Bonjour !
Voici le chapitre 4 ! J'espère qu'il vous plaira et je vous souhaite une bonne lecture !
Merci beaucoup pour vos retours. <3 Ils me touchent vraiment, à chaque fois.
Chapitre 4
Je devais être en train de rêver. Après toutes ces émotions, j’avais finalement dû finir par m’endormir. Je ne voyais pas d’autre explication. Adam était un vampire tout droit sorti de mon imagination, comment aurait-il pu être là ? Devant moi ?
Je me pinçai le bras, mais j'étais toujours dans cette pièce, devant lui. Il suivit mon geste du regard, puis releva les yeux pour rencontrer les miens.
— Comment est-ce possible… ? soufflai-je pour moi-même.
— J'allais te poser la même question, répondit-il d'un ton posé.
Pourtant, je pouvais voir que son calme n'était qu'une façade. Lui aussi, semblait confus. J'avais même la sensation qu'il me considérait presque comme un… danger ? Je m'adossai un peu plus contre le mur, pour mettre un maximum de distance entre lui et moi. Mon épaule nouvellement marquée fut prise de picotements, en entrant en contact avec la pierre.
C'était assez ironique. Et dire que dans mes rêves, je souhaitais qu'il soit réel. Maintenant qu'il l'était… j'avais peur.
— Je pensais… t'avoir inventé de toutes pièces…, murmurai-je.
Nul doute qu'il pouvait tout de même m'entendre de là où il était.
Je secouai la tête, souhaitant me remettre les idées en place. Ou alors je l'avais déjà vu, comme je l'avais pensé, et mon cerveau avait retenu son apparence. Il n'était pas le genre d'hommes qu'on pouvait oublier facilement. Du moins, le genre d'hommes que moi, je ne pouvais pas oublier facilement. C'était pour cette raison qu'il avait dû me marquer. Et peut-être… que je n'avais pas fait que le
croiser…
— Est-ce que tu m'as suivi ? Est-ce qu'on se connaissait ? m'enquis-je, essayant de garder la tête haute alors que j'étais saisie d’un début de panique.
Il ne me répondit pas tout de suite, laissant passer quelques secondes, semblant m'examiner minutieusement. J'avais l'impression d'être une énigme qu'il tentait de déchiffrer. Il finit par croiser les bras.
— Non. Je ne t'avais jamais vu avant. (Il eut un petit rire un peu amer.) Si on met de côté les rêves, bien évidemment.
Je ne bougeai pas pendant un moment, complètement figée. Je finis par déglutir, me demandant ce que faisait Emma. Enfin… elle devait être une amie à lui, en quoi m'aurait-elle aidé ? Peut-être que j'avais juste besoin d'une autre présence que la sienne pour ne pas céder complètement à l'effroi.
Je savais que j'avais désiré qu'Adam apparaisse réellement, mais cela faisait trop d'un coup. Il s'était passé bien des choses dans la même journée. Forcément, je n'étais pas à l'abris de quelques craquages.
Surtout que cette révélation était de taille : comment avais-je pu rêver de lui ? Non, pire que cela : comment avais-je pu
partager mes songes avec lui ? Puisque visiblement, il en avait été de même de son côté.
— Est-ce… un de tes pouvoirs ? l'interrogeai-je. Entrer dans les rêves des gens ?
Il plissa légèrement les yeux, son regard se faisant plus acéré.
— Non. Pas vraiment.
Il fit quelques pas dans ma direction et je me tendis. En voyant ma réaction, il s'arrêta et leva les mains en signe d'inoffensivité. Alors que j'avais toujours un bras contre le mur, je le fis redescendre lentement le long de mon corps.
— Pas vraiment ? osai-je relever.
— Je peux créer des illusions, mais pas… des
rêves à proprement parler. Et je ne peux pas entrer dans les songes d'une personne sans y avoir été
appelé.
Je fronçai les sourcils.
— Je ne t'ai pas appelé, contrai-je.
— De toute évidence, si, répliqua-t-il.
— Comment aurais-je pu appeler une personne dont je ne soupçonnais même pas l'existence ?
— Je l'ignore.
Je me passai une main sur le visage, complètement perdue. Mon esprit paraissait patauger dans la semoule. Je pris une grande inspiration. Soit il me mentait, soit nous étions dans une impasse. À ce que je sache, je n'avais aucun don de voyance ou quoi que ce soit de ce genre.
Pourtant tu as bien un pouvoir…
Oui, mais je m'en serais rendue compte, non, si j'en avais un autre, depuis le temps ?
— Et voilà ! s'exclama une voix enthousiaste. J'ai essayé de deviner ta taille. Espérons que ça ira le temps que tu retrouves tes affaires !
Adam releva la tête pour apercevoir ce que je devinais être Emma, qui revenait. J'entendais ses pas dans les escaliers. Pour ma part, je n'osais pas lâcher le vampire du regard. Je ressentais un sentiment étrange : j'étais partagée entre la fascination et l’inquiétude. J'espérais que si Lucian m'avait emmené ici, c'était bien parce qu'il avait confiance en Adam et Emma pour ne pas me faire de mal.
Enfin, si Lucian était digne de confiance lui-même.
La vampire entra dans mon champ de vision, me tendant des vêtements de rechange, avec un grand sourire. Je reportai enfin mon regard sur elle. Je hochai la tête et pris le linge qu'elle me tendait, de mes mains tremblantes.
— Merci…
Elle remarqua mon trouble et son expression changea, se faisant agacée et suspicieuse. Son visage pivota en direction d'Adam.
— Qu'est-ce que tu lui as dit ? grogna-t-elle. Sérieux, Adam, ce n'est pas le moment de lui faire peur !
Ce dernier ne me quitta pas des yeux, toujours avec un air curieux. Puis il finit par secouer la tête et s'éloigner, sans répondre. Emma soupira puis m'offrit un sourire qui se voulait réconfortant.
— Ne fais pas attention à lui. C'est… Adam. Il peut être vraiment chiant. Mais il n'est pas méchant, me prévint-elle.
— Je t'ai entendu ! s'éleva la voix du concerné, alors qu'il avait disparu dans une autre pièce.
Elle rejeta la tête en arrière et s'exclama :
— J'espère bien !
Elle reporta son attention sur moi.
