi ces Avaloniens. Elle parlait leur langue, elle connaissait leurs coutumes, elle était traitée comme leur véritable princesse. Mais, face à l’Impératrice, elle avait l’impression d’avoir perdu le peu qu’elle avait réussi à bâtir pour elle-même.
— Votre Altesse.
Elle pivota brusquement, avisa un homme à la peau sombre, au long nez pointu, qui s’était rapproché d’elle sans qu’elle ne le remarque. La couleur de sa peau lui fit froncer les sourcils. Personne ici n’était comme elle.
— Tu ne…
— Vous êtes ravissante, souffla-t-il en helvethrien.
Elle ne put qu’ouvrir la bouche de stupeur, incapable de répondre.
— J’espère ne pas vous déranger, j’aimerais m’entretenir avec vous un moment.
— Comment… comment êtes-vous…?
Elle n’avait plus parlé sa langue maternelle depuis si longtemps qu’elle trouva les sonorités étranges dans sa bouche et dans ses oreilles. Comme si elle ne reconnaissait plus sa propre voix, comme si elle n’était pas censée faire cela. Un profond malaise l’envahit.
— Permettez-moi de…
— Avelke Sen ? Une danse ?
L’Impératrice s’était matérialisée devant elle, comme un fantôme pâle vêtu de carmin. Elle ne pouvait pas refuser une pareille demande, elle le savait. Contrainte d’accepter, elle hocha la tête, tourna la tête pour s’excuser poliment auprès de l’inconnu helvethrien, mais il s’était déjà fondu dans la masse.
Elle prit donc la main tendue de la souveraine et se laissa entraîner au centre du patio, tandis qu’une douzaine d’autres femmes les rejoignaient. Les premières notes résonnèrent dans ses oreilles, et elle se laissa entraîner dans une danse maladroite, trop secouée par la brève rencontre pour se rappeler correctement les pas. Au cours de la valse, elle changea quatre fois de partenaire de danse, jusqu’à atterrir à nouveau face à l’Impératrice, qui la fixait sans rien dire depuis le début. Elles achevèrent la danse dans les applaudissements des spectateurs, s’inclinèrent face à l’autre. Quelques instants avant que la mélodie suivante ne commence, la femme s’approcha, enveloppa Kyara dans une étreinte aussi glacée que la mort.
— Bienvenue dans la famille, Avelke. Je sais que nous ne sommes pas celle dont tu aurais rêvé, mais tu es l’une des nôtres désormais.
Puis, elle recula, et un quatuor de gardes l’encadra quand elle se perdit dans la foule. Figée par la stupéfaction, Kyara mit quelques longues secondes à se ressaisir, les échos de la voix serpentine résonnant dans ses oreilles. Déjà, une ilakese commençait, et la princesse finit par s’écarter à la hâte de la piste pour céder la place aux danseurs. Personne ne prêtait réellement attention à elle, réalisa-t-elle en se faufilant entre les convives. Même s’ils hochaient vaguement la tête sur son passage, et même si quelques femmes s’inclinaient devant elle, elle savait qu’elle n’arriverait jamais à se joindre à une conversation. D’ailleurs, Yngvar, sa seule véritable ancre à la Cour, avait disparu. Elle n’apercevait nulle part sa haute stature, alors que d’habitude, il dépassait d’une bonne demi-tête la plupart des hommes.
Durant une vingtaine de minutes, elle erra de plat en boisson et de gâteau en salade de fruits, mangeant dans son coin, souriant aux compliments qu’on lui offrait de temps en temps. Elle se sentait désœuvrée. Le retour de l’Impératrice avait bouleversé le fragile équilibre dans lequel elle avait réussi à établir une routine, elle peinait à reprendre pied. Et ceux qui, par le passé, se seraient intéressés à sa présence, étaient cette fois-ci massés autour de l’Impératrice comme une foule de fidèle aux pieds d’un prêcheur. Mais, curieusement, la peur qu’elle avait ressentie à l’arrivée de la souveraine se dissipait peu à peu. Elle avait été acceptée dans la famille, et la chaleur que ces quelques mots distillaient dans sa poitrine était suffisante pour chasser la terreur glacée qui avait coulé le long de sa nuque au début.
Après une longue errance, durant laquelle elle eut presque l’impression que certains courtisans l’ignoraient ostensiblement, elle finit par décider de retourner dans sa suite. Elle avait accompli sa part, elle s’était montrée, elle avait été vue en compagnie de son époux et de sa belle-mère. Il n’y avait plus rien qu’elle puisse faire à ce dîner. En plus, le souvenir de l’Helvethrien qui s’était manifesté occupait encore un coin de sa mémoire et lui nouait l’estomac d’appréhension. Pourquoi un Helvethrien serait-il ici, à un dîner somme toute privé, puisqu’il n’y avait qu’une soixantaine d’invités au total ? Comment avait-il réussi à entrer ?
L’esprit en vrac, davantage chamboulée par la rencontre qu’elle n’aurait voulu l’admettre, elle adressa à peine un signe de tête aux deux gardes qui se postèrent à ses côtés quand elle prit le chemin des escaliers, et aux deux autres qui la rejoignirent sur le pas de la grande porte. Personne n’avait remarqué son départ, réalisa-t-elle quand les battants se refermèrent derrière elle. Elle secoua la tête, songeuse, en prenant le chemin de l’aile impériale. Sa place ici était encore loin d’être acquise, même si elle n’était plus aussi fragile qu’à son arrivée.
Comme le soir de son arrivée, la lune éclairait les immenses couloirs, son halo argenté réfléchi dans les larges miroirs dorés. Ses pas résonnaient à l’infini dans le silence absolu qui régnait entre les murs de pierre. En tournant un peu la tête, elle aurait pu croire qu’elle n’était presque qu’une ombre, une sombre silhouette évanescente, souvenir d’un passé mystérieux. L’image lui tira un bref sourire, elle se rappela son premier soir ici. Pour peu, on aurait presque pu croire que rien n’avait changé, et elle-même n’était même pas sûre d’avoir remarqué les changements. Elle était toujours une princesse étrangère, encadrée par ses gardes, épouse d’un homme qu’elle connaissait à peine. La seule véritable différence qu’elle percevait, c’était que la peur et la solitude qui l’avaient hantée à son arrivée s’étaient dissipées au fil des lunes.
Ils franchirent une porte, deux gardes en premier, elle ensuite, puis les deux derniers, et elle était sur le point de reprendre sa route quand elle entendit un choc sourd, suivi d’un grognement. Elle pivota, surprise, ouvrit la bouche de stupeur en voyant l’un des soldats s’écrouler sous le coup d’un autre. Le temps qu’elle se tourne à nouveau, parmi les deux à l’avant, il n’en restait plus qu’un seul conscient. Un petit cri lui échappa, très vite étouffé par une main qui la bâillonna brutalement.
— Silence ! On va être repérés, sinon !
Un frisson glacé, pareil à celui qu’elle avait ressenti en faisant face à l’Impératrice, descendit le long de son échine. De l’helvethrien. Pourquoi, soudain, l’helvethrien lui paraissait sonner comme une menace ? Elle grogna, gémit, s’agita, mais les deux gardes traîtres la saisirent chacun par une main et l’immobilisèrent. Ils portaient les insignes du Huitième Bataillon, mais avec leurs heaumes, impossible de voir leurs visages.
— Altesse, on n’a que quelques minutes avant qu’ils ne reprennent conscience. Vous devez nous faire confiance, nous sommes là pour vous ramener chez vous.
Chez moi ? grinça-t-elle. Où est-ce donc ? Le continent entier était dominé par l’armée avalonienne et les Bataillons Sanglants. Où voulaient-ils donc l’emmener ? Et surtout, comment s’étaient-ils infiltrés aussi aisément au sein des gardes du Premier Bataillon ?
Néanmoins, elle cessa de se débattre. Quelque peu rassurés, les deux faux gardes relâchèrent leur prise sur ses bras, et lui laissèrent même la possibilité de parler.
— Qui êtes-vous ? siffla-t-elle.
— Neil, Votre Altesse. Et lui c’est Anar. On est là pour vous ramener.
— Me ramener où ?
— Moins vous en saurez pour le moment, mieux ça vaudra pour tout le monde.
Elle plissa le nez. Elle avait voyagé suffisamment de temps avec Yngvar et le Premier Bataillon pour commencer à sentir les traquenards. Elle était loin d’être un fin limier pour autant, certes, mais elle sentait que quelque chose n’allait pas. Cela avait commencé avec cet inconnu, durant le dîner, et cela s’était poursuivi avec cette brutale intervention. Son regard dériva vers les deux soldats étendus au sol, inconscients. Ou l’étaient-ils vraiment ? Avec le placement des deux inconnus, elle ne voyait pas grand-chose.
— Altesse, je vous assure que vous n’avez rien à craindre. Les troupes sont occupées à l’intérieur avec la fête, si nous nous dépêchons, nous pouvons être loin de la Citadelle avant l’aube. Helvethras a besoin de vous…
Une bouffée d’espoir, aussi soudaine que violente, la submergea soudain, elle sentit les larmes piquer ses paupières. Elle avait abandonné l’idée d’être sauvée longtemps auparavant. Mais pourtant, voilà qu’un coup du sort amenait ces deux hommes sur son chemin, suffisamment proches pour qu’ils puissent l’arracher à cette vie qu’elle vivait comme une étrangère pour elle-même. Elle hocha la tête, et ils s’écartèrent pour lui permettre d’avancer. Elle pourrait rentrer chez elle. Fuir Yngvar, l’Impératrice, retourner dans un royaume qu’elle connaissait et qu’elle aimait. Elle ne serait plus soumise au joug de son mariage.
Cet espoir diffus, qu’elle avait jusque-là repoussé jusqu’à l’oublier, lui fit tourner la tête. Elle s’engagea derrière les deux hommes au pas de course, mais tourna la tête un instant, comme pour dire adieu au reflet qu’elle s’était prise à apprécier dans le miroir. Un éclat argenté sur le sol, près de l’une des têtes, attira son regard un instant, elle avisa le liquide sombre, presque métallique, qui se répandait lentement sur le sol dans l’obscurité. Elle n’avait même pas entendu les gargouillis.
Soudain, l’euphorie reflua, remplacée par la nausée, sa tête se mit à tourner. Elle enchaîna les couloirs à l’aveuglette, passa devant un poste de garde, puis un autre, jusqu’à débouler dans une petite cour arrière. Soudain, elle n’était plus aussi aveuglément heureuse. Elle prit une inspiration nerveuse, tentant de juguler l’anxiété destructrice qui montait comme un raz-de-marée.
— Dépêchez-vous, la pressa l’un des deux hommes. Nous allons passer par les quartiers des serviteurs, vous pourrez enfiler quelque chose de plus discret.
Il poussa la porte devant elle, la tira presque à l’intérieur. L’urgence dans sa voix donna à Kyara un coup de fouet, elle s’empressa de le suivre. Mais, alors qu’ils passaient devant un énième couloir orné de miroirs, elle ralentit. La peur s’était instillée dans son cœur, elle serrait ses entrailles dans un étau d’acier. Elle s’appuya contre une petite table de marbre, le souffle court, déboussolée par le flot d’émotions contradictoires qui l’animaient. Elle aurait dû être heureuse de pouvoir partir. Elle n’aurait pas dû en pâtir ainsi.
Elle releva la tête, l’esprit embrouillé, et brusquement, elle croisa son propre regard dans le miroir. Elle n’y vit pas la princesse abandonnée à son sort, arrachée à sa capitale et à son royaume. Elle ne vit pas la peur dans son regard, ni la lividité de ses traits. Elle vit la confusion qui habitait son visage, l’étonnement. Elle vit l’autre partie d’elle-même, celle qu’elle était devenue ici. Les vêtements qui l’habillaient lui donnaient réellement une allure impériale, même si elle se savait encore trop jeune. Le maquillage, quoique léger en comparaison de ce que portaient certaines femmes ici, vieillissait son regard, affermissait ses traits encore marqués par la jeunesse. Le noir et l’or de sa robe lui venaient comme une seconde peau, à peine plus sombre que la sienne.
Elle n’était plus celle qui était arrivée ici, loin de là. Elle ne l’avait seulement pas remarqué jusque-là.
— Altesse !
L’injonction aurait dû la secouer, pourtant Kyara ne parvint pas à s’arracher à sa contemplation. Et une question, qu’elle ne s’était pas posée jusque-là, la frappa : si elle fuyait, où irait-elle ? Comment vivrait-elle ? Comme une fugitive, cachée, déguisée avec des vêtements sales, hantée par la peur qu’une patrouille de l’armée ne la reconnaisse ? Où irait-elle, puisque Ciel était gouvernée en ce moment même par l’Empereur Saedor ? Où irait-elle avec les Bataillons à ses trousses ?
Où vivraient ses enfants ?
La question de sa descendance ne l’avait jusqu’à maintenant effleurée qu’en de rares occasions, elle avait tenté de la repousser autant que possible en réalisant que ses enfants seraient aussi les enfants d’Yngvar. Mais si elle avait des enfants ? De qui seraient-ils ? Rien ne garantissait qu’elle ne soit pas enceinte en ce moment même et qu’elle ne le sache pas encore. Où grandiraient-ils ? Sur une paillasse sale, dans la peur, menacés d’être tués, enlevés ou manipulés par n’importe qui ?
Le choc de la réalisation la frappa avec une telle violence qu’elle vacilla, et elle comprit. Elle ne pouvait pas fuir. Elle n’avait pas où fuir. Quoi que ces deux hommes proposent, ce ne serait jamais assez pour assurer sa sécurité et celle de ses enfants. Où qu’ils l’emmènent, les attentes pèseraient sur ses épaules. On voudrait d’elle qu’elle organise la rébellion, qu’elle libère Helvethras, qu’elle reprenne son titre et sa place. C’est le prix du trône, avait dit Yngvar, mais pour ce trône, elle avait déjà payé suffisamment de sang.
Elle avait accepté le mariage avec Yngvar pour empêcher un massacre. Si elle partait aujourd’hui, cet effort, ce sacrifice, serait réduit à néant. Elle avait fait son choix, sept lunes plus tôt, elle avait choisi de ployer. Et, même si ce choix avait engendré de la souffrance, elle n’était pas si mal ici. En tout cas, elle était certainement mieux ici que dans un royaume qui la haïrait pour sa collaboration et l’insulterait pour ce qu’elle avait enduré. Ici, la famille impériale l’avait acceptée, même si elle se refusait à devenir l’une d’entre eux.
Les deux soldats infiltrés l’attendaient à la porte. Où comptaient-ils l’emmener ? Cela n’avait plus d’importance. Ce ne serait jamais assez.
Elle prit appui, se mit à courir.
Dans la direction opposée, celle d’où ils étaient venus.
Il leur fallut un moment pour réaliser. Quelques dizaines de pas, à peine quelques toises, juste assez pour qu’elle passe la porte de la petite cour et qu’elle la pousse violemment derrière elle. Le temps qu’ils arrivent à l’extérieur, elle se ruait déjà à l’intérieur.
— À L’AIDE ! À MOI LA GARDE !
Entre deux hurlements, elle entendit les échos des pas de ses poursuivants qui ralentissaient, jusqu’à s’immobiliser, elle capta un flot de jurons.
— GARDES !
Une dizaine d’hommes déboulèrent au pas de charge du poste de garde qu’ils avaient dépassé un peu plus tôt. En reconnaissant leurs princesse, ils s’arrêtèrent, surpris et, le souffle court, Kyara leur expliqua la situation. Déjà, une dizaine d’autres accouraient depuis l’autre poste.
— Avelke, tout va bien ?
Kyara reconnut la voix d’Uma, et elle poussa un soupir de soulagement, se rua instinctivement dans ses bras.
— Deux soldats. Des Helvethriens. Ils voulaient… ils voulaient me faire sortir d’ici… me ramener à Helvethras…
Déroutée, la soldate finit par la serrer contre elle. Puis, soudain, elle gronda :
— Attends, ils voulaient… t’enlever ?
Kyara hocha la tête, tremblante.
— Ils t’ont fait du mal ?
Elle secoua la tête, admit, la tête basse :
— Au début, je les ai suivis de mon plein gré…
— Et puis ?
— Et puis, j’ai réalisé… qu’en-dehors d’ici, je n’ai rien.
Uma poussa un long soupir, l’étreignit plus fort, puis la relâcha.
— Ne bouge pas.
Ensuite, elle se tourna vers les soldats et aboya :
— On cherche deux hommes, habillés comme nous. Uniformes de cérémonie, c’est ça ?
Kyara opina.
— Helvethriens, infiltrés. Trouvez-les, utilisez les codes de reconnaissance ! Azel, Mikia, Persha, avec moi ! Avelke Sen, on va te ramener dans ta chambre et monter la garde.
Elle avait repris une voix respectueuse, un ton qui seyait pour s’adresser à sa princesse, mais le regard rassurant dont elle la gratifia avait une profonde signification. Kyara hocha la tête, essaya de remettre un peu de prestance dans son allure, puis finit par se mettre en marche. Et cette fois, il n’y eut aucun nœud dans son ventre, aucun mauvais pressentiment.
Elle poussa un long soupir. Au vu de la vitesse avec laquelle les informations de la chasse à l’homme se relayaient entre les soldats, Yngvar en entendrait parler dans l’heure. De toute manière, ils ne cachaient jamais rien à leur chef, elle l’avait compris. Elle espéra seulement que, au-delà des sphères militaires, l’affaire ne s’ébruite pas trop.

— Comment ça ?!
La princesse fut parcourue d’un frisson, n’osant pas croire les paroles d’Uma. Depuis sa presque fuite de la veille, elle n’avait eu qu’une brève nuit de sommeil, agitée par l’idée que quiconque soit derrière cet enlèvement aux allures de sauvetage veuille tenter à nouveau de la ramener, plus brutalement encore.
— L’Impératrice te demande.
— Mais je…
— Ce n’est pas une invitation que tu peux décliner, dois-je te le rappeler ?
— Je… non. D’accord. Mais pourquoi ?
Uma haussa les épaules, l’air fataliste, et Kyara dut se résoudre à la suivre. Ensemble, elles se hâtèrent dans les couloirs, jusqu’à s’arrêter juste devant la porte, et la soldate se tourna une dernière fois vers la princesse, le visage soudain sévère.
— Si elle te pose des questions, réponds honnêtement. Elle préfèrera toujours une réponse honnête qui lui déplaît à une affirmation fallacieuse. Et crois-moi, elle sait deviner si tu mens ou non.
Kyara ne pipa mot, la gorge nouée par l’appréhension. Elle n’était pas certaine d’être capable de faire face à l’Impératrice. L’idée même de la rencontre, si elle en avait entendu parler plus tôt, l’aurait terrorisée, mais maintenant qu’elle était là, devant les battants, il n’était plus question de reculer. Alors elle prit une profonde inspiration, et acquiesça. Uma toqua doucement, puis glissa son corps dans l’embrasure et annonça platement :
— La princesse Kyara, Aveltia Sen.
Elle n’obtint pas de réponse audible, mais elle s’effaça pour laisser passer l’invitée, puis referma derrière elle. Demeurée seule dans l’antre du lion, Kyara garda quelques secondes la tête basse, essayant de calmer son cœur qui s’emballait et ses pensées tumultueuses. Puis, se rappelant où elle était, elle pinça un pan de sa robe, avança son pied, inclina son buste légèrement vers la droite conformément aux traditions d’Avalaën et ploya en une profonde révérence, jusqu’à ce que son genou touche le sol.
— Aveltia Sen, souffla-t-elle en guise de salutation.
L’expression avalonienne, réservée à l’Impératrice n’avait pas d’exact équivalent en helvethrien, mais l’une des significations les plus proches aurait pu être « Votre Altesse Impériale » si le vouvoiement avait existé dans cette langue. Elle marquait une profonde distanciation de rang entre celui qui le formulait et la personne à qui il était adressé.
— Assieds-toi, je t’en prie.
Elle se redressa et s’exécuta, la tête basse, sans avoir jusque-là osé regarder plus haut que le menton de l’Impératrice. Elle n’osait pas croiser ses yeux, faire face à ce visage pâle qui la jugerait. Elle ne voulait pas affronter celle qui avait tué son père d’un seul coup d’épée et réduit son royaume à néant en quelques décades. Celle chez qui, malgré toutes ces horreurs, elle avait choisi de rester.
Pourtant, au bout d’une minute et demie de silence, elle se sentit presque obligée de lever la tête pour questionner du regard la femme qui l’observait, muette. Ses iris chocolat rencontrèrent ceux, azurins froids, de la souveraine, glaçant les questions sur ses lèvres. Elle détailla le visage pâle aux arêtes sèches, la froide harmonie des traits durs qui se fondaient pourtant les uns dans les autres avec une certaine grâce. Les plaques de ses épaulettes renvoyaient sur sa peau neige les reflets du soleil qui s’engouffrait dans la pièce par les larges fenêtres, illuminant son visage d’éclats dansants au moindre de ses mouvements. Elle souriait, mais sur ses lèvres fines, le sourire ressemblait davantage à un rictus sceptique qu’à une expression bienveillante. Kyara voulut baisser la tête sous le faisceau de ses yeux polaires, mais une question l’arrêta un instant avant qu’elle ne puisse le faire.
— Pourquoi as-tu choisi de rester hier ?
Le souffle coupé, Kyara ne put tout d’abord proférer une mot tant la terreur la paralysait.
— Pardonne-moi, ajouta la femme, mais je sais que ce n’est clairement pas par amour pour ton époux ou pour Avalaën, donc je suis curieuse.
Son ton avait une pointe de piquant, une sorte d’amusement mesquin qui, étrangement, parvint à la secouer quelque peu. Elle songea à la veille, à sa décision, à son choix de rester, à ce que cela impliquait pour elle. En dehors d’ici, elle n’était plus rien, plus personne, et elle n’avait plus aucun droit. C’était lâche, c’était faible, mais c’était si simple. Abandonner ses espoirs, ses convictions, son passé, pour devenir celle que l’on modelait ici. Un pantin désarticulé, qui n’avait ni à se battre pour une cause ni à affronter la vie, simplement se laisser couler dans le moule, sourire et vivre, à peine différemment d’avant.
— Il n’y a rien qui m’attende dehors, avoua-t-elle tristement.
L’Impératrice sourit, pareille à un loup qui aurait acculé sa proie.
— Pas même de l’espoir ?
Kyara eut une pensée peinée pour son père, pour ce qu’il lui avait enseigné en espérant faire d’elle un jour une souveraine digne et fière… et combien il avait échoué. Dès le début, elle n’avait guère été prône à gouverner, à diriger les gens, à imposer son avis. Les négociations se finissaient invariablement par sa défaite, et dans les débats, elle se rangeait trop souvent à l’opinion adverse. Elle aurait aimé dire qu’elle n’était pas à la hauteur, mais elle avait fini par songer que c’était en vérité dans son sang et dans son âme.
La suite de l’histoire lui avait en outre donné raison. Avec la maladie de son père, puis l’invasion des Bataillons Sanglants, les défaites successives et enfin le siège de Ciel, elle avait abandonné la couronne qui aurait dû lui revenir sans même tenter de la conserver, s’était laissée porter par les évènements sans se donner la peine de se battre.
— Je ne désire pas lutter.
L’amère vérité franchit ses lèvres sans même qu’elle ne s’en rende réellement compte. Elle frissonna instinctivement dans sa légère robe d’été, et une légère grimace fissura son visage. Au début, elle avait cru haïr Avalaën, ce qu’ils lui avaient fait et ce qu’ils avaient fait à son royaume. Mais en vérité, elle avait compris dans la nuit qu’elle s’était haïe elle-même pour n’avoir pas su agir au moment opportun, n’avoir même pas essayé. Non, elle s’était complue dans son incapacité.
— Mais tu sais comment survivre.
Elle avait instinctivement baissé les yeux en réfléchissant, honteuse, mais la remarque lui fit redresser la tête. Les yeux de glace avaient perdu de leur acuité, s’étaient faits pensifs, lointains.
— Dis-moi, Avelke, mon fils est-il heureux avec toi ?
Le terme, mi-moqueur, mi-respectueux, qu’Yngvar employait avec elle depuis qu’ils étaient partis d’Helvethras, parvint presque à tirer à Kyara un sourire. Princesse. Fondé sur la même racine qu’Aveltia, dépourvu du Sen qui marquait le respect, c’était presque une pique taquine quand l’héritier de l’Empire l’employait. Dans la bouche de sa mère, il sonnait davantage comme un défi à relever.
— Non, Aveltia.
Pour une fois, l’admettre ne fut ni difficile ni effrayant. C’était l’une de ces vérités qui ne causerait jamais plus de mal qu’elle n’en causait déjà.
— Et pourrait-il l’être ?
— Je ne sais pas.
— Pourquoi donc ?
— Je ne suis pas… je ne suis pas le genre de femme qu’il aime.
Pourtant, en ce moment, elle parvenait à le faire sourire, parfois. C’était presque toujours involontaire, cela venait souvent d’une remarque ou d’un commentaire qu’elle ne réprimait pas, d’une critique qui lui faisait ombrage ou qui reprochait quelque chose à l’un de ses proches. Et toujours, à sa grande surprise, au lieu de s’énerver contre elle, il en riait.
— C’est vrai qu’il n’a aucune passion pour les petites choses fragiles, admit l’Impératrice avec un sourire. Je me suis toujours estimée très chanceuse de l’avoir pour fils. Un autre que lui se serait depuis longtemps effondré sous la charge, ou n’aurait même jamais vraiment essayé d’en être à la hauteur.
Elle sourit, et son visage de glace s’éclaira d’autre chose que des reflets du soleil.
— Mais… J’aimerais le voir heureux. Avec toi, puisqu’il s’interdit d’en fréquenter une autre.
Kyara hoqueta, songeant à Uma, et l’Impératrice sourit mais n’ajouta rien, replongeant son attention dans la lecture du document qu’elle avait abandonné à l’entrée de la princesse. Cette dernière, médusée, demeura longtemps sur sa chaise sans rien dire, digérant le choc.
De tout ce que son père lui avait reproché par le passé, il y avait notamment le fait qu’elle n’arrivait jamais à faire les choix difficiles, à accepter le mal autour et à ne pas lui chercher de cause. Tout coupable avait pour elle une circonstance atténuante, et celle du Corbeau était simplement le fait d’être lui-même. Prince héritier, général des armées, homme du peuple. Héros des uns et assassin des autres. Soumis à toutes les pressions de sa condition, il avait simplement accepté d’assumer sa position, au mépris de la haine que certains lui voueraient.
Elle ne parvenait jamais à oublier totalement qu’il était un meurtrier. Mais il partageait son lit tous les soirs, et elle le voyait bien quand ils parlaient calmement : il n’avait rien d’un monstre, il était simplement humain.
— Je voudrais t’offrir une chance, reprit la souveraine après un long moment, écartant sciemment la question précédente. T’apprendre à t’affirmer. T’aider à reprendre au moins un peu la main sur ton existence. Tu n’es pas, et tu ne seras jamais réellement libre de choisir ta vie. Le moindre grand faux pas te coûtera l’essentiel de ce que tu as essayé de construire. Mais si tu le souhaites, je peux t’aider.
Soufflée par la froideur et la cruelle clarté des paroles de la femme, Kyara demeura muette, figée. Elle ne parvenait pas vraiment à la croire. Cette volonté d’aider, venant de celle qui avait anéanti son royaume et décapité son père agenouillé, lui était trop étrangère, trop douloureuse. Pourtant, en son for intérieur, elle pressentait que les mots étaient sincères, qu’il n’y avait aucune intention de tromperie derrière.
Semblant sentir sa réticence, l’Impératrice poursuivit avec un fin sourire :
— Tu n’as pas à me répondre tout de suite. Après tout, tu as déjà fait le difficile choix de rester. Prends l’habitude de cette cage dorée, découvre ses frontières, essaie d’apprendre à y vivre au lieu de simplement survivre… Et ensuite, si tu changes d’avis, tu pourras revenir me voir à ce sujet.
— Pourquoi ? Pourquoi voudrais-tu m’aider, Aveltia Sen ?
Kyara n’avait su maîtriser ni la question qui avait fusé de ses lèvres, ni son ton accusateur. Mais son interlocutrice ne s’en offensa pas, à son grand étonnement. Au contraire, une expression nostalgique adoucit ses traits d’une beauté glacée, son sourire se fit attristé, son regard se perdit quelque part au-dessus de l’épaule de la princesse. Elle soupira doucement :
— Il fut un temps où je me suis moi-même enfermée dans une cage pour aider le plus grand nombre. J’y ai perdu beaucoup, dont des personnes qui m’étaient chères. Tu me rappelles l’une d’entre elles.
Étonnée de discerner des fragments d’humanité dans ce qu’elle aurait pris au départ pour un cœur de pierre, Kyara ne sut comment répondre. Les membres de cette famille étaient étranges. La plupart du temps, ils paraissaient si distants, si inhumains et figés, inaccessibles, comme s’ils n’appartenaient pas à ce monde. Mais, en de rares occasions, ils s’animaient, leurs visages prenaient vie brusquement, ils exprimaient les émotions du commun des mortels.
— Je vais y réfléchir, murmura-t-elle doucement, presque contre son gré, songeuse.

