Bonne lecture !
Chapitre 12
Je n’étais plus qu’une masse tremblante lorsque j’arrivai chez mon amie, une femme avec qui j’avais partagé de nombreux souvenirs depuis l’enfance. Après le désastre qui venait de se passer chez Connor, j’avais directement pensé à elle. J’étais paniquée, je ne savais pas quoi faire, et son visage m’était apparût comme une évidence. Elle m’avait prévenu tant de fois à propos de lui, mais aveuglée comme je l’étais, je n’avais rien écouté.
Je venais de conduire pendant plus d’une heure en tenant uniquement sur les nerfs, l’adrénaline et l’urgence de la situation. Je savais que je devais fuir, et vite. Le plus loin possible. Et par chance, Carla était une amie dont Connor ne savait presque rien. Il ignorait où elle habitait, il ne viendrait pas me chercher chez elle.
J’avais fait attention pendant toute ma conduite, car la concentration me permettait d’oublier le reste. De chasser les images qui me revenaient en tête inlassablement dès que j’avais le malheur de seulement m’arrêter à un feu rouge. J’entendais encore Connor me balancer des horreurs à la figure.
« Tu n’es vraiment qu’une allumeuse… »
« Tic, tac… »
Encore ce maudit son.
Je coupai le moteur lorsque j’arrivai chez mon amie, que j’avais prévenue au préalable, et qui se tenait déjà sous le porche. Je lui avais seulement dis que j’arrivais, mais c’était déjà assez rare pour paraître urgent, et mon timbre de voix n’avait rien arrangé. J’ouvris la portière et sortis en prenant mon sac.
Et dès que je mis un pied dehors, je m’effondrai. J’étais parvenue à mon but pour ce soir, et mon corps me faisait comprendre, après tout ça, qu’il était temps de lui laisser du répit.
« De toute façon, regarde-toi. Qui d’autre voudrait bien de toi ? »
J’entendis mon amie crier quelque chose et j’eus à peine le temps de la voir se ruer vers moi ; le monde devint ténèbres.
Je me mis à remuer, en nage. Un gémissement douloureux m’échappa. J’avais la sensation que mes entrailles se tordaient. Je crus sentir quelque chose de frais sur mon front et une personne s’adresser à moi d’une voix douce. J’ignorais de qui il s’agissait.
Je devais avoir de la fièvre. Et la nausée était atroce. Je me relevai péniblement, sûrement aidée par quelqu’un, et me remis à vomir dans le seau qu’on avait placé près de moi. Pendant un éclair de lucidité, je me souvins que je me trouvais dans ma chambre, au manoir, en prise avec les effets secondaires de l’Elixir. Les River avaient été soulagés lorsque je m’étais mise à déglutir, signe que je rejetais cette drogue vampirique. Depuis, j’oscillais entre les songes désagréables, ainsi que la réalité.
— Je ne veux… pas y… retourner…, bredouillai-je.
Mais je replongeai dans mon souvenir lorsque ma tête retomba sur l’oreiller.
— Neeve ? Neeve…
J’entendais la voix de Carla, qui devait avoir remarqué que j’étais en train d’émerger. Mes paupières se soulevèrent lentement. Son doux visage fut dans mon champ de vision. Ses longs cheveux châtains me chatouillaient la peau des bras, et je décelais de la peur dans ses yeux verts. Très lentement, comme pour repousser les souvenirs que mon réveil entraînerait irrémédiablement. Dès que j’ouvris les yeux, toute la scène défila dans ma tête et je sentis mon amie passer timidement un bras autour de mes épaules, alors que je tentais de me redresser et que deux sillons de larmes silencieuses se traçaient sur mes joues. Je n’avais pas besoin de parler, elle comprenait.
Je ne savais même pas combien de temps j’avais dormi.
— Quelle heure il est… ? la questionnai-je d’une voix fébrile.
— Il est quinze heures, me répondit-elle d’un ton empli de douceur.