— Ça va aller ? s’inquiéta-t-elle.
J’acquiesçai puis bredouillai un vague « Excuse-moi », avant de filer vers les escaliers, afin de regagner la chambre au plus vite.
~
Le lendemain matin, je mis un temps fou avant de me décider à sortir du lit. J’avais la gorge nouée. Finalement, alors que les cours et ma vie ordinaire semblaient si ennuyants, je me prenais à les regretter. J’aurais donné beaucoup pour ne pas être dans cette situation et me retrouver chez moi.
Pour autant, je ne voulais pas me laisser m’enfoncer dans un état catatonique. Il fallait que j’agisse, que je fasse quelque chose. Je comptais aussi sur le fait que si les vampires m’avaient vraiment voulu du mal, je serais morte depuis un moment. Ou enfermée quelque part. Pouvais-je seulement sortir du manoir ? Je l’ignorais.
Après avoir vérifié si la marque sur mon épaule était toujours là - et de fait, elle l’était, même si elle avait commencé à s’effacer -, je sortis enfin.
Heureusement que « ma » chambre n’était pas trop éloignée des escaliers, sinon je me serais perdue. J’en sortis avec un certain trac. J’appréhendais assez de voir Adam. Cela m’avait paru étrange quand, cette nuit, lorsque j’étais parvenue à m’endormir quelques heures, je ne l’avais pas vu dans mes songes. Après deux semaines à le voir chaque jour, cela me perturbait. Et en même temps, j’aurais été effrayée de l’apercevoir dans mon rêve.
Je descendis les marches et me dirigeai lentement vers le salon. Je ne savais même pas si j’espérais croiser quelqu’un ou non. Peut-être Emma, qui était celle qui m’inquiétait le moins. Je me demandais si Lucian était revenu.
Alors que j’avançais, je finis par entendre un bruit de couverts, ainsi que des grésillements de nourriture en train de cuire. Des effluves de viande me parvinrent et mon ventre se mit à gronder. Même si je n’avais rien mangé depuis la moitié du sandwich de la veille, j’avais l’estomac noué. Un haut-le-cœur fut aussi de la partie, m’indiquant qu’un vampire ne devait pas être loin.
Une voix féminine en train de chantonner arriva jusqu’à mes oreilles. Je m’approchai timidement, entrelaçant mes doigts de nervosité. Je finis par entrer dans la cuisine, dans laquelle Emma s’affairait. Grâce à ses sens surdéveloppés, elle devait avoir perçu ma présence depuis un moment, car elle se retourna pour me sourire, sans être surprise le moins du monde.
— Bonjour ! fit-elle avec gaieté.
Je forçai les coins de mes lèvres à se relever, au moins un peu.
— Bonjour…
Elle sourit en voyant que je portais ses vêtements. Un tee-shirt rouge tout simple avec un jean noir.
— Cela te va bien, commenta-t-elle.
— Merci… ?
— Tu veux manger quelque chose ? s’enquit Emma après une hésitation. J’ai préparé des steaks et des pommes de terre.
Persuadée que je ne pourrai rien avaler, je refusai :
— Hum... oui. D’accord.
Bien. Je n’osais pas dire « non ». Il allait falloir que je me secoue un peu.
Je tirai une chaise et m’assis dessus, ne quittant pas la vampire des yeux, qui surveillait à nouveau la cuisson. Je vis que la table avait été dressée pour deux personnes. Et si j’avais refusé ? Aurait-elle cuisiné pour rien ?
Attendez… Pourquoi y avait-il deux couverts ? Se pouvait-il qu’un autre humain soit ici ?
— Quelqu’un doit nous rejoindre ? m’enquis-je.
Elle se retourna et remarqua que je regardais les assiettes.
— Oh, non ! C’est pour toi et moi, répondit-elle.
Mon air surprit parla pour moi et lui arracha un petit rire.
— C’est si étonnant que ça ?
— Je… croyais que vous ne vous nourrissiez que de… sang, me justifiai-je.
Elle haussa une épaule.
— Tous les vampires ne supportent pas la nourriture humaine mais par chance, moi, si, sourit-elle. Et j’adore ça.
J’inclinai la tête sur le côté avec un air interrogateur.
— D’accord…
— Cependant, notre goût pour tout ce qui n’est pas sang humain ou animal est assez altéré, expliqua-t-elle. Alors on trouve des moyens pour compenser.
— C’est-à-dire ?
— On peut ajouter de l’alcool. Ça, c’est bien une des rares choses que nous sentons encore pleinement, même s’il nous en faut beaucoup pour être ivre. Ne t’en fais pas, je ne l’ai pas fait pour le repas, s’amusa-t-elle.
Je me surpris à sourire.
— C’est bon à savoir, répondis-je.
— À la place, je prendrai du…
Elle coupa sa phrase avant de l’avoir terminée. Elle eut l’air gêné et elle se détourna, faisant mine de retourner les steaks.
— Du ? l’encourageai-je.
— Du sang, termina-t-elle.
Ah. Je pensais qu’elle allait me parler d’épices, ou de choses de ce genre-là. Je déglutis, puis me giflai mentalement. C’était une vampire, forcément qu’elle allait avaler du sang. Je n’aurais pas dû être surprise.
— Du sang… dans ton assiette ? parvins-je à demander, après m’être raclée la gorge.
— Non, je me contenterai d’un verre pour accompagner. Je… Euh…
En constatant à quel point elle était gênée, sûrement parce qu’elle craignait de me faire peur, j’inspirai un bon coup pour me détendre. La pauvre, je venais de débarquer chez eux, elle avait déjà fait en sorte de marcher plus lentement qu’à son habitude, afin de ne pas me brusquer, et voilà qu’elle se censurait.
— Ne t’en fais pas, tu peux parler librement, voulus-je la rassurer. Je sais bien que vous avez besoin de sang pour survivre.
De toute façon, j’allais devoir m’habituer à tout ça pendant le temps où je resterais ici. Elle me lança un regard plein de gratitude.
— Le sang permet de développer un peu notre goût, si on en boit pendant le repas. Et quelques gouttes dans une boisson peuvent aussi être appréciées.
Mon regard tomba sur son verre, qui contenait un liquide sombre. Je déglutis. Alors c’était cela…
— Et comment vous vous en procurez ? osai-je demander.