◊~◊~◊

ACTE III (1/3)
Dernière modification par vampiredelivres le ven. 03 déc., 2021 3:15 am, modifié 2 fois.
louji

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par louji »

Yoooo

Aaaaah, j'ai hâte de voir la rencontre entre Eliane et Kyara, aled :lol:

Ah, rip les boucles Kyara, je connais.

Ptn même moi j'ai peur d'Eliane mtn.
Aie, aie, aie le coup des souvenirs. Mais ouais, normal qu'ils soient pas verrouillés à double-tour, c'est encore bien trop récent...

"Elle n’était qu’une étrangère parmi eux, trop douce pour tolérer leur froideur, trop jeune pour comprendre leurs liens, trop différente pour espérer s’intégrer." :arrow: J'aime beaucoup cette phrase qui résume toute cette partie :''D Je comprends le regard qu'elle pose sur sa belle-famille :v

"une étrangère parmi ces avaloniens." :arrow: Avaloniens ?

Hoho, c'est qui ce monsieur. Un simple courtisant de la cour ? We will see 8-)

Même moi je suis glacée face à l'étreinte d'Eliane, hirk. Bon, clairement, tu nous plonges bien dans l'ambiance !

OMG UN KIDNAPPING.
(oui je vis les aventures de Kyara ok)

Damn, c'est Monsieur Terre p-t ? Oh bordel.
Eliane p-t ? Un test ? Oh bordel.
Peu importe, c'est la merde :lol:

Ouuuh, les dilemmes, on aiiiiiime. Aaaaarf, ça se comprend qu'elle cherche sa sécurité. Surtout qu'elle sait pas quoi trouver en retournant "chez elle". Si y'a plus rien à construire, elle est peut-être encore mieux placée de l'intérieur d'Avalaën pour améliorer la vie des Helvetriens (désolée si j'écorche ce mot).
" Si elle partait aujourd’hui, cet effort, ce sacrifice, serait réduit à néant." :arrow: Clairement. ARF. Les doutes.

Bon, par contre, RIP les deux faux-gardes. Elle aurait pu se barrer et leur laisser la chance de repartir. Là, j'ai bien peur qu'ils se fassent zigouiller net :'c

Uma ♥

" la froide harmonie des traits qui se fondaient durs qui se fondaient pourtant les uns dans les autres avec une certaine grâce" :arrow: ouais Lokinette, même Eliane te perturbe :(

"C’est vrai qu’il n’a aucune passion pour les petites choses fragiles" :arrow: ah oué, ça tacle fort ici

"Mais si tu le souhaites, je peux t’aider." :arrow: oh l'alliance de bâtards
Alors, je suis plutôt "contente" qu'Eliane propose à Kyara de la prendre sous son aile, mais je peux pas m'empêcher d'appréhender. Elles sont tellement différentes... Eliane pourrait lui apporter des conseils, mais pas sûre que ça reste viable longtemps... ARF

" Des personnes qui m’étaient chères. Tu me rappelles l’une d’entre elles." :arrow: Je vois pas qui dans l'entourage proche d'Eliane pourrait correspondre ? :geek: Globalement, c'étaient des gens très déterminés et durs de caractère.

MARF. MOUERF. FIUH.
Que penser de la décision d'Eliane.
Je voudrais pas être à la place de Kyara :c Les bons gros doutes sont dans la place.

Autrement, j'ai bien aimé la petite introspection de Kyara sur son comportement (de princesse héritière à Helvethras et de nouvelle princesse à Avalaën). Sur le fait qu'elle assume son manque de compétences et d'envies sur certains points. J'aime bien les personnages d'autorité qui sont comme ça, ça change ! Et puis tu parviens à montrer Kyara dans ses faiblesses, ses vulnérabilités, ses manquements envers ses devoirs, sans porter de jugement (il en va de même pour les personnages glaçants comme Eliane d'ailleurs). Et c'est clairement un point fort, de laisser le lecteur construire son propre avis des personnages présentés.

Hâte de lire l'acte III maintenant (je sais plus si tu en as prévu un 4ème ?)
vampiredelivres

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : jeu. 09 sept., 2021 3:17 pm Yoooo

Aaaaah, j'ai hâte de voir la rencontre entre Eliane et Kyara, aled :lol:

Ah, rip les boucles Kyara, je connais.

Ptn même moi j'ai peur d'Eliane mtn.
Aie, aie, aie le coup des souvenirs. Mais ouais, normal qu'ils soient pas verrouillés à double-tour, c'est encore bien trop récent...

"Elle n’était qu’une étrangère parmi eux, trop douce pour tolérer leur froideur, trop jeune pour comprendre leurs liens, trop différente pour espérer s’intégrer." :arrow: J'aime beaucoup cette phrase qui résume toute cette partie :''D Je comprends le regard qu'elle pose sur sa belle-famille :v

"une étrangère parmi ces avaloniens." :arrow: Avaloniens ?

Hoho, c'est qui ce monsieur. Un simple courtisant de la cour ? We will see 8-)

Même moi je suis glacée face à l'étreinte d'Eliane, hirk. Bon, clairement, tu nous plonges bien dans l'ambiance !

OMG UN KIDNAPPING.
(oui je vis les aventures de Kyara ok)

Damn, c'est Monsieur Terre p-t ? Oh bordel.
Eliane p-t ? Un test ? Oh bordel.
Peu importe, c'est la merde :lol:

Ouuuh, les dilemmes, on aiiiiiime. Aaaaarf, ça se comprend qu'elle cherche sa sécurité. Surtout qu'elle sait pas quoi trouver en retournant "chez elle". Si y'a plus rien à construire, elle est peut-être encore mieux placée de l'intérieur d'Avalaën pour améliorer la vie des Helvetriens (désolée si j'écorche ce mot).
" Si elle partait aujourd’hui, cet effort, ce sacrifice, serait réduit à néant." :arrow: Clairement. ARF. Les doutes.

Bon, par contre, RIP les deux faux-gardes. Elle aurait pu se barrer et leur laisser la chance de repartir. Là, j'ai bien peur qu'ils se fassent zigouiller net :'c

Uma ♥

" la froide harmonie des traits qui se fondaient durs qui se fondaient pourtant les uns dans les autres avec une certaine grâce" :arrow: ouais Lokinette, même Eliane te perturbe :(

"C’est vrai qu’il n’a aucune passion pour les petites choses fragiles" :arrow: ah oué, ça tacle fort ici

"Mais si tu le souhaites, je peux t’aider." :arrow: oh l'alliance de bâtards
Alors, je suis plutôt "contente" qu'Eliane propose à Kyara de la prendre sous son aile, mais je peux pas m'empêcher d'appréhender. Elles sont tellement différentes... Eliane pourrait lui apporter des conseils, mais pas sûre que ça reste viable longtemps... ARF

" Des personnes qui m’étaient chères. Tu me rappelles l’une d’entre elles." :arrow: Je vois pas qui dans l'entourage proche d'Eliane pourrait correspondre ? :geek: Globalement, c'étaient des gens très déterminés et durs de caractère.

MARF. MOUERF. FIUH.
Que penser de la décision d'Eliane.
Je voudrais pas être à la place de Kyara :c Les bons gros doutes sont dans la place.

Autrement, j'ai bien aimé la petite introspection de Kyara sur son comportement (de princesse héritière à Helvethras et de nouvelle princesse à Avalaën). Sur le fait qu'elle assume son manque de compétences et d'envies sur certains points. J'aime bien les personnages d'autorité qui sont comme ça, ça change ! Et puis tu parviens à montrer Kyara dans ses faiblesses, ses vulnérabilités, ses manquements envers ses devoirs, sans porter de jugement (il en va de même pour les personnages glaçants comme Eliane d'ailleurs). Et c'est clairement un point fort, de laisser le lecteur construire son propre avis des personnages présentés.

Hâte de lire l'acte III maintenant (je sais plus si tu en as prévu un 4ème ?)
B'jour :)

Les p'tites bouclettes qui tiennent pas en place, là :roll:
Ahahaha, cette confrontation terrible x) En vrai c'est tellement intéressant de voir la dualité entre Eliane et Kyara, le contraste entre leurs mentalités et leurs expériences, leurs différences… Puis, oui, Kyara ne se sent pas encore part de la famille, clairement.

C'est un monsieur qu'on reverra plus tard ^^
Ah mais je t'en prie, vis donc les aventures avec Kyara :D
Héhé, je ne dirai rien sur les origines de ce kidnapping.
Oui, tu as totalement compris ce qui l'incite à rester. Elle ne retrouvera pas grand chose de l'autre côté, si ce n'est une vie de galères et des batailles sans fin pour espérer reprendre le Royaume (alors que bon, on ne va pas se mentir, la rébellion helvethrienne face aux Bataillons Sanglants fait un peu… pitié on va dire :lol: ). Donc oui, c'est plus intéressant peut-être d'apprendre à agir de l'intérieur.

Par contre pour les deux faux-gardes… ils viennent de buter deux vrais-gardes, en plus d'avoir essayé de kidnapper la princesse. Donc nan, mauvaise pioche. Et puis, on évite de laisser les rats dans le navire. :mrgreen:

Merci pour les bêtises que tu relèves !

Eliane + Kyara… il ne manque plus que Cassandra et on a le trio impérial du continent x) Par contre oui, Eliane est assez… rude, dans sa manière d'enseigner.
Karashei, surtout, c'était clairement la plus délicate de l'entourage d'Eliane, même si elle n'était pas aussi fragile que Kyara (elle était aussi un peu plus vieille). Puis elle avait bien grandi aux côtés d'Eliane, donc le parallèle avec la manière dont Kyara évoluera (peut-être) peut être d'autant plus intéressant.

Ravie que ça te plaise ! Ce chapitre, c'est vraiment un chapitre pivot (celui-ci et III.2) dans la manière de réfléchir de miss Kyara. Elle commence réellement à appréhender les possibilités de sa vie à Avalaën, même si c'est encore flou et qu'elle ne sait absolument pas comment s'y prendre. Mais elle commence doucement à arrêter de subir, et ça c'est cool !

Yes, Acte IV prévu et en cours d'écriture (oh boy d'ailleurs :D ).
Merci beaucoup pour ton commentaire, à bientôt !
louji

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : mer. 15 sept., 2021 3:55 am B'jour :)

Les p'tites bouclettes qui tiennent pas en place, là :roll:
Ahahaha, cette confrontation terrible x) En vrai c'est tellement intéressant de voir la dualité entre Eliane et Kyara, le contraste entre leurs mentalités et leurs expériences, leurs différences… Puis, oui, Kyara ne se sent pas encore part de la famille, clairement.

C'est un monsieur qu'on reverra plus tard ^^
Ah mais je t'en prie, vis donc les aventures avec Kyara :D
Héhé, je ne dirai rien sur les origines de ce kidnapping.
Oui, tu as totalement compris ce qui l'incite à rester. Elle ne retrouvera pas grand chose de l'autre côté, si ce n'est une vie de galères et des batailles sans fin pour espérer reprendre le Royaume (alors que bon, on ne va pas se mentir, la rébellion helvethrienne face aux Bataillons Sanglants fait un peu… pitié on va dire :lol: ). Donc oui, c'est plus intéressant peut-être d'apprendre à agir de l'intérieur.

Par contre pour les deux faux-gardes… ils viennent de buter deux vrais-gardes, en plus d'avoir essayé de kidnapper la princesse. Donc nan, mauvaise pioche. Et puis, on évite de laisser les rats dans le navire. :mrgreen:

Merci pour les bêtises que tu relèves !

Eliane + Kyara… il ne manque plus que Cassandra et on a le trio impérial du continent x) Par contre oui, Eliane est assez… rude, dans sa manière d'enseigner.
Karashei, surtout, c'était clairement la plus délicate de l'entourage d'Eliane, même si elle n'était pas aussi fragile que Kyara (elle était aussi un peu plus vieille). Puis elle avait bien grandi aux côtés d'Eliane, donc le parallèle avec la manière dont Kyara évoluera (peut-être) peut être d'autant plus intéressant.

Ravie que ça te plaise ! Ce chapitre, c'est vraiment un chapitre pivot (celui-ci et III.2) dans la manière de réfléchir de miss Kyara. Elle commence réellement à appréhender les possibilités de sa vie à Avalaën, même si c'est encore flou et qu'elle ne sait absolument pas comment s'y prendre. Mais elle commence doucement à arrêter de subir, et ça c'est cool !

Yes, Acte IV prévu et en cours d'écriture (oh boy d'ailleurs :D ).
Merci beaucoup pour ton commentaire, à bientôt !
Ah ui, pour avoir de la dualité, il y en a ! Peut-être même trop, je me demande si elles trouveront un jour un terrain d'entente ? (en même temps, faut vouloir s'entendre avec la nouvelle Eliane aussi)

Elle a définitivement bien géré Kyara en refusant l'enlèvement. Elle est plus en sécurité et peut-être mieux disposée à agir pour son peuple aussi.

Techniquement, Kyara, Eliane et Cassandra se croiseront jamais ?? Comme Cassandra est d'une génération bien antérieure.
Par contre, en revoyant l'arbre généalogique ce matin, je me suis rendu compte qu'on savait pas grand-chose de la famille maternelle de Cassandra. En plus, elle maîtrise la magie, non ? Je me demande si ça peut avoir un lien avec ta future histoire dans le même monde (ou pas du tout).

Ah oui, je comprends mieux pour Karashei ! Eliane lui avait beaucoup appris, après elle avait aussi appris à faire avec le caractère plus doux de Karashei.

Le chapitre pivot, ça se sent oui ! Kyara subit un choc mental sur ce chapitre par rapport à ses envies et je doute pas qu'elle en connaître d'autres...

Bon, j'ai peur pour l'acte IV évidemment :) :)
Bisous !
TcmA

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par TcmA »

Hiello ~

Pfiou, beaucoup de choses se passent dans ce chap !

"Tu te souviens de ma mère" :arrow: comment l'oublier :roll: Kyara doit encore faire des cauchemars du regard d'Eliane sur elle... Eliane, d'ailleurs, qui est égale à elle-même et toujours flippante, yis.

Nyohoh, un Helvethrien... Que passa ? Est-ce que ça prépare un coup à la Eliane I en tournant les choses à son avantage de l'intérieur ? Pas sûre que Kyara se sente à même de pouvoir faire ça... :arrow: Ah ben non, c'est un ptit kidnapping des familles. Maintenant, reste à savoir s'il était dans le coup ou pas. Je penche pour le oui, parce qu'entre son apparition et la tentative d'évasion/kidnapping, ça fait trop pour n'être qu'une coïncidence. Après, si tu nous dis qu'on le reverra... (Mais bon, le "revoir" n'implique pas qu'il soit bien portant lorsque ce sera le cas :') ).

"tu es l'une des nôtres désormais" ; "Elle avait été acceptée dans la famille" Mmmmmmoui ? Tout ça est très officiel, très démonstratif, j'ai pas confiance ;w; :arrow: Bon, après l'évasion/kidnapping, j'ai toujours des doutes mais, avec la proposition d'Eliane... A voir. Comme tu dis, ça ne veut pas dire qu'Eliane va être tendre dans ses enseignements. Kyara a juste gagné une fraction de respect/reconnaissance. Intéressant.

Alors, faut qu'on parle de tes descriptions dans ce chapitre parce que wow, elles étaient magnifiques, comme le petit "une silhouette évanescente" par exemple, quel bonheur pour les yeux, avec les passages d'introspection et ceux sur Eliane... Bravo ! Elles ont toujours été très belles, mais je trouve qu'elles ressortent encore plus dans ce chap.

Bon bon bon. J'en arrive à l'évasion/kidnapping. C'est terrible, on ne peut faire confiance à personne.
Tout avait l'air d'être bien planifié, et ça depuis un certain temps. Si ces faux gardes ont réussi à s'infiltrer à Avalaën, dans le palais et dans la garde personnelle de Kyara, c'est qu'ils ont eu des infos de quelqu'un au palais (Monsieur l'Helvethrien?).
Et vu les choses qui ressortent dans le chap, ça pourrait ne pas être que des gardes lambdas (après, ça pourrait être un noble de la Cour mais... chais pas, ça me semble pas logique que quelqu'un comme Eliane ne s'inquiète pas de possibles traitres dans leurs rangs) : pourquoi est-ce que la garde du palais n'utilise pas constamment les codes de reconnaissance ? Ok, tu pourrais me dire que c'est simple dit comme ça, mais que dans les faits c'est compliqué à mettre en place, mais vu les personnes qu'il y avait à la fête, ça me paraît juste impensable qu'ils aient pas déployé les moyens nécessaires pour les protéger, même si Eliane et Yngvar pourraient totalement s'en occuper comme des grands. On est jamais à l'abris d'une embuscade.
Tu pourrais dire aussi que les faux gardes ont eu les infos nécessaires (aka, les fameux codes) pour se faufiler comme des anguilles... Y a aussi la question d'un possible relâchement de tout le monde après la victoire contre Helvethras... Mais vu les circonstances de cette victoire (que tu rappelles bien en plus dans ce chap), j'imagine mal qu'ils ne penseraient pas à une possible offensive (embuscade ou enlèvement discret)...
Je me retourne trop le cerveau dessus :lol:

Eeeh, qui peut juger des actions de chacun dans une situation pareille ? Comme disait Co, tu fais bien ressortir les dilemmes, les forces et les faiblesses de Kyara, dont elle a conscience. Yeesh, quelle situation de mouise.

Uma jtm ♥

"Yngvar était envers et contre un meurtrier" il manque un mot, ou je ne connais juste toujours pas le français (crois-moi, j'en ai appris, des choses, en vous lisant, avec Co :') ) ?

"Mais si tu le souhaites, je peux t'aider" :arrow: Oh? Oh boy ?? J'ai tout de suite pensé que Kyara rappelait Karashei à Eliane (et, pouf, je suis retombée dans le trauma des derniers chaps d'Eliane ♥). Si Kyara décide d'accepter, ça sera intéressant de les voir évoluer toutes les deux. Je suis pas sûre que Kyara réponde/adhère bien au modelage d'Eliane, et j'ai hâte de voir comment chacun d'elle va tourner ça à son avantage (en espérant qu'Eliane ne la mange pas toute crue ;w; )

Hâte de lire l'acte III, ça va être cool ! Et top pour l'acte IV ;)

La bise~
vampiredelivres

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : mer. 15 sept., 2021 12:09 pm Ah ui, pour avoir de la dualité, il y en a ! Peut-être même trop, je me demande si elles trouveront un jour un terrain d'entente ? (en même temps, faut vouloir s'entendre avec la nouvelle Eliane aussi)

Elle a définitivement bien géré Kyara en refusant l'enlèvement. Elle est plus en sécurité et peut-être mieux disposée à agir pour son peuple aussi.

Techniquement, Kyara, Eliane et Cassandra se croiseront jamais ?? Comme Cassandra est d'une génération bien antérieure.
Par contre, en revoyant l'arbre généalogique ce matin, je me suis rendu compte qu'on savait pas grand-chose de la famille maternelle de Cassandra. En plus, elle maîtrise la magie, non ? Je me demande si ça peut avoir un lien avec ta future histoire dans le même monde (ou pas du tout).

Ah oui, je comprends mieux pour Karashei ! Eliane lui avait beaucoup appris, après elle avait aussi appris à faire avec le caractère plus doux de Karashei.

Le chapitre pivot, ça se sent oui ! Kyara subit un choc mental sur ce chapitre par rapport à ses envies et je doute pas qu'elle en connaître d'autres...

Bon, j'ai peur pour l'acte IV évidemment :) :)
Bisous !
Faut savoir que j'aime bien la dualité, aussi :lol: (ouais nan, faut vraiment faire des efforts pour l'apprécier, elle :mrgreen: )

Je pense oui qu'elle s'est très bien débrouillée (je suis un peu fière d'elle, j'avoue :roll: :lol: ). En plus, outre le fait qu'elle est bien plus en sécurité et dans la capacité d'agir, elle a beaucoup plus d'opportunités et de possibilités ainsi. Parce que bon, la vie de princesse fugitive, ça va bien cinq minutes, mais… Voilà. Maintenant, elle commence à se bouger, mais il faut encore qu'elle voie et vive deux ou trois petites choses avant de se plonger définitivement dans sa nouvelle vie.

