La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

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Charmimnachirachiva

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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par Charmimnachirachiva »

Coucou !
J'adore LPDH !! Les cinq perso sont ultra attachants !!
Par contre mon coeur saigne pour Nico, c'est si horrible ce qu'il a vécu (même si je le savais déjà, ce n'en n'est que plus affreux). En plus de voir que ça le fait se fâcher avec les autres et Will, ça me fend le coeur... Ces épreuves qu'il croyait avoir surmonter le rattrape. Mais Lou Ellen, Lacy, Connor et surtout Will vont pouvoir l'aider !
D'ailleurs Lacy m'a bluffé avec son coup de "je peux connaitre les émotions de tout le monde" (elle pourrait même peut être faire comprendre à Lou et Connor que leurs sentiments sont réciproques... ). Le regard Lacy-Connor était magique !
Will et son super pouvoir de torche humaine sont aussi intéressant, ça montre que ses pouvoirs n'ont pas forcément de rapport avec le combat mais que c'est un enfant d'Apollon quand même !
Ta fic' est trop bien (je me répète ?) !!!

Edit : j'ouvre officiellement la 2ème page de ce forum !!!!!
annabethfan

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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par annabethfan »

Bonjour ! J'espère que vous allez bien parce que moi je vais super bien ! Tom Daley est champion olympique ahhhhhh ! J'arrive pas à arrêter de sourire !

Pour les personnes qui ne connaissant pas Tom Daley : c'est un plongeur britannique prodige du plongeon. Il a été le plus jeune champion du monde à seulement 14 ans en 2009 après avoir participé de manière exceptionnelle au JO de Pékin parce que techniquement il était trop jeune pour le faire. Son père est décédé d'un cancer à peu près à ce moment-là. Il a fait quelques années plus tard son coming out sur sa chaîne youtube quand il a rencontré le réalisateur-scénariste oscarisé Dustin Lance Black (power couple ^^). Plusieurs années plus tard, au JO de Rio et alors qu'il aurait pu gagner l'or ou au moins l'argent, il n'a pas passé les demi-final et était dévasté. Mais il est revenu l'année d'après au championnat du monde et a remporté le titre contre toute attente, presque dix ans après son premier titre mondial. Il a continué à s'entraîner, il s'est marié avec Dustin, ils ont eu un petit garçon ensemble (vraiment je me lasse pas de regarder ses vidéos youtube). Et aujourd'hui, pour ses 4e JO, il vient de remporter la médaille d'or en plongeon synchronisé ! Je suis trop fière ! J'espère qu'il aura aussi une médaille en individuel plus tard, mais c'est déjà énorme ! Donc voilà, si vous voulez découvrir un super athlète/youtubeur je vous encourage à aller voir Tom Daley rien que pour son engagement pour la communauté LGBT+ particulièrement dans le sport !

Et maintenant j'arrête de vous embêter, place au chapitre ! (Y'a pas que Perri qui peut parler sport haha)

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Chapitre 15 : Le poignard des Dactyles

En toute objectivité, ils devaient l'air d'idiots absolus, cachés comme ça dans les buissons. Lou Ellen en avait bien conscience, mais c'était une idée de Connor et elle avait suivi le mouvement. Pourtant, ses jambes commençaient à protester de sa position accroupie alors qu'une ronce s'accrochait à sa manche.

- On a l'air ridicule, marmonna-t-elle entre ses dents.

- On est en mission d'observation, corrigea Connor, une paire de jumelles enfoncée sur le nez. Alors laisse-moi observer.

- Et qu'est-ce que tu vois ? Demanda Lacy, l'air sincèrement curieuse.

Connor tourna la tête vers elle, un rictus malicieux aux lèvres.

- Merci de poser les bonnes questions, miss Brown. Ce que je vois, c'est un garde seul qui surveille l'entrée. Il a une sorte de trousseau de clés à sa ceinture. Si on arrive à lui piquer, on pourra sûrement entrer dans l'usine.

- Et comment on lui pique ?

- Plusieurs moyens ! Premièrement, je suis spécialiste du vol, énuméra-t-il en comptant sur ses doigts. Je devrais pouvoir y arriver. Mais on peut aussi la jouer plus subtil. T'as déjà tenté l'enjôlement ?

- Oh... Euh, non pas vraiment. Mais tous les enfants d'Aphordite n'arrivent pas à...

- Je sais, je sais. Mais ça serait l'occasion de s'y essayer, non ?

Lou Ellen sut à la seconde que c'était une mauvaise idée. Du peu qu'elle avait observé Lacy, elle ne paraissait pas posséder de pouvoirs d'enjôlement, mais elle n'osa pas l'exprimer à voix haute de peur de la vexer et parce qu'elle voulait que Lacy commence à parler pour elle-même.

- Je ne sais pas, dit-elle justement, nerveuse. Je n'ai jamais vraiment réussi à forcer quelqu'un à faire quelque chose juste avec ma voix... Je ressens un peu les sentiments des autres et je perçois surtout les émotions amoureuses, mais c'est tout.

- C'est déjà énorme, assura Lou Ellen. Et on ne te force pas. Connor a juste des idées étranges !

- Eh, c'est faux. Je dis juste que le vigile sera aussi beaucoup moins méfiant s'il la voit elle plutôt que moi.

Cette fois, il n'avait pas tort. Toute personne saine d'esprit se méfierait de l'air d'enfant terrible de Connor mais ferait confiance les yeux fermés à celui angélique et sage de Lacy.

- Ca se tente, concéda-t-elle finalement. Lacy ? T'en penses quoi ?

Nerveusement, la concernée scruta le vigile qui faisait les cents pas devant l'imposante grille. Elle parut réfléchir intensément quelques secondes, puis hocha la tête avec gravité, menton levé.

- Je vais le faire, décida-t-elle. Ça ne doit pas être bien dur. Pas besoin d'être Piper ou Drew non plus juste pour récupérer des clés.

- C'est l'esprit ! L'encouragea Connor. On reste là au cas où si t'as besoin d'aide. Bonne chance, ma jeune apprentie !

Et juste comme ça, il lui donna une petite pression dans le dos pour la faire sortir des buissons. Déséquilibrée une seconde, Lacy piétina avant de s'avancer d'un pas raide vers l'entrée de l'usine. Lou Ellen se rapprocha de Connor. Il lui coula un regard de profil un bref instant avant de se concentrer à nouveau, même si elle sentait bien qu'il était tendu.

- T'es sûr de toi sur ce coup ? Interrogea-t-elle sans pouvoir endiguer son scepticisme. L'enjôlement, c'est un sacré pari...

- Je sais, admit-il en soupirant, les mains crispées autour de ses jumelles. Mais je me suis dit que ça lui donnerait un peu confiance en elle de voir qu'on la laissait faire seule, tu vois ?

- Pas bête... Enfin, faut encore qu'elle y arrive.

Ils observèrent Lacy aborder le vigile. Avec un sourire timide et un air ingénue, elle lui fit un sourire et commença à parler en agitant les mains en même temps. L'homme ne paraissait pas plus inquiet que ça face à une gamine de douze ans habillée d'un pull rose et Lou Ellen ne pouvait pas l'en blâmer. Mais il était peut-être là, l'atout de Lacy : se faire sous-estimer.

- J'aimerais entendre ce qu'elle lui raconte, marmonna-t-elle.

- Moi aussi... Les filles d'Aphrodite sont douées pour baratiner les gens normalement.

- Comme Drew ? Répliqua-t-elle sans pouvoir se retenir.

Connor déglutit, mal à l'aise et elle veilla à garder le regard droit devant elle, histoire de préserver un peu sa fierté. Elle n'oubliait pas pour autant sa révélation lors de leur virée en voiture au début de la quête. Il avait embrassé Drew dans les écuries aux dernières vacances de noël l'année dernière.

- C'était juste comme ça, se justifia-t-il au bout d'un moment. Elle ne m'avait pas baratiné.

- Oh donc tu voulais vraiment l'embrasser ?

- Je... je ne sais pas, peut-être. Enfin, non. (Perdu, il abaissa ses jumelles pour lui jeter un regard incertain). Euh, pourquoi j'ai l'impression que c'est une question piège ?

- Pas du tout, nia-t-elle d'une voix neutre. Je me demandais seulement si elle avait utilisé son enjôlement sur toi ou si tu l'avais embrassé de ton plein gré en ayant juste perdu la tête. Je veux dire, c'est Drew.

- Merci j'étais au courant que c'était Drew, railla-t-il avec évidence. Et elle ne m'aurait jamais enjôlé pour m'embrasser. Elle est peut-être caractérielle, mais je suis à peu près sûr que ça aurait été une agression sinon.

Lou Ellen lui accorda le point. Pourtant, ça n'aida pas à dissoudre le poids qui venait de lui tomber au creux du ventre et elle fit mine de rester concentrée sur Lacy, toujours en pleine discussion avec le vigile dans ce qui semblait être le récit d'une histoire abracadabrante.

- Donc tu l'as embrassé par choix ? Reprit-elle, visiblement incapable de se taire.

Le ton de sa voix dû malgré tout mettre la puce à l'oreille de Connor car il fronça les sourcils.

- Oui, en un sens... (Il hésita avant d'ajouter, presque prudemment). En fait, je ne sais pas trop ce que t'essayes de me faire dire.

- Je n'essayes rien du tout, je m'intéresse.

- Oh arrête, Lou, pas à moi, contra-t-il en pivotant vers elle. Tu fais « ta tête ».

Immédiatement, elle tenta de changer d'expression, mais dû seulement paraître idiote. Elle sentit ses joues chauffer et veilla à maintenir une façade à peu près correcte.

- Quelle tête ? Répliqua-t-elle sur la défensive. Je ne fais pas de tête.

- Si, c'est la tête de toutes les femmes contrariées. C'est celle que fait ma mère quand elle reçoit mon bulletin de notes, celles de Dylan quand Travis essayait de la semer dans Denver, celle d'Annabeth quand Percy fait l'imbécile.

- Tu veux dire tout le temps alors ?

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire en coin et il acquiesça, amusé.

- Probablement... dit-il. Mais pour en revenir au sujet initial, j'ai embrassé Drew parce que ça faisait presque deux mois que c'était fini entre Leah et moi, que Drew le voulait et que j'étais curieux, je pense. Je voulais voir ce que ça faisait d'embrasser une autre fille, voir si j'étais vraiment passer à autre chose...

Lou Ellen joua mécaniquement avec son collier et le triple croissant de lune s'enfonça dans sa paume. Elle sentait son cœur battre plus vite qu'il n'aurait dû, conscience que la conversation dérivait vers des eaux peu familières pour eux et elle ne savait pas quoi penser. De manière générale, Connor et elle n'avaient jamais vraiment parler de choses aussi personnelles sur le point amoureux. De toute façon, ce n'était pas comme si elle aurait eu beaucoup de choses à raconter. Elle avait embrassé seulement un garçon dans sa vie : ça avait été au bal du lycée en juin dernier. Il l'avait juste invité pour quelques danses et ils s'étaient embrassés sur les coups de minuit, grisés par l'ambiance de la soirée. Puis les vacances étaient arrivées et elle était repartie à la Colonie sans vraiment prendre la peine de garder contact. Et face à ce maigre constat, elle ne pouvait qu'avoir horriblement conscience que Connor, lui, était bien plus expérimenté. Il était sorti avec Leah pendant près d'un an, il avait passé une soirée à embrasser Drew, et elle se doutait bien qu'il y avait eu d'autres filles. Elle avait entendu les rumeurs à la Colonie et même avant quand elle était au Bungalow 11 : Connor plaisait aux filles et il le savait, même s'il avait davantage passé son adolescence à faire les quatre cents coups avec Travis qu'à draguer la gente féminine. C'étaient pourtant dans ces moments-là qu'elle avait horriblement conscience de leurs presque deux ans de différence.

- Et alors ? Articula-t-elle finalement avec difficulté alors que ses doigts relâchaient son collier. T'étais passé à autre chose ? C'était comment ?

La réponse mit quelques secondes à arriver. Embarrassé, Connor se passa une main sur la nuque et sembla hésiter.

- Oh, ça a été efficace oui... jugea-t-il. Je me suis rendu compte que j'avais bien aimé Leah, mais pas aimé dans ce sens-là non plus. Pas complètement... (Il eut soudain un sourire effronté). Mais Drew embrasse bien !

Elle mit une seconde à comprendre ce qu'il venait de dire, occultant la première partie de sa phrase, et sa réaction fusa avant qu'elle n'ait réussi à se contrôler.

- T'es sérieux ? S'indigna-t-elle en se tournant enfin vers lui.

- Quoi ? (Il cligna des yeux, surpris). Qu'est-ce que j'ai dit ?

- Oh par les dieux, parfois j'ai envie de te gifler.

- Mais...

Elle ne le laissa pas finir et se contenta de le pousser d'un coup dans l'épaule. Accroupi comme il l'était, il perdit l'équilibre et finit les fesses par terre, l'air perdu. Elle ravala la boule dans sa gorge. Ce n'était pas le moment de flancher, même si elle réalisait à cet instant que la gêne qui labourait son ventre et remontait dans sa poitrine à lui en serrer la cage thoracique ne pouvait être que ce qu'elle refusait de s'avouer depuis des mois : elle était amoureuse de Connor. Ou peut-être qu'amoureuse était encore en grand mot qu'elle ne saisissait pas, mais les sentiments étaient là à un certain niveau. Ils avaient même peut-être toujours été là sous d'autres formes, comme lorsqu'elle admirait Connor de loin plus jeune. Ce n'était pas difficile de mettre des mots sur ce qu'on ressentait quand toutes les preuves et les évidences se faisaient sentir physiquement. Elle avait toujours été lucide avec elle-même.

- Lou...

- Laisse-moi.

- On peut parler au moins... ?

Il se redressa et voulut tendre une main vers elle, mais son attention fut soudain happée par ce qu'elle avait devant elle.

- Pas maintenant, Lacy a besoin de nous, lança-t-elle en bondissant sur ses pieds.

Sans attendre qu'il réagisse, elle se mit en mouvement. A quelques mètres, le vigile avait empoigné Lacy par le bras et haussait visiblement le ton. Contrairement à Connor, elle était restée assez concentrée sur la scène pour ne pas louper le moment et elle accéléra le rythme pour venir à leur rencontre. Connor la rattrapa en quelques enjambées.

- Eh ! Apostropha-t-il. Lâchez-la !

- Elle est avec vous, la gamine ? Vociféra le vigile. Je lui ai dit de déguerpir ! Allez, foutez-moi le camp tous les trois ou j'appelle la sécurité !

- Lâchez-la d'abord !

- Non mais attends, petit, tu ne vas pas faire la loi avec moi ! (D'un geste autoritaire, il traîna Lacy vers eux et Lou Ellen la vit grimacer). Qu'est-ce que vous fichez ici d'abord ? C'est interdit de...

Il s'interrompit brusquement. Ses yeux se plissèrent sous sa casquette et firent la navette entre eux trois avant de s'écarquiller.

- Des demi-dieux !

D'un bond, il voulut s'emparer de son talkie-walkie. Connor leva son épée, mais Lou Ellen fut plus rapide. Instinctivement, elle projeta ses mains vers l'avant et sentit la Brume s'épaissir autour d'elle, invisible. C'était une capacité des enfants d'Hécate : percevoir la Brume physiquement là où elle demeurait cachée aux yeux des autres. D'un geste, elle la déplaça et l'enroula autour du vigile, la manipulant comme Chiron lui avait appris. Aussitôt, les prunelles du vigile se voilèrent.

- Qu'est-ce que... lâcha Lacy, étonnée.

- Chut !

Sans ménagement, elle tira la fille d'Aphrodite vers eux tandis que le vigile regardait autour de lui, perplexe. Il fixa là où ils étaient sans paraître les voir et finit par hausser les épaules, perplexe. Gauchement, il retourna vers sa cabine à côté de la grille.

- Comment... Tu l'as ensorcelé ? S'exclama Connor, bouche-bée.

- On n'est pas Harry Potter, idiot, riposte-t-elle avec gêne. J'ai juste... manipulé la Brume pour lui faire croire autre chose que la réalité.

Lacy leva ses grands yeux caramels vers elle, impressionnée.

- Waouh, fit-elle, mais c'est génial !

- Merci, répondit-elle en souriant doucement. Ça va, toi ?

- Oh oui... J'ai failli l'avoir. Je lui ai raconté une histoire pour qu'il me laisse entrer, comme quoi j'étais la fille du propriétaire de l'usine qui contrôle le terrain et que je voulais à tout prix rentrer. Il a douté un peu, mais j'ai fini par m'embrouiller. (Elle s'empourpra). Et je pense que le test n'est pas concluant : je suis nulle en enjôlement.

Elle baissa les yeux sur ses chaussures, comme si l'aveu lui pesait. Immédiatement, Connor passa un bras autour de ses épaules et prit un air nonchalant :

- Mais non, ma jeune padawan ! Tu as été parfaite, une vraie espionne. Je suis fier de toi !

A ses mots, Lacy releva la tête. Un large sourire s'étira sur son visage et Lou Ellen se sentit sourire en écho. Il était sans doute là le talent caché de Connor : remonter le moral en quelques secondes. Puis, brusquement, elle se rappela qu'elle était censée être en colère contre lui et elle se força à reprendre une expression plus neutre. La douleur était toujours présente entre son ventre et sa poitrine, impossible à effacer tout à fait.

- Bon, faut toujours entrer, rappela-t-elle. Comment est-ce qu'on...

- Ah, j'ai réussi à lui piquer ça ! Coupa Lacy dans un excès d'enthousiasme.

Et sans prévenir, elle leva son bras bien haut. Au bout de ses doigts se balançait le trousseau de clés du vigile.

- Miss Brown, t'es plus qu'incroyable et géniale, t'es incroyablement génialissime ! S'exclama Connor dans un grand éclat de rire avant de la soulever littéralement du sol pour la faire tournoyer.

Lacy rit à gorge déployée. Ravie, Lou Ellen s'empara des clés et les soupesa. Elles émirent un tintement métallique dans ses mains.

- Parfait, approuva-t-elle. Allons un peu voir ce qu'il y a là-dedans et qui sont les Dactyles !

**

*

Assez étrangement, personne ne les arrêta lorsqu'ils pénétrèrent dans l'usine. Peut-être que le fait d'avoir les clés et de ne pas déclencher d'alarme de sécurité joua en leur faveur, mais en tout cas ils atteignirent le hall sans encombre. L'usine était classique, ni plus ni moins qu'un bâtiment industriel du XXe siècle tout en fer et en taule. Des énormes cartons de livraisons attendaient dans un espace de dépôt et Lou Ellen distingua le logo de l'entreprise dessus, la fameuse montage surmontée d'un marteau.

- J'espère vraiment que Phobos ne nous a pas fait un mauvais coup... maugréa Connor en tournant sur lui-même pour embrasser la pièce du regard.

Au fond d'elle, Lou Ellen l'espérait aussi. Tomber dans un traquenard après tout ce qu'ils avaient enduré aujourd'hui serait la goutte de nectar de trop. Avec inquiétude, elle se demanda si tout allait bien du côté de Will et Nico. Elle n'avait pas besoin des pouvoirs de Lacy pour avoir senti la détresse du fils d'Hadès et elle frissonna en repensant malgré elle aux images du Tartare ou à l'air terrifié de Nico alors qu'il pensait se dissoudre dans les ombres. Avec un peu de chance, Will réussirait à le calmer. Il était doué pour ça après tout, il l'avait toujours été : Will était un guérisseur dans l'âme, ce qui faisait de lui un ami incroyable, toujours prêt à écouter et à aider. Elle ne comptait plus les fois où elle s'était reposée sur lui.

Perdue dans ses pensées, elle manqua de rentrer dans Connor au pied d'un grand escalier en béton et recula précipitamment. Il avait rabattu la capuche de son sweat sur sa tête, sûrement pour être plus discret, et elle se retint de lui faire remarquer que c'était un effort un peu vain quand on entrait illégalement quelque part avec une adolescente vêtue d'un pull rose. Il dut la sentir juste derrière lui car il se retourna à moitié et elle entrevit seulement son profil et ses cheveux châtains qui lui revenaient sur le front. Il ne commenta pas et se remit en marche, furtif. Avec la fin de la guerre et le départ de Travis, elle n'avait pu eu l'occasion de le revoir en action, mais il lui rappelait à cet instant pourquoi il avait été – et restait sans doute – la terreur de la Colonie en matière de blagues et mauvais coups. Elle n'avait tout simplement jamais vu quelqu'un se déplacer comme Connor et avoir conscience de l'espace comme lui. Il balaya le grand hall-hangar du regard et ses traits se crispèrent, concentrés. Elle savait qu'il venait de repérer les issus, les portes, les fenêtres, et les appuis en cas de combats avant même qu'elle n'ait songé à le faire. Hermès n'avait pas gagné le titre de Prince des voleurs en étant désorganisé.

- Qu'est-ce qu'on fait alors ? T'as un plan ? Interrogea-t-elle en se remettant à lui.

- Des idées... admit-il. Beaucoup d'idées, la plupart irréalisable, une bonne dizaine qui impliquerait tour à tour un ballon gonflable, un parapluie armé et Travis, et encore deux ou trois qui pourraient fonctionner avec de la chance et de l'audace mais on n'a rien de tout ça sous la main.

- Même pas la chance et l'audace ? Lança Lacy en souriant.

Connor eut un rictus que Lou Ellen avait appris à reconnaître comme préavis d'embrouille et il s'agita, animé d'une énergie nerveuse et familière qui l'habitait dans les moments comme ceux-là.

- On va vite le voir, répondit-il avant de pivoter sur ses talons et de se planter face à elles. Voilà le plan : on ne sait pas ce qu'on cherche, ni pourquoi on est là. Ça ne servirait à rien de foncer dans le tas. (Il désigna la volée de marches derrière lui). Je propose qu'on monte à l'étage en essayant de se faire remarquer le moins possible et qu'on se glisse dans un conduit de ventilation. C'est pratique pour se déplacer, observer, écouter ! On en apprendre sans doute plus.

Lou Ellen émit un bruit de gorge, à moitié convaincue. Dans l'idée, le plan était bon et logique, mais elle détestait le fait de ne pas savoir ce qu'ils faisaient là. A ce rythme, ils pouvaient bien rester planquer des jours dans leur conduit de ventilation. Elle allait faire part de ses doutes quand une voix s'éleva au-dessus d'eux :

- C'est une bonne stratégie, mais vous pourriez tout simplement vous adressez à nous.

D'un même mouvement, ils sursautèrent et levèrent la tête. En haut de l'escalier, un homme était penché par-dessus la balustrade, un fin sourire sur le visage. Immédiatement, Connor dégaina son épée, Lacy leva ses poignards et Lou Ellen fit apparaître une boule de cochon-magie entre ses mains. L'homme haussa un sourcil.

- Doucement, enjoignit-il en faisant le tour pour descendre vers eux. N'employons pas la violence si vite. Après tout, c'est vous qui vous êtes introduits ici et qui avez des comptes à nous rendre, non ?

Il descendait maintenant les escaliers et Lou Ellen put véritablement l'observer. D'apparence humaine, il était vêtu d'un habit étrange, entre blouse de travail et toge de prêtre. Une montagne et un marteau étaient brodés sur le devant de sa poitrine et il tenait un grand agenda entre ses mains. Quand il arriva enfin à leur hauteur, il ne parut pas se formaliser de leurs regards méfiants et leur adressa un hochement de tête ferme et avenant.

- Bienvenue chez les Dactyles idéens, annonça-t-il d'un ton professionnel. Je dois avouer que votre visite est un peu inattendue mais nous sommes ravis de vous accueillir.

Lou Ellen cligna des yeux. Ce qu'elle trouvait inattendu, c'était la tournure que prenait la situation.

- Vraiment ? Dit-elle, étonnée. Vous êtes ravis ?

- Ravis est peut-être un mot fort, concéda-t-il, l'air embêté. Après tout, notre vigile est habituellement compétent, mais votre intrusion prouve qu'il n'est pas infaillible.

- Oh, j'espère qu'il n'aura pas d'ennuis... s'inquiéta Lacy.

Elle jeta un coup d'œil dans son dos, mais ils ne pouvaient pas le vigile depuis l'intérieur.

- Les ressources humaines s'en chargeront, éluda l'homme après court silence. Mon nom est Danaméos, mais vous me connaissez peut-être sous le pseudo de DanaMagic sur Youtube ? Je tiens une chaîne de magie et d'astuces de bricolage.

- Ah...

- On a du louper l'info, s'excusa Lou Ellen qui ne voyait absolument pas ce dont il parlait. Hum... En fait, on cherchait les Dactyles...

- Vous les avez donc trouvés, ma chère. J'en suis moi-même un.

Il inclina la tête légèrement avec cérémonie. Connor le dévisagea.

- Excusez-moi de poser une question sûrement bête mais... Qu'est-ce que c'est les Dactyles exactement ?

- Comment ça « qu'est-ce que c'est » ? (Il les regarda tour à tour avec perplexité). Je croyais que vous nous cherchiez.

- C'est un peu la partie bizarre de l'histoire... On nous a dit de venir vous trouver parce qu'on a un problème, expliqua Lou Ellen. Ou plutôt un quête. Nous sommes à la recherche des torches de ma... de Hécate.

Pendant une seconde, elle fut persuadée que Danaméos allait lui rire au nez et la traiter de folle, mais il la surprit en faisant une expression sombre, l'air en colère.

- Le vol des torches est inacceptable, nous n'arrivions pas à y croire, s'insurgea-t-il. Faire ça à notre bienfaitrice !

- Votre bienfaitrice ? Répéta Connor.

- Bien sûr ! Dame Hécate est la bienfaitrice de tous les magiciens et de toutes les magiciennes. Elle guide ceux qui empruntent les chemins obscurs des arts sorciers, même si ce ne sont pas ses enfants. Peu de dieux ont cette considération. Hermès est peut-être le seul, lui qui veille sur les voyageurs et les écumeurs de possibles.

La formulation était belle, songea Lou Ellen en croisant le regard de Connor. Sans le savoir, Danaméos venait de mettre en évidence un nouveau lien entre eux et elle se détourna en priant pour ne pas rougir.

- Donc Hécate est votre divinité bienfaitrice ? Résuma-t-elle.

- Elle et Héphaïstos, oui, confirma Danaméos. Nous sommes un peu à la frontière de leurs deux arts : la magie et l'industrie. Nous construisons en mêlant le fer et les enchantements. C'est notre nature. (Il tapota le logo brodé sur sa poitrine avant de se mettre à raconter). Vous voyez cette montagne ? C'est le mont Ida en Crète. Notre maison, notre origine si on peut dire. Nous sommes semblables à nos frères Telchines car nous avons tous découverts le pouvoir créateur de la métallurgie et de la magie mais, contrairement à eux, nous sommes restés une petite entreprise familiale. Voyez-vous, on nous appelait « les Doigts du mont Ida » parce que vous avions nos forges dans cette montagne et que nous étions dix, comme les doigts des mains !

- Donc vous... forgez le métal ?

- C'est cela ! Nous travaillons le fer, le bronze, l'or impérial avec soin pour apporter une qualité supérieur à nos clients. (Il pointa l'épée que Connor avait toujours en main). Celle-là viens de chez nous, fils d'Hermès. Ton père l'avait commandé pour la Colonie des Sang-Mêlé en demandant d'y graver son emblème il y a environ sept ou huit ans pour ses enfants. La transformation en mousqueton était un de nos ajouts grâce à la magie, comme à peu près toutes les sortes de camouflages d'armes que nous produisons. Dionysos nous doit encore le retour de la facture signée !

Pris au dépourvu, Connor baissa les yeux sur son épée et sembla l'observer d'un air nouveau. Lou Ellen se doutait de ce qu'il pensait : il y a sept ou huit ans, c'était le moment ils étaient arrivés à la Colonie avec Travis. Hermès avait-il voulu offrir un cadeau à ses fils en faisant passer son geste pour un simple signe du hasard ? C'était bien son genre...

- Mais alors... intervint Lacy en jouant avec son bracelet. Vous pouvez nous aider ? Pour les torches de ma mère... je veux dire de Hécate ?

- Bonne question, demi-dieux. Je pense que oui. L'affaiblissement d'Hécate nous affaiblit directement et ce n'est jamais bon pour les affaires ! Avez-vous une idée de l'identité des voleurs ?

- Médée avec certitude, commença à énumérer Lou Ellen. Probablement Pasiphaée et Circée.

Danaméos ne parut pas surpris. Il se contenta de lever les yeux au ciel et de maudire dans sa barbe.

- Evidemment, grommela-t-il. Ces trois-là... Des magiciennes hors paires, vraiment, mais la magie ne vient pas toujours avec la sagesse. Elles en sont certainement l'exemple. (Il leur fit signe de le suivre et remonta l'escalier). Venez, demi-dieux ! Je pense avoir une idée pour vous ! Si tout se passe bien, je pourrais même atteindre 1 million de vue sur ma chaîne diffusée sur le mont Olympe grâce à ça.

Hésitante, Lou Ellen interrogea Connor et Lacy du regard. Ils haussèrent les épaules. « Et puis après tout, pourquoi pas », songea-t-elle. Advienne que pourra. Ce n'était pas comme s'ils avaient d'autres pistes. Déterminée, elle emboîta le pas à Danaméos.

**

*

La forge des Dactyles était énorme. Il n'y avait pas d'autres mots pour la décrire. Sur toute la surface du bâtiment s'étendait un atelier à la fois chaotique et organisé. Peu importe où Lou Ellen posait le regard, tout était en mouvement : un réseau de tapis roulants acheminaient des bouts de métaux et des armes à moitié construites entre des passerelles en fer qui formaient plusieurs niveaux. Au sol, des grandes cavités et des chaudrons fumants abritaient des flammes dansantes ou ce qui semblait être de l'or impérial en fusion tandis qu'un peu plus loin deux hommes maniaient une enclume avec force et précision. Tout en haut, sur la plus haute passerelle le plus loin possible du feu, plusieurs personnes étaient penchées au-dessus de vieux grimoire ou agitaient leurs mains au-dessus d'épées, de marteau, de massues et d'arc. Des étincelles magiques jaillissaient de leur main pour s'infiltrer dans le métal encore malléable. Toute la scène était baignée dans une lueur rougeoyante en bas et mauve en haut, sans parler de la fumée et de la Brume qui s'entrecroisaient. Même la chaleur paraissait tangible tant elle était forte.

- Par les dieux... admira Lacy. Ça c'est une forge !

- Merci, apprécia Danaméos avec superbe. Nous en sommes très fiers, je ne vous raconte pas la difficulté de la transporter du mont Ida à Rome sous le règne de Tibère. (Il commença à descendre le long d'un escalier en métal qui grinça sous eux, à peine audible par-dessus le fracas de l'enclume plus bas). Prochainement, on devrait se délocaliser à Chicago, ajouta-t-il, d'où les cartons dans le hall. On attend qu'Hermès vienne nous donner un coup de main !

- Faites gaffe, marmonna Connor, il peut vous faire attendre des années avant de se pointer. Ou ne pas se pointer du tout d'ailleurs...

Danaméos ne parut pas l'entendre, continuant sa route avec bonne humeur. Lou Ellen, elle, l'entendit. Son cœur se serra une seconde. Dernièrement, peut-être depuis que Hermès avait rendu visite à Travis, elle sentait bien la rancœur qui s'accentuait chez Connor. Elle savait qu'il n'était pourtant pas jaloux de son frère : Travis n'avait après tout rien demandé. Mais il avait une attente qui bouillonnait en lui d'enfin faire face à son père, de pouvoir lui dire ce qu'il avait sur le cœur et sans doute de retrouver l'égalité qu'il avait toujours connu avec son frère. Elle espérait qu'il aurait bientôt la chance d'avoir cette conversation si attendue. Elle-même restait encore ambiguë quant à sa rencontre avec sa mère, mais elle ne la regrettait pas. Ça avait au moins eu le mérite de lui faire comprendre qu'elle ne devait rien attendre de vraiment maternelle de la part de Hécate qui n'était de toute façon pas connue pour être la déesse la plus proche des mortels, même lorsqu'il s'agissait de ses enfants. Hermès, en revanche, l'était davantage. Elle supposait que ça rentrait dans sa sphère d'influence de dieu des messages et de la communication.

- Celmis ! Appela soudain Danaméos lorsqu'ils atteignirent le premier niveau de la forge. Viens donc, je voudrais te présenter nos visiteurs.

Le dénommé Celmis releva la tête de sa table de travail, son marteau encore à moitié levé, et avisa leur petit groupe. Il avait le crâne chauve et portait un bleu de travail plus classique que celui de Danaméos, définitivement le commercial de la bande. A pas mesurés, il arriva à leur hauteur.

- Bonjour, les salua-t-il. Bienvenue chez les Dactyles.

- Enchantée, répondit Lou Ellen. Désolée de débarquer à l'improviste.

- Ce sont des sang-mêlés, expliqua Danaméos. Ils sont en quête pour retrouver les torches de Dame Hécate. Apparemment, le coup aurait été monté par Médée, Circée et Pasiphaé.

- Rien d'étonnant...

- Oui, c'est ce que j'ai dit aussi. (Ils échangèrent un regard entendu). Mais enfin, je te les amène car ils ont été dirigés vers nous pour obtenir de l'aide. Bien évidemment, je pense que nous sommes les plus qualifiés pour les soutenir dans leur entreprise. Je pensais que tu pourrais peut-être reproduire ton fameux poignard, celui où tu avais inversé la polarité magique ?

Celmis parut pensif, l'air un peu patibulaire, mais il acquiesça malgré tout avec solennité.

- Ca pourrait fonctionner, oui. J'étais justement en train de travailler sur un bloc de fer qui serait très réceptif à ce genre de sortilège. (Il balaya leur groupe du regard, sourcils froncés). Mais ça va prendre un peu de temps, sans doute une bonne heure.

- Une heure ? C'est tout ? S'exclama Connor, surpris. Oh par les dieux, je m'attendais à rester coincer à Rome pendant trois semaines ! C'est parfait ! Il fait quoi au juste ce poignard ?

- Il annule la magie. Si un magicien ou une magicienne est touché par le poignard, celui-ci absorbe sa magie momentanément. Plus l'exposition au poignard est longue ou profonde – une entaille ou un coup plus violent – plus la retenue de magie est importante.

Immédiatement, Lou Ellen dressa l'oreille. Un poignard pareil contre trois magiciennes, ça n'avait pas de prix et elle n'était pas idiote : il représenterait un avantage certain. Connor et Lacy durent penser la même chose car ils hochèrent la tête, intéressés.

- Mais... Qu'est-ce que vous voulez en échange ? Demanda Lacy, méfiante.

Lou Ellen lui fut reconnaissante de poser la question. D'après son expérience, rien ne venait jamais gratuitement, elle le savait. Danaméos sourit comme un politicien.

- J'avais une idée en tête, admit-il. Voyez-vous, nous étudions la magie avec passion et précision depuis des siècles maintenant comme beaucoup d'autres. Médée et Circée par exemple. De grandes enchanteresses qui ont maîtrisé la magie car elles avaient une affinité avec, exactement comme nous. (Il désigna la forge de la main, englobant la dizaine de silhouettes qui s'agitait entre les passerelles). Mais la descendance d'Hécate est quelque peu... différente. La magie coule dans leurs veines.

A ces mots, il la regarda cette fois spécifiquement et Lou Ellen sentit une pointe de malaise se matérialiser au fond de son esprit. Elle laissa pourtant le Dactyle continuer.

- Nous essayons d'en comprendre le fonctionnement de la façon la plus scientifique possible et ça serait un grand honneur pour nous si vous nous autorisiez à... faire quelques tests. En tant que fille d'Hécate, vous nous seriez précieuse.

- Quel genre...

- Hors de question, interrompit Connor, soudain tendu. Elle n'est pas un rat de laboratoire !

Danaméos s'empressa de lever les mains, apaisant.

- Bien sûr, bien sûr ! Ca ne serait rien d'extrême, juste quelques démonstrations de magie et prises de sang, un scanner tout au plus...

- Non, vous ne...

- Connor, attends.

Elle le coupa, incertaine de ce qu'elle s'apprêtait à dire. S'il ne s'agissait que de prises de sang et d'une démonstration, ce n'était pas la mer à boire et elle pouvait faire un effort. Pourtant, l'idée de servir de cobaye la mettait mal à l'aise. Danaméos dut lire son expression car il s'adressa à elle, ignorant Connor qui s'était presque positionné devant elle comme s'il avait peur qu'une armée de scientifique ne débarque pour l'enlever.

- Je vous promets que tout sera fait dans le plus grand respect, assura-t-il. Aucune douleur, juste une aiguille pour la prise de sang et nous pourrons extraire votre magie pour l'analyser pendant votre démonstration.

A nouveau, elle hésita. Mais Danaméos avait l'air sincère.

- Si ce n'est que ça...

- Parfaitement !

- Alors d'accord, accepta-t-elle.

- Lou...

- Je vous propose de venir avec moi dans ce cas, invita Danaméos. Et comme preuve de ma bonne foi, cette jeune demoiselle peut rester avec Celmis pendant la création du poignard pendant que vous nous accompagner si vous le souhaitez ? Ajouta-t-il en direction de Connor.

Il croisa les bras sur son torse et lâcha un rire sans joie.

- Comme si j'allais la laisser y aller seule, rétorqua-t-il. Bon, allez-y, montrez-nous.

Sans leur laisser de temps de changer d'avis, Danaméos s'empressa de les guider vers les escaliers qui menaient en haut des passerelles pendant que Lacy et Celmis s'éloignaient vers la table de travail de ce dernier. Plus ils gravissaient les étages, moins la chaleur était forte et Lou Ellen fut capable de respirer plus librement. A chaque marche, elle tentait de contrôler son appréhension, mais ça s'avérait difficile. Elle s'attendait à tous moments à une attaque des Dactyles, mais leur façade bienveillante ne se craquela pas une fois. Danaméos faisait même la conversation, leur racontant comment il avait lancé sa chaîne Youtube et entretenait maintenant une relation privilégiée avec ses abonnés et sa communauté. Sa voix se réduisit à un bruit de fond et elle vit bien que Connor ne l'écoutait pas non plus. Ses yeux, alertes, ne cessaient de regarder de tous les côtés et elle se détendit légèrement. Elle n'était pas seule.

Arrivés au troisième niveau, Danaméos les fit emprunter une passerelle plus petit qui semblait n'avoir aucun sens puisqu'elle terminait en plein dans un mur. Pourtant, lorsqu'ils s'approchèrent, Lou Ellen distingua les contours d'une porte. Danaméos rentra un code dans un boîtier positionné sur le côté et le battant s'ouvrit dans un clic sonore. De l'autre côté, l'équivalant des forges se déployait sur un immense laboratoire de plein pied. Contrairement à la forge, baignée dans une lueur rouge ambiante, la pièce était entièrement blanche et éclairée aux néons. D'autres Dactyles travaillaient, penchés au-dessus de paillasses couvertes de tubes à essais et de notes griffonnées. Il y avait même des objets qui flottaient dans l'air, suspendus par magie pendant que des hommes en blouses blanches observaient le phénomène.

- Des flèches capables de voler seules seraient intéressantes pour la prochaine saison, disait l'un d'eux en repoussant ses lunettes.

- Certainement, certainement. Et nous pourrions... Oh Danaméos ! Que fais-tu ici ? Accompagné en plus !

A nouveau, Danaméos se chargea de faire les présentations. A la mention de sa filiation, les yeux des deux Dactyles se mirent à briller d'intérêt.

- Une fille d'Hécate ! Merveilleux !

- N'est-ce pas ? C'est pour cela que je vous l'amène. Elle a gracieusement accepté de passer quelques tests pour vos recherches et de faire une démonstration de sa magie.

- Vraiment ? Mais c'est fantastique ! Venez donc, mademoiselle. (Il l'entraîna vers un coin du laboratoire qui ressemblait à une sorte d'infirmerie). Je m'appelle Émon. Je vais procéder aux tests. Venez, asseyez-vous ici.

Émon se mit à s'activer. En quelques minutes, Lou Ellen se retrouva branchée à une machine qui enregistrait ses signaux vitaux avec plusieurs électrodes et elle dû enlever sa veste pour la prise de sang. L'aiguilla la piqua à peine. Elle était trop déboussolée pour vraiment y faire attention et elle croisa le regard de Connor, assis sur une chaise prêt d'elle. Il surveillait avec attention tous les gestes de Émon.

- Je reviens, je vais préparer le protocole pour les test de magie. N'hésitez pas à m'appeler s'il y a un problème, je laisse la machine continuer à enregistrer vos données.

- Oh... D'accord...

Et juste comme ça, Émon repartit en slalomant entre les paillasses du laboratoire, la laissant avec Connor. Pendant plusieurs secondes, aucun des deux ne parla. Nerveuse, elle croisa ses jambes puis les décroisa, sensible aux non-dits qui pesaient entre eux. Comme souvent, ce fut Connor qui se retrouva incapable de supporter le silence.

- Lou... On peut parler ?

Elle grimaça.

- Aucune conversation n'a jamais bien commencé avec cette phrase, commenta-t-elle en observant ses ongles comme s'ils étaient devenus aussi intéressants que l'Athéna Parthénos. Mais oui... Oui, je suppose qu'on peut parler.

- Je ne sais pas, c'est toi qui avait l'air... Enfin tout à l'heure tu as dit sur Drew...

- C'était juste une blague, Connor.

Elle tenta de mettre autant de conviction que possible dans sa voix, mais elle était trop crispée pour que ça fasse naturel. Connor ne s'y trompa pas.

- Je suis le spécialiste des blagues, cherche pas à raconter n'importe quoi, lui opposa-t-il. Si t'as quelque chose à me dire, dis-le franchement. Je déteste marcher sur des œufs.

- Je n'ai rien à dire pourtant. Pas plus que ce que t'as déjà compris.

Instinctivement, elle baissa les yeux, incapable de l'affronter. Son courage avait ses limites et elle sentait son cœur battre à tout rompre à cause de la nervosité qui lui tordait le ventre. L'aiguille dans son bras était peut-être la seule chose à laquelle elle pouvait s'accrocher comme point d'ancrage.

Pendant plusieurs secondes, Connor resta silencieux. Quand il reprit, ce fut d'une voix lente, presque hésitante.

- Tu veux dire que... La raison pour laquelle le baiser avec Drew t'agaçait c'était parce que...

- Parce que j'étais jalouse, oui. Ne fais pas semblant de ne pas le savoir, s'il te plaît. Pas après tout... Je veux dire on a passé l'été ensemble, je t'ai ramassé à la petite cuillère quand Travis est reparti et... (elle déglutit, la gorge nouée et étouffée par l'angoisse qui la rangeait). Enfin je veux dire, tu t'en doutais forcément !

- Quoi ? Non !

Elle le dévisagea. Au bout de quelques secondes, il se tortilla sur sa chaise, mal à l'aise et jeta ses mains vers le plafond.

- Oui, bon, d'accord, soupira-t-il. Je m'en doutais. Mais... je me doutais du crush quand on était plus jeunes, c'était marrant. Je ne pensais pas que... encore maintenant tu...

- Bah si « encore maintenant », coupa-t-elle sur la défensive. Tu t'en amusais bien à une époque. Tu faisais tout pour me faire rougir.

Aujourd'hui, ce fut lui qui rougit et il eut le mérite d'avoir l'air penaud. A nouveau, Lou Ellen déglutit pour essayer de faire passer cette foutue boule qui lui obstruait la gorge, sans succès.

- J'étais pas malin, reconnu-t-il. J'avais surtout aucun intérêt pour les filles à ce moment-là, tout ce que je voulais c'était rendre Chiron et Annabeth fous avec les meilleurs coups !

- Un grand succès...

- Ouais, sans doute...

Il se passa une main dans les cheveux et elle suivit le mouvement avec l'impression qu'elle ne pouvait elle-même plus bouger tant ses muscles étaient contractés.

- Je suis désolée, lâcha-t-elle. Tu ne voulais peut-être pas savoir, mais... je ne pouvais plus le garder pour moi et... (Avec horreur, elle sentit les larmes lui monter aux yeux). Par les dieux, Connor, je ne suis pas sûre de moi ni de mes sentiments en vrai parce que... comment on sait ? Mais je pense que... Enfin, je sais qu'avec toi c'est différent...

Lou Ellen était sûre qu'elle aurait pu servir de combustible pour la forge plus bas tant son visage devait ressembler à un soleil miniature. Ses joues étaient brûlantes et elle ne s'était jamais sentie aussi vulnérable, surtout parce qu'elle n'arrivait pas à lire l'expression de Connor. Elle était bien consciente que ses phrases n'étaient pas cohérentes, mais elle espérait qu'il comprenait. Elle n'avait pas la force de réexpliquer.

- Dis quelque chose, souffla-t-elle quand le silence s'étira.

- Je... je ne sais pas quoi dire, avoua-t-il. Je comprends ce que tu ressens parce que... évidemment que je l'ai ressenti aussi. Mais je ne sais pas si ça veut vraiment dire...