— Hum… Bon, disons que pour éviter de… prélever directement à la source le plus possible, on vole. Dans les hôpitaux. Des poches de sang.
Je retins une grimace. Forcément, qu’ils continuaient à « prélever directement à la source ». En revanche, j’étais agréablement surprise de savoir qu’ils avaient trouvé ce moyen pour éviter de le faire quand c’était possible.
Je jetai un regard suspicieux au réfrigérateur, ce qui l’amusa.
— Ne t’en fais pas, elles ne sont pas entreposées ici.
Je me ressaisis.
— Ingénieux, en tout cas, soufflai-je.
Et je ne doutais pas que pour eux, c’était facile d’hypnotiser afin qu’ils arrivent à leurs fins. Même si le personnel des hôpitaux devait se demander où étaient passées ces fameuses poches de sang.
Emma arrêta la cuisson et servit les steaks dans les assiettes. Puis les pommes de terre prirent le même chemin. Je me demandais si je parviendrais à avaler ne serait-ce qu’une bouchée. De plus, j’avais l’impression qu’elle avait envie de me dire quelque chose, mais qu’elle se retenait.
— Je peux te poser une question ? demanda-t-elle finalement.
Je hochai la tête en commençant à couper un morceau de viande.
— Comment as-tu appris notre… existence ? lâcha-t-elle.
J’en lâchai ma fourchette. Pourtant, j’aurais dû me douter qu’une interrogation de ce genre allait tomber à un moment ou un autre. Je baissai les yeux. Elle n’avait pas dû être dans les parages, quand j’en avais parlé à Lucian. Ma main se mit à trembler.
— L’un des vôtres nous a attaquées, ma mère et moi, quand j’avais dix ans, finis-je par répondre d’une traite, avant que je ne change d’avis.
Je pris mon verre d’eau et évitai de fixer le sien, rempli de sang.
Elle eut l’air peiné et compatissant.
— Je vois. J’en suis navrée.
— Et en voyant ce dont il était capable… même s’il s’agissait de légendes, j’ai fait le lien avec les vampires. De toute façon, je ne voyais pas comment vous qualifier autrement, avouai-je, un peu nerveuse.
Elle tenta de me sourire, même si je voyais bien qu’elle était aussi gênée que moi.
— Tu as bien fait, puisque c’est exactement ça, répondit-elle sur un ton qui se voulait léger, sûrement pour que je me détende.
Elle inclina légèrement la tête sur le côté en portant un morceau de pomme de terre à sa bouche. Je fis de même avec mon plat. J’eus un haut-le-cœur au début, mais rapidement, mon ventre se mit à exprimer sa faim avec violence.
— Tu as fait des recherches, alors ? s’enquit-elle.
— Je plaide coupable, ricanai-je.
À l’époque, ma mère essayait de me convaincre que rien ne s’était passé comme je le croyais. Pourtant, je ne pouvais pas en démordre, même si je lui cachais le fait que j’y pensais toujours. Elle était entrée dans une sorte de déni que je ne pouvais que comprendre, mais moi, je ne pouvais pas. Les gestes d’une vitesse surhumaine du vampire, le fait qu’il paraissait tout voir, tout entendre, l’hypnose… Tout cela m’avait marqué. D’après ce que j’avais vu, j’en avais déjà déduit qu’ils avaient des sens surdéveloppés. Ainsi que des réflexes hors du commun.
— Je savais déjà certaines choses, concernant vos…
capacités. Et cela n’a fait que se confirmer avec celui qui a voulu m’enlever, hier. Mais pour le reste… je ne peux pas être sûre.
— Je serais ravie de répondre à tes questions, me sourit-elle, les yeux brillants.
Elle paraissait toute disposée à m’aider et à être la plus agréable possible. Elle était absolument adorable. Alors, même si j’étais encore un peu mal à l’aise, méfiante, je parvins à me détendre un peu, avec elle. Et puis, puisque je n’avais pas toutes les réponses, ce serait une bonne opportunité. Si j’avais un moyen pour me défendre avec ce que je savais, alors c’était toujours ça de gagné.
— Vous avez besoin de respirer ? m’enquis-je.
Après tout, je voyais ses épaules se surélever, puis s’affaisser. Sa poitrine se soulever. Ce qui m’étonnait un peu, puisqu’elle était… morte, en quelque sorte.
— Nous n’en avons pas besoin, répondit-elle. Mais certains le font tout de même par habitude, ou lorsque nous sommes en présence d’humains.
— Tu le fais par réflexe, toi ?
— Pas toujours.
Je compris qu’elle se forçait à le faire par égard pour moi, afin de paraître la plus normale possible. Encore une fois, elle faisait tout pour me mettre à l’aise, quitte à changer ses habitudes. Cela me paraissait étrange de songer qu’elle gagnait des points, à mes yeux, alors qu’elle représentait tout ce que je craignais.
— Je sais aussi que votre sang peut nous guérir, ajoutai-je avec une moue pensive. Je dois bien avouer que ça, je ne m’y attendais pas… J’ai été surprise.
— C’est vrai. Et cela entraîne une sorte de sommeil réparateur forcé, compléta-t-elle.
Exactement. C’était bien ce qui s’était passé.
— Enfin, ça n’arrive pas toujours. Plus la plaie est grande, plus tu restes inconscient, par la suite. Mais si elle est minime, tu peux rester éveillée. Notre salive aussi, peut guérir de petites blessures.
Je hochai la tête.
— Vous pouvez pleurer ? (Je me penchai un peu en avant lorsqu’elle acquiesça.) Est-ce que ce sont des larmes de sang ?
Ma question lui provoqua un petit rire. Un son très mélodieux, rassurant. Je me surpris à sourire.
— Oui, répondit-elle. Nos fluides sont faits de sang, désormais. Ils ne sont pas tous bien rouges, certains sont simplement un peu rosés. Mais oui.
— Alors certaines légendes sont bien vraies…
Je claquai des doigts, un souvenir me revenant.
— Vous avez un problème avec les chats, non ? lançai-je.
Elle écarquilla les yeux.
— Je te demande pardon ?
— Les chats, répétai-je. J’ai vu tellement de légendes dans lesquelles il est question d’eux… Par exemple, en Chine, il est dit que ces animaux pouvaient cacher des vampires dans leur pelage.
