Pour commencer, un grand merci à LNA5 pour m’avoir offert la lecture de ce livre dans le cadre du Challenge Cadeau de Noël 2016, j’étais plutôt impatient de découvrir ce roman, qui était très estimé par deux de mes favoris, et dont le contexte semblait me parler ; de même j’avais bien envie de me plonger dans de la littérature asiatique (même si l’auteure est française et écrit dans cette langue). Pour résumé : j’ai plutôt aimé, mais c’est compliqué…
Mon premier contact avec le livre a été une douche froide : je n’ai pas aimé le style. Déjà, je n’ai pas compris le choix d’écrire à la première personne alors qu’il y a deux points de vue de personnages dans le livre. Deux narrateurs qui disent tous les deux « Je » ? L’écriture au présent également m’a dérangée (ce n’est pas un temps que j’aime pour les récits) et le style fait à base de phrases très courtes n’a pas aidé. Je me retrouvais devant l’antithèse parfaite de ce que j’aime lire d’habitude : des phrases courtes au présent énoncées par un narrateur à la première personne. J’ai grincé des dents.
D’autant que le style m’a semblé contradictoire : il y a une volonté poétique dans l’écriture, avec beaucoup (vraiment beaucoup) de métaphores et de comparaisons avec des figures poétiques de l’Extrême-Orient, mais les phrases courtes (presque télégraphiques parfois) font que bien trop souvent on a un même schéma qui se répète : phrase courte pour exposer ce qui se passe ; phrase courte pour faire une figure poétique dessus. Et c’est l’impression d’un style forcé que tout ça m’a laissé, j’arrivais pas à trouver ça fluide, c’était presque artificiel. Bref, j’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans le bouquin.
Pourtant le contexte politico-historique du livre est super ! La Manchourie durant la guerre sino-japonaise, c’est passionnant. Sauf que je jamais le livre n’a eu de vocation historique : on va avant tout nous raconter l’histoire de la joueuse de (pokémon ?) Go, et tant pis si on ne fait qu’évoquer les évènements historiques sans vraiment les raconter. Un peu déçu mais ça ne nuit pas au livre.
L’intérêt du livre est dans l’histoire de ses deux personnages principaux (qui ne sont nommés qu’à la toute fin je crois). Et ce qui est étrange… c’est que je les préfère au début du roman plutôt qu’à la fin ! x) Alors que le but est de les faire évoluer et de les amener à s’aimer (merci la 4e de couverture pour le spoil) le personnage féminin était vraiment génial au début du roman, mais va subir une vrai descente aux enfers.
Par rapport à la joueuse de go (le personnage, pas le dresseur de pokémon) on ressent bien qu’elle est vraiment le personnage central du roman : c’est elle qui va devoir surmonter des épreuves (même si le personnage masculin accomplit des exploits guerriers, les enjeux se ressentent presque uniquement sur le personnage féminin). Au début du livre, je l’aimais vraiment bien : elle était assez en marge (joueuse de go) et avait un recul sur sa culture (la condition des femmes principalement) remarquable. J’ai lu un autre livre cet année : Les Amantes de Jelinek, et je vous recommande cent fois de le lire, vous comprendrez ce que je veux dire en disant que l’héroïne était à deux doigt d’être aussi acerbe que Jelinek envers les femmes aliénées aux hommes.
Bref, ce qui est par contre dommage c’est qu’à ce personnage révolté par rapport à l’aliénation féminine, il va arriver des expériences amoureuses (logique, on est dans un roman sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte) qui vont, de manière surprenante, reprendre une grande partie des comportements aliénants qui déplaisaient à l’héroïne. Il y a, dans les descriptions sexuelles que nous fait l’auteur, un aspect qui m’a mis mal à l’aise. Je ne sais pas si les canons de l’érotisme sont différents dans la culture asiatique, mais qu’on parle de l’acte d’amour comme quelque chose où les femmes se sentent mourir, ne bougent plus… quand même quoi. Et tous les rapports homme-femmes semblent être sur ce schéma, sans doute réaliste à l’époque où l’aliénation de la femme était très fort (est-ce que ça a changé aujourd’hui ? la plupart des romans d’amour nous prouve le contraire) mais ce que j’ai eu du mal à accepter c’est que le roman fasse grandir l’héroïne en la conformant à ce modèle : elle tombe amoureuse comme ses amies, etc. On passe d’une héroïne en marge et très critique sur l’aliénation de la femme, à une héroïne en fin de livre qui dépend entièrement des hommes
(pour quitter la ville, et même pour se donner la mort)
L’histoire d’amour en elle-même m’a laissé de marbre. Pendant les parties de go(qui occupe seulement la moitié du bouquin, la première moitié servant d’introduction) il n’y a que le personnage masculin qui tombe vraiment amoureux, qui fantasme, alors que le personnage féminin ne pense à lui qu’en évoquant « un étranger » (et jamais « l’étranger », non, il est même pas définit comme unique). Ce qui fait que jusqu’à la fin j’avais l’impression que le mec était juste parti trop loin dans sa tête, qu’il voyait des avances où y’en avait pas, qu’il interprétait des trucs anodins pour des trucs trop romantiques, que la fille n’en avait absolument rien à foutre de lui (la seule attention qu’elle lui témoigne c’est de revenir jouer avec lui tous les jours, c’est sûr que ça ressemble à des avances #ironie). Bref, à la fin
le seul élément qui sert à l’héroïne pour vouloir tomber dans ses bras, c’est de dire que c’est le seul homme qui ne l’ait pas trahis… Et je trouve ça complètement con (déjà parce que, très concrètement, Jing ne l’a jamais trahis, et je suis sûr que plein d’autres hommes ne l’ont jamais fait non plus, comme par exemple le tireur de pousse-pousse au hasard) mais c’est justifié par le fait qu’en jouant au go elle a lu dans son âme…
Du coup c’est bête que durant le roman le seul dont le point de vue nous dit qu’il apprend des choses sur son adversaire c’est le personnage masculin, car du coup on a pas réussi à prendre la mesure de ce qui était en train de se jouer (accentuant mon impression de non-réciprocité).
