Imaginez un peu. Nous nous croisons dans la rue, vous me reconnaissez, me dîtes bonjour, peut-être même que vous me demandez comment je me porte. Je vois bien que vous êtes heureux.se de me voir, mais à mes yeux, votre visage ne ressemble qu'à des pièces de puzzle en vrac. Je suis incapable de deviner le dessin qu'il représente alors que je l'ai sous les yeux. Je ne peux pas y associer de nom et il y a de grande chance pour que vous y voyer une marque de dédain et de mépris. S'en suit un profond malaise au cours duquel j'arrive à peine à prononcer un mot.
Parfois, j'arrive à reconnaître un nez ou un œil. D'autre fois, je me repère à la voix et à l'odeur. Surtout l'odeur. C'est une pathologie neuronale connue sous le nom de prosopagnosie. Pour la faire courte, j'ai du mal à reconnaître les visages humain. Evidemment, lorsqu'il s'agit de personnes que je côtoie quotidiennement, je n'ai aucun mal à les identifier grâce à des ancres. Chez moi, cette pathologie est congénitale et héréditaire. Je suis née avec, et je l'ai reçu de ma mère qui a le même trouble.
Je suis née à à Evaya, dans un quartier modeste. Ma mère, Anbel Marlow travaillait dans le secteur publique alors que mon père Whils, était professeur à l’université d'Evaya. J'ai vécu une vie paisible et insouciante jusqu'à mes quatorze ans. Mon rêve était de devenir une athlète et je m'entraînais tous les jours pour qu'il s'accomplisse. J'étais un vrai petit singe, agile et vive. Ma petite particularité ne m'empêchait absolument pas de vivre une vie pour le moins normale. J'avais des amis sur lesquels j'avais apposé mes ancres et tout allait pour le mieux. Jusqu'à ce que, bien évidemment, ce ne soit plus le cas.
Au début, c'était trois fois rien. Ma mère commençait à rentrer tard le soir, chose qui n'arrivait jamais avant. Puis je vis mon père devenir de plus en plus anxieux. Il n'était plus aussi joyeux et insouciant. Je ne m'en inquiétais pas trop. Tant que cela ne venait pas perturber mon quotidien, cela me préoccupais peu. Avec le recul, je me serais foutu des claques. Mais de fils en aiguille, les choses ont commencé à se corser. Il y avait les appels téléphonique en plein milieu de la nuit, les messes-basses et d'autres petites bizarreries. Pourtant, ce qui me fit réellement comprendre que quelque chose n'allait pas, ce fut la dispute qui éclata entre mes parents un soir. Il faut comprendre que Anbel et Whils ne se disputaient jamais. Même pas pour des broutilles. C'est à ce moment que j'ai commencé à devenir parano. J'épiais le moindre de leur faits et gestes, à la recherche d'un indice qui m'aiderait à comprendre ce qu'il clochait.
Un soir, j'eu enfin droits aux réponses qui me tourmentaient depuis plusieurs semaine. Elle se présentèrent sous la forme d'un enfant de six ans seulement. Il s'appelait Randy, il était tout blond et il regardait essentiellement ses pieds. Il avait l'air d'en avoir déjà trop vu et cela me m'était en colère. Je n'avais que quinze ans et j'ignorais tout de l'injustice sociale, mais en voyant son visage tristement déterminé, je comprit qu'il y avait des choses plus importantes à protéger que ma petite vie bien en ordre.
L'ancre de Randy était facile. Il sentait les pommes. Ma mère m'a expliqué que le petit garçon allait rester chez nous pour le moment, mais que je ne devais en parler à personne. Je lui ai dit que j'étais presque une adulte désormais, et qu'elle n'avait plus à me cacher des choses. Même si mon père était réticent, elle accepta de me délivrer une partie de la vérité. Les parents de Randy ont été expulsé d'Evaya et ont rejoint l'autre côté du mur parce qu'ils n'avaient plus assez d'argent pour rester de ce côté de la citée. Dans un dernier acte de désespoir, le père de Randy qui était également un collègue de ma mère, a supplié mes parents de s'occuper de leur fils et de le cacher des yeux de la milice. A ce moment là, je ne comprenais pas à quel point le geste de mes parents allait être le point culminant de beaucoup de chose, à commencer par ma vie. Nous étions trois, et du jour au lendemain, nous nous somme retrouvé avec une bouche à nourrir supplémentaire. Comme mes parents s'y étaient attendu, Randy fut activement recherché par la milice d'Evaya. Et malgré toutes nos précautions pour le dissimuler, il n'a pas fallu plus d'un an pour qu'un de nos voisins nous dénoncent à l'autorité suprême.