J’avais dormi longtemps. Par réflexe, je me mis à penser à Connor. Nul doute qu’il s’était réveillé depuis. Et il devait être en train de me chercher. Je me mordis la lèvre inférieure et ne pus réprimer une vague de tremblements. Carla se mit à frotter mon épaule d’une main.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Mon regard se tourna vers la fenêtre et je restai silencieuse.
— C’est Connor qui t’a fait ça, pas vrai ? devina-t-elle.
Encore un silence. Elle n’insista pas mais je sentais son regard sur moi. Elle attendrait patiemment, et même si je ne me décidais pas à parler, je savais qu’elle serait là. Mais après un instant, je me mis à hocher la tête, et mes larmes redoublèrent. J’ouvris la bouche pour parler, mais un son étranglé s’en échappa. Je fermai les yeux un instant, puis réitérai.
Et je lui racontai tout. Tout ce que je n’avais pas osé lui dire. Du début à la fin. Quand les coups et les viols avaient commencé mais que je pensais qu’il ne s’agissait que d’une fois, puis seulement deux fois… Puis quand je pensais qu’il ne s’agissait que d’une mauvaise période et enfin le moment où j’avais commencé à me dire que c’était parce que je le méritais sûrement. Les privations, les coups de pression sexuels, le fait qu’il me dictait comment m’habiller, et quand il allait jusqu’à gérer mes fréquentations. Le fait que je me sentais constamment espionnée, les injures, et l’enfer que ma vie était devenue.
Du peu que j’avais expliqué à Carla de Connor, je savais qu’elle ne l’aimait déjà pas. Elle se méfiait. Elle aussi, trouvait que j’avais changé et avais tenté de me mettre en garde. Mais je m’étais mise des œillères et m’étais laissée enliser dans cet amour toxique.
Cependant, alors qu’elle m’écoutait, je ne sentis aucun jugement. Je me rendis compte que je m’étais attendue à des remarques, du genre « Je te l’avais dit », mais rien. J’avais seulement pris la mauvaise habitude de me rabaisser constamment et je m’attendais à ce que les gens me rappellent ma médiocrité. Il fallait que je sorte Connor et ses commentaires acerbes de ma tête. Tout le monde n’était pas comme lui.
Elle resta simplement là, à ne rien dire, le temps que ma crise de larmes et de tremblements passe. C’était comme si on venait enfin d’appuyer sur un bouton pour que je lâche tout ce que je retenais depuis des mois.
Carla fut aux petits soins avec moi pendant tout le reste de la journée. Elle n’était que douceur et prévenance, même si je savais qu’elle bouillait de colère et que si elle croisait Connor dans les vingt prochaines années, je ne donnais pas cher de la peau de cette enflure. Ou même à vie, en fait. Sous ses airs d’ange à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession, elle pouvait être terrible, surtout lorsqu’on s’en prenait à ses proches.
Cela me faisait bizarre qu’on s’occupe de moi. Elle m’avait fait promettre de ne pas quitter ce canapé tant que je n’aurais pas repris des forces, et elle essayait de me divertir du mieux qu’elle pouvait. Elle parvint même à m’arracher quelques minces sourires. Mais tout ce que je repassais en boucle, dans mon esprit, c’était que Connor en était arrivé à un tel point, qu’il avait eu envie de me tuer. Me tuer. Je n’arrivais même pas à réaliser que c’était bien réel. Et j’avais bien faillis commettre cet acte. Par légitime défense, certes, mais tout de même.
Je finis par craquer, le lendemain soir. Cela faisait un moment que je tentais de faire abstraction de la petite horloge posée sur le meuble du salon, et de ses « Tic, tac » affreux qui résonnaient dans ma tête comme si le son était décuplé. N’en pouvant plus, le lendemain, en passant devant, je me stoppai et mon poing se ferma. Puis sans que je ne me rende compte de ce que je faisais, j’attrapai l’objet et le jetai sur le sol de toutes mes forces pour faire cesser ce bruit. Plus de « Tic, tac » annonçant l’arrivée imminente de Connor.