Elle pouffa de rire.
— Les humains n’ont jamais manqué de créativité, affirma-t-elle en se reculant contre le dossier de sa chaise, amusée. Je pense qu’il s’agit surtout de tiques, en réalité.
Elle marquait un point.
— Il y en a une autre, aussi, qui parle de cadavres ramenés à la vie parce qu’un chat aurait sauté par-dessus leur tombe, quelque chose dans ce goût-là.
Elle secoua la tête.
— Je t’assure que ce n’est pas le cas.
— Je m’en doutais, souris-je. Et concernant d’autres animaux, comme les chauves-souris ?
Je balayai mon interrogation d’un geste de la main.
— Cela aussi, ça doit être une légende inventée surtout pour la mise en scène dans les films…
Mais en voyant sa tête, je commençai à douter. Elle se mit à siroter sa boisson en fuyant mon regard, ce qui voulait tout dire. J’étais si choquée par cette révélation que je n’eus même pas le loisir d’être dégoûtée par ce qu’elle buvait.
— Attends… Ne me dis pas que vous pouvez réellement vous transformer en chauves-souris…
Elle reposa son verre et se racla la gorge.
— Pas tous, reprit-elle. Moi je ne le peux pas. Mais j’en connais qui le peuvent.
Ma mâchoire menaçait de se décrocher. Elle leva un index.
— Nous pouvons aussi contrôler les animaux, pour certains, ajouta-t-elle. (Elle leva un deuxième doigt.) Et en parlant de contrôle, il y a aussi l’hypnose.
Pensant que j’aurais un début de panique, elle leva les mains en signe d’apaisement.
— Il est facile de contrer cela. Tu peux porter des branches de rosier sauvage sur toi et cela annulera ou amenuisera les effets. Nous en avons une réserve, je pourrais t’en mettre dans un bijou, par exemple. Mais ne t’en fais pas, tu ne devrais pas en avoir besoin.
Je notai cette information et opinai.
— Ce serait vraiment gentil, acceptai-je. Et j’étais au courant, pour l’hypnose.
Mais au moins, désormais, je savais aussi comment y remédier.
— Autre chose… ? demandai-je d’une petite voix.
— Les plus anciens et les plus puissants peuvent avoir des griffes qui se rétractent. Voler, aussi.
Ce fut à mon tour de m’affaler contre le dossier de ma chaise. En effet, Lucian avait mentionné cette capacité, quand il marchait dans les airs et que j’étais à moitié consciente. Cela me revenait, maintenant. Mais apparemment, ce n’était pas cette faculté, qu’il utilisait, à ce moment-là. C’était ce qu’il avait dit.
— Voler… Avec la transformation en chauve-souris, je commence à me dire que la légende de
Dracula est assez réelle.
Manquerait plus qu’il ait existé, celui-là.
— Eh bien…
— Ne me dis pas que le comte Dracula a vraiment…
Elle rit.
— Non, ce n’est pas ce que j’allais dire. J’allais ajouter que, de même, pour les plus puissants, ils peuvent devenir de la brume ou de la fumée pendant un instant, et passer dans les plus petits interstices. Comme dans certaines versions de Dracula. Et grimper sur les murs.
D’accord. Waouh. Plus jamais je ne me moquerais d’une légende sur les vampires. On ne savait jamais.
Je me passai une main sur le visage. Ok, puisqu’on enchaînait là-dessus…
Mon geste réveilla les picotements de mon épaule, comme si la marque me narguait. Je fis de mon mieux pour l’ignorer.
— L’ail ? Les signes religieux ? lâchai-je. Les cercueils ? De ce que j’ai vu, vous n’avez pas l’air de craindre le soleil…
— Sornettes. Je supporte l’ail. J’adore ça, même. Les signes religieux ? Mignons. Et non, je dors dans un merveilleux lit bien trop grand pour moi mais que j’adore, répondit-elle avec un air fier. Pourquoi s’enfermer dans une boîte quand on peut rouler sur un immense matelas ?
Sa remarque me fit rire.
— Un point pour toi.
— Quant au soleil… Les nouveau-nés vampires le craindront, les premiers temps et tomberont comme des masses, à l’aube, en s’endormant. Puis il leur faudra sortir couverts jusqu’à ce que leur peau ne brûle plus en s’y exposant. Cela peut prendre quelques semaines. Voire quelques mois. (Elle eut un air songeur.) En réalité, cela dépend de chaque vampire. Et généralement, ils restent tout de même assez sensibles au soleil les premières années. Il faut que nous l’évitions aussi si nous sommes gravement blessés.
Je haussai les sourcils. C’était une information importante, ça. Elle dût se faire la même réflexion, car je vis à son expression qu’elle en avait trop dit.
— Hum… Ne t’en fais pas, je n’utiliserais pas cette information contre vous, voulus-je la rassurer.
Enfin… tant qu’ils ne me donnaient pas de raison de le faire. Mais cela pourrait me servir, un jour.
Elle hocha la tête mais resta préoccupée. Avait-elle peur des réprimandes si les autres savaient ce qu’elle m’avait révélé ? J’étais certaine qu’elle ne m’en dirait pas plus sur leurs points faibles, pour l’instant. Je ne devais pas insister. Mais s’il y avait encore un moyen pour avoir d’autres renseignements que j’aurais manqué, il fallait que je continue.
Une légère nausée me prit, mais je n’y fis pas très attention.
— Autre chose ? repris-je doucement.
Je vis Emma relever les yeux, mais regarder par-dessus mon épaule. Je me raidis.
— Oui, s’éleva une voix que je reconnaissais bien.
Ah. Voilà la raison de mon soudain malaise qui revenait.
Un frisson me parcourut, alors qu’Adam s’avançait dans la pièce. Il nous adressa un rictus en coin, qui se ternit légèrement quand il me regarda, puis tira une chaise pour s’y asseoir. Il croisa les bras sur la table. Ses yeux noirs se mirent à fixer les miens et ma gorge se serra. J’avais tant aimé ce regard… Quelque part, ce devait être encore le cas.
— Il y a bien d’autres choses, continua-t-il.
