Si j'avais su… (titre temporaire) [Réaliste]

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Harugin

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Si j'avais su… (titre temporaire) [Réaliste]

Message par Harugin »

Salut,

Je partage avec vous une histoire que je suis actuellement en train d'écrire. Étant une éternelle insatisfaite, j'ai besoin de prendre du recul dessus et d'avoir des avis extérieurs pour y voir plus clair. Je vous épargne un résumé de l'histoire (ce n'est pas mon fort) et, si ça ne vous rebute pas d'ouvrir une porte sans savoir ce qu'il y a derrière, je vous laisse donc avec le premier chapitre.

Bonne lecture !
Harugin

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Re: Si j'avais su… (titre temporaire) [Réaliste]

Message par Harugin »

- CHAPITRE 1 -

Les coudes sur la table, Jade encadra son visage de ses mains pour masquer la déception qui la submergeait. Elle fixa son bulletin sans le voir. Autour d'elle, le brouhaha de la classe s'atténua alors qu'elle remettait toute sa vie d'étudiante en question.

Elle aurait dû se sentir soulagée et heureuse d'avoir terminé cette dure année, vivante et en bonne santé, et d'entamer un été bien mérité, mais là maintenant, elle ne ressentait ni soulagement ni joie. Son esprit était obnubilé par un chiffre et ne permettait pas aux autres émotions positives de s'épanouir.

Neuf, elle avait obtenu neuf de moyenne générale. Elle qui avait toujours fait partie de la tête de classe au lycée s'en mordait les doigts ou plutôt s'en rongeait les ongles. Elle savait avant même d'y entrer que les classes préparatoires aux grandes écoles étaient un tout autre niveau, et cela la faisait culpabiliser d'autant plus : elle n'aurait pas dû sous-estimer ses études supérieures.

Encore lycéenne naïve, elle était persuadée qu'elle pourrait nager comme un poisson dans l'eau dans l'aquarium réservé aux étudiants studieux car son parcours scolaire irréprochable jusqu'alors allait dans ce sens. Elle ferait partie de l'élite, point final.

La première note de devoir sur table qu'elle avait reçue l'avait ramenée brutalement sur terre. Ce quatre sur vingt la hantait et restera à jamais ancrée dans sa mémoire, sans parler du commentaire saignant qui l'accompagnait. (Son ressentiment envers son professeur de français était né ce jour-là et, encore aujourd'hui, était toujours palpable.)

Jade avait la rage de faire mieux en français mais aussi dans les autres matières. Elle prouverait à quiconque qui penserait le contraire qu'elle avait sa place en C.P.G.E. Cependant, les notes de devoirs sur table ou de khôlles qui avaient suivi ce maudit quatre n'étaient pas des plus glorieuses.

Jade s'était dit qu'elle finirait par s'y habituer et qu'avec le temps ses notes allaient s'améliorer, une fois qu'elle aurait compris les attentes des professeurs dans chaque discipline. Dans un sens, elle avait eu raison : ses notes avaient augmenté de quatre ou cinq points mais elle ne s'était jamais habituée aux notes à un chiffre. À chaque fois, sa fierté en prenait un coup. Tant d'efforts fournis pour obtenir une si faible récompense, si on peut appeler ça une récompense.

Pourtant, en repensant à ces dix derniers mois, elle ne trouvait rien à se reprocher, elle avait l'impression d'avoir fait son maximum…. mais ça n'avait pas été suffisant, au vu de ses notes majoritairement en-dessous de la moyenne.

Mme Ducan, leur professeure d'histoire et également professeure principale, l'avait rassurée en lui disant qu'avec l'avis des autres professeurs, elle examinerait son dossier le soir même, lors du dernier conseil de classe. La faire passer en Khâgne était une possibilité envisageable. Après tout, ils étaient tous d'accord sur le fait que Jade avait une certaine constance dans ses notes et se montrait tout autant assidue et impliquée en classe. C'était aussi une étudiante sérieuse en dehors des cours, selon la déléguée de classe, Esther.

