Hello !
Désolée pour le retard, avec le boulot et les occupations... Mais voici un chapitre normalement riche en émotions, pour compenser !
Bonne lecture !
Chapitre 23
Devinant que ce qu’il allait me dévoiler ne serait pas facile, pour lui, j’entremêlai nos doigts afin de lui apporter mon soutien. Je lui demandai s’il était certain de vouloir en parler, et il confirma. Je me montrai donc attentive, pendue à ses lèvres.
— Lucian avait été envoyé sur le territoire de Viviane afin de négocier le terrain. Mais il a fini par en oublier son objectif. Il est rapidement tombé amoureux d’elle en ignorant ce qu’elle était. Mais il a fini par apprendre la vérité. Elle ne prenait même plus vraiment la peine de cacher ses victimes. Quand il a découvert des cadavres, il a essayé de s’enfuir, mais il était pris au piège. (Je tressaillis.) Elle ne voulait pas que son nouveau
jouet s’en aille. Alors elle l’a transformé de force. À son réveil, il a perdu le contrôle et…
Il me jeta un coup d’œil hésitant et je l’encourageai à poursuivre d’un signe de tête.
— … elle n’a rien fait pour l’empêcher de tuer. Elle l’a même poussé à le faire. Plusieurs fois. Cela l’amusait. Elle était sadique, cruelle. Seulement, Lucian a voulu se reprendre en main, ce qu’elle n’a pas apprécié. Il l’a supplié pendant des mois de cesser ces massacres et elle en a eu assez. Alors qu’ils étaient en voyage là où je vivais, elle l’a chassé de son château alors qu’il ne connaissait rien d’autre que les meurtres, qu’il avait à peine appris à contrôler sa soif. Il a essayé plusieurs fois d’y retourner, mais elle était catégorique. Alors, un soir où il était particulièrement affamé et qu’il m’a croisé… Enfin, tu l’as vu, ça…
J’opinai, la gorge serrée. Je serrai sa main un peu plus fort. Je ne savais pas vraiment lequel de nous deux je voulais le plus rassurer.
— Il n’était même pas certain qu’il parviendrait à me transformer, poursuivit-il. Il avait vu Viviane soigner des personnes grâce à son sang, avant de mieux leur faire mal plus tard. Il a cru comprendre que c’était ainsi que les métamorphoses fonctionnaient. Disons qu’il était désespéré et qu’il a tenté le tout pour le tout. Quand je me suis réveillé, il a tout fait pour qu’on s’en sorte. Et finalement, tous les deux, on a réussi à trouver un certain équilibre, même si nous étions livrés à nous-mêmes et que c’était souvent difficile.
Il eut un sourire qui n’avait rien de joyeux. Amer.
— Mais je savais que cela ne serait pas mieux avec Viviane. Je ne l’avais encore jamais vu, mais la description qu’il m’en avait faite était assez révélatrice. Elle a fini par nous trouver, comme tu le sais aussi. Et c’est là que ça a commencé. Lucian est retombé amoureux d’elle, un an après son abandon, comme s’il ne s’était pas écoulé une seule minute. J’ai tout de suite compris que quelque chose clochait. Et un soir, je l’ai vu user d’un autre genre d’hypnose que celle dont nous étions capables, sur quelqu’un d’autre. Et nous avons rencontré Arthur, qui m’a fait part de l’étendue des pouvoirs de Viviane.
Je laissai ma tête retomber contre son épaule et mon pouce se mit à décrire des cercles sur sa paume.
— Nous sommes arrivés en France par la suite. Nous avons fait le tour de plusieurs pays, avant cela. Puis des villes. Elle cherchait des châteaux possédant des cachots, afin de m’enfermer dès que possible, quand elle a compris que je la haïssais assez pour lui vouloir du mal. Un peu comme un humain exigerait une maison avec jardin, ou un nombre de chambres précis. C’était son critère à elle.
Je devais me répéter qu’elle était morte pour ne pas péter un plomb. J’avais envie de bondir du lit pour aller la chercher et lui faire regretter d’être née. Les mots d’Adam étaient durs, mais incroyablement sincères et ils lui venaient au fil de ses pensées. Il voulait tout exprimer. Je voulais qu’il continue, même si c’était compliqué à entendre. Cela lui ferait du bien.
— J’essayais de faire comprendre à Lucian qu’il ne l’aimait pas vraiment, qu’elle nous manipulait, mais elle avait bien trop d’emprise. Au fond, je suis sûr qu’il le savait, mais il ne pouvait pas l’accepter physiquement. J’ai tenté de la tuer à plusieurs reprises, mais à chaque fois, elle envoyait Lucian pour m’arrêter, ou elle s’en chargeait elle-même. Elle était bien plus forte que moi et elle savait que je n’oserais pas m’en prendre à mon ami. Il est intervenu quelques fois afin qu’elle ne me force plus à la toucher, et j’ai fini par développer une sorte de bouclier mental contre ses manipulations.
Un rictus acerbe étira ses lèvres, alors que son regard était dans le vague.
— Ça l’a vraiment mise en rogne. Alors elle s’est encore plus vengée sur Lucian.
Si cette femme n’était pas déjà morte, je serais déjà à sa recherche.
— Mais il est arrivé un moment où Lucian se rebellait un peu trop à son goût. Alors elle a trouvé un nouveau moyen de l’atteindre.
À ce niveau-là, je m’attendais à absolument tout. J’avais l’impression qu’il n’y avait rien dont elle n’aurait pas été capable.
— Elle a repéré un enfant qui possédait des pouvoirs, alors qu’il était humain, comme toi. Elle a sauté sur l’occasion : elle pourrait faire pression sur nous d’une autre manière et elle aurait un nouveau jouet. Deux, pour être exact. Jehan refusait de venir sans son frère. Apparemment, leurs vrais parents s’occupaient à peine d’eux et étaient pauvres. Ils étaient ravis de vendre leurs progénitures à Viviane.
Je me mordis si violemment la lèvre inférieure pour ne pas crier quelque chose, que je crus que j’allais me faire saigner.
— Elle avait peur qu’on finisse vraiment par la tuer, et elle s’est cachée derrière les deux enfants pour qu’on la laisse un peu tranquille. Elle a sûrement fini par vraiment s’attacher à eux, mais elle était surtout intéressée par les pouvoirs de Jehan. Elle agissait comme si elle était leur mère et très vite, Lucian est devenu le père, puisqu’il était toujours avec elle.
Je restai bouche-bée. Je comprenais mieux pourquoi Lucian et Jehan s’entendaient autant, encore aujourd’hui. Mon sauveur était son père, en quelque sorte.
— Il a donc pris les petits sous son aile et s’est laissé attendrir un peu plus, ce qui a permis à Viviane de reprendre le contrôle sur lui. Jehan et Robin ont grandi en sachant qu’ils finiraient par être transformés en vampire. Viviane le souhaitait. C’était même… inévitable. J’ai essayé de la faire changer d’avis, mais elle ne voulait rien entendre. Plusieurs fois, j’ai voulu partir en les emmenant avec moi, mais ça n’a jamais abouti. Nous étions toujours retrouvés avant même d’avoir quitté le territoire. Et en grandissant, Jehan était devenu de plus en plus fort, contrairement à son frère. Les vampires du clan de Viviane, qui venaient souvent, l’adoraient et l’adulaient. Grâce à lui, elle avait de plus en plus d’alliés. Je sais que j’étais injuste, parce qu’il a vécu ainsi, mais je lui en voulais de toujours obéir à Viviane. Robin le souhaitait aussi, mais… Je ne sais pas. Les choses paraissaient différentes, avec lui.