Il y eut un silence pesant autour de la table. Le regard d’Emma passait de lui à moi, puis elle sembla me demander silencieusement si je voulais qu’il parte. Mais il paraissait enclin à apporter des réponses, lui aussi. D’ailleurs, pourquoi voulait-il le faire ? N’avait-il pas l’impression d’avoir été manipulé par moi, à cause des rêves que nous avions partagés ?
— Je t’écoute, finis-je par souffler du bout des lèvres, tendue.
— L’argent est notre gros point faible, révéla-t-il.
Emma émit un hoquet de stupeur et le fusilla du regard.
— Qu’est-ce que tu fais ? grogna-t-elle.
— Quoi ? lui répondit-il, désinvolte. Elle a bien le droit de savoir, non ? De toute façon, je ne doute pas que Lucian lui aurait tout expliqué.
Je me redressai, intéressée. En réponse, il haussa un sourcil, semblant ravi que cela me fasse réagir.
— L’argent, répétai-je.
— Si on nous l’injecte, ou que cette matière entre en contact avec notre sang. On peut tout à fait porter des bijoux en argent, compléta-t-il.
C’était sûr que je n’allais pas l’oublier, ça.
— Intriguée, on dirait, remarqua-t-il.
— Ensuite ? l’encourageai-je.
— La décapitation, poursuivit-il.
Emma soupira et secoua la tête, avant de terminer son assiette. Je me rendis compte que j’avais à peine touché à la mienne. Mais je m’en fichais pour l’instant, ce que j’étais en train d’apprendre était bien plus important.
— Mais il faut faire attention à la manière dont on nous tranche, conseilla-t-il avec un rictus en coin. (Ses mots me firent frémir et je grimaçai.) Nos membres peuvent repousser, tout comme d’autres parties de notre corps. Il faut vraiment être sûr de son coup.
Je déglutis. Je devais avoir pâli.
— Adam…, grommela la vampire.
— Elle voulait savoir. Je l’informe, répliqua-t-il.
Il pointa un index dans ma direction. Son expression provocatrice, un peu taquine et pleine de défi me paraissait si différente de celle qu’il arborait dans nos rêves…
Était-ce une pointe de déception, que je ressentais ?
— Le feu, ajouta-t-il. Nous n’aimons pas trop ça. Enfin, comme pour chaque être vivant, tu me diras.
Je fis mine de porter une bouchée de pomme de terre à ma bouche, tout en l’écoutant. Je voulais me donner une contenance afin de ne pas montrer à quel point tout cela pouvait m’intéresser ou me troubler. Surtout me troubler, en réalité. Je venais réellement de sauter à pieds joints dans le monde des vampires, que j’avais pris soin d’éviter jusqu’ici.
— Le fer, également, finit par céder Emma. Cela peut nous faire souffrir.
À ces mots, elle remonta la manche de son bras gauche. J’écarquillai les yeux en voyant de profondes cicatrices sur sa peau. De longues traînées creusées. Je me retins de justesse de grimacer en pensant à la douleur que cela avait pu causer.
— On m’a attaché avec une chaîne, un jour, m’apprit-elle. Cela a le même effet qu’un fer chauffé à blanc.
Le visage d’Adam se renferma. Son sourire malicieux avait totalement disparu. Je pouvais voir une colère froide dans le fond de ses yeux. Je ne savais pas qui avait fait cela à Emma, mais le coupable devait sûrement espérer ne pas croiser le vampire qui avait hanté mes songes. Nul doute qu’il lui aurait fait regretter son geste.
Puis, soudainement gênée, elle abaissa à nouveau sa manche, ses joues prenant une teinte légèrement rouge. Cela contrastait fortement avec sa peau pâle. Je me fis la réflexion que le sang qu’elle venait d’ingurgiter lui permettait d’avoir des couleurs.
— Tu n’as pas à avoir honte, soufflai-je.
Je me surpris moi-même. Je ne savais même pas que je m’apprêtais à parler. Mais quelque part, je comprenais ce qu’elle ressentait. Même si ce n’était pas pour les mêmes raisons, j’avais également mes cicatrices. Et je savais ce que cela faisait de vivre avec.
À mon tour, je remontai une de mes manches pour exposer mon avant-bras. Celui-ci était marqué par des brûlures de cigarette et des cicatrices laissées par la lame d’un couteau.
Et je n’en étais pas à l’origine.
Deux paires d’yeux tombèrent sur ma peau, et je baissai les miens. Je me raclai la gorge, puis cachai à nouveau mon bras.
Je finis par regarder à nouveau la vampire et celle-ci m’adressa un petit sourire peiné et compatissant. Je le lui rendis. Nous n’avions pas le même vécu, mais là-dessus, nous pouvions nous comprendre.
Quand je tournai la tête vers Adam, afin de lui poser d’autres questions, je vis qu’il avait la mâchoire serrée. Il était toujours en colère. Cela le rendit plus… humain, à mes yeux. Au moins, il ne cautionnait pas ce genre de choses. Et il ne les avait jamais vu. Dans nos rêves, les cicatrices n’étaient pas présentes. Sûrement parce que je voulais éliminer ce souvenir de ma mémoire, au moins pendant un moment.
— Autre chose ? chuchotai-je.
Ma voix le fit revenir à la réalité, alors qu’il fixait toujours mon bras. Il eut un air pensif.
— Nous ne devons pas boire le sang d’un mort. Ni celui d’un malade. Dans le premier cas, cela peut nous être mortel et, dans le deuxième, cela nous affaiblit grandement, finit-il par dire.
— Et les pieux ? m’enquis-je. Est-ce que ça aussi, c’est vrai ?
Ils échangèrent un regard complice.
— Oui, répondit Adam, mais nous ne sommes pas vraiment d’accord sur ce qui fonctionne le mieux…
— L’argent ! réagit instantanément Emma, d’une voix plus forte qui faillit me faire sursauter.
— L’érable est atroce, renchérit-il.
— L’argent est très, très douloureux, argumenta-t-elle.
— Tu t’es déjà fait planter par un pieu en érable, quelque part ? Sache que ça pique pas mal.
Elle plissa les yeux avec un air menaçant.
— Non, mais toi, ça pourrait t’arriver à nouveau si tu continues de me contredire.
— On t’a déjà enfoncé un pieu en érable ? m’étonnai-je en regardant Adam.
— Oui. Comme tu peux le deviner, ce n’était pas très agréable. Pire qu’avec une arme blanche tout à fait banale.