Jade n'avait donc pas de soucis à se faire sur ce point-là. Si elle désirait entrer en Khâgne, elle avait les chances de son côté, malgré ses piètres notes. Mais Jade était perdue. Elle regarda son dossier de réinscription – dépassant de derrière son bulletin – d'un air accusateur, comme s'il était la source de ses problèmes.

Elle n'était plus sûre de rien. Elle savait pertinemment qu'en restant en C.P.G.E., elle coulerait, même en doublant, voire triplant ses efforts. Il fallait se rendre à l'évidence : Jade n'était pas faite pour ce genre d'études. Elle était reconnaissante envers ses amis car, sans eux pour lui remonter le moral, sa santé mentale n'aurait pas tenu le coup.

En continuant sur une deuxième année, le taux de stress de Jade serait si intense qu'elle en subirait des conséquences fâcheuses comme la dépression, le burn-out ou pire. Qui aurait envie de mourir à l'aube d'entamer sa vie d'adulte ? Peut-être qu'en mettant sa fierté de côté, Jade vivrait plus longtemps mais elle n'en était pas encore à ce stade. Jade releva la tête et les conversations de ses camarades jusqu'alors étouffées par ses propres pensées reprirent à plein volume.

Par habitude, Jade chercha Ariana du regard. Pour ne pas changer, celle-ci était assise au fond de la classe, près de la fenêtre, les yeux rivés vers l'extérieur. Jade ne lui jeta qu'un rapide coup d'œil car elle ne voulait pas se démonter le cou à l'épier et, de toute façon, c'était juste bizarre de fixer quelqu'un comme ça.

Elle mourrait d'envie de savoir si Ariana était acceptée en Khâgne. Jade avait su grâce à Esther, aka Détective Flores, les notes qu'Ariana avait obtenues au cours de l'année. Pas toutes, évidemment, car cela aurait paru suspicieux de poser la question à chaque fois. En plus, en tant que déléguée, Esther n'était pas censée divulguer les informations d'autrui, même au bon vouloir d'un ami curieux.

De ce que Jade avait pu récolter ici et là, les notes d'Ariana étaient vacillantes et, les mathématiques n'étant pas son point fort, Jade n'avait pas tenté d'en faire une moyenne au risque d'obtenir un résultat complètement erroné. Donc impossible pour elle de déterminer si Ariana était acceptée ou non en Khâgne. Le plus simple était d'attendre le conseil de classe, puis de – mine de rien – tirer les vers du nez d'Esther.


Quatre bulletins étalés devant elle, Esther les compara attentivement un à un. Ses voisins de table les lui avaient donnés sans protester et sans suspicion lorsqu'elle avait demandé à les voir, la main tendue. Esther était la déléguée de classe par excellence et elle l'avait prouvé à maintes reprises. Aussi, qu'on acceptait ou qu'on refusait de lui donner ce qu'elle voulait, elle finirait tôt ou tard par l'obtenir d'une quelconque façon.

Mieux valait être avec elle que contre elle car elle était une alliée précieuse et une ennemie redoutable. Tout en gardant une diplomatie indiscutable, elle défendait ses camarades de classe corps et âme auprès des professeurs les plus sceptiques quant à leur place en C.P.G.E. Peu importe qui avait tort ou qui avait raison, elle ne faillait jamais à sa mission : ses mots tranchaient l'air et touchaient ses interlocuteurs en plein cœur. Son franc-parler était autant admiré par certains que craint par d'autres.

De plus, Esther savait tout sur tout le monde, que ce soit sur ses camarades ou sur ses professeurs. Rien ne lui échappait, elle avait l'œil perçant d'un aigle et l'oreille sensible d'une chauve-souris. On ne pouvait rien lui cacher ; elle finissait toujours par déceler la vérité derrière le mensonge. Personne ne pouvait tromper son odorat d'éléphant.

De par la confiance qui se dégageait d'elle, on avait vite fait de se confier à elle. Du ragot à la confidence, Esther écoutait et entendait tout. Elle était une mine d'or d'informations concernant la vie d'untel ou d'unetelle et était la tombe des secrets futiles et sérieux. Mais gare au malintentionné qui essayerait d'obtenir ses précieuses informations pour les colporter, Esther n'était pas née de la dernière pluie et repérait les commères à des kilomètres.