Une lueur de peine se mit à briller dans ses yeux. Contrairement à ce qu’il disait, ces blessures-là étaient toujours ouvertes, même si elles étaient enfouies. Parler de ce garçon ravivait des émotions intenses. Je portai sa main à mes lèvres et embrassai tendrement ses doigts.
— Différentes comment ? murmurai-je.
Il eut un sourire triste.
— Plus les années passaient, plus Viviane montrait de l’amour envers Jehan. Ou en tout cas, de la fascination pour ses pouvoirs. D’après elle, il serait un grand atout dans le clan. Et Robin était… délaissé. Il avait toujours été proche de Jehan, mais il s’est éloigné de plus en plus. Son aîné lui montrait qu’il l’aimait, lui, mais ça ne suffisait pas à Robin. Il avait l’impression d’être seul. Jehan a fini par arrêter d’essayer d’arranger les choses. Ils étaient presque… devenus des inconnus l’un pour l’autre. Et la rancune de Robin s’est petit à petit transformée en colère. J’étais le seul à pouvoir l’approcher et il m’écoutait,
moi. Je comprenais sa solitude et je voulais qu’il comprenne qu’il n’y était pour rien, dans cette histoire. J’étais presque parvenu à lui enlever toute cette haine de la tête, mais Viviane s’en est mêlée. Elle pensait que je voulais éloigner ses fils d’elle pour les convaincre de rester humains et ça a empiré quand Jehan a changé d’avis.
Je haussai les sourcils.
— Il ne voulait plus devenir un vampire. À ce moment-là, il est d’ailleurs remonté dans mon estime. Je ne saurais même pas dire précisément pourquoi je lui en voulais. Je pense que je reportais ma colère contre moi-même, sur lui. Jehan aimait profiter de la vie, mais une vie humaine. Il avait d’ailleurs rencontré une femme. Du moins, c’est ce qu’il m’a semblé. Et il a aussi appris que Robin et lui avaient une sœur, même si je l’ai su plus tard. Alienor a trouvé Jehan après avoir découvert qu’elle avait des frères et qu’ils étaient au château. Pour ces raisons, Jehan voulait rester humain.
Je demeurai silencieuse, encaissant les informations les unes après les autres.
— Lucian et moi avons été appelés en renforts contre des ennemis. Et Viviane a profité de notre absence pour transformer ses
fils. De force, d’après Jehan. En tout cas, pour lui. Robin l’avait voulu, souhaitant devenir aussi fort que son frère. La jalousie était devenue omniprésente, chez lui. Quand nous sommes rentrés, Viviane était assommée et les deux frères avaient disparu. Et je sentais l’odeur de deux nouveaux vampires. C’était forcément eux. Il y avait eu un combat. J’ai finalement attrapé Viviane en saisissant l’occasion et je l’ai attachée avec des chaînes en fer. Lucian m’a même aidé. Il semblait… libéré de son emprise. Elle s’est réveillée et a tenté de reprendre le dessus, mais c’était trop tard. J’ai mis le feu à la pièce, et le château a brûlé.
Je retins ma respiration. Je me sentis comme soulagée, alors même que je savais déjà qu’elle était morte.
— Nous sommes partis à la recherche de Jehan et Robin. J’espérais de tout cœur retrouver le plus jeune, refusant de le laisser à nouveau tomber dans la haine, tout en sachant que Lucian pourrait, lui, s'occuper de l'aîné. Mais quand nous avons retrouvé Jehan, en compagnie d’Alienor devenue une vampire, nous avons su qu’il était trop tard. Robin était entré en frénésie et commettait de véritables carnages. Il avait atteint un niveau de cruauté ressemblant à celui de Viviane. C’est lui qui s’en est pris à sa propre sœur. Jehan l’a métamorphosée pour la sauver.
Il baissa les yeux et son expression me chagrina profondément.
— J’ai su que Jehan comptait tuer son frère et j’en étais horrifié. Je n’arrivais pas à me dire qu’il était trop tard pour lui. Je voulais l’aider. Jehan a été mis à la tête du clan de Viviane, puisqu’il apprenait vite et qu’il était fait pour ce rôle. Pendant des années, il a cherché son frère sans parvenir à le trouver. Il a fini par le faire, alors que Lucian et moi n’étions pas présents. Encore. Il l’a tué.
Prononcer ces mots lui coûta. Je sentis son étreinte autour de moi se raffermir et je mis une main sur sa joue, la caressant. Je n’osais imaginer ce qu’il avait dû ressentir. Ce qu’il ressentait encore.
— Jehan a retrouvé sa sœur et a quitté ce clan pour en fonder un nouveau. Et Lucian et moi sommes partis de notre côté. Il a rencontré April, des années plus tard. Elle le rendait tellement heureux que c’en était miraculeux. Et cette fois, il aimait
réellement. Et elle le lui rendait bien. Pauvre April, je suis resté méfiant un moment, avec elle, alors qu’elle ne le méritait pas. Mais ça m’est passé quand j’ai vu qu’elle était sincère et qu’elle préférerait souffrir plutôt que de faire du mal à Lucian. Et ça a été le début du clan River. Pendant longtemps, le contact entre Jehan et lui a été difficile, et ça faisait de la peine à Lucian, qui se considère comme son père. Petit à petit, les choses sont revenues à la normale. Mais…
Il se tut.
— Mais pas pour toi, terminai-je à sa place d’une voix douce.
— Non, en effet. J’ai toujours eu le sentiment que j’aurais peut-être pu changer quelque chose, pour Robin. Je m’en suis toujours voulu de ne pas avoir été là. Lorsqu’il a disparu, et lorsqu’il s’est fait tuer. Je n’ai pas réussi à le sauver.
Je me redressai pour lui faire face, agenouillée entre ses jambes. Je pris son visage dans mes mains et il riva ses yeux emplis de regrets dans les miens. Je mis mon front contre le sien.
— Tu as fait ce que tu pouvais, Adam. Tu ne pouvais absolument pas deviner ce qui allait se passer, fis-je d’une voix douce.
Il ne répondit rien. Je savais que c’était simple pour moi, de dire cela. Je ne l’avais pas vécu. Il lui faudrait du temps. Encore plus de temps. D’après ce qu’il racontait, Robin était contrôlé par sa rage, sa jalousie et sa soif de sang, le tout en ayant eu Viviane pour mère. Peut-être que tous les efforts du monde n’auraient pas suffi à le ramener à la raison.
— C’est suite à cela que j’ai découvert la clairière, reprit-il soudainement.
Je me reculai légèrement pour mieux le voir, inclinant la tête sur le côté. Puis je compris. Il se mit à sourire tendrement, en même temps que moi.
— Celle de nos rêves ?
— Oui. Lucian s’était absenté, avec April. Je venais tout juste de revoir Arthur et encore une fois, il me parlait de toi. Quand il est parti, je suis allé marcher, seul. J’ai trouvé cet endroit et, pour la première fois depuis longtemps, j’ai espéré. J’ai cru à ce qu’il me disait. C’est pour ça que cet endroit m’a marqué.