Visiblement, lui non plus n'arrivait pas à aligner une phrase grammaticalement correct, mais ce n'est pas ce qui l'interpellait. « Je l'ai ressenti aussi », venait-il de dire. Son cœur bondit, animé par l'espoir et elle se concentra sur sa respiration pour tenter de se maîtriser. Elle comprenait au fond d'elle les doutes de Connor. Comment les autres avaient su ? Comment Annabeth et Percy, comment Will et Nico, comment Jason et Piper avaient su qu'ils s'aimaient ? Que les sentiments qui les troublaient n'étaient pas dû à une simple ambiguïté ou à une amitié proche ? Et puis elle repensa à sa jalousie vis-à-vis de Drew. Elle n'avait jamais été jalouse des filles qui approchaient Cecil, ni Will, ni aucun de ses amis. Seulement Connor. Même à l'époque où il formait un tout avec Travis à tel point que les gens avaient du mal à les différencier, elle ne s'était jamais trompée. Pour elle, ça avait toujours été Connor. D'abord comme compagnon de bungalow : il avait incarné ce garçon plus âgé qui avait toujours le bon mot ou le sourire en coin à sortir au bon moment. Puis comme ami au fil des étés : il avait été ce partenaire de blagues et d'activités en tout genre, toujours un peu inaccessible parce que personne ne pouvait vraiment se glisser entre les jumeaux Alatir. Elle avait appris à vraiment à le connaître et à le voir pour ce qu'il était. Enfin, elle était devenue son amie proche ces six derniers mois alors que la menace de Gaïa s'accentuait et qu'il se retrouvait pour la première fois sans son frère. C'était sans doute là que tout avait basculé.

Submergée par ses émotions, elle essuya une larme qui venait de rouler sur sa joue et Connor écarquilla les yeux.

- Non, Lou, pleure pas, la supplia-t-il. Sérieusement, tout va bien !

- Désolée... Je me sens idiote, je crois, hoqueta-t-elle, désemparée. J'avais peur que tu... Di immortales, j'étais terrifiée de ce que tu allais dire...

Connor fronça les sourcils. Brusquement, un air déterminé tomba sur son visage et il rapprocha sa chaise pour être le plus près d'elle possible. Penché en avant, il attrapa sa main dans la sienne et elle sentit une sensation de chaleur lui remonter le long du bras.

- Ok, on va mettre un truc au clair, dit-il avec solennité. Premièrement, tu es courageuse à un point que tu n'imagines même pas. Ce que tu viens de faire ? Jamais je n'aurais pu... (Il se passa une main sur le visage avec celle de libre). Et je t'en supplie, n'aie jamais peur de venir ce que tu penses ou ce que tu ressens. Ce que Phobos t'as montré ? Ca n'arrivera jamais, d'accord ?

Il la regarda droit dans les yeux, comme pour ancrer ses paroles et la boule dans sa gorge fondit enfin. Faute de savoir toutefois quoi répondre, elle hocha simplement la tête.

- Alors... murmura-t-elle en s'humectant les lèvres, vidée de son énergie. Qu'est-ce qu'on fait ?

- Honnêtement ? Aucune idée... (Il soupira). Je sais que ce n'est peut-être pas la réponse que tu voulais, mais je pense que j'ai juste besoin d'un peu de temps pour... réfléchir à tout ça. Je ne te dis pas non ni oui, juste...

- Que t'as besoin de temps. Je comprends... je comprends...

C'était vrai, elle comprenait. Ça n'empêchait pas que ça faisait mal, mais c'était déjà moins horrible que l'alternative qu'elle s'était imaginée où il se contentait de la repousser. Elle n'était pas en train de le perdre. Phobos pouvait bien s'amuser à lui montrer ses peurs, Connor venait de lui prouver qu'il ne la repousserait jamais. Et alors que le silence les enveloppait à nouveau, ils ne se lâchèrent pas la main.

***************************************************

Et voilà ^^ On se retrouve la semaine prochaine pour le chapitre 16... qui est sûrement mon préféré parce qu'on va enfin retrouver Will et Nico mouahaha !

Bonne semaine ;)
Perripuce

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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par Perripuce »

I'M BACK

YEAH

Je sais je suis en retard mais ME VOILA

Et en même temps j'ai le Hobbit en fond parce que je suis dans une vibes Seigneur des anneaux en ce moment (incroyable de relire des livres que tu as lu il y a un million d'année. Tu sais, quand tu lis des phrases et que tu te revoies la lire pour la première fois avec tout l'environnement qui va avec. Ah, j'adore la lecture)

Chapitre 9
Ses doigts ne rencontrèrent qu'une masse informe sous les couvertures et il mit un moment à comprendre qu'il s'agissait de... Will. Il retira sa main comme s'il s'était brûlé, le souffle court.
Ok on commence donc avec un grand sourire niais, légèrement terni par le "il retira sa main" qui nous rappelle quand même que Nico n'est pas exactement comme les autres le pauvre chou.
Le fait qu'il rêve encore du Tartare et pire de Minos, que Minos le hante encore comme ça ça brise TELLEMENT le coeur ... C'est par tout ça qu'il est clairement devenu le personnage le plus fascinant de l'univers de Riordan.
Certains matins, il refusait net d'en parler et Will proposait une partie de Mario Kart à la place jusqu'au petit déjeuner. D'autres fois, il se contentait de lui tenir la main pendant que Nico mettait en mots les images terrifiantes qui l'avaient assailli toute la nuit. Etrangement, elles paraissaient toujours moins effrayantes racontées à la lueur du soleil avec Will à ses côtés.
Y'a un étrange couinement qui est sorti de ma gorge.
Non, mais sans déconner, leur histoire est belle parce qu'elle est ... je sais pas, tranquille. C'est pas passionnel, c'est tout doux, basé sur le soutien et les deux réactions de Will qui sont là pour ne pas brusquer Nico sont incroyable de douceur. Et la dernière phrase ... C'est juste que Will est son soleil <3
Comme tous les enfants d'Apollon, il avait tendance à se lever avec le soleil. Ce qui était très agaçant quand Nico voulait faire la grasse matinée.
Même si je trouve l'idée très drôle BEURK MAIS COMMENT IL FAIT L'ETE

"Admirer ses taches de rousseurs" hihihihihi
Travis aurait sûrement payé cher pour obtenir un cliché pareil.
MON BEBE
Oh mon dieu, désolée ! S'exclama Naomi Solace à voix basse. Je ne voulais pas te faire peur.
T'inquiète, tu pourrais un chat tout mignon qui joue avec une plume qu'il ferait un bond de dix mètres tellement c'est un garçon nerveux qui a peur d'être attaqué

OK je le commente mais je suis sûre à presque deux cents pourcents que c'est celui que j'avais commenté à voix haute quand tu étais chez moi, non?

J'aime l'idée qu'il porte du jaune, qui est une couleur trop sous-côté pour moi. C'est la couleur du soleil, de la gaieté - ça représente tellement Will ! Ce n'est pas anodin que Nico porte la couleur de Will.
Je n'ai plus de jus d'orange... déplora-t-elle. Du jus de grenade peut-être ? J'en achète à l'épicerie au coin de la rue et...

- Non, déclina-t-il d'une voix sourde.

Elle lui jeta un coup d'œil surpris et il se râcla la gorge, embarrassé.

- Je veux dire, non merci... Je n'aime pas trop la grenade.
Juste une petite overdose il y a quelques années, rien de grave

Oui, je crois que je l'avais commenté parce que j'avais dit que j'adoré Naomi : elle est douce, attentionnée et en même temps complètement à l'ouest et négligente (après elle s'attendait pas à être en charge d'une bande d'ado). Du coup ce n'est pas la mère parfaite mais elle est juste adorable.
Tu demandes l'impossible à une mère, Nico, dit-elle. La tienne te dirait sûrement la même chose
Je viens d'avoir tellement un coup au coeur.
Par contre moi à la place de Nico je flipperais tellement de voir que mon copain raconte les moindres détails de ma vie à sa mère alors qu'ils ne sont jamais rencontrés.

"Pas de Haiku" mais une mémoire beaucoup trop précise et faite pour m'embêter. Non mais tout ces flash qu'il a de leur relation, c'est juste absolument adorable, mais c'est une relation faite pour nous faire fondre.
ça avait fait jaser. Indifférente, sa mère marchait pourtant toujours la tête haute, le coin de la bouche relevé comme si elle riait intérieurement. Après tout, elle avait été choisie par le dieu des Enfers en personne. En comparaison, il imaginait que les rumeurs n'étaient pas grand-chose.
N'empêche, Maria di Angelo ça devait être une femme d'exception. Genre c'est vraiment comme ça que je la vois, comment Hadès hurle quand elle meurt ... Bon sang, si seulement Nico pouvait lui parler, juste une fois ...

Non mais leurs joutes verbales sont des pépites, à chaque réplique je fonds et je souris comme une idiote Anna', c'est pas possible. Je te jure, cette fanfic c'est un nuage de douceur. Le Solangelo tout particulièrement.

Well la suite j'ai déjà donné mon avis par deux fois, donc je vais le donner une troisième fois très vite ! AAAAARGH mais ils sont juste trop mignon : l'hésitation de Nico, tiraillé entre ses anciennes peurs et son envie de répondre à ses désirs, la douceur et la compréhension de Will TOUT EST MAGNIFIQUE ! Je les aime trop et tu les écris si bien, c'est un véritable bonheur de les lire sous ta plume <3

Chapitre 10

That's all Bilbo Baggins HATES
J'adore ce moment dans le Hobbit.

BREF je reprends

OH LE PDV CONNOR MON BEBE YEAH
Bonjour à toi aussi, la Belle au bois dormant, se moqua une voix chantante sur sa gauche
J'adore ce retournement de rôle ahah. Tu ne voulais pas le réveiller d'un baiser, Lou? Avoue que tu étais en train de le mater dans son sommeil - si sexy la bouche grande ouverte comme nous le révélait Nico ...
Parce que Will et Nico sont en train de se bécoter dans la cuisine et que je n'ai pas envie de voir ça, répondit-elle avec un sourire mi-amusé mi-grimaçant.

- Quoi ? Tu me fais marcher !
Tout de suite tu es plus réveillé mon petit Connor ... ça m'étonne qu'il n'ait pas courru aller vérifier ça de lui-même.

"Vous pouvez être intrusif" Connor? C'est l'hôpital qui se moque de la charité?
MAIS JE MEURS le coup des jumelles mais c'est pire que de l'intrusion là :lol: :lol: :lol: C'est quoi ces petites fouines :lol: :lol:
J'accorde que le plafond est génial, concéda-t-il. Mais c'est une horreur pour s'y repérer ! Le bungalow est littéralement plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur, on s'y perd en deux pas !

- T'es juste jaloux qu'on ait notre propre TARDIS
comment parler de ses deux fandom préférés en deux phrases, par Marion, alias Annabethfan.
Je ne prends aucun conseil déco de la part de quelqu'un qui a un poster des One Direction au-dessus de son lit.
BAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH *jugement*

Non mais en vrai toute cette discussion résume à elle-seule pourquoi c'est trop bien d'écrire sur les PJ, parler de toute la pop et geek culture, c'est incroyable, un super vent de fraicheur.
Un jour, dans des dizaines d'années, d'autres demi-dieux pourraient retrouver ses créations dans l'armurerie. Elle laisserait une trace derrière elle. Lui-même ? C'était l'inverse. Connor se complaisait dans l'instabilité et dans le mouvement : dès que quelque chose durait un peu trop longtemps, il s'ennuyait et avait besoin de nouveaux horizons.
Tu m'avais déjà envoyé ce paragraphe mais je tiens à répéter que je trouve l'opposition brillante. Et la petite mention à Travis, au fait que lui avait mûri et que Connor déteste ça, ça brise le coeur autant que ça apporte une autre opposition qui est tout aussi intéressante pour Connor
Lou Ellen fut prise d'un fou rire et ils s'écoulèrent littéralement l'un contre l'autre en avisant le sweat jaune qui engloutissait le corps de Nico.
Je pouffe. C'est trop drôle
Dans un coin de sa tête, il supposa que Travis et lui représentaient Hermès dans toute sa complexité. Ils en représentaient ces différentes facettes, ce qui les rapprochait et les éloignait. L'ingéniosité, la malice et la ruse, ils l'avaient tous les deux. Mais leur père était aussi à la fois le guide des voyageurs et le maître du foyer, le gardien des orateurs et le protecteur des inventeurs. Travis incarnait le premier versant : il revenait vers ses racines là où le feu de la maison brûlait toujours comme si Hestia elle-même se refusait à voir leur famille éclater et il avait ce don avec les mots qui ferait de lui un brillant étudiant en droit et un avocat encore plus redoutable. Connor, lui, savait qu'il était le pendant de son frère : il aimait inventer des choses et voulait découvrir les possibles au-delà de Denver, même si l'idée de quitter la Colonie lui faisait encore peur.
Et c'est là que je me dis que s'ils avaient été à Poudlard, Travis aurait été à Poufsouffle et Connor à Gryffondor.
Blague à part, j'avais déjà lu ce paragraphe aussi mais encore une fois il est incroyable et il montre la complémentarité des jumeaux qui sont à la fois un tout (Hermès, leur père) tout en ayant leur propre nuance et je suis franchement fière qu'on ait réussi à faire ressortir ça Anna'.
Connor se demanda si elle l'avait déjà menacé d'une casserole, lui.
Holly *entend un bruit dehors. Prend la première chose qu'elle trouve dans sa tente - une casserole - et sort précipitamment de la tente en hurlant. Se retrouve nez à nez avec Hermès*
C'est incroyable comme il ressemble à sa mère, aussi, par cette envie de voyage. Travis et Connor sont à la fois une synthèse de leur père, mais aussi de leur mère, c'est incroyable.
Elle s'était retrouvée clouée au sol. Et Connor savait bien que ça n'avait eu aucune incidence sur son amour pour eux. Leur mère les avait aimés à la seconde où elle les avait tenus contre son sein, elle le lui avait dit un soir dans un rare moment de vulnérabilité alors qu'il s'était fait raccompagner par la police à une heure du matin pour un vol stupide à la fermeture d'un cinéma. Epuisée, elle lui avait dit qu'elle l'aimait depuis qu'elle l'avait tenu dans ses bras, même si elle criait beaucoup. Et Connor s'était mis à pleurer.
Tout ce paragraphe je suis subjuguée. J'ai à la fois de peine et de l'admiration pour Holly, cette anecdote sur le commissariat et Connor qui pleure devant l'amour de sa mère, c'est une très belle image. Et un très beau lien entre eux.

Franchement, tout ce paragraphe d'analyse sur Connor, son frère, sa mère est absolument juste et magnifique. Je retrouve les éléments qu'on a brainstormé écrits d'une plume très belle et touchante.
Je ne suis pas vieux, respecte tes aînés ! Rétorqua-t-il.

- Pardon, ô vénérable ancêtre.
Franchement ces dialogues m'éclatent :lol: :lol:
Vous vous en sortez ? S'assura-t-il. Il y a eu beaucoup de blessés ou d'incidents ? Et il reste des bandages ? Vous avez bien reçu la commande de désinfectant que j'avais passé avant de partir... ?
Chéri? Il y a plus urgent. Lâche un peu et fais confiance.
Bon, on n'est pas Annabeth, mais on sait encore ouvrir un livre.
Et pitié, ne me dites pas qu'Annabeth est la seule personne intelligente dans votre colonie?
Les couleurs de l'arc en ciel rendaient le tout multicolore, comme si une licorne avait vomi sur ses cours
Je suis en train de mourir de rire devant l'image

C'est trop mignon comment ils impliquent Lacy, comment ils essaient de lui faire avoir confiance en elle en lui donnait la parole. Ils sont vraiment des anges avec elle.
Et c'est pour ça que tu es plus qu'un joli visage, miss Brown ! S'exclama Connor avec enthousiasme. Quelle mémoire !

- Elle ne séchait peut-être pas juste les cours, elle, pointa Will en souriant.

- Aucun rapport.
Voilà le genre de dialogue à la fois trop mignon et trop drôle. T'es une spécialiste de ça, c'est chou.
Selon la mythologie grecque, la Colchide est le royaume d'Éétès, de Circé et de Médée et la destination des Argonautes, ou encore le pays des Amazones
C'est tiré de Wikipédia?
Dans la suite, je sens les restes de l'analyse littéraire .... N'empêche, Médée est une figure fascinante et merveilleuse de la mythologie.
Magnifique, deux des magiciennes les plus puissantes ! C'est qui la troisième ? Hermione Granger ?
POUAHAHAH
Nico, tellement le roi de "je fais ce que je veux". Le glissement entre les lignes. Il a grave un côté retors de Serpentard ce garçon.
Pourquoi je ne suis pas surprise que Connor veuille le suivre sur les chemin de l'illégalité?

GO TO LA COLCHIIIIIIIIDE trop hâte de faire du tourisme sous ta plume.
Perripuce

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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par Perripuce »

Bon je voulais faire le prochain par vocal, mais en fait j'en ai lu la moitié donc je vais continuer comme ça !

C'est parti !

Chapitre 11

Du coup j'ai commenté la première conversation avec Will et Lacy, qui est juste touchante. J'aime ton appronfondissement de Will et sa peur de ne pas être à la hauteur de ses frères, de voir comment ses frères font partis de lui, sont ses fantômes et à la fois représente le poids de la société parce que eux sont les héros qu'il n'est pas.
Bref, c'est une discussion importante à avoir pour Lucy mais aussi pour tous les adolescents. Dédramatiser ce qu'ils sont et abattre les codes.

Comment Nico les embète pour le plan :lol: :lol: C'est ce genre de détail que j'avais complètement oublié mais oui ça tombe sous le sens que Nico ne peut ni voler ni naviguer - en tout cas pas trop sans Percy.
Mais remarque. Jason a navigué dans HDO. Rick, explique nous !
Mais… ce n’est pas dangereux ? S’étrangla Lacy. J’ai entendu d’autres pensionnaires raconter des histoires sur le Labyrinthe…
Et la moitié d'entre elles concernaient Nico, oui oui parfaitement
Avec la mort de Dédale, le Labyrinthe s’était en quelque sorte détruit, mais Pasiphaé l’a… ranimé, on pourrait dire, grâce à sa magie. Depuis ça, il est un peu plus sûr.
ça franchement, Rick a clairement fait à sa sauce "ALLEZ faisons du drama et un truc pratique pour le T4 avec un labyrinthe lié à Dédale, comme ça ça règle la question pour la bataille ... Ouais mais il est quand même vachement pratique ce labyrinthe, hum ...."
On mise tout sur nos talents incroyables et notre ADN.

- Je ne te suis pas…

- Fille d’Hécate, instinct développé pour prendre des décisions et savoir reconnaître les bons chemins aux carrefours, commença-t-il à énumérer en pointant Lou Ellen avant de se désigner lui-même. Fils d’Hermès, dieu des voyages, et donc normalement un bon sens de l’orientation. Et enfin, ajouta-t-il en montrant Nico, fils d’Hadès à l’aise dans les souterrains et accessoirement explorateur officieux du Labyrinthe depuis ses onze ans.
J'avoue ils sont tellement bien tombés. Je me suis toujours dit que les fils d'Hermès devaient être les rares à pouvoir s'en sortir dans le labyrinthe (coucou Luke)
Tu déambulais dans les couloirs du Labyrinthe pour renforcer tes airs ténébreux je suis sûr. Ça faisait craquer les filles. Et Will probablement.
Et nous. Complètement nous.
Visiblement, le charme du road trip s’était évaporé assez rapidement après les kilomètres avalés depuis deux jours et les séances de karaoké.
https://media.giphy.com/media/ATxVdsdpJ609i/giphy.gif
Il ne s’est pas excusé de m’avoir mis par terre en tout cas, grommela Connor.

- C’était une décision parfaitement consciente, tu sais, l’informa Nico avec un demi-rictus.
Messieurs, il faut arrêter d'être à la fois si mignon et si drôles, Perrine ne va pas tenir à ce rythme.
Médée, Circé, Pasiphaé, énuméra Nico d’un ton sombre. Ça ne va pas être simple…
Yeah ... pour chacune d'entre elles, il a fallu que vous soyez beaucoup pour les vaincre soo les trois à la fois ce n'est pas véritablement ce que j'appellerais une bonne nouvelle.
C’est comme si la magie venait de moi et que je l’extériorisais, mais que la Brume était tout autour de nous et que je devais l’attirer vers moi pour la manipuler.
J'aime beaucoup comment tu vois la magie presque comme une matière. J'avais commencé une histoire comme ça il y a un millon d'année où la magie était une matière et les magiciennes étaient des "tisseuses".
M’man ! On doit y aller !
Tu vas lui dire à ta mère que tu pas en EUROPE ?!

Non mais je fonds devant Noami Solace qui est juste un sucre. UN SUCRE comme Will. Comment elle prend à coeur les intérêts de son fils, comment elle prend Nico sous son aile alors que clairement de prime abord ce n'est pas le gendre idéal ... Elle est juste adorable, coup de coeur pour elle.

VRAIMENT ADORABLE

Mais i'm waiting fo la Colchide
annabethfan

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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par annabethfan »

Salut ! Je poste ce soir car demain je pars en vacances et je serai donc en voiture toute la journée. J'espère vraiment que ce chapitre vous plaira parce que ça a sûrement été mon préféré à écrire, vraiment il me tient à coeur !

Sinon, petite interlude du jour : la médaille d'or en escrime !!! Rahhh trop contente ! Pareil pour celle de judo hier. Vraiment les médailles par équipe elles font plaisir !

Allez bonne lecture ^^

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Chapitre 16 : Le temps des aveux


- Nico ! Nico, attends ! Par les dieux, ralentis !

Slalomant entre les passants, Will manqua de rentrer dans une vieille dame et fit un écart au dernier moment pour l'éviter, elle, son chariot de courses, et son air indigné.

- Pardon, madame... balbutia-t-il avant de se rappeler brusquement qu'il était à Rome. Je veux dire... euh... pardonne me, tenta-t-il dans un italien approximatif.

- « Mi scusi », corrigea Nico par-dessus son épaule avec consternation. Sérieusement, l'italien est pas censé être la langue de l'art ?

- Les enfants d'Apollon ne parlent pas italien, l'art est universel.

- L'amour aussi, non ? rétorqua-t-il. Ca n'empêche pas les enfants d'Aphrodite de parler le français parce que ça serait le langage de l'amour.

Nico n'attendit même pas de réponse. Il se remit à marcher à grandes enjambées et Will jura en se lançant à sa poursuite. Pour quelqu'un qui faisait dix centièmes de moins que lui, il était rapide et difficile à suivre. Il supposait que Nico avait juste l'habitude de fuir.

- Nico, tu vas aller jusqu'au bout de Rome comme ça ou quoi ? héla-t-il. Arrête-toi deux secondes ! On doit trouver un hôtel et un repas pour ce soir !

- Non, refusa-t-il en faisant volte-face si vite que Will manqua de lui rentrer dedans. J'ai juste besoin de marcher. Parce que sinon, je vais dire quelque chose que je regrette !

- Quoi ? Tout ça parce qu'on n'a pas voulu que tu participes à la mission pour trouver les Dactyles ? C'était du bon sens, Nico ! (Apaisant, il tenta de lui prendre la main, mais il se dégagea. Will tenta d'ignorer le pincement de son cœur). S'il te plaît... Tu as juste besoin de te reposer. Tu n'es pas invincible, le combat contre Phobos et Deimos a été...

- Je vais bien ! coupa Nico avec force. Tu peux le comprendre, ça ? Ou comme d'habitude tu penses avoir besoin de me réparer ?

Immédiatement, Will sentit son corps se raidir. Le coup étais bas. Il savait qu'il pouvait avoir tendance à être surprotecteur, c'était une sorte de déformation professionnelle, mais Nico l'accusait simplement d'être injuste envers lui et de ne le voir que comme quelque chose de brisé. Inspirant profondément, il encaissa le coup et se calma avant de répondre :

- Il n'y a rien à réparer, Nico, je n'ai jamais dit ça. S'il te plait... Est-ce qu'on peut trouver à manger pour ce soir et un lieu où dormir ? On parlera ensuite, promis.

- Pas la peine, cingla-t-il d'un air revêche. On n'a pas besoin de parler. (Il commença déjà à se détourner). Viens, on va trouver un supermarché. Ton italien est une catastrophe, je m'en occupe.

Will n'insista pas. Le milieu d'une avenue passante n'était pas un endroit convenable pour ce genre de conversation et il savait qu'il n'obtiendrait rien de Nico dans cet état. Sans un mot, il lui emboîta le pas et veilla à rester à sa hauteur pour ne pas le perdre dans la foule de Rome. La capitale italienne était encore en plein mouvement à cette heure-ci : des familles circulaient dans les rues, des hordes de touristes se pressaient en terrasse des restaurants et des travaillaient pressaient le pas pour rentrer chez eux. Au milieu de toute cette agitation, Will peinait à saisir tous les bruits qui lui parvenaient mais ils distinguaient au moins trois ou quatre langues, des bruits de circulation et des Italiens qui se disputaient devant un match de foot retransmis en plein air. En bon américain qu'il était, il avait du mal à en comprendre vraiment les règles. Il aurait aimé s'arrêter quelques minutes et jouer au touriste, mais Nico marchait toujours comme si une horde de titans en colère le poursuivait. A moins que ça ne soit lui qui poursuive une horde de titans en colère pour se défouler. Dans tous les cas, il diffusait autour de lui une sorte d'aura menaçante et glaçante, à tel point que les gens s'écartaient sur son passage.

Heureusement, au bout d'une dizaine de minutes, Nico arrêta sa course folle dans Rome et s'engouffra dans un supermarché de ville. Contrairement à Will, il n'avait pas besoin de regarder les images sur les sandwichs pour en comprendre les étiquettes et il en attrapa une dizaine sans même hésiter avant de les lui donner sans un regard pour qu'il les mette dans son sac à dos.

- Lacy est végétarienne, rappela-t-il par acquis de conscience.

- Je sais.

Pas un mot de plus. Will grimaça et ne chercha même pas à tenter d'arrêter Nico. Il le laissa prendre les boissons, plusieurs paquets de chips et même des paquets de bonbons sans protester. Le médecin en lui s'horrifiait devant un repas si peu équilibré, mais il supposait qu'il avait déjà de la chance que Nico ne soit pas allé dévaliser un McDonald.

Arrivé en caisse, il se mit à chercher l'argent que Chiron lui avait donné spécialement pour la quête. Alors qu'il débattait avec lui-même pour savoir si les Italiens acceptaient les dollars, Nico tendit le bras devant lui et donna une carte bleue à la caissière. Il loucha dessus. Noire et dorée, la carte avait le symbole d'un chien tricéphale gravée au dos.

- Nico...

- Cadeau de mon père, expliqua-t-il laconiquement.

- Mais...

- Quoi ? Tu veux perdre du temps à aller trouver un bureau de change ? Ils ne prendront que les euros ici.

Dans un souffle, Nico marmonna quelque chose qui ressemblait de façon suspicieuse à « les Américains » sur un ton désobligeant et Will le fusilla du regard pendant que la caissière souriait d'un air entendu. Avec dignité, il récupéra leurs achats et sortit du magasin, tête haute. Le passage dans le magasin ne leur avait même pas pris dix minutes.

Sans attendre, ils reprirent leur déambulation à la recherche d'un hôtel. Tout en marchant, Will espéra que les autres allaient bien. Il n'aimait pas l'idée de les avoir laissés seuls, surtout avec Lacy qui ne maîtrisait pas l'art du combat, mais il savait qu'ils étaient capables de se débrouiller. Techniquement du moins. De toute façon, il ne pouvait rien faire pour eux pour l'instant. Son rôle était de s'occuper de Nico et de s'assurer qu'il ne transforme pas un touriste en os à ronger pour Cerbère. Heureusement, avant qu'une telle chose puisse se produire, ils repérèrent un hôtel. Will n'avait pas besoin de parler italien pour le repérer, sa devanture était assez claire. Sans même avoir regardé les prix ou lui avoir demandé son avis, Nico traversa la rue vers l'entrée et il dut courir après lui pour le rattraper. Il songea une seconde à le retenir avant de franchir les portes, juste pour qu'ils évaluent leurs options, mais il avait mal au pied après avoir marché des heures dans le Labyrinthe et dans Rome. Cet hôtel ferait l'affaire.

Au comptoir, une femme au rouge à lèvres éclatant les accueillit avec un sourire avenant.

- Bonjour, dit-elle dans un anglais presque parfait. Que puis-faire pour vous ?

Will n'eut pas le temps de lui demander si elle avait des chambres de disponibles. Nico se lança dans une conversation en italien avec elle et il était persuadé qu'il faisait exprès de parler vite juste pour l'ennuyer. Perdu, il se contenta de patienter sur le côté en pianotant sur le comptoir. A un moment, il réussit à comprendre quelques mots, comme réservation et un chiffre qui devait être le prix avant que Nico ne ressorte sa carte bleue des Enfers. Visiblement, l'hôtesse d'accueil n'avait pas demandé leur âge.

- C'est bon ?

- Oui. On a deux chambres attenantes pour une nuit. J'en avais demandé trois, mais on n'aurait pas été au même étage et je pense qu'on a assez été séparés comme ça, non ?

Le mordant dans le ton de Nico ne lui échappa pas. Sans rien rétorquer, il se contenta d'hocher la tête, puis ils se dirigèrent vers les ascenseurs dans un silence pesant. A l'intérieur de la cabine, une musique d'ambiance qui ressemblait à un air d'opéra rendait la situation encore plus improbable et Will ne put s'empêcher de penser à l'ascenseur de l'Olympe. Il ne l'avait jamais emprunté, mais Percy lui avait un jour raconté les musiques horribles qui y passaient. Est-ce qu'Apollon était responsable des musiques d'ascenseur dans le monde ? S'il le rencontrait un jour, il veillerait à lui demander.

Dès qu'ils sortirent dans le couloir, Will songea à Shining. L'hôtel n'avait pourtant pas grand-chose à voir avec celui du film, mais la moquette et le style extravagant, très européen selon son point de vue, donnait un air cinématographique à l'ensemble. Leur chambre portait le numéro 13 et celle d'à côté le numéro 14.

- Tu l'as fait exprès ? demanda-t-il, amusé. Numéro 13 comme ta cabine ?

- Peut-être bien...

Le coin de la bouche de Nico se releva en un rictus pendant une courte seconde, puis il inséra la clé magnétique dans la serrure. Will entra derrière lui. La chambre était classique : deux lits simples, un bureau, et un style épuré malgré des rideaux cramoisis et un papier peint couleur pêche vieillissant.

- La chambre d'à côté a un lit d'appoint supplémentaire, précisa Nico sans se retourner. Tu devrais envoyer l'adresse aux autres.

Et, sans cérémonie, il se laissa tomber sur le lit près de la fenêtre. Will déposa plus précautionneusement son sac à dos sur le sien et sortit son téléphone portable à clip. Retenant son souffle, il l'alluma le temps de taper l'adresse et de l'envoyer à Lou Ellen avant de l'éteindre en moins d'une minute. Sur ses gardes, il alla malgré tout vérifier qu'aucun monstre ne s'était matérialisé dans la rue en bas, mais rien ne sortait de l'ordinaire. Pour l'instant du moins...

Non, pour l'instant Will avait autre chose à gérer. Carrant les épaules, il se retourna, prêt à enfin confronter Nico.

- Eh, je me disais qu'on pourrait peut-être...

Mais Nico n'était plus sur son lit. Il n'eut le temps que de voir sa silhouette disparaitre dans la salle de bain avant que la porte ne se referme sur lui et Will resta planté sur place, pris au dépourvu. Il ne put s'empêcher de ressentir comme un coup à l'estomac. Il n'était pas étranger aux sautes d'humeur de Nico, ni à tendance à broyer du noir parfois, mais il n'avait plus l'habitude qu'il se retranche complètement en lui-même. Depuis quelques semaines, il avait eu l'impression qu'ils avaient fait des progrès sur ce point, mais il supposait que tout ne pouvait pas continuer à s'améliorer sans qu'il y ait quelques rechutes sur le chemin.

Défait, il s'allongea sur son lit et roula sur son côté droit. Son corps se détendit immédiatement. Il n'avait pas eu conscience de la tension dans ses épaules avant de pouvoir enfin se reposer. Le Labyrinthe l'avait éprouvé plus qu'il n'avait bien voulu l'admettre, sûrement comme les autres. Pour la première fois, il avait compris pourquoi le réseau souterrains de Dédale avait aussi craint. Il procurait un sentiment de perdition et de solitude insupportable. Si Will y avait déambulé sans ses amis, il n'était pas sûr qu'il en serait ressorti. Pour la énième fois depuis que Lou Ellen avait fait littéralement émerger l'entrée du Labyrinthe depuis les profondeurs de la terre, il songea à Nico âgé d'à peine onze ans qui errait dans ses couloirs, des spectres et des fantômes marchant dans son sillage. Son esprit avait toujours réussi à conjurer des images vivaces, legs des dons artistiques et prophétique de son père, et c'était dans ce genre de moment qu'il aurait aimé ne pas en hériter. Alors qu'il fermait les yeux, il vit Nico, plus jeune qu'aujourd'hui. Son corps était mince – trop mince – et englouti dans une veste d'aviateur. Il avançait d'un air déterminé, son visage vide d'expression tandis que son épée en fer stygien traînait presque sur le sol, laissant un sillon noir dans la terre. Une aura brumeuse, sombre et évanescente, émanait de lui. Le pire était sans doute ses yeux. Creusés, hantés... Ils brûlaient d'une colère qui fit monter la nausée au creux de son ventre.

Pris dans sa vision, Will sursauta en entendant la porte de la salle de bain s'ouvrir et il se redressa brusquement. Nico s'avança dans la pièce. Il s'était changé et portait un jogging foncé avec un simple t-shirt noir. Ses cheveux, encore humide, lui retombaient sur le front. Il avait l'air en meilleure santé que le petit garçon de sa vision : ses épaules étaient plus larges, son teint moins pâle. Mais la colère demeurait. Et cette colère lui était insupportable parce qu'il savait qu'elle était en partie dirigée contre lui. Hésitant, il s'assit au bord de son lit et fit un geste apaisant.

- Nico...

- On n'est pas obligés de parler, le coupa-t-il, sec. Les autres ne vont pas tarder à nous rejoindre, on pourra élaborer un plan à partir de là. Pour l'instant on ferait mieux de se reposer.

Adossé au cadre de lit, Nico croisa les bras sur son torse, les yeux rivés sur le mur d'en face. Will serra les dents.

- Arrête de faire l'enfant, s'agaça-t-il finalement, je veux juste parler. S'il te plait.

- Que j'arrête de faire l'enfant ? répéta Nico en tournant la tête vers lui, un grondement sourd coincé dans la gorge. Si tu voulais vraiment ça, tu arrêterais de me traiter comme un enfant.

- Quoi ? N'importe quoi ! Ecoute, on a juste refusé que tu participes à la mission des Dactyles parce que c'était risqué. Tu dois apprendre à te mettre des limites, Nico. Tu venais d'affronter deux dieux mineurs bon sang ! Et si je t'avais laissé faire, tu nous aurais fait sortir du Labyrinthe en vol d'ombre !

- Parce que j'en étais capable !

- Non ! contra Will, frustré. Non, Nico ! Tu n'en étais pas capable. Le vol d'ombre n'est pas un pouvoir anodin, tu matérialises et dématérialises littéralement ton corps !

- Je suis un fils d'Hadès, Will, cingla-t-il avec une pointe de dédain. Les ombres font partie de mes pouvoirs et ce n'est pas parce que tu ne comprends pas comment...

- Je comprends très bien, espèce d'idiot ! Ca ne veut pas dire que ce n'est pas dangereux ou que tu ne forces pas trop au risque de te mettre en danger. Comme tu le fais à chaque fois !

Sa voix dérailla à la fin de sa phrase et il vit Nico serrer les poings le long de son corps en réponse. Assis face à face sur le bord de leur lit, ils n'étaient séparés que par quelques centimètres et Will pouvait voir la fureur imprégner le regard de son petit ami. Mais pour une fois, il ne recula pas.

- Ce n'est même pas si dangereux, Will, tu exagères ! Arrête de vouloir tout contrôler !

- J'exagère ? Moi j'exagère ? s'indigna-t-il. Très bien, tu veux qu'on parle de ta blessure à l'épée il y a deux semaines ? Celle qui t'as valu presque cinq points de suture seulement après que je t'ai traîné à l'infirmerie ?

- C'était juste pendant un entraînement, il n'y avait aucun risque !

- Oh alors tu veux que je te rappelle la fois où tu as disparu pour filer un « coup de main » à Travis pendant une semaine entière ? Sans rien me dire ?

- C'était pas prévu et tu le sais très bien...

- Tu étais censé partir t'entraîner à l'arène, Nico ! Une fichue heure, pas plus ! Mais non, il a fallu que tu suives Connor pour aller jouer au héros et retrouver Travis. S'il ne m'avait pas envoyé un message-Iris...

- Mais il l'a fait ! hurla-t-il. Il l'a fait, je suis rentré et tout allait bien !

- Ce qui ne m'a pas empêché de m'inquiéter pendant une semaine ! Exactement comme toutes les fois où tu pars aux Enfers !

- Les Enfers qui sont le royaume de mon père, imbécile ! Il n'y aucun risque !

C'était un mensonge éhonté, ils le savaient tous les deux. Une fureur telle qu'il n'en avait jamais ressenti pressa soudain contre la poitrine de Will. Pendant une seconde, il résista à l'envie de saisir Nico par le revers de son t-shirt pour le secouer brutalement.

- Comme il n'y avait aucun risque à ce que tu transportes l'Athéna Parthénos depuis la Grèce ? rappela-t-il, venimeux. La Grèce, Nico !

Aussitôt, le visage de Nico se ferma.

- C'est un coup bas, articula-t-il à travers sa mâchoire contractée. Tu sais très bien que c'était essentiel pour vaincre Gaïa. Je n'avais pas le choix...

- Comme à chaque fois, répliqua Will. Parce que tu ne te fais jamais passer en premier, il y a toujours des causes plus importantes.

- Flash info, Will, c'est la vie de demi-dieux ! C'est juste comme ça. Je ne te vois pas faire le même discours à Percy !

Ce fut la goutte de nectar en trop. Quelque chose au creux de son ventre craqua soudain.

- Percy, évidemment, le héros absolu, cracha-t-il en sentant des larmes furieuses s'accumuler contre ses paupières. Tu sais quoi, Nico ? Excuse-moi de ne pas être comme Percy. Non plutôt, excuse-moi de ne pas être Percy ! Je sais que je ne suis pas celui qui va se jeter à corps perdu dans une bataille ni mettre sa vie en danger au mépris de la raison. Pourquoi ? Parce que c'est moi que vous venez voir ensuite ! C'est moi qui soigne toute la Colonie au moindre problème ! Tu n'as aucune idée de ce que c'est ! Tu n'as aucune idée de ce que ça fait de devoir rester assis à côté d'un gamin qui agonise parce que sa jambe a presque été arrachée pendant un entraînement. Il aurait juste suffit de faire attention, mais non. La vie de héros demande des sacrifices. Peu importe les conséquences puisque ce bon vieux Will sera là derrière pour réparer les dégâts. (D'une main tremblante, il tira sur ses boucles blondes et laissa sa fureur enfin jaillir de sa poitrine). Tu n'as aucune de ce que c'est, Nico, répéta-t-il d'une voix tranchante. J'ai dû tenir ta main cet été alors que tu te dissolvais littéralement dans les ombres. J'ai mis toutes mes formes pour te retenir... J'ai veillé nuit et jour. Et malgré ça, tu continues à voyager par les ombres comme si c'était insignifiant. Comme si ta vie était insignifiante et que tu ne t'évanouissais pas presque à chaque fois. Ou est-ce qu'on va continuer à ignorer le fait que les seules fois où tu arrives à dormir, vraiment dormir, ce sont les jours où tu t'épuises littéralement à cause de ça ? Et tu sais pourquoi, Nico ? Parce que tu manques de te tuer bordel ! Et moi je dois juste regarder. Mon pouvoir de guérison n'est pas illimité ! Je ne peux pas... je ne peux aider tout le monde et je ne peux pas faire en sorte que tu commences à te sourcier de ce qui t'arrives. Je vois que ça ne va pas, je ne suis pas aveugle ! Peu importe qui est Bryce Lawrence, t'étais visiblement terrifié par lui, mais comme d'habitude tu ne m'en as pas parler ! Et ça me fruste à un point que tu ne peux même pas imaginer ! (A ce point, Will sentit sa gorge se fermer et il dût prendre une inspiration tremblante avant de continuer, refusant de laisser à Nico la possibilité de le couper maintenant que le flot de paroles se libérait enfin). Tu sais pourquoi je ne dis pas la même chose à Percy ? Parce que pour une raison idiote et inconnue, je me soucie de ce qui t'arrives à toi ! Alors que toi justement tu sembles ne rien en avoir à faire, mais moi je m'en soucie ! Donc s'il te plait, Nico, est-ce que ça serait trop demander juste pour une fois que tu penses à toi, aux gens qui t'aiment, et que tu ne fasses pas la tête parce qu'on t'a demandé de rester en arrière une foutue heure ? Hum ?

La fin de sa tirade laissa soudain Will le souffle court et il se sentit presque étourdi à cause du sang qui lui battait les tempes. Ses poings étaient serrés si fort que ses ongles lui rentraient douloureusement dans les paumes, mais il était trop crispé pour les rouvrir. Le corps tremblant de colère, il planta ses yeux dans ceux de Nico. Le fils d'Hadès le dévisageait, sans expression. Ce constat fit gonfler un peu plus la colère en lui. Ce n'était pas comme s'il venait d'exprimer toutes sa peur et sa rage devant lui. Mais Nico était passé maître du contrôle de ses émotions et Will eut soudain envie qu'il réagisse. Qu'il lui montre qu'il comprenait tout ce qu'il venait de lui dire. Pourtant, Nico resta obstinément silencieux.

Furieux, Will se leva d'un bond.

- Tu sais quoi ? dit-il, vibrant presque de fureur. Va te faire voir !

Et sans un regard en arrière, il contourna les lits et traversa la pièce pour aller s'enfermer dans la salle de bain. La porte claqua dans son dos avec un bruit retentissement, comme un glas final. Aussitôt, ses jambes le lâchèrent. Il se laissa glisser contre le battant, un sanglot étouffé dans la gorge et il ramena ses genoux contre sa poitrine. Il était épuisé. Vidé de son énergie. Il avait l'impression d'avoir affronté Deimos et Phobos dix fois d'affilé. Il ne comprenait pas comment Nico ne pouvait pas comprendre. Ou alors Will venait juste de se ridiculiser en lui montrant qu'il l'aimait alors même que la réciproque n'était pas aussi vraie qu'il l'avait cru... Cette simple pensée lui arracha un sanglot étouffé.

Dans un état second, il se releva, les jambes instables. Son reflet dans le miroir lui renvoya ses yeux rougis de larmes contenues et son teint pâle sur lequel ressortaient ses tâches de rousseur. Il se détourna. Le corps douloureux, il se déshabilla avant de se glisser sous la douche. L'eau brûlante le frappa et le sorti de sa transe. Mécaniquement, il attrapa le petit flacon de gel douche fourni par l'hôtel et commença à se laver. Son esprit s'éclaira. Il avait vraiment eu besoin d'une douche et il resta sûrement plus longtemps que nécessaire jusqu'à ce que sa peau soit fripée au bout des doigts. Quand il ressortit, la vapeur avait complètement envahi la salle de bain et recouverte le miroir d'une fille pellicule d'eau. Il préféra ne pas revoir son reflet.

Enroulé dans la serviette blanche immaculée de l'hôtel, il examina soudain ses bras et ses mains en les tendant devant lui. Rien ne sortait de l'ordinaire. Aucune lumière, pas même un faible rayonnement. Pourtant, il avait réussi à activer son pouvoir luminescent dans le Labyrinthe. Si les autres ne l'avaient pas aussi vu, il se demanderait sûrement s'il ne l'avait pas rêvé. Le phénomène ne lui était jamais arrivé. Il était guérisseur... Mais il supposait que les deux pouvoirs n'étaient pas si éloignés. Au moment où il s'était mis à briller, il avait senti la peur de Lacy à travers sa main qui agrippait la sienne avec force. Il avait tout simplement voulu chasser l'obscurité qui l'effrayait. Sur une inspiration soudaine, il ferma les yeux et tenta de se concentrer. Il repensa à la sensation qu'il avait éprouvé dans le Labyrinthe et tira en lui, comme il le faisait pour guérir les gens. Au fond de lui, quelque chose chauffa, mais il n'arriva pas à l'atteindre. Il força un peu plus, cherchant à atteindre la lumière qui sommeillait en lui, mais il n'arrivait pas à occulter le brume vaporeuse qui tournoyait autour de lui, ni la présence de Nico à seulement quelques mètres. Défait, il relâcha son souffle et rouvrit ses yeux.

Il prit soudain conscience qu'il avait froid et s'empressa d'enfiler ses vêtements, engourdi. Au moment de ressortir, il hésita pourtant une seconde. Peut-être qu'il valait mieux qu'il attende que Connor, Lou Ellen et Lacy reviennent, juste pour éviter un moment de tension désagréable. A peine l'idée eut-elle traversé son esprit qu'il se fustigea. Il pouvait bien affronter Nico. Il n'allait pas rester cacher dans cette salle de bain indéfiniment, surtout alors qu'il n'était pas en tort. Inspirant un grand coup, il ouvrit la porte.

Il trouva Nico au même endroit que tout à l'heure, à ceci près qu'il s'était tourné pour être face à la porte de la salle de bain. Dès qu'il l'entendit sortir, il releva la tête et Will se figea. Il portait toujours son expression indéchiffrable qui le mettait si mal à l'aise, mais il ne se détourna pas. Nico l'observa plusieurs secondes avant de soupirer.

- Will...

- Quoi ? Tu veux parler maintenant ?

- Je sais pas, est-ce que je peux en placer une cette fois ? rétorqua-t-il vivement.

