La table est rectangulaire

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NicGambarde

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La table est rectangulaire

Message par NicGambarde »

Bonjour,

Nouveau sur Book.Node, je n'y aie jamais posté mes propres écrits. Alors pour commencer, voilà un petit texte, le premier qui ait été publié dans une revue littéraire, le numéro 6 de Torticolis.

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La table est rectangulaire. Au centre sont réparties des piles nettes de brochures et dépliants colorés. Nous nous sommes naturellement placés sur les trois côtés où les chaises font face à des formulaires et des photocopies de mauvaise qualité présentant la sélection de la quinzaine. Trois pots en plastique contiennent des poignées de mini-stylos. La table est légèrement trop basse. J’ai l’impression passagère d’être de retour au centre aéré, 40 ans en arrière.

C’est ma première fois. Curieux, je détaille l’assistance, peut-être un peu trop. Je remarque que la plupart d’entre nous gardent les yeux baissés. La diversité d’age, de langage corporel et de tenue vestimentaire est remarquable. Je me suis soigneusement préparé ce matin. Pantalon à pinces bleu nuit, chemisette rose pale, veste en lin marron. Ceinture et chaussures en cuir de même nuance. Pas de costume, pas de cravate, mais pas non plus le survêtement du dimanche. Du « smart-casual » comme on dit ici.

La réunion est à midi, mais notre employée de maison est venue à 9 h, comme tous les lundi. Voulant éviter les questions sur un départ tardif, je suis parti juste après son arrivée. J’ai de la chance, il fait beau. J’ai garé la voiture au centre-ville, et puis j’ai marché des heures, explorant rues et parcs que j’ai ignoré durant 20 ans. Je passe devant le bâtiment trois fois. Il est presque l’heure, mais j’ai légèrement honte d’attendre devant la porte.

Une fois entrés, nos identités sont vérifiées, et après quelques minutes, nous sommes dirigés vers la fameuse table. Il y a une jeune femme enceinte, entre 6 et 8 mois je pense. Elle doit préparer l’après maternité. Un très jeune homme sort probablement du lycée et se cherche un futur. En face de moi se trouve un homme de la cinquantaine, cheveux blancs bien peignés, embonpoint, jogging et polo propres, lunettes. Pourquoi est-il là ? Un sans-abri de longue durée, un étranger ne parlant quasiment pas la langue, et deux hommes d’âge moyen, un peu mal fagotés, complètent notre groupe.

L’animatrice arrive, les bras chargés de cahiers. Elle commence par 10 minutes de descriptions administratives obligatoires qu’elle doit régurgiter avant chaque réunion. Puis vient une première série de questions sur les progrès de chacun, avec collection des formulaires adéquats. Je suis excusé, ne pouvant avoir fait de progrès. La réunion se termine par la séquence « formation », avec un tour de table sur comment se préparer pour une entrevue. Les réponses sont variées, et très complètes (« se laver les dents » répond l’un d’entre nous).

Je suis le dernier à parler. Il n’y a plus grand-chose à ajouter. À mon arrivée, bon élève, je m’étais naturellement placé près de la « maîtresse ». À moins que ce soit l’habitude du premier rang dans les conférences internationales, celui réservé aux intervenants et aux grands pontes, qui ont toujours le droit à la première question.

Je réalise trop tard qu’il n’y a pas de rang. La place ne compte pas, puisque nous avons tous la même, la dernière. Le vêtement n’impressionne personne. Il n’y a personne à impressionner. J’ai 50 ans, et je suis sans emploi.
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