Les larmes me montèrent aux yeux, alors que j’étais profondément touchée.
— Je n’ai pu y retourner que quelques fois, avant que nous changions encore de ville, déclara-t-il.
— Nous pourrions y aller, un jour…
Il sourit, mais secoua la tête.
— J’y ai pensé, mais j’ai peur que tout ait changé, là-bas, depuis le temps. C’était il y a quelques siècles. Peut-être qu’il n’y a plus de saule pleureur.
Je grimaçai. Ah non. Ce lieu sans cet arbre symbolique, pour nous, ne serait plus le même. Après tout, c’était à côté de cet arbre que j’avais
rencontré Adam.
— Il y a sûrement un McDonald’s, maintenant, ajoutai-je.
Il éclata de rire et je me sentis plus légère en le voyant ainsi. Le silence revint petit à petit et nous ne pouvions pas nous quitter des yeux. Je me demandais quelle heure il était, mais je n’avais pas envie que la réalité nous rattrape. Mais à en juger les minces rayons de soleil qui se frayaient un chemin à travers les volets, la journée avait commencé.
Ses doigts glissèrent sur un de mes avant-bras. Je ne tressaillis même pas. En réalité, avec lui, je n’avais pas peur, même s’il me touchait là où Connor m’avait fait du mal. Ses yeux tombèrent sur mes cicatrices.
— Est-ce que tu veux en parler ? me demanda-t-il.
Je baissai les yeux, hésitante. Je laissai passer quelques secondes. Mais c’était Adam et je savais que je lui en aurais parlé un jour ou l’autre. De plus, il connaissait déjà les grandes lignes.
— Tu n’es pas obligée. Ce n’est pas parce que je t’ai raconté mon passé que…
— Non, ne t’en fais pas, le coupai-je avec un sourire.
Je pris une grande inspiration.
— Ma mère était morte depuis seulement quelques mois quand j’ai rencontré Connor. Elle s’est suicidée parce que… Après l’agression qu’elle a subie par un vampire, quand j’avais dix ans, elle n’a plus jamais été la même. Enfin, si elle s’est vraiment suicidée…
Après la vision que j’avais eu, je n’en étais plus tellement sûre.
— J’avais toujours été solitaire et j’étais loin de mon amie d’enfance, Carla. Et même elle n’était pas au courant pour mes pouvoirs. Alors… Je ne sais pas vraiment ce qu’il s’est passé. Tout est allé très vite. Je sais maintenant que je ne l’aimais pas vraiment, mais sur le moment, j’en avais l’impression. J’étais surtout encore… fragile. Il s’était attaché à moi et j’étais… ravie de ne pas être seule. Même s’il n’était pas au courant pour ma magie, je me disais que c’était déjà beaucoup, ce que j’avais. Au début, c’était vraiment bien. J’étais à des années-lumière de me douter de ce qui allait se passer.
Je déglutis et baissai les yeux.
— Quand les… coups et les viols ont commencé, j’ai minimisé les choses. Je lui trouvais toujours des excuses. Je ne me suis pas rendue compte tout de suite qu’il me poussait à changer. Petit à petit, j’ai aussi modifié mes tenues, pour ne pas
plaire à d’autres hommes. Il me convainquait que je n’avais pas besoin de sortir, que nous étions bien ensemble, chez lui. J’habitais presque dans son appartement. Il ne supportait pas quand je partais et qu’il ne pouvait pas garder un œil sur moi. Il était persuadé que j’en profiterais pour le tromper. Il venait même me chercher après les cours.
Maintenant que j’en parlais, j’avais du mal à croire que je n’avais rien vu. Que j’avais supporté tout ça.
— Au début, je trouvais ça mignon, puis j’ai fini par en être effrayée. Je ne pouvais même pas voir Carla, qui essayait pourtant de me faire comprendre que quelque chose n’allait pas. Un jour, alors que j’étais au téléphone avec elle, elle a entendu Connor m’insulter violemment. Elle s’est mise à hurler et m’a dit qu’elle venait me chercher. J’ai paniqué et comme elle ne savait pas où je me trouvais, j’ai raccroché. Ce soir-là j’ai récolté… ça.
Je regardai une cicatrice sur mon avant-bras. Une brûlure de cigarette.
— Ça a duré deux ans, soupirai-je. Pendant deux ans j’ai dû me plier à ses moindres désirs. Et si je refusais d’obéir, c’était la cigarette, ou le couteau.
Adam leva mes bras pour embrasser délicatement chaque cicatrice, comme pour en ôter le souvenir douloureux. Sa tendresse contrastait avec le regard dur, empli de colère, qu’il avait.
— Est-ce qu’il y en a d’autres… ? demanda-t-il.
Je pivotai pour lui faire voir mon dos. Il y avait une ligne blanche, juste au-dessus de mes hanches. Il la caressa du bout des doigts, de sa main libre.
— J’ai eu un déclic un soir. J’étais malade et j’avais manqué les cours. Connor était injoignable, je ne pouvais pas le prévenir. J’étais chez lui, à attendre qu’il rentre. Et en même temps… j’avais peur. Parce que je savais qu’il serait furieux et penserait que j’avais été infidèle, que je n’étais pas vraiment malade. Il y avait aussi le fait que je n’avais pas fait la vaisselle. Il est rentré totalement bourré et a commencé à m’engueuler. Je me suis levée pour aller nettoyer, et il…
Ma gorge se noua.
— Il m’a frappé parce que je ne voulais pas coucher avec lui. Et il est devenu fou. Il a pris un couteau et a essayé de me poignarder. C’est là que j’ai utilisé mon pouvoir. Pendant un instant, j’ai cru que je l’avais tué. J’ai vérifié qu’il était bien vivant, j’ai pris mes affaires et je suis partie. J’avais peur qu’il raconte à tout le monde ce que je pouvais faire, mais il était ivre et je ne pensais pas que quelqu’un le croirait. Je suis allée chez Carla et elle m’a hébergée un moment, pour que je reste loin de lui. (J’eus un petit sourire en pensant à elle.) Elle a été d’une grande aide. Sans elle, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Elle s’est même occupée d’envoyer des amis à elle récupérer mes affaires chez lui, pour que je n’aie pas besoin d’y retourner.
Je passai une main dans mes cheveux, nerveusement.
— J’ai fini par trouver un appartement à Lyon et j’ai repris mes études là-bas. Et la suite, tu la connais.
Il hocha la tête et m’attira à nouveau contre lui, m’entourant de ses bras. Son menton était contre mon front. Il ne dit rien, mais je savais que ça bouillonnait en lui. Nous restâmes sans rien dire pendant un long moment. Aucun de nous ne bougea.
— Parfois je crois entendre le « tic, tac » de la pendule qui était chez lui, quand j’attendais qu’il rentre en ayant peur, avouai-je. Et maintenant que je sais que j’ai des visions… (Ma gorge se serra. Prononcer les prochains mots rendrait tout plus réel.) … je suis terrifiée à l’idée que ça veuille dire qu’il va revenir.
Il se raidit. Il lâcha un long sifflement sinistre.
— Qu’il essaye, cracha-t-il. S’il pose un pied dans le manoir il repartira sans. Ou il ne repartira pas du tout, c’est mieux.
Je tapotai le dos de sa main.
— Mais… Mais ça n’arrivera pas, tentai-je de me convaincre. Ce ne sont que des « tic, tac »…
— Si tu as le moindre doute, dis-le moi.
