Songe Métropolitain

[TightropeWalker]

Les scènes de la vie quotidienne sont les plus marquantes, quand l'oeil parvient à percevoir l'exceptionnel dans l'ordinaire.

"Il parle dans un endroit où le bruit sourd du métal fait taire les autres bruits. Il parle fort et d'une voix claire dans ses écouteurs, il entretient une conversation téléphonique impudique dans un lieu bondé de monde.
Il parle du miracle que chacun attend. Le sauveur, le bienfaiteur, le justicier qui récompense l'honnêteté.
Ses mains sont marquées, crevassées et rougies par le froid qui s'est infiltré en lui jusqu'aux os.
Il évoque ce don, ce nouveau travail, cette nouvelle vie, ce nouvel abri. C'est la conviction, la preuve faite que la vie est juste. C'est la preuve que cet homme-là mérite plus que ce qu'on lui a offert jusqu'ici et que quelqu'un s'en est rendu compte.
Les passagers qui tendent l'oreille sont son public. Sur cette scène populaire où les drames s'enchaînent sans jamais lever de rideau, il tient le premier rôle de sa propre comédie.
Il est l'acteur qui rêve de justice sociale. Il nous vend une histoire, un espoir aux allures de contes ou de mensonges.

"- Le pauvre, il affabule..."

Les spectateurs rient sous leur masque, se lancent des regards compatissant en attendant la station qui les libérera de ce pathétique spectacle. Ils ne savent pas alors, que cet homme, cette scène n'est là que pour eux. Ce n'est pas la Comédie Française bien sûr, mais ici et maintenant, un homme se délivre de son existence. Car aux yeux d'un seul, peut-être, la vie qu'il raconte là sera perçue comme la sienne. Ce sera suffisant.

Ce soir malgré tout, il dormira encore à la rue, dans un squat, sous un pont, dans les glissières du périf, sous la statut de Napoléon."