Ses amis plaisantaient en disant qu'elle était une réelle menace pour la cohésion du monde, étant donné qu'elle savait tout mais ne divulguait presque rien. Si un jour elle venait à exploser d'une overdose d'informations, les dommages seraient désastreux pour l'humanité et entraînerait une guerre de règlements de compte.

Consciente du pouvoir qu'elle détenait entre ses mains, Esther faisait tout pour ne pas tomber dans la manipulation et le commérage qu'elle détestait par-dessus tout. Elle démantelait les rumeurs qui pouvaient porter préjudice à ses pairs ou à elle-même et était le porte-parole de ceux qui n'avaient pas autant de facilité à s'exprimer à l'oral qu'elle. Parfois, elle se sentait un peu comme une super-héroïne auprès de ses camarades.

Esther avait fini de parcourir les bulletins qui étaient sous ses yeux. De tête, elle commença à établir un classement, non pas pour créer de la compétition entre les étudiants (ceux-ci avaient catégoriquement refusé qu'elle ne le partage au vu et au su de tous lorsqu'elle avait proposé de le poster sur leur groupe Facebook) mais pour savoir où elle se positionnait dans la classe. C'était sa manière à elle de se motiver à bosser et elle avait toujours fonctionné ainsi.

Soit elle était sur les rails, soit elle était hors des rails. Dans ce cas-là, même si c'était rare, elle se donnait un bon coup de pied au derrière pour remonter dans le wagon qui n'allait pas ralentir et encore moins s'arrêter pour elle.

Son but n'était pas de voyager en 1ère Classe mais au moins d'être assise en 2ème. Non, en vérité, ce qui lui importait vraiment, c'était de rester dans le même train que Kevin, lequel avait un siège à son nom en Business et n'avait d'autres soucis que de profiter du paysage. Esther savait donc pertinemment qu'elle n'avait pas à s'inquiéter pour lui, sauf que, pour le bien-être de ses proches et égoïstement le sien, elle voulait rester auprès de lui.


Ses affaires soigneusement rangées dans son sac, Kevin se balançait sur sa chaise, en faisant tournoyer distraitement un stylo autour de son index. L'année était passée à toute vitesse. Il se rappelait du premier jour de cours comme s'il s'agissait de la veille.

Ce jour-là, et comme à son habitude, il était arrivé en avance et s'était assis au premier rang, là où la visibilité du tableau était la meilleure (ce n'était pas parce que l'on faisait plus d'un mètre quatre-vingt qu'on devait obligatoirement aller au fond).

Un retardataire avait essayé de s'asseoir à côté de lui mais la chaise était déjà occupée par le sac à dos de Kevin, lequel n'avait pas fait mine de libérer la place. Kevin lui avait expliqué brièvement qu'il préférait rester seul et, respectant son choix sans lui poser de questions, son camarade s'était assis à une autre table.

Pour briser la glace, les étudiants d'Hypokhâgne s'étaient tous présentés devant la classe au grand malheur des plus timides. Quand était venu son tour, Kevin en avait profité pour prévenir ses camarades de ses petites habitudes : il avait besoin de toute son attention durant les cours et ne pouvait pas faire la causette avec son ou sa voisine de classe, il préférait donc qu'on ne s'assoit pas à ses côtés. Cependant, avait-il ajouté, s'il n'y avait pas d'autres choix, il s'excusait d'avance de ne pas être de bonne compagnie, et évidemment, cela n'était pas à prendre personnellement.

À ses mots, certains avaient ri pensant qu'il plaisantait mais s'étaient rapidement tus en un silence gêné en voyant que ce n'était pas le cas. Jade avait levé les yeux au ciel tandis qu'Esther fusillait du regard l'un de ceux qui avait ri et qui avait ensuite lancé intentionnellement un « coincé du cul » un peu trop fort.

Pas le moins du monde touché par ces paroles, Kevin s'était retourné sereinement vers le tableau. Ceux mêmes qui ne l'avaient pas pris au sérieux s'étaient vite rendus compte que c'était loin, voire très loin d'être un « coincé du cul » et qu'en dehors des cours, il faisait partie des personnes desquelles on ne pouvait pas se passer au vu de son attitude extravertie, avenante et un brin extravagante.