Eliane et Kyara ne croiseront jamais Cassandra, elles sont trop éloignées au niveau historique. (Enfin j'ai envie de douiller un peu le truc mais we shall see, je ne suis pas encore sûre de ce que je vais faire…) Puis oui, l'histoire de la famille de Cassandra, c'est encore un autre débat… y'a trop de choses à raconter :lol: Ceci dit, je ne sais pas si je vais directement le lier à l'autre histoire dans cet univers. On verra bien.

Mais c'est pas de l'Acte IV qu'il faut avoir peur… c'est du III qui arrive :twisted: Fin en vrai je ne sais pas lequel des deux est le pire. Le III est plus violent au niveau moral mais le IV est plus psychologique/action. Bref c'est le bordel, vous connaissez bien ça.

TcmA a écrit : mer. 15 sept., 2021 5:30 pm Hiello ~

Pfiou, beaucoup de choses se passent dans ce chap !

"Tu te souviens de ma mère" :arrow: comment l'oublier :roll: Kyara doit encore faire des cauchemars du regard d'Eliane sur elle... Eliane, d'ailleurs, qui est égale à elle-même et toujours flippante, yis.

Nyohoh, un Helvethrien... Que passa ? Est-ce que ça prépare un coup à la Eliane I en tournant les choses à son avantage de l'intérieur ? Pas sûre que Kyara se sente à même de pouvoir faire ça... :arrow: Ah ben non, c'est un ptit kidnapping des familles. Maintenant, reste à savoir s'il était dans le coup ou pas. Je penche pour le oui, parce qu'entre son apparition et la tentative d'évasion/kidnapping, ça fait trop pour n'être qu'une coïncidence. Après, si tu nous dis qu'on le reverra... (Mais bon, le "revoir" n'implique pas qu'il soit bien portant lorsque ce sera le cas :') ).

"tu es l'une des nôtres désormais" ; "Elle avait été acceptée dans la famille" Mmmmmmoui ? Tout ça est très officiel, très démonstratif, j'ai pas confiance ;w; :arrow: Bon, après l'évasion/kidnapping, j'ai toujours des doutes mais, avec la proposition d'Eliane... A voir. Comme tu dis, ça ne veut pas dire qu'Eliane va être tendre dans ses enseignements. Kyara a juste gagné une fraction de respect/reconnaissance. Intéressant.

Alors, faut qu'on parle de tes descriptions dans ce chapitre parce que wow, elles étaient magnifiques, comme le petit "une silhouette évanescente" par exemple, quel bonheur pour les yeux, avec les passages d'introspection et ceux sur Eliane... Bravo ! Elles ont toujours été très belles, mais je trouve qu'elles ressortent encore plus dans ce chap.

Bon bon bon. J'en arrive à l'évasion/kidnapping. C'est terrible, on ne peut faire confiance à personne.
Tout avait l'air d'être bien planifié, et ça depuis un certain temps. Si ces faux gardes ont réussi à s'infiltrer à Avalaën, dans le palais et dans la garde personnelle de Kyara, c'est qu'ils ont eu des infos de quelqu'un au palais (Monsieur l'Helvethrien?).
Et vu les choses qui ressortent dans le chap, ça pourrait ne pas être que des gardes lambdas (après, ça pourrait être un noble de la Cour mais... chais pas, ça me semble pas logique que quelqu'un comme Eliane ne s'inquiète pas de possibles traitres dans leurs rangs) : pourquoi est-ce que la garde du palais n'utilise pas constamment les codes de reconnaissance ? Ok, tu pourrais me dire que c'est simple dit comme ça, mais que dans les faits c'est compliqué à mettre en place, mais vu les personnes qu'il y avait à la fête, ça me paraît juste impensable qu'ils aient pas déployé les moyens nécessaires pour les protéger, même si Eliane et Yngvar pourraient totalement s'en occuper comme des grands. On est jamais à l'abris d'une embuscade.
Tu pourrais dire aussi que les faux gardes ont eu les infos nécessaires (aka, les fameux codes) pour se faufiler comme des anguilles... Y a aussi la question d'un possible relâchement de tout le monde après la victoire contre Helvethras... Mais vu les circonstances de cette victoire (que tu rappelles bien en plus dans ce chap), j'imagine mal qu'ils ne penseraient pas à une possible offensive (embuscade ou enlèvement discret)...
Je me retourne trop le cerveau dessus :lol:

Eeeh, qui peut juger des actions de chacun dans une situation pareille ? Comme disait Co, tu fais bien ressortir les dilemmes, les forces et les faiblesses de Kyara, dont elle a conscience. Yeesh, quelle situation de mouise.

Uma jtm ♥

"Yngvar était envers et contre un meurtrier" il manque un mot, ou je ne connais juste toujours pas le français (crois-moi, j'en ai appris, des choses, en vous lisant, avec Co :') ) ?

"Mais si tu le souhaites, je peux t'aider" :arrow: Oh? Oh boy ?? J'ai tout de suite pensé que Kyara rappelait Karashei à Eliane (et, pouf, je suis retombée dans le trauma des derniers chaps d'Eliane ♥). Si Kyara décide d'accepter, ça sera intéressant de les voir évoluer toutes les deux. Je suis pas sûre que Kyara réponde/adhère bien au modelage d'Eliane, et j'ai hâte de voir comment chacun d'elle va tourner ça à son avantage (en espérant qu'Eliane ne la mange pas toute crue ;w; )

Hâte de lire l'acte III, ça va être cool ! Et top pour l'acte IV ;)

La bise~
Hiello ~

Ce chap est vraiment dense, surtout en termes de conséquences à long terme…

Mama-Eliane la terreur, qui pourrait l'oublier. :lol:

Ce cher petit Helvethrien est de passage… mais pourquoi ? Moi je ne dirai rien, mais les réponses finiront par venir. N'empêche que oui, c'est beaucoup pour une coïncidence quand même.

Pas très démonstrative la Eliane, m'enfin c'est actuellement davantage une alliance politique qu'une alliance affective. Et puis, en soi, Eliane n'a rien de personnel contre Kyara. Elle est juste… elle-même. Donc froide et distante, juste ce qu'il faut pour paraître respectueuse. x)

Arf, merci ! Ravie qu'elles te plaisent !

Pour ce qui est des codes de reconnaissance… alors. Sans même parler de dire que c'est dur à mettre en place, faut savoir que de base, les Bataillons Sanglants sont séparés de l'armée. Ce n'est pas la même chose, ils ne répondent pas aux mêmes personnes. Ils sont sous les ordres directs de la famille impériale (et plus particulièrement Yngvar), même s'ils travaillent pour la plupart du temps en étroite collaboration avec l'armée. De base, ils ont été entraînés pour la protection de la famille impériale, certes, mais surtout pour la guerre contre Helvethras, donc pour des attaques éclair, des embuscades, des raids. Et ils travaillent en "petits" comités, par Bataillons individuels, donc ils ne se connaissent pas nécessairement tous entre eux.
Ensuite, pour les codes de reconnaissance, il y en a donc deux types. D'une part les codes entre Bataillons, qui permettent donc à un Bataillon d'en reconnaître un autre sur le champ de bataille ou en plein milieu d'un terrain dangereux si jamais ils viennent à se croiser (qu'ils commencent pas à se taper dessus alors qu'ils sont alliés quoi). D'autre part les codes internes, propres à chaque Bataillon, qui permettent de reconnaître les membres du Bataillon en question. Le Premier en a des différents du Deuxième, et ainsi de suite. Donc là, c'était le Premier et le Huitième, mais leurs codes de reconnaissance internes ne sont pas les mêmes, donc deux randoms peuvent se présenter au Huitième avec les codes inter-Bataillons en disant "on est du Premier" et ça passe.
Enfin, dernier truc, s'ils les utilisaient tout le temps… des gens pourraient les noter, les transmettre, les utiliser. Donc c'est davantage en cas de crise que pour le quotidien.
Je ne voulais pas trop l'expliquer dans cette partie parce que, d'une part, c'est très "technique" et expositioire, et d'autre part, Kyara ne le sait pas du tout, or c'est surtout par sa perspective qu'on découvre l'univers d'Avalaën et les Bataillons, mais si c'est vraiment nécessaire, je rajouterai ça dans un PoV externe, genre Yngvar ou Uma.

Choupette Kyara, elle est pas encore sortie de l'auberge. x) Mais ça commence à venir.

Il manque bien un mot, merci !

Le petit cœur glacé d'Eliane qui frémit quand même un peu en faisant le parallèle Kyara/Karashei… (Rechute dans le trauma :lol: )
Tu verras bien :)

Merci encore pour ton comm, la bise ~
louji

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : mar. 21 sept., 2021 9:46 am
Faut savoir que j'aime bien la dualité, aussi :lol: (ouais nan, faut vraiment faire des efforts pour l'apprécier, elle :mrgreen: )

Je pense oui qu'elle s'est très bien débrouillée (je suis un peu fière d'elle, j'avoue :roll: :lol: ). En plus, outre le fait qu'elle est bien plus en sécurité et dans la capacité d'agir, elle a beaucoup plus d'opportunités et de possibilités ainsi. Parce que bon, la vie de princesse fugitive, ça va bien cinq minutes, mais… Voilà. Maintenant, elle commence à se bouger, mais il faut encore qu'elle voie et vive deux ou trois petites choses avant de se plonger définitivement dans sa nouvelle vie.

Eliane et Kyara ne croiseront jamais Cassandra, elles sont trop éloignées au niveau historique. (Enfin j'ai envie de douiller un peu le truc mais we shall see, je ne suis pas encore sûre de ce que je vais faire…) Puis oui, l'histoire de la famille de Cassandra, c'est encore un autre débat… y'a trop de choses à raconter :lol: Ceci dit, je ne sais pas si je vais directement le lier à l'autre histoire dans cet univers. On verra bien.

Mais c'est pas de l'Acte IV qu'il faut avoir peur… c'est du III qui arrive :twisted: Fin en vrai je ne sais pas lequel des deux est le pire. Le III est plus violent au niveau moral mais le IV est plus psychologique/action. Bref c'est le bordel, vous connaissez bien ça.
Mdr oui on verra pour Cassandra du coup :mrgreen:

MAIS. Oh mais. Tu m'énerves :evil:

Bon je vais lire le nouveau chapitre oskur

AH MAIS Y'A PAS DE NOUVEAU CHAPITRE J'AI REVE.

Oh sadness time
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : mer. 22 sept., 2021 6:19 pm Mdr oui on verra pour Cassandra du coup :mrgreen:

MAIS. Oh mais. Tu m'énerves :evil:

Bon je vais lire le nouveau chapitre oskur

AH MAIS Y'A PAS DE NOUVEAU CHAPITRE J'AI REVE.

Oh sadness time
T'es sûre que ça va ? :lol:
Le nouveau chap arrive soon, promis !
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par TcmA »

vampiredelivres a écrit : mar. 21 sept., 2021 9:46 am Pour ce qui est des codes de reconnaissance… alors. Sans même parler de dire que c'est dur à mettre en place, faut savoir que de base, les Bataillons Sanglants sont séparés de l'armée. Ce n'est pas la même chose, ils ne répondent pas aux mêmes personnes. Ils sont sous les ordres directs de la famille impériale (et plus particulièrement Yngvar), même s'ils travaillent pour la plupart du temps en étroite collaboration avec l'armée. De base, ils ont été entraînés pour la protection de la famille impériale, certes, mais surtout pour la guerre contre Helvethras, donc pour des attaques éclair, des embuscades, des raids. Et ils travaillent en "petits" comités, par Bataillons individuels, donc ils ne se connaissent pas nécessairement tous entre eux.
Ensuite, pour les codes de reconnaissance, il y en a donc deux types. D'une part les codes entre Bataillons, qui permettent donc à un Bataillon d'en reconnaître un autre sur le champ de bataille ou en plein milieu d'un terrain dangereux si jamais ils viennent à se croiser (qu'ils commencent pas à se taper dessus alors qu'ils sont alliés quoi).
:arrow: Ui, c'est quand même mieux de pas trucider les potos :'D D'autre part les codes internes, propres à chaque Bataillon, qui permettent de reconnaître les membres du Bataillon en question. Le Premier en a des différents du Deuxième, et ainsi de suite. Donc là, c'était le Premier et le Huitième, mais leurs codes de reconnaissance internes ne sont pas les mêmes, donc deux randoms peuvent se présenter au Huitième avec les codes inter-Bataillons en disant "on est du Premier" et ça passe.
Enfin, dernier truc, s'ils les utilisaient tout le temps… des gens pourraient les noter, les transmettre, les utiliser. Donc c'est davantage en cas de crise que pour le quotidien.
Je ne voulais pas trop l'expliquer dans cette partie parce que, d'une part, c'est très "technique" et expositioire, et d'autre part, Kyara ne le sait pas du tout, or c'est surtout par sa perspective qu'on découvre l'univers d'Avalaën et les Bataillons, mais si c'est vraiment nécessaire, je rajouterai ça dans un PoV externe, genre Yngvar ou Uma.

Yéyoooo~
Alors moi = stoopid parce que oui, en effet, ce serait complètement débile d'avoir un code utilisé tout le temps HAHAHAHA oskur. Ahlala, faut pas me mettre dans une histoire pareille, je serais morte en 2 sec :lol:
Merci pour toutes ces précisions, c'est tellement intéressant ♥ J'avais absolument pas capté que les Bataillons Sanglants étaient séparés de l'armée!
Je comprends que tu l'aies pas présenté comme ça, c'est en effet très expositoire, mais BON SANG, qu'est-ce que c'est intéressant ! Je suis impressionnée par à quel point tu as développé ton univers !! Pfouah, bravo !
J'avoue que je cracherai pas sur plus d'histoire et plus de pdv 8-) (mais ne va pas t'embêter à faire ça si c'est pas prévu, c'est pas nécessaire ! C'est juste que j'avais un cerveau à moitié réveillé qui a décidé de carburer sur des petits détails qui ne sont pas si importants pour l'histoire que ça :lol: )
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par vampiredelivres »

TcmA a écrit : dim. 26 sept., 2021 6:27 pm Yéyoooo~
Alors moi = stoopid parce que oui, en effet, ce serait complètement débile d'avoir un code utilisé tout le temps HAHAHAHA oskur. Ahlala, faut pas me mettre dans une histoire pareille, je serais morte en 2 sec :lol:
Merci pour toutes ces précisions, c'est tellement intéressant ♥ J'avais absolument pas capté que les Bataillons Sanglants étaient séparés de l'armée!
Je comprends que tu l'aies pas présenté comme ça, c'est en effet très expositoire, mais BON SANG, qu'est-ce que c'est intéressant ! Je suis impressionnée par à quel point tu as développé ton univers !! Pfouah, bravo !
J'avoue que je cracherai pas sur plus d'histoire et plus de pdv 8-) (mais ne va pas t'embêter à faire ça si c'est pas prévu, c'est pas nécessaire ! C'est juste que j'avais un cerveau à moitié réveillé qui a décidé de carburer sur des petits détails qui ne sont pas si importants pour l'histoire que ça :lol: )
La bise~
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Heyyooo :)

Mé nan, c'est juste une question de stratégie. Tu peux avoir un code utilisé tout le temps si tu le changes régulièrement, par exemple ^^
Pas de souci, ce n'était ni mentionné ni même suggéré pour le moment, mais on y viendra. La vraie explication arrive d'ailleurs dans deux chaps !
Je vais réfléchir à peut-être mettre un passage d'Yngvar pour clarifier peut-être un peu, mais Uma s'en occupera très bien elle-même, peut-être juste un peu tard. Hum… :ugeek:

Pas de souci, ne t'inquiète pas ! Puis les petits détails sont aussi les plus intéressants, parfois, non ?
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Kyara III (1/3)

Message par vampiredelivres »

ACTE III : L'OUBLIÉE
(1/3)


Le violent fracas des vagues avait envahi les oreilles de Kyara, si bruyant qu’elle n’entendait plus rien d’autre. À ses côtés se tenaient Yngvar et l’Impératrice, debout au bord de la mer, leurs lourdes bottes de cuir s’enfonçant dans le sable gorgé d’eau. Figés, rigides comme des statues, ils observaient en silence les flammes mourantes. À leur droite, Kyara, la tête droite, s’efforçait d’arborer un air grave de circonstance, tandis qu’à leur gauche, Elara, ses trois filles et leurs propres enfants semblaient s’ennuyer ferme. Il s’agissait pourtant de leur famille, mais leur indifférence apparente donnait à Kyara des frissons.
Quand les derniers crépitements du bois flotté s’éteignirent et qu’il ne resta que de noirs charbons rougeoyant encore par endroits, la foule commença à se disperser en petits groupes, et le recueillement qui l’avait réduite au silence s’effaça dans les conversations nostalgiques. Une vingtaine de personnes avaient brûlé aujourd’hui, et si les funérailles étaient habituelles, la présence de la famille impériale l’était nettement moins. Mais l’Impératrice avait insisté pour que Senna soit brûlée avec le commun du peuple de la Citadelle Rouge, arguant que c’était ce que la vieille femme aurait voulu, et personne n’avait réellement osé la contredire, du moins pas à haute voix.
La rancœur et la colère se lisaient cependant sur quelques visages, du côté de la famille impériale éloignée, à commencer par la grand-mère, Elara. Ancienne épouse d’Aren le Conquérant, tante par alliance de l’empereur actuel, c’était une femme âgée, à la peau fripée et au visage doux. Mais, à l’heure actuelle, il n’y avait aucune gentillesse dans ses yeux ou son expression alors qu’elle regardait les dernières braises qui finissaient de se consumer.
— Senna n’aurait jamais voulu ça, siffla-t-elle d’une voix éraillée en jetant un regard mauvais du côté de l’Impératrice. Elle méritait d’être honorée comme un membre de la famille impériale.
Cette dernière se contenta d’un sourire glacé, hocha la tête à son intention.
— Tout comme toi ou moi, Elara Sen, elle n’a fait que s’unir à la famille impériale. Nous venons du commun du peuple, sinon.
Elara renifla, méprisante, et se détourna. Sa petite-fille, Jacelynn, lança un coup d’œil peu amène à Yngvar, cracha presque en passant devant lui, arracha la bride des mains du garde qui tenait le cheval. Kyara, figée, frémit à peine en la regardant passer. La colère de la jeune femme, de quelques étés son aînée, paraissait aussi virulente que futile et inoffensive face à ce qui pouvait parfois émaner d’Yngvar. C’était presque risible qu’elle mette autant d’énergie dans son allure colérique.
— Fais attention, Jacelynn, on pourrait presque te prendre pour un chaton énervé, lança le prince comme s’il pensait à la même chose.
Écarlate, la jeune femme se hissa rageusement sur sa selle, donna un brusque coup de talons à sa monture qui, surprise et effrayée, fit un bond vers l’avant, manquant de la jeter au sol. Kyara, Yngvar et l’Impératrice, pouffèrent d’un même ensemble, pour ne s’attirer que davantage de regards furieux des trois femmes qui restaient. Mais l’héritier les ignora avec un fin sourire, préféra se tourner vers Kyara et lui demanda :
— Voudrais-tu marcher un peu avec moi ?
Elle hocha la tête, posa son bras sur le sien, et après s’être incliné une dernière fois devant ce qui restait du bûcher pour murmurer « Zhakar Esgari nargkis », une formule de respect destinée aux morts, il se dirigea vers la plage vide qui s’étendait à perte de vue autour d’eux. Bénissant son épaisse cape de ourlée de zibeline, fermement serrée autour de sa poitrine, ses bottes fourrées et la chapka duveteuse, Kyara s’engagea à ses côtés. Loin de la chaleur rémanente du brasier, il faisait un froid glacial, à en fendre les pierres. La mer infinie, d’un bleu virant au gris, était bruyante, colérique, mais nettement moins maintenant qu’ils s’étaient éloignés des amas rocheux sur lesquels les vagues venaient s’écraser.
En tournant légèrement la tête, Kyara nota les gardes qui restaient sur leurs talons, suffisamment éloignés pour ne pas les interrompre ni entendre leur discussion, suffisamment proches pour intervenir si un danger se profilait. Leur présence familière et rassurante aurait pu lui sembler envahissante des lunes plus tôt, mais aujourd’hui, elle s’y était habituée. Pour la trentaine qui était assignée en permanence à sa sécurité, elle les connaissait presque tous par leurs noms, elle commençait à connaître leurs habitudes, leur façon de parler, les relations qu’ils entretenaient. Elle commençait même à les apprécier, comme elle avait appris à apprécier Uma.
— Comment était ta grand-mère ? interrogea-t-elle en revenant à son époux.
— Froide. Distante. Je ne l’ai jamais vraiment connue, elle fuyait ma mère comme la peste, et elle m’évitait presque autant.
— Ah ?
Il soupira.
— Pourtant, c’était une femme gentille. Mais elle n’approuvait pas les choix de mon grand-père Dieter. Et moi… je ne sais pas vraiment ce qu’elle avait contre moi, mais elle n’a jamais su passer outre.
Kyara pinça les lèvres, regrettant d’avoir abordé le sujet. La famille souveraine avalonienne n’était pas exactement… aimante, même si elle avait bien compris qu’entre Yngvar, Saedor et sa mère, c’était une affection pure et sincère. Cependant, dès qu’on sortait de ce petit cercle fermé, l’agressivité montait, les complots naissaient, la rancœur grondait.
— Et Elara ? Jacelynn ?
— Jacelynn est une tête brûlée, et Elara une mégère aigrie. Elle aurait pu être la souveraine des deux terres si Aren n’avait pas été renversé.
— Mais c’est Dieter qui est devenu empereur après son échec.
— Exact. Elle ne l’a jamais digéré. Et je pense que sa haine brûle toujours à cause de ma mère, qui a réussi là où Elara et Aren ont échoué.
Décidément, tout tournait toujours autour de l’Impératrice. Sailentera, l’oubliée, l’inconnue, l’innommée. Il semblait que, partout où elle passait, elle faisait ressortir le caractère profond des hommes, cristallisait les tensions, alimentait les conflits. Elle était revenue à Avalaën depuis moins d’une lune, mais en cette courte période, Kyara avait eu le temps de l’observer sur la scène de la Cour. Elle n’intervenait que rarement elle-même, si ce n’était pour des luttes qui la concernaient directement, mais chacune de ses interventions était aussi redoutable qu’un coup de poignard. Quand elle éliminait quelqu’un, elle ne le laissait pas pour mort, elle s’assurait de son annihilation totale. Grâce à elle, Kyara avait compris d’où Yngvar tenait sa froideur, sa ténacité, son indifférence et sa brutalité.
Pourtant, elle n’agissait jamais dans la démesure, ni n’essayait de couvrir ses actes sous un vernis lustré. Ses colères placides, rares et maîtrisées, effrayaient souvent davantage que la violence effective de son fils. Tous deux étaient aussi implacables l’un que l’autre, mais là où Yngvar éliminait toujours le problème, aussi efficace que rapide, l’Impératrice prenait le problème à revers, le transformait, faisait tourner le responsable en bourrique jusqu’à ce qu’il commette l’erreur qui l’arrangeait, elle. Elle ne pardonnait jamais, n’offrait guère de seconde chance, et ne manifestait jamais de remords.
— Si tu ne veux pas répondre à cette question, reprit-il après réflexion, ne réponds pas, mais… comment était ta famille ?
En entendant la question, Kyara s’étonna de ne ressentir qu’un léger pincement au cœur, à peine perceptible. Le souvenir brouillé des derniers instants de son père s’effaça, remplacé par son sourire lumineux. Elle retomba des étés en arrière, durant une promenade à cheval dans les vergers non-loin du château, et une bouffée de nostalgie la submergea.
— Mon père…
Elle hésita.
— Je n’étais pas souvent avec lui. Il avait toujours un million de conseillers à voir, des dizaines d’entretiens et de réunions dans la journée. Quant à ma mère, elle n’a jamais été très patiente avec moi, même si elle a essayé de me donner les meilleurs précepteurs. Mais elle n’a jamais aimé vivre à Ciel, elle retournait à Eau dès qu’elle pouvait. Et j’ai eu un petit frère, qui est tombé malade quelques lunes après sa naissance.
— Nelvan.
Elle leva la tête, ébahie.
— Nous avons toujours reçu tous vos faire-parts, toutes vos invitations. Ton père a essayé, des années durant, de ré-instaurer une sorte de paix moins fragile.
— Mais pourquoi…?
— C’était inconcevable. Ni pour ma mère, ni pour les ambitions de mon grand-père. J’en suis profondément désolé.
Un goût amer dans la gorge, Kyara avala sa salive, secoua la tête.
— Je ne sais pas ce que nous avons fait pour…
— C’est normal. Il y a des squelettes qu’il vaut mieux laisser enterrés.
— Vous brûlez vos morts, fit-elle remarquer avec une pointe d’acidité.
— Mais vous les enterrez. Enfin, sauf à Eau. Nos morts et leurs erreurs sont réduits en cendres, mais c’est vos squelettes qui ont provoqué ça.
— Et personne n’aurait rien pu y changer ? s’insurgea-t-elle, soudain furieuse.
Il ralentit, baissa la tête pour la regarder droit dans les yeux. Il n’y avait aucune colère dans son attitude. Ses traits étaient fermés, comme toujours, mais il paraissait incapable de s’irriter contre elle. Un instant, cette idée même qu’elle n’arrive jamais à le faire sortir de ses gonds l’exaspéra encore davantage, puis elle chassa la pensée.
— Si tu souhaites savoir, dis-le, et je t’expliquerai. Parce que je suppose que tu ne connais pas la vérité.
Elle hésita, déstabilisée par la froide indifférence qui suintait de son ton. C’était comme s’il ne se sentait pas attaché à ce conflit, comme s’il n’y avait jamais pris part. Alors que pourtant, son implication était loin d’avoir été négligeable. Il avait commandé les Bataillons Sanglants, mené les assauts, tué quantité de soldats helvethriens. Tout ça pour une vieille affaire datant d’une époque qui avait précédé sa naissance ?
— Est-ce que cela te concernait ?
Les soldats derrière eux s’étaient immobilisés, eux aussi, il n’y avait personne à part eux à quelques centaines de pas aux alentours. En cet instant, Kyara se sentit comme au premier jour face à Yngvar, un fétu de paille fragile face à une montagne froide et inébranlable.
— Pas directement.
— Alors pourquoi avoir combattu ?
— Parce que c’était ce qu’on attendait de moi. Et si cela n’avait pas été moi, cela aurait été quelqu’un d’autre.
Elle déglutit. Une colère ancienne, vestige d’un passé pas si lointain, la hantait encore. Elle l’avait presque oubliée, diluée dans le temps qui avait passé, enfouie sous les nouvelles émotions qu’elle ressentait depuis, mais elle se demanda si elle parviendrait réellement à la faire disparaître un jour.
— Ta colère. Celle que tu as ressentie quand ton père est mort.
Elle haussa les sourcils à l’intention d’Yngvar, qui poursuivit :
— Prends-la, alimente-la durant des hivers durant lesquelles tu ne peux rien faire si ce n’est attendre et te préparer à détruire ceux qui ont essayé de te détruire. Essaie d’imaginer que tu as une chance d’y arriver, qu’il te suffit juste d’un peu de patience.
Elle essaya, laissa la colère remonter des profondeurs de l’oubli, la nourrit de sa peur et de son impuissance, l’espace de quelques secondes. La rage, pérenne, dévorante, aussi imprévisible qu’un incendie, qui en résulta, la laissa pantoise, le souffle court, l’esprit embrouillé. Si cela n’avait pas été Yngvar en face d’elle, elle l’aurait peut-être étranglé.
— Qu’aurais-tu fait si tu avais ressenti cela durant des hivers ?
La réponse était une phrase qu’elle n’osait proférer de peur de réveiller cette haine. Et elle comprit où il voulait en venir. Quel que soit le crime ou l’outrage qui avait été commis, il avait brûlé durant trop longtemps pour être simplement étouffé. Elle-même se serait consumée depuis bien longtemps si elle avait dû attendre autant pour assouvir sa colère.
— Princesse, tu pardonnes vite.
Dans la bouche d’Yngvar, cela sonnait presque comme un compliment, comme une prouesse dont il était incapable.
— C’est une qualité que j’apprécie, chez toi. C’est apaisant. Mais tous ne savent pas le faire aussi facilement.
Elle reprit son chemin sur la plage, songeuse, essayant d’éviter son regard. Même si elle n’aimait pas ce qu’elle entendait, même si elle aurait voulu refuser qu’il y ait eu une raison à un tel massacre, elle comprenait ce qu’il disait. Et c’était frustrant.
— Si cela peut te permettre de te sentir au moins un peu mieux, ajouta-t-il en se mettant à sa hauteur, tu as sauvé d’innombrables vies.
Les lèvres pincées, elle hocha la tête. Il avait raison, et elle le savait, c’était même la raison pour laquelle elle avait décidé de ployer en premier lieu. Mais le sacrifice que cela avait induit, de sa part tout comme de la part d’enfants comme elle qui n’étaient en rien responsables, avait été trop grand pour qu’elle oublie aussi facilement. D’ailleurs…
— Que deviennent-ils ? Les enfants d’Helvethras ?
— Pages, écuyers, demoiselles de compagnie… ils ont tous été accueillis dans une grande famille. Je m’informe régulièrement de leur sort.
— Comment y arrives-tu ? À le faire sans te haïr ?
Il soupira, réfléchit, semblant se demander quelle était la meilleure manière de le présenter sans la blesser, mais sans pour autant lui cacher la vérité. Elle apprécia qu’il se donne le mal d’essayer d’être droit et honnête alors qu’il n’avait pas de comptes à lui rendre.
— Je ne garde pas de regrets, finit-il par dire, ayant enfin trouvé ses mots. Si j’agis, je connais les raisons qui m’ont poussé à le faire. Je ne tue pas par plaisir. Crois-moi, je suis conscient des morts que j’ai causées et des souffrances que j’ai engendrées, mais j’ai fait chaque choix en essayant de faire de mon mieux avec ce que je pouvais maîtriser.
Il se détourna, rebroussa chemin et, après une hésitation, Kyara le suivit. Dans son esprit, ses pensées tourbillonnaient, bruyantes, chaotiques, souvent inachevées. Elle aurait voulu dire un million de choses, mais elle n’arrivait pas à formuler une seule phrase cohérente. Alors elle se contenta de marcher derrière lui, pensive, secouée, et jusqu’à leur retour à la Citadelle, elle ne dit plus un mot.
Quand ils abandonnèrent l’air froid et salé des côtes pour rentrer à cheval dans la ville, les gens se précipitèrent sur leur chemin. Heureux ou malheureux, plaidant ou bénissant, ils se pressaient autour du couple impérial, si nombreux que la trentaine de gardes était incapable de les contenir tous. Kyara abandonna sa confusion le temps de distribuer quelques pièces, sourire, remercier, promettre d’aider. Les gens d’Avalaën lui paraissaient toujours aussi curieux, à la fois enjoués et brutaux, dignes mais pauvres pour la plupart. Elle se mêlait plus aisément à eux qu’elle ne s’était jamais mêlée aux citadins de Ciel, où l’étiquette gouvernait toutes les interactions. Ici, ils oubliaient parfois son titre, ils traitaient occasionnellement Yngvar comme un proche, pourtant leur comportement n’était jamais réprimé. Ils n’étaient pour autant ni riches ni désœuvrés, vivaient dans des maisonnettes de pierre et de bois, suffisamment larges pour accueillir trois générations d’une même famille, travaillaient toute la journée aux champs environnants ou à la mer.
Elle ne comprenait pas d’où venait la paisible tranquillité qui régnait sur la ville. Ni peur, ni colère ni insatisfaction semblaient trouver leur prise ici, tout le monde semblait comprendre que chacun avait un rôle à jouer, ne serait-ce que le plus petit, pour œuvrer au bien de la communauté.
En reportant son regard loin par-delà les toitures rouge brique de la Citadelle, vers le palais d’ambre qui dans le couchant orageux ne brillait pas de son éclat habituel, elle songea que, même si elle gardait en elle-même un peu de colère, de dépit et de rancœur, elle s’était plutôt bien acclimatée compte tenu de la situation. Elle pensa à la discussion qu’elle avait eue avec Yngvar, à ces gens autour d’elle, et nota que, effectivement, personne ici ne semblait vouloir vivre trop longtemps avec des regrets. Mais était-elle capable d’en faire de même, d’oublier ses espoirs et ses rêves de ce qui aurait pu être, pour se concentrer sur ce qui était ?
La réflexion la tint éveillée durant la lente remontée vers le palais, l’occupa jusqu’à ce qu’elle atteigne sa suite, et quand enfin elle fut débarrassée de ses pelisses, fourrures et lourdes capes, elle pensait avoir trouvé une réponse qui lui convenait. Elle ne pouvait plus ressasser ce qui avait été. Elle ne pouvait qu’aller de l’avant, apprendre à évoluer.
Elle voulut se tourner vers Yngvar, lui partager cette idée, le questionner peut-être sur ce qu’il en pensait, mais il lui coupa l’herbe sous le pied. Droit, direct, comme en toutes circonstances :
— Je pars dans quelques jours, sur ordre de ma mère. Je ne sais pas encore quand je reviendrai.
Et ce fut tout.

