Elle flotte dans les ténèbres. Le néant l’entoure, l’enveloppe, l’emprisonne. Ses mouvements sont lents, agoniques. Elle se traîne dans un univers d’obscurité, oubliée de la réalité, oublieuse de la douleur. Ses membres alourdis par l’épuisement peinent à bouger correctement, son esprit embrouillé par le déni et la souffrance se perd dans les méandres de réflexions inachevées, de souvenirs pénibles et de pensées redondantes. Elle respire mais n’a pas l’impression de vivre, son cœur bat mais chaque battement semble le craqueler un peu plus, tel un vase brisé qu’on aurait recollé à la hâte.
Pourtant, il bat, et Elle continue de vivre. Secouée, chamboulée, nageant dans l'obscurité d'un espace sans étoiles, Elle respire un air vicié par l'absence et la solitude, écoute le silence des jours qui s'écoulent sans que rien ne change. Même les coups réguliers de sa montre ne parviennent pas à ses oreilles. Elle se meurt en silence, Elle flageole et se courbe au moindre courant d'air et, pour peu que quelque chose s'approche trop brusquement, Elle ploie, se courbe comme une bougie en fin de vie, sur le point de s'évanouir en fumée. Les mots l'atteignent mais la traversent, les odeurs l'effleurent sans la toucher. Ses plaintes se sont tues, ses pleurs se sont taris. Amorphe, Elle regarde les jours défiler sans les voir. Il n’y a plus de peur, plus de souffrance. Juste la brûlure du silence, le bruit du vide. L’obscurité est son unique univers.
Et puis, dans l'infinité de la noirceur apparaît un petit rayon gris pâle, à peine un éclat d'étoile dans la nuit la plus noire. Soudain, pour la première fois en une éternité, son cœur s'affole un peu. Elle se redresse, malgré ses muscles raidis. Son esprit engourdi proteste. Et si. Et si. Et si c'était une illusion ? Mais Elle avance envers et contre tout, à petits pas mesurés, une main tendue en avant, les yeux plissés, cherchant à discerner la source de cette faible lueur. Et si. Et si. Et s'il y avait réellement quelque chose ?
Un frisson d'appréhension, sensation nouvelle dans son agonie, court sur son échine, et Elle sent la chair de poule hérisser ses bras. Elle s’approche un peu, et la clarté étrécit ses pupilles. La lumière est ténue, distante, argentée. Un rayon de lune au milieu des ténèbres. L’image la fait amèrement sourire un instant, Elle recule de quelques pas. C’est une mauvaise idée de s’approcher, Elle le ressent dans ses os. L’appréhension, mêlée à l’irrépressible attrait de la nouveauté, la font piétiner quelques instants sur place. Elle étend les doigts, le bras toujours tendu en direction de la minuscule source de lumière, jette un bref regard en arrière. Les ténèbres sont là, à la fois impersonnelles et familières, rassurantes et terrifiantes. Elles l’ont hébergée en leur sein tout au long de ces dernières semaines. Les quitter, même au profit d’une mince lumière, requiert une volonté qu’Elle ne pense pas posséder.
Elle sent un brûlant étau lui étreindre le cœur à l’idée de replonger, secoue lentement la tête, mais recule encore un peu, les yeux fixés sur ce minuscule point brillant, au loin, qu’Elle espère et craint à la fois.
Soudain, le petit point s’agrandit. Elle tressaille, ses yeux s’écarquillent alors que la lumière s’intensifie à une vitesse vertigineuse, envahit son champ de vision, disperse les ténèbres. L’étau qui lui enserre la poitrine se resserre encore, mais Elle ne bouge pas, comme tétanisée. L’obscurité recule, tente d’étouffer l’éclat de lumière, mais n’y parvient pas. La luminosité croît, brûle. Le point se transforme en étoile lointaine, puis en petit soleil blanc. Sa taille augmente tandis que la distance qui les sépare diminue. Finalement, alors qu’Elle est sur le point de s’écarter de sa trajectoire de comète, l’astre ralentit. Il freine, s’immobilise à quelques longueurs d’Elle, radiant. Ses pulsations profondes, régulières, font vibrer l’air ambiant. Elle cille, les pupilles réduites à de minces fentes, retire sa main.
