Bonjour à tous !
Voici le chapitre 3 ! J'espère qu'il vous plaira et je vous souhaite une bonne journée/soirée et une bonne lecture !
Chapitre 3
Contrairement à ce que j’avais pensé avant de m’endormir, je finis par rouvrir les yeux. Même si je me disais que cet homme ne m’avait pas sauvé et ne s’était pas donné tout ce mal uniquement pour pouvoir me tuer ensuite, une part de moi en doutait.
Mes paupières se soulevèrent péniblement et je vis trouble pendant un instant. Je fronçai les sourcils en sentant du mouvement : j’avais la sensation d’être bercée et d’entendre un bruit de moteur. Lorsque je repris pleinement conscience, mes yeux se posèrent sur un pare-brise et je vis un décor défiler. Une longue route presque vide, ainsi que de la forêt, sur les côtés. Il faisait encore jour, mais je me demandais depuis combien de temps je me trouvais dans cette voiture. J’eus la gorge sèche.
Mais qu’est-ce que…
— Je pensais que tu aurais dormi plus longtemps, s’éleva une voix.
Je tournai la tête et vis le vampire qui était venu à mon secours pour mieux m’enlever par la suite, au volant. J’écarquillai les yeux et pivotai pour le garder dans mon champ de vision tout en m’enfonçant contre la portière. Et qu’est-ce que ça voulait dire ? Il m’avait droguée ?
Il me jeta un coup d’œil et le petit sourire qu’il avait arboré pour être rassurant s’effaça.
— Excuse-moi, je m’exprime mal…, se reprit-il avec un air désolé. C’est juste que d’habitude après un tel choc et le sang de vampire, les humains restent endormis bien plus longtemps.
Je restai bouche-bée, puis un élément de ma mésaventure sur le toit me revint : j’avais effectivement bu quelque chose. Son sang.
Tout se mélangeait dans mon esprit et je devais encore être un peu sous le choc, également. De plus, le fait de me retrouver dans cet habitacle étroit, avec lui, une créature que j’évitais comme la peste depuis des années, ne m’aidait pas à me sentir plus à l’aise. J’avais une forte envie de m’échapper. Je regardai la portière, tendant la main pour saisir la poignée.
Je n’eus même pas le temps de la toucher, que j’entendis l’homme soupirer.
— Je te rattraperais en deux secondes et dans ton état, il ne vaut mieux pas que tu tentes de sauter. Tu te ferais plus mal qu’autre chose.
Je restai immobile pendant quelques secondes, puis petit à petit, ramenai ma main contre moi. Je savais qu’il disait vrai : il était beaucoup plus rapide. Cela ne servirait qu’à l’énerver et je n’avais pas besoin qu’il ait déjà envie de m’étrangler. Et avec mon bras cassé…
Minute. Je n’avais plus mal au bras.
Je lâchai enfin le vampire des yeux et le baissai sur mon membre qui avait été malmené. Timidement, je le bougeai et me rendis compte que mis à part une petite gêne qui subsistait et l’impression qu’il était engourdi, la douleur aiguë avait disparu. C’était à la fois une très bonne chose, et un constat effrayant. Même mon épaule qui me brûlait avant que je ne m’endorme, ne me faisait plus souffrir.
— Mon sang t’a guéri, expliqua-t-il simplement.
Il essayait d’avoir un ton confiant, mais je sentais qu’il était un peu nerveux. C’était moi, qui le mettait dans un état pareil ? Je n’aurais jamais imaginé avoir un tel pouvoir sur lui.
— Cela a aussi pour effet d’endormir, quand on est vraiment blessé, poursuivit-il. Afin que le sommeil soit réparateur. (Jouait-il la carte de la transparence pour me mettre à l’aise ? Peut-être, sauf que ces informations me fichaient la trouille.) Tu t’es réveillée bien plus vite que d’autres.
— Je n’ai pas été gravement blessée, répondis-je.
Ma voix me surprit moi-même. Je ne savais même pas que j’allais parler avant de le faire. Et surtout, pour dire ça ? Qu’est-ce que j’y connaissais ?
Il eut l’air aussi étonné que moi, mais le fait de m’entendre parler eut l’air de le détendre un peu. Je vis ses épaules s’abaisser légèrement.
— Peut-être que c’est une des raisons, oui. Mais c’est tout de même un peu étrange.
Je me mordis la lèvre inférieure en tentant de me retenir de poser une question, mais il s’efforçait de me montrer qu’il pouvait m’expliquer des choses, et cela n’avait pas l’air de le frustrer ou de le mettre en rogne. Autant en savoir le plus possible.