L’heure du départ était venue, et Kyara ne savait encore trop que ressentir à cette idée, et les adieux, quoique publics, furent si brefs qu’elle n’eut pas réellement le temps de se décider. Une fois dans la cour, avec le Troisième Bataillon soigneusement ordonné, tourné en direction de la grande porte, Yngvar se dirigea vers sa mère, lui adressa un sourire un peu froid, puis la serra dans ses bras. Il paraissait raide dans le geste, mais quand l’Impératrice lui souffla quelque chose à l’oreille, Kyara le vit se détendre et il se laissa aller. Leur étreinte perdura quelques secondes, puis ils se détachèrent l’un de l’autre, la souveraine lui souhaita un bon voyage, et il s’inclina respectueusement.
Kyara, ne sachant trop comment exprimer ces adieux, leva un instant la tête en plissant les yeux, avisa Alia et Varhalie d’Ombre qui, juchées sur leur monture à l’avant de la cohorte, observaient la scène avec des rictus de mépris. Elle grinça des dents, mais déjà, la silhouette massive du Corbeau voilait le soleil devant elle. Il lui prit doucement les mains, déposa un baiser furtif, si léger qu’elle le sentit à peine, sur son front, puis l’attira contre lui. La Cour poussa un soupir admirateur devant leur fausse affection, les vautours se transformèrent quelques instants en tigres qui ronronnaient doucement. Yngvar et Kyara demeurèrent quelques instants enlacés, puis il la libéra, et elle quitta presque à regret ses bras pourtant rudes.
— Porte-toi bien, Avelke.
Elle se prit à sourire au ton taquin qu’il employait, ils échangèrent un bref regard. Elle ne sut pas s’il arrivait à lire dans ses yeux la confusion et le tourbillon d’émotions contradictoires qui l’animaient, mais elle devina dans ses prunelles lilas quelque chose qui ressemblait à de la bienveillance ou de la compassion. Alors, rompant la distance qui s’était à nouveau instaurée entre eux, elle avança, se hissa sur la pointe des pieds, et effleura son nez du bout du sien. La coutume, courante à Helvethras même si elle venait à l’origine de la province d’Ombre, sembla le surprendre quelque peu, mais il finit par se fendre d’un sourire lui aussi.
Puis, il se détourna, se hissa en selle, aboya un ordre, et les cent hommes du Bataillon se mirent en mouvement comme un seul. Le fracas des sabots emplit la cour, s’intensifia lorsqu’ils prirent le trot. Et, quelques instants plus tard, ils n’étaient plus là.

Quand elle se coucha le soir, le lit lui parut grand et froid. Elle se roula en boule dans « sa » moitié, peu accoutumée à l’absence de chaleur ou de poids à sa droite. Même Kama, surpris par l’absence du maître des lieux, piétina quelques instants sur l’épais matelas, considérant avec curiosité l’espace soudain trop vide, trop large pour un seul corps frêle. Il finit par se lover, non pas comme souvent dans un coin du lit, le museau contre le nez de sa maîtresse, mais plutôt contre son ventre, où il se mit à ronronner. Elle posa par habitude la main sur son cou, poussa un long soupir et ferma les yeux, espérant s’endormir rapidement. Mais le sommeil fut long à venir.

Le lendemain matin, épuisée par une nuit de veille intermittente, elle émergea malgré tout très tôt, trop tôt même. Elle demeura allongée là où elle était de longues minutes, écoutant le silence qui régnait sur la pièce, fascinée. Pour peu, elle aurait pu croire qu’elle était seule au monde. La plupart du temps, c’était Yngvar qui se réveillait avec les premiers rayons de l’aube, et elle n’ouvrait les yeux que pour quelques secondes, le temps qu’il sorte du lit. Ensuite, elle les refermait et se rendormait poings fermés. Mais aujourd’hui, la routine était rompue.
Curieuse de voir ce que cela faisait d’être debout si tôt, elle osa lentement sortir un pied de l’épais édredon, frissonna au contact de l’air frais de la pièce. Il faisait pourtant bon dans le palais en cette fin d’automne… quand elle était vêtue de trois jupons et d’une jupe, d’une chemise, d’un corset et d’un corsage à manches longues. Elle tendit la main vers l’épaisse robe de chambre suspendue à un crochet non-loin du lit, s’en habilla à la hâte, enfonça ses pieds dans des pantoufles molletonnées, et soupira. L’automne était là depuis quelques décades, et les agréables climats de la Citadelle Rouge s’étaient transformés en jours pluvieux et froids. Même les jardins privés de la famille impériale n’étaient plus aussi beaux, et le simple fait d’y aller laissait la sensation d’être transi jusqu’aux os par la fine bruine qui tombait presque en permanence.
Ignorant la clochette près de son lit qui lui permettait d’appeler une femme de chambre, elle préféra s’aventurer seule, en peignoir et en pantoufles seulement, dans le grand salon de la suite. Un soldat du Premier Bataillon Sanglant, planté dans un coin de la pièce, lui adressa un salut quand elle entra, elle lui répondit d’un hochement de tête. Elle voulut s’assoir dans le canapé, prendre le livre qu’elle avait abandonné la veille sur la petite table, mais quelque chose en elle ne parvint pas à s’y résoudre. Ses pas la menèrent presque inconsciemment jusqu’à la petite porte à côté de la bibliothèque que, depuis son arrivée à la Citadelle, elle n’avait encore jamais ouverte.
C’était le bureau d’Yngvar.
Un instant, elle se demanda si le garde l’autoriserait à y pénétrer, mais il n’avait pas bougé de sa place près de la fenêtre et, quand elle leva furtivement la tête vers lui, il demeura aussi immobile qu’une statue. Alors, mûe par une curiosité grandissante, elle poussa lentement le battant, curieuse de découvrir le petit bureau qu’elle avait quelques fois entr’aperçu, où le Corbeau s’enfermait tous les matins pour au moins une heure et demie.
Au début, elle fut presque déçue de découvrir exactement ce qu’elle s’attendait à trouver : une petite salle impeccablement rangée, où rien ne dépassait des étagères, où tout semblait parfaitement à sa place ; un confort spartiate, un ordre méticuleux, aussi fermé que son propriétaire. Puis, le soleil levant qui jouait à cache-cache derrière les nuages osa un rayon timide par la fenêtre, et d’un seul coup, la pièce sembla prendre vie. Les boiseries des étagères et de la table s’illuminèrent de reflets chatoyants, les discrets cristaux d’ambre incrustés ça et là capturèrent la lumière pour la fragmenter en un millier d’éclats d’étoiles chaleureuses. Le souffle coupé, Kyara demeura figée sur place, inhala lentement l’air frais qui entrait par une fenêtre entr’ouverte. Comme dans un rêve, elle s’avança dans les rayons de lumière dansants, sans même sentir la fraîcheur de la brise. Ses doigts caressèrent le bois laqué de la table de travail, effleurèrent une douce plume posée dans son porte-plume, juste à côté de l’encrier. Elle fit encore quelques pas, se retrouva face à la fenêtre de gauche, et ne put s’empêcher de sourire rêveur en voyant les arbres devant elle. C’étaient les jardins privés de la famille impériale, un petit coin de verdure aux allures de conte, paré d’or et de rouge avec l’arrivée de l’automne.
Elle demeura plantée devant la fenêtre de longues minutes, observant simplement le vent qui agitait les feuilles mourantes et les herbes hautes. Puis, lorsqu’elle eut regardé de tout son soûl le jardin, elle se détourna. Le soleil était reparti se cacher, plongeant le bureau dans la morosité dans laquelle elle l’avait découvert, mais cette fois-ci, elle ne se laissa pas prendre au piège. Elle laissa son regard errer le long des étagères qui couvraient les murs, nota mille et un détails, ici une statuette de cavalier en bois, là un rouleau de papier ficelé, ailleurs encore une roche sombre exposée comme une pierre précieuse. Puis, en tournant la tête, elle vit la petite lampe de chevet à abat-jour de cristal, songea un instant aux reflets des flammes d’une chandelle dans les prismes translucides.
Le bureau était plutôt spacieux, sobrement meublé, laissant beaucoup d’espace à son occupant. Situé dans l’angle sud-est du palais, il devait recevoir de la lumière quasiment toute la journée, à l’exception peut-être des fins de soirée. Mais le Corbeau travaillait le matin, à l’aurore. Il avait ce soleil matinal qui venait chatouiller ses joues de ses rayons chauds, cet air frais qui sentait la rosée. Et elle comprit pourquoi il aimait venir ici dès le matin. Si elle s’était toujours levée aussi tôt, elle aussi, elle aurait probablement voulu un endroit pareil.
Réticente à quitter la pièce, elle finit par décider de fermer la fenêtre, puis alla chercher son livre dans le salon, et revint pour s’asseoir sur l’un des fauteuils à haut dossier, dos au jardin. Bientôt, Kama la rejoignit également, et ils passèrent la matinée blottis l’un contre l’autre.

Kyara découvrit au fil des jours que, seule, elle tendait à se lever plus tôt, aussi prit-elle bien vite l’habitude de s’installer dans le petit bureau. Elle n’osa jamais fureter dans les tiroirs ou déplacer ne serait-ce qu’un seul livre ou papier, mais le confort et le bien-être que la pièce lui apportait devinrent rapidement essentiels à ses réveils. Elle était capable de passer de longues heures dans les fauteuils profonds, les genoux repliés pour accommoder Kama lové sur ses cuisses, les yeux rivés sur son livre. Et ses femmes de chambre, qui ne s’attendaient pas à la voir éveillée avant dix heures, ne venaient jamais la déranger.
Elle prit aussi l’habitude de vadrouiller seule dans les jardins impériaux. Personne d’autre présent au palais, à part l’Impératrice, n’y était autorisé, aussi était-elle certaine de ne jamais être dérangée durant ses longues promenades. Elle admirait les roses qui finissaient de perdre leurs pétales, elle sommeillait sous un arbre lorsqu’il ne faisait pas trop froid, et elle passait de longues demi-heures devant le petit lac qui abritait des espèces de poissons colorés aux formes parfois saugrenues. Pour peu, elle aurait pu se sentir presque heureuse, s’il n’y avait pas eu cette étrange sensation de manque dans sa poitrine. Parfois, sa tranquillité sonnait creux, parfois le calme se transformait en solitude, et elle se prenait alors à se demander quand reviendrait Yngvar.
D’autres fois, elle se fustigeait de penser ainsi, arguant avec elle-même qu’elle aurait dû se sentir heureuse qu’il ne soit pas là. Elle se remémorait les mots de leur première nuit à la Citadelle : La seule responsabilité et le seul lien qui nous uniront seront ce mariage et nos futurs enfants. Mais elle ne parvenait jamais à s’en convaincre totalement. Dire qu’ils s’aimaient aurait été une exagération absurde, mais ils n’étaient pas non plus indifférents l’un à l’autre. La sensation de sa peau contre la sienne s’attardait dans ses souvenirs, elle se prenait à regretter le contact de ses doigts calleux posés sur le dos de sa main. Il avait d’infimes moments de tendresse envers elle, des rires amusés, des regards attentionnés, des gestes prévenants. Et elle les prenait chacun personnellement, comme un présent qui ne serait destiné qu’à elle seule, même lorsqu’ils étaient dans une salle de bal bondée.
Parfois, elle se demandait si elle n’essayait pas de se projeter dans quelque chose qui n’existait pas pour ne pas avoir à subir la crue réalité, mais elle n’y croyait pas. Elle préférait croire à ces instants fugaces, dans les rares fois où ils prenaient le temps de se voir et de se parler à cœur ouvert. D’autres fois encore, elle se demandait combien de temps il faudrait pour qu’ils sachent réellement se faire face et vivre ensemble, accepter ce qui les avait amenés là et ce qui les attendait encore.
Elle aimait autant qu’elle détestait ces questions qui la hantaient trop souvent. Il y avait des moments où elle était incapable de se concentrer sur sa lecture tant les pensées s’emmêlaient dans sa tête. Et l’un des jours où c’était le cas, où le tourbillon sous son crâne menaçait de l’emporter dans une journée maussade et songeuse, une tête casquée pointa un instant dans l’embrasure de la porte du petit bureau. Elle voulut se retirer aussitôt, mais elle cogna contre le battant, et un grognement étouffé, indubitablement féminin, se répercuta entre les plaques d’acier du heaume.
— Uma ?
La soldate s’immobilisa.
— Je sais que c’est toi, insista Kyara en fermant son livre sur le marque-page en cuir tanné. Viens t’assoir s’il te plaît.
C’était si étrange. Elle n’avait quasiment plus vu Uma depuis le mariage. Les rares fois où elle avait été de garde dans la suite princière, elle était demeurée plantée comme un piquet entre deux murs qui se fermaient derrière elle à angle droit, aussi figée qu’une statue. Et Kyara comprenait qu’elle évite le poste à tout prix, au vu de ce qu’elle avait vécu avec Yngvar…
— Ce n’est pas contre les règles ou l’étiquette, non ? ajouta-t-elle encore.
Elle voulait lui parler. Elle ne voulait pas de cette distante froideur. Elle n’avait personne ici, au moins pouvait-elle peut-être avoir Uma à qui se confier ? Elle n’avait même pas pu la remercier pour Kama jusque-là.
Clairement réticente, la soldate finit malgré tout par céder et s’approcha à petits pas dans le bureau. Il faisait gris dehors, même si la luminosité était suffisante pour permettre la lecture, et la pièce paraissait un peu morose, mais au bout de trois décades, Kyara avait fini par y prendre ses marques. Exceptionnellement, elle avait même sonné les femmes de chambre un peu plus tôt afin qu’elles lui préparent un thé, et il était posé non-loin de l’encrier. Quand Uma contourna la table, elle manqua de le renverser, mais elle parvint finalement à esquiver le désastre. Elle se posa au bord d’un fauteuil, l’air raide, et enleva précautionneusement son heaume avant de risquer un regard nerveux autour.
— Ça fait longtemps que tu t’installes ici ? osa-t-elle après quelques secondes d’observation.
— Depuis qu’il n’est plus là. Je ne dors plus autant qu’avant, le matin, je ne sais trop pourquoi.
— Ah.
— Pourquoi ?
— Non, pour rien.
Leur échange aurait pu être aussi impersonnel qu’avec une courtisane qu’elle aurait croisée dans les couloirs, et Kyara haït cette impression. Une main dans le poil long de Kama, elle finit par se fendre d’un sourire.
— Je voulais te remercier, Uma.
— Ah ?
— Pour Kama.
Elle désigna du menton la petite bête, plus vraiment un chaton mais pas encore un adulte. Plus de sept lunes étaient passées depuis qu’elle l’avait eu, et jamais elle n’avait réellement eu le temps ou l’occasion de formuler à haute voix ces remerciements. Pourtant, ils lui faisaient chaud au cœur, car Kama était le soleil de sa vie.
— Avec plaisir, princesse, finit par soupirer Uma, comme à contre-cœur.
— Ça ne semble pas honnête, marmonna Kyara avec une grimace.
La soldate l’entendit, et se fendit d’un sourire qui, lui, semblait sincère.
— Désolée, princesse.
Elles demeurèrent ainsi un moment en silence avant que Kyara n’ose, étonnamment sans trop de crainte, aborder un sujet qui risquait quelque peu de fâcher :
— Comment as-tu connu Yngvar ?
Le sourire d’Uma se fit rancunier et amer, elle passa une main dans ses cheveux bruns. Elle les avait coupés presque aussi courts que ceux d’un homme, mais étrangement, cela n’enlevait rien à son allure féminine. Kyara songea même que, pour être pleinement honnête, elle préférait la soldate avec ses cheveux courts.
— Il n’en a jamais parlé, n’est-ce pas ? rumina Uma. Je suppose qu’évoquer la guerre devant toi n’est pas la meilleure manière de solidifier vos relations…
L’absence de tact rappela à Kyara la soirée de mariage, où Uma avait sans crainte répondu à Alia et Varhalie d’Ombre malgré leur différence de statut. Mesurer ses mots, ce n’était décidément pas quelque chose qui la caractérisait. C’était aussi peut-être ce qu’Yngvar avait aimé chez elle, quelque chose que Kyara peinait à maîtriser. Elle savait que la Cour d’Avalaën était plus ouverte, mais il ne lui serait jamais venu à l’esprit, à Ciel, qu’une soldate la regarde dans les yeux et ose parler de sa relation avec son époux sur ce ton aigre.
— Raconte-moi, alors… plaida-t-elle doucement.
Uma se laissa aller un peu plus profond dans le fauteuil, soupira longuement, les yeux perdus dans le vague.
— Nous avons grandi ensemble… avec les autres membres des Bataillons.
Kyara battit des paupières, stupéfaite, mais elle n’osa pas interrompre le fil de souvenirs qui commençait à se dérouler.
— Quand Yngvar a eu dix étés, tous les jeunes enfants d’âge proche ont été recrutés, sans distinctions de famille, de rang ou de genre. On avait tous entre sept et quatorze étés, et on était des milliers, répartis en camps. Mais très vite, les plus faibles ont été écartés, renvoyés chez eux. Les camps ont été réduits, puis fusionnés. Quand j’ai eu seize étés, on était mille cinq cents.
Un silence.
— On était tous dans le même camp, à ce stade. On vivait ensemble, indépendamment du reste de l’Empire, on organisait nos chasses, nos entraînements, notre vie. On formait presque une famille, à ceci près qu’on se lattait régulièrement la tronche, ajouta-t-elle avec un éclat de rire. On adorait les mêlées générales. On se rouait de coups avec des épées en bois, on simulait des batailles. C’était à la fois joyeux et en même temps… on savait très bien pourquoi on était préparés ainsi.
Elle reprit son souffle, soupira, l’air de vouloir écarter de ses souvenirs certains moments.
— L’Impératrice venait souvent, c’était même elle qui jugeait souvent les épreuves éliminatoires. Mais quand on est tombés à mille trois cents, elle a arrêté de venir pour nous juger. Elle est juste revenue régulièrement, au moins une fois par lune, pour quelques jours. Elle vivait comme nous, comme Yngvar, dans des petites constructions, partageant sa chambre avec d’autres filles des Bataillons. Elle venait voir son fils, mais on sentait qu’elle venait aussi pour nous.
Kyara songea à ces vies d’orphelins qui grandissaient ensemble, éloignés de leurs vraies familles, éduqués dans ce qui semblait être l’art de la guerre. Et soudain, elle comprit pourquoi Helvethras n’avait jamais eu une chance contre l’armée d’Avalaën. Ils n’avaient pas juste affronté l’armée, ils avaient affronté dix des treize Bataillons Sanglants, mille soldats qui avaient appris à se battre ensemble dès l’enfance. Mille soldats qui avaient élaboré ensemble leur stratégie, en plus de l’armée régulière de quelques milliers d’autres qui avaient eux aussi eu un début d’éducation martiale dans leur jeunesse. Même si les dix escadrons d’élite n’avaient pas amené à eux seuls la victoire, ils y avaient certainement très largement contribué.
— On a tous grandi avec Yngvar, là-bas, poursuivait Uma, inconsciente des troubles de la jeune fille. Et il a grandi avec nous. J’avais dix-sept étés quand on a choisi nos Bataillons. Et, pour continuer à être avec lui, j’ai choisi le Premier.
Sa voix trembla, se fêla.
— Je savais que je… qu’on… n’avait aucune chance. Sa mère me l’avait dit en face. Mais je ne voulais pas le laisser à une autre de ces pimbêches du Premier… et je m’étais dit que, quand l’heure viendrait, je saurais affronter la réalité.
Elle parlait de bataille, mais son ton sonnait la défaite.
— Je suis désolée… souffla Kyara.
— Tu n’as pas à l’être, ricana Uma. Tu as suffisamment subi, tu n’as pas à t’excuser en plus pour les choix que tu n’as pas pu faire. C’est moi. J’ai été aveugle. Idiote.
À cela, Kyara ne sut que répondre. Heureusement, Uma avait choisi de se laisser aller, et elle parlait pour deux.
— Je ne sais même pas ce qui m’a fait croire… Enfin. Je n’ai plus mon mot à dire. Mais rester dans cette pièce… surtout pour voir la distance entre vous… Tout ça pour ça.
Elle chassa rageusement une larme égarée, puis une autre, renifla, battit des paupières. Il y avait de la colère dans son attitude, mais une peine immense derrière ses yeux sombres. Démunie par cet ouragan qu’elle avait sciemment déclenché, sans s’attendre à dévoiler de telles failles, Kyara se demanda ce qu’elle pouvait faire pour détourner le sujet, permettre à Uma de se reprendre.
— Penses-tu que…
Elle hésita, secoua la tête. Le souvenir du soldat qui l’avait méprisée et insultée avait beau être lointain, désormais, elle n’osait pas encore formuler une question aussi étrange. Mais Uma se contenta de relever ses yeux embués pour la regarder en face, et haussa les sourcils, dans l’attente de la suite.
— Est-ce que je pourrais apprendre… à me battre ?
Uma n’eut aucune réaction.
— Pas comme vous, juste savoir me déf…
— Tu veux essayer de lui plaire.
Il y avait tant de tristesse dans la voix de la femme que la rancœur s’y serait presque perdue, mais elle persistait comme un arrière-goût de vin amer.
— Tu ne sais même plus trop si tu dois l’aimer ou le détester ? ajouta-t-elle.
Soudain vulnérable face à ces yeux trop clairvoyants, trop directs, Kyara blêmit et détourna le regard. Elle ne voulait pas lui plaire. Mais elle voulait pouvoir se défendre. Les lunes avaient trop vite défilé, et pourtant elle était toujours au même point, aussi impuissante qu’auparavant. Et même si elle ne se faisait guère d’illusions sur sa force, elle voulait savoir où frapper. Se protéger, à défaut d’avoir quelqu’un pour la protéger. Mais Uma ne semblait pas l’avoir entendu de cette oreille, et il aurait probablement été vain d’essayer de la convaincre.
— Laisse-moi deux jours pour y réfléchir, d’accord ? Si ce n’est pas moi, quelqu’un d’autre, quelqu’un de confiance, t’apprendra.