Le soleil ne bouge plus. Sa lumière est étrange. Brûlante, et pourtant étrangement froide, proche et distante à la fois, comme les ténèbres qui l’environnaient jusqu’alors. Sa simple présence dissipe l’obscurité, illumine l’environnement immédiat. Elle sent ses joues qui se réchauffent doucement. Ses rétines brûlent sous l’assaut de clarté, mais Elle refuse de détourner le regard. Elle fixe avec attention le centre du soleil, là où, étrangement, la lumière semble émerger d’un cœur d’obscurité. Elle ne prête pas attention à son environnement qui, pour la première fois depuis une éternité, se pare de couleurs. Elle devine que c’est à elle de faire le pas en avant, celui qui initiera le contact mais, au-delà de sa peur primitive, c’est une réserve prudente qui la retient. Les souvenirs sont encore là, à la surface de son subconscient, ils n’attendent que la plus faible impulsion pour jaillir et envahir son esprit.
Alors elle piétine. Elle trépigne. Elle brûle. Elle jauge. Elle mesure. Elle juge. Elle évalue. Le danger, les risques, les possibilités, les espoirs, les cicatrices. Elle s’auto-analyse en même temps qu’elle tente d’interpréter la noirceur qu’elle devine dans les tréfonds de l’astre.
Finalement, ses résolutions vacillent. Elle tremblote comme une flammèche soufflée par la pulsation brûlante du soleil, elle esquisse un pas timide en avant. La lumière réplique par une douce salve d’énergie qui réchauffe l’air ambiant, repousse encore un peu plus les ténèbres. Elle répond en faisant un pas de plus, précautionneuse. La distance s’amenuise, l’éclat s’intensifie. Elle se prend à sourire. Une communication s’établit, simple et claire, honnête. Ce n'est pas de la physique, ce n'est pas physique. Ils vibrent au même rythme. Ils échangent sur les mêmes ondes. C’est logique, évident. Elle sourit. Elle revit.
Elle redécouvre l’univers. Le monde a repris de ses couleurs. Les ténèbres demeurent, distantes, reléguées à l’état d’environnement, et Elle n’ose trop s’en approcher de peur de plonger à nouveau, mais Elle prend à nouveau des initiatives. Les rires qui lui échappent sont sincères. Ses battements de cœur cessent de la faire souffrir. Elle se rend compte qu’Elle respire à nouveau. Même lorsqu’Elle s’éloigne un peu, Elle sent la lumière de l’astre qui la guide et la réchauffe. Elle explore à nouveau le monde sans crainte, sereine, baignée par la lumière. Elle parle avec le soleil, elle sent son éclat qui évolue. De blanc, il mue vers l’or. À son contact, il se transforme lui aussi.
Mais, dès qu’Elle tente d’approcher cette part d’ombre qu’il porte, il se dérobe. Il l’aveugle de lumière pour l’empêcher de voir, éclaire de nouveaux espaces pour la détourner de son objectif. Et, aussi joueuse que consciente du mal-être profond que cela témoigne, même s’il se refuse à l’admettre, Elle ne creuse pas plus loin. Tout comme il l’a laissée approcher, Elle le laisse s’ouvrir à Elle. Le temps s’écoule goutte à goutte, et l’obscurité continue de reculer, repoussée par la lumière qu’ils irradient désormais tous les deux.
Brusquement, il sombre. Et, au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans les ténèbres, celles-ci semblent le grignoter, l’envelopper, l’étouffer.
Elle n’hésite pas, plonge à sa sa suite dans l’obscurité. Mais, plus elle tente de le rattraper, plus la chute de l’astre s’accélère. Elle suit le mouvement, véloce, rompue à l’art d’évoluer dans les ténèbres. Elle esquive les premiers nuages d’obscurité profonde qui l’auraient engluée, voltige entre les filaments de ténèbres collants, virevolte, esquive les assauts des ombres. La peur pulse dans sa gorge, son sang bat à ses tempes. Elle reconnaît ce néant, ce même néant où elle était elle-même plongée par le passé. L’adrénaline de la chute se mêle à une terreur primitive qu’Elle met un moment à reconnaître. C’est seulement lorsque, fourbe, un ruban d’obscurité l’enserre jusqu’à l’étouffer, qu’Elle reconnaît la ressent à nouveau, cette sensation qu’elle a tout fait pour oublier. La solitude.