Will tressaillit. Une boule chauffée à blanc dans la gorge, il s'avança jusqu'à venir se placer devant Nico. Debout face à lui, il pouvait le toiser de toute sa hauteur, mais son petit ami ne cilla pas. Il lui fit simplement un signe pour qu'il s'assoit à côté de lui et Will obtempéra. Il supposait qu'il pouvait bien écouter ce que Nico avait dire, ce qui n'empêchait pas la colère de déferler en lui pareille à des vagues frappant un rivage sans relâche. Pourtant, même sa colère ne pouvait pas couvrir son inquiétude : il remarqua les cernes sous les yeux de Nico, son teint blafard et sa fatigue. Il se retint malgré tout de faire le moindre commentaire et, décidant d'être le plus mature d'entre eux, tendit la main pour prendre celle de Nico dans la sienne. Pendant une horrible seconde, il fut persuadé qu'il allait se dégager – il ne savait vraiment pas ce qu'il aurait fait dans ce cas-là – mais Nico se contenta de serrer ses doigts entre les siens.

- Ok, on va faire ça bien, murmura Will. Plus de cris, plus de disputes. On s'écoute. Je suis désolé pour tout à l'heure... Je pensais ce que j'ai dit, s'empressa-t-il de préciser devant le regard entendu de Nico, mais ce n'était pas la bonne façon de le dire. J'étais juste...

Mort d'inquiétude, termina-t-il sans l'avouer à voix haute. Parce qu'elle était là, la vérité. Sous sa colère et sa frustration, il avait surtout peur de perdre Nico. Il avait même été terrifié. Il savait mieux que personne que la vie ne tenait qu'à un fil. Il connaissait le sentiment d'impuissance de tenir quelqu'un dans ses bras en sachant pertinemment que rien ne les retiendra sur terre. Il avait perdu des amis, des patients, des frères et des sœurs... Il n'avait en revanche jamais perdu quelqu'un qu'il aimait de la façon dont il aimait Nico. Et cette simple idée l'emplissait de terreur. Il ne supportait pas de ne pouvoir rien faire, de ne pas pouvoir aider...

- Je sais... dit Nico, résolu. Ou je crois que je sais... Mais je pense qu'il y a des choses qu'on doit se dire, Will.

- Je suis d'accord...

D'un geste nerveux, il tapota sa jambe du bout des doigts, comme pour évacuer un peu son énergie. Il mit ça sur le compte de son hyperactivité.

- Ce que t'as dit tout à l'heure, je ne comprends pas, lâcha soudain Nico, sourcils froncés.

- Tu... tu ne comprends pas ? répéta-t-il bêtement. Et moi qui pensais au moins avoir été clair...

- Non, mais je veux dire... Tu t'inquiètes, très bien. Tu t'inquiètes pour moi parce que tu t'inquiètes toujours pour tout, mais sérieusement, Will, tu exagères.

- J'exagères ? Tu penses vraiment ça ?

- Oui ! Parce que tu sembles oublier que je peux prendre soin de moi. Je sais me battre, je sais me fondre dans les ombres si la situation dérape, j'ai l'expérience des quêtes. Et toi, tu agis comme si... comme si j'étais Lacy par les dieux !

Will soupira. Las, il se passa une main sur le visage avant de répondre :

- Et tu ne crois pas que si je me soucis de toi, peut-être plus que les autres, c'est justement parce que t'es mon copain ? (Il se permit un sourire ironique, juste pour détendre l'atmosphère). S'il t'arrives quelque chose, je vais devoir en chercher un nouveau, ça sera long... Franchement je préfère m'épargner ça.

Sa tentative d'humour eu le mérite d'arracher un rictus à Nico qui rit en secouant la tête.

- Tais-toi, Solace, marmonna-t-il, une touche d'amusement dans la voix.

- Non, on est en pleine conversation. Ça serait contreproductif. Eh ! (Il évita le coup que Nico tentait de lui donner et resserra sa prise sur sa main). Plus sérieusement, je n'exagères pas. J'ai juste peur pour toi. Tu peux le comprendre ça ?

Nico mit quelques secondes, mais il hocha la tête. Pourtant, Will voyait bien qu'il avait du mal à vraiment appréhender ce qu'il lui disait et il se demanda pour la première fois si Nico avait juste oublié à quoi ressemblait quelqu'un qui se souciait de lui. La simple idée lui donna un coup au cœur.

- Nico, écoute-moi bien, dit-il d'un ton solennel. Tu n'as pas à tout endurer seul. Il y a des gens qui se soucient de toi. Jason, Reyna, Hedge, Piper, Percy, Annabeth, Cecil, Lou Ellen... moi. Et ça veut dire qu'on est là pour te soutenir, te dire la vérité même quand tu ne veux pas l'entendre, on est là pour t'écouter et être là pour toi...

- Ou pour me dire quoi faire, intervint Nico, buté.

Will fronça les sourcils.

- Comment ça ?

- T'es toujours à me dire ce je peux faire ou pas. Ce n'est pas pareil que de me donner un conseil, tu m'interdis littéralement de voyager par les ombres, de me lancer dans une bataille... Ce n'est pas de la confiance, c'est du contrôle, Will.

- Non, protesta-t-il. C'est toi qui a un problème avec l'autorité parce que personne ne s'est soucié de faire entendre raison depuis tes dix ans.

Nico émit un rire étouffé et secoua la tête.

- Et pourquoi à ton avis ? Les personnes qui étaient censées rester avec moi m'ont juste laissé derrière ou ont voulu m'utiliser. C'est toujours la même chose... Hadès, Minos, Bianca...

Sur le prénom de sa sœur, sa voix se brisa et Will sentit son cœur se briser en écho.

- Mais d'accord, admettons que j'ai un problème avec l'autorité et que je doive apprendre à me mettre des limites... Tu ne peux pas juste décider à ma place, Will. Tu dois accepter que parfois, si je sens que je peux faire quelque chose, c'est parce que c'est vrai. Et je sais que le voyage d'ombre te fait peur après cet été et le coup de l'Athéna Parthénos, mais j'ai appris la leçon.

- Ca ne t'empêche pas d'en être terrifié, rappela-t-il.

A la mention de Phobos, Nico plissa les yeux.

- Tu l'as dit toi-même, une peur est irrationnelle. Ce n'est pas la même chose que la réalité. Je peux voyager par les ombres, Will.

- Tu peux et tu en es terrifié, maintint-il, buté.

- Ce n'était pas le voyage dont j'avais peur...

Will fronça les sourcils.

- Je ne te suis pas. Phobos t'a littéralement montré ta peur : tu te perdais dans les ombres, tu t'effaçais !

En face de lui, Nico détourna les yeux. Il commença à sentir sa suspicion s'éveiller. Il ne voyait pas ce que la peur de Nico avait bien pu vouloir dire si ce n'était pas l'interprétation logique qui s'appliquait. Perplexe et inquiet à la fois, il attendit quelques secondes avant de reprendre en voyant que Nico se murait dans le silence.

- Eh, le but de cette conversation c'était d'être honnête, non ? murmura-t-il.

- Je sais, je sais... C'est juste idiot...

- On l'a déjà dit aussi : aucune peur n'est idiote. (Il pressa la main de Nico, réconfortant). Et ce que cette peur signifiait était visiblement important pour toi.

Le regard toujours résolument baissé, Nico inspira profondément. Il finit par hocher la tête presque imperceptiblement.

- Je n'avais pas peur de me perdre dans les ombres, souffla-t-il alors. J'avais peur de disparaître dedans et que personne ne le remarque... Comme à chaque fois. Je me suis dit qu'un jour, ça finirait par arriver. J'y ai même cru pendant la guerre contre Gaïa. Je me fondrais dans les ombres sans réussir à en sortir et je ne manquerai à personne parce que personne ne serait là pour s'en rendre compte.

La gorge comprimée, Will se retint de fermer les yeux. De toutes les explications qu'il attendait, il n'avait pas vu venir celle-ci et il eut soudain envie de vomir. Parce qu'une idée pareille n'arrivait pas du jour au lendemain. Elle se nourrissait d'une longue solitude, d'une enfance à errer dans un Labyrinthe avec un fantôme accroché à ses pas et d'abandons répétitifs. Brusquement, il en voulu à toutes les personnes qui étaient passées dans la vie de Nico : Hadès, Bianca, Percy, Minos, les pensionnaires de la Colonie... Il en aurait hurlé. Au lieu de ça, il murmura :

- Oh Nico...

- C'est bon, Will, je n'ai pas besoin de ta pitié, rétorqua-t-il presque cassant.

- Non, non ! Ce n'est pas de la pitié, c'est... (Il déglutit et dévisagea Nico, plongeant ses yeux dans les siens, si sombres et expressifs). Par les dieux, j'espère que tu sais que c'est faux...

- Will.

- Non, écoute-moi. Tu crois que moi je ne le remarquerai pas si tu disparaissais ? Si tu te fondais dans les ombres ? Nico, regarde-moi. Je te jure que s'il faut que je chasse la moindre fraction d'obscurité dans ce monde pour te retrouver, je le ferai. Et je peux le faire : je brille.

Devant cet argument, Nico laissa échapper un rire étouffé et Will se sentit sourire en retour.

- Mais c'est vrai, tu sais. Tu manquerais à tellement de monde. C'est pour ça que je m'inquiète au passage. Ça... ça ferait trop mal de te perdre. Et je sais que ça serait pareil pour Hazel, pour Lou Ellen, pour Cecil, pour Jason, pour Percy... Pour toutes les personnes qui ont appris à te connaître. Tu le sais, pas vrai ?

Avec réticence, Nico hocha la tête. Il voyait bien qu'il ne le croyait qu'à moitié, mais il avait bon espoir que l'idée grandisse dans sa tête avec le temps, comme une plante qui grandie à la lumière. Pour l'instant, ça lui suffisait.

- Encore une fois, malgré tout ça... reprit Nico, visiblement désireux de changer de sujet et d'en revenir à son envie d'indépendance. Je peux voyager par les ombres. Si je ne force pas, je peux le faire. Alors laisse-moi juger, d'accord ?

Will se mordit l'intérieur de la joue. Une partie de lui savait que Nico avait raison. Pourtant, une autre ne pouvait s'empêcher de lui rappeler que si un jour la situation était désespérée et l'exigeait, Nico n'hésiterait pas à se sacrifier. Et il ne pourrait rien y faire.

- Ok, d'accord... souffla-t-il. Je vais essayer de moins te... contrôler et en échange tu me promets d'être plus prudent.

- Ca me paraît un bon compromis, admit Nico, les yeux baissés.

- Parfait alors...

- Maintenant on peut parler de toi.

Will haussa un sourcil.

- Moi ?

- Oui, toi, Solace. Je pense qu'il y a des choses à dire.

- Non, avant il y a toujours la question de Bryce Lawrence qu'on...

- Ca attendra. Chacun son tour, asséna Nico, déterminé.

Will soupira. Une boule nerveuse commença à grossir dans son ventre et il se mit à jouer avec la bague en tête de mort que Nico portait tout le temps alors que leurs mains liées reposaient toujours entre eux.

- J'écoute, dit-il, tendu.

- Premièrement, est-ce qu'on peut revenir sur ta phrase de tout à l'heure ?

- Laquelle ? Je suis plutôt loquace, j'en ai prononcé plusieurs tu sais... se moqua-t-il sans malice. Certains d'entre nous aiment bien parler au lieu de juste avoir l'air mystérieux et silencieux.

Nico roula des yeux.

- Tu sais très bien laquelle. « Excuse-moi de ne pas être comme Percy. Non plutôt, excuse-moi de ne pas être Percy », cita-t-il. Ce n'est pas la première fois que tu fais ce genre de remarques...

- Nico, s'il te plait, est-ce qu'on peut ne pas...

- Non.

Le ton était définitif. Will ferma les yeux brièvement pour se donner une constance et sentit ses joues rougir, embarrassé. Pas besoin d'être Freud pour analyser son comportement sur ce plan-là.

- C'est juste... enfin tu sais...

- Juste quoi, Will ? pressa Nico.

- C'est vrai, c'est tout. Je ne suis pas Percy. Je ne suis pas comme tous tes amis que ça soit ceux de l'Argo II ou ceux du Camp Jupiter. Je ne suis pas comme Reyna, Jason ou... Percy. Et parfois je ne comprends juste pas comment tu as pu passer de lui à... bah moi.

Comme si ce n'était pas assez équivoque, il se désigna d'un geste et Nico cilla, l'air perplexe.

- Comment ça « toi » ? dit-il avec verve. D'abord, soyons clairs. Je ne suis pas passé de Percy à toi, il ne s'est rien passé avec Percy et tu le sais. C'était juste... je m'accrochais à lui parce que c'est lui qui m'a révélé la vérité sur les dieux et tout le reste. Il était là quand Bianca est partie, il était là pour se battre avec moi mais... C'était une amitié et encore, ça a été compliqué longtemps. Je lui en voulais, il m'en voulait... Ce n'étaient pas des sentiments réels, pas totalement...

- Mais Cupidon...

Nico émit un claquement de langue agacé.

- Je ne t'ai pas raconté ça pour que tu te montes la tête, Will ! Ce que je veux dire c'est que j'aimais Percy sans vraiment le connaître parce que c'était facile justement... Il était inaccessible. J'ai su dès la première minute où je l'ai rencontré qu'il aimait Annabeth. Il s'était presque jeté d'une falaise pour elle, par les dieux ! Et donc... c'était plus facile. Parce que si Percy était inaccessible et que j'aimais Percy, alors je n'étais pas obligé de reconnaître ce que j'étais... Ca restait de l'ordre de l'impossible...

Will se retint d'attirer Nico contre lui alors que les mots pour parler de son homosexualité semblaient lui écorcher les lèvres, comme un secret honteux. Pour la énième fois, il fut pris d'un élan de fierté envers lui.

- Avec toi, c'était différent, avoua-t-il en baissant soudain les yeux. Ce n'était plus un béguin inatteignable, tu me l'avais assez clairement fait comprendre...

En repensant à la façon dont il avait dragué Nico pendant ses trois jours à l'infirmerie, Will poussa un grognement embarrassé qui arracha un rire léger à Nico.

- Et crois-moi, je ne t'ai jamais comparé à Percy. Pas une seconde. Parce que y'en a pas besoin, Will. Il faut que tu comprennes que ce n'est pas grave si tu n'es pas un épéiste comme d'autres... T'es tellement plus important.

- Moi ? Non, je...

- Tu l'as dit toi-même. Si quelqu'un est blessé, c'est vers toi qu'on se tourne. Pas parce que tu es le seul guérisseur. Parce que tu es le meilleur guérisseur de cette foutue Colonie. Et peut-être que parfois on te prend trop pour acquis... Bon sang, on serait mort dix fois sans toi depuis le début de cette quête. Je sais que tu as beaucoup à gérer entre l'infirmerie et le bungalow d'Apollon, mais crois-moi Will tu es incroyable. Tout le monde te dirait la même chose.

Will ne peut empêcher le sourire qui perçait ses lèvres. Une chaleur indescriptible parut soudain gonfler dans sa poitrine et il eut envie d'attirer Nico contre lui pour l'embrasser.

- Et dernière chose mais... ils auraient été fiers de toi, ajouta-t-il après un léger silence, l'empêchant de réaliser son souhait. Tes frères. Mélinoé peut dire ce qu'elle veut, Lee et Michael auraient été fiers de toi.

Pris au dépourvu, Will resta sans voix une seconde. Puis, lentement, la boule dans son ventre se détendit enfin.

- Merci... murmura-t-il. Je crois que j'avais besoin de l'entendre...

- Quand tu veux, Solace. Faut bien que quelqu'un te remette les idées en place.

- Eh !

Faussement indigné, il détacha enfin sa main de celle de Nico et le repoussa. Celui-ci bascula en arrière, renversé à moitié sur le dos, et le tira alors à sa suite. Entraîné par l'élan, Will manqua de lui tomber dessus et roula sur le côté à la dernière seconde, même s'ils restaient bien trop proches pour qu'il n'ait pas conscience de la situation. Le lit simple de l'hôtel n'était pas vraiment spacieux et leurs genoux se cognèrent entre eux alors que Nico se positionnait aussi sur son flanc droit, une main glissée sous sa tête pour la soutenir. Will rougit. Il vit les yeux de Nico dériver vers ses lèvres une seconde, mais il se rappela soudain un dernier sujet qu'ils n'avaient pas encore abordé.

- Bryce Lawrence, déclara-t-il brusquement. Je ne sais toujours pas...

Immédiatement, Nico devint rigide.

- Will, gronda-t-il.

- On avait dit qu'on avouait tout, rappela-t-il avec un regard entendu.

- C'est différent...

- Pourquoi ?

Nico ferma les yeux. Pendant une seconde, Will se demanda si c'était parce qu'il se refusait à le regarder pour évoquer ce sujet là en particulier et son ventre se tordit à nouveau avec appréhension.

- Nico... souffla-t-il.

- Tu vas me détester...

- Moi ? Jamais... Je crois que c'est impossible. Même Aphrodite n'y arriverait pas.

- Je t'en prie, la tente pas, grommela-t-il.

Will émit un rire étouffé. Puis, il tendit la main pour effleurer doucement la joue de Nico qui rouvrit les yeux.

- Je te le promets, Nico, jura-t-il. Tu peux me faire confiance. Je ne te jugerai pas...

- Attends d'avoir entendu l'histoire...

- C'est pire qu'Octave ?

Nico hésita une seconde, puis acquiesça imperceptiblement. Will déglutit. Après la victoire contre Gaïa, ils avaient tous les deux décidés qu'Octave avait pris sa décision et qu'ils n'étaient pas responsables de ne pas l'avoir prévenu que sa toge s'était coincée dans la catapulte. Il avait refusé de les écouter. Ils avaient fait la paix avec cette histoire, mais Bryce Lawrence semblait être une autre affaire. Avec un sourire, il encouragea Nico à se lancer.

- C'était pendant notre traversée des Etats-Unis avec Reyna et m'sieur Hedge, commença-t-il à raconter dans un murmure à peine audible. On était sur le chemin pour ramener l'Athéna Parthénos mais on était poursuivis par la légion romaine et ses lieutenants. L'un d'entre eux plus particulièrement...

- Bryce Lawrence, devina Will.

Nico hocha la tête.

- Un descendant d'Orcus, le dieu des parjures et des châtiments. Il avait été banni de la légion à cause de soupçons de cruauté et de meurtres envers d'autres personnes au Camp Jupiter. Reyna n'a jamais rien pu prouver. Quand elle est partie et qu'Octave a pris sa place... il a réintégré Bryce. Je ne sais pas s'il lui a donné l'ordre de nous poursuivre ou s'il l'a fait de son propre chef, mais...

- Il vous a retrouvé.

- Oui... Il est arrivé pendant que Reyna m'avouait quelque chose. Je ne peux pas te dire quoi, c'est un secret qui lui appartient à elle, dit-il avec conviction et Will sourit devant son air farouche et protecteur. Il a déclaré qu'elle avait trahi les lois de Rome et qu'il devait l'arrêter.

- Mais... il était seul ?

Il avait du mal à voir comment Nico, Reyna et Hedge n'avaient pas pu lutter contre un seul adversaire. D'un coup, Nico grimaça.

- Non, il n'était pas seul. Il était avec ses « tuniques rouges ». Des esprits, expliqua-t-il. Des soldats damnés parce qu'ils avaient brisé leur serment et fait acte de parjure avant de mourir. A cause de ça, ils n'étaient pas sous l'autorité de mon père, mais celle d'Orcus. Pour la première fois...

- Tu ne pouvais pas contrôler les morts, souffla Will, réalisant soudain pourquoi les fantômes de Mélinoé l'avaient tant perturbé.

- Je n'ai rien pu faire quand ils se sont emparés de Reyna... J'avais beau les attaquer ou leur ordonner de se dissoudre, ça ne fonctionnait pas. Et Bryce... Par les dieux, il jubilait. Crois-moi, Will, j'ai vu des tyrans et des personnes assoiffées de pouvoir, mais lui... Il aimait la souffrance, pure et simple.

En réponse, Will frissonna. Il ne pouvait pas imaginer quelqu'un de plus antithétique à sa nature même. Il guérissait, c'était sa vocation. Bryce Lawrence avait été sur terre pour faire souffrir.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? osa-t-il demander tout bas.

- Je ne m'en souviens plus, plus vraiment... Reyna et Hedge m'ont raconté.

- Comment ça... ?

A nouveau, Nico ferma les yeux. Quand il les rouvrit, Will constata qu'il était au bord des larmes.

- Je n'avais jamais ressenti mes pouvoirs comme ça... Si intense. Bryce se vantait de punir les parjures au nom de son père. J'ai appliqué ce que le mien m'avait enseigné : la justice des Enfers est impitoyable. Personne ne peut échapper à la mort. J'ai juste rendu la sentence de Bryce... moi-même.

- Tu...

- Je l'ai transformé en fantôme, Will, avoua Nico d'une voix brisée. Il était vivant et j'ai dissous son corps jusqu'à ce qu'il disparaisse, avalé par la terre jusqu'aux Enfers. Jusqu'au Champ des Châtiments. Je l'ai privé de sa parole, de son identité, de sa vie... (Un sanglot sembla gonfler dans sa gorge et il laissa échapper un souffle tremblant). J'étais tellement en colère et... j'avais peur. S'il me prenait Reyna... J'avais échoué encore une fois. Après Bianca, après Hazel même...

- Tu as ramené Hazel, ce n'était pas...

- Je sais, je sais, mais... Je ne sais pas. A ce moment-là, je n'arrivais plus à penser. C'est comme si mes pouvoirs avaient jailli de mon âme. Toutes les ombres... je pouvais les sentir. Je pouvais faire en sorte d'arrêter Bryce et... je l'ai fait. Il n'était plus personne, juste un fantôme sans nom qui errerait aux Enfers pour l'éternité. Je lui ai infligé ça...

- Nico...

- En quoi est-ce que ça me rend différent de lui, Will ?

Le barrage parut céder. Brusquement, le sanglot que Nico retenait sorti de sa gorge et il se recroquevilla sur lui-même. Les larmes se mirent à tracer des sillons humides sur ses joues et Will sentit ses yeux d'humidifier à son tour, un poids dans la poitrine. Sans réfléchir, il entoura Nico de ses bras et l'attira contre lui. Il pouvait le sentir trembler contre son torse alors qu'il posait doucement son menton au sommet de sa tête en chuchotant, le nez enfoui dans ses cheveux noirs.

- Tu n'es pas comme lui, Nico, tu m'entends ? Tu ne seras jamais comme lui.

- Je l'ai transformé en fantôme...

- Pour sauver tes amis. Pour sauver l'Athéna Parthénos dont dépendait le sort de la Colonie et du monde.

- J'aurais pu me battre avec lui, l'attaquer à l'épée...

- Le résultat aurait été le même.

- Il aurait peut-être gagné.

Devant cet argument, Will renifla, presque méprisant.

- Il n'aurait eu aucune chance, t'es le meilleur épéiste que je connaisse.

- C'est faux, Percy...

- On a dit qu'on ne parlait plus de Percy et qu'on ne se comparait plus à lui. Il peut donner des complexes à tout le monde ce gars.

Nico émit un rire étouffé. Le corps plus détendu, il se rapprocha encore un peu plus de lui et pressa son visage contre son torse. Will était sûr qu'il pouvait entendre son cœur battre aussi fort qu'un tambour, presque douloureux dans sa cage thoracique. Il resserra sa prise autour de Nico.

- C'est pour ça que Phobos te l'a montré, réalisa-t-il alors. Pas parce que tu avais peur de lui, mais parce que tu avais peur de ce que tu lui avais fait... Et de notre réaction quand on l'apprendrait...

- Will...

- Non, regarde-moi.

Il fallut plusieurs secondes à Nico pour obtempérer, mais il finit par relever lentement la tête. Will inspira une grande goulée d'air, déterminé.

- Tu n'as pas à t'en vouloir, asséna-t-il. Le simple fait que tu culpabilises... Par les dieux, Nico, ça montre que tu n'es pas comme lui. Et si tu crois pendant une seconde que ça va me faire t'aimer moins, tu te trompes lourdement. Je ne t'en veux peux, tu m'entends ?

- Je...

Mais Nico n'avait visiblement pas les mots. Perplexe, Will attendit, puis il repassa soudain ses propres paroles. Il se figea. Mortifié, il voulut brusquement disparaitre sous les couvertures, mais le corps de Nico pressé contre le sien lui bloquait toutes issues.

- Enfin, je veux dire... je...

- Tu le penses vraiment ?

La voix de Nico, si basse qu'elle était presque réduite à un murmure, lui coupa pourtant le souffle. Ses émotions en fracas, il déglutit avant de finalement se jeter à l'eau.

- Oui... Chaque mot, assura-t-il. Je t'aime, Nico. Voilà, c'est dit et...

Et il n'eut pas besoin d'en dire plus. Avec agilité, Nico s'était légèrement redressé pour être à sa hauteur et plaqua ses lèvres contre les siennes, bouche entre-ouverte. Will poussa un soupir et ferma les yeux, pris par la sensation de chaleur qui se répandait dans tout son corps. Il lui rendit son baiser, le cœur prêt à exploser, puis recula.

- Dernière chose, dit-il précipitamment d'une voix soudain rauque. Parce que tu as aussi besoin de l'entendre. Et je vais le dire juste une fois parce que je sais que tu n'aimes pas en parler mais... Même si elle a rejoint les chasseresses, ça ne veut pas dire que Bianca ne t'aimait pas. (Doucement, il repoussa la frange de Nico pour pouvoir mieux le regarder et planter ses yeux dans les siens, histoire d'être sûr qu'il comprenne l'ampleur de sa conviction). Elle t'aimait parce que tu étais son petit frère et ça ne changera jamais. Maintenant, elle voudrait juste que tu sois heureux...

- Mais... Et si elle n'approuvait pas... tu sais, toi et moi...

- Je suis sûr qu'elle n'aurait aucun problème. Et même si elle en avait un, c'est ta vie, Nico. C'est à toi de décider. Mais ne doute jamais que les gens qui t'entourent, ou t'entouraient, tiennent à toi. Plus que tu ne le crois...

Maintenant qu'il avait avoué tout ce qu'il avait sur le cœur, Will se pencha à nouveau en avant et captura ses lèvres dans un autre baiser avide. Nico retomba sur le matelas, les mains agrippées sur le devant de son t-shirt pour l'entraîner avec lui. Il se laissa faire avec plaisir. Veillant à garder un bras tendu sous lui pour ne pas écraser Nico de tout son poids, il l'embrassa, goûtant la saveur de sa peau contre la sienne. Le goût du sel de ses larmes, bien sûr, mais il pouvait aussi sentir l'odeur du gel douche de l'hôtel, entendre le tissu du couvre-lit qui froissait... Plus que tout, il entendait leurs souffles qui se mêlaient alors qu'ils se pressaient l'un contre l'autre. Au contact de la main de Nico qui se glissa soudain sur sa hanche, juste là où son t-shirt s'était relevé pour dévoiler sa peau, il émit un soupir plus prononcé. Nico recula une seconde, surpris, et Will en profita pour reprendre son souffle une seconde avant de l'embrasser à nouveau. Il caressa ses lèvres, puis y infiltra sa langue doucement, explorant... Il tremblait presque. Au creux de son ventre, il sentit un nouveau désir s'éveiller et son sang se mit à battre au niveau ses tempes. Dehors, la nuit avait commencé à tomber, les laissant dans une semi-pénombre. Will n'avait de toute façon pas besoin de voir. Il sentait le corps de Nico sous lui, horriblement conscient de chacun de ses mouvements, de chacun de leurs contacts, de chacune de ses respirations. La sensation était grisante. Il ne voulait pas qu'elle s'arrête, il voulait la capturer, la retenir. Dès qu'ils s'écartaient l'un de l'autre, juste une seconde, c'était toute la chaleur qui le quittait pour ensuite s'écraser sur lui à nouveau en même temps que leurs lèvres. Son souffle se fit plus court, plus pressant. Il dévia sa bouche le long de la mâchoire de Nico, y plantant des baisers aussi vifs que légers, étourdi. En réponse, il l'entendit exalter un soupir qui se transforma en gémissement à la seconde où Will effleura le creux de son cou, juste en-dessous de son oreille. Il sourit, amusé.

- Mio dio, Will...

Visiblement gêné, il tenta de cacher son visage avec ses mains, mais Will l'arrêta. Ce fut quand leurs doigts se rencontrèrent à nouveau qu'ils se rendirent alors compte...

- Will !

- Je...

Il recula précipitamment. Nico se redressa à moitié sur ses coudes, incapable de plus alors que Will était toujours au-dessus de lui, et écarquilla les yeux.

- Tu brilles ! s'exclama-t-il.

Et effectivement, tout comme dans le Labyrinthe, sa peau émettait une légère lueur dorée, l'entourant dans un doux halo. Will gronda, embarrassé.

- Non... grommela-t-il. Pas maintenant...

- Je te fais de l'effet, Solace ? J'illumine ta journée ?

Défait, il retomba contre Nico qui éclata de rire et referma ses bras derrière sa nuque, jouant avec ses mèches à la base de sa tête.

- Mon cher luisant, s'amusa-t-il.

- Tais-toi, imbécile.

- Hum...

Et s'ils restèrent comme ça jusqu'au retour des autres, personne à part eux n'avait besoin de le savoir.
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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par annabethfan »

Les JO sont terminés, je sais plus quoi faire de mes journées haha!
Bonne lecture ;)


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Chapitre 17 : Frapper au cœur

Nico aurait pu s'endormir avec Will à moitié allongé sur lui dans la semi-pénombre de la fin de journée si deux choses ne l'en avaient pas empêché : son cerveau qui n'arrivait justement pas à ignorer Will contre lui et les coups sourds qui résonnèrent à la porte presque une heure plus tard.

- Eh ! Les tourtereaux ! héla soudain la voix de Connor à en réveiller tout l'hôtel. C'est nous, ouvrez !

- Moins fort, siffla celle de Lou Ellen juste derrière.

- Quoi ? Faut bien qu'ils nous entendent au cas où s'ils sont « occupés ».

Même à plusieurs mètres de distances et sans voir son visage, Nico devinait aisément le genre d'expression malicieuse qu'arborait Connor à cet instant. Il sentit son visage s'enflammer tandis que Will se redressait doucement, l'air perdu. Lui avait au moins réussi à dormir un peu.

- Qu'est-ce qui se passe ? marmonna-t-il, ensommeillé. Des monstres ?

- Pire, répondit Nico. C'est Connor.

- Oh non...

Défait, Will se laissa retomber contre lui. Nico eut l'impression que l'air se vidait de ses poumons tout en y restant coincé et il s'enfonça un peu plus dans le matelas, leur corps pressé l'un contre l'autre. Il avait horriblement conscience de leurs jambes entremêlées, de leur hanche alignée et de leur torse que rien ne séparait. C'était comme si tout l'espace entre lui et Will avait disparu.

- Tu crois que si on l'ignore, il partira demander sa clé à la réception et nous laissera jusqu'à demain matin ? dit Will, son souffle effleurant son cou.

Nico déglutit.

- Je ne suis pas sûr qu'il se laisse aussi facilement décourager...

Comme pour lui donner raison, la voix de Connor s'éleva à nouveau derrière la porte :

- Eh ! Will, Nico ! Wico ? Nill ? Non, c'est nul comme nom de couple. Lacy ? Une idée ?

- Je... je sais pas...

- Angelace ? Rah, non plus. Oh Solangelo ! C'est bien ça, non ?

- Je vais le tuer, grommela Nico.

- Allez, ouvrez ! Je meurs de faim !

Will soupira. D'une main, il poussa contre le matelas pour se relever et Nico fut parcouru d'un frisson sans sa chaleur qui le recouvrait tout entier. Instinctivement, il voulut retenir Will et tendit le bras. Sa main frôla sa hanche, effleurant à peine la peau révélée, et il suspendit son geste alors qu'une boule chauffée à blanc se glissait dans sa gorge. Figés dans cette position tous les deux, Nico avait l'impression qu'une aura intime les entourait. Il se sentit rougir.

- Je vais te manquer ? se moqua Will, un rictus au coin des lèvres.

- Non, mentit-il. Tu m'écrasais.

- Hum...

L'air de ne pas en croire un mot, Will se releva complètement et il roula sur lui-même pour enfouir sa tête dans l'oreiller, dépité. Il maudit à nouveau Connor à la seconde où il franchit le seuil de la chambre d'hôtel fidèle à lui-même : bruyant et sans subtilité.

- Pas trop tôt ! s'exclama-t-il avant d'agiter ses sourcils d'un air suggestif en faisant la navette entre eux. Qu'est-ce que vous faisiez ici ? Des choses que Chiron désapprouverait ?

- Et t'envoyer directement aux Enfers, tu crois que Chiron désapprouverait ?

- Toujours d'excellente humeur à ce que je vois, Di Angelo.

- Hum...

De mauvaise grâce, il se redressa et s'assit sur le couvre-lit couleur pêche. Il avisa les autres, se rappelant soudan de leur mission. Aucun d'eux n'avait l'air blessé. Lou Ellen était un peu pâle, mais il supposait que ce n'était pas étonnant après tout ce qu'elle avait subi ces derniers jours, et Lacy paraissait juste fatiguée. Seul Connor semblait pareil que d'habitude, à ceci près qu'il semblait justement faire un peu trop d'effort pour présenter cette façade.

- Alors ? Les Dactyles, vous les avez trouvés ? demanda Will, nerveux.

- Oh oui, ça on les a trouvés, confirma Connor en laissant tomber son sac à dos au milieu de la pièce. Drôles de types ! C'est un peu une secte-entreprise de magiciens-inventeurs, comme si Hécate et Héphaïstos avaient eu des enfants !

- Rah, vision perturbante, dit Lou Ellen en fronçant le nez.

- Mais encore ? pressa Will. Ils vous ont aidé comme Phobos l'avait dit ? Ils savaient où se trouvaient les torches ? Ou les magiciennes ?

- Pas exactement... Par contre, ils nous ont donné le moyen de les vaincre.

Soudain intéressé, Nico releva la tête. Connor s'accroupit pour ouvrir son sac à dos à ses pieds et en sortit un poignard à la lame légèrement courbé et au manche en métal taillé avec finesse.

- Un simple poignard ? Contre trois magiciennes ? dit-il sans réussir à endiguer son scepticisme.

- Ah ah ! Ne juge pas si vite, Di Angelo. Ce n'est pas juste un poignard. Comme je disais, les Dactyles aussi maîtrisent la magie. Et celui-ci est justement imprégné d'un sort qui... « capture » la magie on va dire.

- Comment ça ?

- Les Dactyles ont dit qu'il inversait la polarité, expliqua Lacy comme si elle récitait une leçon apprise par cœur. Ça veut dire que si un être doué de magie est frappé avec, le métal absorbe ses pouvoirs temporairement.

Surpris, Nico regarda le poignard d'un regard nouveau, lui trouvant brusquement un nouvel intérêt. Il se leva du lit, pris par la curiosité, et s'avança avec Will pour mieux l'observer.

- Et ils vous ont juste donné une arme pareille ? s'étonna ce dernier. Comme ça ?

- Presque. Les Dactyles servent Hécate, ils sont de son côté. Ils voulaient simplement qu'on les aide dans leurs recherches en échange.

- Quel genre d'aide ?

De la pointe du poignard, il désigna Lou Ellen. Nico remarqua alors qu'elle se tenait le plus éloigné possible de l'arme et la regardait avec méfiance. Elle avait aussi la manche de sa veste relevée, dévoilant son avant-bras sur lequel avait été placé un pansement stérile, le même genre que ceux qui servaient aux vaccins à l'infirmerie. Immédiatement, Will traversa la pièce pour venir près d'elle.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? s'inquiéta-t-il. Ce sont eux qui... ?

- Une simple prise de sang, le rassura Lou Ellen avec douceur. Faites dans les règles de l'art, ne t'en fais pas. Ils voulaient juste voir comment la magie était présente dans mon corps, je crois. Pour l'étudier, tu sais. Ils ont dit que ma nature de fille d'Hécate et de sang-mêlé était différente d'autres personnes pratiquants la magie, comme Médée ou Circée qui ont reçu le don d'Hécate ou l'ont développé par elle-même. Ils m'ont aussi demandé d'utiliser un peu mes pouvoirs pour observer. C'est tout.

- Tes pouvoirs ? Mais je t'avais dit de te reposer ! Après l'entrée de Labyrinthe, Phobos et Deimos, le voyage d'ombre !

- Je sais, mais les Dactyles ne demandaient pas grand-chose. Je pouvais bien faire ça pour récupérer le poignard.

Will serra les lèvres. La désapprobation était inscrite sur son visage, Nico le voyait bien. Il repensa à leur conversation il y a une heure à peine. Il supposait qu'il ne pouvait demander à Will d'aller contre sa nature de guérisseur, ce n'était pas juste. Pourtant, il comprenait Lou Ellen, tout simplement parce qu'il aurait fait pareil à sa place. Heureusement, Will parut faire un effort et ne se lança pas dans un sermon.

- Je comprends, marmonna-t-il. Et ça va ? Pas de maux de tête ? Pas de vertige ?

- Pas trop... Un peu fatiguée, je suppose. Ça doit être le stress.

En disant cela, elle glissa un regard presque imperceptible vers Connor avant de se détourner. Nico fronça les sourcils. Il se demanda soudain si le stress dont elle parlait était entièrement dû à la quête.

- Compréhensible, dit Will qui n'avait apparemment pas remarqué. Tu devrais manger et dormir, on a acheté des sandwich.

- Oh merci par les dieux, je meurs de faim ! lança Connor.

Aussitôt, il se précipita vers les sandwichs posés sur le bureau. Ils éclatèrent de rire et le suivirent plus sobrement avant de tous s'installer à même le sol pour manger. Dos contre un des lits, Nico mordit dans le sien et ne réalisa à cet instant qu'il mourrait effectivement de faim. Il n'avait rien mangé depuis ce matin chez Naomi Solace. Et encore, il supposait que le Labyrinthe avait dû lui faire perdre la notion du temps.

- Quel jour on est ? demanda-t-il à voix haute, perturbé.

- Le 26 octobre, répondit Lacy. J'ai regardé sur un journal en venant ici.

- Le 26 ? Mais... ça veut dire...

- Qu'on est resté presque deux jours dans le Labyrinthe, compléta Will sombrement. Nos corps ont tenu sur l'adrénaline et la perte de repère temporel. Et sûrement le nectar aussi.

- Perturbant... commenta Connor en avalant presque la moitié de son sandwich en une bouchée. Bon et sinon... vous ? Ça a été pour trouver l'hôtel ? Pas de monstre ?

- Aucun. Ils sont vraiment peu nombreux depuis la guerre. Je pense qu'il faudra attendre encore quelques mois avant de les voir réapparaître.

- Tant mieux, déclara Lacy.

Lou Ellen approuva d'un hochement de tête, puis son regard s'orienta une seconde vers Will avant de se poser brièvement sur lui.

- Et vous deux... ? demanda-t-elle avec hésitation. Ça va mieux ?

- Ah oui, la crise est finie ? renchérit Connor.

Immédiatement, Nico se sentit rougir, embarrassé. Il baissa la tête et joua avec le bord de son sandwich posé sur ses genoux. C'était étrange de se dire que les autres se préoccupaient de ce genre de choses. Sous leurs faux airs détachés, il voyait bien que leur inquiétude pour lui et Will était sincère.

- Tout va bien, rassura Will avec un sourire avenant. On a bien... parlé.

« Hurlé » aurait été un meilleur terme, songea-t-il avec ironie mais il se retint en voyant les expressions sincèrement soulagées de ses amis.

- Tu veux dire que Nico a arrêté de faire la gueule assez longtemps pour décrocher trois mots ?

- Connor !

Mais cette fois, Nico se tenait prêt. Il avait encaissé assez de remarques sarcastiques de Connor sans broncher, il était temps de lui rendre la monnaie de sa pièce. Discrètement, il leva la main juste au-dessus de son genoux pour éviter de se faire repérer et fit appel à ses pouvoirs. Une silhouette commença à se matérialiser derrière Connor, comme si de la brume s'épaississait soudain, tourbillonnant dans la lueur dorée des lampes vintage de l'hôtel. Lou Ellen écarquilla les yeux et Will eut un mouvement de recul, mais ils n'eurent pas le temps d'émettre un son. Le fantôme prit de la consistance, puis se pencha par-dessus l'épaule du fils d'Hermès.

- Vous allez le finir ce sandwich ?

Connor fit un véritable bond de surprise. Avec un cri étranglé, il s'écarta brusquement et jeta presque son sandwich au plafond avant de se décaler précipitamment. Il se traîna sur deux mètres en bousculant Lacy au passage, ce qui valut un nouveau cri apeuré. Nico tenta de cacher son sourire derrière sa main, sans grande succès.

- Qu'est-ce que... C'est toi !

- Par Hadès, t'aurais dû voir ta tête !

- Oh mon dieu, je crois que j'ai reçu la tomate de ton sandwich dans l'œil, râla Lou Ellen avant de se mettre à rire elle aussi. C'était si bien trouvé, Nico ! J'aurais aimé avoir sa tête en photo !

Nico se remit à rire de plus belle. Le fantôme s'était dissout à la seconde où Connor avait fait son bond de terreur, mais son expression indignée, elle, demeurait.

- C'est ça, très drôle, bougonna-t-il. C'est bon, j'ai compris, j'arrête de me moquer.

- Pas trop tôt, dit Will avant de se tourner vers lui, amusé. En tant que docteur, je devrais désapprouvé l'utilisation de tes pouvoirs hors crise majeure alors que tu dois te reposer. En tant que copain, j'applaudis !

- Merci.

Ils échangèrent un long regard et Nico comprit que c'était la façon de Will de commencer à mettre en place ce dont ils avaient parlé : il n'avait pas besoin de surréagir à chaque fois que Nico usait de ses pouvoirs. Et en retour, il faisait attention à ne pas s'épuiser et à se mettre des limites. L'apparition de ce fantôme pendant quelques secondes ne lui avait presque rien coûté, surtout grâce à l'effet de son ventre rempli et de son corps reposé.

- Bon maintenant que tout le monde a bien rigolé, entonna Connor en ramassant sa moitié de sandwich d'un air dépité, on fait quoi demain ? On continu vers la Colchide ?

- C'est notre meilleure piste. La prophétie mentionnait des terres anciennes et Mélinoé des terres de magiciennes. La Colchide répond aux deux critères.

- Mais ça existe encore ? La Colchide ?

- Pas vraiment, répondit Lou Ellen. Aujourd'hui, ça correspond à... la Géorgie je crois.

- C'est une ville d'Italie ?

- Di Immortales, c'est un pays européen, s'indigna Nico, consterné. Même moi qui ait grandi dans un casino, je le sais. On vous donne des cours de géographie au moins ?

- Eh n'insulte pas le système éducatif américain !

Pour toute réponse, Nico le dévisagea. Connor pencha la tête sur le côté, l'air de revoir ses paroles.

- Hum, marmonna-t-il, si en fait tu peux le remettre en question. (Il se tourna à nouveau vers Lou Ellen). Donc la Géorgie ? C'est loin ?

- Ce n'est pas à l'autre bout de la terre, mais ce n'est pas non plus la porte d'à côté... Il faudrait sûrement reprendre le Labyrinthe.

- Quoi ? s'exclama Will.

Lou Ellen grimaça.

- C'est le moyen le plus rapide... Je doute que Phobos et Deimos y trainent encore.

- Il n'y a pas qu'eux qui m'inquiètent.

- Je sais... Mais il reste quatre jours pour retrouver et retourner les torches. On ne peut pas se permettre de traverser l'Europe.

Du coin de l'œil, Nico percevait la réticence de Will qui semblait émaner de lui par vagues. Il comprenait. Lui non plus n'avait pas envie de retourner encore une fois dans le Labyrinthe. Il avait l'impression qu'il ne pourrait jamais vraiment laissé derrière lui la création de Dédale, comme s'il n'était jamais vraiment sorti de ses couloirs obscurs. Le Labyrinthe avait vu ses premiers pas en tant que demi-dieu alors qu'il y déambulait, la colère accrochée à ses pas et le fantôme de Minos attachée à son oreille, lui chuchotant milles mensonges. Y revenir aujourd'hui lui faisait l'effet de retourner en arrière, piégé dans une boucle étrange.

- Bon, si on reprend le Labyrinthe demain matin, autant aller dormir, déclara Connor. Ou Lacy va s'endormir sur la moquette.

En entendant son nom, Lacy cligna des yeux et rougit.

- Désolée...

- Oh non, miss Brown, pas excuse. T'as mené à bien ta mission face au vigile aujourd'hui ! Tu mérites ton repos !

- Ce n'était pas grand-chose...

- T'as affronté Phobos avec moi, intervint alors Nico spontanément. Quand il nous a ensorcelé pour nous mettre en colère. Et t'as résisté. Sans toi, je n'aurais sûrement pas terminé combat dans le même état.

Ses compliments durent prendre Lacy de court car elle le fixa, bouche entre ouverte. Il savait qu'elle en avait déjà reçu des autres depuis le début de leur quête, notamment de la part de Will, mais les siens parurent lui faire plus d'effet. Ce constat l'amusa. Il savait qu'il renvoyait une image plus renfermé et taciturne, sûrement impressionnante pour quelqu'un comme Lacy. Pourtant, il ne mentait pas. Son assurance face à Phobos l'avait frappé. Mais comme elle l'avait dit après tout, seul l'amour pouvait s'opposer à la guerre et gagner la bataille.

- Contente d'avoir aidé, murmura finalement Lacy, touchée.

- Pour la peine, tu mérites de choisir ton lit. Allez, miss Brown.

Nico se leva en même temps que les autres. Connor, Lou Ellen et Lacy leur firent un signe de la main puis se dirigèrent vers la porte pour rejoindre leur propre chambre. Dès que Will referma le battant derrière eux, il se mit à rire.

- Par les dieux, cette tête de Connor ! Exceptionnel !

- Ca lui apprendra surtout. Il y réfléchira peut-être à deux fois avant de faire une remarque idiote.