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ACTE III (2/3)
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Re: Kyara III (1/3)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : mer. 29 sept., 2021 9:53 am
ACTE III : L'OUBLIÉE
(1/3)


Le violent fracas des vagues avait envahi les oreilles de Kyara, si bruyant qu’elle n’entendait plus rien d’autre. À ses côtés se tenaient Yngvar et l’Impératrice, debout au bord de la mer, leurs lourdes bottes de cuir s’enfonçant dans le sable gorgé d’eau. Figés, rigides comme des statues, ils observaient en silence les flammes mourantes. À leur droite, Kyara, la tête droite, s’efforçait d’arborer un air grave de circonstance, tandis qu’à leur gauche, Elara, ses trois filles et leurs propres enfants semblaient s’ennuyer ferme. Il s’agissait pourtant de leur famille, mais leur indifférence apparente donnait à Kyara des frissons.
Quand les derniers crépitements du bois flotté s’éteignirent et qu’il ne resta que de noirs charbons rougeoyant encore par endroits, la foule commença à se disperser en petits groupes, et le recueillement qui l’avait réduite au silence s’effaça dans les conversations nostalgiques. Une vingtaine de personnes avaient brûlé aujourd’hui, et si les funérailles étaient habituelles, la présence de la famille impériale l’était nettement moins. Mais l’Impératrice avait insisté pour que Senna soit brûlée avec le commun du peuple de la Citadelle Rouge, arguant que c’était ce que la vieille femme aurait voulu, et personne n’avait réellement osé la contredire. Du moins pas à haute voix.
La rancœur et la colère se lisaient cependant sur quelques visages, du côté de la famille impériale éloignée, à commencer par la grand-mère, Elara. Ancienne épouse d’Aren le Conquérant, tante par alliance de l’empereur actuel, c’était une femme âgée, à la peau fripée et au visage doux. Mais, à l’heure actuelle, il n’y avait aucune gentillesse dans ses yeux ou son expression alors qu’elle regardait les dernières braises qui finissaient de se consumer.
— Senna n’aurait jamais voulu ça, siffla-t-elle d’une voix éraillée en jetant un regard mauvais du côté de l’Impératrice. Elle méritait d’être honorée comme un membre de la famille impériale. :arrow: Mdr bon je vais aller checker l'arbre généalogique ok :lol: Bon, j'ai pas trouvé Senna, mais je comprends mieux la position des autres personnages présents 8-)
Cette dernière se contenta d’un sourire glacé, hocha la tête à son intention.
— Tout comme toi ou moi, Elara Sen, elle n’a fait que s’unir à la famille impériale. Nous venons du commun du peuple, sinon.
Elara renifla, méprisante, et se détourna. Sa petite-fille, Jacelynn, lança un coup d’œil peu amène à Yngvar, cracha presque en passant devant lui, arracha la bride des mains du garde qui tenait le cheval. Kyara, figée, frémit à peine en la regardant passer. La colère de la jeune femme, de quelques étés son aînée, paraissait aussi virulente que futile et inoffensive face à ce qui pouvait parfois émaner d’Yngvar. C’était presque risible qu’elle mette autant d’énergie dans son allure colérique.
— Fais attention, Jacelynn, on pourrait presque te prendre pour un chaton énervé, lança-t-il comme s’il pensait à la même chose.
Écarlate, la jeune femme se hissa rageusement sur sa selle, donna un brusque coup de talons à sa monture qui, surprise et effrayée, fit un bond vers l’avant, manquant de la jeter au sol. Kyara, Yngvar et l’Impératrice, :arrow: La dernière virgule est pas forcément nécessaire je pense ? pouffèrent d’un même ensemble, pour ne s’attirer que davantage de regards furieux des trois femmes qui restaient. Mais le prince héritier les ignora avec un fin sourire, se tourna vers Kyara et lui demanda :
— Voudrais-tu marcher un peu avec moi ?
Elle hocha la tête, posa son bras sur le sien, et après s’être incliné une dernière fois devant ce qui restait du bûcher pour murmurer « Zhakar Esgari nargkis », une formule de respect destinée aux morts, il se dirigea vers la plage vide qui s’étendait à perte de vue autour d’eux. Bénissant son épaisse cape de ourlée :arrow: petite confusion ! de zibeline, fermement serrée autour de sa poitrine, ses bottes fourrées et la chapka duveteuse, Kyara s’engagea à ses côtés. Loin de la chaleur rémanente du brasier, il faisait un froid glacial, à en fendre les pierres. La mer infinie, d’un bleu virant au gris, était bruyante, colérique, mais nettement moins maintenant qu’ils s’étaient éloignés des amas rocheux sur lesquels les vagues venaient s’écraser.
En tournant légèrement la tête, Kyara nota les gardes qui restaient sur leurs talons, suffisamment éloignés pour ne pas les interrompre ni entendre leur discussion, suffisamment proches pour intervenir si un danger se profilait. Leur présence familière et rassurante aurait pu lui sembler envahissante des lunes plus tôt, mais aujourd’hui, elle s’y était habituée. Pour la trentaine qui était assignée en permanence à sa sécurité, elle les connaissait presque tous par leurs noms, elle commençait à connaître leurs habitudes, leur façon de parler, les relations qu’ils entretenaient. Elle commençait même à les apprécier, comme elle avait appris à apprécier Uma.
— Comment était ta grand-mère ? interrogea-t-elle en revenant à son époux. :arrow: Aaaah c'est juste qu'elle est marquée d'un ? sur l'arbre gén, je comprends mieux :mrgreen:
— Froide. Distante. Je ne l’ai jamais vraiment connue, elle fuyait ma mère comme la peste, et elle m’évitait presque autant.
— Ah ?
Il soupira.
— Pourtant, c’était une femme gentille. Mais elle n’approuvait pas les choix de mon grand-père Dieter. Et moi… je ne sais pas vraiment ce qu’elle avait contre moi, mais elle n’a jamais su passer outre.
Kyara pinça les lèvres, regrettant d’avoir abordé le sujet. La famille souveraine avalonienne n’était pas exactement… aimante, même si elle avait bien compris que, entre Yngvar, Saedor et sa mère, c’était une affection pure et sincère. Mais dès qu’on sortait de ce petit cercle fermé, l’agressivité montait, les complots naissaient, la rancœur grondait.
— Et Elara ? Jacelynn ?
— Jacelynn est une tête brûlée, et Elara une mégère aigrie. Elle aurait pu être la souveraine des deux terres si Aren n’avait pas été renversé.
— Mais c’est Dieter qui est devenu empereur après son échec.
— Exact. Elle ne l’a jamais digéré. Et je pense que sa haine brûle toujours à cause de ma mère, qui a réussi là où Elara et Aren ont échoué.
Décidément, tout tournait toujours autour de l’Impératrice inconnue, l’innommée. Sailentera :arrow: En italique ? N'empêche, j'y pense, c'est fou comme personne tilte. Même le père et l'oncle de Kyara n'y ont jamais pensé ?, l’oubliée. Il semblait que, partout où elle passait, elle faisait ressortir le caractère profond des hommes, cristallisait les tensions, alimentait les conflits. Elle était revenue à Avalaën depuis deux lunes, et en cette longue période, Kyara avait eu le temps de l’observer sur la scène de la Cour. Elle n’intervenait que rarement elle-même, si ce n’était pour des luttes qui la concernaient directement, mais chacune de ses interventions était aussi redoutable qu’un coup de poignard. Quand elle éliminait quelqu’un, elle ne le laissait pas pour mort, elle s’assurait de son annihilation totale. Grâce à elle, Kyara avait compris d’où Yngvar tenait sa froideur, sa ténacité, son indifférence et sa brutalité.
Pourtant, elle n’agissait jamais dans la démesure, ni n’essayait de couvrir ses actes sous un vernis lustré. Ses colères placides, rares et maîtrisées, effrayaient souvent davantage que la violence effective de son fils. Tous deux étaient aussi implacables l’un que l’autre, mais là où Yngvar éliminait toujours le problème, aussi efficace que rapide, l’Impératrice prenait le problème à revers, le transformait, faisait tourner le responsable en bourrique jusqu’à ce qu’il commette l’erreur qui l’arrangeait, elle. Elle ne pardonnait jamais, n’offrait guère de seconde chance, et ne manifestait jamais de remords.
— Si tu ne veux pas répondre à cette question, reprit-il après réflexion, ne réponds pas, mais… comment était ta famille ?
En entendant la question, Kyara s’étonna de ne ressentir qu’un léger pincement au cœur, à peine perceptible. Le souvenir brouillé des derniers instants de son père s’effaça, remplacé par son sourire lumineux. Elle retomba des étés en arrière, durant une promenade à cheval dans les vergers non-loin du château, et une bouffée de nostalgie la submergea.
— Mon père…
Elle hésita.
— Je n’étais pas souvent avec lui. Il avait toujours un million de conseillers à voir, des dizaines d’entretiens et de réunions dans la journée. Quant-à :arrow: Tiret ? :geek: ma mère, elle n’a jamais été très patiente avec moi, même si elle a essayé de me donner les meilleurs précepteurs. Mais elle n’a jamais aimé vivre à Ciel, elle retournait à Eau dès qu’elle pouvait. Et j’ai eu un petit frère, qui est tombé malade quelques lunes après sa naissance.
— Nelvan.
Elle leva la tête, ébahie.
— Nous avons toujours reçu tous vos faire-parts, toutes vos invitations. Ton père a essayé, des années durant, de ré-instaurer une sorte de paix moins fragile.
— Mais pourquoi…?
— C’était inconcevable. Ni pour ma mère, ni pour les ambitions de mon grand-père. J’en suis profondément désolé.
Un goût amer dans la gorge, Kyara avala sa salive, secoua la tête.
— Je ne sais pas ce que nous avons fait pour…
— C’est normal. Il y a des squelettes qu’il vaut mieux laisser enterrés.
— Vous brûlez vos morts, fit-elle remarquer avec une pointe d’acidité.
— Mais vous les enterrez. Enfin, sauf à Eau. Nos morts et leurs erreurs sont réduits en cendres, mais c’est vos squelettes qui ont provoqué ça.
— Et personne n’aurait rien pu y changer ? s’insurgea-t-elle, soudain furieuse.
Il ralentit, baissa la tête pour la regarder droit dans les yeux. Il n’y avait aucune colère dans son attitude. Ses traits étaient fermés, comme toujours, mais il paraissait incapable de s’irriter contre elle. Un instant, cette idée même qu’elle n’arrive jamais à le faire sortir de ses gonds l’exaspéra encore davantage, puis elle chassa la pensée.
— Si tu souhaites savoir, dis-le, et je t’expliquerai. Parce que je suppose que tu ne connais pas la vérité.
Elle hésita, déstabilisée par la froide indifférence qui suintait de son ton. C’était comme s’il ne se sentait pas attaché à ce conflit, comme s’il n’y avait jamais pris part. Alors que pourtant, son implication était loin d’avoir été négligeable. Il avait commandé les Bataillons Sanglants, mené les assauts, tué quantité de soldats helvethriens. Tout ça pour une vieille affaire datant d’une époque qui avait précédé sa naissance ?
— Est-ce que ça te concernait ?
Les soldats derrière eux s’étaient immobilisés, eux aussi, il n’y avait personne à part eux à quelques centaines de pas aux alentours. En cet instant, Kyara se sentit comme au premier jour face à Yngvar, un fétu de paille fragile face à une montagne froide et inébranlable.
— Pas directement.
— Alors pourquoi avoir combattu ?
— Parce que c’était ce qu’on attendait de moi. Et si cela n’avait pas été moi, cela aurait été quelqu’un d’autre.
Elle déglutit. Une colère ancienne, vestige d’un passé pas si lointain, la hantait encore. Elle l’avait presque oubliée, diluée dans le temps qui avait passé, enfouie sous les nouvelles émotions qu’elle ressentait depuis, mais elle se demanda si elle parviendrait réellement à la faire disparaître un jour.
— Ta colère. Celle que tu as ressentie quand ton père est mort.
Elle haussa les sourcils à l’intention d’Yngvar, qui poursuivit :
— Prends-la, alimente-la durant des hivers durant lesquelles tu ne peux rien faire si ce n’est attendre et te préparer à détruire ceux qui ont essayé de te détruire. Essaie d’imaginer que tu as une chance d’y arriver, qu’il te suffit juste d’un peu de patience.
Elle essaya, laissa la colère remonter des profondeurs de l’oubli, la nourrit de sa peur et de son impuissance, l’espace de quelques secondes. La rage, pérenne, dévorante, aussi imprévisible qu’un incendie, qui en résulta, la laissa pantoise, le souffle court, l’esprit embrouillé. Si cela n’avait pas été Yngvar en face d’elle, elle l’aurait peut-être étranglé.
— Qu’aurais-tu fait si tu avais ressenti cela durant des hivers ?
La réponse était une phrase qu’elle n’osait proférer de peur de réveiller cette haine. Et elle comprit où il voulait en venir. Quel que soit le crime ou l’outrage qui avait été commis, il avait brûlé durant trop longtemps pour être simplement étouffé. Elle-même se serait consumée depuis bien longtemps si elle avait dû attendre autant pour assouvir sa colère.
— Princesse, tu pardonnes vite.
Dans la bouche d’Yngvar, cela sonnait presque comme un compliment, comme une prouesse dont il était incapable.
— C’est une qualité que j’apprécie, chez toi. C’est apaisant. Mais tous ne savent pas le faire aussi facilement.
Elle reprit son chemin sur la plage, songeuse, essayant d’éviter son regard. Même si elle n’aimait pas ce qu’elle entendait, même si elle aurait voulu refuser qu’il y ait eu une raison à un tel massacre, elle comprenait ce qu’il disait. Et c’était frustrant.
— Si cela peut te permettre de te sentir au moins un peu mieux, ajouta-t-il en se mettant à sa hauteur, tu as sauvé d’innombrables vies.
Les lèvres pincées, elle hocha la tête. Il avait raison, et elle le savait, c’était même la raison pour laquelle elle avait décidé de ployer en premier lieu. Mais le sacrifice que cela avait induit, de sa part tout comme de la part d’enfants comme elle qui n’étaient en rien responsables, avait été trop grand pour qu’elle oublie aussi facilement. D’ailleurs…
— Que deviennent-ils ? Les enfants d’Helvethras ?
— Pages, écuyers, demoiselles de compagnie… ils ont tous été accueillis dans une grande famille. Je m’informe régulièrement de leur sort.
— Comment y arrives-tu ? À le faire sans te haïr ?
Il soupira, réfléchit, semblant se demander quelle était la meilleure manière de le présenter sans la blesser, mais sans pour autant lui cacher la vérité. Elle apprécia qu’il se donne le mal d’essayer d’être droit et honnête, alors même qu’il n’avait pas de comptes à lui rendre.
— Je ne garde pas de regrets, finit-il par dire, ayant enfin trouvé ses mots. Si j’agis, je connais les raisons qui m’ont poussé à le faire. Je n’agis pas sur un coup de tête, je ne tue pas par plaisir. Crois-moi, je suis conscient des morts que j’ai causés :arrow: causées ? et des souffrances que j’ai engendrées, mais j’ai fait chaque choix en essayant de faire de mon mieux avec ce que je pouvais maîtriser.
Il se détourna, rebroussa chemin et, après une hésitation, Kyara le suivit. Dans son esprit, ses pensées tourbillonnaient, bruyantes, chaotiques, souvent inachevées. Elle aurait voulu dire un million de choses, mais elle n’arrivait pas à formuler une seule phrase cohérente. Alors elle se contenta de marcher derrière lui, pensive, secouée, et jusqu’à leur retour à la Citadelle, elle ne dit plus un mot.
Quand ils abandonnèrent l’air froid et salé des côtes pour rentrer à cheval dans la ville, les gens se précipitèrent sur leur chemin. Heureux ou malheureux, plaidant ou bénissant, ils se pressaient autour du couple impérial, si nombreux que la vingtaine de gardes était incapable de les contenir tous. Kyara abandonna sa confusion le temps de distribuer quelques pièces, sourire, remercier, promettre d’aider. Les gens d’Avalaën lui paraissaient toujours aussi curieux, à la fois enjoués et brutaux, dignes mais pauvres pour la plupart. Elle se mêlait plus aisément à eux qu’elle ne s’était jamais mêlée aux citadins de Ciel, où l’étiquette gouvernait toutes les interactions. Ici, ils oubliaient parfois son titre, ils traitaient occasionnellement Yngvar comme un proche, pourtant leur comportement n’était jamais réprimé. Ils n’étaient pour autant ni riches ni désœuvrés, vivaient dans des maisonnettes de pierre et de bois, suffisamment larges pour accueillir trois générations d’une même famille, travaillaient toute la journée aux champs environnants ou à la mer.
Elle ne comprenait pas d’où venait la paisible tranquillité qui régnait sur la ville. Ni peur, ni colère ni insatisfaction semblaient trouver leur prise ici, tout le monde semblait comprendre que chacun avait un rôle à jouer, ne serait-ce que le plus petit, pour œuvrer au bien de la communauté.
En reportant son regard loin par-delà les toitures rouge brique de la Citadelle, vers le palais d’ambre qui dans le couchant orageux ne brillait pas de son éclat habituel, elle songea que, même si elle gardait en elle-même un peu de colère, de dépit et de rancœur, elle s’était plutôt bien acclimatée, compte tenu de la situation. Elle pensa à la discussion qu’elle avait eue avec Yngvar, à ces gens autour d’elle, et se dit que, effectivement, personne ici ne semblait vouloir vivre trop longtemps avec des regrets. Mais était-elle capable d’en faire de même, d’oublier ses espoirs et ses rêves de ce qui aurait pu être, pour se concentrer sur ce qui était ?
La réflexion la tint éveillée durant la lente remontée vers le palais, l’occupa jusqu’à ce qu’elle atteigne sa suite, et quand enfin elle fut débarrassée de ses pelisses, fourrures et lourdes capes, elle pensait avoir trouvé une réponse qui lui convenait. Elle ne pouvait plus ressasser ce qui avait été. Elle ne pouvait qu’aller de l’avant, apprendre à évoluer.
Elle voulut se tourner vers Yngvar, lui partager cette idée, le questionner peut-être sur ce qu’il en pensait, mais il lui coupa l’herbe sous le pied. Droit, direct, comme en toutes circonstances :
— Je pars dans quelques jours, sur ordre de ma mère. Je ne sais pas encore quand je reviendrai.
Et ce fut tout. :arrow: Ah.