— J’ai dormi combien de temps ? m’enquis-je d’une petite voix d’animal effrayé.
D’accord, il fallait que j’ai l’air plus sûre de moi, à l’avenir.
— Cinq heures, m’apprit-il.
J’ouvris de grands yeux ronds. Cinq heures ?!
— Où est-ce qu’on va ? Qu’est-ce que vous me voulez ? le questionnai-je à toute vitesse et sur un timbre tremblotant.
Bien. Ce n’est pas maintenant que je vais être crédible, décidément.
Un grand silence tomba sur l’habitacle. Son visage se referma et il se concentra sur la route pendant un moment. Je finis même par me dire que je n’aurais pas de réponse. En désespoir de cause, je regardai partout où je pouvais pour déchiffrer des panneaux. Mon cœur rata un battement lorsque je vis que nous étions…
… dans le massif du Vercors.
Mon esprit tenta d’établir un itinéraire pour relier Bron, là où se trouvait mon université, au Vercors. J’abandonnai très vite car je n’étais pas la meilleure en géographie et que je ne possédais pas un grand sens de l’orientation. Même si je voyais
à peu près où cela se trouvait, je ne pouvais que me baser sur l’information que cet homme m’avait donné : j’avais dormi près de cinq heures. Sauf que cela me paraissait beaucoup trop. Normalement, le trajet aurait dû être beaucoup plus court. Deux heures, quelque chose du genre.
Bon, d’un côté, cinq heures ce n’était pas la mer à boire et je pourrais essayer de rentrer chez moi. Seulement, il y avait plusieurs obstacles : comment lui fausser compagnie ? Comment rentrer, aussi ? En faisant du stop ? Super, j’aurais des chances de tomber sur une autre personne qui ne me voudrait pas du bien. Mais est-ce que je pouvais vraiment être dans une situation pire que celle-ci ?
Je me passai une main sur le visage. Au moins ce vampire n’avait pas l’air si agressif - du moins pour l’instant -, alors que je pourrais très bien tomber sur quelqu’un comme… le blond qui m’avait attaquée quelques heures auparavant. Seulement, je ne devais pas oublier non plus que l’individu à côté de moi, tenant le volant, avait été capable de réduire l’autre homme à néant. Avec mon aide, certes, et pour l’empêcher de m’enlever, mais il avait, au final, fait la même chose et je ne connaissais rien de ses intentions. De plus, il ne me répondait toujours pas. Et que m’arriverait-il en rentrant chez moi ? Et si d’autres vampires venaient pour moi ?
Je mis ma tête contre la vitre en luttant contre les larmes qui piquaient mes yeux. Je mis finalement ma main sur la poignée de la portière, sans tirer dessus, mais seulement pour me dire qu’à tout moment je pourrais essayer de sauter. Une pensée rassurante bien qu’inutile. Je me raccrochais à ce que je pouvais. Même si je ne savais pas du tout où me rendre si je parvenais à m’échapper.
— Je t’emmène dans un endroit où tu seras en sécurité.
Je sursautai presque en l’entendant. Je croyais qu’il s’était enfermé dans une sorte de mutisme, tout comme moi.
Lentement, je rivai mon regard sur lui, avec méfiance. Sa mâchoire était serrée, ses yeux avaient une lueur de froide détermination.
— Ils ne chercheront plus à te faire du mal.
« Ils » ? Donc il y avait vraiment d’autres monstres qui en avaient après moi ?
Et s’il mentait pour que je ne cherche pas à fuir ?
— Écoute, je t’expliquerai tout quand on sera arrivé et que tu auras pu te reposer.
J’avais envie d’exiger de tout savoir sur-le-champ, mais j’avais l’impression que ce serait une lutte vaine.
— En attendant, tu as de quoi boire et manger, fit-il en pointant le bas de mon siège d’un doigt. On a encore un peu de route.
Je regardai à mes pieds, et remarquai un sac en plastique. Celui-ci devait contenir des vivres, et je n’avais rien mangé depuis la veille, mais je n’y toucherais pas. En tournant la tête pour apercevoir les sièges arrière, curieuse de savoir ce qui s’y trouvait, je vis que ma sacoche contenant mon ordinateur et le nécessaire de travail pour l’université, était là, sur le sol. Cela me provoqua un pincement au cœur sans que je ne sache réellement pourquoi. J’avais même oublié que je la portais sur moi au moment où j’avais été emmenée sur le toit du bâtiment. Je l’avais ensuite perdue dans la foulée et je l’avais complètement oublié. Mais la voir là me réconfortait étrangement, comme s’il me restait quelque chose témoignant de ma vie « normale ». Et qui savait quand je la retrouverais ?