Le stylo – ayant sans doute le tournis après toutes ses interminables pirouettes – faillit s'échapper des doigts de Kevin mais le jeune homme le rattrapa à temps et le refit partir pour un tour sans fin. Il réfléchissait à plein régime. Son nouveau planning (beaucoup plus intense qu'au lycée) avait bien fonctionné. Certes, il montrait quelques failles dans certaines circonstances mais le plus important c'est qu'il avait fonctionné sur la durée.

La concentration en classe était primordiale et la base même de ce que les autres pensaient être son génie. Kevin n'avait rien d'un génie, il avait juste appris à exploiter et consolider sa mémoire auditive, d'où son besoin de ne pas être parasité par des discussions frivoles.

Une fois le concept intégré dans son système interne, il n'hésitait pas à poser pendant et/ou après les cours des questions à ses professeurs afin d'éclaircir certains points qui lui restaient obscurs. Ses questions étaient parfois si pertinentes et perspicaces que ses professeurs étaient pris de court et ne pouvaient pas lui répondre sans une bonne réflexion au préalable ; leurs échanges finissaient donc souvent par e-mail.

Venait ensuite l'utilisation de sa mémoire visuelle. Que ce soit chez lui ou au CDI, Kevin triait et posait à l'écrit toutes les informations que son cerveau avait absorbées. Pour lui, c'était un puzzle intellectuel. Il faisait aussi beaucoup de recherches personnelles pour approfondir ses connaissances, souvent allant au-delà des notions étudiées en classe, et trouver les pièces manquantes à son puzzle. Une fois ce dernier complété, la satisfaction qu'il ressentait valait tout l'or du monde. Les notes excellentes qu'il ramassait à la pelle n'étaient qu'un bonus pour lui comparées au plaisir qu'il avait pris à résoudre ce casse-tête.

Il ne partageait jamais ses fiches de révision avec ses camarades, tout simplement parce qu'il n'en faisait pas. Son cerveau était un disque dur dont les capacités maximales de mémoire étaient inconnues. On enviait parfois sa facilité à tout absorber comme s'il buvait de l'eau fraîche et non pas un café corsé et brûlant. Kevin ne pensait pas avoir un quotient intellectuel plus élevé que les autres, loin de là ; par contre, il savait qu'il était un acharné du travail et qu'il pouvait supporter un rythme de vie infernal. Tous ses camarades étaient des bosseurs mais lui l'était encore plus, deux fois, voire trois fois plus qu'eux.

Pour être performant en Khâgne, Kevin se devait d'optimiser encore plus son temps et cela impliquait quelques modifications draconniennes : moins d'heures de sommeil (il se sentait capable de passer à quatre heures, les micro-siestes dans la journée compenseront l'heure manquante), plus d'heures de travail (il n'avait jamais eu besoin de se fixer un nombre d'heures minimal car lorsqu'il travaillait, il perdait la notion du temps), et le plus important, garder le même quota d'heures pour sortir et s'amuser.

Il aurait tout l'été pour mettre en place un emploi du temps solide et supportable dans la durée mais aussi pour analyser ses futurs cours ; mieux valait avoir une longueur d'avance que d'être à la traîne et ce dès la rentrée. Bien sûr, il n'en oubliait pas ses amis : passer du temps en leur compagnie était essentiel et avait autant de valeur que les études.

Kevin préférait sacrifier de précieuses heures de sommeil réparateur plutôt que de sacrifier une soirée mémorable (bien qu'il ne se souvenait pas de toutes les soirées qu'il avait faites), entouré de ses potes. Tout à ses calculs mentaux, Kevin fut distrait par la voix de Philip.


Philip était accoudé près d'une fenêtre entrouverte, en train de parler avec un Terminale qu'il aidait de temps en temps en anglais. Leur relation n'avait rien de celle d'un tuteur et de son élève car, ensemble, ils avaient fait de nombreuses soirées déjantées, à la limite du Projet X, et s'étaient vus maintes fois dans des états cocasses.