Et je me rendis compte que je n’étais plus dans cette maison. Que Connor était loin. Que je venais de fracasser l’horloge de mon amie par terre, parce que je pétais un plomb.
Je me passai les mains sur le visage, honteuse et à bout de nerfs. J’inspirai un bon coup. Quand je rouvris les yeux, je vis que Carla était en face de moi, me regardant avec inquiétude.
— Je suis désolée… Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, je t’en rachèterai une autre…
Elle haussa les épaules.
— Elle était vieille. Et affreuse. Au final tu m’as rendu service.
Elle capta mon regard, et un silence de quelques secondes passa. Puis sans savoir pourquoi, j’éclatai de rire. Elle me suivit sans pouvoir se retenir. Des rires pour relâcher un peu de toute cette pression, presque hystériques. Alors que nous nous tenions encore les côtes, nous nous baissâmes pour ramasser les bouts de verre.
J’ouvris péniblement les yeux. Je ne savais pas vraiment si j’étais dans la réalité, tout était si confus…
Je distinguai une silhouette, floue, sur un fauteuil qui n’était pas dans cette chambre avant, dans un coin. J’eus l’impression qu’il s’agissait d’April. Mais une chose me dérangea : une autre image sembla se superposer. Oui, je devais bien être dans un rêve.
Parce que je croisai le regard d’Adam, qui paraissait être très surpris de me voir. Mais pourquoi ? J’étais dans ma chambre, non ?
N’ayant pas le courage de réfléchir à cela, je laissai mes paupières se refermer, et sombrai à nouveau.
Je me retrouvai dans la clairière. Un grand sourire étira mes lèvres. Je n’avais pas fait ce rêve depuis seulement quelques semaines, mais cela m’avait paru être une éternité…
La couleur du ciel crépusculaire m’apaisa, m’emporta loin de tous les troubles que je ressentais au même moment, dans la réalité.
Je me mis à avancer dans l’herbe, habillée de ma chemise de nuit violette, laissant l’herbe effleurer ma peau. Le bruit de l’eau de la rivière accompagna mes pas, alors que mes pieds me menaient au grand saule pleureur, plus loin.
Adam. Il était là, lui aussi.
Je le vis approcher également, et petit à petit, je ralentis. Je m’arrêtai lorsque je me retrouvai à environ un mètre de lui. Son sourire acheva de me détendre et je le lui retournai.
— Merci, soufflai-je.
— Il n’y a pas de quoi.
— Je t’ai encore appelé ?
Il eut une hésitation.
— En quelque sorte.
J’inclinai la tête sur le côté, dubitative.
— En quelque sorte ? relevai-je.
— Tu ne l’as pas fait de la même manière. Tu es… venue me chercher.
C’était encore moins clair.
— Neeve, je pense vraiment que tu possèdes d’autres capacités dont tu ignores l’existence, poursuivit-il avec calme.
Sa voix si profonde, suave, m’aurait déclenché plus d’un frisson, comme cela arrivait souvent, si je n’avais pas été si confuse par ses paroles.
— Comment ça ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
— Tu m’es apparue.
Il fallait que je m’asseye. De plus, je sentais à nouveau mon ventre se tordre. Il suivit le mouvement. L’herbe fraîche procura un bien-être illusoire à mon corps, en chatouillant la peau de mes jambes et de mes bras.
— On appelle cela la « projection astrale ». Ton esprit sort de ton corps et peut aller où il veut. Tu peux te montrer à quelqu’un, tout en étant à distance. C’est ce que tu as fait.
Mon premier réflexe fut de m’esclaffer, puis je cessai lorsque je vis son sérieux. Et je me rappelai vaguement avoir vu son visage dans la chambre, tout en percevant également April, derrière lui, comme s’il était transparent. Je restai bouche-bée quelques secondes.