— Promis.
— J’ai envie de le tuer. Pour ce qu’il t’a fait vivre. Pour chaque cauchemar qu’il provoque. Pour ta peur constante et ton dégoût de toi-même, que tu peux ressentir, parfois. Je sais que tu ne souhaites pas que je lui fasse du mal, mais j’en ai terriblement envie.
Je me blottis contre son torse.
— Je ne peux pas t’en tenir rigueur pour ça, répondis-je. Même si je te dis que je ne veux pas que tu t’en prennes à lui, c’est avant tout pour
toi. Jamais je ne pourrais t’en vouloir. J’ai envie de détruire Viviane. Si elle n’était pas déjà morte, je serais sûrement déjà en train de la chercher. Parce qu’à cause d’elle, tu vis en pensant que tu n’es rien. Parce qu’elle t’a fait souffrir et parce que -même si tu affirmes le contraire -, c’est encore le cas.
Il voulut répondre quelque chose et j’attendis, mais finalement, il ne nia pas.
— J’aime quand c’est toi qui prononces mon vrai nom, lâcha-t-il soudainement.
Je lui coulai un regard mi-interrogateur, mi-attendri.
— Je l’ai changé parce qu’il était lié à de mauvais souvenirs et que j’avais l’impression de ne plus être… Sander. De ne plus être
humain. Mais avec toi…
— Tu es toujours lui. Je le vois, moi. Ce n’est pas parce que tu es un vampire que tu n’as plus d’humanité. L’humanité, ce n’est pas un état, c’est une manière de penser et d’agir.
J’en avais fait du chemin, en peu de temps. Je ne pensais pas vraiment ainsi, quelques mois plus tôt.
— Des humains sont moins
humains que vous, ajoutai-je. Peut-être que tu as du mal à laisser s’exprimer Sander, mais il est toujours là…
Je mis une main sur sa poitrine, à l’endroit où son cœur battait, quatre siècles plus tôt. Il la recouvrit de la sienne, doucement. Un sourire incertain flottait sur ses lèvres.
— Quand c’est toi qui le dis, reprit-il, je ne me sens pas horrifié comme je l’ai été pendant longtemps. Tu donnes un nouveau sens à ce nom. À mon vrai
moi.
Je me souvins que lorsque je lui avais demandé qui était Sander, il m’avait demandé de répéter. Il s’était rendu compte que ce n’était pas aussi désagréable que ce qu’il avait pensé. Et il m’avait entendu le dire plusieurs fois, depuis.
Je l’embrassai délicatement, puis souris contre ses lèvres, émue. Adam était l’identité qu’il avait adopté pour se protéger du passé, créer un nouveau
lui. Sander était qui il était réellement. Et il essayait tant bien que mal de composer avec les deux, désormais.
J’étais certaine qu’il finirait par parvenir à être celui qu’il désirait vraiment être. J’avais foi en lui. Et si l’univers me le permettait, je ferais tout ce qui était possible pour l’y aider.
— Concentrons-nous sur le présent, suggérai-je.
À ce moment-là, mon ventre se mit à gargouiller. Je le regardai comme s’il venait d’exprimer quelque chose d’extrêmement intéressant.
— J’ai faim, constatai-je avec le plus grand des sérieux.
Je sentis un rire secouer les épaules d’Adam.
— J’aimerais bien savoir quand ce n’est pas le cas, rétorqua-t-il.
Je lui donnai un coup au visage avec un oreiller.
~
Nous mîmes un temps fou à nous décider de sortir du lit. Nous ne voulions pas rompre cette bulle autour de nous, mais nous finîmes par nous dire qu’il était temps de montrer signe de vie aux autres.
Je remis mes vêtements de la veille, afin de pouvoir rejoindre ma chambre et prendre une douche sans être nue. Je l’observai ouvrir son placard et je haussai les sourcils en voyant certains de ses vêtements. Des chemises à jabot, de longs manteaux, et beaucoup de velours.
— Tu as donc une moitié de garde-robe plutôt clichée, le taquinai-je.
Il prit un air faussement outré.
— Quoi ? Ce sont les humains qui se sont inspirés de nos tenues pour écrire leurs histoires de vampires. Je n'allais pas changer toute ma garde-robe pour eux.
Je m’approchai et étudiai avec attention ses habits.
— Je vais peut-être faire comme Harper et me mettre à te voler des vêtements, moi aussi.
— Vous pouvez me laisser de quoi m’habiller, s’il vous plaît ?
Je fis mine d’y réfléchir.
— Bon… Je vais aller me changer. Je vous rejoins dans un moment, prévins-je.
Les doigts sur la poignée de la porte, j’hésitai. Je me mordis la lèvre. J’avais l’impression que notre cocon allait exploser, si je sortais. Alors que je venais de vivre les meilleurs moments de ma vie. Mon autre main effleura mon cou, là où il m’avait mordue. Même s’il n’y avait plus la marque. Je le sentais encore me mordre et les délicieuses sensations qui m’avaient parcouru.
Il constata mon hésitation et se tourna vers moi. Il mit ses bras autour de ma taille et m’embrassa.
— Crois-moi, ce n’est pas parce que tu quittes cette chambre que c’est la fin, me rassura-t-il.
Ça, nous n’en savions rien. Mais il avait l’air sûr de lui.
— Ouais, répondis-je en hochant la tête.
— File, avant que je te ramène dans ce lit.
Je pris un air malicieux.
— T’es censé me convaincre de sortir, pas m’encourager à rester, ricanai-je.
Je vis une lueur rougeâtre dans ses yeux et un sourire en coin de prédateur releva le coin de ses lèvres. Je frémis, mais pas d’effroi.
— Ok, ok, j’y vais ! lâchai-je en ouvrant la porte.
Sinon les choses allaient déraper. Je n’étais pas certaine de pouvoir résister à ce regard-là.
Je m’empressai de rejoindre ma chambre. Je me rendis compte au milieu de ma douche, que j’avais un sourire aux lèvres. Et il ne me quitta pas, même après.
Je me séchai et enfilai en vitesse les premiers vêtements qui me tombaient sous la main, à savoir un jean, et un tee-shirt à l’effigie du film
V pour Vendetta, comportant l’inscription « People should not be afraid of their government. Government should be afraid of their people ». Je sortis de ma chambre et entendis des voix, provenant de la cuisine. À peine avais-je mis un pied dans la pièce, qu’une tornade nommée Emma me tomba dessus pour me prendre dans ses bras.
— Comment tu te sens ? s’enquit-elle.
Elle se recula, ses mains sur mes épaules.
— Tu as besoin de quelque chose ? J’ai fait des crêpes ! Tu veux boire un jus de fruits ? Un chocolat chaud ? Dis-moi !
J’eus un petit rire.
— Je vais bien. Merci, c’est adorable, lui répondis-je. Ne t’en fais pas, je peux me débrouiller.
— Tu es sûre ?
— Sûre.
Adam était là et il me sourit. Ses cheveux étaient humides et je me fis la réflexion que nous aurions pu prendre notre douche ensemble.
Je dus chasser cette pensée perverse, puisque Lucian et April vinrent m’entourer. La gaieté me quitta, pour être remplacée par la peine ainsi que le soulagement. J’avais envie de serrer Lucian dans mes bras pendant des heures, après ce que j’avais pu voir dans mes visions. Et j’étais absolument ravie qu’April soit entrée dans sa vie. Alors je les étreignis avec force.