Le lycéen était justement en train de l'inviter à l'une d'entre elles, qui avait lieu le soir même. Pour une fois, Philip n'aurait pas besoin de se lever à huit heures le lendemain pour une khôlle – il n'était pas comme Kevin qui pouvait arriver frais comme un gardon un samedi matin malgré avoir fait la fête à outrance toute la nuit – alors il n'hésita même pas avant d'accepter.

« Pourquoi t'es pas dehors si t'es déjà en vacances ? lui demanda le lycéen. Si vous avez terminé les cours, l'autre là pourrait vous laisser sortir en avance. On pourrait fumer une clope ensemble avant que j'reparte pour deux heures de torture.

— Je sais, mec. Mais Mme Ducan profite des minutes qui restent pour répondre aux questions. On vient de recevoir notre bulletin et tout le bordel alors j'te dis pas le nombre de mains qui se lèvent. C'est limite s'ils font pas la holà.

— T'as pas de questions à lui poser, toi ?

— Pourquoi j'en aurais ? Moi je Khûbe, direct. »

Ne recevant pas de réaction de la part de cet étranger aux termes de la C.P.G.E., Philip lui expliqua qu'il allait en réalité intégrer une L2 à la rentrée mais il n'avait pas encore décidé – ou même réfléchi – dans quelle filière il souhaitait aller.

Il comptait se laisser porter par le vent du destin. L'année dernière, le vent l'avait déposé au pied de la porte de la Prépa, il s'était alors dit « Pourquoi pas ? » et avait ouvert celle-ci avec les clés qui lui avaient été données, sans vraiment savoir dans quoi il s'engouffrait.

« Ah ouais, tu passes pas en deuxième année parce que t'es une merde ? le nargua le lycéen ayant compris l'essentiel. Bon retour parmi les mortels, gros, on étudiera p't-être dans la même université des moins que rien, enfin si j'capte comment marche le Parcoursup de mes deux.

— Ouais, la galère ce truc, approuva Philip. Tout le monde passe par là mais personne ne sait vraiment comment l'utiliser. 'Fin pense d'abord à pas te foirer au bac, surtout en anglais. Prouve-moi que j'ai pas perdu mon temps à faire des heures sup' pour un p'tit branleur.

— T'inquiète ! s'exclama le Terminale en balayant l'air de sa main comme s'il chassait une mouche un peu embêtante. Where iz Bryan ? In ze kitchen. Tu vois ? Je gèèère !

— Bouffon, va ! » ria Philip bien qu'à moitié rassuré.

Le visage du lycéen se ferma soudainement et il fit signe de la tête à Philip que quelqu'un était derrière lui. Philip se retourna et rencontra le regard incisif de Mme Ducan qui, sans un mot, lui fit comprendre de se rasseoir. Philip n'eut pas le temps de saluer son jeune ami car celui-ci avait disparu de son champ de vision.

De retour à sa table, Philip s'assit à cheval sur sa chaise, pour faire face à Jade. Celle-ci avait le menton posé sur sa paume et une moue s'étirait sur ses lèvres, lèvres qu'il avait de nombreuses fois rêvé d'embrasser.

« Alors ? lui demanda-t-il en détachant difficilement son regard de cette bouche tentatrice.

— Alors quoi ?

— Khâgne ou pas Khâgne ? »

La jeune femme haussa des épaules, incertaine. Philip espérait secrètement et désespérément qu'elle se réoriente vers une L2, comme ça, il pourrait influencer son propre destin afin qu'il se dirige vers le sien, l'air de rien. Mais il savait que Jade avait trop de fierté pour accepter de descendre du podium, encore moins de son plein gré. Voyant qu'elle n'était pas d'humeur à bavasser, et qu'elle l'enverrait probablement bouler s'il lui demandait de venir à une fête ce soir, il tourna alors son attention vers la voisine de Jade.

« Et toi, Manon ? Bien ou bien ? » Cette dernière l'ignora complètement, non par pur dédain mais parce que toute son attention était centrée sur son téléphone. À ce moment-là, l'alarme incendie aurait pu retentir qu'elle n'aurait pas bougé d'un pouce. Peut-être même qu'elle pourrait être en train de brûler vive qu'elle ne s'en rendrait pas compte, pensa tristement Philip.