— Je n’ai pas rêvé, alors…
— Non. J’étais dans le salon, quand je t’ai vu flotter au milieu de la pièce, ajouta-t-il avec un sourire en coin, comme s’il ne venait pas de me lâcher une bombe.
Je me passai une main sur le visage, puis secouai la tête.
— Ce n’est pas possible…, chuchotai-je. Je ne sais pas comment j’y suis parvenue…
Je fronçai les sourcils.
Ni pourquoi c’était lui que j’avais choisi. Encore une fois.
Préférant ne pas penser à cela pour le moment, comprenant que cela ferait trop à gérer, tout de suite, je mis mon sérieux de côté. Le déni était une arme redoutable.
— Désolée de t’avoir dérangé, alors, fis-je avec un petit rire nerveux.
— Ne t’en fais pas. Je me suis dit qu’il y avait un problème, alors je suis venu.
— Tu as viré April de la chambre ? m’amusai-je.
— Disons que j’ai pris le relais, cela me semble plus juste.
Je me laissai tomber en arrière pour m’allonger dans l’herbe.
— Bien. Mais puisque nous sommes ici, autant en profiter. Les questionnements et les problèmes seront là à notre réveil, soupirai-je.
Ma gueule de bois aussi. Au moins, là, j’étais plutôt tranquille.
Mon estomac démentit mes paroles. J’avais pensé trop vite.
Il resta assis, mais ses yeux noirs se firent plus joyeux quand il me regarda faire. Décidément, j’étais trop bien ici, je n’avais aucune envie de partir. Seulement, mon état n’allait pas me laisser le choix.
— Oh non, pas déjà…, grommelai-je, une main sur mon ventre.
Son sourire se teinta de déception, mais son regard se fit rassurant.
— Je serai là au réveil.
Ses paroles allégèrent ma peine. Je n’étais même pas vraiment surprise par cette constatation.
La clairière disparût. Adam aussi.
Seulement, je ne me réveillai pas tout de suite. Et un visage que j’abhorrais, désormais, s’imposa à ma vue.
Celui de Connor.
Une grimace de haine tordait ses traits. Il me toisait avec hargne et dégoût. Il secoua la tête en soupirant et je voulus reculer, seulement, une force supérieure à la mienne, typique des cauchemars, m’en empêcha.
— Pourquoi crois-tu qu’il est parti ? me cracha-t-il.
Je fermai les yeux, incapable de le regarder plus longtemps, tremblante.
— Va-t’en… Va-t’en, serinai-je. Tu n’es pas réel…
— Adam ne voudra pas de toi. Ce n’est même pas la peine d’espérer. Non mais regarde-toi… Tu n’es pas dégoûtée par ton propre corps, sans raison, tu ne crois pas ?
Je mis mes mains sur mes oreilles, afin de ne plus entendre ses mots atroces, qui faisaient pourtant écho à ce que je pensais moi-même, la plupart du temps.
— VA-T’EN ! hurlai-je.
Le blanc du plafond emplit mon champ de vision. La nausée était encore bien présente, même si je n’avais plus rien à cracher. Ce qui était pire, car la douleur ne pouvait pas être soulagée.
Mon cœur battait à tout rompre et je mis un instant à réaliser que Connor n’était pas là, que j’étais dans ma chambre, au manoir. Et je n’étais pas seule.
Je tournai la tête sur le côté et repérai Adam, qui était debout près du lit. L’espace de quelques secondes, les injures prononcées dans mon cauchemar me revinrent, mais je les fis taire de force. Il paraissait inquiet mais sembla rassuré de me voir réveillée.
— Tu as hurlé…, m’informa-t-il.
Oh…
— Ce… n’était rien…, mentis-je.
Et voilà. Dans la réalité, j’étais encore trop sous l’emprise de l’Elixir pour parler correc-tement.