— Tu es sûre que ça va, ma chérie ? s’enquit-elle.
Je hochai la tête, refoulant mes larmes. Je me reculai un peu, les lâchant. Je me forçai à sourire.
— Oui, répondis-je.
— Laissez-moi passer ! exigea une deuxième furie.
Ce fut au tour de Nora. J’étais surprise qu’elle me prenne ainsi dans ses bras.
— Plus jamais tu ne nous fais un coup pareil ! me gronda-t-elle.
— Euh… D’accord ?
— Merci ! Ce n’est pas parce que nous sommes immortels, qu’on ne peut pas se faire de cheveux blancs, ajouta-t-elle. Et je n’ai pas envie d’en trouver sur ma tête !
Elle se recula mais garda son regard sévère. Je devinai que c’était sa façon à elle de masquer un surplus d’émotions.
— Promis, je ferai attention pour tes cheveux, répondis-je.
Elle eut l’air satisfaite.
Je tirai une chaise et m’assis à côté d’Adam. J’eus toutes les peines du monde à me retenir de rougir et à ne pas afficher un sourire idiot.
— Alors ? C’était comment, de se faire mordre ? intervint soudainement quelqu’un.
Crystal entra dans la pièce d’un pas nonchalant. Je baissai la tête en espérant que mes cheveux d’une rougeur saisissante cacheraient celle de mes joues. Un silence suivit sa question et je n’osai regarder les réactions des autres.
Heureusement que Brooke et Ned n’étaient pas là. D’ailleurs, je me demandais où ils pouvaient bien être.
— Ben quoi ? reprit-elle.
Je me saisis d’une crêpe afin de me donner une contenance. Quand j’osai enfin relever les yeux, je vis qu’Emma regardait ailleurs en retenant mal un sourire et Nora paraissait jubiler. April était un peu gênée et Lucian toisait Adam avec sévérité, l’air de dire « Tu n’as pas intérêt à la faire souffrir » et les yeux de l’intéressé fusillaient la Harpie.
— Donc on va tous faire comme s’il n’y avait rien ? insista-t-elle.
Elle paraissait si spontanée et franche que je doutai qu’elle fasse cela par pure provocation. Elle me donnait surtout l’impression de ne pas vraiment se rendre compte de ce qu’elle pouvait dire ou de l’effet que ça pouvait avoir sur les autres.
— J’aime bien ton tee-shirt, intervint Emma.
— Merci.
—
V pour Vendetta… C’est un truc pour Adam ça, ricana Nora. Des explosions. Des coups d’état… C’est tout lui !
Je leur en étais reconnaissante de changer de sujet.
Adam haussa un sourcil mais, encore une fois, il afficha un rictus mystérieux.
Ça recommence…
— On a dit « non » pour les coups d’état, lui rappelai-je, amusée.
— Et encore une fois, je répète que je n’ai jamais confirmé que j’en ferai un.
Je mordis dans la crêpe en le regardant avec suspicion.
Tim fit son entrée et me sourit.
— Content de voir que tu vas bien, me dit-il. Qu’aurais-je fait sans mon humaine pour goûter les chocolats ?
— Ravie de voir que tu tiens à moi, Tim, ironisai-je.
Il nous tendit deux enveloppes, à Adam et moi. Je haussai les sourcils, surprise. J’ouvris la mienne et trouvai… un chèque.
— Qu’est-ce que…
— De la part des Exécuteurs, fit-il.
— Tim, gronda Adam.
— Quoi ? Elle le sait non, que ça fait partie de votre travail ?
Oh !
Lucian aussi était tendu. Ils craignaient ma réaction.
— Ne vous en faîtes pas, je me doutais déjà que vous étiez payés pour les missions, les rassurai-je.
J’acceptais décidément beaucoup de choses, depuis que j’étais arrivée ici. Je me demandais ce qui pouvait encore me surprendre.
Je sortis totalement le chèque de l’enveloppe.
— Mais pourquoi est-ce que je suis payée moi aussi… La vache !
Mes yeux venaient de se poser sur le montant et ils s’écarquillèrent. J’étais bouche-bée.
— Attendez… J’ai seulement fait l’appât, fis-je, incrédule.
— Les Exécuteurs s’en fichent, tant que tu as contribué et que le travail a été fait, expliqua Crystal.
Je mis encore quelques secondes à réaliser ce que j’avais sous les yeux.
Neeve : chasseuse de primes.
~
Mes écouteurs dans les oreilles, avec
My Escape, de Ravenscode, qui jouait, je poussai le portail du manoir. J’étais allée passer un peu de temps avec Madelaine. La voir avait quelque chose de réconfortant. Même si j’aimais profondément les River, avoir une amie humaine m’était familier, apaisant.
There's so much love in your smile when I look at your face
And I'm here to stay
You're my first and my last love and you're my escape…
Je souris en entendant ces paroles. J’avais toujours aimé cette chanson, mais là, maintenant, elle me parlait particulièrement.
Oui, je commençais à être fleur bleue, mais ça me faisait du bien.
So tell me you'll be right here with me
Hearing your voice is like hearing an angel sing
Je coupai la musique et ôtai mes écouteurs en voyant une silhouette que je reconnaîtrais entre mille, plus loin. Adam volait. Je souris et rangeai mes affaires. Je m’approchai et laissai mon sac dans l’herbe. Il me repéra et me regarda.
— Tout va bien là-haut ? lançai-je.
De là où j’étais, je pus voir son rictus en coin.
— Viens voir par toi-même, me défia-t-il.
Il ne fallait pas me le dire deux fois.
Un certain trac m’envahit, car je n’avais fait qu’une seule autre tentative pour voler, seule, quelques jours auparavant. Je me concentrai et fis appel à mes ombres. Je me sentis soulevée dans les airs et je respirai profondément. Je fis en sorte de garder l’équilibre. Je gardai à l’esprit que s’il se passait quelque chose, il n’aurait aucun mal à me rattraper. Cette confiance me permit de gagner en puissance.
Lentement, mais sûrement, je m’élevai jusqu’à atteindre sa hauteur. Il suivit ma progression avec un regard plein de fierté. Et pour le provoquer un peu, j’allai même un peu plus haut que lui. Il me rejoignit en un rien de temps.
Il se rapprocha de moi. Et alors que nos lèvres allaient se frôler, j’eus un sourire espiègle.
— Oups !
Je relâchai un peu mon pouvoir pour redescendre, en riant. Mes pieds furent à nouveau sur le sol. J’étais contente d’avoir réussi à faire ça, même si ça n’avait pas duré longtemps.
Alors qu’il faisait de même, Lucian débarqua. Comme à chaque fois que je le voyais, depuis deux jours, je ressentis un pincement au cœur.
— Je croyais que tu voulais te dépenser, Adam, lui lança-t-il avec provocation. Il faut me dire si tu veux reporter.
Le vampire blond eut un rictus qui n’augurait rien de bon.
— Je t’attends, Lucian, répliqua-t-il.
Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas au milieu de quoi j’étais tombée.
— Je comprendrais que tu veuilles partir, Neeve, déclara mon sauveur sans lâcher Adam des yeux. Tu ne veux peut-être pas me voir lui mettre une raclée.