Devant mon absence de réponse et en voyant que je ne comptais pas piocher dans le sac en plastique, il n’insista pas. Je laissai à nouveau mon regard errer par la fenêtre, observant le décor défiler.
Je relevai mes jambes et entourai mes genoux de mes bras.
— Je m’appelle Lucian, annonça l’homme, rompant le silence qui devenait aussi pesant que réconfortant, pour moi.
Je ne lui jetai pas un seul regard.
Lucian. C’est noté.
~
Je restai bouche-bée face à l’imposante bâtisse, dont l’ombre s’étirait assez pour envelopper une grande partie de la cour. Il s’agissait d’un manoir aux allures de château, les tourelles en moins. Il n’y avait pas moins de quatre étages et il était également assez long. Et encore, je n’avais pas vu la largeur, ni l’autre côté. Ses murs étaient faits de granit rose, qui donnait un charme ancien qui m’aurait conquise, dans un autre contexte.
Le grand portail aux barreaux noirs était ouvert, permettant au vampire de conduire sur un long chemin en béton au milieu de la cour. Il avait sans doute appelé quelqu’un se trouvant à l’intérieur pour le prévenir de notre arrivée, avant que je ne me réveille. Il se gara à côté d’une autre voiture, grise. M’y connaissant très peu en automobiles, je ne me souvins pas du nom du modèle et ne m’y intéressai pas plus que cela, sur le moment. Je retins simplement le fait qu’elle était plutôt simple.
Je regardai fixement devant moi, luttant contre la nausée qui revenait. Il ne bougea pas.
— Nous sortirons quand tu seras prête, déclara-t-il d’un ton calme.
Autant dire « jamais ».
Je soupirai, une main sur le visage, les paupières fermées. Je mis mon coude sur le rebord de la fenêtre et pris de grandes inspirations pour ne pas être malade.
— Pouvez-vous me laisser seule une minute ? lui demandai-je sans rouvrir les yeux.
Il dût hésiter, car je n’entendis rien pendant un instant. Puis je décelai le son de la portière qu’on ouvrait, puis qu’on refermait. Lorsque je ne fus plus qu’avec moi-même, j’eus la sensation de mieux respirer. Je m’affalai contre le dossier du siège et osai enfin regarder le monde. L’homme faisait désormais les cent pas un peu plus loin.
En seulement quelques secondes, tous ce qui m’était arrivé me revint en mémoire à toute vitesse : le malaise, l’hypnose du pauvre Martin, l’agression, mon sauvetage, la mort de l’assaillant. Son corps se flétrissant. Sa silhouette se faisant de plus en plus…
Je stoppai le cours de mes pensées, lorsque je vis la grande porte bleue nuit du manoir s’ouvrir. Je me focalisai dessus bien malgré moi, le cœur battant plus vite, m’attendant à une menace. Une femme apparût, sous le porche. J’eus la chair de poule en la regardant, et j’avais l’intime conviction que ces ressentis étaient dus au fait qu’elle n’était pas humaine, elle non plus. Les nausées et les frissons que j’avais déjà expérimenté en me demandant pourquoi, puisqu’il ne m’était rien arrivé, étaient semblables à ceux qui me torturaient, là, maintenant. Et lorsque j’avais eu ces sensations, j’avais par la suite croisé deux vampires. Mon corps semblait tout simplement m’envoyer des signaux que je n’avais pas compris jusqu’à maintenant.
Avant même de jeter un coup d’œil à mon compagnon de route, la nouvelle venue dirigea son regard droit sur moi. Il fallait dire que j’étais directement en face de l’entrée. Je m’immobilisai, osant à peine respirer, dans l’idée de me faire la plus petite possible.
Elle n’était pas très grande, devant faire ma taille. Ses cheveux châtains étaient mi-longs, cascadant joliment sur ses épaules. Malgré sa carrure, je ne doutais pas qu’elle devait être robuste.
Elle finit par détourner le regard et descendit les marches du perron. Lucian, qui avait cessé de marcher en long et en large, se dirigea vers elle. Ils échangèrent quelques paroles, avant de tourner la tête dans ma direction dans un bel ensemble. Je déglutis et baissai les yeux, faisant mine d’être subitement concentrée sur autre chose, notamment, le fameux sac. Je le pris par les anses puis attrapai également ma sacoche à l’arrière. Avant de sortir, je jetai un nouveau coup d’œil au pare-brise : ils ne me fixaient plus.
