Ω Milàn Košar Ω
16 ans Ω Demi-dieu fils d’Abysses Ω Croate Ω Prince des Abysses Ω Espadon abattu
Ω Avec Nil Vantorre, sur la plage Ω
Enfant, j’étais plutôt sage, mais je faisais des bêtises, comme tous les enfants, sauf que ce n’était pas les mêmes bêtises. « Plutôt », parce que j’étais sage la plupart du temps, mais je bougeais constamment et ne pouvais m’empêcher de tester de nouvelles choses et partir à l’aventure sur la terre et dans la mer. J’étais toujours prêt à explorer de nouveaux coins terrestres et marins, par n’importe quel moyen, et mon insouciance, ma témérité et mon audace de petit garçon faisaient que je n’hésitais jamais à foncer tête baissée avec mes copains de l’époque et Plav. Ça inquiétait beaucoup Maman et Papi et Mamie, qui me répétaient souvent que je devais faire attention, que je ne devais pas trop m’éloigner, que je n’étais pas obligé de suivre mes copains… Alors que la vérité était que c’était moi qui les poussais à m’accompagner dans mes petits périples la majeure partie du temps, et, de bonne volonté, j’essayais de respecter les consignes de Maman, mais je me souviens que c’était difficile, que je n’avais qu’une envie, trouver la crique légendaire et faire d’elle ma crique à moi, ou encore gravir ce que j’appelais la « montagne de rochers » de la plage et monter tout en haut pour admirer la vue. Intrépide, j’adorais ça, déceler les trésors de la nature, mais Maman m’a déjà fermement grondé pour ça, car ça aurait pu mal tourner et, si je la trouvais injuste sur le moment, comme n’importe qui qui se fait gronder par ses parents parce qu’il est intimement convaincu qu’il a bien fait, qu’il était dans son bon droit, qu’il était dans le juste, j’ai compris avec du recul qu’elle était simplement inquiète à l’idée qu’il m’arrive quoi que ce soit.
Je le savais déjà au fond de moi et c’est pourquoi j’étais quand même inconsciemment assez prudent, afin de ne pas angoisser Maman. Je l’étais aussi, car je voulais continuer d’aller là où je le désirais et que ça ne serait plus le cas si je me blessais. Néanmoins, je suis allé trop loin une fois et Papa est entré dans une grande colère. Je ne l’avais jamais vu en colère de la sorte et je n’aurais jamais pensé qu’il puisse se mettre en colère et si fort, mais c’est ce qu’il a fait et il m’a fait le plus gros sermon de ma vie entière, que je me rappelle encore très bien tant ça m’a marqué, avant de me priver d’aller où je voulais dans les Abysses pendant une semaine. Je me suis horriblement vexé, j’étais furieux et triste et ai tenté de me défendre, de me justifier maladroitement et même de prendre mon frère comme excuse, mais Papa n’en est pas resté là, il a sermonné Plav à son tour et a été intraitable avec nous deux, inflexible. Résultat, j’avais beau me rendre dans les Abysses, j’y tournais en rond : je revenais toujours au point de départ au bout de quelques mètres à peine, avec mon frère qui a eu la même punition que moi. J’ai tout essayé : j’ai pleuré, j’ai crié, j’ai tempêté, j’ai boudé, j’ai supplié, rien n’y a fait et Papa m’a asséné qu’il valait mieux que je réfléchisse au pourquoi de cette punition au lieu de tenter de la faire lever. J’ai refusé de le faire au début, parce que je suis têtu, extrêmement têtu, et qu’il était hors de question que j’admette mon tort, car j’avais raison de mon point de vue d’enfant.
Puis, j’ai finalement médité les paroles de Papa, qui disaient que la mer est son territoire légitime, mais qu’il n’est pas le sien dans les faits, qu’il est à un autre dieu et qu’il y a des règles qui le régissent, notamment celle de ne pas aller dans certains endroits réservés au couple divin régnant sur la mer. Je l’ai transgressée, sachant que je n’avais pas le droit, mais parce que je croyais que Papa exagérait, que ce n’était rien, que ce n’était pas grave. Cependant, Papa n’exagérait pas, mais ça n’a heureusement eu aucune conséquence. La seule a été que Papa est venu me chercher, m’a ramené à la maison et m’a grondé et puni devant Maman et Papi et Mamie, et, le dernier jour de punition, car je n’ai pas cédé avant, je suis allé voir Papa, me suis confondu en excuses et lui ai promis de ne jamais recommencer. J’étais rouge de honte, penaud, avec les larmes aux yeux, terriblement sincère, jetant des coups d’œil dans sa direction, et j’ai retrouvé mon père, qui m’a légèrement souri avec compréhension, amour et tendresse. Il m’a pris dans ses bras en me confiant qu’il était fier de moi que j’aie enfin compris et je me suis réfugié contre lui. J’avais une boule dans la gorge et n’ai pu que hocher la tête en réponse, avant de pleurer de soulagement, et Papa m’a autorisé à retourner où je voulais dans les Abysses, levant de lui-même ma punition et celle de Plav.