Cette fois-ci, je grimaçai bel et bien.
— Mais tu es toujours en vie… ?
Il sourit.
— Il n’était pas dans le cœur. Sinon, je ne me tiendrais pas devant toi en ce moment-même.
— Je vois…
— Le bois d’aubépine est très efficace, reprit Emma.
— Le tremble, ajouta Adam.
— Le frêne.
— Avec des morceaux de branches de rosier sauvage.
Cela me fit tilt.
— Cela peut contrer l’hypnose ET vous tuer ? fis-je, fascinée.
— Exactement, confirma Adam. Mais le pire, mis à part l’érable et l’argent, c’est bien le tremble.
— L’aubépine, le corrigea Emma.
— Emma, même le
frêne est plus douloureux que ton aubépine, soupira-t-il. Cela brûle à un point…
— L’aubépine fait souffrir plus longtemps.
Je les regardai tour à tour, comme si j’étais en train d’assister à un match de ping-pong. C’était surréaliste, comme discussion. J’étais vraiment en train d’écouter deux vampires vanter les « mérites » des armes pouvant les détruire. Je n’aurais jamais imaginé en avoir une de ce genre-là un jour. Peut-être que j’étais vraiment en train de rêver. Je me fis la promesse d’écrire un roman là-dessus, si je me réveillais.
— Et… pour les autres types de bois ? demandai-je.
— Cela n’est pas très efficace. À moins que tu t’acharnes sur le cœur d’un vampire au point de le réduire en bouillie. Mais cela prendrait du temps et il y a toujours le risque qu’il reprenne le dessus.
— Et il faut souvent planter le pieu deux fois dans le cœur. Afin d’être sûr, précisa Emma. Le premier coup immobilise, mais il faut recommencer.
Je hochai la tête et entourai mon verre d’eau de mes deux mains, le regard dans le vide, alors que j’assimilais toutes ces informations. Quelque part, j’avais toujours su que le monde des vampires était violent, mais j’étais un peu… rassurée, à l’idée de voir que ceux qui étaient avec moi dans cette cuisine parlaient normalement, comme des humains. Bon… si on mettait de côté leur sujet de discussion.
— Vous pouvez également avoir d’autres capacités, non ? soufflai-je.
— Mmhh… Peut-être que j’ai oublié quelque chose… Oh, oui ! Nous pouvons être appelés dans les rêves des autres, lâcha Emma.
Avant que je ne puisse me contrôler, mon regard se reporta sur Adam. Il fit de même avec moi.
— Quand nous sommes
appelés dedans, Neeve, me coupa-t-il. Comme je te l’ai déjà dit. Je n’aurais pas pu le faire de moi-même. Il faut que nous soyons invités.
Je hochai la tête. En effet, il l’avait déjà précisé.
Sans le quitter des yeux, mon cerveau se mit en branle. Mais comment aurais-je pu l’inviter ?
— Attendez… cela vous est déjà arrivé ? intervint Emma, qui paraissait sceptique. Cette nuit ?
— Non. Depuis environ deux semaines, soupira Adam.
— Mais vous ne vous connaissiez pas…
— C’est exact, affirma-t-il. Nous ne savons pas comment c’est possible.
Je sentis le regard scrutateur de la brune sur moi, et je me mordis la lèvre inférieure, n’osant pas croiser son regard.
— Je ne sais pas comment c’est arrivé, fis-je, gênée et un peu inquiète à ce sujet.
— Mais ça veut dire que tu as dormi toutes les nuits depuis deux semaines ? s’exclama-t-elle soudainement, l’air effaré, en regardant son ami.
Elle avait l’air bien plus choqué par cette information que par le reste. Je n’étais pas sûre de tout saisir.
— Parce que vous ne dormez pas la nuit ? demandai-je.
— Si, cela nous arrive quand on vit entourés d’humains ou que nous sommes exténués, répondit-elle sans le quitter des yeux. Mais il ne dort pas toujours. C’est étonnant qu’il ait enchaîné deux semaines en dormant chaque…
Puis elle parût comprendre quelque chose et détourna les yeux, se mettant soudainement à contempler son assiette vide comme s’il s’agissait d’une merveille. Elle ne pipa mot. Adam, qui lui adressait un regard glacial, fit mine de baisser les yeux sur ses mains.
Qu’est-ce qui venait de se passer ? Avait-elle été sur le point de dévoiler quelque chose d’important ? Était-il blessé pour avoir eu besoin de dormir chaque jour depuis deux semaines ? Dans ce cas, il était normal qu’il ne veuille pas forcément que cela se sache.
Par réflexe, je l’examinai en essayant d’être discrète. Il n’avait pas l’air de se porter si mal que cela…
— Neeve, m’appela doucement Emma.
— Oui ?
— Lucian nous a… prévenu que tu avais certaines
capacités, toi aussi…, fit-elle sur un ton hésitant.
Après un instant de souffle coupé et de silence, je finis par opiner.
— Il est vrai, confirmai-je.
Forcément, qu’il leur en avait parlé. Après tout, ils étaient ses amis, il devait les avoir prévenus d’un potentiel danger, puisque je pouvais ne pas me contrôler. Et il avait eu droit à une démonstration en direct, en plus de cela. Qui avait dû être assez impressionnante.
— Peut-être que… c’est comme ça que tu as réussi à appeler Adam en rêve ?
Je secouai la tête.
— Mon pouvoir n’a rien à voir avec cela, expliquai-je. Pour pouvoir l’inviter, il aurait fallu que je connaisse son existence mais ce n’était pas le cas. Et je n’ai aucun pouvoir de… vision, ou quelque chose de ce genre.
Je croisai les bras sur la table et me penchai en avant.
— D’ailleurs, je me suis dit que vous deviez avoir certains pouvoirs, puisque moi-même, j’en suis capable. C’est le cas ?
Emma se mit à sourire.
— C’est le cas.
Et, alors que j’attendais quelque chose - une démonstration, peut-être ? -, ma nausée revint. J’avais vraiment un radar à vampires.
Nous tournâmes tous la tête vers l’entrée de la cuisine.
Lucian était revenu. Il déposa plusieurs sacs qui devaient sûrement contenir mes affaires. Je me levai, avec l’impression que ces affaires familières étaient tout ce que j’avais, désormais. D’ordinaire, je ne leur attachais pas énormément d’importance, mais là, elles étaient tout ce qui me restait de ma vie ordinaire.