L’heure du départ était venue, et Kyara ne savait encore trop que ressentir à cette idée, et les adieux, quoique publics, furent si brefs qu’elle n’eut pas réellement le temps de se décider. Une fois dans la cour, avec le Troisième Bataillon soigneusement ordonné, tourné en direction de la grande porte, Yngvar se dirigea vers sa mère, lui adressa un sourire un peu froid, puis la serra dans ses bras. Il paraissait raide dans le geste, mais quand l’Impératrice lui souffla quelque chose à l’oreille, Kyara le vit se détendre et il se laissa aller. Leur étreinte perdura quelques secondes, puis ils se détachèrent l’un de l’autre, la souveraine lui souhaita un bon voyage, et il s’inclina respectueusement.
Kyara, ne sachant trop comment exprimer ces adieux, leva un instant la tête en plissant les yeux, avisa Alia et Varhalie d’Ombre qui, juchées sur leur monture à l’avant de la cohorte, observaient la scène avec des rictus de mépris. Elle grinça des dents, mais déjà, la silhouette massive du Corbeau voilait le soleil devant elle. Il lui prit doucement les mains, déposa un baiser furtif, si léger qu’elle le sentit à peine, sur son front, puis l’attira contre lui. La Cour poussa un soupir admirateur devant leur fausse affection, les vautours se transformèrent quelques instants en tigres qui ronronnaient doucement. Yngvar et Kyara demeurèrent quelques instants enlacés, puis il la libéra, et elle quitta presque à regret ses bras pourtant rudes.
— Porte-toi bien, Avelke.
Elle se prit à sourire au ton taquin qu’il employait, ils échangèrent un bref regard. Elle ne sut pas s’il arrivait à lire dans ses yeux la confusion et le tourbillon d’émotions contradictoires qui l’animaient, mais elle devina dans ses prunelles lilas quelque chose qui ressemblait à de la bienveillance ou de la compassion. Alors, rompant la distance qui s’était à nouveau instaurée entre eux, elle avança, se hissa sur la pointe des pieds, et effleura son nez du bout du sien. La coutume, courante à Helvethras même si elle venait à l’origine de la province d’Ombre, sembla le surprendre quelque peu, mais il finit par se fendre d’un sourire lui aussi.
Puis, il se détourna, se hissa en selle, aboya un ordre, et les cent hommes du Bataillon se mirent en mouvement comme un seul. Le fracas des sabots emplit la cour, s’intensifia lorsqu’ils prirent le trot. Et, quelques instants plus tard, ils n’étaient plus là.

Quand elle se coucha le soir, le lit lui parut grand et froid. Elle se roula en boule dans « sa » moitié, peu accoutumée à l’absence de chaleur ou de poids à sa droite. Même Kama, surpris par l’absence du maître des lieux, piétina quelques instants sur l’épais matelas, considérant avec curiosité l’espace soudain trop vide, trop large pour un seul corps frêle. Il finit par se lover, non pas comme souvent dans un coin du lit, le museau contre le nez de sa maîtresse, mais plutôt contre son ventre, où il se mit à ronronner. Elle posa par habitude la main sur son cou, poussa un long soupir et ferma les yeux, espérant s’endormir rapidement. Mais le sommeil fut long à venir.

Le lendemain matin, épuisée par une nuit de veille intermittente, elle émergea malgré tout très tôt, trop tôt même. Elle demeura allongée là où elle était de longues minutes, écoutant le silence qui régnait sur la pièce, fascinée. Pour peu, elle aurait pu croire qu’elle était seule au monde. La plupart du temps, c’était Yngvar qui se réveillait avec les premiers rayons de l’aube, et elle n’ouvrait les yeux que pour quelques secondes, le temps qu’il sorte du lit. Ensuite, elle les refermait et se rendormait poings fermés. Mais aujourd’hui, la routine était rompue.
Curieuse de voir ce que cela faisait d’être debout si tôt, elle osa lentement sortir un pied de l’épais édredon, frissonna au contact de l’air frais de la pièce. Il faisait pourtant bon dans le palais en cette fin d’automne… quand elle était vêtue de trois jupons et d’une jupe, d’une chemise, d’un corset et d’un corsage à manches longues. Elle tendit la main vers l’épaisse robe de chambre suspendue à un crochet non-loin du lit, s’en habilla à la hâte, enfonça ses pieds dans des pantoufles molletonnées, et soupira. L’automne était là depuis quelques décades, et les agréables climats de la Citadelle Rouge s’étaient transformés en jours pluvieux et froids. Même les jardins privés de la famille impériale n’étaient plus aussi beaux, et le simple fait d’y aller laissait la sensation d’être transi jusqu’aux os par la fine bruine qui tombait presque en permanence.
Ignorant la clochette près de son lit qui lui permettait d’appeler une femme de chambre, elle préféra s’aventurer seule, en peignoir et en pantoufles seulement, dans le grand salon de la suite. Un soldat du Premier Bataillon Sanglant, planté dans un coin de la pièce, lui adressa un salut quand elle entra, elle lui répondit d’un hochement de tête. Elle voulut s’assoir dans le canapé, prendre le livre qu’elle avait abandonné la veille sur la petite table, mais quelque chose en elle ne parvint pas à s’y résoudre. Ses pas la menèrent presque inconsciemment jusqu’à la petite porte à côté de la bibliothèque que, depuis son arrivée à la Citadelle, elle n’avait encore jamais ouverte.
C’était le bureau d’Yngvar.
Un instant, elle se demanda si le garde l’autoriserait à y pénétrer, mais il n’avait pas bougé de sa place près de la fenêtre et, quand elle leva furtivement la tête vers lui, il demeura aussi immobile qu’une statue. Alors, mûe :arrow: mue non ? par une curiosité grandissante, elle poussa lentement le battant, curieuse de découvrir le petit bureau qu’elle avait quelques fois entr’aperçu, où le Corbeau s’enfermait tous les matins pour au moins une heure et demie.
Au début, elle fut presque déçue de découvrir exactement ce qu’elle s’attendait à trouver : une petite salle impeccablement rangée, où rien ne dépassait des étagères, où tout semblait parfaitement à sa place ; un confort spartiate, un ordre méticuleux, aussi fermé que son propriétaire. Puis, le soleil levant qui jouait à cache-cache derrière les nuages osa un rayon timide par la fenêtre, et d’un seul coup, la pièce sembla prendre vie. Les boiseries des étagères et de la table s’illuminèrent de reflets chatoyants, les discrets cristaux d’ambre incrustés ça et là capturèrent la lumière pour la fragmenter en un millier d’éclats d’étoiles chaleureuses. Le souffle coupé, Kyara demeura figée sur place, inhala lentement l’air frais qui entrait par une fenêtre entr’ouverte. Comme dans un rêve, elle s’avança dans les rayons de lumière dansants, sans même sentir la fraîcheur de la brise. Ses doigts caressèrent le bois laqué de la table de travail, effleurèrent une douce plume posée dans son porte-plume, juste à côté de l’encrier. Elle fit encore quelques pas, se retrouva face à la fenêtre de gauche, et ne put s’empêcher de sourire rêveur en voyant les arbres devant elle. C’étaient les jardins privés de la famille impériale, un petit coin de verdure aux allures de conte, paré d’or et de rouge avec l’arrivée de l’automne.
Elle demeura plantée devant la fenêtre de longues minutes, observant simplement le vent qui agitait les feuilles mourantes et les herbes hautes. Puis, lorsqu’elle eut regardé de tout son soûl le jardin, elle se détourna. Le soleil était reparti se cacher, plongeant le bureau dans la morosité dans laquelle elle l’avait découvert, mais cette fois-ci, elle ne se laissa pas prendre au piège. Elle laissa son regard errer le long des étagères qui couvraient les murs, nota mille et un détails, ici une statuette de cavalier en bois, là un rouleau de papier ficelé, ailleurs encore une roche sombre exposée comme une pierre précieuse. Puis, en tournant la tête, elle vit la petite lampe de chevet à abat-jour de cristal, songea un instant aux reflets des flammes d’une chandelle dans les prismes translucides.
Le bureau était plutôt spacieux, sobrement meublé, laissant beaucoup d’espace à son occupant. Situé dans l’angle sud-est du palais, il devait recevoir de la lumière quasiment toute la journée, à l’exception peut-être des fins de soirée. Mais le Corbeau travaillait le matin, à l’aurore. Il avait ce soleil matinal qui venait chatouiller ses joues de ses rayons chauds, cet air frais qui sentait la rosée. Et elle comprit pourquoi il aimait venir ici dès le matin. Si elle s’était toujours levée aussi tôt, elle aussi, elle aurait probablement voulu un endroit pareil.
Réticente à quitter la pièce, elle finit par décider de fermer la fenêtre, puis alla chercher son livre dans le salon, et revint pour s’asseoir sur l’un des fauteuils à haut dossier, dos au jardin. Bientôt, Kama la rejoignit également, et ils passèrent la matinée blottis l’un contre l’autre.

Kyara découvrit au fil des jours que, seule, elle tendait à se lever plus tôt, aussi prit-elle bien vite l’habitude de s’installer dans le petit bureau. Elle n’osa jamais fureter dans les tiroirs ou déplacer ne serait-ce qu’un seul livre ou papier, mais le confort et le bien-être que la pièce lui apportait devinrent rapidement essentiels à ses réveils. Elle était capable de passer de longues heures dans les fauteuils profonds, les genoux repliés pour accommoder Kama lové sur ses cuisses, les yeux rivés sur son livre. Et ses femmes de chambre, qui ne s’attendaient pas à la voir éveillée avant dix heures, ne venaient jamais la déranger.
Elle prit aussi l’habitude de vadrouiller seule dans les jardins impériaux. Personne d’autre présent au palais, à part l’Impératrice, n’y était autorisé, aussi était-elle certaine de ne jamais être dérangée durant ses longues promenades. Elle admirait les roses qui finissaient de perdre leurs pétales, elle sommeillait sous un arbre lorsqu’il ne faisait pas trop froid, et elle passait de longues demi-heures devant le petit lac qui abritait des espèces de poissons colorés aux formes parfois saugrenues. Pour peu, elle aurait pu se sentir presque heureuse, s’il n’y avait pas eu cette étrange sensation de manque dans sa poitrine. Parfois, sa tranquillité sonnait creux, parfois le calme se transformait en solitude, et elle se prenait alors à se demander quand reviendrait Yngvar.
D’autres fois, elle se fustigeait de penser ainsi, arguant avec elle-même qu’elle aurait dû se sentir heureuse qu’il ne soit pas là. Elle se remémorait les mots de leur première nuit à la Citadelle : « La seule responsabilité et le seul lien qui nous uniront seront ce mariage et nos futurs enfants ». Mais elle ne parvenait jamais à s’en convaincre totalement. Dire qu’ils s’aimaient aurait été une exagération absurde, mais ils n’étaient pas totalement indifférents l’un à l’autre. La sensation de sa peau contre la sienne s’attardait dans ses souvenirs, elle se prenait à regretter le contact de ses doigts calleux posés sur le dos de sa main. Il avait d’infimes moments de tendresse envers elle, des rires amusés, des regards attentionnés, des gestes prévenants. Et elle les prenait chacun personnellement, comme un présent qui ne serait destiné qu’à elle seule, même quand ils étaient dans une salle de bal bondée.
Parfois, elle se demandait si elle n’essayait pas de se projeter dans quelque chose qui n’existait pas pour ne pas avoir à subir la crue réalité, :arrow: Ouais, bichette, ça se comprend qu'elle s'imagine ça.. Mais eh, au bout d'un moment, à force de côtoyer quelqu'un, on finit par mieux le comprendre et à s'attacher. mais elle n’y croyait pas. Elle préférait croire à ces instants fugaces, dans les rares fois où ils prenaient le temps de se voir et de se parler à cœur ouvert. D’autres fois encore, elle se demandait combien de temps il faudrait pour qu’ils sachent réellement se faire face et vivre ensemble, accepter ce qui les avait amenés là et ce qui les attendait encore.
Elle aimait autant qu’elle détestait ces questions qui la hantaient trop souvent. Il y avait des moments où elle était incapable de se concentrer sur sa lecture tant les pensées s’emmêlaient dans sa tête. Et l’un des jours où c’était le cas, où le tourbillon sous son crâne menaçait de l’emporter dans une journée maussade et songeuse, une tête casquée pointa un instant dans l’embrasure de la porte du petit bureau. Elle voulut se retirer aussitôt, mais elle cogna contre le battant, et un grognement étouffé, indubitablement féminin, se répercuta entre les plaques d’acier du heaume.
— Uma ?
La soldate s’immobilisa.
— Je sais que c’est toi, insista Kyara en fermant son livre sur le marque-page en cuir tanné. Viens t’assoir s’il te plaît.
C’était si étrange. Elle n’avait quasiment plus vu Uma depuis le mariage. Les rares fois où elle avait été de garde dans la suite princière, elle était demeurée plantée comme un piquet entre deux murs qui se fermaient derrière elle à angle droit, aussi figée qu’une statue. Et Kyara comprenait qu’elle évite le poste à tout prix, au vu de ce qu’elle avait vécu avec Yngvar…
— Ce n’est pas contre les règles ou l’étiquette, non ? ajouta-t-elle encore.
Elle voulait lui parler. Elle ne voulait pas de cette distante froideur. Elle n’avait personne ici, au moins pouvait-elle peut-être avoir Uma à qui se confier ? Elle n’avait même pas pu la remercier pour Kama jusque-là.
Clairement réticente, la soldate finit malgré tout par céder et s’approcha à petits pas dans le bureau. Il faisait gris dehors, même si la luminosité était suffisante pour permettre la lecture, et la pièce paraissait un peu morose, mais au bout de trois décades, Kyara avait fini par y prendre ses marques. Exceptionnellement, elle avait même sonné les femmes de chambre un peu plus tôt afin qu’elles lui préparent un thé, et il était posé non-loin de l’encrier. Quand Uma contourna la table, elle manqua de le renverser, mais elle parvint finalement à esquiver le désastre. Elle se posa au bord d’un fauteuil, l’air raide, et enleva précautionneusement son heaume avant de risquer un regard nerveux autour.
— Ça fait longtemps que tu t’installes ici ? osa-t-elle après quelques secondes d’observation.
— Depuis qu’il n’est plus là. Je ne dors plus autant qu’avant, le matin, je ne sais trop pourquoi.
— Ah.
— Pourquoi ?
— Non, pour rien.
Leur échange aurait pu être aussi impersonnel qu’avec une courtisane qu’elle aurait croisée dans les couloirs, et Kyara haït cette impression. Une main dans le poil long de Kama, elle finit par se fendre d’un sourire.
— Je voulais te remercier, Uma.
— Ah ?
— Pour Kama.
Elle désigna du menton la petite bête, plus vraiment un chaton mais pas encore un adulte. Plus de sept lunes étaient passées depuis qu’elle l’avait eu, et jamais elle n’avait réellement eu le temps ou l’occasion de formuler à haute voix ces remerciements. Pourtant, ils lui faisaient chaud au cœur, car Kama était le soleil de sa vie.
— Avec plaisir, princesse, finit par soupirer Uma, comme à contre-cœur.
— Ça ne semble pas honnête, marmonna Kyara avec une grimace.
La soldate l’entendit, et se fendit d’un sourire qui, lui, semblait sincère.
— Désolée, princesse.
Elles demeurèrent ainsi un moment en silence, puis Kyara osa, étonnamment sans trop de crainte, aborder un sujet qui risquait quelque peu de fâcher :
— Comment as-tu connu Yngvar ?
Le sourire d’Uma se fit rancunier et amer, elle passa une main dans ses cheveux bruns. Elle les avait coupés presque aussi courts que ceux d’un homme, mais étrangement, cela n’enlevait rien à son allure féminine. Kyara songea même que, pour être pleinement honnête, elle préférait la soldate avec ses cheveux courts.
— Il n’en a jamais parlé, n’est-ce pas ? rumina Uma. Je suppose qu’évoquer la guerre devant toi n’est pas la meilleure manière de solidifier vos relations…
L’absence de tact rappela à Kyara la soirée de mariage, où Uma avait sans crainte répondu à Alia et Varhalie d’Ombre malgré leur différence de statut. Mesurer ses mots, ce n’était décidément pas quelque chose qui la caractérisait. C’était aussi peut-être ce qu’Yngvar avait aimé chez elle, quelque chose que Kyara peinait à maîtriser. Elle savait que la Cour d’Avalaën était plus ouverte, mais il ne lui serait jamais venu à l’esprit, à Ciel, qu’une soldate la regarde dans les yeux et ose parler de sa relation avec son époux sur ce ton aigre.
— Raconte-moi, alors… plaida-t-elle doucement.
Uma se laissa aller un peu plus profond dans le fauteuil, soupira longuement, les yeux perdus dans le vague.
— Nous avons grandi ensemble… avec les autres membres des Bataillons.
Kyara battit des paupières, stupéfaite, mais elle n’osa pas interrompre le fil de souvenirs qui commençait à se dérouler.
— Quand Yngvar a eu dix étés, tous les jeunes enfants d’âge proche ont été recrutés, sans distinctions de famille, de rang ou de genre. On avait tous entre sept et quatorze étés, et on était des milliers, répartis en camps. Mais très vite, les plus faibles ont été écartés, renvoyés chez eux. Les camps ont été réduits, puis fusionnés. Quand j’ai eu seize étés, on était mille cinq cents.
Un silence.
— On était tous dans le même camp, à ce stade. On vivait ensemble, indépendamment du reste de l’Empire, on organisait nos chasses, nos entraînements, notre vie. On formait presque une famille, à ceci près qu’on se lattait régulièrement la tronche, ajouta-t-elle avec un éclat de rire. On adorait les mêlées générales. On se rouait de coups avec des épées en bois, on simulait des batailles. C’était à la fois joyeux et en même temps… on savait très bien pourquoi on était préparés ainsi.
Elle reprit son souffle, soupira, l’air de vouloir écarter de ses souvenirs certains moments.
— L’Impératrice venait souvent, c’était même elle qui jugeait souvent les épreuves éliminatoires. Mais quand on est tombés à mille trois cents, elle a arrêté de venir pour nous juger. Elle est juste revenue régulièrement, au moins une fois par lune, pour quelques jours. Elle vivait comme nous, comme Yngvar, dans des petites constructions, partageant sa chambre avec d’autres filles des Bataillons. Elle venait voir son fils, mais on sentait qu’elle venait aussi pour nous.
Kyara songea à ces vies d’orphelins qui grandissaient ensemble, éloignés de leurs vraies familles, éduqués dans ce qui semblait être l’art de la guerre. Et soudain, elle comprit pourquoi Helvethras n’avait jamais eu une chance contre l’armée d’Avalaën. Ils n’avaient pas juste affronté l’armée, ils avaient affronté dix des treize Bataillons Sanglants, mille soldats qui avaient appris à se battre ensemble dès l’enfance. Mille soldats qui avaient élaboré ensemble leur stratégie, en plus de l’armée régulière de quelques milliers d’autres qui avaient eux aussi eu un début d’éducation martiale dans leur jeunesse. Même si les dix escadrons d’élite n’avaient pas amené à eux seuls la victoire, ils y avaient certainement très largement contribué.
— On a tous grandi avec Yngvar, là-bas, poursuivait Uma, inconsciente des troubles de la jeune fille. Et il a grandi avec nous. J’avais dix-sept étés quand on a choisi nos Bataillons. Et, pour continuer à être avec lui, j’ai choisi le premier.
Sa voix trembla, se fêla.
— Je savais que je… qu’on… n’avait aucune chance. Sa mère me l’avait dit en face. Mais je ne voulais pas le laisser à une autre de ces pimbêches du Premier… et je m’étais dit que, quand l’heure viendrait, je saurais affronter la réalité.
Elle parlait de bataille, mais son ton sonnait la défaite.
— Je suis désolée… souffla Kyara.
— Tu n’as pas à l’être, ricana Uma. Tu as suffisamment subi, tu n’as pas à t’excuser en plus pour les choix que tu n’as pas pu faire. C’est moi. J’ai été aveugle. Idiote. :arrow: :cry:
À cela, Kyara ne sut que répondre. Heureusement, Uma avait choisi de se laisser aller, et elle parlait pour deux.
— Je ne sais même pas ce qui m’a fait croire… Enfin. Je n’ai plus mon mot à dire. Mais rester dans cette pièce… surtout pour voir la distance entre vous… Tout ça pour ça.
Elle chassa rageusement une larme égarée, puis une autre, renifla, battit des paupières. Il y avait de la colère dans son attitude, mais une peine immense derrière ses yeux sombres. Démunie par cet ouragan qu’elle avait sciemment déclenché, sans s’attendre à dévoiler de telles failles, Kyara se demanda ce qu’elle pouvait faire pour détourner le sujet, permettre à Uma de se reprendre.
— Penses-tu que…
Elle hésita, secoua la tête. Le souvenir du soldat qui l’avait méprisée et insultée avait beau être lointain, désormais, elle n’osait pas encore formuler une question aussi étrange. Mais Uma se contenta de relever ses yeux embués pour la regarder en face, et haussa les sourcils, dans l’attente de la suite.
— Est-ce que je pourrais apprendre… à me battre ?
Uma n’eut aucune réaction.
— Pas comme vous, juste savoir me déf…
— Tu veux essayer de lui plaire.
Il y avait tant de tristesse dans la voix de la femme que la rancœur s’y serait presque perdue, mais elle persistait comme un arrière-goût de vin amer.
— Tu ne sais même plus trop si tu dois l’aimer ou le détester ? ajouta-t-elle.
Soudain vulnérable face à ces yeux trop clairvoyants, trop directs, Kyara blêmit et détourna le regard. Elle ne voulait pas lui plaire. Mais elle voulait pouvoir se défendre. Les saisons avaient trop vite défilé, et pourtant, elle était toujours au même point, aussi impuissante qu’auparavant. Et même si elle ne se faisait guère d’illusions sur sa force, elle voulait savoir où frapper. Se protéger, à défaut d’avoir quelqu’un pour la protéger. Mais Uma ne semblait pas l’avoir entendu de cette oreille, et il aurait probablement été vain d’essayer de la convaincre.
— Laisse-moi deux jours pour y réfléchir, d’accord ? Si ce n’est pas moi, quelqu’un d’autre, quelqu’un de confiance, t’apprendra.

◊~◊~◊
Bon.
J'ai encore beaucoup aimé ce chapitre. Pour les liens qui se tissent tout doucement entre Kyara et Yngvar, pour le bureau et la sérénité qu'il apporte à Kyra et
pour Uma évidemment 8-)
J'aime beaucoup la dualité respect/rancœur qui plane chez elle et c'est bien logique après ce qu'elle a vécu. C'était aussi très cool comment les Bataillons ont été formés et les liens qui unissent leurs membres. Pour Uma et Yngvar, ça a clairement pas dû être drôle de finir par tracer chacun leur chemin au fil du temps en sachant qu'ils pourraient pas (apparemment) retrouver une route commune. Arf arf arf :(
Autrement, même si j'aimais déjà Kyara au début, car je trouvais son personnage hyper intéressant, j'aime aussi ses nouvelles facettes qui apparaissent peu à peu. L'idée qu'elle veule à apprendre à se battre, c'était très intéressant. Même si Uma pense que c'est pour plaire en partie à Yngvar, on ressent vraiment la volonté très personnelle et profonde de Kyara à vouloir saisir plus de clés concernant sa propre vie et sécurité.

Bon, j'espère qu'il va pas trop tarder à rentrer le Yngvar, ou alors que Kyara va réussir à s'éclaircir l'esprit grâce à un entraînement. Quant à Eliane II, je sais pas trop ce qu'elle fomente de son côté, mais je m'attends à ce que quelque chose finisse par se passer :lol: En plus, on sait pas trop où est parti Yngvar quoi :ugeek: Mystère, mystère...
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Re: Kyara III (1/3)

Message par vampiredelivres »

Heyo !
Je reviens progressivement sur le forum (trente ans plus tard) :)

louji a écrit : sam. 09 oct., 2021 12:55 pm
ACTE III : L'OUBLIÉE
(1/3)


— Senna n’aurait jamais voulu ça, siffla-t-elle d’une voix éraillée en jetant un regard mauvais du côté de l’Impératrice. Elle méritait d’être honorée comme un membre de la famille impériale. :arrow: Mdr bon je vais aller checker l'arbre généalogique ok :lol: Bon, j'ai pas trouvé Senna, mais je comprends mieux la position des autres personnages présents 8-) L'arbre a encore eu quelques updates depuis, mais c'est la grand-mère d'Yngvar du coup, et la maman de Saedor.