Il n’eut pas l’air de me croire.
— Donc… tu as vraiment pris la place… d’April…, chuchotai-je en voulant plaisanter, afin de changer de sujet.
Un ange passa avant qu’il ne me réponde :
— Il fallait bien que je m’endorme quelque part pour pouvoir rêver avec toi, fit-il remarquer avec malice.
Mmhh. En effet.
Je savais qu’il pouvait le faire à distance, mais il avait tout de même tenu à être dans la pièce pour s’informer de mon état de ses propres yeux.
Je me décalai un peu, afin de lui laisser de la place. Il devait s’être assis sur le fauteuil, pour veiller sur moi.
— Le lit est… plus confortable…
C’était la moindre des choses.
— Sauf si j’ai… une tête à faire peur et… une odeur désagréable…
Il rit puis s’approcha un peu plus afin de s’assoir à la place libre tout en respectant une certaine distance.
— Je pense pouvoir survivre, me taquina-t-il.
— Combien de temps… j’ai dormi ?
— Presque deux jours.
Je voulus écarquiller les yeux, mais cela augmenta ma migraine. Je portai mes doigts à mon front en grimaçant.
— Deux jours…
— Tu es restée inconsciente presque tout le temps. On a réussi à te faire boire quand tu revenais vaguement à toi.
Mes paupières se fermèrent à demi, mais je luttai pour rester éveillée.
— Dans peu de temps… je vais être si énergique… que vous allez regretter que j’aille mieux…, plaisantai-je.
— Je ferais mieux d’aller chercher quelques bouteilles, alors.
Je peinai à lever le pouce, mais y parvins.
— Je te voyais lutter contre tes cauchemars, m’apprit-il soudainement. J’ai essayé de nous plonger dans un rêve commun plusieurs fois. (Cette information piqua mon intérêt.) Mais tu n’allais pas assez bien pour rester ancrée dedans assez longtemps. Cela durait à peine deux secondes. Tu ne dois même pas t’en souvenir.
Je le dévisageai. Il n’y avait aucun signe de reproche. Seulement une constatation et un léger sourire.
— En effet… Je ne m’en souviens pas…
Mon expression dut se faire plus douce.
— Mais tu as réussi…, lui remémorai-je.
— C’est vrai.
Son regard se fit plus compatissant.
— Si tu veux parler de ce qui te tourmente autant, n’hésite pas.
C’était sûrement dû à mon état lamentable et à mon épuisement, mais je sentis les larmes me monter aux yeux. J’étais touchée.
— C’est gentil… (Je levai un index.) Quand… ça ira mieux…
J’avais tenté de prendre un ton léger afin de dédramatiser la situation. Je l’entendis souffler du nez, signe que ça avait marché.
— Et… on pourra avoir des rêves… plus longs… Si tu es d’accord…
— Je le suis. J’aime beaucoup cet endroit. C’était un lieu dans lequel j’appréciais me rendre, autrefois. Pour être tranquille.
Tiens, tiens ! Désormais, il voulait bien m’en dire plus, là-dessus. Ou peut-être qu’il pensait que je ne me souviendrai pas de cette conversation, plus tard ?
— C’était il y a… longtemps… ? m’enquis-je.
— Plusieurs siècles.
Cet endroit devait effectivement lui manquer, s’il s’en souvenait toujours aussi précisé-ment, aujourd’hui.
— Je suis la seule… à l’avoir vu, alors ?
— Oui.
Je me sentis étrangement flattée, à cette réponse.
— J’ai un dessin… du saule pleureur…, avouai-je subitement.
— Ah oui ?
— Oui. Il me rend… sereine…
— Je comprends.
— J’en ai un… de toi, aussi…
Je m’en voudrais plus tard, pour avoir dévoilé cela. Sur le moment, cela m’avait semblé être une superbe idée, de le mettre au courant.
Je croisai son regard et lui souris. Il ne savait visiblement pas quoi répondre.