— Tu rêves, rétorqua mon amant.
J’écarquillai les yeux.
— Vous allez vous battre, là ? m’étranglai-je.
Ils tournèrent tous les deux la tête vers moi.
— Oui, répondirent-ils en même temps comme si c’était parfaitement normal.
Je levai les deux mains et reculai de plusieurs pas. Apparemment, c’était habituel. Néanmoins, je ne pus empêcher des images de mes visions de défiler dans mon esprit. J’avais vu Lucian battre Adam, mais d’une autre manière.
Ce n’est qu’un entraînement, là, Neeve… Ne t’en fais pas…
Devinant ce que je pensais, Adam m’adressa un regard rassurant, discrètement. Je m’assis donc dans l’herbe, ne sachant pas trop à quoi m’attendre. Si ça pouvait les défouler…
Je clignai simplement des yeux, pourtant, tout bascula. Ils s’étaient jetés l’un sur l’autre et leurs gestes étaient si rapides que leurs silhouettes paraissaient floues. Leurs mouvements aussi. De temps en temps, j’en voyais un par terre, avant qu’il ne se relève en un éclair.
Soudain, je vis Emma. Elle s’assit à côté de moi et me tendit un pot de pop-corn.
— Tiens, me proposa-t-elle. C’est toujours divertissant de les voir se battre.
— Cinquante euros qu’Adam va gagner, intervint subitement Nora, qui prit place à ma droite.
— Deal, répondit Emma en lui serrant la main.
C’était surréaliste.
Nous suivîmes le combat des yeux - du moins,
elles le suivaient, puisque je ne voyais pas grand-chose -, et au fur et à mesure, je me détendis. Je les entendais surtout rire et se provoquer. À un moment donné, Adam eut le dessus et il eut l’audace de prendre le temps de me faire un clin d’œil… avant de se faire renverser par Lucian.
— Qu’est-ce que tu fous Moineau ?! s’écria Nora. J’ai parié cinquante euros sur toi !
Je retins un rire et pris une poignée de pop-corn.
Cela dura un moment. Finalement, Lucian déclara forfait. Nora bondit sur ses pieds en brandissant un point victorieux, puis elle tendit la main à Emma, qui râla avant de lui donner plusieurs billets. Pour ma part, j’applaudis.
— Ça va, je te rends seulement l’argent que je t’ai pris la dernière fois, ricana Emma avec malice.
La blonde lui tira la langue.
Lucian se redressa et Adam mima une révérence. Je secouai la tête, amusée, puis me relevai.
— Vous pourriez m’apprendre ? leur demandai-je.
Ils me jetèrent des regards surpris.
— J’aimerais bien savoir me battre, ajoutai-je. Certes, ça ne sera pas au même niveau, mais tout de même.
Les yeux de Nora se mirent à pétiller. C’était sûr, elle était fière de moi. Emma m’adressa un signe de tête encourageant.
Les deux hommes finirent par hocher la tête.
— Je pourrais t’apprendre, oui, répondit le brun.
— Oh, Lucian. Il vaudrait mieux qu’elle s’entraîne avec le meilleur, répliqua Adam avec un sourire insolent.
Pour toute réponse, Lucian roula des yeux et le poussa violemment à l’épaule. Mon amant se retrouva par terre.
— Il faudrait que tu apprennes à être modeste, le rabroua son ami.
~
Je lisais avec attention les pages des livres de Cristobal. Ce dernier n’était pas là aujourd’hui, mais j’étais certaine que cela ne le dérangerait pas. Et depuis plusieurs secondes, j’étais en train de sourire, car j’étais tombée sur une information que je trouvais adorable. Il s’agissait d’un lien de « Compagnon », entre deux vampires, qui était l’équivalent d’un mariage. Il fallait que les deux personnes échangent leur sang, prononcent un serment et entremêlent leur magie. Cela les unissait définitivement et l’union était sacrée, aux yeux des autres vampires. Je soutins ma tête d’une main et lus la suite :
Il a été démontré que certains avaient reconnu l’autre comme étant leur moitié, poussés par un instinct troublant. À leurs yeux, il s’agissait d’une évidence et ce, bien avant l’union. Cela n’est pas sans rappeler les mythes des âmes-sœurs. Il semblerait qu’il soit possible que la puissance de certains sentiments nous dépasse.
Aucun cas montrant que deux vampires liés de cette manière avaient fini par ne plus s’aimer, n’a été recensé. Nous avons cependant pu voir que deux personnes n’ayant aucun sentiment pour l’autre à l’origine, et s’étant unis pour d’autres raisons, ont pu développer de l’amour au fil du temps.
S’ensuivit une illustration joliment dessinée, montrant un couple entouré d’une aura lumineuse, pendant l’échange de sang.
Certains mots m’avaient fait tiquer, comme le fait de reconnaître l’autre par instinct, mais je ne m’attardai pas dessus. Cela n’aurait pas dû me concerner, je n’étais pas une vampire.
Pourtant, Arthur avait dit que nous partagions un lien allant au-delà de ce que nous pouvions concevoir. Et j’y croyais. Adam et moi devions être une exception. J’eus un léger sourire. Cela ne m’étonnait même pas. Nous formions un sacré duo. Haut en couleurs et en surprises.
Je tournai la page et un mot attira mon attention : dévoreurs. Je fronçai les sourcils.
Il est difficile de décrire exactement ce que sont les Dévoreurs. Il s’agit surtout de légendes parcourant le monde des vampires depuis des lustres. Mais s’il fallait livrer une idée générale, voici ce que cela donnerait : deux personnes aux pouvoirs complémentaires seraient liées et auraient la capacité d’absorber la magie d’un autre, mourant. Elles dévorent les pouvoirs. Ce statut particulier resterait très rare.
Je tournai la page afin de voir s’il n’y avait pas plus d’explications sur cette légende. En tout cas, elle était assez inquiétante. Mais rien. J’en demanderais plus à Cristobal, plus tard.
Mes yeux parcoururent les lignes. J’eus une grimace en lisant qu’il était possible pour un humain de devenir addict au sang d’un vampire, surtout celui des plus puissants, et inversement, si celui-ci était consommé régulièrement. J’eus un petit rire ironique en repensant à ma réaction après la morsure d’Adam, ou quand il m’avait guéri. Bon, ce n’était arrivé qu’une fois, pas la peine de s’inquiéter.
Et puis si c’est lui, ce n’est pas bien grave…
Je repoussai aussitôt cette pensée hors de mon esprit. Ce n’était pas le moment.
J’eus un mouvement de recul en poursuivant. Là encore, il était question de sang. Mais ce que je vis me coupa le souffle.
Le Sang Suprême : il permet à un vampire de se retransformer en humain, mais cela laissera une empreinte magique très forte tant que la personne vivra, et paraît très complexe. Nous n’avons toutefois pas plus d’informations sur le déroulement de la transformation, les vampires possédant ce don restant discrets et s’abstenant de métamorphoser les leurs. Nous sommes cependant certains que la personne possédant ce sang souffrira en le donnant. Son instinct la poussera à en offrir toujours plus, comme si c’était fait pour ça. Cela occasionne des douleurs et une instabilité émotionnelle, régulières. Le vampire aura envie de laisser s’écouler son sang, afin qu’il cesse de le brûler autant.
Je me figeai. Je voulus empêcher mon esprit de faire des liens trop rapidement entre les choses, en vain.