— Fais attention, Jacelynn, on pourrait presque te prendre pour un chaton énervé, lança-t-il comme s’il pensait à la même chose.
Écarlate, la jeune femme se hissa rageusement sur sa selle, donna un brusque coup de talons à sa monture qui, surprise et effrayée, fit un bond vers l’avant, manquant de la jeter au sol. Kyara, Yngvar et l’Impératrice, :arrow: La dernière virgule est pas forcément nécessaire je pense ? Effectivement. pouffèrent d’un même ensemble, pour ne s’attirer que davantage de regards furieux des trois femmes qui restaient. Mais le prince héritier les ignora avec un fin sourire, se tourna vers Kyara et lui demanda :
— Voudrais-tu marcher un peu avec moi ?
Elle hocha la tête, posa son bras sur le sien, et après s’être incliné une dernière fois devant ce qui restait du bûcher pour murmurer « Zhakar Esgari nargkis », une formule de respect destinée aux morts, il se dirigea vers la plage vide qui s’étendait à perte de vue autour d’eux. Bénissant son épaisse cape de ourlée :arrow: petite confusion ! Je vois pas le problème :roll: :lol: de zibeline, fermement serrée autour de sa poitrine, ses bottes fourrées et la chapka duveteuse, Kyara s’engagea à ses côtés. Loin de la chaleur rémanente du brasier, il faisait un froid glacial, à en fendre les pierres. La mer infinie, d’un bleu virant au gris, était bruyante, colérique, mais nettement moins maintenant qu’ils s’étaient éloignés des amas rocheux sur lesquels les vagues venaient s’écraser.
En tournant légèrement la tête, Kyara nota les gardes qui restaient sur leurs talons, suffisamment éloignés pour ne pas les interrompre ni entendre leur discussion, suffisamment proches pour intervenir si un danger se profilait. Leur présence familière et rassurante aurait pu lui sembler envahissante des lunes plus tôt, mais aujourd’hui, elle s’y était habituée. Pour la trentaine qui était assignée en permanence à sa sécurité, elle les connaissait presque tous par leurs noms, elle commençait à connaître leurs habitudes, leur façon de parler, les relations qu’ils entretenaient. Elle commençait même à les apprécier, comme elle avait appris à apprécier Uma.
— Comment était ta grand-mère ? interrogea-t-elle en revenant à son époux. :arrow: Aaaah c'est juste qu'elle est marquée d'un ? sur l'arbre gén, je comprends mieux :mrgreen: Wi. Y'a pleiiin de trucs qui se sont encore rajoutés :roll:

Décidément, tout tournait toujours autour de l’Impératrice inconnue, l’innommée. Sailentera :arrow: En italique ? N'empêche, j'y pense, c'est fou comme personne tilte. Même le père et l'oncle de Kyara n'y ont jamais pensé ? En italique, oui. Et pour le père et l'oncle de Kyara… oui, ils y ont pensé, mais disons qu'ils se sont faits décapiter/égorger avant d'avoir pu parler x) Aussi faut savoir qu'Eliane II a été très secrète pendant son enfance à Avalaën, seuls Dieter (le père de Saedor), Senna, Saedor et Astryd étaient au courant. ^^, l’oubliée. Il semblait que, partout où elle passait, elle faisait ressortir le caractère profond des hommes, cristallisait les tensions, alimentait les conflits. Elle était revenue à Avalaën depuis deux lunes, et en cette longue période, Kyara avait eu le temps de l’observer sur la scène de la Cour. Elle n’intervenait que rarement elle-même, si ce n’était pour des luttes qui la concernaient directement, mais chacune de ses interventions était aussi redoutable qu’un coup de poignard. Quand elle éliminait quelqu’un, elle ne le laissait pas pour mort, elle s’assurait de son annihilation totale. Grâce à elle, Kyara avait compris d’où Yngvar tenait sa froideur, sa ténacité, son indifférence et sa brutalité.

— Je n’étais pas souvent avec lui. Il avait toujours un million de conseillers à voir, des dizaines d’entretiens et de réunions dans la journée. Quant-à :arrow: Tiret ? :geek: I don't know why, don't ask x) ma mère, elle n’a jamais été très patiente avec moi, même si elle a essayé de me donner les meilleurs précepteurs. Mais elle n’a jamais aimé vivre à Ciel, elle retournait à Eau dès qu’elle pouvait. Et j’ai eu un petit frère, qui est tombé malade quelques lunes après sa naissance.

— Je ne garde pas de regrets, finit-il par dire, ayant enfin trouvé ses mots. Si j’agis, je connais les raisons qui m’ont poussé à le faire. Je n’agis pas sur un coup de tête, je ne tue pas par plaisir. Crois-moi, je suis conscient des morts que j’ai causés :arrow: causées ? Ui, merci ! et des souffrances que j’ai engendrées, mais j’ai fait chaque choix en essayant de faire de mon mieux avec ce que je pouvais maîtriser.

— Je pars dans quelques jours, sur ordre de ma mère. Je ne sais pas encore quand je reviendrai.
Et ce fut tout. :arrow: Ah. Wi.

Un instant, elle se demanda si le garde l’autoriserait à y pénétrer, mais il n’avait pas bougé de sa place près de la fenêtre et, quand elle leva furtivement la tête vers lui, il demeura aussi immobile qu’une statue. Alors, mûe :arrow: mue non ? Je crois qu'il y a un circonflexe pour le distinguer de la mue (pour les serpents par exemple)… :ugeek: par une curiosité grandissante, elle poussa lentement le battant, curieuse de découvrir le petit bureau qu’elle avait quelques fois entr’aperçu, où le Corbeau s’enfermait tous les matins pour au moins une heure et demie.

D’autres fois, elle se fustigeait de penser ainsi, arguant avec elle-même qu’elle aurait dû se sentir heureuse qu’il ne soit pas là. Elle se remémorait les mots de leur première nuit à la Citadelle : « La seule responsabilité et le seul lien qui nous uniront seront ce mariage et nos futurs enfants ». Mais elle ne parvenait jamais à s’en convaincre totalement. Dire qu’ils s’aimaient aurait été une exagération absurde, mais ils n’étaient pas totalement indifférents l’un à l’autre. La sensation de sa peau contre la sienne s’attardait dans ses souvenirs, elle se prenait à regretter le contact de ses doigts calleux posés sur le dos de sa main. Il avait d’infimes moments de tendresse envers elle, des rires amusés, des regards attentionnés, des gestes prévenants. Et elle les prenait chacun personnellement, comme un présent qui ne serait destiné qu’à elle seule, même quand ils étaient dans une salle de bal bondée.
Parfois, elle se demandait si elle n’essayait pas de se projeter dans quelque chose qui n’existait pas pour ne pas avoir à subir la crue réalité, :arrow: Ouais, bichette, ça se comprend qu'elle s'imagine ça.. Mais eh, au bout d'un moment, à force de côtoyer quelqu'un, on finit par mieux le comprendre et à s'attacher. C'est ça, malgré toutes les horreurs passées, le fait de le côtoyer au quotidien finit par déteindre… mais elle n’y croyait pas. Elle préférait croire à ces instants fugaces, dans les rares fois où ils prenaient le temps de se voir et de se parler à cœur ouvert. D’autres fois encore, elle se demandait combien de temps il faudrait pour qu’ils sachent réellement se faire face et vivre ensemble, accepter ce qui les avait amenés là et ce qui les attendait encore.

— Je savais que je… qu’on… n’avait aucune chance. Sa mère me l’avait dit en face. Mais je ne voulais pas le laisser à une autre de ces pimbêches du Premier… et je m’étais dit que, quand l’heure viendrait, je saurais affronter la réalité.
Elle parlait de bataille, mais son ton sonnait la défaite.
— Je suis désolée… souffla Kyara.
— Tu n’as pas à l’être, ricana Uma. Tu as suffisamment subi, tu n’as pas à t’excuser en plus pour les choix que tu n’as pas pu faire. C’est moi. J’ai été aveugle. Idiote. :arrow: :cry: :arrow: :cry: :cry:

◊~◊~◊


Bon.
J'ai encore beaucoup aimé ce chapitre. Pour les liens qui se tissent tout doucement entre Kyara et Yngvar, pour le bureau et la sérénité qu'il apporte à Kyra et
pour Uma évidemment 8-)
J'aime beaucoup la dualité respect/rancœur qui plane chez elle et c'est bien logique après ce qu'elle a vécu. C'était aussi très cool comment les Bataillons ont été formés et les liens qui unissent leurs membres. Pour Uma et Yngvar, ça a clairement pas dû être drôle de finir par tracer chacun leur chemin au fil du temps en sachant qu'ils pourraient pas (apparemment) retrouver une route commune. Arf arf arf :(
Autrement, même si j'aimais déjà Kyara au début, car je trouvais son personnage hyper intéressant, j'aime aussi ses nouvelles facettes qui apparaissent peu à peu. L'idée qu'elle veule à apprendre à se battre, c'était très intéressant. Même si Uma pense que c'est pour plaire en partie à Yngvar, on ressent vraiment la volonté très personnelle et profonde de Kyara à vouloir saisir plus de clés concernant sa propre vie et sécurité.

Bon, j'espère qu'il va pas trop tarder à rentrer le Yngvar, ou alors que Kyara va réussir à s'éclaircir l'esprit grâce à un entraînement. Quant à Eliane II, je sais pas trop ce qu'elle fomente de son côté, mais je m'attends à ce que quelque chose finisse par se passer :lol: En plus, on sait pas trop où est parti Yngvar quoi :ugeek: Mystère, mystère...
Bon. x)
J'aime beaucoup ce chapitre aussi, je pense que ça se ressent. ^^ La progression de Kyara est vraiment très intéressante, et tu parles de cette dualité respect/rancœur qui plane encore pas mal, j'adore l'exploiter. Elle n'a pas encore dépassé les traumas, mais elle avance lentement et ça fait vraiment plaisir à écrire et à voir.
Yep, Uma et Yngvar c'était voué à l'échec, mais ça a fait mal (des deux côtés, même si Yngvar ne le manifeste pas vraiment).
Je le dis souvent, je craignais le perso de Kyara, mais plus l'histoire avance et plus j'adore son évolution et ses changements progressifs. J'ai l'impression de la découvrir en même temps que vous, parfois x)
Oh tu verras bien, mais ne t'en fais pas, Yngvar ne va pas trop tarder à revenir… :mrgreen: Quant à Eliane II… hum… en vrai elle gère son petit Empire et elle a déjà plein de choses à faire juste avec ça ^^

Merci pour ton commentaire et tes corrections !
La bise ~
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Re: Kyara III (1/3)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : jeu. 28 oct., 2021 6:52 am Heyo !
Je reviens progressivement sur le forum (trente ans plus tard) :)

louji a écrit : sam. 09 oct., 2021 12:55 pm
ACTE III : L'OUBLIÉE
(1/3)



— Comment était ta grand-mère ? interrogea-t-elle en revenant à son époux. :arrow: Aaaah c'est juste qu'elle est marquée d'un ? sur l'arbre gén, je comprends mieux :mrgreen: Wi. Y'a pleiiin de trucs qui se sont encore rajoutés :roll: :arrow: Tu nous montreras !

Décidément, tout tournait toujours autour de l’Impératrice inconnue, l’innommée. Sailentera :arrow: En italique ? N'empêche, j'y pense, c'est fou comme personne tilte. Même le père et l'oncle de Kyara n'y ont jamais pensé ? En italique, oui. Et pour le père et l'oncle de Kyara… oui, ils y ont pensé, mais disons qu'ils se sont faits décapiter/égorger avant d'avoir pu parler x) Aussi faut savoir qu'Eliane II a été très secrète pendant son enfance à Avalaën, seuls Dieter (le père de Saedor), Senna, Saedor et Astryd étaient au courant. ^^ :arrow: Ouais, je vois. Ca a été un secret bien conservé !

Un instant, elle se demanda si le garde l’autoriserait à y pénétrer, mais il n’avait pas bougé de sa place près de la fenêtre et, quand elle leva furtivement la tête vers lui, il demeura aussi immobile qu’une statue. Alors, mûe :arrow: mue non ? Je crois qu'il y a un circonflexe pour le distinguer de la mue (pour les serpents par exemple)… :ugeek: :arrow: Sur mon site de conjugaison, ils mettent pas d'accent mais je sais pas du tout en vrai ! par une curiosité grandissante, elle poussa lentement le battant, curieuse de découvrir le petit bureau qu’elle avait quelques fois entr’aperçu, où le Corbeau s’enfermait tous les matins pour au moins une heure et demie.

◊~◊~◊

Bon. x)
J'aime beaucoup ce chapitre aussi, je pense que ça se ressent. ^^ La progression de Kyara est vraiment très intéressante, et tu parles de cette dualité respect/rancœur qui plane encore pas mal, j'adore l'exploiter. Elle n'a pas encore dépassé les traumas, mais elle avance lentement et ça fait vraiment plaisir à écrire et à voir.
Yep, Uma et Yngvar c'était voué à l'échec, mais ça a fait mal (des deux côtés, même si Yngvar ne le manifeste pas vraiment).
Je le dis souvent, je craignais le perso de Kyara, mais plus l'histoire avance et plus j'adore son évolution et ses changements progressifs. J'ai l'impression de la découvrir en même temps que vous, parfois x)
Oh tu verras bien, mais ne t'en fais pas, Yngvar ne va pas trop tarder à revenir… :mrgreen: Quant à Eliane II… hum… en vrai elle gère son petit Empire et elle a déjà plein de choses à faire juste avec ça ^^

Merci pour ton commentaire et tes corrections !
La bise ~
Oui, ça s'est ressenti ! Globalement tous tes chapitre sont bons, mais d'autres sont encore plus fluides et/ou immersifs et on sent donc encore plus ta passion ^^
Oui, on la sent sur la voie de la progression/guérison. Y'a évidemment toujours des doutes ou des petits retours en arrière, mais la marche avant est enclenchée quoi !
C'est bon signe quelque part, que tu la découvres en même temps que nous. Ça veut dire qu'elle peut encore te réserver des surprises héhé
Ouais, Eliane est déjà pas mal occupée par tout un Empire, c'est pas mal :lol:

La bise !
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par TcmA »

Hiello~

Booooon ! Enfin, j'ai pris le temps de lire ce chap :'D Comme d'habitude, c'est toujours un plaisir, et on sent que tu as aimé l'écrire. Tu as réussi à créer une ambiance particulière, entre le rapprochement d'Yngvar et Kyara (mention au bisou-nez, c'est ultra chou ;^; ), le bureau (aaaah cette scène où le soleil pointe le bout de son nez... magnifique), et les réflexions de Kyara (j'ai le même ressenti que Kolïn sur le mélange respect/rancœur et leur relation donc je vais pas m'étendre dessus!).
Bien entendu, mention spéciale à Uma, que j'aime du plus profond de mon cœur et à travers qui ont a pu avoir un peu plus d'infos sur l'univers ♥ ENTRAINE KYARA, SITEPLE.
Puis " l’Impératrice prenait le problème à revers, le transformait, faisait tourner le responsable en bourrique jusqu’à ce qu’il commette l’erreur qui l’arrangeait, elle." Du Eliane dans le texte comme on aime ♥
En bref, tis so good, j'ai hâte de la suite (en plus, elle arrive bientôt 8-) z'est parfait).

La bise !
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par vampiredelivres »

TcmA a écrit : jeu. 11 nov., 2021 6:11 pm Hiello~

Booooon ! Enfin, j'ai pris le temps de lire ce chap :'D Comme d'habitude, c'est toujours un plaisir, et on sent que tu as aimé l'écrire. Tu as réussi à créer une ambiance particulière, entre le rapprochement d'Yngvar et Kyara (mention au bisou-nez, c'est ultra chou ;^; ), le bureau (aaaah cette scène où le soleil pointe le bout de son nez... magnifique), et les réflexions de Kyara (j'ai le même ressenti que Kolïn sur le mélange respect/rancœur et leur relation donc je vais pas m'étendre dessus!).
Bien entendu, mention spéciale à Uma, que j'aime du plus profond de mon cœur et à travers qui ont a pu avoir un peu plus d'infos sur l'univers ♥ ENTRAINE KYARA, SITEPLE.
Puis " l’Impératrice prenait le problème à revers, le transformait, faisait tourner le responsable en bourrique jusqu’à ce qu’il commette l’erreur qui l’arrangeait, elle." Du Eliane dans le texte comme on aime ♥
En bref, tis so good, j'ai hâte de la suite (en plus, elle arrive bientôt 8-) z'est parfait).

La bise !
Hiello !

J'ai bien aimé l'écrire oui :D Mais il est… oui, particulier, c'est le bon mot…
Uma choupette ♥ Et Eliane qui revient discrètement faire coucou ! On la verra un peu plus dans les prochains chapitres ^^

À toute pour la suite !
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Dynasties / Kyara III (2/3)

Message par vampiredelivres »

Je disais donc que la partie III est chill… :ugeek:

L'OUBLIÉE
(2/3)


Jacelynn était une vipère. Une vipère qui n’était guère venimeuse, aussi peu versée dans l’art du combat que Kyara, mais qui avait quelques années de pratique de plus que la princesse. En l’affrontant, Kyara avait toujours l’impression que Jacelynn cherchait à la mordre, à la blesser, à l’étouffer… bref, à la faire disparaître. Et tous les coups semblaient permis pour arriver à ce but.
Cela ne dérangeait pas l’instructeur de combat pour autant. Au contraire, il aimait la vivacité de Jacelynn, son dynamisme, ses piques moqueuses et son humour grinçant. Il semblait même s’en inspirer, parfois, pour donner à Kyara davantage d’énergie. Et Kyara avait dû abandonner l’idée de lui expliquer qu’elle ne fonctionnait pas ainsi, parce qu’il ne l’entendait jamais de cette oreille.
— Plus vite, Avelke, plus vite… Ton jeu de jambes, tu vas te faire… Ah, trop tard.
Fauchée par un coup retors à l’arrière des genoux, Kyara mordit le sable et la poussière en grognant. Elle crachota, gémit, resta au sol quelques secondes. Jacelynn n’osait peut-être pas frapper trop fort, ou alors elle n’en était pas capable, mais en tout cas, elle était retorse. Et très mauvaise perdante.
— Alors, princesse ? ricana Jacelynn Tu n’as pas la forme, aujourd’hui !
— Elle est lente.
— Oui.
— Comme toi au début.
Kyara eut tout juste le temps de relever la tête pour voir la jeune femme blêmir. De quelques années son aînée, Jacelynn avait un port de tête trop altier, de grands yeux bruns et une mâchoire un peu trop large. Elle était vêtue des tenues qu’on leur avait fournies pour le combat, une chemise blanche à manches longues rentrée dans un pantalon bouffant et léger, serré à la taille par un cordon. Sinon, au quotidien, elle portait plutôt de longues robes couleur pastel, et elle appréciait particulièrement les mélanges de rose et de jaune sur ses jupons. Et Kyara détestait admettre le fait que ça lui allait bien. Elle savait ce qu’elle valait en tant que membre de la famille impériale plutôt proche – elle était après tout une cousine au deuxième degré d’Yngvar – mais elle en voulait toujours plus. Il se disait même parfois dans les couloirs qu’elle voulait le trône, mais elle était loin d’avoir une chance de l’obtenir. Et, pour cela, elle méprisait Kyara autant qu’Yngvar, si ce n’était davantage.
Pour une fois cependant, on aurait dit qu’elle s’était pris un coup dans les dents. Elle fusilla Arelkin du regard, et il lui rendit un sourire éclatant.
— Quoi ? La vérité te blesse, gente demoiselle ?
Pinçant les lèvres, Jacelynn finit par ravaler sa colère envers l’entraîneur… pour plutôt la déverser sur Kyara.
— Allez, debout ! On ne va pas rêvasser toute la journée, non ?
La princesse tendit la main vers son épée en bois, se redressa péniblement. Cela faisait une lune et demie qu’elle supportait les cours d’Arelkin, et au début, tant qu’il n’y avait eu qu’eux deux, cela s’était très bien passé. Même si elle ne faisait pas des progrès fulgurants, elle apprenait, ses gestes se précisaient, sa peur s’évanouissait. Mais, un jour, sur une idée lumineusement désespérante, le maître d’armes avait décidé qu’il fallait à Kyara quelqu’un de son niveau pour éviter qu’elle ne se sente surclassée en permanence. Et de toutes les personnes qui séjournaient à la Cour, il avait choisi la cousine d’Yngvar. Une vipère aigrie par son harpie de mère et ses harpies de tantes et sa harpie de grand-mère.
Kyara se secoua, essuya son front trempé de sueur, et chargea avec un hurlement de fureur. L’une des rares choses qui étaient positives avec la verve et l’expressivité de Jacelynn, c’était que Kyara ne mettait guère longtemps à se mettre en colère, et leurs affrontements étaient un excellent moyen d’extérioriser cette rage. Pour frapper, Kyara avait suivi les conseils d’Arelkin, elle puisait profondément dans cette colère lointaine qui la hantait encore parfois, l’obligeait à ressortir, la redirigeait vers son adversaire. Parce que, de toute manière, Jacelynn n’hésitait pas à frapper quand elle le pouvait.
Elles échangèrent une série de passes brutales, et, cette fois-ci, Kyara pensa à ses jambes, et elle esquiva un coup semblable à celui qui l’avait mise à terre quelques instants plus tôt. Ravie, elle asséna un revers de son épée, mais l’autre para, poussa, et faillit bien la renverser d’un coup de pied dans la cheville. Kyara vacilla, répliqua par réflexe, et l’attaque qu’elle porta à son adversaire l’étala par terre comme une chiffe molle.
Dans les gradins, quelques soldats crièrent et applaudirent. Les combats réguliers de Kyara et Jacelynn étaient devenus un petit spectacle privé pour la garde du palais et les hommes des Bataillons, qui venaient souvent les voir. La princesse se doutait bien que, pour eux, c’était comme voir deux chatons s’affronter en prétendant être des lions de montagne, mais elle pouvait comprendre l’attrait du spectacle de deux des plus nobles femmes de la Cour qui se jetaient l’une sur l’autre comme des sauvages.
En repérant Uma dans les gradins, Kyara lui adressa un signe de la main, auquel la soldate répondit avec un grand sourire. Peu désireuse de blesser Kyara, Uma avait chargé Arelkin de l’entraîner, en précisant que, au palais, il n’y avait certainement pas meilleur que lui pour transmettre ses connaissances. Au début, Kyara avait été sceptique, mais en constatant les changements progressifs, elle ne pouvait qu’être reconnaissante à son amie pour lui avoir trouvé cet homme. D’après lui, aujourd’hui, elle ne tenait plus son épée comme si c’était une brindille, et elle commençait même à toucher occasionnellement une cible à trois toises d’elle avec un arc. C’était un net progrès par rapport au fait que, au départ, elle n’était même pas capable de bander l’arc correctement.
Absorbée dans ses pensées, elle en avait oublié Jacelynn, mais le violent coup dans le dos qu’elle reçut la ramena bien vite à la réalité. Elle pivota, sonnée, juste à temps pour se prendre un revers dans l’épaule. Défigurée par la rage, la cousine d’Yngvar était comme possédée. Elle frappait aveuglément, et bientôt, malgré toutes ses tentatives pour parer, Kyara fut submergée. Elle encaissa une violente botte dans les côtes, une autre taillade dans la jambe, ouvrit sa défense contre une feinte et se prit un brutal revers de pommeau dans l’abdomen. Le heurt la laissa étourdie, lui coupa le souffle, et elle sentit le goût métallique et amer du sang dans sa bouche. Elle s’effondra.
— Arelkin !
La voix d’Uma déchira la salle. Kyara battit des paupières, les oreilles bourdonnantes, incapable de faire un geste. La coupole de la salle d’entraînement donnait sur un ciel gris, chargé de nuages d’orage. Une contraction dans son bas-ventre, contrecoup du choc qu’elle avait subi, lui voila la vue quelques instants. Quand elle rouvrit les yeux sur le monde, on l’avait légèrement redressée. Elle vit Jacelynn qui se tenait la mâchoire, Arelkin qui lui parlait à voix basse, plus furieux que Kyara ne l’avait jamais vu. Et surtout, elle vit les cheveux courts d’Uma au-dessus d’elle, sa voix douce qui lui murmurait des mots rassurants. Elle serra la main chaude qui s’était glissée dans la sienne, et le visage d’Uma s’éclaira de soulagement.
— Sortez-la d’ici avant que je ne l’assomme, siffla-t-elle néanmoins.
— Comment oses-tu ?! s’insurgea Jacelynn.
Cette fois-ci, Kyara vit clairement Arelkin lever la main sur la jeune femme. Le choc, puis la douleur et les larmes dans les yeux de la cousine d’Yngvar lui parurent bien pâles. Elle savait que Jacelynn s’était emportée. Elle savait qu’elle avait subi un accès de colère, plus féroce qu’elle n’aurait jamais osé lui infliger en retour. Elle savait qu’elle n’était pas en tort elle-même.
Alors elle ferma les yeux, et ne les rouvrit que quand les soldats la sortirent de la salle en la soutenant sous les épaules pour la ramener dans sa suite. Ils l’allongèrent sur son lit, appelèrent un médecin, et Uma et trois autres hommes restèrent à son côté tandis que la femme l’auscultait. Des hématomes commençaient déjà à fleurir sur ses bras, ses épaules et sa poitrine, mais le plus douloureux restait les contractions, qui durant le trajet jusqu’à la chambre s’étaient faites plus fréquentes.
Dans les brumes du choc qu’elle subissait encore, Kyara vit le froncement sourcils soucieux de la soigneuse, puis sa surprise alors qu’elle palpait doucement son ventre.
— Appelez l’Impératrice, souffla-t-elle d’une voix blanche.
L’un des soldats détala sans poser de questions, pressé par l’urgence dans le ton de la femme. Celle-ci prit doucement la main de Kyara, lui fit respirer des sels pour la ramener à la réalité, et Kyara battit des paupières, l’esprit éclairci.
— Avelke Sen, je vais essayer d’être aussi factuelle que possible en annonçant ceci.
Une contraction, plus forte que les précédentes, fit gémir la princesse, mais elle riva son regard dans les yeux verts de la femme.
— Je pense que tu es enceinte. Et de plusieurs lunes.
— Comment ça ?
Uma s’était raidie, stupéfaite. Kyara, elle, n’était pas certaine d’avoir entendu correctement. Enceinte ? Mais elle avait fini de saigner quelques jours plus tôt…
— Il existe une condition rare, très rare même, où l’enfant ne se développe pas correctement dans le ventre de sa mère.
Elle enfonça délicatement un doigt dans le ventre de Kyara et, là où, en principe, elle aurait dû ne pas rencontrer de résistance, Kyara sentit quelque chose. Puis, elle perçut un mouvement. En elle. Elle blêmit.
— On a tendance à associer cette condition à des grossesses résultat d’évènements…
Le médecin chercha ses mots, mais ne parut pas trouver mieux que ce qu’elle avait.
— … traumatiques, on va dire, et le corps de la mère l’oblige à rester caché. Il peut arriver que les saignements lunaires continuent, que le ventre ne grandisse que très peu, que la mère ne se rende pas compte qu’elle est enceinte. En général, elle le réalise vers la sixième ou septième lune de grossesse, mais dans ton cas, Avelke Sen, je crois que tu n’étais plus qu’à quelques décades du terme. Et je crains que le choc n’ait précipité l’accouchement.
Sous le choc, Kyara laissa retomber sa tête contre le coussin, et ferma les yeux. Elle devait rêver. Elle était certaine de rêver. Ce n’était pas possible autrement.
Quelques minutes plus tard, l’Impératrice déboula dans la pièce et, sous ses traits froids et composés habituels transparaissaient une frénésie et une anxiété que Kyara ne lui avait jamais vues. La soigneuse se planta avec elle près de la fenêtre, la mit au courant en quelques mots, et, même si le soulagement de l’Impératrice fut perceptible, une certaine inquiétude persista dans son attitude.
En renversant la tête en arrière, sourde aux paroles rassurantes et encourageantes de son médecin, la princesse songea à sa mère. Sa mère, qui n’avait quasiment jamais été là pour elle, qui l’avait laissée aux mains de serviteurs et de précepteurs. Elle se demanda si elle avait un jour su combien de peine et de solitude elle lui avait infligé. Elle se demanda si Mara d’Eau, cette femme qui avait accouché d’elle, aurait voulu être là pour le premier et improbable accouchement de sa fille. Elle se demanda si elle avait un jour importé suffisamment à sa mère pour que celle-ci veuille prendre le temps de la connaître, de l’aimer, de s’occuper d’elle dans un moment comme celui-ci.
Quand elle rouvrit les yeux, une main glacée s’était posée sur son épaule, et des yeux d’un azurin limpide, si pâles qu’ils paraissaient irréels, l’observaient. Elle n’écoutait toujours pas le bavardage intempestif de la soigneuse, mais les mots de l’Impératrice, froids et posés, et pourtant si sincères, tranchèrent dans les murs qu’elle s’était inconsciemment érigés.
— De quoi que tu aies besoin, Kyara, dis-le. Je suis là.
Elle ne répondit rien, mais sut intuitivement que, jusqu’à la fin de sa vie, elle n’oublierait pas les mots de cette femme qui avait pourtant détruit sa vie et son royaume. Parce qu’ils portaient la promesse muette qu’elle pourrait l’aider à se reconstruire.