— Pourquoi ? finit-il par murmurer, surpris.
— Eh bien… tu m’apaisais… également… Enfin, c’est toujours le cas…
Mes yeux se fermèrent un peu plus. Si bien que je ne vis plus son visage. À peine le contour de ses hanches et de ses cuisses. Je sentis ses doigts dans mes cheveux, tandis qu’il les caressait doucement. C’était très agréable. Je sentais un peu moins mon mal de crâne. Le petit personnage qui jouait du tambour à l’intérieur, réfrénait ses ardeurs.
— J’avais commencé le dessin… avant de te rencontrer. Il est toujours… en cours…
— J’aimerais beaucoup le voir.
Je ne me souviens pas en quoi c’est une bonne idée de le lui avoir dit.
— Il n’est pas fini…, contrai-je.
Je laissai mes yeux se fermer, tout en essayant de rester consciente.
— Qu’est-ce que… tu aurais fait si… si tu avais su que j’étais réelle ? Avant que je n’arrive… au manoir ? demandai-je.
Cette question m’avait échappé avant même que je me rende compte que ça devait me turlupiner depuis un moment.
Un court silence s’ensuivit et sa main s’immobilisa, avant de reprendre ses caresses. Tant mieux. J’avais été sur le point de protester.
— Je t’aurais cherchée.
Cet aveu me fit rouvrir légèrement les yeux. Mon cœur manqua un battement.
— Et… je n’aurais pas abandonné avant de t’avoir trouvée, acheva-t-il.
— J’aurais été effrayée…
Il eut un léger rire.
— Je m’en doute…
— Mais… je me serais… faite à l’idée… Comme c’est le cas aujourd’hui…
Même si je ne voyais pas son visage, je devinai son regard posé sur moi.
— Je voulais que tu sois réel… Je t’aurais cherché… moi aussi, admis-je.
Je savais que l’idée qu’il était quelque part m’aurait obsédé jusqu’à ce que je tente quelque chose. J’en étais certaine, maintenant.
Cette fois, le silence ne fut pas gênant. Je n’eus pas la force de lever la tête pour voir sa réaction, mais je la devinais. Sûrement un mélange de surprise et de… ravissement.
La nausée me reprit et je serrai les lèvres. J’étais dans un tel état que je laissai l’anxiété reprendre le dessus et me rendis à peine compte de ce que je disais :
— Adam… Est-ce que je…
Je déglutis.
— Est-ce que je… te dégoûte… ?
— Quoi ? Non, bien sûr que non. Pourquoi est-ce que tu penses ça ?
L’horreur transperçait sa voix.
— C’est lui qui… me l’a dit…, répondis-je.
Le silence fut tel que la tension devint palpable. S’il n’avait pas continué ses caresses dans mes cheveux, ou s’il ne s’était pas légèrement rapproché, j’aurais pu croire que sa colère était dirigée contre moi.
— C’est celui qui t’a fait ces cicatrices ? demanda-t-il avec une douceur contrastant avec la froideur émanant de lui.
Je hochai la tête d’une manière presque imperceptible.
— Quand te l’a-t-il dit ? me questionna-t-il, songeant peut-être qu’il m’avait contacté d’une manière ou d’une autre.
— Là… Quand je dormais…
Il parût se détendre quelque peu. Je me rendis compte à ce moment-là que mes propos étaient confus et qu’il s’était bien agi d’un cauchemar. Seulement, j’en avais parlé comme si Connor avait été présent. Il fallait dire qu’il était toujours là, quelque part. Dans mon esprit.
— Je te promets que je ne pense pas cela, m’assura-t-il. Il vaut mieux ne pas l’écouter, il ne sait clairement pas de quoi il parle.
Sans rouvrir les yeux, j’opinai. En effet, il vaudrait mieux…
— Neeve… Ne pense pas ça de toi non plus, je t’en prie, chuchota-t-il. C’est très loin de la vérité. Je te le répéterai encore et encore s’il le faut. Et si tu as besoin d’en parler, je suis là.