Il soupira et se rassit dans le sens de la marche pour aussitôt entamer une conversation avec le comparse d'Esther – c'était en réalité le deuxième délégué mais, au vu de la prestance et l'efficacité d'Esther à elle seule, il ne lui arrivait pas à la cheville et servait de bouche-trou, les rares fois où Esther n'était pas disponible. Il avait été élu délégué simplement pour satisfaire le quota qui était d'élire deux personnes.

De par sa popularité, Philip était la deuxième personne à avoir reçu le plus de votes (la première étant Esther, évidemment) alors qu'il ne s'était même pas porté candidat. Il aurait donc dû être de ceux qui représentaient la classe mais avait tout bonnement refusé ce rôle. S'occuper de son propre cas était déjà difficile et prenant, alors avoir pour responsabilité vingt-quatre autres personnes, c'était mission impossible.

Campée devant le tableau blanc, Mme Ducan avait frappé des mains pour recentrer l'attention dispersée de ses étudiants sur elle. Ceux-ci, d'une docilité exemplaire, interrompirent ce qu'ils étaient en train de faire pour se concentrer sur leur professeure.


Le sourire aux lèvres, Manon fixait nerveusement les petits points de suspension qui annonçait l'arrivée imminente d'un message instantané. Pas peu fière d'elle, elle avait envoyé à Vincent, son petit-ami, un selfie d'elle avec son bulletin en montrant ostentatoirement du doigt sa moyenne générale.

Manon avait passé ces neuf derniers mois à bûcher d'arrache-pied, à boire des litres et des litres de café instantané premier prix ; elle qui exécrait le goût amer et âpre de la caféine depuis toujours avait fini par s'y habituer petit à petit, voire même par l'apprécier, non pas pour sa forte concentration en acrylamide mais pour son efficacité à la faire tenir éveillée et concentrée des heures et des heures durant. Elle aurait pu faire pousser un baobab en moins de deux dans son jardin avec tout le marc qu'elle avait consommé.

Cette boisson noirâtre aux effets psychotropes avaient pour répercussions sur son corps et son esprit de lui faire faire des allers-retours incessants aux toilettes tout en la rendant fébrile et facilement irritable. Sa famille, qui vivait sous le même toit qu'elle, en avait payé les frais quotidiennement et, en voyant que le dialogue était impossible à établir avec elle, avait arrêté d'essayer de la raisonner.

Esther, qui n'avait pas sa langue dans sa poche, lui avait dit un jour d'y aller mollo alors que Manon était en train de boire sa troisième tasse de café de la matinée. Manon lui avait rétorqué qu'elle allait bien et que désormais ça ne lui faisait plus d'effet, mais ses mains l'avaient trahi car elles tremblaient, comme si elle souffrait de Parkinson précoce. Pour ne pas avoir à affronter la mine je-te-l'avais-bien-dit de la déléguée, Manon s'était levée et était partie se réfugier à une autre table de la permanence pour réviser tranquillement et sans se faire juger.

Après cet épisode, elle avait suivi le conseil de Vincent qui était de s'éloigner de ses amis, lesquels étaient une distraction négligeable, voire même un obstacle à sa réussite scolaire. Manon se sentait déjà terriblement seule et invisible au sein de son groupe, alors elle se disait qu'elle n'avait rien à perdre à l'écouter. Elle s'était alors plongée entièrement dans ses études au point d'en délaisser sa vie sociale. Vincent était le seul contact avec qui elle avait de vraies conversations tous les jours.

L'année dernière, en Terminale, Vincent s'était montré indécis quant à son futur professionnel. Tout comme elle, il était né, avait grandi et vécu dans la même ville pendant dix-huit ans ; il avait désormais soif de nouveaux horizons, ce que pouvait comprendre Manon même si, contrairement à lui, sa ville natale lui plaisait et la satisfaisait amplement. Les habitants lui étaient familiers, elle connaissait les environs comme sa poche et elle était entourée de son groupe d'amis. En somme, rester dans sa zone de confort la rassurait. De plus, elle pensait qu'ils étaient encore jeunes et avaient toute leur vie devant eux pour entreprendre un voyage autour du monde.