Soudain, ce n’est plus la peur qui la guide, ce n’est plus l’inquiétude. C’est l’instinct. Elle rue, se débat, tire pour s’arracher à l’emprise du ruban, qui finit par rompre sous la tension. Mais un morceau reste noué autour d’elle, impossible à arracher. Elle ne s’en préoccupe pas, replonge aussi sec. Elle refuse. Refuse de voir l’astre sombrer encore plus profondément qu’elle-même. Refuse de le laisser arpenter seul les sombres chemins du néant. Refuse de le laisser, tout simplement.
La vitesse de la chute lui donne la nausée, la terreur de ne pas pouvoir remonter creuse un trou béant dans sa poitrine, mais elle poursuit son chemin. Elle se sent agressée de toutes parts. Elle sent les liens qu’elle a tissés avec l’extérieur qui la tirent vers le haut, son propre instinct qui lui hurle de rebrousser chemin. Mais elle s’entête. Elle discerne encore le soleil, son soleil, loin dans les profondeurs du néant. Il se débat, lutte, rongé d’un côté par les ténèbres, de l’autre par la noirceur qui était s’instillée dans son cœur. Sa lumière frémit, vacille. Plusieurs fois, il semble sur le point de s’éteindre, de se fondre dans les ténèbres.
La tentation de reculer l’effleure, Elle la repousse. Crispée, tendue, elle bataille dans les profondeurs visqueuses d’un néant qu’elle ne se rappelle cette fois plus avoir visité. Elle est bien plus bas qu’elle n’était jamais tombée lorsqu’elle était seule. Mais elle ne regarde pas vers le haut. Elle garde son regard rivé tout au fond, là où l’éclat de l’or blanc s’amenuise. Elle voit la noirceur s’étendre en son sein, prie pour qu’Elle arrive à temps, qu’Elle l’aide à l’affronter.
Mais, finalement, alors qu’Elle commence à croire le combat perdu, l’astre est pris d’un regain d’énergie. Il émet une salve de lumière agressive, qui repousse les ténèbres extérieures. L’obscurité intérieure demeure, mais étouffée, noyée dans le soudain afflux de clarté, presque indiscernable.
Elle freine sa course vertigineuse, s’immobilise non loin de lui. Elle sent l’anxiété qu’il dégage, sa peur de l’avoir perdue. Comme il l’a fait auparavant, Elle le laisse approcher. Il le fait, tendu, nerveux.
Comment tu te sens ?
Il met un moment à répondre, finit par émettre :
Mieux. Pas bien… mais mieux.
Elle acquiesce, s’approche encore un peu pour baigner dans l’éclat doré de sa lumière. Il l’effleure, ombre de caresse, esquisse d’espoir. Elle sourit, plonge profondément en Elle-même. Les ténèbres qui les environnent n’ont plus d’importance. Elle a compris. Des profondeurs de sa propre clarté, Elle sort une petite bille de verre marbrée d’or et de noir, de fêlures en toile d’araignée, à la surface irrégulière. Elle l’observe un instant, un sourire aux lèvres. La peur l’a quittée. Dans la lumière claire de son soleil, Elle voit ses propres éclats de noirceur, les ténèbres qui la rongent. Pourtant, Elle tend la bille de verre vers l’astre.
Tiens. C’est mon cœur… enfin, ce qu’il en reste. Prends-le, je te l’offre. Mais…
Elle s’arrête, respire. La vérité la terrifie un instant, mais il n’y a que ça qui puisse la sauver.
Il est fragile. Craquelé, ébréché, en millions de petits morceaux péniblement recollés. Si tu le lâches, il va se casser à nouveau. Et, même si je le recollerai encore et encore, je préférais que tu en prennes soin. Fais-y attention s’il te plaît.
Hellyo !
Ça faisait longtemps, non ? Je vous avoue que j'ai ce bon vieux bloquage d'écriture qui me hante depuis un p'tit moment, mais j'ai enfin réussi à pondre quelque chose qui pourrait être publiable. XD
Plus concrètement, ce texte fait partie de ceux que je poste dès qu'ils sont écrits ou presque. Relecture minimale, mais par contre beaucoup d'histoire personnelle derrière. Celles qui savent reconnaîtront.
Merci à ceux et celles qui me liront !
À bientôt !