— Bonjour, Neeve, sourit-il. J’ai ramené tout ce dont tu pourrais avoir besoin.
Alors que j’allais faire un pas en avant et le remercier, une femme surgit à ses côtés. Une paire d’yeux d’un bleu profond trouva les miens. Des cheveux noirs cascadaient le long d’une grande silhouette élancée, jusqu’à retomber en bas du dos.
Elle avait un visage qui pouvait paraître sévère, pourtant, son expression adoucit ses traits. Un immense sourire dévorait son visage et ses yeux étaient rougis. Je ne bougeai plus, frappée par son air bouleversé. J’avais la sensation étrange qu’elle m’était familière, elle aussi… Tout comme cela avait été le cas avec Lucian.
— Neeve…, murmura-t-elle si bas que je faillis ne pas l’entendre.
Elle fit un pas en avant et, par réflexe, j’en fis un en arrière. En voyant mon geste, elle écarquilla les yeux, puis les baissa. Elle ne bougea plus. Lucian mit une main dans son dos, comme pour la réconforter, et je voulus disparaître dans un trou de souris. Je ne savais plus où me mettre. Ils semblaient très proches. Les anneaux à leurs doigts me laissèrent penser qu’ils étaient mariés.
La femme se reprit et se remit à sourire.
— Désolée, c’est juste que… la dernière fois que je t’ai vu, tu étais toute petite, expliqua-t-elle. Cela fait plaisir de te voir…
Oh.
— Vous étiez aussi une amie de mes parents ? devinai-je.
Il y eut un silence pendant quelques secondes, puis elle acquiesça.
— C’est exact, répondit-elle d’une voix douce. Je m’appelle April.
Pourquoi avais-je l’impression qu’on ne me disait pas tout ?
— Enchantée…, chuchotai-je tout de même, poussée par la politesse.
Mais mon attention fut attirée ailleurs. Lucian venait d’attraper quelque chose dans sa poche. Il tendit sa main vers moi. Mon cœur fit une embardée quand je vis le médaillon en or de ma mère. Je m’en saisis, effleurant les doigts froids du vampire des miens. Je passai mon pouce sur la gravure de la boussole. J’eus un sourire en regardant le bijou, émue.
— Merci… Merci beaucoup…
— Il n’y a pas de quoi, c’est normal.
Je ne perdis pas le temps et accrochai le pendentif autour de mon cou, le laissant retomber contre le haut de ma poitrine. Je fus soulagée en sentant son poids contre moi.
— Nous avons également tout arrangé, pour le reste, enchaîna Lucian.
Je fronçai les sourcils et relevai la tête vers lui. Que voulait-il dire ?
— À propos de quoi ?
— De l’université et ton appartement, répondit-il.
Maintenant qu’il en parlait, je me rendis compte que je trouvais tout cela bien futile, comparé au danger qui me menaçait. Mais il s’agissait de ma vie. J’aurais dû y penser également. Cela aurait au moins dû me traverser l’esprit…
— Vous…
— Je suis désolé mais… tant que la menace planera sur toi, tu ne pourras pas y retourner…
Oui, cela, je m’en étais douté.
— Ils pensent que tu as quitté l’université et ton appartement pour partir vivre ailleurs, intervint April.
Je me passai une main dans les cheveux, soudainement nerveuse. Alors ils avaient fait annuler ma bourse, mes examens… Je n’avais plus non plus d’appartement.
Même si c’était nécessaire, ils venaient presque d’effacer ma vie, en un battement de cils.
— Et… quand ce sera fini… ? m’étranglai-je.
Lucian prit une expression qui se voulait rassurante, réconfortante.
— Nous ferons en sorte que tu puisses tout reprendre normalement, m’assura-t-il.
Je hochai la tête mais baissai les yeux. J’étais mortifiée et en même temps, il m’avait sauvé la vie et fait en sorte que je sois protégée.
Je me forçai à sourire.
— D’accord. Merci, répétai-je.
Je croisai brièvement le regard inquiet d’Emma, puis me raclai la gorge.
— Excusez-moi.
Je les contournai, récupérai mes sacs, puis m’éloignai d’un pas rapide, même si la charge était lourde. Je montai les escaliers et je soupirai de soulagement en me rendant compte que personne ne me suivait.
J’eus une pensée pour Emma, qui avait préparé un repas auquel je n’avais presque pas touché. Je n’avais pas non plus aidé à débarrasser.
Je faillis pouffer de rire, nerveusement, à cette pensée, alors qu’une culpabilité ancienne me saisissait. C’était ridicule. Elle comprenait sûrement pourquoi j’avais déserté d’un coup.
Elle ne me ferait pas payer le fait que je ne l’avais pas aidé.
Emma n’était pas Connor.
~
Je me réveillai en sursaut, une main sur ma gorge. J’avais du mal à respirer. Du moins, j’en avais eu l’impression… Mais maintenant que j’étais réveillée, je me rendais compte que rien n’entravait mon souffle.
Je fronçai les sourcils et pris de grandes inspirations, éloignant ma main petit à petit. Je passai mon bras sur mon front transpirant. Encore un cauchemar… Et aucun rêve réconfortant comportant une clairière, un saule pleureur et Adam, pour me rassurer, cette fois.
De plus, une mélodie se fit entendre. Je grimaçai, alors que cette musique alimentait ma migraine. Quelqu’un était-il vraiment en train de jouer de la flûte quelque part dans le manoir, à cette heure si avancée de la nuit ?
Sentant que je ne serais pas capable de me rendormir tout de suite et intriguée par la mélodie, je me levai, rabattant les pans de ma robe de chambre contre moi. J’ouvris la porte. Mais il y avait quelque chose d’étrange : alors que j’étais sortie de la pièce, le volume de la flûte n’augmenta pas.
Presque comme si… cela n’avait lieu que dans mon esprit…
Je me passai une main sur le visage, tout en continuant d’avancer. J’allumai la lumière et, arrivée aux escaliers, je me penchai par-dessus la rambarde. Mais je ne vis personne. Et mis à part la flûte, il n’y avait aucun autre bruit.