Mais bon, le style m’a bloqué et l’histoire d’amour j’ai pas réussi à m’y investir, mais il y a tout de même des choses super dans ce livre ! (c’est vrai)
Comme je l’ai dit le contexte historique est super cool, et j’ai également adoré les courtes descriptions du quotidien et de la ville de Mille Vents (même si le style télégraphique ne permettait pas de longues et denses descriptions comme j’aurais adoré). Mais c’est surtout dans les personnages secondaires que je me suis régalé.
Déjà, les deux amis Min et Jing, sont super bien écris. On les voit beaucoup dans le roman, ainsi que leurs liens avec les révolutionnaires, et c’est toute une gamme de personnages auquel j’ai vraiment réussis à m’attacher. Min m’a beaucoup ému, et notamment
sa mort. Le fait qu’il ait fini, alors qu’ils subissaient ensemble la torture, par réaliser son amour pour sa camarade étudiante, et qu’il meurt fusilier avec elle après l’avoir épousé, putain c’est beau ! J’aurais adoré avoir un récit uniquement de son point de vue pour raconter son histoire, c’est tragique et très humain. D’ailleurs, le fait que l’héroïne se sente « trahis » lorsqu’elle découvre ça lors de sa mort, ça m’a un peu fait perdre de la sympathie pour elle. Si elle l’aime, elle devrait bien voir qu’il est mort heureux, pour sa cause, et en ayant ouvert les yeux sur ses sentiments, non ? Là l’héroïne le hait égoïstement, mais bon, le fait qu’elle porte alors son enfant peut expliquer cela…
En parlant de l’héroïne, son petit triangle amoureux à base de « j’aime l’un uniquement parce que ça rend jaloux l’autre » est encore une fois super malsain et pas du tout sympa. Je veux bien que l’héroïne juge les hommes en fin de roman, mais 1- elle est quand même aliénée à eux 2- elle a pas des jugements qui rendent justice aux personnages. Tout ça pour dire que les personnages de Min et Jing sont très bien écrits : ce sont des personnages tragiques, chacun à leur manière, de leurs idéaux révolutionnaires à leurs fins respectives. Mais d’autres personnages secondaires m’ont beaucoup marqué comme la Geycha, le capitaine Nakamura, Huong, etc. qui forment un super tableau de cette époque et font de très bons personnages (contrairement aux deux personnages principaux dont je trouve les évolutions en partie incohérentes)
Pour conclure, je dirais que j’ai surtout était gêné par le style qui fait par exemple que la conclusion de l’histoire est expédiée en une page à peine… L’histoire en elle-même tient la route malgré des éléments que je n’ai pas aimés, plus par convictions personnelles que par véritable défaut objectif cependant (aliénation des femmes, etc.). Mais j’ai tout de même apprécié le contexte et les autres personnages, fort réussis !
Dernier bémol toutefois : le jeu de go a beau être au centre de l’histoire des deux personnages, on en apprend en vérité très peu sur ce jeu ainsi que la façon dont il peut "révéler les âmes".
ps : j'ai oublié de le dire, mais les fictions sur des ado/jeunes adultes qui font de la merde avec leurs sentiments, qui essayent de comprendre ce qu'ils éprouvent réellement et se dépatouille avec, j'adore quand c'est bien fait ! Je ne pensais pas trouver en la joueuse de Go ce genre de roman, mais c'est au final ce qui m'a le plus plu : ce cheminement émotionnel qui amène à se découvrir soi-même.