Je souris faiblement et un poids s’envola de mes épaules. Peut-être qu’il reviendrait bien trop vite à mon goût, mais en attendant, les paroles d’Adam venaient de contrer celles de mon ex-copain. C’était tout ce qui comptait.
Le sommeil finit à nouveau par m’emporter, bercée par les caresses de la main d’Adam, dans mes cheveux, et rassurée par sa présence.
Le lendemain, je réussis à me lever sans avoir envie de rendre le peu de nourriture que je réussissais à ingurgiter. Une chose était sûre, leur Elixir était très efficace. Mes yeux avaient manqué de sortir de leur orbite lorsque Lucian m’avait dit que j’avais eu de la chance, et que j’avais mieux supporté les effets que bien d’autres humains. Je n’osais imaginer ce qui avait pu arriver à ces personnes.
April, qui était une femme adorable, avait tenu à rester dans la chambre, afin de veiller sur moi et quand j’allais prendre une douche, afin de pouvoir intervenir si je venais à m’évanouir. Ces derniers jours, ils avaient tous été incroyables avec moi. Même Nora était passée pour s’excuser de ne pas avoir fait plus attention. Mais elle ne pouvait pas avoir des yeux partout. Anselme avait veillé à nous distraire, tandis que sa complice usait de sa rapidité et d’une autre forme de diversion, pour verser la drogue dans mon verre.
J’avais cependant assuré à April que j’allais mieux et qu’au moindre problème, j’appellerais à l’aide. Et depuis mon cauchemar, une idée tournait en boucle dans ma tête ; il fallait que j’appelle Carla. Je voulais être un peu seule, pour cela.
J’allai m’asseoir sur le bord de mon lit et attrapai mon téléphone portable. Mes doigts tremblaient encore légèrement, à cause de ma faiblesse. Je finis par trouver le bon numéro.
Durant les trois tonalités que j’entendis, j’eus envie de raccrocher, me disant que je ne pouvais pas me permettre de mêler mon amie à cela. Que ce n’était pas prudent, même si j’avais terriblement envie de lui parler.
Mais quel était le danger, après tout ? J’allais simplement lui donner de mes nouvelles, rien de plus…
Elle décrocha, ce qui décida pour moi.
— Salut toi ! s’éleva sa voix pleine d’enthousiasme.
Je pouvais deviner son sourire, ce qui fit relever les coins de mes lèvres.
— Salut, répondis-je.
— Comment tu vas ? Je voulais t’envoyer un message, ça faisait longtemps !
Je sentis ma poitrine se comprimer d’une manière désagréable. Je me passai une main sur le visage, puis pris sur moi pour paraître normale.
— C’est vrai, confirmai-je sur un ton faussement léger. Je vais bien, mais j’avais affreusement envie d’entendre ta voix.
Je lâchai un petit rire et elle me suivit.
— Tu me flattes ! Tout va bien de mon côté, même si je n’en peux plus des examens. Comment se passent les tiens ? Il faudrait qu’on fasse quelque chose, pour fêter la fin de ces atrocités.
Je tiquai. Je n’aimais pas lui mentir. Seulement, je ne pouvais pas non plus lui dire la vérité. Il fallait que je trouve un moyen de contourner tout ça.
— Euh… En fait, j’ai arrêté, soupirai-je.
— Arrêté ? (Il y eut un silence d’une seconde.) T’as abandonné les cours ?
Il n’y avait aucun jugement dans sa voix, surtout de la surprise.
— J’en ai eu marre, improvisai-je. Je ne sais pas si je fais une pause ou… si je stoppe réellement.
Ça, ça dépendrait des circonstances.
— Oh… Qu’est-ce qui t’a confortée dans cette idée ? Est-ce que tu vas bien ? s’inquiéta-t-elle.