- En même temps, il avait raison, t'as fait la gueule toute la journée.

- Eh, on ne va pas revenir là-dessus, protesta-t-il en ayant bien conscience d'avoir l'air d'un enfant capricieux.

Will sourit. Il s'approcha à nouveau, mains tendues, et Nico le laissa prendre les siennes et l'attirer contre lui. Son esprit conjura l'image d'eux il y a une heure avant le retour des autres, allongés sur le lit juste derrière lui à moitié endormis et une chaleur familière envahie son ventre. Pour cacher la rougeur de son visage, il l'enfouit dans le cou de Will, ce qui n'était pas bien difficile puisqu'il était bien plus grand que lui. Ce dernier referma ses bras autour de son corps en riant.

- Non, promis, on n'en parle plus, assura-t-il. Alors tu veux quel lit ? Celui près de la fenêtre pour pouvoir tuer les monstres volants qui tenteraient de rentrer ou celui près de la porte pour pouvoir tuer Connor quand il viendra nous réveiller demain ?

Pour toute réponse, Nico marmonna des mots intelligibles contre la peau de Will, même pour lui.

- Quoi ?

- J'ai dit, articula-t-il à voix basse en s'écartement légèrement, que je voulais le lit dans lequel tu dormirais.

- Tu... oh...

L'expression de surprise de Will valait presque celle de peur de Connor. Pourtant, sa gêne et son appréhension l'empêchaient de vraiment la trouver amusante. Nerveusement, il baissa les yeux, regrettant déjà d'avoir dit cela à voix haute. Comme si elles répondaient à son malaise, les ombres commencèrent à se masser à ses pieds et Will réagit enfin.

- D'accord ! Pas de problème ! dit-il précipitamment. On peut... on peut pousser les lits côte à côte ? Non ?

- Si...

- Génial, faisons ça !

Et sans attendre, il contourna le premier lit pour passer derrière le second. Avec un temps de retard, Nico l'imita et, tous les deux, ils poussèrent le sommier pour combler l'espace qui séparait les deux lits. Ils contemplèrent leur œuvre quelques secondes, visiblement incapable de se décider à être le premier à aller se coucher, et Nico se retrouva à piétiner sur place. Heureusement, l'enthousiasme de Will paraissait à toute épreuve.

- Au moins, on aura plus de place que dans mon lit à Harmony. Et les draps ne sont pas sur Star Wars.

- J'aimais bien pourtant les petits robots, se moqua-t-il, incapable de retenir le sourire qui filtra dans sa voix.

Will tourna la tête en plissant les yeux. Pour toute réponse, il passa un bras autour de ses épaules et le fit basculer sur le matelas en faisant peser tout son poids sur lui. Nico glapit de surprise, mais eu la présence d'esprit de se retourner à la dernière seconde. Il atterrit sur le dos et d'agrippa au-devant du t-shirt de Will pour le faire basculer à son tour. Seul inconvénient ? Il n'avait pas prévu que Will l'écrase au passage et lui enfonce son coude dans les côtes.

- Rah aïe ! s'exclama-t-il.

- Oh désolé !

Immédiatement, Will se redressa sur ses avant-bras, l'air coupable. La scène devait être tellement ridicule que Nico ne put s'empêcher de rire malgré la douleur de son flanc droit.

- Tais-toi, je l'ai pas fait exprès ! Nico ! C'est de ta faute !

- C'est ça, Solace. Tu parles d'un guérisseur.

- Tu remets ma vocation en cause ?

- Peut-être bien... rétorqua-t-il, horriblement conscient qu'ils étaient sûrement en train de flirter ensemble.

Et son cœur s'emballa lorsque Will confirma sa pensée en déclarant avec un rictus :

- Faudrait sûrement que je te fasse taire pour ça.

- Essaye toujours, défia-t-il.

- Par les dieux...

Sans attendre, Will se pencha et écrasa ses lèvres contre les siennes. Il écrasa aussi son corps avec le sien, mais d'une toute autre façon qu'il y a quelques secondes. Cette fois-ci, il n'y avait aucune douleur, juste une envie sourde et un désir profond de sentir Will près de lui. La poitrine comprimée par une euphorie étrange, il se fondit dans le baiser, répondant aux lèvres qui se mouvaient contre les siennes avec avidité. Il avait envie de bouger les mains, de faire quelque chose, mais il ne savait pas quoi. Au lieu de ça, il continua à embrasser Will sans concession. Il lui donnait tout ce qu'il avait à l'instant, tout ce que sa peur viscérale l'avait empêché de faire jusque-là. Will s'écarta une seconde, l'air fier de lui.

- Plus rien à dire, Di Angelo ?

- Mon docteur m'a recommandé le silence...

- Quel génie, approuva Will.

- Tu te fais vraiment un compliment à toi-même dans un moment pareil ?

- Je retire ce que j'ai dit, continue à ne rien dire, lança-t-il en capturant à nouveau ses lèvres.

Ils continuèrent à s'embrasser ainsi de longues minutes. A un moment, Will s'était juste écarté pour éteindre la lumière de chevet à côté d'eux, les plongeant dans une obscurité seulement percée par les lueurs argentées de la lune filtrant par la fenêtre dont les rideaux n'avaient pas été tirés.

Nico n'aurait même pas su dire si le temps passait vraiment, trop étourdi par les sensations qui s'éveillaient à lui. Ils ne se reculaient que pour prendre des inspirations tremblantes avant de se retrouver dans ses baisers à la fois lents, rapides, passionnés, légers, intenses, chastes... Parfois, Will dérivait quelques secondes vers son visage et son cou, mais il revenait vite, juste le temps pour qu'il reprenne son souffle.

- Will... laissa-t-il échapper au milieu d'un baiser.

- Hum ?

Il déposa ses lèvres entre-ouvertes, presque brûlantes contre sa peau, juste au-dessus de sa clavicule. Nico déglutit.

- Je... je veux...

- Dis-moi.

Comme si c'était simple, pensa-t-il, frustré. Les doigts de Will se mirent alors à courir le long de son bras, remontèrent jusqu'à son épaule puis s'attardèrent sur le côté de son cou. Il émit un soupir prononcé, incapable de contrôler sa respiration devenue trop rapide pour son cœur battant. Lentement, Will fit redescendre sa main en une longue traînée de feu avant de la laisser reposer au niveau de sa hanche. Nico sentit sa peau s'embraser. Il percevait la chaleur de la paume posée négligemment et pourtant si fermement sur lui, si proche de la bordure de son pantalon. Il n'avait même pas réalisé jusque-là que son t-shirt noir avait révélé une bande de peau, mince mais bien à portée de main. Littéralement.

- Si tu veux arrêter... murmura Will en une question muette.

- Je...

- Y'a aucun problème, on peut arrêter. Vraiment.

Il le regarda droit dans les yeux, les pupilles dilatées, et Nico eut l'impression de ressentir la peur et l'envie lutter au creux de son ventre en un combat infernal.

- Je ne sais pas...

- Tu ne sais pas quoi ? demanda Will avec douceur. Si tu veux continuer ou arrêter ?

- Hum...

Par les dieux, il n'arrivait pas à faire dépasser à ses mots le barrage qui lui obstruait la gorge. Dans la pénombre, qui était habituellement son royaume, il se retrouvait tétanisé. Mais ce n'était pas comme les autres fois où son cerveau lui interdisait de surmonter sa peur. Les autres fois, il n'avait pas eu Will pressé contre lui. Il n'avait pas ressenti la moindre de ses respirations se déployer en écho dans son corps, il n'avait pas goûté ses lèvres et sa langue avec autant de lâchée prise.

- Eh, Nico, regarde-moi, souffla Will. Arrête de penser si fort.

- Désolé... s'excusa-t-il instantanément.

- Non, non, je ne voulais pas dire... On a le temps. Vraiment. On peut juste continuer comme ça ce qu'on est en train de faire ou s'arrêter maintenant. Ce n'est pas grave. De toute façon, moi non plus je ne veux pas... enfin tu vois...

- Tu ne veux pas... ?

Will se mit à rire. Le son résonna dans sa poitrine.

- Dans un hôtel italien en plein milieu d'une quête sans en avoir parlé avant ? dit-il en haussant un sourcil. Non, c'est hors de question. Par contre, continuer à t'embrasser comme ça ne me pose aucun problème.

Comme pour prouver ses paroles, il déposa un baiser aussi vif que léger sur ses lèvres.

- Mais seulement si tu le veux aussi... ajouta-t-il d'un air entendu. Et surtout, tu n'as pas à dire oui pour moi.

Il n'était pas sûr que Will comprenne à quel point il en avait envie aussi. Il savait qu'il n'avait qu'un mot à dire pour qu'il s'écarte et que ce moment se termine sans aucune conséquence, et c'était peut-être parce qu'il savait parfaitement ça qu'il n'avait pas envie d'arrêter tout de suite.

- Si, je le veux, articula-t-il finalement. Mais est-ce que je peux... ?

- Oui ?

Frustré de ne pas réussir à s'exprimer, il agit. D'une main ferme, il poussa légèrement Will pour le faire assez reculer avant de le déséquilibrer d'un mouvement de hanches appris en cours de combat. Il guida la rotation du corps de Will jusqu'à ce qu'il se retrouve sur le dos, là où il s'était lui-même trouvé une seconde auparavant, et qu'il soit assis en travers de ses genoux avec une jambe de chaque côté.

- Woh... lâcha Will, surpris.

- Mieux comme ça, apprécia-t-il.

- Pourquoi tu ne l'as pas dit avant... ?

Mais Nico ne prit pas la peine de répondre. Maintenant qu'il se trouvait là où il voulait, libre de ses mouvements et de la direction que les choses pouvaient prendre entre eux, il s'en trouvait plus léger. Sans attendre, il se pencha en posant une main sur le ventre de Will pour garder l'équilibre et se remit à l'embrasser. La question de Will se retrouva abandonnée, balayée par leur désir. Il tenta d'entre-ouvrir les lèvres plusieurs fois, glissant sa langue en une tentative timide et curieuse entre les siennes, avant de se rétracter face à la sensation peu familière de leur langue se caressant. Il préféra s'en tenir aux baisers qu'il connaissait et avait appris à aimer pour leurs effets. Pourtant, même là, tout lui paraissait d'une nouveauté grisante. Moins intimidante aussi maintenant que Will se retrouvait sous lui et qu'il pouvait se mouvoir comme il l'entendait. Il l'avait plus la pression de ne pas savoir quoi faire de ses mains qui reposaient désormais pour le maintenir en équilibre entre le ventre et le torse de Will. Il pouvait imposer son rythme.

Se sentant soudain audacieux, il décida d'imiter ce que Will avait fait il y a quelques minutes et dévia ses lèvres vers d'autres horizons. Il commença par les déposer sur le coin de sa bouche, ses joues, son cou... Il alla aussi loin que les bords du t-shirt de Will lui permettait en entendant le souffle erratique de ce dernier. Il commençait à avoir les lèvres douloureuses, mais c'était une douleur enivrante. Alors qu'il continuait à goûter la peau de Will, celui-ci leva la main pour tirer brusquement sur son col, lui donnant un meilleur accès à sa clavicule. Nico sourit contre sa peau, amusé.

- Aucun commentaire, le menaça Will.

- Je n'ai rien dit...

- Et pourtant, je peux presque t'entendre.

Le sourire de Nico s'agrandit. Il réalisa qu'il n'avait peut-être pas autant sourit depuis longtemps. Une émotion indescriptible gonfla dans sa poitrine, chaleureuse et accablante. Il aurait voulu enlever son t-shirt à Will, parcourir toute sa peau, aller encore plus loin dans sa découverte... Mais pas ce soir. Il joua quand même avec le bord du vêtement quelques secondes et Will dut sentir son hésitation car sa main vint recouvrir la sienne avec bienveillance.

- On arrête là ? suggéra-t-il.

Et Nico fut soulagé que la proposition vienne de lui. Doucement, il hocha la tête et se laissa glisser à ses côté dans leur lit double improvisé. Il avait le corps douloureux et détendu d'un désir nouveau... Will déposa un dernier baiser sur ses lèvres.

- Bonne nuit, Nico, murmura-t-il.

- Hum... bonne nuit... Et Will ?

- Oui ?

- Merci...

Il y avait tant de choses derrière ce simple mot. Tant de réalités différentes : merci d'être venu vers moi, merci de ne pas m'avoir laissé seul, merci de m'avoir sauvé des ombres, merci de nous laisser être nous... Et, comme d'habitude, Will parut comprendre.

**

*

- Bon, vous êtes prêts à retourner là-dedans ?

D'un même mouvement, ils contemplèrent l'entrée du Labyrinthe au cœur de Rome que les Dactyles leur avaient indiqué la veille. Nico pouvait presque sentir le pouvoir qui émanait de la fissure dans le mur en face de lui. Autour d'eux, les mortels passaient d'un pas pressé sans paraître remarquer quelque chose d'inhabituel et il supposait que la Brume faisait bien son travail.

- Il le faut bien, déclara Lou Ellen, tête haute. On a tout ? Nectar, ambroisie, trousse de secours, vivres, eau et le poignard ?

- Oui, madame ! assura Connor.

C'était lui qui gardait le poignard des Dactyles accroché à sa ceinture, juste à côté de son mousqueton, car Lou Ellen refusait de s'en approcher. Nico la comprenait. Lui aussi se serait senti mal à l'aise si un objet qui pouvait lui enlever ses pouvoirs se trouvait à proximité.

- Alors allons-y. Tout le monde reste groupé !

- Ca veut dire que je dois tenir la main de Nico ? se moqua Connor.

- Si tu veux la perdre, essaye toujours, rétorqua-t-il.

- Et si c'est celle de Will ?

- Tu veux que je refasses apparaître un fantôme pour te tenir compagnie ?

Connor grimaça.

- Non, ça ira... Lacy, viens, je vais te tenir la main.

- Je vais bien, fit la fille d'Aphrodite d'une voix trop détachée pour cacher son amusement, je reste avec Will.

Comme preuve, elle leva leur main jointe. Nico retint un rire amusé devant la mine déconfite de Connor alors que Will lui adressait un clin d'œil. Il trouvait adorable le lien qui semblait s'être tissé entre Lacy et son copain au fil de cette quête.

- T'as qu'à tenir la main de Lou Ellen, Connor, lança-t-il alors comme une revanche personnelle.

Il sut qu'il avait tapé dans le mille en voyant le teint des deux intéressés se marbrer de rougeurs. Lou Ellen se râcla la gorge, embarrassée.

- Bon, on y va.

Et sans attendre, elle s'engouffra dans la brèche juste assez grande pour les laisser passer. Nico lui emboita la pas. Pendant une seconde, il ne fut entouré que par l'obscurité et il perdit ses repères. Il continua pourtant à avancer, main contre le mur, sentant le sol s'enfoncer sous terre sous ses pieds. La sensation désormais familière de pénétrer dans une structure aussi puissante et ancienne se répandit en lieu. Il eut l'impression d'entendre les esprits s'agiter autour de lui. Enfin, il ressortit de la pénombre pour arriver dans une vaste salle circulaire.

Elle était tellement énorme qu'elle aurait pu en contenir une cathédrale et Nico s'arrêta net, pris par le spectacle qu'offrait la hauteur sous plafond en forme de dôme carrelé de mosaïque. Derrière lui, Connor manqua de lui rentrer de dedans.

- Zeus tout puissant, laissa-t-il échapper en sifflant, impressionné. Où est-ce qu'on est... ?

- Aucune idée. Le Labyrinthe possède des milliers et des milliers de pièces. C'est juste l'une d'entre elles.

- « Juste »...

A leur tour, Will et Lacy émergèrent. Leurs réactions furent les mêmes : ils ouvrirent de grands yeux, ébahis.

- Y'a pas à dire, commenta Will, Dédale savait construire...

- Annabeth aurait fait mieux, dit Connor avec conviction.

- C'est un peu du chauvinisme, non ?

- Complètement.

Nico leva les yeux au ciel. La beauté de la pièce irradiait. Il ne savait même plus où regarder entre les motifs dorés peint sur les murs et le carrelage coloré du sol. Curieux, il se mit à tourner sur lui-même, englobant l'espace du regard. Ils paraissaient tous minuscules au milieu de la pièce.

- On devrait aller par où à votre avis ? demanda Lacy.

- Par-là, je dirais, répondit Lou Ellen. Je le sens, on va dire. Avec un peu de chance, c'est ma mère qui me guide et pas mon cerveau fatigué.

- Une chance sur deux, ça me va, dit Connor avec un hochement de tête confiant.

Ils allaient tous se diriger vers le premier tunnel sur leur droite lorsque Nico entendit soudain un bruit. Un bruit de hurlements de colère. Il se figea.

- Oh allez, on est là depuis deux minutes, maudit Connor en sortant son épée.

Il l'imita, devinant avant même qu'elles n'arrivent l'identité de celles à l'origine des hurlements. Il les avait déjà entendus après tout. Confirmant ses pensées, les Propétides surgirent alors, comme elles l'avaient fait dans la grotte de Mélinoé, toutes dents dehors. Elles avaient l'air encore plus échevelées qu'avant : leurs cheveux étaient emmêlés, leur bouche couverte de sang et leurs yeux rendus fous par la folie.

- Ils sont là ! s'écria l'une d'elle. Vous avez été durs à suivre, sang-mêlés, mais vous ne nous échapperez pas une seconde fois !

- C'est toi qui le dit, rétorqua Connor. T'as fait un peu couler ton rouge à lèvres, attention.

Nico grimaça en avisant le sang qui maculait le visage des Propétides. Il essayait de ne pas penser à la légende qui les prétendait cannibale, mais c'était assez dur à ignorer dans ce cas précis.

- Tu crois que nous avons toujours été ainsi, demi-dieu ? intervint une des femmes à la chevelure brune abondante. Détrompe-toi ! Aphrodite nous a fait ça ! Elle nous a maudit pour l'éternité !

- Quoi ? lâcha Lacy.

Elle avait légèrement abaissé ses dagues et Nico jura à voix basse. Discrètement, il se décala vers elle pour assurer sa protection et repéra Will qui visait la Propétide qui venait de parler. Celle-ci s'avança d'un pas langoureux et se mit à raconter :

- Tu ne connais notre histoire avec ta mère ? Ou n'as-tu jamais eu la considération de chercher ?

- Elle vous a transformé en pierre...

- Exact. Pendant près de mille ans, nous sommes restées figées sur notre île de Chypre, prisonnière du sort que nous avait infligé une déesse jalouse de notre liberté ! Sais-tu ce qu'Aphrodite nous reprochait ? De ne pas célébrer son culte comme elle l'aurait voulu ! Tout ça parce que nous étions libres et voulions pratiquer la magie sur les hommes qui tentaient de s'en prendre à nous ! Nous qui donnions nos corps contre des cadeaux, nous dont les corps étaient souvent abusés !

- La magie ? répéta Lou Ellen, alerte.

Nico lui fut reconnaissant de poser la question. Lui aussi avait tiqué sur ce détail.

- Oui, la magie. Mais contrairement à d'autres, nous n'étions pas soutenues par Hécate. Elle n'a rien fait pour nous aider à échapper à notre malédiction, alors aujourd'hui nous la privons de ses torches. Voyons si elle arrive toujours à guider les âmes sans ses précieux attributs !

Elle était donc là, la motivation des Propétides. Ce n'était pas étonnant : la vieille rengaine et rancune contre une déesse toute puissante.

- Toi aussi tu devrais faire attention, fille d'Aphrodite. Si tu ne corresponds pas aux attentes de ta mère, tu pourrais affronter aussi sa colère injuste.

- Et moi je vous conseille de la laisser tranquille, déclara Connor en voyant Lacy blêmir.

Comme la dernière fois, ce fut lui qui porta le premier coup. Nico commençait à connaître son style de combat : vif, surprenant, instinctif. Un reflet de sa personnalité de fils d'Hermès. Aussitôt, les Propétides attaquèrent et il se jeta dans la bataille.

Il porta un coup à la Propétide la plus proche qui recula hors de sa portée, feulant comme un chat furieux. Il ne lui laissa pas le temps de se stabiliser et revint à la charge, l'épée brandie. Il entailla son avant-bras alors qu'elle roulait sur elle-même pour s'écarter. Agacé, il tenta une autre approche. Il se souvenait avoir vu Jason attaquer comme ça un jour et, sans réfléchir, il se laissa glisser au sol pour être à sa hauteur avant de poser sa main au sol. La Propétide suivit son mouvement et un éclair de peur traversa son visage. Ils savaient tous les deux que le Labyrinthe regorgeait de victimes. Et il savait qu'elle avait perçu son aura de fils d'Hadès à la seconde où elle s'était approchée de lui. Pourtant, trop concentrée à attendre la manifestation de son pouvoir, elle ne fit plus attention à son autre main. Celle qui détenait toujours son épée en fer stygien. Sans attendre, il la leva à nouveau et asséna sa lame avec force à travers son corps. Elle poussa un cri perçant en volant en poussière.

- Nico ! hurla brusquement Lou Ellen.

Il fit volte-face. Elle se tenait contre un mur, tenant deux Propétides en respect avec sa magie, et il suivit son regard. Son cœur dévala dans son estomac. A quelques mètres, Will avait abaissé son arc, incapable de viser à portée courte alors que la Propétide brune s'avançait vers lui de cette même démarche langoureuse. Elle n'était plus qu'à un mètre de lui, deux lames grossières dans chaque main. Il se précipita vers eux.

- Tu vas voir ce que nous faisions aux hommes, sang-mêlé, proclamait-elle. Ils hurlaient de plaisir avant d'hurler de douleur.

Will déglutit et recula d'un pas. Ses yeux se portèrent par-dessus l'épaule de la femme et il le repéra alors. Nico lui adressa un hochement de tête.

- C'est une technique de drague ? lança-t-il. Parce que désolé, j'ai déjà un copain...

La Propétide eu un mouvement d'arrêt, l'air surprise, et Nico ne feinta pas cette fois-ci. Il tira sur ses pouvoirs au fond de lui, sentant les morts enterrés par les siècles répondre à son appel. Une main squelettique surgit alors de terre pour attraper la cheville de la Propétide. Elle lâcha un cri de surprise et baissa les yeux.

- Non ! se récria-t-elle, horrifiée. Non !

Elle se retourna à demi, incapable de plus à cause de sa cheville, et leurs regards s'accrochèrent. Nico poussa l'audace jusqu'à lui sourire sinistrement. D'un geste, il resserra la prise de la main, puis fit un mouvement sec du poignet. La main squelettique l'imita d'un tour brusque. En écho, le craquement de l'os de la Propétide se répercuta aussi violemment que son hurlement de douleur tandis qu'elle s'effondrait à terre. Derrière, il vit Will tressaillir, blême. Pourtant, ça ne l'empêcha pas d'avoir la présence d'esprit de s'écarter d'elle. Son arc à nouveau armé, il le rejoignit.

- Il y a des squelettes sous nos pieds, c'est ça ? dit-il immédiatement.

Nico n'arriva pas à interpréter son ton. Il se contenta d'hocher la tête.

- Combien ?

- Aucune idée... Des centaines. Le Labyrinthe était une arme mortel redoutable.

- Bien. Tu t'en sens capable ?

Il mit une seconde à comprendre le sens réel de la question. Il le dévisagea.

- Tu veux que je... ?

- Seulement si tu t'en sens capable, prévint Will. Tu m'as dit de te faire confiance, alors...

Nico n'eut pas besoin de plus. Il leva ses mains encore plus haut et tira. La terre s'ouvrit sous ses ordres : des dizaines de squelettes surgirent brusquement dans un concert d'os cliquetants et de mâchoires décharnées claquant entre elles. Les morts endormis se levèrent. Toujours au sol, maintenue par sa cheville blessée, la Propétide brune écarquilla les yeux.

- Enfant des Enfers ! cracha-t-elle avec furie.

- Précisément ! lui rétorqua Connor, goguenard, en passant près d'elle. Et regarde un peu !

Elle n'eut que le temps de se retourner avant qu'un squelette au casque spartiate ne lui enfonce sa lance en travers de la gorge. Will eut un haut le cœur à côté de lui. De son leur côté, Lacy et Lou Ellen repoussaient les Propétides restantes, parant et attaquant sans relâche. L'armée de squelette se déploya le long de la vaste pièce tandis que Nico restait campé sur ses jambes, puisant dans ses forces pour en faire surgir de nouveaux.

- Doucement, enjoignit Will d'un ton prudent. Ne tire pas trop sur la corde....

Pour toute réponse, il acquiesça. Il allait relâcher un peu la pression lorsque qu'une des Propétides se saisit soudain de Lacy. Tout se passa trop vite. Une seconde, elle était en train de se battre ; la suivante elle se retrouvait avec un couteau sous la gorge. Le temps parut s'arrêter. Ou du moins, leur groupe s'arrêta. Les squelettes continuèrent leurs combats tandis que Nico se figeait, tout comme les autres.

- Assez joué, demi-dieux ! Les Propétides auront leur vengeance sur Aphrodite ! Sur Hécate ! Et sur toutes les déesses qui nous ont regardé nous changer en pierre sans rien faire simplement pour avoir voulu être des femmes aussi libres qu'elles !

- Non ! hurla Lou Ellen.

Comme au ralenti, Nico la vit faire un pas en avant tandis que la Propétide levait son couteau. Il sut en un instant qu'elle ne serait pas assez rapide. Et alors que la lame s'abattait, implacable, il tenta l'impossible en amassant les ombres autour de lui pour les dresser comme un mur autour de Lacy. Cette dernière écarquilla les yeux au moment même où une voix éthérée se mit à résonner, venue de nulle part et partout à la fois, comme désincarnée :

- A l'amour comme à la guerre. Sois le poignard qui frappe littéralement au cœur, mon enfant.

Le temps parut encore un peu plus ralentir. Nico eut à peine le temps de maintenir les ombres en place et de reconnaître au fond de son esprit la voix d'Aphrodite que Lacy s'était mis en mouvement. Grâce à sa petite taille, elle pivota sur elle-même et sa dague sembla se matérialiser dans sa main. La Propétide ne vit pas le coup venir, aveuglée par le mur obscur, et n'émit qu'un hoquet de stupeur lorsque Lacy enfonça la lame droit dans son cœur. Et alors qu'elle volait en poussière, son sang gicla sur le visage de la fille d'Aphrodite, aussi écarlate que les nuances de l'amour et de la guerre.
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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par annabethfan »

Je poste sûrement dans le vide ici mais well...

Chapitre 18 : Et le prince des voleurs devint roi


Connor ressortit à l'air libre, le corps tremblant. Pourtant, il prit à peine le temps de faire un pas avant de se retourner et d'attraper la main de Lacy pour la tirer derrière lui. Elle s'effondra presque contre lui. Derrière eux, Nico, Will et Lou Ellen émergèrent à leur tour du Labyrinthe. Leurs expressions devaient refléter les émotions qui se trouvaient sur la sienne : le choc, la peur, le soulagement. Il n'avait pas cru possible qu'ils sortent tous de là vivants à la seconde où la Propétide avait saisi Lacy et lui avait placé un couteau sous la gorge. Mais il n'avait pas prévu non plus le mur d'ombre de Nico, ni l'intervention d'Aphrodite en personne. Enfin en personne... Il exagérait. Les Dieux ne pouvaient pas communiquer ni entrer en contact direct avec les mortels, il l'avait compris ces derniers mois. Aphrodite avait joué un peu avec les règles, mais il supposait qu'elle était la spécialiste des moyens détournés. L'amour n'était jamais sans ruses après tout.

- Ca veut pas partir... ça veut pas partir... balbutia soudain Lacy en se frottant frénétiquement le visage.

Le sang de la Propétide qu'elle avait poignardé en plein cœur maculait encore sa peau en de grandes traînées écarlates. Connor ressentit littéralement un coup à l'estomac en voyant sa détresse et il lui attrapa la main pour la faire cesser.

- Attends, doucement miss Brown...

- Enlève-le !

- Lacy, calme-toi, enjoignit Will avec douceur. Viens-là, je vais t'aider.

Instable, Lacy s'approcha de lui. Il lui saisit les épaules et l'entraîna quelques pas à l'écart avant de sortir une bouteille d'eau et des mouchoirs de son sac. Ils se contentèrent de les regarder, démunis. Connor secoua la tête.

- J'ai cru... je vous jure, une seconde j'ai cru qu'elle...

- Moi aussi, avoua Lou Ellen. Sans Aphrodite... sans toi, Nico...

- Je lui ai simplement fait gagner du temps. Elle l'a poignardé toute seule.

- N'empêche, le mur... C'était impressionnant et... Nico !

Connor se retourna à moitié juste à temps pour voir le fils d'Hadès s'affaisser contre Lou Ellen. Elle lui passa une main dans le dos pour le soutenir et il réalisa avec malaise qu'elle y arrivait bien trop facilement pour quelqu'un de si petite. Nico avait peut-être repris du poids depuis la fin de la guerre, mais il flottait encore bien trop dans son t-shirt noir.

- Eh, petit prince ? Tout va bien ?

- Oui... juste...

Il serra les dents, comme s'il se battait avec lui-même, avant de soupirer.

- J'ai juste besoin d'ambroisie et de nectar. Dès que Will aura terminé avec Lacy, dites-lui de venir me voir.

Connor cligna des yeux, surpris. Il ne s'était pas attendu à ce que Nico avoue avoir besoin d'aide si facilement. Peut-être que sa conversation avec Will dans l'hôtel à Rome lui avait fait plus de bien qu'il ne le pensait. Dans tous les cas, l'aveu devait déjà lui coûter car il s'éloigna lui aussi pour aller s'assoir dans l'herbe et ni lui ni Lou Ellen n'osa le suivre.

Brusquement, Connor se demanda où ils étaient. Il se mit à tourner sur lui-même. Il se trouvait au milieu de nulle part dans une étendu d'herbes balayée par un vent iodé. Quand il se retourna complètement, il vit alors la falaise qui surplombait la mer. Le bruit des vagues lui emplit soudain les oreilles et il se demanda comment il ne l'avait pas remarqué avant.

- On est... en bord de mer ? déduisit-il.

- Perspicace... commenta Lou Ellen. Non, je crois qu'on est en Colchide. Ça y est.

La main en visière devant ses yeux, elle observait le paysage. Ses cheveux noirs lui battaient les épaules, pris par le vent côtier, et il retint l'impulsion de la regarder plus longtemps. Il la revoyait assise dans l'atelier des Dactyles, l'air terrifié mais déterminée à sortir ce qu'elle avait sur le cœur. Et ça le rendait malade parce qu'elle avait eu peur de lui. De sa réaction. Il ne pouvait pas l'en blâmer. Il n'avait pas toujours été réglo avec elle : il savait qu'elle avait le béguin pour lui plus jeune, il en avait joué plus d'une fois ; puis ils avaient grandi et elle s'était affirmée, il en était venu à la considérer comme une amie fidèle à la Colonie... Et puis Travis était parti. Son monde avait volé en éclats, il en avait regardé les débris sans savoir comment les ramasser ou les recoller entre eux. S'il n'était plus une partie des « jumeaux Alatir », il ne savait plus ce qu'il était. Cette période n'avait pas été facile. Il avait eu l'impression d'en vouloir à la terre entière : à son frère, à sa mère, à son père, à Luke, aux Dieux, à la Colonie... Lou Ellen l'avait vu. Elle n'avait pas cherché à le confronter, elle s'était juste tenue à ses côtés tout l'été, infaillible et drôle. Elle avait fait en sorte que le mois de septembre soit le plus normal possible en multipliant les activités avec lui. Sans elle, il n'était pas sûr qu'il aurait réussi à surmonter sa colère pour se réconcilier avec Travis pendant leur quête improvisée pour sauver Alice.

Penser à la quête lui fit penser à Dylan. A Dylan et Travis. Il avait eu tendance à se moquer de son frère en constatant ses sentiments, mais il en voulait aussi à Dylan d'être partie sans rien dire, en laissant son frère comme ça. Aujourd'hui, même s'il n'était pas parti, il se demandait s'il n'avait pas la même réaction de fuite face à la confession de Lou Ellen. Elle lui avait avoué ses sentiments et il n'avait pas su comment réagir... Il n'était même pas sûr d'être prêt à s'engager dans tout ce que demandait une relation. Leah lui avait bien fait comprendre lorsqu'elle avait rompu avec lui qu'il n'était pas le petit ami idéal. Drew n'avait été qu'un baiser un peu physique un soir de solitude. Lou Ellen méritait mieux.

- Eh Connor. Tu m'écoutes ?

- Quoi ? sursauta-t-il.

Lou Ellen plissa les yeux.

- Tu vas bien ? Les Propétides... ?

- Non, non, elles m'ont rien fait. Désolé, j'étais... plongé dans mes pensées. (Il se râcla la gorge, gêné). La Colchide du coup ? T'es sûre ?

- Disons que je le sens, nuança-t-elle, l'air toujours suspicieuse. Les torches ne doivent pas être loin...

- C'est vrai ? intervint soudain Lacy en revenant vers eux tandis que Will se glissait aux côtés de Nico un peu plus loin.

Connor se tourna vers elle. Les traces de sang avaient disparu de son visage, mais il pouvait voir des larmes humides dans ses prunelles caramel et son cœur se serra à nouveau. Il tenta de se rappeler de la sensation qu'il avait eu lorsqu'il avait tué un monstre pour la première fois. Il ne s'en rappelait pas, réalisa-t-il alors, perturbé. Il se souvenait de son premier combat contre une chimère en colère, mais il avait été avec Travis et le satyre qui les avait amenés à la Colonie. C'était lui qui avait réussi à se débarrasser du monstre. De manière générale, il avait toujours été avec Travis. Peut-être que c'était pour cela que les choses lui avaient toujours parues moins traumatisantes : son grand frère avait été à ses côtés.

- Oui, je perçois leur pouvoir, dit Lou Ellen en balayant les alentours du regard. Elles sont toutes proches...

- Ca veut dire que Médée, Pasiphaé et Circée le sont aussi...

- Belle déduction, fils d'Hermès. Mais avant d'arrivée jusqu'à elles, il faudra d'abord passer un dernière obstacle : moi.

Connor fit volteface. Il mit une seconde à trouver la voix et encore une à apercevoir l'homme qui venait d'émerger des arbres un peu plus loin. Il était grand avec une silhouette fine et élancée. Au début, Connor crut qu'il s'agissait d'un vieillard à cause de ses cheveux argent, mais l'homme le détrompa en s'approchant. Il saisit son épée en même temps que les autres. A sa gauche, Nico s'était remis sur ses pieds et il espéra que Will avait eu le temps de lui redonner un minimum de forces.

- N'approchez pas ! ordonna Lou Ellen, autoritaire. Qui êtes-vous ?

- Ravale tes ordres, fille d'Hécate. Je ne suis pas à ton service. (Il sourit, ironique et sinistre à la fois). Disons même que je suis le gardien des torches.

- Le gardien de Médée, Circée et Pasiphaé vous voulez dire, lança Connor avec condescendance.

L'homme vrilla son regard sur lui. Il avait le menton long et le nez pointu, ce qui lui donnait un air d'oiseau de proie.

- Ah le voici. Nous entendons parler de votre petit groupe depuis un moment, mais tu étais celui qui m'intéressait le plus, petit frère.

Il eut l'impression de se prendre le surnom en pleine tête et écarquilla les yeux.

- Comment... comment vous m'avez appelé ?

- Petit frère voyons. Oh ne t'en fais pas, je suis sûr que notre père aurait été fier de moi aujourd'hui. Après tout, je fais honneur à son titre de Prince des voleurs.

- C'est vous... souffla soudain Will. Mélinoé l'avait dit : « Le voleur qui ne peut se faire prendre. Le fils du prince des voleurs en personne, aussi insaisissable qu'une tempête de neige ».

- Je vois que Mélinoé s'est améliorée en matière poétique. Une tempête de neige... (il secoua la tête en riant). Belle façon de vous révéler mon identité sans rien dire.

Connor fronça les sourcils.

- Quoi ?

- Voyons petit frère, tu ne me connais donc pas ? Je suis Autolycos, fils d'Hermès et de Chioné !

- Chioné ? La déesse de la neige ?

Autolycos parut agacé.

- Non, pas celle-ci. Il y en avait une autre avant que cette fille de Borée ne vol toute l'attention. Ma mère a été courtisé par deux dieux : Apollon et Hermès. Elle a mis au monde des jumeaux, chacun fils de l'un des dieux. Sa fierté lui aura coûté la vie... Elle clamait partout que sa beauté lui avait valu les faveurs de deux dieux. Artémis l'a tué d'une volée de flèches pour la punir de son audace et de son insolence. (Il n'eut pas l'air très affecté par l'histoire et se contenta de rouler des yeux). Je suppose que Mélinoé se trouvait spirituelle avec son jeu de mot.

- C'est surtout bien tordu, marmonna Connor.

- Comme toutes les histoires impliquant les dieux, petit frère. Tu devrais commencer à le comprendre.

Connor grimaça. Malheureusement, il avait assez d'expérience pour être d'accord avec Autolycos.

- Ça suffit ! coupa Lou Ellen. Nous sommes venus chercher les torches et nous ne repartirons pas sans !

- Et que comptes-tu faire contre trois magiciennes infiniment puissantes ? Voyons, ton échec est écrit dans le fil des Parques avant même que tu ne te lances dans le combat. Renonce à ta folie et je vous laisserai repartir.

- Pourquoi ? Vous avez peur de nous affronter ?

- Moi ? Mais regardez-vous, demi-dieux. Une gamine qui sait à peine tenir une dague, un fils d'Apollon incapable de se battre, un voleur qui a trouvé meilleur que lui, une fille d'Hécate incapable de contrôler ses pouvoirs à leur paroxysme et un garçon qui ne pourrait même pas entrer dans une flaque d'ombre sans s'y dissoudre.

- Eh ! Meilleur que lui ? répéta Connor, indigné. Ne vous jetez pas des fleurs !

Autolycos éclata de rire, l'air sincèrement amusé.

- Ne te voile pas la face, petit frère. Contrairement à toi, j'ai eu la bénédiction de notre père. Il m'a accordé le don de voler sans me faire prendre ! Comment crois-tu que ces trois sorcières aient réussi à s'emparer des torches ?

- Mais pourquoi ? Qu'est-ce que vous y gagnez ? intervint Lacy, perplexe.

- Oh rien de particulier. La reconnaissance, le pouvoir, la protection. Imagine-tu, fille d'Aphrodite, la renommée qui suivra mes pas quand mon exploit sera connu ? Moi, le fils au nom oublié, je deviendrai le Prince des voleurs.

Connor tressaillit. Ce titre, c'était celui de son père. Personne d'autre ne pouvait se l'accaparer. D'un mouvement de poignet, il fit décrire un tour à son épée qui voltigea presque entre ses doigts avant de se caler fermement au creux de sa paume.

- Prince peut-être, nargua-t-il, mais tu sais comment on me surnomme ? Le roi de l'embrouille. Allez, viens un peu pour voir !

- Oh petit frère... Ne dis pas que je ne t'ai pas laissé ta chance.

- Connor ! Non !

Il ne laissa pas le cri de Lou Ellen l'arrêter. Déterminé, il s'élança vers Autolycos et leurs lames s'entrechoquèrent dans un bruit sourd. Il feinta sur le flanc droit, mais son adversaire était rapide. Et surtout, il avait une essence divine pour lui. Ses mouvements étaient rapides, précis, violents. Mais Connor était entraîné. Toutes ces années d'apprentissage lui revenaient sans efforts : toutes les fois où ils avaient affronté Luke, sûrement un des meilleurs épéistes de leur génération, lui revinrent en mémoire. Un combat n'était jamais plus qu'une stratégie qui se déployait au rythme des mouvements du corps.

Autour de lui, il perçut les autres se mettre en mouvement. Plusieurs animaux étaient sortis de la forêt et se joignaient maintenant à la bataille. Connor écarquilla les yeux en voyant un loup passé près de lui pour se jeter vers Nico qui le repoussa d'une parade parfaitement exécutée.

- Surpris, petit frère ? se moqua Autolycos. Ais-je omis de mentionner que je pouvais transformer l'apparence des animaux que j'avais volé ? Crois-moi, ils sont nombreux. Incroyable ce que qu'un simple poulet dérobé à un paysan peut devenir dangereux quand on lui donne des crocs et une fourrure de loup !

- C'est de la triche ! Aucun talent ! Moi, je fais tout à l'ancienne !

- Et c'est ce qui causera ta chute. Aucun don accordé par notre père, rien de spécial. Juste un simple fils d'Hermès comme il y en eu des centaines dans l'histoire. Tu ne seras qu'un nom dans une liste d'anonymes.

Connor serra les dents. Avec force, il para le coup qu'Autolycos tentait de lui porter et le repoussa d'un coup de pied en plein ventre.

- Ah ouais ? fit-il, haletant. Au moins, les gens qui comptent retiendront le nom de ma mère !

- Ta mère ? Une pauvre mortelle !

- Une pauvre mortelle au coup de casserole prodigieux ! (Il décrivit un arc de cercle pour tenir son opposant à distance puis cria de toutes ses forces). Lou !

Il pria pour que Lou Ellen ait entendu et compris ce qu'il lui demandait. Heureusement pour lui, elle ne lui faisait jamais défaut. En périphérie en train de se battre contre une lionne rugissante, elle prit le temps de lever la main et agita ses doigts : Connor sentit alors son épée se changer sous sa peau. Il ne tenait plus son épée en bronze mais une casserole brillante. Et il se fit un plaisir de l'asséner en plein dans la figure d'Autolycos.

Pris par surprise, il n'eut pas le temps d'esquiver. La force du coup l'envoya à terre et un craquement résonna dans sa mâchoire. Connor se permit un rictus mesquin.

- De la part de Holly Alatir, mon vieux, chantonna-t-il.

Laissant Autolycos sonné au sol, il s'élança vers Lacy aux prises avec un chien enragé presque aussi gros qu'elle. Il agita sa casserole vers lui pour détourner son attention.

- Eh ! Médor ! Viens un peu par-là !

Le molosse aboya en montrant les dents. Lacy se glissa alors dans son dos et lui planta sa dague avec force. Le chien se dissout immédiatement.

- Parfait, miss Brown ! Maintenant, viens avec moi.

Le souffle court, il entraîna Lacy dans son sillage, slalomant entre les animaux qui s'agitaient souvent en tout sens. Il supposait qu'Autolycos n'avait pas la puissance nécessaire pour tous les contrôler en même temps. Plus loin, Nico et Will étaient dos à dos, tenant en respect un véritable ours brun et il hésita une seconde à aller leur prêter main forte avant d'entendre le grognement de détresse de Lou Ellen. Il se retourna au moment où elle envoyait valser un serpent géant par-dessus le bord de la falaise.

- Lou ! appela-t-il.

- Ils sont partout ! dit-elle en arrivant vers lui. C'est infernal !

- Je sais et je veux que tu partes. Prends Will et Nico avec toi, va chercher les torches !

Elle le dévisagea.

- Pardon ? Mais t'es tombé sur la tête !

- Non, au contraire. Ça m'arrive de réfléchir. Souviens-toi de la prophétie !

- Quoi ?

Il n'eut pas le temps d'expliquer qu'un bouquetin en furie fonça brusquement sur eux, cornes en avant. Ils firent un bond pour l'éviter. Lacy le fusilla du regard.

- Je m'en occupe, déclara-t-elle en réaffermissant sa prise sur ses dagues.

Et elle se jeta dans la mêlée pour se battre contre lui. Lou Ellen écarquilla les yeux, haletante, et lui saisit le bras.

- Connor, il faut y retourner !

- Non, attends, s'il te plait ! Lou, écoute-moi ! plaida-t-il en la retenant. La prophétie le disait : « un ennemi pour un héros ». Lacy a vaincu les Propétides, ennemies d'Aphrodite. On est en train d'affronter monsieur fils de Chioné-pas-vraiment-Chioné et d'Hermès. C'est mon ennemi, c'est sûr.

- Et alors ?

- Et alors il en reste trois ! Médée, Pasiphaé et Circée. Trois ennemis, trois héros : toi, Nico et Will. Vous devez y aller ! Si elles s'enfuient avec les torches...

- Mais ça veut dire vous laissez seuls ! Hors de question !

Exaspéré, il la saisit par les épaules et la secoua doucement, comme pour la réveiller. Elle se dégagea d'un mouvement sec.

- Lou, regarde autour de toi. C'est un voleur, pas un magicien. Il n'arrivera pas à maintenir son tour de passe-passe longtemps. Dès que les animaux seront partis...

-... vous serez toujours deux contre un presque dieu mineur, compléta-t-elle. C'est non, Connor.

- Tu veux récupérer les torches, oui ou non ? s'énerva-t-il.

- Oui ! Bien sûr que oui ! Mais pas en payant un prix impossible ! Pas en te perdant...

Sa voix se réduisit à un souffle et il vit alors ses grands yeux verts s'emplirent de larmes. Un poing parut se refermer sur son estomac. Il détestait ce genre de situation. Il aimait l'adrénaline qui pulsait dans ses veines, il aimait la fièvre des combats, la ruse qui l'animait, les répliques à trouver pour énerver l'adversaire... Mais il haïssait les choix comme ceux-là. Surtout, il détestait les imposer aux autres.

- Qu'est-ce que tu racontes, Lou ? tenta-t-il de plaisanter d'un ton léger. Ce n'est pas comme ça que tu te débarrasseras de moi... Allez, s'il te plait. Va chercher les torches qu'on puisse faire un barbecue en rentrant.

Lou Ellen émit un rire étranglé. Frustrée, elle secoua la tête, puis contempla le champ de bataille autour d'eux une seconde avant de serrer les mâchoires.

- Très bien, accepta-t-elle, déterminée. Mais t'as intérêt à lui mettre la raclée de sa vie.