Je pris une grande inspiration et expirai profondément, afin de me donner le courage nécessaire pour ouvrir la portière. Je mis un pied sur le béton, puis un autre, et me levai péniblement. Je me sentais encore affaiblie, même si mon corps n’était plus aussi endolori. Je refermai derrière moi et agrippai ma sacoche, la tenant contre ma poitrine, comme si elle avait le pouvoir de me protéger du reste du monde. Ou plutôt parce que c’était le seul bien qui m’était familier, qui me restait. Un bonus pour affronter l’inconnu.
Je levai les yeux au ciel, me demandant si j’allais vraiment me mettre à supplier une quelconque divinité de me venir en aide. Puis, ils se posèrent sur une des fenêtres du manoir, au troisième étage. Je vis les rideaux d’une des fenêtres bouger. Mon cœur rata un battement. J’avais bien cru apercevoir quelqu’un, derrière la vitre, avant que le tissu ne retombe devant…
Je fermai brièvement les yeux et me mordis la lèvre inférieure.
Allez, Neeve. Tu peux le faire.
Je marchai lentement, me rapprochant d’eux petit à petit. Je finis par m’arrêter à quelques mètres de distance, dans une posture de méfiance. Mes yeux passèrent successivement de l’un à l’autre. Lucian tentait de se montrer rassurant, même si je savais qu’il était dépassé par les événements. Je me demandais bien pourquoi il s’était donné la peine de m’enlever si cela le mettait dans des états pareils. L’avait-il fait parce qu’on le lui avait ordonné ? Se pourrait-il que ce soit l’autre vampire ?
Mais cette dernière affichait une expression avenante, essayant même de m’offrir un sourire réconfortant qui ne m’aida pourtant pas à me détendre. Je ne pourrais pas être calme tant que je ne saurais pas pourquoi j’étais là, et qui ils étaient.
— Emma, je te présente Neeve. Neeve, voici Emma, nous présenta Lucian.
Je ne bougeai pas d’un pouce, même lorsque je vis la Emma en question hocher la tête en un signe poli.
— Enchantée.
Je ne répondis pas non plus et serrai un peu plus les sacs contre moi. Loin de se laisser démonter par ma réaction, elle ne se départit pas de son sourire, qui conférait de la douceur à ses traits. Ses cheveux châtains entouraient gracieusement son visage, et ses yeux étaient de la même teinte, pétillants.
Je fus un peu surprise de voir autant de joie innocente dans les yeux d’une vampire. Cela me perturba assez pour que j’en oublie ma crainte pendant un instant.
Emma s’effaça pour me laisser entrer dans la grande bâtisse et je vis un hall d’entrée assez sobre. Il fallut que je sente la présence des deux vampires dans mon dos pour me décider à m’éloigner, en entrant à l’intérieur. Il faudrait que j’échafaude un plan pour m’échapper le plus vite possible, même si cela me semblait grandement compromis. Je commençai déjà à faire du repérage, regardant tout autour de moi. J’essayais de déceler d’autres sorties. Mes deux guides improvisés ne devaient pas être dupes. Ils se doutaient bien que je n’étais pas soudainement émerveillée par l’architecture.
Après des années passées à fuir ces créatures, voilà qu’en l’espace d’une demi-journée, j’en avais rencontré plusieurs, et que j’allais directement chez d’eux d’entre eux. Trois, plutôt, puisque j’étais certaine d’en avoir aperçu un à la fenêtre. Si toutefois il n’y avait qu’eux, ce que je n’aurais pas parié.
J’avançai dans le long couloir, la boule au ventre, ayant du mal à avaler ma propre salive.
— Nous devons parler de tout cela, s’éleva la voix de Lucian derrière moi.
Je suis bien d’accord.
— Tu pourrais te reposer, avant ? conseilla-t-il.
Je laissai échapper un rire nerveux en réponse, puis secouai la tête. Oh non, je voulais des explications le plus vite possible. Il comprit et opina.
Lentement, je me tournai vers lui et je devais avoir un air affolé, car il fit en sorte de se montrer le plus doux possible. À ses côtés, la vampire annonça qu’elle se retirait et elle se rendit aux escaliers au fond du couloir. Lucian me fit signe d’entrer dans un grand salon, ce que je fis. Il m’invita à m’asseoir sur un grand canapé, mais je restai debout, osant à peine bouger. Il venait de m’enlever, je n’allais pas m’offrir le luxe de me mettre en position de faiblesse.