Vincent avait finalement décidé de se laisser une année pour réfléchir et de faire un PVT en Espagne, à Barcelone plus précisément. Si la ville lui plaisait, pourquoi ne pas y faire ses études supérieures ? Manon, même si elle avait ses propres ambitions et projets, était prête à les mettre en stand-by et à s'expatrier dans un pays qui ne l'attirait pas plus que ça par amour.

Mais Vincent ne l'avait pas comptée parmi ses plans. Lorsqu'il lui en avait parlé, l'air enjoué et enthousiaste, c'était toujours la même rengaine : « Je découvrirai un nouveau pays. Je m'immergerai dans une nouvelle culture. Je me ferai de nouveaux amis. J'apprendrai une nouvelle langue. Je travaillerai dans un nouvel environnement. Je louerai un studio ou ferai de la coloc dans une nouvelle ville. La grande aventure, quoi ! » Bref, de bien beaux projets qui n'incluaient pas Manon. Le « je » avait remplacé sans aucune pitié le « on » et la phrase implicite « je me trouverai une nouvelle petite-amie » était une épée de Damoclès flottant au-dessus de la tête de Manon.

Elle avait été profondément blessée d'être ainsi jetée aux oubliettes mais elle ne lui avait pas montré l'once d'une déception. Elle abhorrait l'idée d'être un frein à son épanouissement et de potentiellement abîmer leur relation jusqu'alors idyllique en jouant sur la corde sensible de la petite-amie jalouse et méfiante, alors elle avait porté son plus beau masque : celui où elle avait souri en se mordant l'intérieur des joues et l'avait soutenu dans son projet d'un ton feignant l'entrain.

Même si parfois elle lui en voulait encore de l'avoir ainsi abandonnée, surtout dans ses crises de mélancolie, elle lui avait pardonné car, au fond, il ne l'avait jamais quittée. Le tourbillon des études avait aussi été d'une grande aide dans cette relation à distance car il avait transformé l'année qui les séparait en mois puis en semaines et bientôt en jours.

Début juillet, Vincent et Manon seront de nouveau réunis. Par leurs efforts communs et surtout grâce à la technologie, leur relation avait surmonté la distance. Ils communiquaient par sms tout le temps et s'appelaient au moins une fois par jour. Finalement, c'était comme s'il était constamment à ses côtés. Le portable de Manon, qui s'était mis en veille par inactivité, se ralluma.

Amour ❤️
bravo mon cœur ! t la meilleur 💓💪
trop trop fier de toi 😎
Merci ! ❤️❤️❤️
Sans ton soutien, je ne sais pas si j'y serais arrivée. 🥺
j'y suis pour rien
c'est ta persévérance qu'il faut remercié 😉
J'ai hâte de te revoir, tu me manques. 😔
toi aussi 😍
je t'emmènerais dans ton resto prèf pour fêté sa 🍾
et après surprise 😏
Trop h

Les coups de coude de Jade, assise à sa gauche, devenant de plus en plus insistants, Manon, ses pouces arrêtés dans leur élan, lui lança un regard agacé. Jade lui rendit son regard avant de rouler des yeux, exaspérée.

Manon se rendit compte que le silence régnait et que toute la classe ainsi que la professeure la fixaient, attendant qu'elle réagisse correctement à la situation. La jeune femme posa son téléphone sur ses genoux et croisa sagement ses mains sur la table comme si de rien n'était. Mme Ducan s'éclaircit la voix avant de reprendre la parole :

« Je vous rappelle donc les consignes une dernière fois : rendez-vous à sept heures trente lundi matin. Ne soyez pas en retard : le car partira à huit heures pétantes. Les retardataires devront se débrouiller pour nous rejoindre directement au musée mais souvenez-vous qu'il faut deux bonnes heures de route pour y aller. Votre professeur de Latin et moi-même vous attendront devant le portail du lycée dès sept heures et quart. Contactez-nous si vous avez le moindre problème, que ce soit moi, M. Nasser ou Esther, peu importe, appelez quelqu'un pour prévenir de votre retard ou de votre absence ! Oui, pardon, je voulais dire un de vos délégués, pas forcément Esther », ajouta-t-elle lorsque l'intéressé, assis devant Manon, se pointait lui-même du doigt avec véhémence pour montrer qu'il existait lui aussi.
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