- Tout pour vous, miss Blackstone !

- Hum... Et Connor ?

- Ouais ?

- Si je ne réussis pas...

- N'importe quoi.

- ... je veux être sûre d'une chose. Tu... tu ne m'en veux pas, hein ? Pour ce que je t'ai dit chez les Dactyles ?

Elle le regarda en face, tendue, et il sentit le même malaise que tout à l'heure le reprendre à la simple idée que Lou Ellen ait peur de lui. Et soudain, il prit sa décision. Il n'était peut-être pas sûr de lui, mais il ne douterait jamais d'elle.

- Non, souffla-t-il. Absolument pas.

Avec lenteur, comme pour lui laisser le temps de reculer si elle le souhaitait, il se pencha alors et il entendit sa respiration se coincer dans sa gorge une seconde avant qu'il ne pose ses lèvres contre les siennes. Il n'approfondit pas le contact, se contentant d'un baiser léger et doux, véritable promesse qu'ils se retrouveraient pour mettre des mots sur ce geste spontané. Sa peau était chaude et humide contre la sienne, il pouvait ressentir toute la rage de la bataille dans son souffle... Par les dieux, il était en train d'embrasser Lou Ellen Blackstone et il aimait ça.

A contre cœur, il se força pourtant à reculer. Il resta déstabilisé une seconde, le temps que son cerveau veuille bien reprendre le cours des évènements, et il vit Lou Ellen battre des cils, perplexe aussi.

- Oh Connor, je vais te tuer d'avoir fait ça maintenant... murmura-t-elle.

- Je sais. C'est tout moi, ça. (Il sourit, moqueur, puis il la poussa doucement en avant). Allez, vas-y. Je gère !

- Si Lacy n'a serait-ce qu'une égratignure, je te le ferai payer Alatir !

Sur cette dernière invective, elle partit alors en courant vers Nico et Will. Connor ne chercha pas à vérifier qu'ils partaient tous : il avait un voleur à battre. Justement, Autolycos commençait à se relever, remis de son coup de casserole. Désormais debout et de mauvais humeur, ils se toisèrent à plusieurs mètres d'écart avant de reprendre leur combat là où ils l'avaient laissé. Heureusement pour lui, le sort de Lou Ellen s'était estompé et il avait retrouvé son épée. Il n'hésita pas à s'en servir. Se laissant glisser au sol, il tenta de faucher les jambes d'Autolycos qui se contenta d'esquiver avec souplesse.

- Tu ne fais pas le poids contre moi, petit frère ! rugit-il. J'ai appris à Héraclès lui-même à abattre ses ennemies à coups de poings ! J'ai voyagé avec les Argonautes !

- Les Argonautes ? Mais je les connais ! J'ai même vu l'Argo II cet été. Sacré bateau ! T'as peut-être entendu de mon pote Percy Jackson ? Grand, musclé, imbattable, une intelligence remarquable ? Ah non pardon, ça c'est sa copine Annabeth !

- Tu parles trop !

- Ma mère me l'a dit souvent ça aussi...

Avec un cri de rage, Autolycos lui porta un coup en direction du ventre et il roula à terre pour l'éviter. Le nez dans l'herbe de Colchide, il vit du coin de l'œil les animaux disparaitre les uns après les autres alors que Lacy se battait encore avec un tigre aux dents effilées. Pourtant, même ce dernier s'évanouit en quelques secondes et Lacy se retrouva dépourvue d'ennemis, perplexe. Il eut alors une idée. Contractant ses muscles, il roula à nouveau sur lui-même pour être sur le dos au lieu de se relever. Autolycos plaça immédiatement son épée au creux de sa gorge, victorieux au-dessus de lui.

- Ne bouge plus, petit frère. La partie est finie.

Connor déglutit. Il envoya une prière mentale à son père pour que son plan fonctionne, puis relâcha sa prise sur son épée d'un geste exagéré pour que Lacy le perçoive, mains en évidence.

- Eh, Prince des voleurs ? dit-il d'une voix tremblante mais vive. Tu sais comment une fille d'Aphrodite fait pour voler sans ses mains ?

- Quoi ?

- Elle utilise sa voix !

Autolycos fronça les sourcils. Il n'eut pas le temps de réagir que la voix de Lacy s'éleva alors, haute et claire :

- Lâche !

L'ordre frappa, percutant, et Connor tressaillit. S'il avait encore tenu son épée, il l'aurait lâché tant l'injection de Lacy était forte. Malheureusement pour Autolycos, il avait la sienne. Ses mains s'ouvrirent contre sa volonté et l'épée tomba, aspirée par la gravité. Connor se redressa alors, la rattrapant, et il la plongea en avant dans un élan désespéré. La lame traversa son propriétaire qui poussa un râle de surprise et de douleur.

- Désolé mon vieux, dit-il en resserrant sa prise autour de la garde, mais j'ai déjà un grand frère. Et tu ne lui arrives pas à la cheville !

D'un tour de bras, il enfonça un peu plus l'épée et Autolycos disparut dans un cri de rage impuissant. Une vague de soulagement le parcourut et, épuisé, il se laissa retomber sur le dos avec l'impression que son souffle était coincé quelque part entre ses poumons. Les pas de Lacy se précipitèrent dans sa direction avant qu'elle n'agenouille près de lui.

- Par les dieux, Connor ! C'était...

- Incroyablement courageux ?

- Stupide ! s'écria-t-elle, les larmes aux yeux. Je n'avais jamais réussi... je ne savais pas...

- J'avais confiance en toi, miss Brown. L'enjôlement n'est peut-être pas ton truc, mais tu es une fille d'Aphrodite. Alors c'est vrai, tu n'auras jamais le talent de Piper ou Drew, mais il ne faut jamais sous-estimer la panique et la peur. Ça a réveillé ta jolie voix !

Bouleversée, Lacy le dévisagea un long moment, un peu comme le faisait sa mère quand elle paraissait se retenir de lui dire en face à quel point il était un idiot. Puis, d'un coup, elle lui donna un violent coup dans l'épaule.

- Aïe ! protesta-t-il. Mais ça va pas ?!

- Tu l'as mérité ! Je le dirais à Lou Ellen !

Il écarquilla les yeux.

- Non, tu ne peux pas...

- Je vais me gêner !

- Mais qu'est-ce qui est arrivée à la gamine silencieuse ?

- Elle t'a eu en partenaire de quête, répliqua Lacy avec mordant.

Connor la dévisagea alors à son tour. Il la contempla, soudain sérieux, et réalisa seulement à cet instant qu'elle avait effectivement changé. Physiquement, elle avait toujours ses cheveux blonds, ses yeux caramel et son visage en forme de cœur. C'était autre chose. C'était le feu qui brillait dans ses prunelles, sa posture assurée, son aura guerrière.

- Lacy Brown, souffla-t-il, je crois bien que tu as grandi...

- Et elle n'est pas la seule j'ai l'impression, ajouta une voix profonde derrière eux.

Ils sursautèrent. Au bord de la falaise, dos à la mer déchaînée, se tenait un homme. Il avait une stature athlétique et élancée même si son corps était noyé dans un jogging et un t-shirt du marathon de New York. Ses cheveux poivre et sel étaient balayés par la brise marine, mais il ne paraissait pas dérangé par l'assaut du vent, fermement campé sur ses pieds chaussés de Reebok aux petites ailes dorées. Et si Connor avait encore un doute concernant son identité, le portable qu'il tenait à la main, marqué d'un caducée sur la coque, acheva de le convaincre. Devant lui se tenait simplement Hermès. Son père.

- Papa... laissa-t-il échapper.

- Fiston ! Ravi de te voir. Bien joué cette ruse, je n'aurais pas mieux fait. Ça apprendra peut-être un peu l'humilité à ton frère. Ah ce que quelques millénaires peuvent changer quelqu'un. Il n'était pas du tout comme ça avant, tu peux me croire.

- Je... mais qu'est-ce que tu fiches ici ?

- Quoi ? En Colchide ? Mais c'est ma destination de vacances préférée voyons.

Connor le dévisagea, toujours assis à même le sol avec Lacy. Cette dernière parut soudain mal à l'aise et observa Hermès presque avec crainte avant de se révéler et d'épousseter son jean.

- Je vais... enfin... Récupérer nos affaires. Et faire un tour, voir si je peux aider les autres au cas où si le combat tourne mal.

- Quoi ? Non, attends, Lacy je...

- Tu devrais rester, insista-t-elle avec un regard éloquent. Ça ira.

Avant qu'il n'ait pu argumenter, elle s'éloigna à pas rapides non sans avoir fait une légère révérence en direction du Dieu olympien.

- Seigneur Hermès...

Son père lui rendit son salut en inclinant la tête, puis il se reconcentra sur lui. Connor resta prostré. Il avait pensé au jour où il rencontrerait son père, évidemment. Il s'était fait des scénarios des milliers de fois et il avait écouté chaque mot du récit de Travis quand celui-ci lui avait raconté sa rencontre avec leur paternel. Mais là, Hermès le prenait au dépourvu. Il était en plein milieu d'une quête. Ses amis – dont Lou Ellen bon sang – étaient en train de se battre avec un trio de magiciennes plus puissantes qu'Hermione Granger et il venait d'affronter le voleur le plus agaçant de la création. Et Hermès, dans son timing toujours si impeccable, avait décidé de débarquer maintenant !

- Tu n'as pas l'air heureux de me voir, observa celui-ci en s'avançant.

- Passe un coup de téléphone la prochaine fois...

- Les communications...

-... sont inaccessibles en ce moment, je sais. On arrive à peine à faire passer un message Iris ces derniers jours. (Il se releva péniblement et plissa soudain les yeux). Comment t'es arrivé jusqu'ici d'abord ? Je croyais que Zeus avait interdit aux Dieux de communiquer avec les mortels.

Un léger sourire fit frémir les lèvres d'Hermès. Un sourire malicieux qui mit Connor mal à l'aise avant de comprendre pourquoi : il voyait le même lorsqu'il se regardait dans un miroir.

- Allons fiston, je suis le Dieu des messagers. J'ai mes ficelles. Evidemment, je ne vais pas m'attarder, mais je me suis dit que je pouvais bien te rendre une petite visite. Ton frère a déjà eu droit à la sienne, même si je pense que je repasserai bientôt le voir. Après tout, on a des choses à se dire, tu ne crois pas ?

Cette fois, une lueur équivoque brilla dans les yeux de son père et Connor déglutit. Il n'oubliait pas la dernière fois qu'ils s'étaient vus dans son entrepôt. Le jour où Travis et lui avaient volé son caducée sur les ordres de Perséphone. Il souvenait encore du regard de son père alors qu'ils disparaissaient, emportant son attribut divin, et il ne put s'empêcher de faire le parallèle aujourd'hui avec les torches d'Hécate. D'une certaine façon, il n'avait pas été mieux qu'Autolycos : lui aussi avait joué au voleur ultime. Pourtant, il n'avait pas vraiment parlé à son père ce jour-là, trop occupé à mener à bien sa mission. Et il se demandait justement combien de temps celui-ci mettrait à le retrouver. Il savait que Travis avait eu droit à une conversation en tête-à-tête dans un train, peu après la mort de Luke. Connor n'avait jamais été jaloux de son frère, mais il devait avoué qu'il avait ressenti une pointe de ressentiment au creux de l'estomac en constatant que son tour n'arrivait pas. Travis et lui avaient toujours été à égalité pour tout, c'était étrange de ne pas l'être, surtout sur cette question. Mais il semblait qu'Hermès avait décidé de rétablir l'équilibre aujourd'hui.

- Ecoute, si c'est pour ton caducée... commença-t-il, mal à l'aise.

- Ce n'est pas que pour ça. Mais disons que j'aurais préféré éviter cette situation. J'avais sous-estimé Perséphone. Ah et dire qu'elle refuse de me le rendre... Tant pis pour elle, elle affrontera la colère de Zeus si elle continue à jouer à la plus maligne.

Connor déglutit. Il avait l'impression que l'affaire prenait des proportion qu'il n'avait pas envisagé.

- C'était un peu de ta faute, jugea-t-il dans un accès de bravoure ou d'inconscience.

- Je te demande pardon ?

- C'est toi qui a demandé à Travis d'aller chercher Alice aux Enfers. On a juste fait ce qu'il fallait pour la sortir de là.

Hermès vrilla ses yeux aux couleurs changeantes droit sur lui et il retint un mouvement de recul, persuadé d'avoir été trop loin, mais son père finit par secouer la tête.

- Je suppose que je le mérite, convint-il. Mais c'est une affaire entre ton frère et moi, ne t'en inquiète pas.

- Entre Travis et toi, hum ?

- Connor...

- Je répète ma question : qu'est-ce que tu fiches ici alors ? claqua-t-il plus sèchement qu'il ne le voulait.

Il était épuisé, le corps douloureux. Il venait de parcourir le pays pendant dix jours, arpenté les dédales du Labyrinthe, affronté de nombreux ennemis, embrassé Lou Ellen, supporté la mauvaise humeur de Nico, voyagé en vol d'ombre... Il arrivait à bout.

- Je pensais qu'on avait des choses à se dire, toi et moi, se contenta de répondre Hermès sans se départir de son calme sous lequel couvait malgré tout une tempête.

- Papa... Les autres ont peut-être besoin de moi.

- Non, crois-moi. Hécate a bien énoncé sa prophétie pour une fois. Un héros pour un ennemi. Et tu t'es débarrassé du tien brillamment.

- Si tu le dis...

Gêné, il baissa les yeux et contempla ses baskets qui avaient vu des jours meilleurs.

- Allons Connor, ne fais pas ça. Je sais que tu voulais me parler.

- Tu sais, hum ? Et alors quoi, maintenant que tu es là je devrais tout déballer ? Me plier à ton timing ? Ca fait des années que je veux te parler, c'est vrai ! Mais je ne crois pas t'avoir vu souvent quand je t'adressais mes prières parce que maman avait du mal à boucler les fins de mois ou que Travis s'était blessé sur le mur de lave de la Colonie ! Tu n'as jamais été là ! Pour le Dieu des messagers, t'es assez nul en communication, laisse-moi te le dire.

- Justement. Je suis un Dieu. Je ne pouvais pas être là, pas comme tu l'aurais voulu. Ça ne veut pas dire que je ne me souciais pas de toi, ou de ta mère et ton frère.

- C'est ça... C'est ce que tu as dit à Luke aussi avant qu'ils nous trahissent ?

Amener Luke dans la conversation était un coup bas, il en avait conscience. En écho à ses paroles, le visage de son père se ferma brusquement et une fureur divine anima ses traits, presque palpable. Connor recula. Le statut d'Hermès était facile à oublier sous ses airs de trentenaire sympathique habillé d'un jogging en nylon, mais il ne fallait pas s'y tromper : il n'avait pas devant lui que son père. Il avait aussi un Olympien.

- Je ne m'aventurerai pas sur ce terrain si j'étais toi, mon fils, prévint-il.

- Pourquoi ? Je sais que c'était la faute de Luke, crois-moi. Il a fait ses choix, il a décidé de nous trahir ! Mais toi... Toi, tu n'as rien fait.

L'accusation parut atteindre sa cible et, mesquinement, il prit plaisir à voir l'expression de son père se décomposer une seconde avant que son masque de fureur sous-jacente ne se remette en place.

- Quand vas-tu comprendre, Connor ? s'exaspéra-t-il sur un ton qui lui rappela celui de sa mère. Je ne peux pas toujours tout faire, je ne peux pas toujours intervenir ! Il y a des choses que les Parques décident et je ne peux aller contre ! C'est cela aussi être un Dieu : endosser les espoirs de l'humanité et ne pas pouvoir y répondre. Parce qu'à la fin de la journée, vous n'êtes que ça. L'humanité. Des mortels qui vivent, espèrent, tombent et se relèvent. Ça ne serait pas vous rendre service que de vous voler cela.

Le cœur au bord des lèvres, Connor battit des paupières, pris au dépourvu par les larmes qui lui montèrent soudain aux yeux. Il avait l'impression de ressentir une frustration impossible à endiguer. Elle lui dévorait les entrailles et se rependait dans son corps parce que malgré tout ses efforts, il n'arrivait pas à entendre et à comprendre les mots de son père. Luke avait été la trahison la plus douloureuse de sa jeune vie. Il avait placé sa confiance en ce frère plus âgé, ce héros qui maniait l'épée comme personne et qui l'avait accueilli alors qu'il n'était qu'un gamin perdu dans le Bungalow d'Hermès. Et Luke avait ensuite détruit tout ce qu'il avait construit. Il avait foutu en l'air leur vie, rongé par sa colère et sa rancœur. Connor n'avait jamais compris. Les Olympiens n'étaient peut-être pas parfaits, mais Cronos présentait une alternative bien pire. Rejoindre ses rangs revenaient à s'en prendre à la Colonie, soit la seule maison qu'il n'ait jamais eue et qui l'ait accepté tel qu'il était. Il aimait Denver de tout son cœur, mais il savait aussi qu'il n'y avait jamais eu la même place. Tout l'amour de sa mère n'avait rien pu y faire. S'entendre répéter toute son enfance par ses professeurs et des directeurs d'écoles qu'il n'était voué à rien l'avait marqué... La Colonie, elle, l'avait accepté. Mais Luke avait laissé sa colère l'aveugler sans se rendre compte qu'il ne blessait pas les Dieux dans le processus, pas réellement du moins. Il les blessait eux.

- Je ne comprends pas, avoua-t-il d'une voix chevrotante à cause des larmes de frustration qu'il refusait de laisser couler. En quoi c'est une bonne chose de nous laisser endurer tout ça ?

- Oh Connor... (Pour la première fois, Hermès parut le prendre en pitié). Tu as bien vu les Dieux que tu as croisé pendant cette quête, non ? Deimos, Phobos, Mélinoé... Même Autolycos. Les émotions façonnent l'humanité tandis que le passage du temps anéanti les émotions. Ce n'est pas un hasard si vos adversaires vous ont d'abord épuisé émotionnellement... C'est leur seul façon de ressentir quelque chose au milieu des siècles qui se ressemblent. Tu ne réalises pas la chance que tu as de pouvoir pleinement vivre ça.

- C'est une vision assez déprimante...

- Certainement. Mais avoir un corps de Dieu Olympien compense. Je ne fais pas mon âge, tu ne penses pas ?

Hermès ponctua sa remarque d'un clin d'œil et Connor laissa enfin échapper un éclat de rire.

- Ca peut aller, jugea-t-il en faisant un mouvement de main mitigée.

- Comment ça « ça peut aller » ? Espèce de sale gosse !

- Tel père tel fils ? C'est ce que dit le dicton !

La répartie lui était venue sans réfléchir, mais il ne s'attendait pas à voir l'expression d'Hermès s'adoucir brusquement, presque paternelle, alors qu'un sourire simple fleurissait sur son visage.

- Oui, sûrement... souffla-t-il.

Connor se mordit la joue, gagné par une émotivité qui ne lui ressemblait pas. Il n'arrivait pas à réaliser qu'il avait enfin cette conversation avec ce père si absent, ce père qu'il admirait pourtant plus que tout.

- Et en même temps, non, nuança Hermès après un instant de réflexion. Je pense que cette quête t'a prouvé quelque chose.

- Ah bon ? Quoi ?

- Que tu étais plus que mon fils. Que tu étais plus que l'enfant de Denver ou le frère de Travis. Tu es ta propre personne, Connor. Et je sais que ça te fait peur et que tu ne sais pas où va te mener le chemin qui t'attend. Mais ne doute pas de toi. Tu n'as pas besoin d'être les « jumeaux Alatir » pour prouver ta valeur ni pour trouver ta voie. L'avenir est différent pour chacun d'entre nous.

- Mais aller à la fac comme Travis entraîne plus de fierté...

Hermès balaya la remarque de la main.

- Être fier de Travis n'empêche personne – et surtout pas ta mère ou moi – de l'être tout autant quand ça te concerne. (Il sourit d'un air tranquille, les mains plongées dans les poches). C'est ça que tu veux entendre ? Que je suis fier de toi ?

- Je ne veux rien entendre... protesta-t-il, embarrassé, mais son ton ne le convint même pas lui-même.

Hermès ne fut pas dupe.

- Parce que je le suis, Connor, tu sais. Fier de toi, je veux dire. De tous mes enfants, tu es sans doute celui qui me ressemble le plus. Tu as un sens de l'aventure, un goût de la découverte... Je ne suis pas le Dieu des voyageurs ni le gardien des routes et des carrefours pour rien. Tu n'as pas besoin d'attaches pour trouver qui tu es. Tu verras, le monde a beaucoup à offrir, même si c'est important d'avoir un point d'ancrage quelque part. Je ne doute pas que ton frère remplira ce rôle à merveille.

A la mention de Travis, Connor sentit un manque pulser en lui. Il réalisa qu'il n'avait pas pu son frère depuis des semaines. Eux, les inséparables. Son père avait raison : les voyages présentaient des nombreux attraits, mais rien ne valait de rentrer à la maison. A vrai dire, il avait hâte de rentrer...

- En parlant de carrefour, reprit alors Hermès avec une nonchalance feinte, toi et la fille d'Hécate... ?

- Non ! coupa-t-il, catégorique alors que ses joues s'embrasaient. Non, on ne va pas parler de ça.

- Allons, un père doit se tenir au courant de ces choses-là.

- Absolument pas ! Il n'y a rien avec Lou.

- « Rien ». C'est comme ça que les jeunes appellent embrasser de nos jours ?

Mortifié, il se cacha le visage entre les mains. Il devait ressembler à un soleil rougeoyant.

- Papa... marmonna-t-il d'un ton plaintif. On peut revenir sur toi qui joue mon conseiller d'orientation plutôt ?

- Bien, bien... Mais je crois que tu n'as pas besoin de moi, mon garçon. Il faut juste que tu arrêtes de te demander sans cesse ce que les autres pensent de toi et que tu avances sur le chemin que tu auras choisi.

- Mais justement... Je ne sais pas ! Je ne suis pas Travis, je n'ai pas la patience de changer le monde et rendre la justice en restant assis sur un banc de faculté pendant cinq ans. Je veux agir maintenant. Et surtout... je crois que je ne veux pas de cette responsabilité.

Attentif, Hermès pencha la tête sur le côté et lui fit signe de continuer.

- Je veux dire, c'était drôle d'être Conseiller en chef avec Connor mais... Je ne suis pas fait pour diriger tout seul. Mes plans, mes mauvais coups, mes ruses. Ça n'engage que moi. Que ça soit sans conséquence ou pendant une quête, je ne veux pas être comme Travis à être celui qui prend en charge les autres.

- On en revient toujours à ça, non ? Être comme Travis ?

Un poids dans la poitrine, Connor ferma les yeux. Evidemment qu'il en revenait toujours à ça. Il aimait son frère, il était son héros. Hercule, Thésée, Percy ou Jason... Ils pouvaient bien sauver le monde tant qu'ils voulaient, ils n'étaient pas son grand frère. Son modèle. Celui qui l'avait accompagné toutes ces années.

- Ecoute-moi bien, Connor, soupira son père. Il faut que tu comprennes quelque chose. Travis emprunte une voie et ce n'est pas grave si tu ne prends pas la même. Ça ne veut pas dire que vous serez moins proches pour autant. Ça ne veut pas dire que tu décevras qui que ce soit. Et ce n'est pas égoïste de vivre pour toi. Tu as bien plus à offrir au monde que tu ne le crois.

Les mots d'Hermès résonnèrent en lui, porteurs d'un espoir nouveau. Il n'avait pas réalisé jusqu'à présent à quel point il avait eu besoin de les entendre. Il avait eu besoin de la confirmation que grandir ne signifiait pas forcément prendre un chemin classique et préconçu. Il n'avait jamais été doué pour suivre ce type de voie de toutes façons. Il n'y avait qu'à prendre cette quête en exemple : il avait en partie convaincu les autres de partir pour l'Europe alors même qu'ils n'en avaient pas eu l'autorisation. Il pouvait continuer à être lui-même sans rester coincé sur place. Si Travis évoluait sans pour autant changer sa nature profonde, lui aussi pouvait être fidèle à ce qu'il était. Il n'avait pas besoin de renier l'enfant terrible au fond de lui. Cette constatation parut lui donner un nouveau souffle et il se sentit soudain respirer plus librement.

Une étincelle chaleureuse brilla dans les yeux de son père.

- Alors ? Convaincu ?

- Ouais, je crois...

- Magnifique ! se réjouit-il en frappant dans ses mains. Je ne devrais pas m'attarder dans ce cas, Zeus va bien finir par remarquer mon absence. Avant de partir, je voulais juste te dire une dernière chose au sujet de ton combat contre Autolycos.

- Laquelle ?

- Tu as un coup de casserole presque aussi formidable que celui de ta mère !

La phrase mit une seconde à monter à son cerveau. Puis, incapable de se retenir, Connor éclata de rire.

- Merci, dit-il en riant encore. Plus beau compliment que tu pouvais me faire !

- N'est-ce pas ?

Il sourit. Malgré toutes ses erreurs, il aimait son père. Autant qu'on pouvait aimer un Dieu en tout cas.

- Eh papa, fit-il en se rappelant brusquement un détail. Les Dactyles ont dit que ce sont eux qui avaient fabriqué mon épée. Que c'était une commande de ta part... ?

Il laissa la fin de sa phrase en suspens, comme une question muette. Hermès eut un sourire énigmatique.

- Suggérerais-tu que je t'ai offert un cadeau déguisé ?

- Je ne sais pas... Est-ce que c'est le cas ?

- Ah Connor ! Aucune ruse ne t'échappe, pas vrai ?

Ce n'était pas véritablement un aveu, mais c'était tout comme. Connor sentit une chaleur bienveillante s'épanouir dans sa poitrine et il avala la boule brûlante qui venait de se glisser dans sa gorge.

- Merci papa... murmura-t-il. Merci pour tout...

- Avec plaisir, mon garçon. Et pour te montrer que la prière que tu m'adresseras à la fête des pères ne sera pas veine, voilà un dernier cadeau.

Sans prévenir, Hermès lui tendit son poing fermé et Connor mit une seconde à réagir, surpris, avant de tendre sa paume ouverte. Son père y laissa tomber un objet. Curieux, il le saisit entre deux doigts et le leva à hauteur de regard pour l'examiner. Il s'agissait d'une petite fiole qui contenait cinq perles translucides dans lesquelles tournoyaient une brume opaque.

- Qu'est-ce que... elles ressemblent aux perles de Perséphone !

- Elles ont un peu le même but, avoua Hermès. Mais au lieu de te ramener à un endroit précis, elles te mèneront là où tu veux aller. Un bon voyage a besoin d'une destination après tout ! Ou plutôt d'un point de retour.

Incrédule, il releva les yeux pour dévisager son père et comprit soudain. Il venait de lui offrir leur moyen de rentrer aux Etats-Unis sans repasser par le Labyrinthe ! Il se retint de le prendre dans ses bras et se contenta de sourire, extatique.

- Pour tous arriver ensemble à votre destination, prenez-vous la main, on ne sait jamais, conseilla quand même son père. Ça te donnera une excuse avec la fille d'Hécate.

- Papa !

Mais Hermès se contenta d'éclater de rire. Puis, doucement, il recula, bras écartés, avant de lui adresser un salut ironique.

- Bon voyage, Connor !

- C'est ça... Oh et papa ! Si tu veux parler de fille avec quelqu'un, va voir Travis. Je crois que... le départ de Dylan l'affecte plus qu'il ne veut bien le dire.

- J'y songerai, promit-il avec indulgence.

Il s'éloigna encore un peu jusqu'à arriver au bord de la falaise. Là, son corps fut enveloppé par le vent et son image se mit à vaciller avant d'être emportée dans l'immensité. Et Connor sourit, apaisé.
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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par annabethfan »

J'avais oublié de le préciser pour le chapitre précédent, mais les références au vol du caducée et à une quête précédente sont des références qui viennent de La cour des Miracles de Perripuce bien évidemment ^^

**************************************

Chapitre 19 : Le combat des magiciennes

Lou Ellen avait pris des décisions difficiles dans sa vie. Elle avait laissé son père derrière elle et décidée de suivre un satyre pour se rendre dans une Colonie inconnue ; elle avait participé à deux guerres en s'engageant dans des combats presque désespérés : elle avait trouvé le courage d'avouer ses sentiments à Connor... Et pourtant, le laisser se battre seul face à Autolycos sans un regard en arrière était sans doute l'une des plus douloureuses de toutes. Encadrée par Will et Nico, elle avançait résolument devant elle, se retenant de toutes ses forces de faire demi-tour. L'inquiétude lui ravageait les entrailles – elle l'avait seul avec Lacy par les dieux – mais elle savait aussi que le meilleur service qu'elle pouvait lui rendre était de récupérer les torches pour repartir d'ici.

Ensemble, ils longèrent la côte, leurs armes à la main. Les trois magiciennes ne devaient pas être loin et elle voulait conserver l'effet de surprise le plus longtemps possible avant de les attaquer. Elle ne se faisait pas d'illusions : il était peu probable que le combat puisse être évité. Elles avaient été trop loin en volant le symbole d'Hécate pour y renoncer sans se battre.

- T'es sûre qu'on va dans la bonne direction ? marmonna Will en jetant des coups d'œil nerveux autour d'eux.

- Je les sens, je te dis. Par-là.

D'un geste, elle désigna la ligne d'horizon, au-delà des arbres et de la colline qui se dressaient devant eux. Nico plissa les yeux. Il dut juger que son instinct faisait l'affaire car il continua à avancer sans poser de question et elle lui en fut reconnaissante. Depuis le début de la quête, elle avait bien conscience que son rôle de leader était vacillant. Elle l'endossait quand il fallait, mais elle ne l'avait pas non plus totalement embrassé à bras ouverts. Tout le long de leur voyage, elle s'était reposée sur les autres, particulièrement Nico. Elle avait mis ça sur le compte de son expérience par rapport à eux tous, mais il fallait bien qu'elle admettre qu'elle en était venue à lui faire confiance. Pourtant, l'aide de Nico avait été à double tranchant par moments. Les autres avaient aussi eu tendance à se tourner vers lui plutôt que vers elle au moindre problème et elle avait eu du mal à lui tenir tête. En repensant à leur dispute lorsqu'il avait voulu venir affronter les Dactyles, elle retint une grimace. S'il avait insisté un peu plus – et si Will n'avait pas été si buté – elle aurait sans doute fini par céder. Et seul les Parques savaient quelles auraient été les conséquences d'une telle action...

- Arrête de douter, admonestera soudain Nico.

- Quoi ?

- Tu penses trop, tu te stress et tu nous stress, précisa-t-il avec un regard entendu en direction de Will dont les mains étaient si crispées sur son arc que la corde était tendue au maximum. On a besoin d'avoir l'esprit clair pour cette mission. Elles ne nous laisseront aucune chance.

- Je le sais...

Et pourtant, elle ne put s'empêcher de se retourner à moitié vers l'endroit où elle avait horriblement conscience d'avoir laissé Connor et Lacy. Nico soupira.

- Blackstone, claqua-t-il alors en la faisant sursauter. Concentre-toi.

- Mais...

- Est-ce que t'as pris la bonne décision ? Aucune idée. Mais Connor a raison sur deux choses, ce qui n'arrive pas souvent au passage : la prophétie mentionne bien un ennemi pour un héros et surtout ta mère t'a choisi pour une raison. Alors arrête de douter, par Hadès !

Face à son ton vindicatif, elle sentit une vague embarrassée et hargneuse monter depuis son ventre avant de se répandre dans le reste de son corps.

- Ils sont peut-être en train de se faire massacrer en ce moment même, Di Angelo ! Excuse-moi de m'en soucier.

- Et en t'en souciant, tu les mets en danger, opposa-t-il fermement. Plus vite on récupère les torches, plus vite...

- Je sais ! Par les dieux, Nico, je sais mais imagine si c'était Will que tu avais dû laisser derrière et...

Sa voix s'éteignit. Elle s'interrompit elle-même, soudain conscience de ce qu'elle venait d'avouer et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle détourna le visage, incapable d'affronter le regard de Will. Elle n'était pas sûre qu'ils aient vu le baiser qu'elle avait échangé avec Connor juste avant leur départ, trop occupés à se battre, mais elle n'arrivait pas à s'en détacher. Parce que s'il arrivait quelque chose à Connor et que c'était le dernier geste qu'ils avaient partagé, elle s'en voudrait toute sa vie...

Son argument parut en tout cas atteindre Nico car il se fit plus doux lorsqu'il reprit :

- Lou Ellen, crois-moi, je comprends... Je... J'ai déjà fait une promesse impossible en regardant quelqu'un tomber dans le Tartare et... (il s'étrangla à moitié avant de se reprendre) et je sais à quel point ça peut être dur d'avancer quand on a laissé quelque chose derrière. Mais on a besoin de toi. C'est ta quête : la tienne et celle de personne d'autres.

Touchée par ses mots, elle se résolut à leur faire face à nouveau. La première chose qui la frappa fut la foi inébranlable qu'elle lut dans les yeux de Will et elle en tira de la force presque inconsciemment. Puis, elle vit la sincérité de Nico. Elle savait à quel point il détestait parler du Tartare et elle se l'imagina, penché au-dessus d'un puit de ténèbres sans fin, regarder Percy et Annabeth chuter sans rien pouvoir faire. Il ne mentait pas en disant qu'il comprenait son sentiment d'impuissance. Elle redressa la tête. Si Nico avait pu traverser l'Enfer – littéralement – et en revenir, elle était capable d'aller récupérer ces maudites torches pour retrouver Connor ensuite et lui passer le savon de sa vie pour l'avoir embrassé en plein milieu d'une bataille.

- D'accord, dit-elle avec conviction. On y va !

- Ca c'est notre Lou Ellen ! encouragea Will en lui tapant dans la main. Allez !

- T'emballes pas trop, tempéra Nico, l'air soudain inquiet. Tu restes à distance des magiciennes surpuissantes, tu m'entends ?

- Mais oui, Mort-Junior !

- Will ! Will, reviens là, on avait dit quoi avec ce surnom !

Agacé, Nico courut après Will et Lou Ellen les suivit, le cœur soudain plus léger et l'esprit clair. Silencieusement, ils s'engouffrèrent dans les sous-bois et avancèrent. La sensation étrange au fond d'elle s'intensifia alors à chacun de ses pas à mesure qu'elle se rapprochait des torches. C'était comme si son corps vibrait : il reconnaissait la présence des attributs divins de sa mère. En réalité, c'était son sang qui chantait et elle prit le temps d'adresser une dernière prière à sa mère tandis qu'ils émergeaient de la lisière des arbres. En face d'eux, il ne restait plus que la colline comme obstacle. D'un même pas, ils entamèrent leur ascension. Le bruit des vagues, au loin, était le seul bruit qui surpassait celui du vent qui soufflait toujours. Lou Ellen refusa de se laisser gagner par l'appréhension. Au lieu de ça, elle se repassa mentalement ses notes griffonnées dans son petit grimoire où elle notait ses sorts. Celui de transformation qui lui servait à métamorphoser les gens en cochons brilla dans son esprit. C'était un des premiers qu'elle avait appris et réussi à maîtriser. Et alors qu'elle visualisait la queue en tirebouchon de l'animal, ils atteignirent le sommet de la colline.

Elle ne s'était pas attendue au spectacle qui se révéla alors en contre-bas. Placées en cercle autour de deux torches, trois femmes en robe de cérémonie avaient les mains levées vers le ciel, yeux fermés. Elle bougeaient les lèvres mais aucun son s'en sortait – ou du moins aucun qui ne leur parvenait – et elle faisaient brûler des herbes dans un bol en cuivre à leurs pieds, embaumant l'air d'une odeur de plantes brûlées. Lou Ellen inspira profondément. Elles étaient enfin là. Les trois magiciennes les plus célèbres de la mythologie. Aucune d'elles n'était fille d'Hécate et pourtant elle avait maîtrisé les arts magiques comme personne.

- Qu'est-ce qu'on fait... ? chuchota Will, l'air impressionné.

- Qu'est-ce qu'elles font surtout ? répondit Nico, perplexe.

Lou Ellen s'avança d'un pas. C'était de toute façon impossible de descendre sans être à découvert. Elle observa alors plus attentivement le rituel des trois magiciennes et la réalité la frappa brusquement. Elle écarquilla les yeux sous le coup de la surprise.

- Elles... elles aspirent le pouvoir des torches ! Elles veulent les drainer de leur magie pour se l'approprier !

- C'est possible, ça ?

- Pour un humain ou un demi-dieu ? Pratiquement pas... C'est même impossible seul. Quiconque essayerait finirait dissout par la puissance des pouvoirs d'un attribut divin.

- Mais pas elles ?

- Elles ont gagné un semblant d'immortalité, rappela Nico d'un ton où perçait autant l'horreur que l'inquiétude face à la situation, et surtout elles sont trois à se répartir le pouvoir.

Lou Ellen se tourna vers lui, agitée.

- Même divisé, il reste considérable ! prévint-elle.

- Je me doute bien...

- Vous allez continuer à nous déconcentrer ou descendre, demi-dieux ? s'exaspéra soudain une des femmes en ouvrant brutalement les yeux pour les toiser.

Ils se figèrent. C'était sans doute vain de s'imaginer qu'elles ne les avaient pas entendu arriver, mais Lou Ellen avait espéré. Envahie par la détermination, elle resserra sa prise autour de son épée à trois lames. Trois lames pour trois ennemis. Trois lames pour trois torches. Au nom de la mère, de la fille, et des saints attributs, pensa-t-elle avec ironie.

D'un regard, elle vérifia bien que le poignard des Dactyles étaient toujours pendus à la ceinture de Will. C'était lui qui avait été désigné pour le garder, étant sûrement le plus vulnérable face aux magiciennes. De toute façon, Lou Ellen ne pouvait pas s'en servir. Dès qu'elle approchait de l'arme, elle ressentait une sensation de rejet forte, comme si le métal et sa magie se repoussaient mutuellement.

- La fille d'Hécate, ricana une seconde femme. Te voilà enfin. Mais viens donc nous affronter ! Nous serons ravies de te renvoyer à ta mère en petits morceaux !

- Pas si je les transforme d'abord en cochon, marmonna-t-elle dans un souffle.

Nico sourit, sinistre. Il brandit son épée en fer stygien et même le feu éclatant des torches parut être absorbé par son aura.

- Ne te gêne pas, dit-il. Prêts ?

- Ensemble, affirma-t-elle.

Et ils se mirent à descendent la colline. Alors qu'ils approchaient enfin, le pouvoir des torches se fit sentir plus nettement, comme des battements de cœur sourds. Lou Ellen réalisa que ce n'était pas leur véritable apparence qu'elle voyait. Les torches devant elle étaient emprisonnées sous une forme supportable aux yeux des mortels : leur socle était en métal forgé et formait des motifs alambiquées avant de s'évaser en réceptacle dans lequel dansait des flammes puissantes, orangées et bleutées. Lou Ellen fut surprise en constatant qu'elles ne dégageaient aucune chaleur.

- Ils sont donc devant nous, entonna la troisième femme en ouvrant les yeux à son tour. Ceux qui nous pourchassent sans relâche. Je vous imaginais plus impressionnants...

- Vos Propétides aussi ont fait l'erreur de nous sous-estimer, répliqua Lou Ellen avec une assurance feinte. Elles ne sont plus là pour le dire.

- Ces idiotes ? se moqua-t-elle. Des simples soldats, rien de plus. Ma chérie, crois-moi, tu ne repartiras pas d'ici cette fois-ci.

Elle ponctua sa remarque d'un sourire cruel et Lou Ellen les détailla alors plus amplement du regard.

- Pasiphaé, Circé, Médée, énuméra-t-elle successivement en pointant chacune des femmes.

- Belles déductions. Fille d'Hécate, fils d'Apollon et fils... d'Hadès, je présume ?

Aucun d'eux ne chercha à nier, ça aurait été inutile. Tout comme les trois femmes ne pouvaient cacher leur identité, eux aussi portaient la marque de leur parent divin. Lou Ellen les détailla alors plus précisément. Chacune dégageait une aura forte, palpable, et elle avait l'impression qu'il lui suffisait de tendre la main pour effleurer la magie qui tourbillonnait autour d'elle telle la Brume entourant le monde. Pourtant, leur magie était différente de celle qu'elle ressentait chez ses frères et sœurs à la Colonie. Leurs pouvoirs leur étaient presque... extérieurs. Elles l'avaient conquis, dompté, mais ils ne leur appartenaient pas de naissance.

La plus à gauche, Pasiphaé tenait droite et royale comme une statue intemporelle mais trop belle pour être aimée. Elle portait une longue robe élégante sans manches dont les fils d'or tranchaient avec l'ébène de ses cheveux relevés dans un cône émaillé de diamants et d'émeraude. Comme pour rappeler son lien à la création de Dédale, un pendentif en forme de Labyrinthe ornait son cou. Les rubis qui formaient la chaîne du collier ressemblaient presque à des gouttes de sang contre sa peau et Lou Ellen frissonna.

A ses côtés, sa sœur Circé lui ressemblait de manière troublante. Sa chevelure noire était tressée d'or et elle posait ses prunelles vertes perçantes sur chacun d'eux à tour de rôle. Pendant une seconde, Lou Ellen crut qu'elle avait des hallucinations en voyant des mouvements agités sa robe sombre avant de comprendre qu'il s'agissait de formes qui se succédaient, comme des scènes qui prenaient formes entre les plis : des animaux galopant, des ombres de végétaux et même une lune brillante qui courait dans le ciel en passant par toutes ses phases.

Enfin, Médée était peut-être la plus impressionnante de toutes. Plus jeune, la nièce de Pasiphaé et Circé les toisait avec une rage brûlante derrière son sourire. Elle était entourée d'une aura mystérieuse, comme si ses yeux contenaient des savoirs anciens et sombres qu'aucun mortel ne pouvait rêver de percer. Elle portait aussi un collier en or, lourd et voyant, qui reposait au-dessus de sa poitrine. Il représentait trois torches entre croisées, symbole d'Hécate. Lou Ellen ressentit une colère sourde pulser en elle. Médée n'avait aucun droit sur ce symbole, pas après ce qu'elle avait osé faire. Elle parut comprendre ses pensées car elle porta soudain sa main à sa gorge et son rictus s'agrandit.

- Ne me fais pas la leçon, fille d'Hécate, lui dit-elle d'une voix chargée d'un léger accent qui trahissait ses origines. La magie coule peut-être dans tes veines mais pour nous autres, elle a été un combat. Nous avons autant de droit sur ces torches que toi.

- De droit ? Je n'ai aucun droit dessus, elles appartiennent à ma mère !

- Des attributs tout au plus. Elle n'en a pas besoin, ses pouvoirs lui viennent de son essence divine.

- C'est faux et vous le savez... Les Dieux tirent une partie de leurs pouvoirs dans leur symbole. Ils renforment justement leur essence. C'est un vol d'identité, ni plus ni moins.

Pasiphaé roula des yeux, l'air agacé.

- Et ce qu'on nous a fait subir ? Ne crois-tu pas que c'était un vol d'identité aussi ?

- Oui, oui, on sait, s'impatienta Nico sans se laisser impressionner. On vous a fait subir des choses horribles et vous n'arrivez pas à pardonner à Hécate...

- Ne te moque pas, fils d'Hadès ! cingla Circé, furieuse. Toi plus que tout autre devrait comprendre la persécution. Nous avons toujours été les exclus, celles que les mortels traquaient et lynchaient en place publique. Aujourd'hui, nous prenons notre revanche. Nous reprenons notre dû : la magie ultime.

D'une certaine façon, Lou Ellen comprenait les paroles des trois magiciennes. Elle avait connu ce qu'elle décrivait. Elle se souvenait des moqueries et du sentiment ravageur de n'appartenir à aucun groupe, d'être moquée et décriée. Maîtriser ses pouvoirs l'avait en partie réconcilié avec son héritage. Et sous un certain angle, la magie était aussi l'héritage des femmes devant elles. Issues d'une même famille, elles avaient fait de la magie leur identité, une véritable revendication.

- J'entends ce que vous dites, assura-t-elle, compréhensive. Mais vous ne pouvez pas vous dresser contre une déesse. Les torches... Elles sont plus que la source de son pouvoir, elles en sont la projection. Leur lumière guide les âmes égarées vers les Enfers. Sans elles, ça sera le chaos.

- Les âmes ? Et pourquoi reviendraient-elles à Hécate ? Nous pourrions tout autant assurer cette tâche. Après tout, contrairement à elle, nous avons véritablement conscience de ce qu'être égarée signifie.

Nico parut être arrivé au bout de sa patience car il émit un claquement de langue agacé.

- Di Immortales... Être égaré, répéta-t-il avec dédain. Mais qu'est-ce que vous en savez ? Vous passez votre temps à vous attaquer à plus faibles que vous. Quand c'était pas avec Cronos, c'était avec Gaïa. A une époque ça a même été Hécate avant qu'elle refuse de vous donner plus de pouvoirs !

- Nico... intervint Will, tendu, comme une mise en garde.

Lou Ellen ne put qu'approuver. D'instinct, elle réaffermit sa prise autour de son épée et commença à lever l'autre main, prête à jeter un sort si nécessaire. Heureusement, elles n'attaquèrent pas. Médée se contenta d'avancer un pas, menaçante, et planta son regard dans celui de Nico. La température sembla baisser drastiquement.

- Et toi, demi-dieu, comment oses-tu juger ? lui jeta-t-elle, venimeuse. Tu penses que nous ne savons rien de l'égarement ? Nous ? (Elle secoua la tête, faisant voler ses mèches sombres comme des volutes de fumée). Saches que nous sommes des égarées à plus d'un titre. Nous sommes ce que tu ne pourras jamais comprendre : sorcières, étrangères et femmes. Depuis des siècles, nous avons été abusées par les hommes pour cela !