Je n'avais jamais vu mes parents empreints d'un tel désespoir. La politique d'Evaya est très claire, un seul enfant par foyer. Mes parents se sont donc retrouvé à faire le choix le plus difficile de toute leur vie. Randy ou moi. La mort dans l'âme, j'ai coupé court à leur tourment en me portant volontaire pour passer de l'autre côté du mur. Mes parents ont paru autant horrifiés que soulagés. On m'a laissé prendre quelques affaires dans un sac. Vêtements, quelques produits de toilettes, des provisions empaquetées par mon père et une photo de nous quatre.
Ces chiens, ils m'ont jetés aux portes d'Errydor avec pour seule recommandation, le chemin jusqu'à l’orphelinat. Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie que pendant le trajet. Et encore, j'eus appris par la suite que ce n'était pas le pire quartier d'Errydor, loin de là. A l'entrée, un écriteau au dessus de la porte indiquait "Les Sentinelles ne dorment jamais".
Dès mon arrivée, je fis la rencontre d'Agatha, la patronne des lieux. Elle me prit immédiatement entre quatre yeux pour me faire le speech habituel de tout nouvel arrivant. «Règle numéro une, la violence est interdite dans ce quartier. Règle numéro 2, ne dors jamais à même le sol, tu comprendras vite pourquoi. Et enfin, ne donne jamais rien à manger à Kit, même s'il insiste. Il a tendance à l'oublier, mais c'est un androïde, ça le tuerait ».
La deuxième règle s'expliqua rapidement la première nuit quand j'entendis le grouillement des rongeurs et insectes qui envahissait le sol du dortoir.
La première semaine fut la plus difficile. Je me rendis vite compte de la triste réalité d'Errydor. Un quart des enfants de l'orphelinat ne passaient pas la barre des sept ans. J'avais tout à apprendre et presque rien de ce que j'avais appris dans mon ancienne vie, ne m'était d'une quelconque utilité. A part bien sûr mon agilité hors paire qui d'après Agatha, me permettrait de me sortir de situations périlleuses.
Et puis à Errydor, rien n'est jamais gratuit. Il a fallut très vite que je contribue à l'effort commun. J'appris l'existence des usines et des champs sous-terrain où travaillaient d'arrache-pieds de nombreux Errydiens. Même si la tentation d'un salaire régulier était alléchante, je ne pouvait me résoudre à devenir l'esclave d'Evaya, après ce qu'elle avait fait à ma famille. Lorsque j'eu atteint mes dix-sept ans, Agatha me proposa de grossir les rang des Sentinelles. Kit, m'appris tout ce qu'il y avait à savoir sur cette fonction et je compris que la priorité numéro de la faction était d'entraver les actions mortifères et dévastatrice de certains gang. En particulier le gang des Phalènes.
A grand coups d'arguments, je réussis à convaincre Agatha de me laisser infiltrer le gang des Phalènes. Comme je n'étais pas née à Errydor, je n'avait aucun passif qui aurait pu mettre à mal ma couverture. J'ai réussis à obtenir un poste de simple serveuse à l'Extase, un club de strip-tease dans le territoire des Phalènes qui se trouvait également être leur quartier général. Mon premier jour de travail commence dans deux jours et je suis prise entre appréhension et excitation de me jeter dans la gueule du loup. Je sais qu'en cas de problème, Agatha me sortira de là. Après tout, "Les sentinelles ne dorment jamais".
J'ai toujours été une petite peste arrogante est irrévérencieuse. Ma pathologie ne m'a pas aidé en ce sens puisqu'elle donne constamment l'impression que je suis mal élevée. Mon arrivée à Errydor n'y a pas changé grand chose. Pire, j'ai même gagné en audace. Agatha dit que c'est ce qui va me tuer un jour, surtout si je me comporte comme ça chez les Phalènes. De toute manière, je n'ai plus rien à perdre maintenant. Toute ma vie s'est écroulée le jour où j'ai été forcé à quitter ma maison. Je ne préfère pas m’appesantir sur le passé ou même sur ce qu'il risque de m'arriver.
Si on me demande mon avis, je pense que c'est mon mauvais caractère qui me permet de tenir dans un lieu pareil.
![Image](https://zupimages.net/up/20/28/j15v.png)