Brooke. Elle souffrait, la dernière fois, lorsque je l’avais trouvé sur le chemin, près du manoir. Et Ned lui avait demandé si elle avait donné son sang. Elle s’était griffée jusqu’à se blesser.
Je secouai la tête. Je n’avais aucune preuve de ce que j’avançais.
Je voulus lire encore un peu, mais l’atroce mélodie de la flûte se mit à jouer dans mon esprit. J’étais habituée, désormais, alors je me mis à siffloter l’air que j’entendais. Incapable de me concentrer, j’allai ranger le volume à sa place. Je sortis mon carnet et avec le sourire, je repris le dessin d’Adam là où je l’avais laissé.
— Où as-tu entendu ça ? s’éleva une voix.
Je levai les yeux. Lucian se tenait près de ma table avec un air interrogateur. Je refermai le carnet, puis captai enfin ce qu’il venait de me demander.
— Attends… Tu connais cette mélodie ? fis-je, sous le choc.
Il s’assit en face de moi et souris avec douceur.
— Oui, répondit-il.
Hallelujah ! J’allais enfin savoir ce que c’était.
— C’était une berceuse que ton père connaissait de ses propres parents, m’apprit-il. Quand il a appris que Malia était enceinte de toi, il m’a juré qu’il te la chanterait.
Ce souvenir le fit sourire et il y eut une lueur de nostalgie dans son regard.
Je ne m’attendais tellement pas à cela que mon cœur menaça de s’arrêter de battre. Une bouffée d’émotion me saisit.
— Il s’était entraîné devant moi. Il était déjà fou de toi avant même que tu ne viennes au monde. Il a dû te la chanter pendant le peu de temps qu’il a pu passer avec toi. Et tu as peut-être eu une vision liée à cela.
Un rire nerveux m’échappa, tandis que les larmes me montaient aux yeux.
— Malheureusement, je ne me souviens que très peu des paroles, soupira-t-il. Je crois qu’il était question de nuages, d’une belle enfant, de la neige… Je suis désolé, impossible de m’en souvenir.
Je secouai la tête.
— Ça ne fait rien, c’est déjà beaucoup, lui assurai-je d’une voix étranglée. Je l’ai entendu dans des visions.
Il se rapprocha de moi en voyant mes yeux rougis. Il passa un bras autour de mes épaules et je me laissai aller contre lui.
— J’aurais bien aimé le connaître…, avouai-je.
— Je sais, ma puce. Je sais…
En tout cas, je savais qu’à partir de maintenant, je n’allais plus détester cette mélodie avec autant d’aplomb. Peut-être qu’il me fallait l’accepter pleinement pour connaître cette berceuse et qu’elle cesse de surgir n’importe quand. Même si par ce biais, j’avais encore un lien avec mon père biologique.
Il se mit à frotter mon bras.
— Je suis désolé de ne pas avoir été là, chuchota-t-il.
— Comment ça… ?
— J’étais parfois dans les parages pour veiller sur toi, pourtant… j’ai été absent dans les pires moments.
— Tu ne pouvais pas savoir… Et tu avais un clan à gérer, de ton côté.
— Peut-être, mais… J’aurais dû être là quand…
Je fronçai les sourcils et relevai la tête.
— Quand… ? l’encourageai-je.
— Quand Malia a été agressée. Et quand elle est morte. Et pour ce qu’il s’est passé ensuite.
Je blêmis. Je savais qu’Adam n’avait rien dit, mais d’autres personnes devaient avoir vu mes cicatrices et surtout, il y avait eu l’accident du verre, quand j’avais été prise de panique.
— C’est Emma, qui te l’a dit ? devinai-je.
— J’avais entendu quelque chose. Je suis venu lui demander ce qui s’était passé et elle m’a expliqué que tu avais eu peur qu’Adam se mette en colère. J’ai également vu tes marques, expliqua-t-il avec douceur.
Je hochai la tête et pris une brusque inspiration.
— Tu n’y es pour rien. Arrêtez de penser que vous auriez dû sauver tout le monde, tout le temps, répondis-je. (Je mis une main sur son bras.) Vous avez fait ce que vous pouviez, avec les meilleures intentions du monde.
Il soutint mon regard pendant un instant. Je doutais qu’il soit réellement convaincu. Il fallait que je change de sujet.
— Est-ce que… Brooke a le don du Sang Suprême ? demandai-je.
Il n’eut pas besoin de répondre. Sa réaction confirma mon soupçon.
— Comment sais-tu cela ? s’enquit-il, surpris.
Je désignai la bibliothèque. Il soupira. Il se pinça l’arête du nez.
— Je vois.
— Je l’ai aussi vu souffrir, alors qu’elle venait apparemment de donner son sang, poursuivis-je.
— En effet, c’est bien le cas, affirma-t-il. Nous sommes au courant, dans le clan, mais nous essayons de faire en sorte que cela reste un secret, pour les autres.
— Je ne dirai rien.
Je triturai mes doigts.
— Mais est-ce que Savari est au courant ? l’interrogeai-je.
Il y eut quelques secondes de silence.
— Oui, soupira-t-il.
Les pièces du puzzle commençaient à s’imbriquer dans mon esprit.
— Est-ce que c’est pour cette raison qu’il est aussi obsédé par elle ?
— Nous n’en sommes pas certains, mais c’est une possibilité.
Alors au-delà du fait de l’avoir pour amante, il voulait également se servir d’elle comme d’un outil. Tout en sachant que ça la ferait horriblement souffrir. Je doutais fortement qu’il ne soit pas au courant de cela, alors que je pouvais l’apprendre en lisant un livre de Cristobal.
Je pinçai les lèvres. Ma détermination à sortir Brooke de cette situation tout en préservant la liberté d’Adam ne fit que grimper.
Et une image bien particulière me revint.
— Lucian… Est-ce que mon père connaissait bien Sophia et le roi ?
Il fronça les sourcils.
— Il me semble qu’il les avait vu quelques fois, oui. Pourquoi ?
Je venais d’avoir une idée. Je ne savais absolument pas ce que cela allait donner ou si je me faisais des films.
— J’étais curieuse, mentis-je.
Il ne me crut peut-être pas, mais je n’en dis pas plus.
~
J’ouvris la portière de la voiture et en sortis, en tremblant. Cela faisait une éternité que je n’étais pas revenue ici.
Devant moi, les grilles du cimetière dans lequel reposait ma mère se dressèrent, imposantes. Je restai figée devant elles.
L’instant d’après, une main rassurante se posa sur mon épaule. April. Lucian et elle m’avaient demandé si je voulais venir ici. J’étais certaine que la discussion que j’avais eu avec lui à propos de mon père lui avait donné cette idée. En me voyant aussi bouleversée, il avait dû penser que j’en aurais besoin. D’ailleurs, peut-être même qu’ils en avaient également besoin, tous les deux. Après tout, ils l’avaient connue.
Nous entrâmes dans le cimetière et, même si cela faisait longtemps, je me souvins aisément de l’emplacement de la tombe. Bientôt, le nom « Malia Lefevre » surgit sous mes yeux. Me causant un choc. Les deux vampires m’entourèrent, en silence. Je me baissai pour déposer le bouquet de fleurs que j’avais apporté.