Ce n’est pas réel…
Je devais simplement avoir une mélodie dans la tête, qui finirait par passer, et après ce cauchemar dont je ne me souvenais pas, je devais être encore confuse. Je secouai la tête. Cela paraissait bien réel, mais ça ne l’était pas.
Alors que j’allais retourner dans ma chambre, un son me glaça le sang et je sursautai. Cela ressemblait à un sanglot. Un sanglot déchirant.
Au bout du couloir, je vis une silhouette s’éloigner. J’avais à peine eu le temps de voir de qui il s’agissait, mais la voix était féminine. Et elle paraissait plus petite qu’April.
— Emma… ? Que se passe-t-il ? m’inquiétai-je.
Je me remis à avancer pour la rattraper. Même si elle était une vampire, ces pleurs étaient si déchirants que je ne pouvais pas rester là à ne rien faire. Ce son atroce se poursuivait et je me demandai ce qui avait bien pu se passer pour qu’elle soit dans un tel état.
Et surtout, pourquoi personne ne réagissait ?
Je la suivis, me mettant à trottiner dans les couloirs.
— Attends-moi, chuchotai-je, sachant très bien qu’elle pourrait m’entendre avec son ouïe exacerbée. Que se passe-t-il ?
Mais quand je tournai à l’angle du couloir, je ne la vis pas. Où était-elle allée ?
Je continuai à m’enfoncer dans le manoir, me faisant la réflexion que j’allais me perdre. Je ne savais déjà plus comment revenir jusqu’à la chambre. Mais quand je tombai sur un cul-de-sac, j’écarquillai les yeux.
Elle n’avait pas pu disparaître comme ça… si ?
Et les sanglots se poursuivaient. Tout comme la mélodie de la flûte. Je mis mes mains sur mes tempes. C’était insupportable. J’avais la sensation que quelqu’un frappait mon crâne à grands coups de marteau.
Réfléchis… Réfléchis…
Les sanglots se firent plus forts. Putain ! Mais pourquoi personne n’allait l’aider ?! C’était horrible !
Me souvenant que les vampires pouvaient se changer en brume, je regardai autour de moi. Il y avait une porte close - et je n’avais entendu aucun claquement - et elle avait dû passer par les petits interstices. Seulement, je ne savais plus si elle m’avait dit qu’elle, en était capable.
Forcément, sinon elle n’aurait pas disparu ainsi ! À moins que je n’aie loupé une intersection avec un autre couloir…
J’appuyai sur la poignée de la porte et tirai. Mais à l’intérieur, ce n’était pas une pièce. Il s’agissait d’un placard. Emma n’aurait pas pu entrer là-dedans…
Il se passa plusieurs choses à la fois : la mélodie de la flûte cessa. Les sanglots se stoppèrent.
Et je tombai en arrière en voyant une silhouette apparaître dans le placard, se ruant sur moi. Je laissai échapper un hoquet de surprise et me rattrapai de justesse sur les mains. Je me retournai vivement pour voir qui il y avait à l’intérieur de ce placard. Et si c’était Emma, pourquoi elle avait…
Mais ce n’était pas elle. Et quand j’avais cru que quelqu’un bondissait sur moi, je m’étais méprise. En réalité, il s’agissait d’un mouvement de balancement. Il y avait bien une femme, avec de longs cheveux blonds qui retombaient devant son visage.
Et celle-ci pendait au bout d’une corde.
Je hurlai d’effroi et reculai, sur le dos, comme si cela pourrait me permettre d’échapper à cette vision. Je fermai les yeux et mis un bras devant mon visage, alors que des larmes me montaient aux yeux.
Non… Non… Ça recommence…
Je n’avais pas vu cela. Et cette femme n’était pas ma mère. Il fallait que je cesse de penser à cela. À ce douloureux souvenir.
Ma mère était rousse. Pas blonde.
Mon Dieu… Mais qui était-elle ?
Je n’avais pas envie de revoir cela, pourtant, c’était ce qu’il fallait faire. L’idée qu’elle puisse être encore en vie me traversa l’esprit et cela me motiva pour que je rouvre les yeux et tente de me relever.
Mon cœur rata un battement.
Il n’y avait plus de femme pendue.
Mes yeux menacèrent de sortir de leur orbite. Il n’y avait que divers objets rangés sur les étagères. Aucune trace d’une personne.
— Neeve ! entendis-je.
Je sursautai à nouveau et tournai la tête. Je vis Lucian, April, Emma et Adam débouler pour se ruer vers moi. Je n’eus même pas le réflexe de reculer.
Le premier s’accroupit devant moi et me scruta d’un regard inquiet.
— Est-ce que tu vas bien ? Qu’est-ce qui s’est passé ? m’interrogea-t-il.
Incapable de lui répondre tout de suite, je tournai à nouveau les yeux vers le placard. Toujours rien. Je secouai la tête, puis reportai à nouveau mon attention sur les vampires. Mes yeux s’arrêtèrent un instant sur Emma. J’avais vraiment cru qu’elle souffrait le martyr. Mais non, elle allait bien. Du moins, si on mettait de côté l’inquiétude que je lisais dans son regard.
Je devais devenir folle.
— Je… Il y avait…, bredouillai-je.
Je tendis un doigt vers le placard. Je devais avoir l’air ridicule. Ils suivirent tous cette direction du regard, puis parurent perplexes.
— Il y avait quoi ? demanda doucement Adam.
— J’ai… J’ai dû faire un cauchemar…
Bien sûr. Un cauchemar bien réel que j’avais eu
pendant que je marchais dans le manoir, tout en ayant conscience de mes gestes ?
Plutôt une bonne hallucination, oui.
Je me relevai sur mes jambes tremblantes.
— Désolée de vous avoir inquiété… Ce n’est rien. Je vais bien.
— Ce n’est pas « rien », protesta Lucian. Tu as hurlé comme si…
— Tes mains…, souffla April, le coupant dans sa phrase.
Je tournai la tête vers elle, puis suivis la direction de ses yeux. Je cessai de respirer un instant, et levai mes doigts à hauteur de mes yeux.
Ceux-ci étaient parcourus de traînées noires, s’enroulant autour d’eux. Ma mâchoire manqua de se décrocher. Encore une fois, tout comme pour mon épaule, j’eus l’impression de voir des volutes de fumée s’en échapper.
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Chapitre 3
Chapitre 5