Certes, j’étais déjà en position de faiblesse, mais je n’allais pas m’y enfoncer encore plus.
Il hocha la tête, acceptant mon acte de rébellion qui n’en était pas réellement une, et s’assit lui-même sur un grand fauteuil en velours rouge.
— Bien. Tu dois te demander ce que tu fais ici et qui était cet homme qui t’a agressé ce matin, commença-t-il.
Il se pencha en avant, les coudes sur ses cuisses et les doigts entrelacés, l’air sérieux. J’opinai.
— Il se trouve que tu as un lien direct avec un de ses ennemis.
J’eus un coup de chaud. Le seul lien que j’avais eu avec un vampire, c’était lors de la nuit où ma mère avait été attaquée par l’un d’eux. Rien d’autre.
— Il y a une erreur, osai-je m’interposer d’une petite voix.
Je triturai mes mains, nerveuse.
— Je ne le connaissais même pas…
Il soupira.
— Es-tu sûre que tu ne veux pas t’asseoir ? insista-t-il.
J’avais l’impression que si je ne le faisais pas, les prochaines révélations allaient me faire chuter. Mais, dans l’attente de la suite, je ne bougeai pas et me concentrai sur lui.
— Je connaissais bien ton père, assena-t-il.
Mon souffle se coupa et je restai figée. Mon père… Alors ça, c’étaient bien deux mots que je n’utilisais jamais. J’avais arrêté de me poser des questions sur lui depuis bien longtemps.
— Nous étions proches, même s’il était humain. Je l’ai pris sous mon aile pendant des années et malheureusement, nous nous sommes faits des ennemis d’un autre clan. Il est parti et il a fait en sorte qu’il ne t’arrive rien, mais apparemment, ils ont fini par te retrouver. Pour être certain qu’ils perdent notre trace, j’ai fait plusieurs détours, sur la route, afin de brouiller les pistes.
Voilà pourquoi nous avions mis plus de cinq heures pour arriver, alors que cet endroit ne devait pas être si éloigné de chez moi.
Je tâtonnai derrière moi afin de trouver le canapé, puis me laissai tomber lourdement dessus. Il avait raison : m’asseoir, c’était ce qu’il y avait de mieux dans l’immédiat.
— Attendez…, me manifestai-je en levant une main afin qu’il s’arrête de parler. Mon père… faisait partie de votre clan ? C’est bien ça ?
— C’est exact.
— Un humain dans un clan de vampires ? Comment s’est-il fait des ennemis ? Et puisqu’il est mort… pourquoi me veulent-ils ?
— Il possédait une grande puissance. Un pouvoir des ombres qui était très convoité. Un pouvoir dont tu as hérité, visiblement. J’ai commencé à entendre des rumeurs sur le fait que le clan Lane t’aurait retrouvé. Je me suis donc mis à ta recherche à mon tour. Cela faisait quelques jours que je surveillais les alentours de ton appartement. L’un des rivaux a attendu que je m’éloigne un moment pour s’en prendre à toi. Il devait espionner depuis peu également mais il devait disparaître juste à temps, avant que j’arrive.
Je mis mes coudes sur mes genoux et me penchai en avant, la gorge sèche. Je tentais d’assimiler toutes les informations, mais cela faisait beaucoup d’un coup. Je fronçai les sourcils. Je me souvins de l’impression de nausée qui revenait chaque nuit, depuis quelques jours. Et de celle qui avait fait son apparition lorsque j’avais rencontré Emma.
— Est-ce que… Est-ce qu’il est possible que je ressente… des choses, en étant proches de vampires ? demandai-je d’une voix si basse qu’il ne m’aurait peut-être pas entendu, s’il avait été humain.
Il prit un air songeur.
— Je n’en sais rien. C’est l’impression que tu as ?
— Cela fait un moment que je… suis malade sans savoir pourquoi. Cela part, puis revient. J’ai ressenti cela en voyant Emma. Et si vous dîtes que celui qui…
Ma voix s’étrangla et je dus me racler la gorge pour pouvoir continuer.
— … qui m’a agressée me surveillait, alors peut-être que…
Il opina.
— Peut-être, oui, répondit-il. Depuis le temps, je commence à me demander ce qui pourrait bien être impossible.