- Punie à la place d'un mari... clama Pasiphaé.

- Piégée par les dieux et les mortels... renchérit Circé.

- Trahie par l'homme aimé... compléta Médée d'une voix sinistre. J'avais tout sacrifié pour lui. Mon pays, ma famille, mon honneur ! Je suis devenue une errante, abandonnant ma couronne et mon palais. J'avais tout donné pour Jason ! Jusqu'à mon âme ! Et il a osé se détourner de moi, me calomnier et laisser les habitants de Corinthe croire que j'étais une magicienne obscure, celle dont la voix racontait des mensonges et dont les mains guérisseuses apportaient le poison. J'étais l'étrangère là où Jason n'était que le héros. Alors je suis devenue ce qu'ils disaient de moi : la sorcière.

- Mais vos enfants... souffla Lou Ellen, incapable d'occulter la fin de l'histoire de Médée qu'elle connaissait par cœur.

Dans presque toutes les versions du mythe de Médée, transformé par le temps, la fin faisait de la princesse de Colchide la meurtrière de ses propres fils pour punir Jason. Lou Ellen n'avait pas besoin d'être mère pour sentir son estomac se retourner à cette simple pensée.

- Ah mes enfants... C'est là tout le mystère, n'est-ce pas ? Comment peut-on donner la mort à ceux mêmes à qui on a donné la vie ? La réponse est simple : ce n'est qu'en me détachant d'eux que j'entrais dans l'immortalité. L'humanité, elle, aurait refusé ce geste. Pas moi. Moi, je suis Médée, et plus personne – plus aucun homme ! – n'osera l'oublier. Je ne suis ni épouse, ni mère, ni monstre. Je suis sorcière.

Le mot résonna dans l'air, presque surnaturel. Sur cette revendication, Médée sourit alors froidement. Même ses tantes, qui l'encadraient, eurent l'air mal à l'aise et Will sembla être sur le point de vomir. Lou Ellen se demanda ce que ça lui faisait, à lui le guérisseur, d'entendre un récit pareil.

- Et à ce titre, je fais mienne les torches d'Hécate, conclut donc Médée, implacable. Maintenant je repose ma question, sangs-mêlés. Oserez-vous vous dresser face à moi ?

Le défi était glaçant. Lou Ellen sentit son cœur s'affoler, puis elle glissa un regard vers Nico et Will. Ils se tenaient à ses côtés, inébranlables, et elle se rappela alors ce qu'ils avaient déjà affronté ensemble. Au-delà de cette quête, ils s'étaient battus contre la déesse-mère. Par les dieux, Nico avait même parcouru le Tartare. Ce n'était pas trois magiciennes qui allaient les arrêter. Avec détermination, à l'image de Médée, elle redressa le menton et pria pour que sa voix ne tremble pas.

- Moi aussi, je suis sorcière, déclama-t-elle. Et ses torches sont mon droit de naissance, la mission qu'on m'a confiée. Vous n'êtes qu'une imposture. Toutes ! La bénédiction d'Hécate vous a été donnée et vous l'avez trahie. Alors si vous voulez parler de vengeance, considérez que je représente celle de ma mère.

Sur ces mots, elle se jeta dans la bataille. Elle avait vu Connor faire de même : elle ne devait pas laisser le temps à ses adversaires de reprendre contenance. Sans réfléchir, elle visa Médée en projetant sa lame en avant de toutes ses forces. La magicienne ne put que reculer avec précipitation, renversant une des torches dans le processus. L'herbe grésilla. Un cri de rage s'arracha de la gorge de Médée tandis qu'elle levait les mains, amassant une boule magenta entre ses paumes. Lou Ellen roula à terre pour l'éviter. Du coin de l'œil, elle eut conscience que Nico affrontait Pasiphaé et Will tenait à distance Circé en décochant plusieurs flèches explosives. Elle se releva. Son épée japonaise l'encombrait plus qu'autre chose, réalisa-t-elle alors. Elle ne prit pas le temps de réfléchir. Elle avait affirmé elle-même qu'elle était une sorcière, il était le temps de le prouver : elle avait ses propres armes. D'un geste, elle métamorphosa son saï en son collier à triple croissants de lune. En face d'elle, Médée brandit à nouveau ses mains. Une épaisse fumée surgit de terre, les enveloppant toutes les deux, et pendant une seconde Lou Ellen fut projetée dans la grotte de Mélinoé tant la situation était familière. La Brume brouillait ses sens et elle jeta des boules de magie dans tous les sens, espérant sans trop y croire atteindre Médée avant de se figer brusquement. Si elle atteignait Nico ou Will par mégarde... Médée émit un rire méprisant et émergea soudain à quelques centimètres d'elle. Elle recula en poussant un cri.

- Effrayée par un peu de Brume, ma petite ? nargua-t-elle toujours avec sa voix rauque aux accents si particuliers. Ne sais-tu pas la maitriser depuis le temps ?

- Je...

Mais à nouveau, Médée fit surgir des illusions. Et Lou Ellen avait beau savoir rationnellement que c'en étaient, elle ne put endiguer sa panique alors que quatre murs perçaient soudain le sol pour venir l'encadrer. Elle tenta de les repousser, tétanisée, mais ils continuèrent à s'élever jusqu'à la dépasser, comme quatre côtés d'un cercueil vertical.

- Arrêtez ! hurla-t-elle.

- Tu es pathétique... C'est ça qu'Hécate a choisi face à moi ?

- Lou Ellen ! appela Will au loin.

La voix de Will parut percer la Brume. Elle s'y accrocha de toutes ses forces, puis expira longuement avant de se concentrer. Médée avait des millénaires d'entraînement en matière d'illusions. Il fallait juste qu'elle arrive à les déjouer, un peu à la manière d'un épouvantard. Elle se fit sourire elle-même en songeant à la tête de Connor s'il savait qu'elle faisait des comparaison Harry Potter dans un moment pareil. Avec cette idée à l'esprit, elle leva les mains jusqu'à avoir les paumes à plat contre les murs qui continuaient à l'engloutir. Ils paraissaient si tangibles contre sa peau... Pourtant, elle puisa dans sa magie et les imagina en train de se fendre et tomber à terre, détruits par la seule force de sa volonté. Des dizaines de fissures et de lézardes se mirent alors à courir sur toute la surface et l'illusion vola en éclat. Littéralement.

- Pas mal, apprécia Médée. Mais tu vas te fatiguer avant moi, ma chérie. Et ta mère ne viendra pas te sauver. N'as-tu pas remarquer le point commun entre toutes les femmes choisies par Hécate ?

D'un pas lent, elle se mit à lui tourner autour comme un prédateur avec sa proie. Lou Ellen pivota pour la garder toujours en ligne de mire.

- Moi, Circé, Pasiphaé... Elle nous a toutes abandonnée. Jadis Titan, puis Déesse... Dans le camp de Cronos puis des Olympiens... Hécate est aussi changeante que les voies qu'elle protège. Qu'est-ce qui te fait croire qu'elle est encore de ton côté ?

- C'est ma mère !

- Oh jeune innocente... J'ai bien tué mon propre père, découpé mon frère en morceaux, et tué mes enfants par vengeance. La famille, ça ne veut rien dire. Juste un mot pour te retenir d'accomplir ta destinée.

- Vous n'aviez pas la bonne famille alors. Je vous plains plus qu'autre chose. La famille donne de la force.

- Tu crois ?

Lou Ellen n'eut pas le temps de répondre. Dans leur déplacement incessant, elles s'étaient décalées vers le combat entre Nico et Pasiphaé. Cette dernière devait tirer sa force du Labyrinthe sur leurs pieds car l'herbe brillait d'un éclat doré à chacun de ses pas avant de se recroqueviller, mourantes. Le même phénomène se jouait pourtant du côté de Nico, la lumière magique en moins.

- Les ombres sont peut-être tes fidèles compagnes, fils d'Hadès, mais veilles à ce qu'elles ne deviennent pas tes ennemis, prévint Pasiphaé.

- C'est vous qui devriez avoir peur des ombres !

Elle avait beau avoir assisté au phénomène plusieurs fois maintenant, Lou Ellen resta bouche-bée en voyant les ombres répondre à l'appel de Nico. Le mur de ténèbres se dressa avant de se heurter à celui de fumée blanche de Pasiphaé : les Ombres contre la Brume. L'opposition plongea la scène dans un clair-obscur avant qu'ils ne ressortent face à face. Nico décrivit un large arc de cercle avec son épée, mais Pasiphaé bloqua la lame d'un mouvement de main qui fit jaillir une racine du sol avant de s'enrouler autour d'elle. Les yeux de Nico s'écarquillèrent.

- Ta mort sera ma vengeance contre ta sœur, siffla Pasiphaé. Je me délecterai des larmes d'Hazel Levesque, sois en sûr. Mais elle te rejoindra dans le royaume de votre père assez vite, ne t'inquiète pas.

Cette fois, Lou Ellen vit Nico se figer. Elle comprit en une seconde que Pasiphaé venait de signer sa défaite. Personne ne menaçait Hazel devant Nico. Elle le savait pour avoir vu son expression le jour où Mélinoé avait évoqué Bianca en suggérant qu'il avait remplacé une sœur par une autre : il ne perdrait pas Hazel. Pas à nouveau.

Avant que quiconque – elle-même, Médée ou Pasiphaé – ait pu esquisser un geste, Nico relâcha brusquement son épée en fer stygien qui resta prisonnière de la racine et saisit le poignet de Pasiphaé. Lou Ellen hoqueta de stupeur.

- C'est vous qui irez rejoindre votre mari, dit-il d'une voix glaciale. Dites à Minos que le Roi Fantôme le salut.

Sur ces mots, il resserra ses doigts si fort que Pasiphaé laissa échapper un cri de douleur. Puis, si lentement que Lou Ellen crut à nouveau être victime d'une illusion, elle se mit à disparaître. Il n'y avait pas d'autre mot. Sa peau perdit de son éclat et sa consistance vacilla, comme si elle devenait aussi tangible que la Brume autour d'eux. Même Médée eut un souffle haché qui sembla se coincer dans sa poitrine alors que tout le monde s'arrêtait pour observer Pasiphaé devenir transparente comme du verre fumé. De l'autre côté du champ de bataille, près de la torche encore debout, Lou Ellen vit Will et Circé tournés vers le spectacle, immobiles.

- Qu'est-ce que tu fais ? Non ! Arrête !

- Vous n'aurez qu'à errer dans votre Labyrinthe tous les deux, se contenta de répondre Nico, implacable. Après tout, il en connait chaque couloir... Un véritable guide, vous verrez.

- Pitié !

- Il n'y a aucune pitié aux Enfers. Seulement la justice. Encore une fois, votre mari en sait quelque chose.

Les traits de Pasiphaé se contractèrent, presque invisibles désormais.

- Je refuse de payer pour ses crimes ! Je ne suis pas responsable de Minos !

- Non, c'est vrai. Mais vous êtes coupables de vos actions. Alors au nom de ma sœur, laissez-moi vous le dire : vous avez perdu.

Et avec une dernière pression, le corps de Pasiphaé disparut. Les doigts de Nico se refermèrent sur du vide.

- Par tous les titans du monde... murmura Médée après quelques secondes, comme si le temps s'était suspendu. Qu'es-tu ?

Nico la toisa. Il se mit soudain à tanguer.

- Un enfant des Enfers, dit-il simplement.

Puis il s'effondra. Lou Ellen crut presque voir les fils d'une marionnette céder au moment où le corps de Nico bascula, inconscient. Will poussa un cri de détresse qui l'éveilla alors de sa transe.

- Will, attention !

Il se retourna à temps pour éviter le coup que Circé lui portait.

- Will, reste concentré ! Tu l'aideras après !

- Suis ton propre conseil, fille d'Hécate.

Lou Ellen fit volte-face à son tour. Médée se dressait derrière elle et elle fit un pas de côté pour éviter la boule de magie qui lui siffla aux oreilles. Ce n'était pas le moment de fléchir. Avec une magicienne en moins, elle se rapprochait des torches. Plus vite elle les récupèrerait, plus vite elle rejoindrait Connor et Lacy. La respiration haletante, elle plongea en elle-même pour faire jaillir sa magie. Son sort de métamorphose en cochon, si familier, se matérialisa entre ses mains et elle le projeta vers Médée qui le bloqua avec un mur de Brume aussi solide qu'un bouclier. Sans attendre, elle tenta un deuxième projectile que Médée évita tout aussi facilement avant de l'imiter. Lou Ellen plongea pour l'éviter et la boule de magie explosa au-dessus de sa tête. Mais elle n'eut beau pas l'atteindre, elle en ressentit les effets en une seconde : un son perçant, insupportable et douloureux, lui vrilla les tympans et elle plaqua ses mains sur ses oreilles. Un sort acoustique, reconnut-elle au fond de son esprit accaparé par un océan sonore de souffrance. Difficilement, elle écarta ses mains, les larmes yeux, puis les posa contre le sol. Si Pasiphaé avait pu contrôler la nature... La magie touchait toutes choses. Pas besoin d'être un enfant de Demeter.

Soudain, la racine toujours enroulée autour de l'épée de Nico reprit vie pour venir s'emparer de la jambe de Médée. Celle-ci baissa les yeux, surprise, avant d'être déséquilibrée lorsque Lou Ellen ordonna à la racine de tirer d'un mouvement brusque. Médée s'étala à terre dans un cri et le bruit infernal cessa.

Lou Ellen poussa un soupir de soulagement. Elle se releva et recula pour être hors de la portée de Médée, puis se souvint brusquement de la mauvaise posture de Will il y a une minute. Elle le chercha du regard avant de l'apercevoir. Il était renversé sur le dos, son arc gisant dans l'herbe de Colchide à quelques mètres. Il tenait encore le poignard des Dactyles, mais Circé pesait sur lui, sa propre dague au poing. Elle faisait pression de tout son poids tandis qu'il se débattait.

- Will !

Sans y penser, elle appela la Brume et se laissa envelopper. Elle se rappelait vaguement ce que Nico lui avait dit sur le fonctionnement du voyage d'ombre. Elle se souvenait à peu près de la sensation avec Mrs O 'Leary. Elle laissa sa mémoire et son instinct la guider. Elle eut l'impression d'être recouverte d'une couverture humide, puis de traverser un nuage, et enfin de dégringoler dans des montagnes russes. Et elle se déplaça par voyage de Brume : elle ne se tenait plus là où elle avait été, elle était désormais juste derrière Circé. Will écarquilla les yeux.

- Will, maintenant !

En même temps que son ordre, elle attrapa le bras de Circé, celui qui tenait la dague prête à frapper. La magicienne se retourna, perplexe, mais Will n'hésita pas. Il lui plongea le poignard dans la cuisse. Circé hurla.

- Espèce de sang-mêlé ! cracha-t-elle. Les fils d'Apollon sont les pires ! Tu crois que la virilité est une affaire d'hommes ? Attends de voir ce que je vais te faire !

D'un geste brusque, elle se dégagea si fort que Lou Ellen tomba à genoux et projeta sa paume ouverte vers le visage de Will. Celui-ci ferma les yeux par réflexe, mais rien ne se passa. Lou Ellen sentit un rire gonfler dans sa poitrine. Les Dactyles n'avaient pas menti.

- Comment... Qu'est-ce que... ? s'étonna Circé.

- Oh... fit mine de s'ébahir Will. On ne vous a pas dit ? Ce poignard capture les pouvoirs magiques. J'espère que ça ne vous manquera pas tout de suite ?

- Toi ! Je vais te maudire pour l'étern...

Elle n'eut pas le temps de terminer sa menace. Will avait à nouveau frappé. Comme Lacy avec la Propétide, il choisit sa cible avec choix : le cœur. Et contrairement à la fille d'Aphrodite, il avait la précision d'un médecin. La lame s'infiltra sans résistance entre deux côtes. Circé poussa un cri muet, bouche entre-ouverte, puis un filet de sang coula au coin de sa bouche, colorant ses lèvres en rouge cramoisi. Et elle dissout dans l'air, son corps immortel vaincu pour le moment.

Will expira de soulagement, la tête renversée dans l'herbe.

- Bien joué, William, souffla-t-elle.

- Merci... Comment tu... ? Nico !

Il parut se souvenir de son petit ami, toujours évanoui à quelques mètres, et il se remit sur ses pieds à toute vitesse. Lou Ellen le laissa faire. Il pouvait s'occuper de Nico, elle avait encore un ennemi à affronter. Comme en écho à ses pensées, Médée fonçait sur elle à grands pas, le visage déformé par la rage en constatant la défaite de sa deuxième tante et acolyte.

- Finis de jouer, fille d'Hécate ! rugit-elle. Assez de tes tours de passe-passe ! Je suis la petite-fille d'Hélios en personne ! Je vais t'arracher le cœur et le regarder brûler dans les flammes de ces torches !

D'une main, elle désigna la torche renversée juste à côté d'elle et les deux autres encore debout. Si proche, Lou Ellen pouvait percevoir le pouvoir de celle à terre en écho, comme des pulsassions.

- Prends la magie qui te revient, souffla soudain une voix au creux de son oreille.

A moins que ça ne soit dans son esprit.

- Maman ? murmura-t-elle.

- Bats-toi en mon nom, ma fille.

Incertaine, Lou Ellen tendit la main. Médée s'arrêta net.

- Non !

Mais elle ne pouvait plus l'arrêter. Lou Ellen sentit sa paume rentrer en contact avec le socle en fer forgé de la torche. Et le monde explosa derrière ses paupières. Ce fut comme si tout le pouvoir d'Hécate se déversait en elle, courait dans ses veines, saturait son corps... Elle voyait tout. Chaque carrefour. Chaque décision. Chaque possibilité. Elle pouvait sentir les âmes errantes traverser la planète en quête d'une entrée pour les Enfers. Elle entendait les prières de chaque sorcière, chaque être doué de magie... La sensation était vertigineuse. Presque douloureuse. De loin, elle pouvait presque voir sa peau se mettre à fumer, mais elle était trop préoccupée par le reste. Et alors elle se souvint de Médée, toujours devant elle. Médée qui avait perverti le don de Hécate. Le pouvoir accumulé en elle jaillit soudain. Jamais de sa vie elle n'avait jeté un sort si puissant. La magie fusa telle une flèche impossible à arrêter et irradia sur plusieurs mètres avant d'atteindre Médée. Dans une tentative désespérée, celle-ci essaya de dresser un bouclier de Brume face à elle, mais la magie le traversa comme s'il n'était fait que de fumée élémentaire. Médée poussa un rugissement avant de disparaître. Epuisée, Lou Ellen retira sa main et s'effondra à son tour, à peine consciente, mais elle eut la force de chuchoter avant de sombrer :

- Je suis sorcière...

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Et voilà ! Il restera désormais deux chapitres et un épilogue avant la fin !

A lundi prochain ;)
Charmimnachirachiva

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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par Charmimnachirachiva »

Bon j'avais fait un com qui vient de s'effacer 😭 alors je me contenterai de réaffirmer mon amour pour cette série ! (Le Solangelo et Lou et Connor sont trop chou et je suis très fière de Lacy !)
Et c'est triste que ce soit déjà bientôt fini...
annabethfan

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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par annabethfan »

On approche de la fin ^^ Plus qu'un chapitre et un épilogue! En attendant, j'espère que vous aimerez ce chapitre et je vous souhaite une bonne rentrée ( mais soyons réalistes, c'est une rentrée quoi...)

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Chapitre 20 : Escale au Camp Jupiter

Will ne savait pas très bien ce qui s'était passé dans ce combat. Tout avait été vite, trop vite, et il avait essayé de garder un œil sur tout, ce qui avait abouti au résultat inverse : il n'avait pas compris ce que Lou Ellen avait fait pour battre Médée. A vrai dire, il blâmait davantage Nico sur la fin. Il avait été trop inquiet pour lui pour se soucier d'autres choses. Pourtant, en entendant Médée hurler de colère, il avait fait volte-face pour la découvrir auréolée de lumière et de brume avant qu'elle ne se prenne le sort de Lou Ellen, incapable de le dévier. Et elle avait disparu... Lou Ellen, elle, s'était écroulée. Ce qui faisait que Will se retrouvait avec deux corps inconscients sur les bras. Il jura à voix basse.

Toujours agenouillé devant Nico, il prit son pouls et s'assura que son état était stable. Il ressentait surtout une certaine faiblesse émanée de lui, mais il mit ça sur le compte de l'utilisation massive de son pouvoir il y a quelques minutes. Rien qu'en repensant à l'expression de Pasiphaé, il frissonna. Entendre le récit de ce qui était arrivé à Bryce Lawrence et le voir de ses propres yeux étaient différents. Il ne savait pas s'il trouvait l'expérience fascinante ou effrayante... sûrement un peu des deux. Il avait toujours su que les pouvoirs de Nico étaient bien plus puissants que ceux des autres demi-dieux à la Colonie, mis à part Percy. Et encore... C'étaient des jours comme aujourd'hui qui le faisaient douter. Percy maîtrisait ses pouvoirs, mais il ne les avait probablement pas testés jusqu'à leurs limites. Du moins, Will n'en avait jamais été témoin. Nico, lui, repoussait les possibles depuis son plus jeune âge. Guidé par Minos, il avait appris seul et avait progressé sans doute trop vite. Il était persuadé que ses évanouissements répétés venaient de là. Un nouveau frisson le parcourut alors que la vision de Nico s'écroulant à terre lui revint... Transformer les gens en fantôme n'était pas neutre. C'était arracher leur énergie vitale, la consistance même d'un corps... Ce n'était pas étonnant que le contre-coup soit si dur. Le Roi Fantôme portait peut-être bien son titre, mais la couronne venait avec un poids à porter.

En soupirant, Will s'assura une dernière fois que Nico allait bien, avant de se relever pour se diriger vers Lou Ellen. Ses cheveux noirs s'étalaient autour de sa tête, tournée vers le sol. Il déglutit en se baissant à sa hauteur avant de prendre son pouls. Immédiatement, il poussa un nouveau soupir de soulagement en le sentant battre sous ses doigts, régulier et stable. Avec précision, il la bascula sur le côté en position latérale de sécurité avant de porter ses mains le long de son corps. Il ressentit le même phénomène qu'avec Nico : elle était vidée de son énergie et avait une plaie sur la joue. A côté d'elle, la torche renversée rougeoyait toujours, les plongeant dans une semi-lueur orangée.

- Lou ! Will ! Nico !

La voix de Connor, portée par le vent, l'atteint avec surprise et il se releva la tête à temps pour le voir dévaler la colline, Lacy sur les talons. Ils portaient tous les deux leurs affaires et Will se précipita à leur rencontre.

- Donnez-moi de l'ambroisie, commanda-t-il sans prendre la peine de leur demander s'ils allaient bien.

- Lou ? Qu'est-ce que... ?

- Elle va bien, Nico aussi. Ils sont juste épuisés. J'ai besoin de les remettre sur pieds.

- Tiens, lui tendit Lacy avec empressement. Et du nectar.

- Merci...

Même si son instinct lui criait de soigner Nico en premier, il retourna d'abord auprès de Lou Ellen. Son corps avait été nettement éprouvé ces deux dernières semaines et elle n'en avait pas l'habitude. Doucement, il dégagea son visage tandis que Connor se laissait tomber à genoux près d'elle, le teint blême.

- Will, par les dieux, qu'est-ce qui s'est passé ?

- Je n'ai pas tout vu. Mais elle s'est battue contre Médée.

- Quoi ? Mais vous étiez où ?

Concentré, il prit le temps de jeter un coup d'œil incrédule à Connor.

- Oh je ne sais pas, railla-t-il. On était peut-être occupés avec les deux autres magiciennes surpuissantes ?

Connor grimaça.

- Désolé, je ne voulais pas dire... Je suis juste... enfin...

- Je sais, coupa-t-il plus doucement, conscient d'être injuste. Crois-moi, je sais. Mais elle va bien. Son corps est juste en surchauffe. Elle a besoin de se reposer, c'est pour ça qu'elle s'est évanouie. Un peu d'ambroisie et de nectar devraient la réveiller, même si la faiblesse va encore rester un peu. Ça ira. On a les torches maintenant.

D'un coup de menton après avoir fait avaler du nectar à Lou Ellen, il désigna les trois torches disséminées près d'eux. Ce n'est qu'à cet instant que Connor et Lacy parurent prendre conscience de leur présence et ils écarquillèrent les yeux. Lacy se mit même à rire de façon incontrôlée.

- On l'a fait ! s'exclama-t-elle. On a retrouvé les torches !

Will se sentit sourire face à son enthousiasme et continua à utiliser sa magie guérisseuse, passant ses mains illuminés le long du ventre de sa patiente. Il pouvait sentir sa force vitale revenir plus forte et plus consistante.

- Elles sont même pas si incroyables que ça, commenta Connor après les avoir contemplé un instant, désabusé.

- Critique pas les attributs divins de ma mère...

- Lou !

Will s'écarta juste à temps pour éviter de se prendre un coup tandis que Connor prenait presque Lou Ellen à bras le corps pour la relever et l'attirer dans une étreinte à briser les os. Elle laissa échapper un glapissement de surprise avant de la lui rendre.

- Je vais bien, Alatir, je vais bien, assura-t-elle en lui tapotant doucement le dos.

- T'es sûre de... ?

- Connor, je suis sûre. Un peu sonnée, c'est tout...

Comme pour prouver ses paroles, elle porta la main à ses tempes, clignant des yeux, et Will lui mit un carré d'ambroisie dans la bouche. Elle mordit dedans par réflexe avant de se mettre à mâcher.

- Tu vas bien, toi ? lui demanda-t-elle. Circé, elle ne t'a rien fait ?

- A peine une égratignure, promit-il. Le poignard des Dactyles a bien fait son boulot !

- Sérieux ? Il a fonctionné ? intervint Connor, son bras toujours passé autour de la taille de Lou Ellen.

- Il faut croire que personne n'a essayé de nous duper pour une fois...

- Miracle !

Lou Ellen sourit. Will ne put s'empêcher de remarquer qu'elle s'appuyait encore largement sur Connor.

- Et vous ? Votre combat contre Autolycos ?

- Oh, on a...

- Attends, désolé, coupa soudain Will, tendu. On peut poursuivre cette conversation pendant que je soigne le Prince des ténèbres là-bas ?

- S'il t'entend l'appeler comme ça, tu sais qu'il va se rebarrer en vol d'ombres ?

- Possible !

Sur ces mots, il se releva encore une fois, attrapa son sac à dos près de Lacy et traversa la distance jusqu'à Nico à grandes enjambées. Il recommença son rituel de guérison. Derrière lui, Lou Ellen mit plus de temps à se remettre sur ses pieds, soutenue par Lacy et Connor, puis ils le rejoignirent. Le fils d'Hermès avisa Nico.

- Et lui ? Qu'est-ce qui s'est passé ? fit-il.

- Tu ne le croirais pas si je te racontais... dit Lou Ellen.

- A ce point ?

Will se mordit la lèvre et échangea un regard avec Lou Ellen. Dans ses yeux, il lut en reflet ce qu'il ressentait : elle non plus ne se remettait pas de ce qu'elle avait vu.

- Il était face à Pasiphaé, raconta-t-elle à voix basse, comme si elle avait peur d'être entendu. J'étais plus loin, je n'ai pas tout suivi de leur affrontement mais... elle a menacé Hazel à un moment.

- Mauvaise idée...

- Exactement. Du coup... Nico a lâché son épée.

Connor et Lacy froncèrent les sourcils, perplexes, et Will se concentra sur ses mains qu'il passait maintenant sur le torse de Nico pour éviter de continuer à regarder leur expression.

- Comment ça ?

- Il... il a attrapé le bras de Pasiphaé. Et il la fait... disparaître.

- Disparaître ? répéta Lacy. Ça veut dire quoi ?

- Ce que ça signifie, intervint Will. Il l'a transformé en fantôme.

La réaction des autres ne se fit pas attendre. Ils se redressèrent, abasourdis, et se mirent à parler en même temps :

- En fantôme ? Un vrai ?

- Mais il peut faire ça ? Depuis quand ?

- Elle est morte alors ? Ou il la envoyé aux Enfers ?

- Je ne sais pas ! Je ne sais pas, d'accord ? Pas un vrai fantôme, non, je ne pense pas. Pasiphaé reste immortelle. Il l'a changé en esprit, en écho d'elle-même je pense. Elle pourra reprendre un corps avec du temps, mais ça sera difficile. (Fatigué, il fit boire du nectar à Nico, remarquant à quel point il avait l'air plus jeune endormi). Il n'arrive pas à faire ça sur commande, c'est plus quand... il est en colère, je dirais. Il ne l'avait fait qu'une fois.

- Menacer sa sœur, c'est une bonne raison de se mettre en colère, jugea Connor. Enfin, surtout quand on connait le passé de Nico...

Will se passa une main dans ses cheveux, nerveux.

- Justement, ne lui en parlez pas tout de suite d'accord ? Ou ne faites pas comme si c'était un truc énorme. Il ne le vit pas hyper bien...

- Promis, murmura Lacy.

Avec un temps de retard, Lou Ellen et Connor acquiescèrent aussi. Leurs mains étaient jointes entre eux et Will haussa un sourcil, curieux. Il y vit un parfait moyen de changer de sujet.

- On pourra revenir à Autolycos dans une minute, mais juste... j'ai loupé quelque chose ? demanda-t-il en les pointant successivement.

Ils rougirent immédiatement.

- Ah... oui ça, marmonna Connor. Hum...

- On doit parler, toi ! s'exclama alors Lou Ellen en lui enfonçant son doigt dans la poitrine, l'air remonté. Je peux savoir ce qui t'as pris par tous les dieux de l'Olympe ?!

- Carrément ? Tous les dieux ?

- Connor !

- Quoi ? C'était un baiser de bonne chance, c'est tout !

Les sourcils de Will s'envolèrent.

- Eh attendez ! Y'a eu un baiser et je ne suis pas au courant ? s'indigna-t-il. Tu savais, toi ?

- Non ! se défendit Lacy. Je me battais ! (Elle tira d'un coup Lou Ellen par la manche). Il faut que je te raconte ce que Connor a fait d'ailleurs.

- Miss Brown, espèce de traitre !

Lou Ellen se tourna vers Lacy, intéressée. En attendant, elle n'avait toujours pas dénouée sa main de celle de Connor.

- Je t'écoute, Lacy.

- Il a utilisé une ruse complètement inconsciente contre Autolycos ! Il a tout misé sur mon enjôlement alors que je suis nulle pour ça !

- Il a quoi ?

- Eh, ça a fonctionné d'accord ? Même mon père l'a dit !

- Ton père ? Quoi ?

- Vous voudriez pas la fermer... souffla soudain une voix rauque. Connor a raison, si ça a marché c'était une bonne stratégie. Et tout le monde savait que vous finiriez ensemble, on peut arrêter de prétendre être choqué ?

Will baissa les yeux. Nico avait ouvert les siens, étendu sur le dos. Les mains toujours à plat sur son torse, il sentit sa tête tournée une seconde, lui aussi fatigué d'avoir autant puisé dans son pouvoir guérisseur, mais le soulagement fut plus fort.

- Nico... dit-il d'une voix tremblante.

- Oui, oui, c'était stupide, mais ça va Solace, je...

Il ne lui laissa pas le temps de terminer. Distrait par ses retrouvailles avec les autres, il avait relégué son inquiétude au fond de son esprit, mais il se rappela brusquement pourquoi il détestait voir Nico blessé : il n'était jamais sûr de réussir à le soigner. D'instinct, il attira donc Nico contre lui, horriblement conscient qu'il devait ressembler à Connor et Lou Ellen il y a quelques minutes. Mais il ne se contenta pas d'une étreinte. Il avait besoin de plus. Il avait besoin de Nico. Surtout, il avait besoin que Nico sache qu'il ne le jugeait pas pour ce qui s'était passé.

Le réduisant au silence, il prit son visage en coupe entre ses mains et s'approcha jusqu'à l'embrasser, doux et avide à la fois. Il sentit Nico se tendre une seconde, sûrement conscient comme lui de la présence des autres, avant qu'il ne s'abandonne contre lui. A nouveau, et comme souvent lorsqu'ils s'embrassaient, Will eut l'impression que c'était plus que leurs lèvres qui se rencontraient : c'était leur corps, c'étaient eux... Nico et lui, c'était un tout. Deux opposés qui s'unissaient pourtant si bien. Personne n'aurait jamais misé sur eux et pourtant Will y avait cru sans hésitation parce qu'au-delà de sa façade, Nico avait tant à offrir. Personne n'arrivait à le voir comme il le voyait : drôle, buté, attachant, outrageusement doué à Mario Kart, cynique, compatissant... Il le raccrochait à la réalité lorsque Will se perdait des heures dans l'infirmerie à aider les autres en oubliant de prendre soin de lui au passage. Il lui montrait sa vision du monde, si différente et semblable à la sienne. C'en était presque effrayant à quel point ses sentiments s'étaient développés vite, mais il ne le regrettait pas. Pas alors qu'il embrassait un Nico bien vivant au cœur battant qui répondait à ses baisers fiévreusement.

Ils finirent malgré tout par s'écarter lorsque Connor se râcla la gorge en lâchant un :

- Présence d'enfant, les gars, sérieux...

- Eh, je ne suis pas une enfant, protesta Lacy en lui donnant un coup de coude.

Les joues sûrement écarlates, Will recula, ses mains s'attardant une seconde sur le visage de Nico avant de lâcher prise. Celui-ci cligna des yeux, surpris, et il rougit aussi. Pourtant, contrairement à il y a quelques semaines, il réussit à se tourner vers les autres sans disparaître dans les ombres.

- Jusqu'au bout Alatir, grommela-t-il.

- Ah toujours là pour t'embêter, petit prince ! Un honneur !

Il fit une fausse révérence avant de reprendre son sérieux.

- Bon, tout le monde est sur pied ? On peut y aller ?

- On ne peut pas attendre avant de reprendre le Labyrinthe ? opposa-t-il. Je ne suis pas sûr que tout le monde soit en état...

- La date limite pour rendre les torches approche, on doit être à New York dans deux jours !

- Ah ah, coupa Connor en levant la main. Qui a parlé du Labyrinthe ?

Avec cérémonie, il ouvrit sa paume. Will se pencha et découvrit cinq perles transparentes à l'intérieur desquelles tourbillonnait de la brume. Il allait demander ce qu'elles étaient mais Nico fut plus rapide :

- Les perles de Perséphone ? Encore ?

- Pas exactement, corrigea Connor avec un sourire tordu. Celles-ci ne sont pas offertes par la reine des enfers, mais par le prince des voleurs !

- Hermès... Mais tu l'as vu ? Tu disais...

- Disons qu'il a eu envie de me rendre une visite paternelle, éluda-t-il. Et ces perles nous ramèneront où on veut !

Will s'illumina. Pas littéralement, mais c'était tout comme.

- Ca veut dire pas de Labyrinthe ? se réjouit-il.

- Et oui ! Alors allez-y, prenez une perle chacun. (Ils obéirent). Prenez les torches aussi, ça serait bête de les laisser en Colchide. (A nouveau, ils s'exécutèrent). Parfait ! A trois, on brise la perle et on retourne aux Etats-Unis. On se tient la main... Prêts ?

- 3...2...1, décompta Lou Ellen. Maintenant !

**

*

- San Francisco ! s'écria Nico, abasourdi. Comment on a fait pour arriver littéralement à l'autre bout du pays ?

- Ah... Il aurait peut-être fallu être plus précis que les « Etats-Unis » ...

- Tu crois ?

Exaspéré, Nico fusilla Connor du regard et celui-ci recula d'un pas, gêné. En fond, le pont du Golden Gate se détachait nettement dans la brume matinale. Il l'avait assez vu lors de ses séjours au Camp Jupiter pour le reconnaître. Le soleil californien entamait sa montée, embrasant la baie de San Francisco d'une lueur dorée et il retint un grognement de dépit.

- Alors... qu'est-ce qu'on fait ? interrogea Lacy, incertaine. On prend le bus ? On vol une voiture ?

- Lacy ! s'indigna Will immédiatement. C'est décidé, je ne te laisse plus jamais avec Connor.

- Jeune padawan, je ne pouvais pas être plus fier ! déclara ce dernier avec grandiloquence.

- N'implique pas Star Wars là-dedans !

- Les garçons...

A côté de lui, Lou Ellen roula des yeux.

- Lacy a raison, il va bien falloir rentrer.

- J'ai peut-être une idée, intervint-il sur une inspiration soudaine. (Il vit Will ouvrir la bouche mais il anticipa sa protestation). Et non, ce n'est pas le vol d'ombre.

D'après son sens de l'orientation, ils se trouvaient à seulement quelques mètres de l'entrée du Camp Jupiter. Ce n'était pas une valeur sûre, mais ça ne coûtait rien d'aller demander aux Romains un moyen de transport. Surtout, il pourrait revoir Hazel et l'excitation le gagna rien qu'à cette idée. Il n'avait pas vu sa sœur depuis la fin du mois d'août, presque deux mois plus tôt. Il n'était même pas encore avec Will à ce moment-là puisqu'ils s'étaient mis ensemble deux jours après son retour.

- Vous voyez ce tunnel ? indiqua-t-il.

- Celui entouré de Brume ? fit Lou Ellen après avoir plissé les yeux quelques secondes.

- Lui-même. Le Camp Jupiter est juste derrière.

La réaction des autres fut immédiate. Ils poussèrent un cri de surprise et Connor se mit même à sautiller sur place.

- Non, tu déconnes ? Les Romains sont juste là ?

- Ouais...

- J'ai toujours voulu voir à quoi leur Colonie ressemblait, souffla Lacy, impressionnée.

Nico fronça le nez.

- Ce n'est pas vraiment une Colonie, corrigea-t-il. Ça porte le nom de « Camp » pour une raison, c'est très... militaire. Mais aussi plus grand, il y a littéralement une ville l'intérieur. La Nouvelle Rome.

- Qu'est-ce qu'on attend alors ? dit Will avec enthousiasme. On y va ?

- Doucement. On approche avec prudence, ils peuvent être un peu nerveux.

- Ils tirent à vue ?

- Pas que je sache... Mais je préfère quand même être prudent.

Sur ce conseil en demi-teinte, il ouvrit la marche, Lou Ellen juste derrière lui. Elle le laissa mener leur groupe et il lui adressa un discret signe de tête. Elle n'avait pas vraiment le choix puisqu'il était le seul à savoir où aller, mais il savait aussi qu'il n'était pas le leader de cette quête. Le fait qu'elle porte les torches en était la preuve même. Durant leur voyage, ces dernières avaient d'ailleurs changé de forme pour s'adapter et s'étaient réduites à la taille de trois pendentifs que Lou Ellen avait glissé autour de son collier au triple croissant de lune. La symbolique de réunification était presque poétique.

Dès qu'ils pénétrèrent dans le tunnel de Caldecott, Nico sentit son corps vibrer à cause des vagues magiques de la barrière qui entourait le Camp. Il ressentait la même chose quand il franchissait les limites de la Colonie, même si la sensation ne durait dans les deux cas que quelques minutes. Il pressa le pas, conscient que Reyna, Frank et Hazel étaient juste au bout du tunnel. Littéralement. Même s'il refusait de l'avouer, il devait reconnaître que revoir Bryce Lawrence lui avait rappelé douloureusement son périple avec Reyna, mais aussi toute la guerre contre Gaïa, et il avait hâte de les revoir.

Alors qu'il gardait les yeux fixés devant lui, Will se glissa à ses côtés. Et comme souvent, il parut deviner ses pensées.

- Ca fera plaisir à Hazel de te voir, dit-il avec un sourire.

- Visite surprise, ma spécialité.

- Ouais... En parlant de surprise, hum...

Apparemment mal à l'aise, il chercha ses mots et se passa une main sur la nuque. Nico haussa un sourcil, même si au fond de lui il avait une petite idée de ce dont voulait parler Will. Son ventre se serra d'appréhension.

- C'est juste une question, d'accord ? Pas de pression, ni rien...

- Will, crache le morceau.

- Est-ce que Hazel sait pour nous ? Et... est-ce que tu veux lui dire ? On peut juste... enfin elle n'est pas obligée d'être au courant aujourd'hui si tu ne veux pas... si tu n'es pas prêt... (il buta sur ses mots puis claqua presque ses dents entre elles en fermant la bouche brusquement). Je vais me taire maintenant.

Si son niveau de nervosité n'avait pas été aussi haut à l'instant présent, il se serait moqué de Will. Au lieu de ça, la boule dans son ventre grossit. Même s'il était bien plus à l'aise vis-à-vis de sa relation avec Will qu'avant, il ne pouvait pas s'empêcher de ressentir cette peur – cette honte – au fond de son esprit. C'était dévorant. Il détestait ressentir ça, il se détestait de l'imposer à Will qui n'avait été rien d'autre que patient avec lui. Surtout, ce n'était même pas tant pour lui-même qu'il avait peur, mais pour Hazel. En termes de décalage temporel, elle n'était pas mieux que lui. Les Etats-Unis des années 30 et les pensionnats pour jeunes filles n'avaient pas dû être de grands alliés LGBT+... Et il avait beau savoir qu'Hazel l'aimait, il ne supporterait pas de voir l'incompréhension ou pire le rejet sur son visage. Il avait déjà perdu une sœur...

- Nico, eh, Nico... appela Will avec douceur.

Par les dieux, il devait avoir l'air paniqué. Mortifié, il tenta de se recomposer une expression neutre et allongea le pas, la main crispée sur la garde de son épée dans un geste familier.

- Désolé...

- C'est moi qui suis désolé, je ne voulais pas... enfin je voulais juste savoir pour m'adapter, ne pas faire de gaffes...

A la simple idée que Will considère évoquer leur relation comme une « gaffe », Nico eut l'impression de se prendre un coup de poing dans la poitrine. Il aurait voulu tirer les ombres à lui et disparaître dedans, comme toujours, parce que personne – pas même lui – n'avait le droit de faire ressentir à Will ce sentiment.

- Je vais lui parler, décida-t-il brusquement. A Hazel. Enfin, je vais essayer...

- Tu veux dire... de nous ?

- Non, Will, du prochain menu de noël de la Colonie.

Son ton railleur eu le mérite d'arracher un sourire à Will.

- Question idiote, pardon. Mais tu sais que... je ne te demande rien, hum ? C'est ton choix, tu n'as pas besoin de le faire pour moi. Ça te concerne toi, toi et Hazel.

- Je sais. Mais... je ne veux pas lui mentir. Pas sur ça.

Pas sur la personne la plus importante de ma vie, ajouta-t-il dans sa tête en plantant ses yeux dans ceux de Will, comme s'il pouvait lui permettre de lire dans son esprit s'il pensait assez fort. D'une certaine façon, Will parut comprendre et il acquiesça avec solennité. Ça ne fit rien pour calmer son anxiété, mais ça apaisa déjà sa culpabilité.

- Eh les amoureux ! héla pile à ce moment Connor derrière eux. Vous nous attendez au lieu de faire des messes basses devant ?

- Je vais aller lui expliquer la situation, s'empressa de le rassurer Will. Ça serait bête qu'Hazel soit mise au courant par Connor !

- S'il fait ça, je laisserai Hadès ou Travis se charger de lui.

- Oh dur ! Je reviens !

A petites foulées, Will repartit en direction des autres et Nico n'arriva plus à entendre leur conversation. De toute façon, ils approchaient de la fin du tunnel. Il pouvait presque apercevoir la lumière de l'ouverture. Son intuition se confirma juste après le virage : il distingua soudain la sortie, gardée par deux personnes assises à même le sol en train de jouer aux cartes. En les entendant arriver, elles se relevèrent d'un bond, lance et épée en main.

- Au nom de Rome, arrêtez-vous ! proclama une voix féminine. Déclinez votre identité !

- Nico Di Angelo, William Solace, Connor Alatir, Lou Ellen Blackstone et Lacy Brown, cria-t-il en retour. Demi-dieux grecs ! On vient demander à faire une escale chez vous, on mène une quête.

- Oh... C'était prévu ça dans le protocole ? marmonna la fille à son collègue, mais Nico l'entendit grâce à l'écho des murs en ciment du tunnel.

- Je crois oui, Reyna a dit qu'on devait accueillir les Grecs s'ils venaient... Et attends ! Nico Di Angelo ? répéta-t-il. L'Ambassadeur de Pluton ?

Nico haussa un sourcil. Ça faisait longtemps qu'il n'avait plus été appelé ainsi.

- Oui...

- C'est bon, je le connais, assura le garçon. Venez !

Rattrapé par les autres, il avança jusqu'à la sortie. Il remarqua du coin de l'œil que Connor n'avait pas retransformé son épée en mousqueton, comme s'il s'attendait à devoir se battre, même s'il l'avait laissé à sa ceinture. Les vieilles habitudes avaient la vie dure. Arrivé face aux deux gardes, Nico les reconnut finalement. Il ne leur avait jamais parlé, mais il les avait vu de loin pendant ses séjours au Camp Jupiter : Leila, fille de Cérès et centurion de la Quatrième Cohorte, et Nathan, un centurion de la Deuxième Cohorte.

- Bonjour, salua Lou Ellen avec un sourire avenant quoiqu'un peu crispé. Désolée de débarquer à l'improviste, on est sur le chemin de retour de notre quête et on a... atterri ici en quelque sorte.

- Pas de problème, assura Nathan. Venez, je vais vous emmener voir les Prêteurs ! Leila, tu restes là ?

- Mouais...