Je fermai les yeux pendant un instant. Ce coup de fil était plus difficile que je ne l’aurais pensé.
— Oui je vais bien, répétai-je.
— Je peux venir te voir ce week-end ! On pourra parler de tout ça !
Aïe.
— Non ! répliquai-je.
Avant qu’elle ne soit peinée par ce refus, je me rattrapai :
— Ça fait aussi partie de la raison de mon départ, poursuivis-je. (Je fis appel à mon peu de talent d’actrice.) J’ai appris il y a quelques temps que des proches de mes parents habitent dans le Vercors.
Je me raclai la gorge.
— Alors j’ai pris contact et je suis allée chez eux pour un moment. On voulait apprendre à se connaître et… je peux en savoir plus sur mon père. Et ils m’ont connu quand j’étais petite. Ça leur fait plaisir, à eux aussi.
Carla resta silencieuse un moment, puis un « Oh » ému lui échappa. Je sentis mes yeux me piquer. J’avais envie de la voir. Je voulais ne jamais raccrocher. Elle était la seule personne de ma vie d’avant qui comptait, qui me reliait encore à ce que j’étais.
— Je suis contente pour toi…, chuchota-t-elle. Sincèrement. Et si ça te fait du bien, alors profite. Et sache que tu auras toujours tout mon soutien.
Ses paroles m’arrachèrent une larme, que je m’empressai d’essuyer du pouce.
— Merci, ma belle, répondis-je. Et c’est réciproque. Tu le sais, hein ?
— Il y a plutôt intérêt, plaisanta-t-elle. (Je souris.) Tu ne m’as jamais laissé tomber non plus. Qui a parcouru des kilomètres pour me faire une surprise, pendant notre première année de fac, avant de reprendre les cours plus tard dans la journée ? Qui m’a cuisiné mon plat préféré quand j’étais malade ? Qui m’a un jour ouvert sa porte à cinq heures du matin en douce, quand je venais de me faire larguer ?
Je pouffai.
— Moi, affirmai-je.
— Exactement. Et qui m’a laissé terminer tout le pot de glace pour me réconforter ?
— Je tiens à te rappeler que je n’ai pas vraiment eu mon mot à dire, là-dessus, ricanai-je.
— Ce n’est qu’un détail. Les faits sont là, argua-t-elle.
— Quand on se verra, je te payerai autant de glace que tu voudras, promis-je.
— Ça, c’est la plus belle preuve d’amitié.
J’eus un sourire amusé. Il se fit plus attendri quand je repensai à tout ce qu’elle avait fait pour moi. Sans elle, je n’aurais pas su où aller, lors de ma fuite de l’appartement que je partageais avec Connor. Elle m’offrait son soutien sans borne depuis toujours et nous savions toutes les deux que nous pouvions tout nous dire et compter l’une sur l’autre.
Mais je ne pouvais décemment pas lui raconter ce qui se passait dans ma vie, aujourd’hui.
Soudainement, je ressentis le besoin de faire cesser cet appel. Sinon je risquais de me laisser aller à lui révéler des choses, sous le coup de l’émotion. Cela ne devait pas arriver.
— Je dois y aller, fis-je après m’être raclé la gorge. Je te donnerai plus de nouvelles, juré.
— D’accord. Appelle-moi dès que tu le souhaites !
— Ça marche, m’étranglai-je presque.
— Hé Neeve ?
— Oui ?
— Ça m’a fait du bien, de parler avec toi.
Je clignai plusieurs fois des yeux pour refouler des larmes. Je voulais la prendre dans mes bras, là, tout de suite.
— À moi aussi, répondis-je sincèrement. À très vite.
Je raccrochai. Je restai quelques instants à fixer l’écran désormais noir de mon téléphone. Je finis par m’en détacher et par le poser sur le lit, à côté de moi.
À très vite…
J’ignorais si ces mots étaient faux ou non.
Chapitre 11
Chapitre 13