Alors j’avais une sorte de radar à vampires ? J’eus un petit rire nerveux et me passai une main sur le visage. Eh ben…
Je sentais que j’étais sur le point de craquer. D’ailleurs, lui aussi devait le comprendre, car son expression se fit encore plus douce. Dans un autre contexte, je l’aurais trouvé vraiment adorable.
Je me passai une main dans mes cheveux. Ce mouvement fit tirer sur mon épaule, qui se remit à me piquer. Voilà un endroit que le sang n’avait apparemment pas guéri.
— Comment savais-tu pour les vampires ? s’enquit soudainement Lucian.
Je relevai les yeux vers lui. Je mis quelques secondes à comprendre sa question, puis je déglutis.
— Cela se voit un peu, tentai-je d’ironiser pour faire diversion.
— C’est plus que ça, insista-t-il. Tu n’avais pas l’air surprise du tout. Ou du moins, pas comme quelqu’un découvrant notre existence.
Je commençai à triturer mes doigts et me mis à fixer l’épais tapis rouge. Je pris une grande inspiration.
— Quand j’avais dix ans, ma mère et moi avons été… agressées par l’un des vôtres.
Cela faisait treize ans, maintenant, pourtant, ce souvenir était aussi vif dans mon esprit que s’il avait eu lieu la veille. Je sentis mes yeux me piquer.
— Elle n’a jamais réussi à surmonter ça et elle en est morte.
Pendant huit ans, après ce drame, je l’avais vu s’effondrer un peu plus chaque jour. Il fut même un moment où c’était moi, qui m’occupait d’elle. Jusqu’à ce qu’elle mette fin à ses jours, alors que j’avais dix-huit ans.
— Après cela j’ai essayé de me dire que ce que j’avais vu pouvait être rationnel mais… c’était impossible. Et disons que le terme « vampire » était ce qui se rapprochait le plus de cette… ordure, crachai-je.
Un grand silence suivit mon aveu. Je gardai la tête obstinément baissée, ne supportant plus de soutenir son regard.
— Je suis désolé, finit-il par dire.
Je fermai brièvement les yeux et pris une profonde inspiration. Le nombre de fois où on m’avait dit ça, après la mort de ma mère…
— Ce n’est pas vous qui l’avez tué, à ce que je sache, répondis-je, un peu sèchement.
— J’aurais dû être là.
Ses paroles me surprirent. Cette fois, je le regardai à nouveau.
— Comment ça ?
— Il m’arrivait d’être dans les parages, parfois. Mais Malia ne voulait pas que je continue. Alors j’ai cessé.
Ma mâchoire manqua de se décrocher. Alors après tout ce temps… il continuait à veiller sur nous ? Mon père devait vraiment être proche de lui. Et avec cette pensée, je réalisai autre chose.
— Vous deviez bien connaître ma mère…
Il ne répondit pas, mais son expression confirma mon doute. Je me mordis la lèvre inférieure.
— Alors je suis désolée pour vous aussi.
Je n’étais pas la seule à l’avoir perdue. Une lueur de gratitude mêlée à de la peine traversa son regard. Il se leva précipitamment, comme si ces émotions étaient trop pour lui.
— Il faut que tu te reposes, maintenant, déclara-t-il.
Je me mis debout à mon tour, les jambes encore tremblantes. J’acquiesçai. J’étais certaine que je ne pourrais pas dormir, mais je pourrais être seule, au moins. Il me fit signe de le suivre, ce que je fis. Il récupéra mes affaires d’un mouvement souple, comme si elles ne pesaient rien du tout, puis se mit à progresser dans les différents couloirs, en veillant à ne pas aller trop vite, pour que je puisse le suivre. Je regardais un peu partout autour de moi. L’endroit était impressionnant tout en restant assez simple. Il y avait des moulures au plafond, mais les murs étaient vides de tout artifices. Les escaliers étaient grands, tournants, mais assez larges pour que ce ne soit pas un inconvénient. Il y avait de longs tapis sur les sols, ce qui décorait joliment le lieu.
Pendant notre avancée, je guettai également la présence du dernier vampire, celui qui était à la fenêtre. Mais je ne vis personne.
— Nous y sommes, annonça soudainement Lucian.
Il ouvrit une porte et entra. Je le suivis. Il déposa mes affaires et le sac contenant des provisions, sur le côté. Les murs étaient gris, vides. Il n’y avait qu’un lit, un bureau et une grande armoire. Il y avait également une étagère, mais celle-ci était vide. Le lit était fait. J’avais l’impression que personne n’avait jamais habité cette chambre. Peut-être qu’Emma avait tout enlevé avant que j’arrive ?