Visiblement, Leila n'avait pas l'air ravi de garder le tunnel toute seule, mais elle s'y plia de mauvaise grâce. Ils suivirent donc Nathan jusqu'au pont qui enjambait le Tibre et la Principia se détacha soudain du paysage avec ses toits orangés et ses colonnes blanches qui étincelaient dans le soleil automnale. Il entendit distinctement le souffle de surprise des autres dans son dos et il sourit. Il avait tendance à oublier le côté impressionnant du Camp Jupiter. Les bâtiments, si romains, renvoyaient une image de force et de splendeur qu'il avait rarement vu ailleurs.

Alors qu'ils allaient entrée dans les limites de la Principia, un bruit de bouchon qui saute résonna soudain et Terminus, la statue sans bras, apparu pile devant eux pour leur barrer le passage.

- Halte là ! s'exclama-t-il. Vous ne pensiez pas passer les contrôles sans moi ?

- Terminus, gronda Nathan en roulant des yeux. C'est bon, ils sont avec moi.

- Certainement pas ! Aucune arme n'est autorisée à l'intérieur du Sénat et...

- Ca tombe bien, on ne va pas au Sénat. On va voir les Prêteurs.

- Ah... Dans ce cas... (Terminus fronça son nez en pierre, ce qui était assez perturbant à voir). Suivez ce chemin !

Il parut leur indiquer une direction, mais c'était difficile de l'affirmer puisqu'il n'avait pas de bras. Nathan hocha la tête.

- Merci, Terminus.

Alors qu'ils passaient la frontière pour rentrer dans Principia, Terminus les examina sous toutes les coutures, comme pour s'assurer qu'ils n'étaient pas dangereux, puis ils remontèrent le chemin pavé vers le Preatorium, les quartiers des Prêteurs. Nathan les fit traverser plusieurs pièces jusqu'à arriver devant une porte entre-ouverte qui devait mener à un bureau. Nico les voix de Reyna et Frank avant les voir.

- Je dis juste que ça pourrait être une idée pour les prochains jeux de guerre. Ça pourrait les motiver.

- Et je ne dis pas le contraire, c'est juste que je ne veux pas plus de vingt personnes à l'infirmerie cette fois-ci, sinon c'est contreproductif.

- La dernière fois...

- On a dit qu'on ne parlait plus de la dernière fois !

Nico se sentit sourire malgré lui et s'adossa au chambranle.

- Si vous voulez un vrai adversaire, vous pouvez toujours nous demander, lâcha-t-il.

D'un bloc, Frank et Reyna se retournèrent, surpris. Ils mirent une seconde à réagir, bouche entre-ouverte, et il se retint d'éclater de rire.

- Nico ! s'exclama Reyna. Par les dieux, qu'est-ce que tu fais ici ?

- J'étais dans le coin...

- On s'est perdus, dénonça Lou Ellen dans son dos.

Il grimaça. Pourtant, il ne loupa pas le sourire qui vint éclairer le visage sévère de Reyna alors qu'elle traversait le bureau en quelques enjambées pour venir l'accueillir, Frank dans son sillage. Il avança d'un pas, heureux, et il se surprit à la laisser l'attirer dans une étreinte rapide mais sincère. Il réalisa que Reyna lui avait manqué aussi. Il s'était lié avec elle durant leur voyage avec l'Athéna Parthénos d'une façon inexplicable, à la manière d'une grande sœur, et il se promit mentalement de venir lui rendre visite plus souvent. Presque à contre cœur, il la relâcha. Plus mesuré, il se contenta d'adresser un signe de la main à Frank qui lui rendit avec chaleur.

- Content de te voir, lui dit ce dernier. Alors comme ça vous êtes perdus ?

- Perdus, c'est un bien grand mot, tenta de nuancer Connor. On est dans le bon pays déjà !

- Mais du mauvais côté, non ? devina Reyna, amusée. La côte Est n'est pas vraiment par-là.

- On blâme Hermès.

Immédiatement, Connor jeta un coup d'œil vers le ciel, comme s'il s'attendait à ce que son père le punisse pour son commentaire et Nico roula des yeux.

- C'est pour ça qu'on est là, en vérité. On aurait besoin d'un moyen de transport pour rentrer. Ou de joindre quelqu'un.

- J'ai peut-être une idée de la personne à joindre, intervint à nouveau Connor. Si je peux emprunter un téléphone ?

- Ca devrait être possible, accepta Reyna.

Elle n'avait pas perdu de sa prestance. Habillée de son éternelle toge pourpre décorée de médailles militaires en-dessous de son armure, elle rejeta sa longue tresse noire brillante et ses yeux sombres brillèrent alors qu'elle leur indiquait l'extérieur.

- Venez avec moi, je vais vous montrer là où vous pourrez vous reposer et manger quelque chose. Si vous restez jusqu'à demain, on vous installera dans une Cohorte.

- Merci, c'est vraiment gentil, remercia Lou Ellen.

- C'est la nouvelle entraide romains-grecs, affirma Frank en souriant.

Comme à chaque fois qu'il se trouvait en présence de Frank Zhang, Nico se fit la réflexion que c'était décidément un type bien. Guidés par les deux prêteurs, ils ressortirent du bâtiment et se mirent à marcher au milieu de la vie de la Légion qui s'activait à cette heure-ci pour bien entamer la journée. Des centurions passaient des écuries aux bains jusqu'à l'armurerie, arme ou tartine confiture à la main. A côté de lui, Will regardait tout avec de grands yeux curieux et il s'apprêtait à lui montrer le champ de tournesol un peu plus loin lorsqu'une voix héla sur sa gauche :

- Nico !

Il eut à peine le temps de pivoter avant qu'une masse ne se jette contre lui, manquant de l'emporter dans son élan. Son champ de vision fut obstrué par des boucles sombres et cuivrées et il referma ses bras autour d'Hazel, la faisant décoller du sol à cause de sa petite taille.

- Par les dieux, Nico, quand est-ce que tu es arrivé ? dit-elle avec enthousiasme dans son oreille. Tu devais venir ?

- Pas vraiment, c'est une petite erreur de voyage. Mais je me suis dit que je pouvais passer te voir.

Un rire heureux aux lèvres, elle lui déposa un baiser sonore sur la joue et il fit semblant de s'en indigner en la relâchant.

- Je suis contente de te voir, je ne pensais pas que tu viendrais tout de suite ! Les messages Iris n'arrivent plus à passer, je n'arrivais pas à te joindre. Et... (elle parut soudain réaliser qu'il n'était pas seul). Oh bonjour...

- Salut ! firent ses amis d'une même voix, l'air amusé.

- Je ne sais pas si t'avais rencontré tout le monde cet été... Je te présente Lou Ellen, Connor, Lacy et hum... Will.

Il eut horriblement conscience de buter sur le nom de Will et tout son groupe parut le remarquer. Leurs expressions oscillèrent entre gêne et amusement avant que Reyna ne leur sauve la mise.

- Je peux continuer à vous faire visiter pendant que Nico et Hazel passent la matinée ensemble ? proposa-t-elle. Et on se retrouve après ?

- Oh je suis chargée du nettoyage des écuries ce matin...

- Tu es dispensée, assura Frank, visiblement ravi de faire plaisir à Hazel.

Cette dernière rougit et jeta une œillade incertaine à Reyna, sûrement mal à l'aise de se voir ainsi favoriser par son petit ami, mais Reyna hocha la tête pour marquer son accord.

- Il a raison. Nathan peut te remplacer aux écuries, pas vrai ?

Visiblement, ce n'était pas le travail de rêve de Nathan mais il grimaça avant d'acquiescer.

- Parfait ! s'exclama Connor. C'est quoi ce gros truc là-bas ?

Et c'est sur les explications de Frank et Reyna – « un éléphant, on s'en sert pour les jeux de guerre » – que les autres s'éloignèrent, non sans un dernier regard en arrière de Will. Hazel lui fit un sourire et ils se mirent à déambuler au hasard des ruelles. En écho, il sentit sa nervosité revenir en force. C'était étrange. Il n'avait jamais vraiment été nerveux avec Hazel. Au début, les choses avaient certes été un peu étranges, le temps qu'elle s'habitue eu monde moderne et à simplement être en vie à nouveau. Ils avaient dû apprendre à se connaître, mais aussi appréhender l'autre en tant que frère et sœur avant que les choses s'apaisent. Il détestait ressentir à nouveau cette nervosité paralysante.

- Alors ? lança-t-elle en voyant qu'il restait silencieux. Tu m'expliques ?

- T'expliquer... ?

- Ce que tu fais là ! Vous êtes en quête, c'est ça ?

- Oh... Oui, oui, on est en quête. Les torches d'Hécate ont été volées alors Lou Ellen a été chargée de les retrouver. Ça a été assez long, on a fait quelques détours, mais on a fini en Colchide pour les récupérer.

Hazel écarquilla les yeux.

- Attends, ralentis ! Les torches d'Hécate ? C'est possible de les voler ? Whoa ! Et t'as dit la Colchide ? Mais c'est en Europe !

- Je sais, c'était pas évident. Mais la prophétie parlait des « terres anciennes », on n'a pas vraiment eu le choix.

- Parce que vous aviez une prophétie ? Mais je croyais que...

- Hécate l'a donné elle-même à Lou Ellen en rêve, expliqua-t-il en se décalant pour éviter un probatio au casque trop grand pour lui qui ne devait même pas voir où il allait.

- Oh... D'accord. Et comment vous avez réussi à aller jusqu'en Colchide ? Je veux dire, vous n'aviez pas l'Argo II cette fois...

Nico ne manqua pas la façon dont sa phrase se termina dans un filet de voix teinté de tristesse à l'évocation de leur bateau. Il était impossible de penser à lui sans penser à Léo, tout sourire derrière la barre qui agitait sa manette Wii dans tous les sens. Sa mort – qui lui laissait toujours une impression étrange – avait été un choc pour tout le monde et il savait que Hazel en était encore affectée. Il lui passa un bras autour des épaules pour la réconforter. Hazel était sûrement une des seules personnes avec qui il arrivait à plus tactile. Elle et Will en tout cas... En sentant son tordre encore une fois rien qu'à la pensée de Will, il se reconcentra sur leur conversation.

- On a pris le Labyrinthe, répondit-il.

- Le... ? Celui que Pasiphaé essayait de reconstruite ? Mais je croyais que... (elle manqua de s'arrêter soudain sous le coup de la surprise et il vit le moment où elle comprit). Ne me dis rien. Celle qui avait volé les torches. C'était elle, pas vrai ?

- Elle faisait partie des voleuses oui, admit-il. Avec Médée et Circé. Elles ont été aidées d'un fils d'Hermès, mais elles ont tout organisé. Elles voulaient prendre le pouvoir des torches et le répartir entre elles.

- Ca ne m'étonne pas... Quand je l'ai affronté cet été, elle ne voulait que ça : vengeance et pouvoir.

Hazel secoua la tête.

- J'ai réussi à la vaincre avec un peu de magie, mais je savais que je ne l'avais pas éliminée complètement. (Elle coula un regard dans sa direction). Ça va ? Elle ne vous a rien fait ?

- Rien de grave, non. Et elle remettra du temps à revenir, crois-moi.

Satisfaite, Hazel ne chercha pas plus loin et il lui en fut reconnaissant. Il n'avait pas la force de lui expliquer ce qu'il avait fait à Pasiphaé – à Bryce Lawrence – en plus de tout le reste. Incapable de refreiner l'angoisse qui lui dévorait le cerveau, il se mura dans le silence et continua à marcher aux côtés de sa sœur. Il garda les yeux baissés, observant les lignes que dessinaient les pavés sur ses pieds en une veine tentative pour s'occuper l'esprit. Ils traversèrent comme ça presque l'ensemble du Camp Jupiter. Ils étaient en train de longer le mur d'enceinte de la Nouvelle Rome quand Hazel craqua :

- Bon, ça devient ridicule... Tu vas me dire ce qui se passe ?

Il releva la tête, pris de court.

- Quoi ?

- Nico, je t'ai vu à la sortie du Tartare. Tu avais presque l'air moins effrayé que maintenant. Qu'est-ce que tu as ?

Elle le força à s'arrêter en l'attrapant par le coude et il eut soudain envie de vomir. Le visage d'Hazel se contracta d'inquiétude.

- Tu veux t'assoir ? demanda-t-elle. T'as vraiment pas l'air bien. Plus que d'habitude, je veux dire.

- Merci...

- Nico, sérieusement. Je suis là pour toi si tu as besoin. Ou... tu veux que j'aille chercher Reyna ?

Malgré son anxiété, il vit clairement que la proposition d'Hazel lui coûtait, comme si la simple idée de le laisser seul ou de ne pas être la personne à qui il voulait parler la heurtait plus qu'elle ne voulait bien le laisser paraître. Il s'empressa de secouer la tête.

- Non, non, surtout pas... En fait, c'est à toi que je voulais parler.

- Oh... murmura-t-elle. D'accord, pas de problème. Je t'écoute.

- Mais... ce n'est pas facile à dire. Je ne sais pas trop par où commencer.

Maintenant qu'il y était, il se retrouvait effectivement à ne pas savoir comment annoncer la vérité à sa sœur. Il n'avait jamais vraiment eu à le faire jusqu'à présent : Cupidon l'avait forcé à avouer la vérité à Jason, Percy avait été davantage une page à tourner qu'une véritable confession, Will avait simplement deviné, et les gens à la Colonie avaient compris en le voyant avec Will. Aujourd'hui, les choses étaient différentes. Stressé, il décida de prendre un chemin détourné pour aborder le sujet et il se râcla la gorge :

- Ok, hum... La question va peut-être te paraître bizarre, mais qu'est-ce que tu sais des changements... sociaux on va dire du siècle dernier ?

Hazel fronça les sourcils, perplexe.

- Euh... Ce que tu m'avais dit, ce que les autres m'ont expliqué et ce que j'ai pu voir toute seule. Par exemple, sur les gens de couleur, ce n'est plus pareil.

Nico acquiesça. Il se souvenait encore de l'expression de sa sœur quand elle lui avait demandé où est-ce qu'elle devait s'assoir dans le bus qu'ils avaient pris pour traverser San Francisco après sa sortie des Enfers et qu'il avait dû lui expliquer qu'elle pouvait choisir n'importe quelle place.

- Voilà, ça en fait partie. Maintenant, les gens acceptent... des choses. Sur les autres personnes, sur les relations, sur l'amour... Il y a eu des évolutions.

- Tu veux dire la façon dont on peut... sortir avec des personnes sans être marié aujourd'hui ? Ou même... faire d'autres choses ?

- Oui, c'est vrai aussi...

A peine conscient de ce que disait sa sœur, il essaya de réfléchir plus vite. Il avait bien conscience de s'emmêler dans cette conversation, mais les mots semblaient se brouiller dans sa tête puis se coincer dans sa gorge avant de réussir à sortir. En face de lui, Hazel pris un air catastrophé.

- Ne me dis pas que... Enfin, tu n'as pas... Tu sais ? Avec une fille et... ? Je croyais que maintenant on ne pouvait plus tomber enceinte si facilement et...

- Quoi ? coupa-t-il, abasourdi.

- Ce n'est pas ça dont tu parles ?

- Non ! Non, jamais ! Absolument pas !

Choqué par le tour qu'avait pris la discussion, il secoua la tête avec véhémence pour renforcer ses paroles et frissonna. L'idée même le révulsait. De son côté, Hazel expira de soulagement et s'éventa soudain le visage avec sa main.

- Oh par les dieux, merci, souffla-t-elle. Tu m'as fait peur.

- Hum, oui donc... peu importe. (Il secoua la tête, encore perturbé). Ce n'était pas ce que je voulais dire. Mais... tu sais ce que tu as dit ? Le fait que je pouvais être avec une fille ?

- Oui ?

- Disons que c'est à moitié vrai.

A nouveau, Hazel fronça les sourcils.

- Pourquoi ? Il y a une fille, mais elle ne veut pas... être avec toi ?

- Non plus. Je suis avec quelqu'un. C'est juste que...

Le cœur battant si fort qu'il en avait mal partout, il déglutit. Le visage de Will s'imposa alors à lui et il se jeta dans le vide.

- ... que ce n'est pas une fille.

Voilà. Il l'avait dit. Les mots avaient jailli de ses lèvres, libérateurs, et il n'arriva pas à détacher ses yeux du visage d'Hazel pour voir sa réaction. Elle mit du temps à réagir, comme si elle n'arrivait pas tout à fait à entendre – dans les deux du terme – ce qu'il venait de dire. Il vit d'abord la perplexité sur ses traits, puis la compréhension, puis la stupeur... Nico sentit les larmes lui monter aux yeux. Il tenta de les ravaler. Il n'avait jamais pleurer devant Hazel, il ne voulait pas commencer aujourd'hui. Surtout pas sur cet aveu. Pourtant, en même temps que son esprit s'écroulait, rongé par l'angoisse d'une attente insupportable, son corps s'exprima. Il se mit à trembler et il tenta de le cacher en jouant avec sa bague tête de mort, sans succès. Il avait l'impression d'être prêt à s'effondrer comme une maison sous l'assaut d'un tremblement de terre.

Il tenta malgré tout de garder la face. Le dos droit, il lui laissa le temps d'appréhender la révélation qu'il venait de lui faire et resta immobile. Du moins aussi immobile qu'il pouvait se le permettre à cause des tremblements qui l'agitaient. Il se demanda ce qu'il ferait si sa sœur décidait simplement de tourner les talons pour s'éloigner ou si elle se mettait vraiment en colère. Il ne savait même pas s'il aurait le courage de la rattraper. Parce qu'au fond, il n'avait pas la force de la retenir et de plaider sa cause : si elle le rejetait, ça confirmerait ce qu'il avait craint. Même s'il aimait Will, ce qu'il était restait anormal. Sa mère l'aurait enfermé dans une église si elle avait su avant de prier Hadès en personne. Il sentit un autre sanglot gonfler dans sa poitrine et il serra les lèvres à s'en étrangler. Son état dû suffisamment inquiéter Hazel pour qu'elle réagisse enfin. Elle le dévisagea, une myriade d'émotions dans ses prunelles, puis elle sembla lui ouvrir les bras instinctivement.

- Oh Nico... murmura-t-elle.

Il ne parvint pas à maintenir sa façade plus longtemps. Il s'effondra contre elle. Le visage enfoui dans son épaule, il refusa de laisser couler ses larmes, et il s'agrippa à sa sœur de toutes ses forces. S'il la tenait suffisamment fort, peut-être qu'elle ne partirait pas...

- Calme-toi, Nico, ça va aller... Je... Ca ne change rien, d'accord ? Je t'aime et ça ne change rien. (Elle passa une main affectueuse dans ses cheveux comme pouvait le faire Bianca quand ils étaient plus jeunes). Tu m'entends ? Rien du tout.

Il ne comprit pas dans un premier temps. Un bruit sourd lui emplissait les oreilles, le coupant du monde extérieur, et Hazel le berça doucement. Elle se mit alors à répéter ses paroles inlassablement jusqu'à percer la brume de son esprit. Le soulagement faillit faire flancher ses genoux. Il se sentit respirer à nouveau et il finit par s'écarter, brusquement rassuré. Il avait toujours aimé la compassion et la douceur d'Hazel, mais jamais plus qu'aujourd'hui.

- Tu es sûre... ? articula-t-il difficilement.

- Bien sûr ! Par les dieux, Nico, évidemment ! Je... j'avoue que je ne comprends pas tout. Frank m'a un peu expliqué parce que... enfin il y a quelques couples ici qui sont comme ça. Au début, ça m'a fait bizarre, mais... tu es mon frère. Et ça, rien ne pourra le changer, je te le promets.

Nico ne doute pas un instant d'Hazel. La sincérité irradiait d'elle. Ça ne l'empêcha pas de tressaillir au choix de ses mots : « des couples comme ça », « bizarre »... Mais il ne pouvait pas l'en blâmer. Il avait encore lui-même ces réflexions et il n'oubliait pas qu'ils avaient eu tous les deux la même éducation catholique. Il se doutait que l'idée même lui paraissait contre nature, mais Hazel était Hazel : elle se concentrait sur le positif, sur l'amour, sur eux.

- Merci... souffla-t-il. Par les dieux, Hazel, merci...

- Je t'en prie, tu n'as pas besoin de me remercier. Allez, respire. Voilà c'est bien. (Elle s'assit sur l'herbe, près de la route, et il l'imita). Donc... tu aimes les garçons, c'est ça ?

- Oui...

- Que les garçons ?

Il se raidit, mais elle continua, l'air mal à l'aise et déterminée en même temps en enroulant une mèche de ses cheveux autour de son doigt.

- Hum, Frank m'a dit que certaines personnes pouvaient aimer les deux... Ou même plus, mais j'ai encore du mal à tout comprendre. Je vais me renseigner, promis ! Je veux juste savoir...

Devant son ardeur, il sourit.

- C'est bien, c'est une bonne idée. Mais oui, juste les garçons.

- D'accord... Et tu le sais depuis longtemps ?

- Depuis mes onze ans je pense...

- D'accord, répéta-t-elle en hochant la tête, l'air sérieux. Onze ans...

Elle se mordit la lèvre. Il l'observa un instant, essayant de comprendre ce qu'elle pensait derrière ses grands yeux bruns, mais elle était indéchiffrable.

- Je suis désolée si je t'ai donné l'impression que tu ne pouvais pas me le dire avant, lâcha-t-elle soudain. Ce n'était pas mon intention.

Pris au dépourvu, il mit quelques secondes à réagir.

- Non, non, protesta-t-il. Ce n'était pas à cause de toi, Hazel. C'était juste... J'avais besoin de temps. Pour l'accepter moi aussi, tu vois ?

- Oh... Oui, je comprends.

Nico détourna le regard vers le paysage. A mesure que les minutes s'égrenaient, il sentait son esprit et son corps s'apaiser. Il était aussi fatigué, comme s'il avait effectué plusieurs vol d'ombre de suite, mais il supposait que c'était dû au contre-coup. Plus que tout, il était reconnaissant envers Hazel qui souriait doucement d'un air tranquille près de lui.

- Eh Nico ?

- Oui ?

- Quand tu as dit que « c'était à moitié vrai »... Ça veut dire que tu sors avec un garçon ?

Il aurait dû le voir venir. Il ne l'avait pas fait. Immédiatement, il se sentit rougir et Hazel émit un cri enthousiasme.

- Par les dieux, mais oui ! Dis-moi !

- Hazel...

- Oh allez ! Je... le connais ?

Il ne manqua pas son hésitation, ni la façon dont elle buta sur le « le », mais il supposait que ça lui prendrait un peu de temps pour être habituée. Il appréciait déjà l'effort.

- Plus ou moins, répondit-il finalement. Tu viens de le voir.

Hazel écarquilla les yeux.

- Connor Alatir ?

- Quoi ? Non ! Di immortales, t'es tombée sur la tête ?

- Oh pardon... Alors c'est... comment il s'appelait ? Will ?

- Will Solace, confirma-t-il.

Il aurait aimé le nier, mais un sourire impossible à réprimer lui monta aux lèvres. Hazel se mit à rire. Il la repoussa, gêné, et elle alla rouler dans l'herbe sans cesser de rire.

- Hazel !

- Désolée, désolée ! C'est juste... toi. Je n'ai pas l'habitude de te voir comme ça. Mais je suis contente pour toi, Nico, sincèrement.

Non, il ne doutait pas de sa sincérité. Et au fond de son esprit, il se demanda si Bianca aurait réagi comme Hazel. Il ne le saurait jamais, mais il préférait se dire que oui. Ça n'avait pas tant d'importance à vrai dire. C'était sa vie et Hazel l'acceptait. Il pouvait commencer à arrêter de s'accrocher à un souvenir.
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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par annabethfan »

Chapitre 21 : Un dernier tour sur la route

Lou Ellen ne savait plus où poser les yeux. Depuis son arrivée ce matin au Camp Jupiter, elle s'extasiait devant le moindre détail du camp romain. C'était à la fois si semblable et si différent de la Colonie par tous les aspects. Pour commencer, les romains étaient beaucoup plus organisés. Leurs bâtiments étaient bâtis dans des proportions que la Colonie n'avait jamais atteintes, à part peut-être pour la Grande Maison uniquement, et tout semblait si... organisé. La grandeur du lieu ajoutait à cette impression de gloire et de splendeur rayonnante. Le plus impressionnant était sans doute la Nouvelle Rome que Reyna leur avait fait visiter il y a quelques minutes. Elle était restée bouche-bée devant l'université et ses marches blanches sur lesquelles des dizaines d'étudiants profitaient de leur pause. Des demi-dieux plus âgés, même des adultes... Il n'y en avait jamais à la Colonie. La raison était simple : la Colonie ne faisait que former ses jeunes pour ensuite les lancer dans le monde. Les romains avaient visiblement une approche différente : ils laissaient la possibilité aux demi-dieux de rester entre eux dans un système autonome et clos qui les protégeaient du monde extérieur tant qu'ils aidaient à faire fonctionner la large machine qu'était le Camp Jupiter. Lou Ellen ne pouvait s'empêcher de trouver ça ingénieux, même si les deux modèles avaient évidemment des défauts et des qualités. Celui romain offrait sans doute simplement plus de perspectives.

Assise sur un banc au milieu d'un jardin qui faisait face à ce qui semblait être une bibliothèque, elle aurait pu continuer à compléter le Camp Jupiter encore longtemps si quelqu'un ne s'était pas laissé tomber à côté d'elle. Elle sursauta.

- C'est juste moi ! s'empressa de la rassurer Connor, mains en l'air. Je croyais que tu m'avais entendu arriver.

- Non, j'étais perdue dans mes pensées... Désolée. (Elle joua avec son collier en triple croissant de lunes). Où est-ce que t'étais passé ?

- Reyna m'a laissé utiliser le téléphone du Camp. J'ai juste... passé un coup de fil.

- A qui ?

- Tu le verras assez vite si j'ai réussi à... être convaincant. Avec un peu de chance, on n'aura pas à traverser le pays à vol d'ombre ni à reprendre le Labyrinthe pour rentrer à New York.

A cette annonce, elle leva instinctivement les yeux vers le ciel et pria :

- Oh pitié ! Que les dieux t'entendent... J'en ai assez. Je veux retourner à la Colonie et m'écrouler dans mon lit, revoir mes frères et mes sœurs. Je suis même prête à subir les remontrances de Monsieur D s'il faut.

Connor eut un sourire en coin.

- Ouais, acquiesça-t-il. Rien de mieux que la maison. Même si j'avoue que je commençais à m'habituer à tout ça. Tu sais, être sur la route, voyager un peu partout...

- Moi aussi j'aime bien ça. C'est la partie combattre des déesses et des monstres ou courir après une date butoir stressante que j'apprécie moins ! (Elle sourit). Mais t'as raison, j'ai aimé voyager. Je n'avais jamais été autre part que New York et Chicago. Et regarde-moi ! Je suis à Sans Francisco après être allée en Italie et en Croatie !

- Après avoir créé une entrée de Labyrinthe pour aller en Italie et en Croatie, corrigea Connor, l'air fier.

Elle sentit en écho une fierté mal dissimulée gonfler dans son ventre et elle n'arriva pas à réprimer un sourire. En voyant le regard moqueur de Connor, elle nuança quand même ses exploits :

- L'entrée de Labyrinthe m'a bien fichu un coup, lui rappela-t-elle. J'ai vomi et manqué de m'évanouir. Heureusement que Will était là.

- Tout ça après avoir été poignardée. Non, moi j'appelle ça être encore plus bad-ass !

- Si tu le dis.

Elle sourit à nouveau pour adoucir ses paroles qui – elle en avait bien conscience – coupaient court à leur joute verbale habituelle. C'était juste qu'elle n'avait plus envie de jouer avec Connor, elle voulait qu'ils parlent. Et elle savait que si ce n'était pas elle qui abordait le sujet, il pouvait continuer à l'éviter longtemps tel le fils d'Hermès qu'il était : insaisissable et fuyant. Il dût percevoir son changement d'humeur car il carra les épaules et se redressa, l'air nerveux.

- Lou... Pour ce qui s'est passé pendant la bataille... Hum...

- Oui ?

- Enfin... C'était assez clair, non ?

Perplexe, elle cligna des yeux.

- Assez clair ? répéta-t-elle. Quoi ? De m'embrasser et de repartir te battre juste après sans qu'on en reparle ?

- Ok, dit comme ça... Mais à ma décharge, on n'a juste pas eu le temps d'en parler jusqu'à maintenant.

- Et justement, maintenant qu'on en parle... T'as réfléchi à ce que je t'ai dit ? Chez les Dactyles ?

Elle se força à rester immobile pour ne pas se mordre les ongles en un tic nerveux alors que Connor déglutissait. Elle repensa à ce moment qui lui paraissait avoir eu lieu il y a une éternité maintenant : elle avec sa perfusion dans le bras et lui qui la rassurait pendant qu'elle lui avouait ses sentiments devenus trop lourds à porter. Ce secret lui avait rongé l'esprit des mois et elle ne regrettait pas de l'avoir enfin fait éclater au grand jour.

- Oui, oui, j'y ai réfléchi, avoua Connor en se passant une main derrière la nuque. Plutôt pas mal réfléchi même.

- Oh...

- Fais pas cette tête, on dirait que je viens de t'annoncer que j'avais tué ta grand-mère.

- Désolée, désolée... C'est toi, tu me stress à ne rien dire ! Parle, par les dieux !

Il parut gêné.

- Je sais, excuse-moi. C'est juste que... c'est encore un peu flou dans ma tête. Toi et moi, je veux dire.

- Tu m'as embrassé, Connor.

- Je sais ! Et je ne le regrette pas, sérieusement. Mais... Bon sang, Lou, tu me connais. Je ne sais pas si je suis fait pour ça.

Essayant d'avaler la boule qui s'était soudain glissée dans sa gorge, Lou Ellen se mordit l'intérieur de la joue et tenta de maîtriser sa voix tremblante.

- Pour ça ? dit-elle, perplexe. Pour ça quoi ?

- Pour être en couple, pour être à deux... J'ai vu ce que l'amour peut faire à beaucoup de gens. Travis est complètement à la ramasse depuis que Dylan s'est barrée, mes parents n'ont pas tenu longtemps...

- Tu ne peux pas prendre que le côté négatif des relations...

- Mais même avec les autres je ne suis pas sûr... Le côté absolu de Percy et Annabeth, de Will et Nico... Je ne sais pas si je peux arriver à faire ça. A aimer comme ça.

- Parce que tu crois qu'il n'y a qu'une seule façon d'aimer ? rétorqua-t-elle, une pointe de colère dans la voix. Que c'est seulement la façade que tu vois de l'extérieur ? Connor, je sais que je suis biaisée dans cette conversation, mais je pense que tu te trompes. Aimer ce n'est pas pareil pour tout le monde et une forme n'est pas moins valable qu'une autre. Toutes les relations se construisent avec des individus différents. Ce qui fonctionne pour certaines ne fonctionnent pas pour d'autres.

- Et où ça nous place dans tout ça ?

Lou Ellen inspira une bouffée d'air, crispée, avant de se jeter à l'eau à nouveau. Si elle devait faire prendre conscience à Connor de ce qu'elle ressentait pour lui montrer que ses sentiments étaient sincères, elle n'était plus à une potentielle humiliation près.

- Ca peut nous placer où on veut, dit-elle avec conviction. Si tu as peur de ne pas réussir à être à deux comme « il faudrait », peut-être que si je te dis ce que je ressens tu vas comprendre... (Elle déglutit à son tour). Pour être honnête, je n'étais pas sûre de moi avant de tout t'avouer. Ça m'a paru juste, libérateur... C'est un signe qui ne trompe pas. Le courant est juste bien passé entre deux depuis le début, mais j'ai eu l'impression que quelque chose avait changé cet été. L'absolu dont tu parles, c'est une fausse idée. C'est juste comme ça que les gens sont quand ils ont trouvé la personne qui sait les aimer sans cesser d'être leur meilleur ami.

- Tu penses vraiment ? souffla-t-il.

- Oui, vraiment... Je veux dire, ce n'est jamais difficile d'être avec toi ou de te parler. Même maintenant. J'aime être avec toi, c'est tout. Et c'est différent de ce que je ressens pour d'autres de mes amis. Je n'ai jamais été jalouse de Will ni de Cecil.

Connor eut l'audace de sourire, goguenard.

- Mais tu l'étais pour moi ? dit-il d'une voix chantante.

- Disons que si tu me reparles de Leah ou de Drew, je ne serais pas ravie là toute de suite.

Il éclata de rire. L'air plus détendu, il joua avec ses mains sur ses genoux et elle le laissa rassembler ses idées, nerveuse.

- Peut-être que l'idée que tu sois avec quelqu'un d'autre m'a agacé aussi un peu... reconnut-il alors sans rencontrer son regard. Et que je trouve aussi que c'est facile d'être avec toi. Il y a quelque chose entre nous sans doute...

- Hum...

- J'ai peut-être eu envie de te réembrasser plusieurs fois aussi.

Sans prévenir, Lou Ellen sentit son estomac et son cœur faire un salto en même temps, se cognant au passage. La sensation était si déstabilisante qu'elle se mit à rougir en laissant échapper un pauvre « oh » révélateur et Connor se mit à rire.

- Lou, je ne vais pas le dire souvent, mais... je crois que t'as raison et que j'avais tort.

- Sur... ?

- Sur nous. Sur moi incapable d'être en couple. Je ne promets pas d'être parfait, ni d'arriver à réussir tout ce qu'il faut, mais je veux bien tenter... avec toi.

Cette fois, elle fut certaine de sourire si fort que ses joues rougies s'étirèrent sous l'effet de la joie.

- Tenter, ça me va, accepta-t-elle. C'est même très bien... je n'ai jamais vraiment été avec quelqu'un avant alors...

- Alors on y va à notre rythme ? compléta-t-il.

- Voilà...

- Mais est-ce que je peux au moins t'embrasser à nouveau sans monstre autour de nous ?

A nouveau, son cœur s'emballa. Avec l'adrénaline de la bataille, Lou Ellen n'avait pas vraiment eu le temps d'y réfléchir la première fois, mais elle avait horriblement conscience de chaque centimètre de son corps à cet instant. Il n'y avait qu'un faible espace qui les séparaient et elle sentait l'impatience et la nervosité courir sous sa peau. Pour toute réponse, elle hocha alors la tête.

- Oui, tu peux... murmura-t-elle. Mais je ne sais pas vraiment... Enfin, je n'ai jamais embrassé réellement et...

Ses doutes moururent contre les lèvres de Connor qui s'était penché pour la taire. Pendant une seconde, la sensation peu familière prit le dessus, et elle se retrouva prise au dépourvu en sentant leur bouche se mouvoir l'une contre l'autre. Puis, la réalisation qu'elle embrassait Connor comme elle l'avait imaginé fit disparaître la gêne et elle se mit sourire, heureuse, presque ivre de la sensation. Le baiser ne dura pas longtemps, mais elle tenta de retenir chaque seconde, incapable de mettre son cerveau en pause. Elle supposait que réussir à se détendre viendrait avec le temps.

Connor la regarda, un léger sourire aux lèvres.

- Pas mal, non ? jugea-t-il.

- Plutôt oui...

En vérité, elle avait l'impression qu'elle n'arrivait plus à articuler un mot, trop prise par ses émotions qui lui tiraillaient la poitrine et elle se retrouva à rire nerveusement avant de se cacher le visage entre les mains. Connor éclata de rire.

- Allez viens, dit-il en passant son bras autour de ses épaules pour l'entraîner avec lui. On pourra toujours parler plus tard. (Il agita les sourcils). Ou ne pas parler même.

- Ça me va, assura-t-elle dans un élan de courage.

Il haussa un sourcil, s'attendant sûrement à ce qu'elle le traite d'idiot, mais elle les surprit tous les deux en se hissant sur la pointe des pieds pour faire bonne mesure et déposer un léger baiser sur ses lèvres. Elle aurait eu envie de le refaire dix fois d'affilée, juste pour l'effet grisant que ça avait sur elle. Connor la serra un peu plus contre lui. Ensemble, ils retraversèrent le Camp Jupiter en sens inverse et Lou Ellen ne fit plus du tout attention aux alentours. Elle n'avait conscience que de leur proximité et de la bulle d'excitation qui pesait dans sa poitrine, l'empêchant d'arrêter de sourire.

Au-dessus de leur tête, le soleil arrivait à son zénith et elle se rendit compte seulement à cet instant à quel point les heures avaient défilé depuis leur arrivée. Il devait être proche de treize heures maintenant. Son ventre gronda comme pour lui donner raison.

- Eh, on va manger ? suggéra-t-elle. Les autres doivent être partis au réfectoire, non ?

- Sûrement... Hum, laisse-moi me souvenir de la route...

- Fils du dieu des voyages et des chemins non ? Tu devrais y arriver ?

Face à son ton moqueur, il lui pinça l'épaule avec espièglerie et elle ravala un cri indigné.

- Les carrefours c'est pas censé être ton truc ? lui rappela-t-il. C'est toi qui devrait nous guider !

- Par-là alors !

Elle indiqua une direction vague et, faute de mieux, ils se mirent à marcher sans conviction. Heureusement pour eux, les romains aussi devaient commencer à avoir faim car ils croisèrent plusieurs demi-dieux qui se dirigeaient tous dans la même direction et ils décidèrent de les suivre sans se concerter. Cinq minutes plus tard, ils arrivèrent au Réfectoire situé dans un grand bâtiment où tout le monde était rassemblé dans un bruit bourdonnant. Lou Ellen plissa les yeux.

- Tu vois les autres ? demanda-t-elle.

- Attends, je cherche un gamin gothique avec un autre habillé d'un t-shirt orange vif... ça devrait se repérer facilement.

- C'est une façon de faire... (elle promena son regard à travers la pièce). Là ! Je vois Reyna !

Connor suivit des yeux son doigt tendu.

- Ah oui, Nico est à côté d'elle. Je reconnais son aura de noirceur.

- Connor, réprimanda-t-elle en lui donnant un coup de coude.

- Eh, je trouve ça cool moi !

Il lui attrapa la main pour ne pas la perdre et elle s'engagea dans son sillage, slalomant entre les romains en train de déjeuner. Elle prit soin de fixer ses pieds pour ne pas trébucher et ne releva les yeux qu'en approchant de la table de leurs amis. Là, elle manqua de s'arrêter net. Ils étaient tous rassemblés, mais une personne s'était ajoutée au groupe. Une personne qu'elle ne s'était pas attendu à voir aujourd'hui.

- Travis ! s'exclama-t-elle, incrédule.

Son air d'enfant terrible vissé aux lèvres, Travis Alatir en personne lui sourit et écarta les bras en guise de bonjour.

- Alors ? lança-t-il d'une voix enjouée. A ce qui parait on a besoin d'un chauffeur ?

- Di immortales, t'es vraiment venu ! dit Connor, mi-surpris mi extatique.

Lou Ellen cligna des yeux, encore sous le choc. En une seconde, Connor lui lâcha la main pour se jeter sur son frère et Travis n'eut le temps que de se relever à moitié avant d'être englouti dans une étreinte. Il n'hésita pourtant pas à refermer ses bras autour de lui et à lui donner des tapes dans le dos, l'air ému aussi. Lou Ellen se mit à sourire, attendrie. Elle n'était d'ailleurs pas la seule. Lacy rayonnait littéralement devant le spectacle et Will semblait prêt à soupirer d'émotion. A côté de lui, Nico contrebalançait le sentimentalisme ambiant en piochant distraitement des raisins qu'il gobait, l'air peu impressionné.

Quand Travis et Connor s'écartèrent finalement l'un de l'autre, ils échangèrent un long regard équivoque, ce genre de regard que Lou Ellen n'avait jamais bien compris mais qu'elle avait toujours trouvé fascinant entre les deux frères. Face à face, elle pouvait observer leur ressemblance : leurs cheveux châtains en boucles folles que Travis portait plus courts, leur nez droit, leurs traits de visage et sourcils en accent circonflexe. Pourtant, avec l'âge, elle percevait aussi les différences. Connor était plus large d'épaule, plus trapu, et Travis plus élancé ; la forme de leurs yeux n'étaient pas exactement la même non plus ; et Connor avait un grain de beauté au-dessus de la joue que son frère n'avait pas. En vérité, ils étaient comme des miroirs déformés l'un de l'autre, si semblables et différents à la fois... Complémentaires en somme.

- Evidemment que je suis venu ! s'exclama Travis en souriant. Tu m'as appelé sans me donner de détails. J'ai seulement capté que vous étiez au Camp Jupiter, que vous aviez besoin d'un chauffeur, que la situation était tendue, et un truc sur Hécate... ?

- C'est assez bien résumé en vérité.

- Mais le truc d'Hécate, c'est en rapport avec votre quête ou... autre chose ?

Personne ne pouvait s'y tromper, le ton suggestif de Travis et son haussement de sourcil équivoque étaient dirigés vers elle. Lou Ellen piqua un fard. Evidemment, il les avait vu arriver main dans la main. Will émit un ricanement étouffé qu'il essaya de camoufler en prenant une gorgée d'eau et elle le fusilla du regard.

- Oh... marmonna Connor en rougissant lui aussi. Hum, drôle d'histoire. On va te raconter pour les torches et...

- Désolée pour le retard ! lança soudain Hazel en arrivant, son casque de cavalière sous le bras. J'ai enfin pu aller le récupérer à l'armurerie.

Lou Ellen la remercia intérieurement pour ce sauvetage improvisé. En la voyant arriver, Will perdit d'ailleurs son sourire et ses yeux firent la navette entre Nico et elle, incertain, et elle se rappela soudain qu'il avait prévu de parler à sa sœur au sujet de leur relation. Elle se demanda s'il l'avait déjà fait, mais le regard rassurant que Nico envoya à Will était déjà un bon indice.

- T'arrives pile à l'heure pour manger, assura Reyna. Venez, asseyez-vous tous. Hazel, voici Travis, le frère de Connor.

- Oh oui, on s'est déjà vus cet été. C'était toi qui avait essayé de remplacer ma spatha par un poulet en caoutchouc, non ?

- Moi ? fit semblant de s'indigner Travis.

- T'inquiète pas, Hazel, intervint Connor alors qu'ils prenaient place côte à côte tous les deux, il est repenti maintenant. Il va à la fac et est devenu responsable.

- Contrairement à toi, marmonna-t-elle.

- Je t'ai sonné, Blackstone ?

Pour toute réponse, elle lui redonna un coup de coude avant de se servir à manger. En face d'eux, elle sentait le regard de Travis peser sur eux et elle se força à ne pas relever la tête, mal à l'aise. Etrangement, elle avait presque l'impression de passer un test. Un test important. Elle le savait, Travis était sûrement la personne la plus importante dans la vie de Connor et son jugement avait du poids. Elle tenta de réfréner son stress. Ce n'était pas comme si elle rencontrait Travis. Elle le connaissait depuis des années, même si elle avait toujours été moins proche de lui, et ce qui importait c'était Connor.

Elle était en train de mâchonner consciencieusement un bout de poulet lorsque Travis dut arriver au bout de sa – maigre – patience.

- Mais du coup, vous êtes ensemble ? dit-il en les désignant du bout de sa fourchette.

Elle manqua d'avaler de travers. Ni elle ni Connor n'eurent de toute façon le temps de répondre, car Hazel réagit immédiatement et de la manière la plus inattendue qui soit :

- C'est le moment où on peut interroger le copain ou la copine, c'est ça ? demanda-t-elle avant de se tourner pour regarder Will droit dans les yeux. C'est quoi exactement tes intentions envers mon frère ?

- Hazel ! s'étrangla Nico.

Will, lui, avait l'air d'un lapin pris dans les fards d'une voiture. Ce fut plus fort qu'elle, Lou Ellen éclata de rire.

**

*

Le tête posée contre la vitre, Travis regarda le paysage défiler. Il devait le reconnaître : Connor avait une conduite apaisante. Il n'avait presque pas vu la première heure de route passée depuis qu'ils avaient quitté le Camp Jupiter. Leur départ avait été moins difficile qu'il ne l'aurait cru. Ils avaient promis à Reyna, Frank et Hazel de revenir les voir au plus vite – tout en précisant qu'ils étaient le bienvenu à la Colonie quand ils voulaient – et Nico avait été le dernier à se détacher des bras de sa sœur avant de monter en voiture. Ou plutôt en camionnette. Visiblement, Travis avait été un chauffeur dévoué : il avait pris le train depuis Sacramento où il était pour assister à une conférence jusqu'à Harmony pour récupérer la camionnette laissée sur le bord de la route avant leur entrée de Labyrinthe et avait traversé le pays en roulant près d'une journée jusqu'à San Francisco. Inutile de dire qu'il n'avait pas vraiment pu parler à son frère hier soir : il s'était écroulé de fatigue et avait dormi douze heures d'affilée, prêt à reprendre la route au réveil. Connor avait bien tenté de proposer de prendre un peu le volant, mais Will lui avait jeté un regard si sévère qu'il avait battu en retraite.

A présent, ils devaient être encore à plusieurs heures de New York et tout le monde dormait à moitié. Serrés à quatre à l'arrière – heureusement qu'ils avaient des petits gabarits dans ce groupe – Lacy, Lou Ellen, Nico et Will ne faisaient pas un bruit. Quand Connor se retourna, il constata que la situation n'avait pas songé depuis la dernière fois qu'il avait regardé. Lacy dormait, bouche entre-ouverte ; Lou Ellen griffonnait dans son espèce de grimoire, écouteurs vissés sur les oreilles ; et Will et Nico étaient épaule contre épaule à jouer avec une vieille game-boy que Will avait retrouvé au fond de son sac à dos.

A côté de lui, Travis lui coula un regard en biais avant de se reconcentrer sur la route.

- C'est le groupe le plus étrange que j'ai jamais vu, commenta-t-il d'un ton léger.

- Je suis sûr qu'on a fait pire. Rien que le nôtre pour descendre aux Enfers et retrouver Alice devait être tout aussi étrange.