Les heures s’étaient dissolues dans les lents mouvements du soleil, puis dans ceux de la lune. Le travail fut laborieux et long, sans être pour autant aussi douloureux qu’elle ne l’aurait craint, mais suffisamment pour lui arracher des cris à chaque spasme. Et, durant ces heures d’incertitudes où l’horloge semblait s’être arrêtée, où les instants s’étiraient à l’infini, l’Impératrice, Uma et le médecin demeurèrent à ses côtés. Elles ne s’éloignèrent que pour aller respirer un peu d’air frais à la fenêtre, ou manger un morceau sur un plateau qu’on leur avait apporté. Kyara elle-même se leva une demi-douzaine de fois, mais la plupart du temps elle demeura amorphe sur son lit, n’attendant que la prochaine vague.
Et puis, finalement, on lui apporta une petite chose enveloppée de langes, rougeaude et un peu bleue par endroits, piaillant faiblement. Instinctivement, Kyara fit ce qu’elle avait vu des dizaines de servantes ou de femmes de la Cour faire : elle l’approcha de sa poitrine, et la petite chose se raccrocha à son sein.
— C’est une petite fille, murmura la soigneuse, l’air soulagé.
— Comment veux-tu l’appeler ? demanda Uma.
Kyara fronça les sourcils. À Helvethras, on ne nommait pas les enfants la première décade, car le risque qu’ils décèdent était trop important. Et cela lui paraissait d’autant plus logique dans le cas de sa fille puisqu’elle n’avait pas grandi correctement, logée à la verticale entre les côtes de sa mère au lieu d’être à l’horizontale dans son ventre. Pourtant, l’Impératrice lui adressa un petit hochement de tête encourageant.
— Et Yngvar ? Est-ce qu’il ne devrait pas…
— Yngvar ne rentrera pas avant au moins quatre jours.
Ce n’était pas aussi loin qu’elle l’aurait cru… Mais c’était autant de temps passé avec dans ses bras une petite fille sans nom.
— Je connais les traditions d’Helvethras, ajouta l’Impératrice avec douceur. La naissance ne sera pas annoncée avant au moins une décade. Davantage si tu le souhaites.
Les rares personnes présentes dans la pièce hochèrent la tête gravement pour signifier leur vœu de silence.
— Amali, murmura Kyara. Je voudrais qu’elle s’appelle Amali.
Amali avait un duvet clair au sommet de la tête et des yeux d’un bleu foncé, comme presque tous les bébés apparemment. Leur couleur se préciserait dans les jours qui suivraient la naissance, lui avait-on dit. Kyara savait déjà que, en principe, elle aurait le violet brillant de la dynastie avalonienne. Elle avait aussi une peau bien plus foncée que le peuple de l’ouest, même si elle n’était pas non plus aussi sombre que celle de sa mère.
Mais surtout, elle était légère comme une plume.
Au début, Kyara ne s’en inquiéta pas, trop épuisée par la longue nuit et la journée qui avaient précédé. On cala des coussins dans son dos pour assurer son confort, et elle bascula dans un sommeil agité, occasionnellement réveillée par les pleurs de sa petite fille. Le médecin, l’Impératrice et Uma prirent congé durant son sommeil pour aller elles aussi se reposer, et on laissa ses femmes de chambre assurer sa garde et ses besoins.
Néanmoins, en émergeant de son sommeil, encore assommée par la torpeur, Kyara surprit les murmures des trois vieilles mégères, qui pour une fois paraissaient davantage inquiètes que méprisantes.
— Elle pleure si peu…
— Et elle mange si peu…
— Je vous assure qu’elle va finir par nous claquer entre les doigts !
Elles s’interrompirent en voyant Kyara se réveiller, et ne pipèrent plus un mot durant de longues heures. Mais leurs murmures de serpent avaient atteint la princesse, qui se mit à considérer avec davantage d’inquiétude la petite chose fragile dans ses bras. Elle bougeait peu. Elle dormait presque tout le temps. Et, plus l’heure avançait, plus la princesse se sentait épuisée, prise de frissons, glacée jusqu’aux os. Elle demanda de l’eau chaude, des couvertures supplémentaires, s’en enveloppa en couvrant au passage son bébé et en le serrant contre elle, et elle lui murmura doucement :
— Tiens bon, ma chérie… tiens bon…
Des mots qui sonnaient davantage comme une supplique que comme un encouragement.

Elle sombra dans une fièvre si brûlante et si destructrice que les femmes de chambre appelèrent à nouveau la soigneuse, qui lui donna à boire des herbes et des décoctions, et si les herbes apaisèrent quelque peu sa température, elles ne changèrent rien à son esprit cotonneux. Puis, l’Impératrice revint, un petit coffre dans les mains, et déposa sur le front, la poitrine et les épaules de Kyara et de sa fille des pierres colorées. Les femmes de chambre se tassèrent dans un coin de la pièce, terrifiées, quand elle commença à psalmodier dans une langue inconnue, appelant à une magie ancestrale qu’Avalaën avait depuis longtemps reniée.
Ses incantations finirent par chasser les brumes de l’esprit de Kyara, mais Amali dormait toujours. Et l’Impératrice, exténuée, ne put que souffler :
— Je ne peux pas lui donner la volonté de se battre…
Assommée par l’épuisement, Kyara entendit les mots juste avant de replonger dans le sommeil. Cette fois-ci, elle dormit comme une souche, et non par intermittence, transpirante de fièvre, comme elle l’avait fait jusque-là, mais elle rêva. Dans ses rêves chaotiques, sa fille, lovée dans les bras d’Yngvar, hurlait en tendant ses petites mains vers elle, mais elle la repoussait, s’en détournait, la chassait. Et les paroles du médecin résonnaient jusque dans ses os par-dessus les hurlements d’Amali.
— L’enfant ne se développe pas correctement. Le corps de la mère l’oblige à rester caché.
Elle l’avait repoussée. Elle l’avait rejetée.
Kyara avait dû grandir avec une mère qui ne voulait pas vraiment d’elle. Elle connaissait la fatigue que l’on éprouvait quand on se battait pour une cause perdue d’avance, elle s’était résignée à abandonner l’idée que sa mère lui accorde un jour suffisamment d’attention. Elle comprenait l’envie de capituler, l’énergie que cela requérait de se battre.
Mais pourquoi Amali aurait-elle voulu se battre pour l’amour d’une mère qui ne lui avait même pas permis de grandir correctement ?
En rouvrant les yeux, elle sut, avant même d’avoir vérifié. Mais elle baissa néanmoins la tête vers la petite fille toujours couchée sur sa poitrine, immobile, les yeux fermés. En levant une main tremblante, échauffée par sa fièvre qui peinait toujours à se résorber, elle n’en sentit que davantage la différence avec la peau fripée et glacée du front d’Amali. Un frémissement agita ses lèvres, les tremblements secouèrent son corps, elle se mit à pleurer.
Elle aurait voulu hurler, mais elle ne parvint qu’à subir quand on lui enleva des bras le petit corps froid et raide.
Amali était morte.
J’ai refusé son existence, songea-t-elle, sous le choc.
Je me suis convaincue que je ne voulais pas qu’elle existe.
J’ai tant nié son existence que j’ai fini par l’empêcher de grandir.
Elle est morte par ma faute.


Elle assista au retour d’Yngvar depuis sa fenêtre, incapable de s’enjoindre à se présenter en public pour l’accueillir. Elle ne savait même plus pourquoi il revenait, en vérité. Perchée au deuxième étage du palais, elle le vit saluer brièvement sa mère, adresser à peine un regard aux courtisans, et ensuite s’engouffrer dans le château tel une furie. Incapable de suivre son parcours à l’intérieur, elle se résolut à se rasseoir, mais très vite, il débarqua devant elle, haletant, l’air exténué.
Un instant, elle craignit qu’il ne s’énerve contre elle. Elle l’imagina l’assaillant de reproches, hargneux, en colère. C’était de sa faute si leur fille était morte, après tout. C’était elle qui l’avait rejetée au point d’anéantir sa volonté de vivre. Elle se replia sur elle-même, déterminée à accepter les coups, les cris ou les injures.
Mais il n’en fit rien. Au contraire, en la voyant, roulée en boule sur le lit, tremblante et hagarde, les cheveux en bataille, les yeux cernés, il se calma d’un seul coup. Il s’approcha lentement, comme avec un animal effarouché, s’assit à côté d’elle, passa une main sur sa joue. Alors, Kyara ferma les yeux avec un soupir haché, et le torrent de larmes qu’elle avait pensé tari se remit à couler.

Elle émergea d’un sommeil lourd et trouble aux allures de cauchemar, les joues tirées et asséchées. Elle était seule dans la pièce, même si Yngvar était resté auprès d’elle toute la nuit. Il l’avait consolée, bercée, rassurée, comme si c’était elle l’enfant. Il n’avait pas beaucoup parlé, mais les rares mots qu’il avait prononcés s’étaient ancrés en elle. Car il s’était excusé. Il avait dit que c’était de sa faute, à lui. Qu’elle avait le droit de souffrir, qu’elle avait raison de souffrir, mais qu’il était bien davantage responsable de cette mort qu’elle. Elle n’était pas certaine d’avoir compris pourquoi, mais les mots lui avaient fait du bien malgré tout. Alors, elle avait continué à pleurer, lovée contre lui, jusqu’à sombrer dans un rêve brumeux et éreintant.
En enfilant son peignoir, elle se sentait aussi lasse et épuisée que la veille, pourtant, elle percevait également une autre émotion qui avait fait son apparition, plus diffuse, aussi douce qu’amère. La colère. Elle la sentait brûler dans le creux de sa poitrine comme un feu de campement, inoffensif en apparence, qui menaçait de s’étendre à chaque instant. Elle posa sa main sur son cœur, écouta quelques battements, finit par sourire. Un sourire terne, à la fois cruel et empli de désillusions.
Elle prit Kama dans ses bras et, après s’être tortillé quelques instants pour trouver une position confortable, le chat finit par poser la tête sur son épaule et se mettre à ronronner. À l’aveuglette, elle enfila ses chaussons, puis se dirigea vers le petit bureau adjacent au salon. Il était encore tôt, Yngvar s’y trouvait certainement. La porte entr’ouverte laissait filtrer un rayon de soleil matinal timide, curieux. Elle prit une brève inspiration, toqua, puis poussa la porte sans attendre la réponse.
Son époux, assis derrière son bureau, lisait une missive. En la voyant entrer, il leva la tête vers elle, reposa le parchemin, haussa les sourcils.
— Tu es debout tôt.
— Je ne dors plus autant depuis que tu es parti. Puis-je ?
Il haussa les sourcils, ne sachant guère où elle voulait en venir mais, quand elle fit mine de s’installer sur ses genoux, il recula sa chaise pour lui laisser davantage de place. Kama sauta sur la table, guère enclin à se retrouver coincé entre eux, et Kyara passa son bras autour du cou d’Yngvar en blottissant sa tête contre son épaule.
— J’en ai assez de souffrir… murmura-t-elle.
Silencieux, il l’enveloppa dans une étreinte aussi rassurante que protectrice.
— J’en ai assez de prétendre que je vais bien alors que je ne fais que survivre… et de m’obliger à prétendre que je suis toujours celle qui est partie de Ciel…
Même si sa gorge était nouée, ses yeux étaient secs. Elle ne ressentait plus l’envie de pleurer… ou du moins, plus de tristesse. Elle aurait en revanche aimé hurler sa rage d’avoir été abandonnée à la merci d’Avalaën alors qu’elle n’était pas encore prête à affronter les horreurs de la réalité. Elle ne voulait plus faire comme si elle n’était pas une étrangère dans la Citadelle Rouge alors que, l’été auparavant, elle était encore à Ciel, et la menace des armées d’Avalaën se faisait chaque jour plus pesante. Elle se sentait en colère. Furieuse d’avoir été si longtemps à la merci des décisions des autres, enrageant à l’idée des sacrifices qu’on lui avait, sciemment ou non, imposés.
Elle était certaine que son père n’avait pas voulu lui laisser la charge de la reddition, mais c’était ce qu’il lui avait infligé en lui cédant la couronne. Elle était presque certaine que sa mère aurait essayé de la soutenir durant une épreuve comme celle de son accouchement, si elle n’avait pas été aussi obnubilée par l’idée de se protéger elle-même.
Dans tous les cas, les décisions des uns et des autres à son sujet, même celles d’Yngvar et de l’Impératrice, avaient fini par l’amener à cet instant, cette fraction de seconde où, d’un seul coup, l’évidence s’imposa. Si elle était ici, aujourd’hui et maintenant, c’était du ressort de ceux qui avaient influencé son destin. Mais si elle voulait rester là, ou même aller ailleurs, devenir celle qu’elle aimerait être, il faudrait qu’elle prenne en main sa vie. Et, de là où elle était, il n’y avait qu’un seul véritable moyen d’y parvenir.
L’oreille appuyée contre la peau chaude d’Yngvar, elle écouta sa respiration, réfléchissant à sa décision. Mais, plus elle y revenait, et plus l’évidence se faisait limpide. C’était la seule solution pour elle.
Sans se redresser, mais haussant le ton pour avoir une voix un peu plus ferme, elle dit :
— Je voudrais devenir la femme qui pourra te seconder, la véritable héritière des trônes unis d’Uvrastryn. Une épouse digne de siéger à tes côtés. Accepterais-tu de m’apprendre ? M’enseignerais-tu les jeux de pouvoir de la Cour ?
Il leva un sourcil, la considéra, songeur, mais avant même qu’il ne réponde, elle poursuivit :
— Aussi… Je sais que je ne suis rien pour toi, mais j’aimerais… j’aimerais apprendre à te connaître réellement. Je…
Elle hésita, et la pensée de ce qu’elle allait formuler envoya une décharge nerveuse dans sa nuque. Elle sourit doucement, un sourire camouflé dans le début de barbe d’Yngvar, un sourire qu’il ne pouvait pas voir mais qui, à elle, lui donnait des frissons d’expectative.
— Je t’apprécie. Sincèrement, souffla-t-elle, le cœur battant.
Elle le sentit se crisper sous sa peau, perçut la brusque inspiration qu’il prit et qui résonna au travers de son corps, et l’appréhension l’envahit. C’était certainement déplacé de le formuler ainsi, surtout après tout ce qu’ils avaient dû endurer tous les deux. Aucun d’entre eux n’avait choisi ce mariage, aucun d’entre eux ne l’avait voulu. Leur union n’était qu’une conséquence d’anciennes rancunes, d’un conflit trop longtemps étouffé.
— Si tu n’étais rien pour moi, souffla-t-il enfin avec un sourire dans la voix, je ne serais pas ici en ce moment. J’ai appris à t’apprécier aussi, Kyara.
Son nom, sur ses lèvres, la fit frémir. D’habitude, il l’appelait princesse. Elle recula un peu de l’étreinte, leva le menton pour lui faire face, et le regard qu’il lui offrit la laissa sans voix. Il y avait sur ses traits étrangement adoucis une véritable tendresse, une inquiétude sincère.
Rassérénée, elle reposa sa tête contre son épaule, murmura un simple « merci ». En d’autres circonstances, elle aurait peut-être essayé de véhiculer davantage d’idées, mais au moment où elle le dit, il n’y avait que ce mot pour répondre à l’affirmation. Elle n’était pas rien. Elle comptait pour quelqu’un, au moins pour lui.
— Je voudrais te demander pardon, ajouta-t-il. J’ai été odieux avec toi, et en toute sincérité, je ne sais pas vraiment comment tu peux me regarder en face sans me haïr. Et quoi que tu dises, si tu en es venue à nier autant l’idée qu’Amali naisse, c’est par ma faute. J’aurais dû…
— Arrête.
Elle s’étonna qu’il se taise aussitôt, comme si elle avait une quelconque absurde forme d’autorité sur lui.
— Ma vie sera de toute manière à tes côtés, ajouta-t-elle solennellement. Ce qui est arrivé est passé, désormais, et je ne veux pas vivre dans mes souvenirs de souffrances.
— D’accord, finit-il par acquiescer après un long moment de réflexion. Permets-moi de te proposer quelque chose, alors. Ni toi ni moi ne pouvons oublier ce qui nous a amenés ici, et de toute manière, ce ne serait pas une bonne chose. Mais prenons, ici, aujourd’hui, un nouveau départ.
L’idée aurait pu paraître vide, dénuée de sens ou de raison, mais Kyara la trouva amusante, presque attrayante. Ne pas oublier le passé, mais prendre le parti de se focaliser sur le futur. Une manière pour eux de revenir à une forme de normalité, ou au moins de repartir à la même hauteur. Qui pouvait dire si le chemin qu’ils parcourraient ensemble serait long ? En tout cas, s’ils n’essayaient pas, personne. Et à moins de vouloir rester cloîtrée dans ses appartements pour le restant de ses jours, et de n’être qu’un épouvantail sur le trône aux côtés du Corbeau, Kyara ne voyait pas d’autre manière d’aller de l’avant.
Alors elle se releva, lissa les pans de son peignoir comme si c’était une robe de cérémonie, esquissa une élégante révérence avalonienne, qu’elle maîtrisait désormais sur le bout des orteils.
— Kaleko Sen, c’est un honneur d’être ton épouse.
— Avelke Sen, dit-il après s’être redressé et incliné, le plaisir et l’honneur sont pour moi. Déjeuneras-tu avec moi ce midi ?
Un éclat de rire de connivence les secoua tous les deux alors qu’elle acquiesçait et, malgré une infime hésitation, Kyara se prit à croire que cette idée pourrait peut-être même fonctionner.
Ils passèrent le reste de la matinée dans le petit bureau, dans un calme souverain que même l’annonce d’une nouvelle guerre n’aurait pu rompre. Kyara s’installa sur son fauteuil favori avec Kama sur les genoux et un livre ouvert, tandis qu’Yngvar rédigeait missive après missive, concentré mais étrangement détendu. Ils déjeunèrent ensemble dans une petite salle cossue mais confortable, partirent se promener dans les jardins impériaux l’après-midi, et finirent leur soirée avec une petite réception organisée par la Duchesse de Tragr. Quelques jours filèrent dans un calme apaisant, et malgré ses doutes, Kyara réalisa que tout était plus simple avec Yngvar quand elle ne s’obligeait pas à prétendre qu’elle forçait ses émotions. Elle souriait sincèrement à ses plaisanteries, n’essayait plus de rester froide, composée et discrète comme auparavant.
Les femmes, qui jusque-là ne l’avaient guère vues aux soirées en petit comité, parurent surprises de son changement. Bien sûr, aucune d’entre elles n’osa ne serait-ce que murmurer le mot « bébé » autour d’elle, mais elle sut rien qu’en les observant que, d’une manière ou d’une autre, la rumeur s’était propagée. Et ses apparitions de plus en plus fréquentes au bras de son époux, ainsi que la facilité avec laquelle elle parvenait à sourire, soulevaient des milliers de questions muettes auxquelles elle ne répondrait jamais.
Car la vérité était qu’elle en souffrait toujours. Le souvenir d’Amali restait brûlant et vif dans son esprit, et parfois, juste en serrant les doigts, elle pouvait toujours sentir la petite menotte potelée dans sa paume. Les images rémanentes, quoique troublées par la fièvre, la hantaient toujours dans ses rêves, lui laissaient à son réveil la sensation de suffoquer de larmes alors que ses joues étaient sèches.
Yngvar était souvent là à ses côtés quand elle se réveillait ainsi, et s’il n’était pas là, elle allait le retrouver dans le petit bureau. Mais vint le moment où il dut repartir, reprendre l’affaire qu’il avait abandonnée pour l’accouchement, et elle se retrouva à nouveau seule. Alors elle se laissa emporter dans le tourbillon des longues robes fluides, des danses de salon et des parties de cartes, jusqu’à rentrer si tard le soir qu’elle se laissait tomber habillée sur son lit, et écoutait ses mégères de femmes de chambres pester le lendemain matin quand elles devaient s’occuper des caftans froissés. Elle sortit du palais de plus en plus souvent, toujours encadrée par ses gardes, s’aventura en ville, découvrit les petits marchés et les expressions radieuses des passants quand ils l’apercevaient en plein milieu de la rue, les spectacles de marionnettes et la joie des enfants quand elle rapportait des pâtisseries depuis les cuisines du palais. Elle prit le temps d’apprendre à revivre, pas à pas, instant par instant.
Et enfin, quand elle réalisa qu’elle n’essayait plus d’occuper son esprit pour oublier la blessure, quand le souvenir du poids de l’infante dans ses bras ne revint plus hanter ses nuits, elle franchit la porte du bureau de l’Impératrice et annonça :
— Je veux apprendre.

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ACTE III (3/3)
Dernière modification par vampiredelivres le lun. 20 déc., 2021 1:04 pm, modifié 3 fois.
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