— À qui est cette chambre ? interrogeai-je timidement.
— Elle était… à un ami. Mais cela fait longtemps, maintenant, qu’il n’y est plus.
Un malaise me saisit. J’avais presque l’impression qu’il parlait d’un… mort. J’espérais que ce n’était pas le cas.
Il se tourna vers moi.
— Je vais aller chercher le reste de tes affaires, chez toi, annonça-t-il. Est-ce qu’il y a une chose en particulier, que tu voudrais récupérer ?
J’écarquillai les yeux. Je n’étais même pas étonnée qu’il puisse entrer dans mon appartement comme il le voulait. Ou peut-être qu’il avait récupéré les clés.
— Vous allez prendre le risque d’être attaqué à nouveau ? m’étonnai-je.
Pour récupérer mes biens ?
Il sourit.
— Je doute que l’un d’eux tente à nouveau quelque chose de sitôt, répondit-il avec calme.
— Mais… et si vous vous trompez et que l’un d’eux vient ici… ? Pendant que vous n’êtes pas là…
Il mit une main sur mon épaule en cherchant à me rassurer, sûrement par réflexe, et je tressaillis. Il l’ôta aussitôt, sans se vexer le moins du monde.
— Ne t’en fais pas. Tu seras bien entourée jusqu’à ce que je revienne.
Bien entourée, hein… En effet, il ne devait pas y avoir qu’Emma et la personne que j’avais brièvement aperçue. Et je ne les connaissais pas. À choisir, j’aurais préféré que ce soit Lucian qui reste.
Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il m’indiqua une porte, au fond.
— Tu as une salle de bain, également. Fais comme chez toi, déclara-t-il. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à demander.
— Attendez !
Je fis un pas en avant et il suspendit son geste, la main sur la poignée. Je baissai les yeux et me raclai la gorge.
— Il y a un médaillon en or, sur ma commode. Avec une boussole, gravée. Il… appartenait à ma mère.
Et je ne l’avais pas mis, le matin-même. J’étais trop préoccupée et je l’avais oublié. Maintenant que j’étais loin de chez moi, de tous repères, j’étais plus que consciente de son absence contre ma peau.
Il acquiesça et son regard se fit plus attendri.
— Je te le ramènerai, promit-il.
Il m’adressa un dernier regard, puis ouvrit la porte pour sortir. Il referma derrière lui. L’idée que j’aurais pu tenter de m’enfuir dès qu’il serait parti me traversa l’esprit. Mais pour aller où ? Sans compter qu’Emma pouvait me rattraper, et que l’autre vampire vivant ici en serait capable également. Et… me retrouver à l’extérieur, à la merci de ceux qui me voulaient du mal n’était pas la meilleure des solutions.
Autrement dit, j’étais piégée ici.
Ma poitrine se serra et je sentis les larmes me monter aux yeux. Nerveusement, je voulus chasser une mèche de mes cheveux roux de devant mon visage, et ce mouvement raviva les picotements dans mon épaule. J’avais oublié ce détail.
Je me dirigeai vers la fameuse salle de bain et me retrouvai devant le miroir. Je tirai sur le col de mon tee-shirt et pivotai légèrement.
Mon cœur rata un battement.
Sur mon épaule, il y avait une marque noire. Une grande ligne obscure et fine, qui n’était pas là auparavant. Là où des sensations désagréables se faisaient ressentir.
J’effleurai la trace de mes doigts. Cela n’était pas vraiment douloureux. De plus, je ne sentais aucun relief. Ce n’était pas une blessure infectée, ni une boursoufflure. Je restai un moment figée, à l’observer, dans la glace. Puis, je baissai à-demi les paupières en ayant l’impression de voir des volutes de fumée, très minimes, s’en échapper.
J’écarquillai les yeux et fis un bond en arrière, une main sur le cœur.
Était-ce mon pouvoir, qui avait fait cela ? Pourtant, ça n’était jamais arrivé, auparavant.
Peut-être parce que tu ne l’avais pas autant utilisé…
Je déglutis et remis mon haut en place, avant de quitter la salle de bain comme si cette pièce était maudite.
~
Je sortis de la chambre quelques heures plus tard. La nuit commençait d’ailleurs à tomber. J’avais passé mon temps à me questionner sur tout ce qui venait de se produire, et ce qui pourrait
encore arriver par la suite. Je m’étais enfin autorisée à craquer, étouffant mes pleurs dans un oreiller, avant de me calmer, de longues minutes plus tard. La marque sur mon épaule avait cessé de me gêner, et j’étais allée vérifier plusieurs fois qu’elle était bien là, que je n’avais pas halluciné. Non, elle était bien réelle. En revanche, j’avais l’impression qu’elle s’estompait au fil des heures.