Certaines blessures étaient tout simplement impossibles à refermer. Ou ne s’apaisaient jamais vraiment. Mais au fil des années, j'avais tout de même réussi à ne plus m'effondrer sur le sol à la simple vue de cette tombe.
Le souvenir de son enterrement continuait à me hanter. J'avais été tellement perdue et désespérée ce jour-là, au milieu de ces personnes prétendant avoir bien connu ma mère. Ces gens qui s'étaient mis en file pour me faire part de leurs « sincères condoléances », comme si cela allait m'aider. En vérité, je ne les entendais même pas. Je ne
voulais pas les entendre. J’avais eu la sensation - probablement faussée - qu’ils m'avaient regardée comme si j'étais coupable. J’étais persuadée qu’ils m'en voulaient de ne pas être intervenue.
Je n'avais fait que baisser les yeux pendant toute la cérémonie, mon bout de papier contenant mon discours à la main. Discours que je n'avais même pas osé prononcer, parce que j'avais honte. Oui, à ce moment-là, j'avais honte et j'étais en colère contre moi-même pour ne pas avoir été avec elle. Pour ne pas l’avoir sauvé.
Nous restâmes ainsi un moment, à nous recueillir. Puis Lucian me chuchota qu’ils me laissaient un peu seule avec…
elle. J’entendis leurs pas s’éloigner et je restai plantée là. Je finis par prendre une grande inspiration pour trouver le courage de me lancer.
— Salut, maman.
Je me raclai la gorge.
— Je ne sais pas si tu as suivi mes périples, de là où tu es.
Je ris, nerveusement. Je n’arrivais pas à croire que j’étais en train de faire ça. De
dire ça.
— Enfin, je ne l’espère pas, tu es censée être en paix, et c’est franchement le bazar, là en bas, poursuivis-je.
Les larmes se mirent à couleur toutes seules, sans que je ne puisse les contrôler, en silence. C’était arrivé d’un seul coup.
— En fait… je ne sais pas vraiment comment va se poursuivre mon existence, ni si elle va se terminer précocement. Si je pourrai revenir. Alors… sache que je t’aime. Je fais ce que je peux et j’aimerais que tu sois… fière de moi. Bon, tu serais horrifiée en voyant que je suis entourée de vampires, mais ce sont des gens bien. Vraiment. Et si j’en ai la possibilité, alors peut-être que… que je vais rester avec eux. J’ai l’impression d’avoir trouvé une famille. D’avoir un foyer.
Ça faisait du bien de dire tout ça. Même si personne ne m’entendait, et que je ne croyais qu’à moitié au fait que ma mère reçoive ces paroles. Ou qu’elle en ait vraiment quelque chose à faire. Je m’étais toujours sentie si gauche, avec elle. Ennuyante. J’étais de
trop et mon existence ne la rendait pas heureuse.
Je restai encore un instant, sans rien dire. Puis je m’assis et me mis à tout lui raconter. Tout ce que j’avais pu vivre depuis sa mort. Cela me fit un bien fou et je me sentis comme libérée d’un poids.
Quand j’eus terminé, je me relevai et allai retrouver Lucian et April, qui m’attendaient près de la voiture. Ils me serrèrent dans leurs bras avec tendresse.
~
Nous ne nous attendions pas à ce que ce soit si animé, au manoir, lorsque nous rentrâmes. Les autres River n’avaient même pas fait attention à notre présence.
Lucian, April et moi restâmes figés, à l’entrée du salon. Dans la pièce, Ned et Tim essayaient de calmer une Brooke paniquée, tandis qu’Adam et Emma voulaient éloigner Nora, qui semblait furieuse après la première.
— Pourquoi est-ce qu’il va venir, à votre avis ? s’écria Brooke. Il a vu que vous étiez proches !
Elle pointa Adam du doigt.
— Il va venir me réclamer ! ajouta-t-elle.
Mon sang se glaça.
— Tu n’en sais rien ! répondit-il. Calme-toi, maintenant. On va trouver une solution.
— Alors c’est ça, hein ? poursuivit-elle. Tu vas rompre les fiançailles ? Sinon la solution est toute trouvée : il va falloir qu’on se marie !
— Il ne va rien
falloir du tout ! renchérit Nora. Adam n’est pas à ta disposition ! Ce qu’il faut surtout, c’est que tu la fermes quelques minutes pour qu’on puisse réfléchir !
— Nora, intervint Emma, qui était dépassée par la situation.
— Il a promis ! argua Brooke.
Mes yeux tombèrent sur un liquide rougeâtre. Sur ses bras. Je fis immédiatement le lien avec sa crise de panique qui devait être amplifiée par son pouvoir.
Ned chuchota quelque chose à sa petite-amie, mais celle-ci secoua la tête, les joues pleines de larmes. Tim fusilla Nora du regard, une main dans le dos de sa sœur pour la rassurer.
— C’était une très mauvaise idée de l’emmener ici…, sanglota Brooke en s’entourant de ses bras. Qu’est-ce qu’elle a apporté de bon depuis qu’elle est là, exactement ? Mis à part un contentieux avec le clan Lane ? Vous êtes tous d’accord pour vous faire des ennemis afin de protéger une simple humaine que vous ne connaissiez même pas !
— Neeve ne vient pas seulement d’arriver. Elle était là, quelque part dans mon esprit, depuis des siècles ! répliqua Adam, hors de lui. Elle a
toujours été là ! Qu’elle soit venue ici ou non, ça n’aurait rien changé, au final. Ça a toujours été
elle, depuis le début.
Mon cœur se mit à battre plus vite. Je restai bouche-bée devant sa conviction, ses mots, qui m’atteignaient de plein fouet mais étaient aussi doux que de la soie.
Brooke était au bord des larmes.
— Tout ça va finir par vous revenir en pleine figure, sanglota-t-elle.
— Dis plutôt que c’est surtout
toi que ça n’arrange pas, grogna Nora.
Mon estomac se serra et je pâlis. Je savais qu’elle était sous le coup de la peur, mais ça faisait mal. Très mal.
Lucian laissa échapper un sifflement désapprobateur.
La seconde d’après, toutes les têtes se tournaient dans notre direction. Ils se figèrent tous. La colère sur le visage d’Adam, suite à ce qu’il venait d’entendre, fondit comme neige au soleil en me voyant, remplacée par l’effroi que j’ai assisté à cela. Brooke baissa les yeux. Nora était toujours folle de rage et Emma coula un regard suppliant à Lucian et April, afin qu’ils l’aident à apaiser la situation. Tim paraissait désolé. Ned ferma les yeux un instant, désespéré par ce qui était en train de se dérouler. Il était rare de le voir exprimer une émotion. La situation était grave.
J’ignorais où se trouvaient les jumelles, mais c’était mieux qu’elles ne soient pas là pour envenimer la situation. Et heureusement que Cristobal était absent, avec toute cette avalanche d’émotions.
April mit une main dans mon dos.
— Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ce qu’il se passe, exactement ? gronda Lucian.
Je ne l’avais encore jamais entendu parler aussi sèchement. Son expression n’avait jamais été aussi sévère. Ce n’était plus le Lucian amical et bienveillant avec tout le monde en toutes circonstances, là, il s’agissait du deuxième chef de clan.
Ce fut Tim qui se lança, après un bref silence gêné :
— Le roi va venir nous rendre une petite visite, dans trois jours.
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Chapitre 22
Chapitre 24 (première partie)