- Pitié, grommela Travis, ne mentionne plus ça. (Il jeta un coup d'œil nerveux dans le rétroviseur vers la banquette arrière avant de reprendre en chuchotant). Will m'a déjà passé un savon pour avoir embarqué Nico là-dedans sans le prévenir. Comment je pouvais deviner, moi, qu'il s'inquiéterait ?

Connor retint un rictus.

- T'aurais pu avec un peu de jugeotte. Je veux dire, prends-toi en exemple. T'es inquiet là non ?

- Quoi ?

- De pas savoir où est Dylan, précisa-t-il d'un air entendu.

Immédiatement, il vit les épaules de son frère se tendre et changer la position de ses mains sur le volant. Il laissa son rictus percer la commissure de ses lèvres.

- Connor... dit-il sur un ton de mise en garde.

- Je dis juste la vérité. Toujours pas de nouvelles ?

Travis soupira.

- Non, aucune... Des brides de rêves parfois, mais c'est tellement confus. Je crois qu'elle est toujours avec la Cour et Clopin...

- C'est tordu.

- Je sais, mais c'est son choix. Tu voulais que je fasse quoi ?

- Rien, rien... Ce n'était pas un reproche. (Il joua avec le bouton de la station radio, histoire de s'occuper les mains). Bref, je voulais juste faire un parallèle avec Will.

- T'aurais pu juste faire un parallèle avec Lou Ellen, glissa Travis, retrouvant soudain un sourire amusé.

Connor grogna. Il aurait dû le voir venir. Il s'était jeté dans le piège tout seul. Anxieux, il jeta à son tour un coup d'œil dans le rétroviseur mais personne ne paraissait écouter leur conversation.

- Tais-toi, grommela-t-il malgré tout.

- Me taire ? Oh non ! J'attends ce jour depuis des années ! Je vais enfin pouvoir me moquer de toi.

- Comment ça « enfin » ? T'as déjà eu pleins d'occasions !

- Non, Leah et Drew ne comptaient pas. Enfin, Leah un peu plus quand même, mais ça n'a jamais vraiment marché entre vous.

- Et qui te dit que ça marchera cette fois ? Ca ne fait même pas une journée.

- Parce que c'est le premier truc que tu m'as dit quand t'as appelé, répondit Travis sans hésiter. « Je suis en quête avec Lou, s'il te plait viens me chercher ». T'as même pas réfléchi.

Avec horreur, Connor se sentit rougir. Il ne se rappelait absolument pas de cette phrase, mais il avait voulu faire le plus vite possible pour ne pas abuser de la générosité du Camp Jupiter qui le laissait utiliser son téléphone. Il n'osa même pas se retourner à nouveau pour être sûr qu'aucun de ses amis à l'arrière n'écoutait, même s'il aurait juré entendre Nico étouffer un rire.

- Si tu le dis, marmonna-t-il pour essayer de garder la face.

- Oh je l'affirme même !

- Travis...

- Désolé, désolé, rit-il avec bonne humeur. Bon sinon raconte. Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Drôle d'histoire, vraiment. Hécate a envoyé un rêve à Lou pour lui demander de récupérer ses torches volées. On est partis en camionnette un peu au hasard sans savoir où on allait.

Travis haussa un sourcil.

- En camionnette ? répéta-t-il. Qui a conduit ?

- Oh, moi.

- Mais... t'as pas ton permis !

Connor roula des yeux.

- Oh allez, tu ne vas pas me faire la morale, pas toi. Tu m'as appris à conduire ! On s'est entraînés sur des parkings vides et à la ferme chez papy.

Il n'arrivait pas à croire que son frère lui reproche d'avoir enfreint la loi. Il y a quelques années, ils en auraient ri tous les deux. C'était ce genre de moments qui lui rappelaient que Travis avait grandi – tout comme lui-même – et qu'il était désormais à la fac en train d'apprendre à ne plus brûler la vie par les deux bouts.

- Oui, on s'est entraînés pour que tu puisses passer ton permis sans stresser, poursuivit Travis même si son ton n'était plus si moralisateur, mais plutôt inquiet. Pas pour que tu conduises illégalement. Si maman l'apprend...

-... je me prends un coup de casserole, je sais, soupira-t-il avant de se souvenir brusquement de la rencontre marquante de cette quête. Oh par les dieux, Travis ! J'ai vu papa !

Surpris, son frère manqua de piler net. Heureusement, il avait une conduite moins heurté que la sienne et il réussit à continuer à rouler sans qu'aucun de leurs amis ne paraissent rien remarquer à l'arrière. Seul Nico jura, déstabilisé pour jouer à la gameboy.

- Sérieusement ? s'exclama Travis. Quand ? Où ?

- En Colchide. Enfin, l'équivalent de la Colchide de nos jours. Je venais de terminer de me battre quand il a débarqué. Juste comme ça !

- Bien son genre... Et alors ? Comment ça s'est passé ?

Dans la question de son frère, Connor entendit une certaine prudence peu familière chez lui mais il le comprenait. Une rencontre avec un dieu olympien était toujours aléatoire, surtout quand le dieu en question s'avérait être votre paternel absent à qui vous aviez envie de parler depuis des années.

- Plutôt bien, je crois, répondit-il après une courte hésitation. Il ne m'en voulait pas trop pour le vol du caducée, je m'estime déjà heureux pour ça.

Travis grimaça.

- J'arrive toujours pas à croire qu'on ait fait ça...

- Moi non plus. Mais je le regrette pas.

- Vraiment ?

- Ouais, affirma-t-il, réalisant soudain qu'il le pensait depuis un moment. Ça lui apprendra à nous manipuler, même si c'était pour la bonne cause. Il le retrouvera son caducée. L'important, c'est que Camille ait retrouvé sa sœur. Si le vol du caducée était le prix à payer pour réunir une famille, ça me va. J'aurais volé bien pire pour te retrouver toi.

Le dernier aveu, imprévu, lui avait échappé. Il réalisa qu'il le pensait vraiment. Si quelqu'un lui avait enlevé Travis, fut-ce la reine des Enfers en personne, il n'aurait laissé aucune barrière l'arrêter. Il aurait été défoncer les portes de l'Olympe s'il le fallait. Parfois, quand il repensait aux images du Tartare que Deimos lui avait montrer, il se disait que seul la foi et la volonté pouvaient donner la force à une personne de sortir d'un lieu pareil. Percy et Annabeth avaient eu l'un l'autre pour avancer, Nico avait eu pour objectif d'arrêter une guerre destructrice. Et alors il se demandait comment il s'en serait sorti lui-même. La réponse lui semblait tellement évidente qu'il n'avait pas à y réfléchir : il aurait voulu revoir son frère. Parce que même si leur chemin commençait à diverger, il savait qu'il lui suffirait toujours de revenir au carrefour pour le retrouver.

A côté de lui, il ne manqua pas le sourire qui se glissa sur le visage de Travis et il grogna.

- Ne te monte pas la tête, maugréa-t-il, je t'aurais aussi échangé à six ans contre des cartes Pokémon.

Cette fois, Travis éclata de rire.

- Ca me touche, vraiment, dit-il en secouant la tête. Bon, sinon, à part le caducée ?

- Oh... Hum, pas mal de choses. On a parlé de... mon avenir en quelque sorte.

- De ton avenir ? Quoi, il a joué les conseillers d'orientation ?

- Quelque chose comme ça, oui. Il va bien falloir que je décide de ce que je veux faire l'année prochaine si j'ai mon diplôme.

- Quand tu auras ton diplôme, corrigea Travis d'un air entendu.

Connor eut un rictus.

- Oui, si tu veux. Je vais vraiment essayer de l'avoir, mais je me suis rendu compte que ce n'était pas grave non plus si je le loupais. Je pourrais toujours retenter de le passer.

- C'est ça que papa t'a dit ? Parce que maman va pas apprécier, laisse-moi te le dire.

- Non, il n'a pas dit ça. Enfin, pas comme ça. C'est juste que... je pense qu'il m'a fait comprendre que je n'avais pas besoin d'emprunter une voie classique si j'en avais pas envie. Je n'ai pas besoin d'aller à la fac tout de suite si je veux faire autre chose. Voyager par exemple.

Le visage neutre, Travis hocha la tête.

- Il a raison, tu n'es pas obligé d'aller à la fac. En fait, tu n'es obligé de rien, pas même d'être comme moi. C'est ça qu'il t'a dit non ? Parce qu'il a raison et peut-être que tu avais besoin de l'entendre.

A nouveau, Connor se sentit rougir. Il se demanda depuis quand il était devenu aussi prévisible et si tout le monde avait compris la crainte qui le rongeait depuis des mois. Plus que tout, cette crainte l'avait pris au dépourvu. Toute sa vie, il avait voulu être comme Travis. Il avait voulu lui ressembler et faire comme lui. Il avait été ce petit frère agaçant toujours dans les jambes de son aîné jusqu'à ce que Travis et lui deviennent indissociables. Les jumeaux Alatir. Et pendant un temps, il avait embrassé cette identité. Il l'avait aimé parce que ça voulait dire ne jamais affronter le monde seul. C'était l'assurance de pouvoir se cacher dans ce duo, d'en tirer de la force, de faire les meilleures blagues. Mais la fin de l'enfance signifiait aussi la fin de cette manie de tout faire en regard de son frère. Ils n'en resteraient pas moins proches pour autant et Connor commençait tout juste à s'en persuader. Ils étaient juste les deux face d'une même pièce : l'orateur et le voyageur, le justicier et l'aventurier, le rusé et le fonceur. Sur une inspiration soudaine, il tourna la tête vers Travis qui soutint son regard immédiatement en souriant.

- Je sais, dit-il, j'ai fini par le comprendre je crois... Et c'est pour ça que je pense prendre une année sabbatique après mon diplôme. Pour faire un tour d'Amérique du Sud pendant quelques mois.

- En Amérique du Sud ? répéta Travis, l'air surpris.

- Ouais ! J'ai toujours voulu y aller, ça reste sur le continent mais c'est assez loin pour me donner vraiment l'impression de partir et de découvrir des choses. Et puis ça améliorera mon espagnol.

- Tu sais qu'on parle plusieurs langues en Amérique du Sud ? Pas juste l'espagnol ?

- Tu m'as compris.

- Hum...

Surpris par le manque de répartie soudaine de son frère, Connor se détourna du paysage pour le regarder. Il avait les yeux fixés sur la route qui défilait, mais il put distinguer l'expression sur son visage : c'était la même qu'il faisait petit quand il refusait de payer au Monopoly.

- Quoi « hum » ? lança-t-il. Qu'est-ce qu'il y a ?

- Rien, assura Travis un peu trop vite.

- Oh allez, pas à moi. Qu'est-ce que t'as ? T'aimes pas l'idée de l'année sabbatique, c'est ça ? Franchement, je croyais que toi au moins tu comprendrais que je...

Travis secoua la tête.

- Non, c'est pas ça, c'est pas ça ! s'empressa-t-il de nier. Tu fais ce que tu veux et je comprends que tu n'aies pas envie d'aller à la fac. Crois-moi, je comprends. Ce n'est juste pas fait pour le monde et chacun peut trouver sa voie où il veut, mais... (il soupira, l'air ennuyé). L'Amérique du Sud, Connor, sérieux ? Tu crois pas que c'est un peu... loin ?

- Loin ? C'est le principe justement !

- Non mais je veux dire... Tu veux vraiment partir à des milliers de kilomètres, hors du pays ? Et s'il t'arrivait un truc ?

- Après avoir affronté deux guerres, des monstres en tout genre, et même trois magiciennes en colère, crois-moi je pense pouvoir gérer un voyage.

- Mais si t'avais un problème...

- Oh arrête.

-... je ne serai même pas là pour venir t'aider.

Sa prochaine protestation mourut sur ses lèvres. Il n'avait pas anticipé ça. Soudain, il prit conscience de ce qui dérangeait Travis. Partir en quête de l'autre côté du pays ou en Europe avec un groupe de demi-dieux entraînés n'était pas la même chose que partir seul à l'aventure pendant plusieurs mois. Et surtout, ça voulait dire qu'ils ne pourraient compter l'un sur l'autre si besoin. Il était là le problème. De toute sa vie, Connor n'avait jamais affronté une situation difficile sans l'assurance que, s'il en avait besoin, Travis serait là immédiatement.

- Oh... murmura-t-il.

- Ouais « oh »...

- Travis...

- Ecoute, je ne dis pas ça pour te dissuader, d'accord ? Il va bien falloir que ça arrive un jour. Juste... promets-moi d'être prudent si tu décides de partir. Et de m'envoyer des messages Iris.

- Evidemment ! T'en auras même marre de moi à la fin !

- Qui te dit que j'en ai déjà pas marre ? railla son frère.

- Eh !

Si Travis ne conduisait pas, il lui aurait donné un coup de poing dans l'épaule. Au lieu de ça, il fit mine de bouder en regardant par la fenêtre.

- Oh allez, fais pas la tête ! Dis-moi un truc sur tes plans de voyage. Je sais qu'il reste plusieurs mois avant ton diplôme mais qu'est-ce que tu feras pour Lou Ellen ?

Intérieurement, Connor remercia son frère d'avoir baissé la voix sur la fin de sa question. De toute façon, personne dans la voiture ne leur prêtait attention. Il joua avec son mousqueton, nerveux.

- Je ne sais pas trop... J'y ai pensé un peu, mais c'est assez récent.

- Elle n'aura pas son diplôme tout de suite.

Connor le savait bien. Avec leur un an et demi de différence, les prochaines années allaient se vivre en décalé pour eux.

- Je pense que je partirais quand même, déclara-t-il finalement. Ça sera seulement quelques mois et on pourra s'envoyer des messages. Elle sera occupée avec la Colonie et les cours... Je ne dis pas que ça sera simple, mais ça passera vite. Elle comprendra.

Il prononça les derniers mots avec conviction, persuadé de leur vérité. C'était aussi pour ça que ses sentiments pour Lou Ellen s'étaient développés : elle le comprenait. Elle accepterait ce grand voyage initiatique, même si ça signifiait être séparés un temps. Et il était prêt à en faire autant pour elle si à son retour ça signifiait faire des marathon Harry Potter et se laisser traîner à un concert des One Direction. Ça s'appelait faire des concessions. Il n'en aurait sûrement pas eu la maturité à une époque, mais il fallait croire que Travis n'était pas le seul à changer.

- C'est bien, dit celui-ci. Franchement, c'est même génial cette idée de voyage !

Devant l'approbation de son frère, il sourit, soulagé.

- Ouais, ça fera des vacances à tout le monde, s'amusa-t-il. Moi le premier évidemment, mais aussi maman, Chiron, la Colonie ! Il est temps que quelqu'un prenne le relais de chahuteur en chef.

- Oh je suis pas inquiet sur ça. Julia et Alice vont très bien se débrouiller.

- Sans doute. Et puis, si je ne suis pas là, elles ne pourront pas mettre de poules dans mon lit par surprise. (Il se redressa brusquement). Oh par les dieux, Travis ! On a dû affronter une poule !

- Pendant la quête ? s'étonna-t-il.

- Mais oui !

Hilare, Travis éclata encore une fois de rire et Will se pencha soudain entre les deux sièges, l'air malicieux.

- Et Connor a crié comme un gamin de trois ans, dénonça-t-il sans vergogne.

- C'est faux !

- C'est vrai, chantonna Lacy à l'arrière.

Indigné, il se retourna pour la fusiller du regard alors que son frère riait toujours. Il se rendit compte que tout le monde écoutait, dérangé par l'agitation soudaine. Lou Ellen se mordait visiblement la lèvre pour éviter de se moquer.

- Eh ! On a demandé aucun avis de votre part !

- On ne fait que raconter à Travis, clama Nico d'un faux air innocent.

- Ouais bah évitez de raconter. Il doit se concentrer sur la route.

- Je peux faire plusieurs choses en même temps !

- Toi, conduis !

- Non mais sérieusement, c'était une vraie poule et il a fait un bond de trois mètres, continua Will avec de grands gestes.

- Bon, Solace, retourne dans les bras de Di Angelo et tais-toi maintenant.

Et ce fut dans un éclat de rire général qu'ils continuèrent leur route, dépassant le premier panneau qui indiquait enfin New York.
annabethfan

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Re: La prophétie d'Hécate [PJ-HDO]

Message par annabethfan »

Et ça y est, on arrive à la fin ! Je n'ai jamais écris aussi vite une fanfiction je pense et j'ai pris tellement de plaisir à écrire celle-ci que la fin ne me rend même pas triste, simplement fière et heureuse ! Vous êtes moins nombreux à suivre cette histoire que sur le fandom HP, mais je tenais vraiment à vous remercier de m'avoir encouragé et soutenu tout au long de la publication de La prophétie d'Hécate !

Bonne lecture, on se retrouve en bas ;)


*****************************

Epilogue : La fin du chemin

Revenir à la Colonie après des jours sur la route était une expérience très étrange. D'ordinaire, c'était revenir dans le monde réel à la fin de l'été, après avoir été entourée de tant d'agitation et tant de personnes, qui était perturbant. Pas l'inverse. Et pourtant, Lacy eut une drôle de sensation en descendant de la camionnette et en reposant les pieds sur le sol familier de la Colonie.

- Enfin de retour ! clama Connor avec grandiloquence. Oh par les dieux, j'ai tellement hâte de retrouver mon lit !

- Et tu iras seul dans ce lit ? lança Travis en déchargeant un sac du coffre avant de lancer un regard suggestif vers Lou Ellen.

Lacy éclata de rire devant leur visage aussi rouge que les champs de fraises qu'ils venaient de traverser. Lou Ellen repoussa Travis d'un coup d'épaule pour se saisir elle-même des sacs à dos.

- Tu m'avais pas manqué, Alatir, grommela-t-elle. Tu repars quand déjà ?

- Ce soir, t'en fais pas. Contrairement à certains, j'ai des cours qui vont reprendre. Dire que j'ai sacrifié mes derniers jours de vacances pour jouer le chauffeur.

- Notre gratitude est éternelle, commenta Nico d'un ton blasé. Will, attends-moi !

Lacy se retourna pour voir Will s'éloigner d'un pas pressé et elle sourit en voyant Nico lui courir après, son épée en fer stygien mal remise dans son fourreau.

- Will ! L'infirmerie est encore debout, tu peux ralentir !

- Deux semaines ! s'exclama-t-il par-dessus son épaule. Ils ont eu le temps de mettre le bazar dans tous mes stocks en deux semaines ! (Il agita la main dans leur direction). On se retrouve au dîner !

- A plus tard ! héla-t-elle.

Alors que Will et Nico disparaissaient au loin, Lacy sentit un pincement lui serrer le cœur. Elle s'était habituée à leur présence. Elle avait même développé un lien – une amitié – avec Will qui n'avait jamais cessé de prendre soin d'elle pendant toute la quête. Elle n'oubliait pas non plus les compliments que Nico lui avait fait en Italie. De la part du demi-dieu le plus fort qu'elle connaissait, ça valait tout l'or du monde. Ça lui avait prouvé qu'elle avait changé durant ce voyage : elle était capable de plus qu'être une simple fille d'Aphrodite jolie et admirable.

- Bon je pense que je vais aussi aller voir mon bungalow, déclara Lou Ellen. Juste pour contempler les dégâts que mes frères et sœurs ont fait pendant que j'étais pas là. On se retrouve tout à l'heure ?

- Pas de problème, dit Connor.

- On peut se mettre tous ensemble pour le feu de camp de ce soir, non ? Lacy, tu pourras te joindre à nous !

Surprise par la proposition, elle dévisagea Lou Ellen avant de sentir une boule enthousiaste gonfler dans sa poitrine. Elle hocha la tête avec vigueur.

- Parfait ! A plus !

Son sac à dos sur l'épaule, Lou Ellen s'éloigna à son tour non sans avoir embrassé brièvement Connor, un sourire presque timide aux lèvres. Il lui avait rendu avec ferveur sous l'œil amusé de son frère et Lacy avait fait mine de fermer la portière de la voiture.

- Pas un mot, menaça Connor en pointant Travis du doigt.

- J'ai rien dit... Allez viens, on va rendre les clés de la camionnette à Chiron avant qu'ils nous accusent de lui avoir volé.

- Ça serait pas la première fois.

- Touché !

Connor lui jeta un coup d'œil.

- Miss Brown, ça va aller pour porter tes affaires ?

- Oh oui, pas de problème, assura-t-elle en hissant son sac à dos sur ses épaules. A tout à l'heure ! Et merci je suppose... C'était cool comme première quête.

- Cool ?

- Ouais, j'ai bien aimé choisir les musiques dans la voiture avec toi !

Connor éclata de rire. D'un geste, il lui ébouriffa les cheveux et elle se dégagea en grognant.

- C'est gentil, dit-il. Et merci à toi, miss Brown. T'as été géniale. N'en doutes pas !

Sur ces mots, il prit la direction de la Grande Maison et Lacy le regarda pousser son frère le long du chemin avant de les perdre eux aussi de vue. Elle soupira. Il était temps de retourner à la réalité. D'un pas ferme, elle se mit en route, traversant la Colonie. C'était le dernier week-end avant les vacances et l'espace était encore remplis de pensionnaires qui vaquaient à leurs occupations. La plupart taillait des citrouilles pour la soirée d'Halloween de ce soir et Lacy sourit. Elle avait hâte d'y être pour fêter ça avec le groupe.

Ils étaient revenus pile à temps et avaient en vérité réussi à rendre les torches une journée avant la date finale. Sur le chemin du retour, Travis les avait déposés à New York et ils s'étaient tous plantés devant l'Empire State Building, incertains de la marche à suivre pour restituer ses torches à Hécate. Il s'était avéré qu'ils n'avaient même pas eu besoin de monter. La déesse elle-même était venue les récupérer, apparaissant au milieu de la circulation dans un nuage de fumée avant de venir vers eux. Lou Ellen s'était redressé, comme montée sur ressort, mais Hécate avait à peine échangé un mot avec eux avant de récupérer ses précieux attributs. Lacy avait à peine eu le temps de la contempler qu'elle était déjà repartie. La déception flagrante de Lou Ellen n'avait échappé à personne et elle s'était éloignée quelques secondes, visiblement bouleversée, avant que Connor n'aille la réconforter. Il était resté à lui parler plusieurs minutes jusqu'à ce qu'elle retrouve le sourire. Pourtant, Hécate n'avait pas été si insensible que ça. Lorsqu'ils étaient retournés dans la camionnette, deux tickets les attendaient sur le tableau de bord : cinq places pour le parc Harry Potter à Orlando. Lou Ellen avait poussé un cri de joie.

Encore heureuse pour elle, Lacy rentra dans son bungalow en souriant et faillit rentrer dans la personne qui en sortait.

- Oh bon sang, fais un peu attention, s'agaça une voix qu'elle connaissait trop bien. Oh tiens, la petite Lacy est de retour. Alors ? Encore tous tes membres ?

- Drew...

Soudain, son sourire se fana. Elle en avait presque oublié sa conseillère en cheffe par intérim, mais Drew était toujours là, fidèle au poste. Aujourd'hui, elle avait relevé ses cheveux sur le sommet de sa tête et la toisait de son regard bordé de mascara rose comme à son habitude. Lacy rentra la tête dans les épaules.

- Hum, je viens juste de rentrer... annonça-t-elle.

- Je vois ça. Mais tant mieux, tu vas pouvoir rattraper tes tours de ménage. Ne crois pas que c'est parce que tu pars en quête que tu peux éviter tes corvées.

- D'accord...

- Bien. Ah et juste pour t'informer : les Aphrodite vont rester ensemble ce soir pour le feu de camp d'Halloween. On doit gagner le concours de tête de citrouille et personne ne sera plus doué que nous pour ça.

Devant cette annonce, Lacy sentit son cœur dévaler dans son estomac.

- Oh mais... J'avais déjà quelque chose de prévu, protesta-t-elle d'une petite voix.

- Je te demande pardon ?

- Avec Connor, Lou Ellen, Will et Nico...

- Lacy, dit Drew, exaspérée, tu ne vas pas traîner avec eux. La quête était déjà bien assez. Là, tu dois rester avec ton bungalow. C'est comme ça.

- Mais...

- S'il te plait, je n'ai vraiment pas le temps de gérer les tracas de tout le monde. Je dois préparer la soirée de ce soir et aller récupérer nos citrouilles. Alice et Julia ont trouvé ça amusant de les voler ! Elles rigoleront moins quand on aura réussi à sculpter des visages réalistes et maquillés qui nous feront gagner le concours.

L'air déterminé, Drew commença à la contourner pour rouvrir la porte, mais Lacy s'interposa dans un coup de tête. Drew se figea face à elle.

- Qu'est-ce que tu fais ? s'exclama-t-elle. Allez, pousse-toi.

- Non, je veux juste te dire que ce soir je ne resterai pas avec vous. Je serai avec mes amis.

- Lacy, ne provoque pas ma patience.

- Mais je ne vois pas pourquoi tu...

- Parce que c'est un évènement pour réunir le bungalow, c'est tout ! C'est moi qui décide.

- Je me suis déjà engagée envers eux, argumenta-t-elle.

Drew roula des yeux.

- Je crois que ton engagement envers nous passe au-dessus, clama-t-elle d'un ton sec. Tu fais partie des enfants d'Aphrodite et tu agiras comme tel. C'est tout. Maintenant, laisse-moi passer.

- Mais Drew, s'il te plait...

- Bouge !

L'ordre claqua, implacable, et Lacy sentit sa tête se vider et son corps obéir en une seconde. Mue par une volonté supérieure, elle se décala avant de se figer, perplexe. Drew la contempla, le souffle court, et elle comprit brusquement.

- Tu m'as enjôlée ! s'indigna-t-elle.

- Je n'ai pas voulu, c'est sorti tout seul...

Elle paraissait presque surprise elle-même de ce qu'elle venait de faire, mais Lacy ne se laissa pas avoir.

- Oui parce que comme d'habitude tu préfères imposer ce que tu veux autres plutôt que de discuter ! l'accusa-t-elle. Piper n'aurait jamais...

- Piper n'est pas là ! coupa Drew avec fureur.

- Heureusement pour toi ! Si elle l'était, t'arrêterais peut-être un peu de te prendre pour la cheffe ultime de ce bungalow et nous imposer tes règles stupides !

- Retire ça tout de suite ! Mes règles stupides comme tu dis sont précisément ce qui nous aide à rester unis en tant que famille et bungalow !

Incrédule, Lacy écarta les bras.

- Tu plaisantes ? Unis ? Drew, nous obliger à être des copies conformes de ta vision des enfants d'Aphrodite, ce n'est pas être unis ! Tu effaces littéralement toutes les personnalités qui ont le malheur de ne pas être comme toi !

- Je suis garante de l'esprit d'Aphrodite ! Si on écoutait Piper, on serait sur un champ de bataille toute la journée en étant débraillé, comme n'importe quel bungalow. Moi, au moins, j'assure notre statut.

- Mais quel statut ? Aphrodite n'est pas juste la déesse d'une seule forme d'amour ou de beauté. L'amour peut même être guerrier ! Piper l'a prouvé et Will m'a dit que Silena Beauregard le pensait aussi...

- Tais-toi ! claqua Drew. Tais-toi ! Tu ne connaissais même pas Silena !

Mécaniquement, Lacy sentit sa bouche se fermer sans savoir si c'était dû à un nouvel accès d'enjôlement ou à la soudaine détresse de Drew. Elle regarda sa demi-sœur, surprise, alors qu'elle se détournait avec agitation. Elle se mit à faire les cents pas dans le bungalow et Lacy se retrouva là, bras ballants, sans savoir quoi faire.

- Drew... murmura-t-elle.

Mais Drew l'ignora encore plusieurs secondes, le temps de se recomposer un visage plus neutre, même si une myriade d'émotions jouaient dans ses yeux. C'était peut-être la première fois que Lacy la voyait ainsi.

- Tu ne connaissais pas Silena, répéta-t-elle soudain d'une voix tremblante. C'est précisément parce qu'elle a voulu explorer le côté guerrier d'Aphrodite qu'elle est morte. Si elle était restée hors du cœur de la bataille comme on l'avait toujours fait...

- Elle a aidé à gagner la guerre contre Chronos. Tu ne peux pas lui enlever ça.

Drew renifla dans un rire sans joie.

- Oh comme si je risquais de l'oublier. Comme si quelqu'un dans cette Colonie risquait de l'oublier ! Peu importe sa trahison, tout le monde a bien veillé à préserver son image. Clarisse en tête. (Elle se passa une main sur le visage). Et ça me laissait quoi, moi ? La place d'une héroïne à prendre ? Une place où tout le monde me comparerait toujours à Silena ?

- Bien sûr que non...

- Oh Lacy, je t'en prie. Ne sois pas naïve. Tu n'étais pas là au début, juste après la guerre. Personne ne m'écoutait. Tous nos frères et sœurs n'avaient que le nom de Silena à la bouche. En vérité, tout le monde m'a bien fait comprendre que je ne pourrais jamais être à sa hauteur.

Soudain prise de pitié, Lacy entrevit pour la première fois une facette de Drew derrière sa façade de fille à la main de fer et elle en voulut à son bungalow d'avoir imposé cette pression sur sa sœur. Vivre dans l'ombre d'une héroïne décédée n'avait pas dû être simple, même si ça n'excusait pas la tyrannie de Drew presque deux ans.

- Tu sais, reprit Drew d'un air las, j'avais toujours tout obtenu dans ma vie. Il me suffisait de mettre un peu d'enjôlement dans ma voix et je pouvais avoir ce que je voulais. C'était devenu facile... Et puis quand je suis devenue conseillère en cheffe, j'ai découvert que mon pouvoir avait une limite.

- Tu ne pouvais pas envoûter les gens pour qu'ils t'apprécient et te respectent comme Silena, devina Lacy.

- Exactement. Quoique je fasse, elle pesait au-dessus de moi comme un modèle inatteignable. Même les Arès l'aimait par les dieux ! Je ne pouvais pas lutter contre ça, j'en étais incapable. (Elle soupira). Alors j'ai pris une décision : si je ne pouvais pas être Silena, j'en serais le contraire. Je reviendrais à la véritable essence d'Aphrodite. A ses vraies valeurs. Je voulais aller contre tous les changements que Silena avait commencé à amorcer.

- Plus de combat...

- Plus de combat, présenter une façade unie, séduire pour conquérir. On n'avait pas besoin d'épée, on avait notre charme. Je voulais montrer à tout le monde qu'on pouvait être mortels en talons aiguilles et en rouge à lèvres.

- Mais en faisant ça, tu as imposé des codes à tout le monde. Des codes dans lesquels on ne se retrouvait pas forcément...

Lacy repensa à sa conversation avec Will dans la cuisine de Naomi Solace. Elle revoyait son expression bienveillante alors qu'il lui expliquait que la société faisait peser des attentes sur les genres et plus particulièrement sur les demi-dieux. Que les fils d'Apollon devaient savoir tirer à l'arc et représenter un idéal viril définie par les siècles ; que les filles d'Aphrodite devaient savoir être belles et s'y connaître en amour. Drew s'était appropriée ces codes. Elle en avait fait sa force en oubliant au passage que sa vérité n'était pas celle de tous.

- Je sais, admit-elle après quelques secondes. Je sais, mais c'était la seule façon de me donner une légitimité. Je n'ai jamais su me faire apprécier autrement...

- Juste être toi-même et commencer à être gentille avec les autres auraient aidé, glissa Lacy avec mordant.

- Peut-être. Mais je me suis dit que si je dictais moi-même les codes en les faisant à mon image alors je ne serai jamais exclue. Je serai forcément dans la norme. (Elle joua avec les nombreux bracelet à son poignet). Je veux dire, je n'ai jamais su me battre, je n'ai jamais été une guerrière ! On m'a toujours pris pour la fille superficielle parce que j'aimais la mode. C'était juste ma passion. Tu sais à quel point la haute couture est un domaine fascinant ?

Etonnée, Lacy secoua la tête. A vrai dire, elle ne s'était jamais bien intéressée aux passions de Drew qu'elle avait toujours trouvé effectivement superficielle. Elle rougit en se rendant compte brusquement qu'elle fait exactement ce qu'elle lui reprochait : elle l'avait jugé sans chercher à s'intéresser sincèrement à ses goûts et elle lui avait collé une étiquette. Puis, elle se rappela malgré tout que Drew n'avait eu de cesse de la rabaisser et de se moquer d'elle, et que rien ne pouvait l'excuser même si elle commençait à mieux la comprendre.

- Enfin peu importe, soupira finalement Drew. J'ai juste décidé d'imposer ce que j'étais à tout le monde. Ça me donnait l'impression de vraiment appartenir à une famille comme ça. Je voulais que notre bungalow redevienne ce qu'il était avant : un groupe uni.

Sur ce dernier aveu, Drew détourna la visage et Lacy crut voir une larme dévaler sa joue. Elle sentit un élan de compassion se disputer à sa colère au creux de sa poitrine. Résignée, elle s'avança pour venir s'assoir près de Drew, puis elle lui prit la main avec douceur.

- Je comprends, murmura-t-elle. En partie du moins. Mais tu ne peux pas continuer comme ça, Drew. Tu fais plus de mal que de bien en agissant comme ça et je suis sûre que si tu relâchais un peu la pression – autant sur nous que sur toi – tout irait bien mieux.

- Tu crois ?

- Ca ne coûte rien d'essayer, non ? Et... si tu veux, je peux parler aux autres. Je peux leur dire que tu es prête à faire un effort si en échange ils t'en laissent une en arrêtant de te comparer à Silena ou à Piper.

Drew la regarda, visiblement surprise.

- Tu ferais vraiment ça ?

- Pourquoi pas ? Moi aussi j'ai envie que ça s'améliore !

- Dans ce cas... je suppose qu'on peut essayer, oui. Et on peut même commencer par ça : tu peux rester avec tes amis pour le feu de camp de ce soir.

Lacy se sentit sourire d'une oreille à l'autre.

- C'est vrai ? s'écria-t-elle. Oh génial ! Merci !

- Mais si on gagne le concours de citrouilles, tu ne pourras pas revendiquer la victoire ! la prévint Drew.

- Ça me va !

- Parfait... Bon allez, je vais essayer de trouver Alice et Julia pour leur passer un savon. A plus tard, Lacy. Et... merci.

- Avec plaisir !

Encore incrédule, elle resta prostrée sur le lit tandis que Drew se levait et se dirigeait vers la porte. Avant de sortir du bungalow, elle se retourna une dernière fois :

- Oh et Lacy ?

- Oui ?

- J'ai l'impression que cette quête t'a fait du bien. Vraiment.

**

*

- Eh Lacy ! Par ici !

Slalomant entre les pensionnaires rassemblés autour du feu de camp, Lacy chercha la voix qui venait de l'interpeller avant d'apercevoir Lou Ellen un peu plus loin. Elle s'empressa de se la rejoindre et elle s'aperçut alors qu'elle n'était pas seule. Connor, un bras passé autour de ses épaules, lui adressa un rictus en guise d'accueil ; Travis discutait avec Cecil Markowitz ; et Will montrait quelque chose à Nico au loin. Elle s'assit au milieu du groupe.

- Salut, dit-elle en souriant. Désolée du retard, j'ai dû aider Drew pour quelque chose.

- Elle t'a déjà fait travailler d'arrachepied ? se moqua Connor, à moitié consterné. Elle n'arrête jamais celle-là, c'est pas possible !

- Oh non je me suis portée volontaire. Il se trouve que des enfants d'Hermès avaient volé les citrouilles des Aphrodite. On a dû aller les récupérer.

Sur ce constat, elle lui jeta un regard éloquent et il leva les mains immédiatement en même temps que son frère.

- C'est pas nous ! assurèrent-ils de concert.

- Je sais. C'étaient Alice et Julia.

- Quand c'est pas les uns c'est les autres de toute façon, commenta Lou Ellen, amusé.

- Eh ! protesta Travis. Attention Blackstone, c'est pas parce que tu sors avec Connor que je ne peux pas te jeter dans le lac pour impertinence.

Lou Ellen laissa échapper une exclamation amusée.

- Ah ! Essaye toujours, Alatir ! Tu finiras simplement transformer en cochon pour retourner à la fac.

Pour faire bonne mesure, elle agita ses doigts sous son nez et il recula devant les étincelles que la fille d'Hécate se mit à projeter.

- Connor, bon courage, se contenta-t-il de dire. Elle est effrayante.

- Je sais !

Et dans un éclat de rire, il déposa un baiser sur la tempe de Lou Ellen en resserrant sa prise sur elle. Lacy sentit son cœur fondre. Ce n'était pas parce qu'elle avait affirmé à Drew vouloir être plus guerrière qu'elle ne pouvait pas apprécier une belle histoire d'amour.

- Nico ! s'exclama justement Will à cet instant. Fais attention, tu vas la casser !

- Je sais tenir une citrouille.

- Oui mais là c'est notre citrouille pour le concours.

D'un geste protecteur, il arracha presque le cucurbitacée des mains du fils d'Hadès indigné. Lacy se pencha en avant, curieuse.

- C'est la nôtre ?

- Ouais ! annonça Will d'un ton fier. Je l'ai fait tout à l'heure et je nous ai inscrit ensemble. J'espère que ça te va ? Je sais que les Aphrodite se présentaient en tant que groupe mais...

- C'est bon, je me suis arrangée avec Drew. (Elle avisa le visage de leur citrouille et se mit à rire). Oh Will ! Elle est géniale !

La face orange était creusée pour former un visage grimaçant, mais Will y avait ajouté des détails : elle avait des tatouages gravés sur son écorce au niveau des joues et du front. Un triple croissant de lune, un caducée, une rose, un crâne et un soleil... et une poule. Tout le monde partit dans un fou rire incontrôlable. Sauf Connor.

- Je me sens martyrisé, dénonça-t-il.

- Trop tard, lui répondit Lou Ellen. On est inscrit au concours maintenant, on ne peut plus reculer.

Lacy lui donna une tape réconfortante sur l'épaule alors qu'il bougonnait. L'esprit léger, elle observa le reste du feu de camp. Plusieurs groupes s'étaient formés sur la pelouse tandis que la nuit commençait à tomber, les enveloppant dans une atmosphère de semi-pénombre chaleureuse malgré l'air frais de l'automne. A un moment, elle croisa le regard de Drew, assise de l'autre côtés du feu. Les reflets orangés jouaient sur son visage et elle lui adressa un léger sourire, ce que Lacy jugeait être un progrès monumental.

Pendant toute la soirée, différents groupes se succédèrent sur la petite scène improvisée montée par les Héphaïstos dans l'après-midi. Certains présentaient leur citrouille pour le concours, d'autres racontaient des histoires effrayantes, d'autres encore chantaient des chansons. Percy Jackson, venu pour sa semaine de vacances depuis la fac de la Nouvelle Rome, fit rire tout le monde en brandissant sa citrouille qui avait une ressemblance troublante avec Monsieur D. Austin, le frère de Will, les envoûta avec une reprise de This is Halloween au saxophone et Clarisse LaRue fit sursauter la moitié de la Colonie avec son histoire de tueur en série.

L'ambiance commençait à retomber doucement tandis que d'autres personnes continuaient à faire le show sur scène quand Will tenta de les motiver.

- Alors ? Personne pour aller chanter ? lança-t-il.

- Pitié non, s'amusa Lou Ellen, j'ai eu assez de karaoké de Connor pour une vie.

- Eh ! Notre reprise de Don't Stop Me Now était épique !

- D'accord, je t'accorde ça.

Mais Will ne s'avoua pas vaincu. Il donna un coup de coude à Nico qui lui envoya tout de suite un regard noir.

- Non, dit-il avant même que Will ait pu sortir un mot.

- Oh allez, je ne t'ai jamais entendu chanter !

- C'était voulu.

- Tu dois bien connaître une chanson.

- Aucune.

Lacy sourit, amusée devant leurs chamailleries familières. Elle décida d'aider Will par solidarité.

- Tout le monde connait au moins une chanson, argua-t-elle.

- Comme Wind of change pour danser des slows ! lui lança Connor avec un rictus.

Elle lui envoya des brins d'herbes dans la tête pour toute réponse.

- Oh tu connais des chansons italiennes ? demanda Lou Ellen.

- Je ne chanterai pas, éluda Nico.

- Je te demandais juste si t'en connaissais.

Il soupira. Lacy s'apprêtait à changer de sujet pour l'épargner en défiant Connor de monter sur scène pour enfin aller présenter leur citrouille quand Nico répondit soudain.

- Il y avait une chanson que ma mère me chantait... avoua-t-il en faisant tourner sa bague en tête de mort autour de son doigt. C'était une berceuse italienne, mais elle la traduisait parfois un peu en anglais quand on a déménagé. Plus tard, Bianca... (il se râcla la gorge). Bianca a continué de me la chanter.

- Elle s'appelait comment ? souffla-t-elle.

Le regard de Nico se perdit dans le vide.

- Soldatino... Ça veut dire...

- « Petit soldat », traduit Will par instinct.

Surpris, Nico tourna la tête vers lui et leurs yeux s'accrochèrent. A nouveau, pour ce qui semblait être la millième fois ce soir, Lacy sourit. Elle songea que « petit soldat » était un titre qui convenait à Nico autant que le « roi fantôme » et elle se l'imagina enfant sur les genoux de sa mère alors qu'elle lui chantait la berceuse dans une langue mélodieuse.

- Tu te souviens des paroles ? s'enquit-elle, curieuse.

A ses côtés, les autres restèrent silencieux, s'attendant sûrement à ce qu'elle se fasse envoyer sur les roses, mais Nico les surprit à nouveau en commençant à fredonner une légère mélodie sans lâcher Will du regard. Lacy retint son souffle. En vérité, la voix de Nico était noyée par le bruit ambiant et seul leur groupe pouvait l'entendre, mais elle se pencha en avant mécaniquement, attirée par le rythme doux de la berceuse.

Close your eyes, I know what you see

The darkness is high, and you're in ten feet deep

But we've survived more terrible monsters than sleep

And you know I will be here to tell you to breathe

Tu sei il mio soldatino (you're my little soldier)

La ragione per cui vivo (the reason I live)

Non ti scordar di me (don't forget me)

Io veglierò su di te (I'm watching over you)

Stumbling lost, the last choice of all that you meet

It's the cost of ruling those 'neath your feet

Paths you've crossed, and trust you're trying to keep

You're exhausted, listening for a voice that can't speak

(Ma nico, mio caro)

Tu sei il mio soldatino (you're my little soldier)

La ragione ho vissuto (the reason I lived)

Non ti scordar di me (don't forget me)

Io veglierò su di te (I'm watching over you)

So you run, through shadows you roam

Seams undone by the love you thought you could own

But he's just one of many that you might call home

And maybe someday, the bitter will fade from your bones

Eri il mio soldatino (you were my little soldier)

Ora un principe oscuro (now, a dark prince)

Ma anche per te, c'è una luce (But even for you, there is a light)

Che ad un'altra vita ti conduce (that leads you to another life)

Et alors que la voix de Nico – pas plus haute qu'un murmure – se fondait avec le silence, Lacy se remit à respirer. Elle ne se rendit compte qu'elle avait les larmes aux yeux qu'en sentant soudain un trait humide dévaler sa joue et elle regarda les autres. Aucun d'eux n'avait besoin de comprendre l'italien pour être touché : Connor serrait Lou Ellen dans ses bras sûrement à lui en faire mal, Travis paraissait à avoir du mal à revenir à la réalité et Will... Oh par les dieux, Will regardait Nico avec tant d'émotions que Lacy s'attendait presque à ce qu'il se mette à briller d'une seconde à l'autre. Pourtant, il se contenta d'ouvrir ses bras et Nico, tremblant, s'y réfugia le souffle court.

Par respect, Lacy détourna le regard. Elle réalisa soudain le chemin parcouru par chacun d'eux depuis le début de cette quête. Ce que Nico venait d'accomplir en était la preuve irréfutable. Ils avaient tous évolué, grandi, changé...

Lou Ellen s'était reconstruit après une enfance à subir les moqueries et à être décriée pour sa différence.

Connor avait appris à s'emparer de son identité et à se détacher de son frère dont il était pourtant encore si proche en ce moment même.

Nico s'était ouvert à la lumière après des années à se cacher dans les ombres.

Will avait trouvé sa place parmi les guerrier, lui, le guérisseur.

Surtout, elle s'était elle-même réconciliée avec l'héritage de sa mère. Elle était une fille de la déesse de l'amour, elle était belle et courageuse, elle était capable de réparer et de briser des cœurs, elle pouvait aussi bien évoluer au milieu d'une foule que sur un champ de bataille. Elle avait trouvé sa voie au-delà des attentes, elle avait trouvé sa voix au-delà des apparences.

Plus que tout, ils s'étaient tous trouvés en tant qu'amis. Et elle ne pouvait rien demander de plus au dieux qui veillaient sur eux.

FIN


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Ca y est, c'est terminé ! Petite larme d'émotion quand même !

Pour ceux que ça intéresse, la chanson que chante Nico existe, je l'ai repris d'une artiste qui l'a écrite sur la relation de Nico et Bianca et je la trouve juste magnifique. Tout le crédit lui revient donc. Elle s'appelle Soldatino de Paolina Bennet et voici le lien : https://www.youtube.com/watch?v=f9fu5rJ3k4Q

Sinon une dernière fois un grand merci à tout le monde ! Je n'ai pas préparé de questionnaire pour une fois donc je me contenterai de vous demander votre avis global sur la fanfic, ce que vous avez aimé ou non, vos impressions sur tout (personnages, écriture, intrigue). A vous de jouer !

Petite mention spéciale également à Perripuce pour son aide, ses relectures et brainstorming ! Je ne pourrais clairement plus m'en passer et ça fait tellement plaisir de travailler avec elle !

Et il ne me reste plus qu'à vous dire à bientôt ! Bon dimanche !

Anna'
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