J’avais à peine réussi à dormir, ne faisant que me retourner encore et encore, dans le grand lit. Une heure, tout au plus. J’avais tenté de manger le sandwich qu’il y avait dans le sac en plastique, mais n’avais pu avaler que quelques bouchées. La bouteille d’eau, quant à elle, n’avait pas fait long-feu. J’étais assoiffée. J’avais également pu dénicher une serviette, ayant envie de prendre une douche, après tous les événements de la journée. J’en avais besoin, ne serait-ce que pour avoir l’impression de me débarrasser d’une partie de ma peur. Et je n’en pouvais plus de voir ces vêtements tâchés de sang. Seulement, je n’en avais pas de rechange, pour l’instant.
Me rappelant que Lucian m’avait dit que je pouvais toujours demander à quelqu’un si j’avais besoin de quelque chose, je finis par me décider à me lever du lit pour sortir de la chambre, après avoir passé deux bonnes heures à hésiter. Le visage d’Emma me vint à l’esprit. Elle était la seule que je connaissais, ici, alors cela me paraissait évident.
Je m’aventurai dans le couloir et essayai de me rappeler du chemin emprunté pour venir jusqu’ici. Il fallait dire que c’était très grand.
— Emma ? lançai-je dans le vide, en espérant qu’elle pourrait m’entendre de là où elle était.
J’atteignis les escaliers et les descendis, regardant partout autour de moi, m’attendant presque à ce qu’un vampire caché dans un coin me saute dessus.
— Emma ? fis-je à nouveau, alors que j’étais arrivée au rez-de-chaussée, la gorge nouée.
Je jetai un rapide coup d’œil dans la pièce d’à côté. Personne. Pourtant, une légère nausée me prit.
— Oui ?
Je sursautai et étouffai un cri de stupeur, en faisant volte-face. Le visage d’Emma apparût dans mon champ de vision. Elle eut un air désolé.
Elle le malaise que je ressentais servait réellement de radar à vampires.
— Pardon, je ne voulais pas te faire peur, s’excusa-t-elle avec un sourire timide.
Je secouai la tête et repris mon souffle. Bon sang… S’ils étaient tous aussi discrets et rapides, je n’avais pas fini de frôler la crise cardiaque.
— Tu as besoin de quelque chose ? me demanda-t-elle.
Je faillis lui rétorquer que finalement, je ne désirais rien du tout et eus la furieuse envie de faire demi-tour en courant. Mais je pris sur moi pour rester calme.
— Des vêtements, s’il te plaît… Je n’en ai pas, pour l’instant…
Elle hocha la tête et leva le pouce, en commençant à reculer.
— Je te rapporte ça ! m’assura-t-elle.
Puis elle se détourna et mes yeux menacèrent de sortir de leur orbite quand je la vis tout à coup apparaître à la moitié des escaliers. Elle s’immobilisa subitement, après avoir commencé à grimper bien trop vite pour que mon œil d’humaine parvienne à suivre. Elle tourna la tête vers moi.
— Je vais ralentir, rit-elle. Désolée, ici on se déplace rapidement.
Elle se remit à marcher, tout à fait normalement. Je me rendis compte que j’appréciais cette petite attention de sa part, afin que je sois un petit peu plus à l’aise. Je finis par la voir disparaître, dans le couloir.
En attendant qu’elle revienne, je me retournai, afin d’inspecter à nouveau la pièce. J’avais un peu plus de temps, maintenant, pour le faire. Et surtout, j’étais un peu moins paniquée.
Pourtant, ma nausée ne se calmait pas vraiment. Je fronçai les sourcils. Emma était-elle déjà en train de revenir ?
Mais en me retournant, je fus sous le choc. Je dus mettre une main derrière moi pour me retenir à un mur. J’en eus le souffle coupé et ma gorge s’assécha.
Des cheveux d’un blond foncé, ondulés. Une paire d’yeux noirs. Son sourire habituel était absent de son visage, mais c’était bien lui. L’homme qui hantait mes rêves depuis plusieurs semaines.
Adam était en train de m’observer, adossé au mur d’en face, avec une expression méfiante et curieuse à la fois.
Finalement, j’étais peut-être en train d’halluciner.
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Chapitre 2
Chapitre 4