J’ai tenu parole et n’ai plus jamais recommencé, j’étais précautionneux sur terre et dans la mer et transparent avec mes parents, leur racontant mes expériences. Je n’entrais évidemment pas dans les détails, mais je leur en donnais les grandes lignes, en leur précisant qu’ils ne devaient pas s’inquiéter pour moi, que j’avais bien retenu la leçon et que je n’étais jamais dans l’excès. Je leur ai parlé de ma première cigarette et de la première fois où j’ai bu de l’alcool, mais en restant évasif, et ils l’ont accepté et m’ont fait confiance. Ils ont eu raison parce que je n’ai jamais, au grand jamais, trahi cette confiance qu’ils ont placée en moi et que je chérissais, qui était inestimable. Le plus drôle a été lorsque je leur ai demandé si je pouvais me faire un tatouage, ce qui les a franchement surpris, et ils se sont regardés, l’air hésitant, se demandant sûrement pourquoi est-ce que j’ai soudainement eu cette envie, si c’est une bonne idée, si ce n’est pas dangereux, si ce n’est pas trop tôt, si je suis sûr de moi… Et, quand je leur ai dévoilé où est-ce que je voulais qu’il soit sur mon corps, Maman a ouvert des yeux ronds, avant de sourire en coin, amusée, et elle a regardé Papa avec cet amusement sur les lèvres et dans les yeux, Papa qui la regardait elle avec un air cette fois entendu, et c’était beau à voir, leur complicité. Néanmoins, j’ai vite songé à ce à quoi eux songeaient à cet instant et je l’ai aussitôt chassé de mon esprit, dégoûté, de quoi les faire éclater de rire.
Plus tard, Papa m’a révélé que j’étais bel et bien le fils de ma mère, car Maman avait elle aussi un tatouage discret à un emplacement sensible, et ça m’a fait à la fois rire et froncer le nez, et Papa a plaisanté en affirmant que Maman et moi cachions bien notre jeu. À la fin, ils ont fait du tatouage mon cadeau pour mon quinzième anniversaire et je l’adore, j’adore le dessin dont j’ai pensé les gros traits et qui ont été affinés par le tatoueur. Il a été très gentil et attentionné, on en a longuement discuté et il m’a fait plusieurs propositions et, lorsque j’ai vu l’une d’elles, j’ai tout de suite su que c’était celle-ci que je voulais, qui me plaisait énormément et qui était parfaite à mes yeux. Je n’ai pas attendu pour prendre le second rendez-vous, celui où je me suis fait tatouer mon signe astrologique personnalisé, qui est magnifique. Je ne crois pas aux propriétés des signes du Zodiaque, mais c’est poétique et j’aime beaucoup le mien. Le cancer n’est pas l’un des signes les plus puissants, contrairement au bélier, au taureau ou au scorpion, ni le plus intéressant ni le plus apprécié, d’autant plus qu’il est suivi du lion, qui est aussi un des plus forts, mais il me correspond. On pourrait estimer que le poisson aurait été le meilleur signe pour moi, mais le cancer, et donc le crabe, est plus adéquat me concernant. Le crabe est, au même titre que le poisson, un être de la mer, qui a une carapace dure et des pinces qu’il fait claquer afin d’intimider ou impressionner, et il peut être de différentes tailles.
On dit que la carapace du crabe et ses pinces symbolisent la ténacité du signe, et je suis particulièrement tenace, un de mes pires défauts étant mon entêtement. Comme le crabe, mon élément est l’eau, je peux être ferme ou tendre et suis dans l’émotion. Je me fie à mon instinct, mes intuitions, mes impressions, suis expressif quand ce que je ressens est intense et pars au combat sans peur. Le crabe paraît insignifiant de prime abord, mais gare à celui qui le sous-estime, parce qu’il pourrait être surpris et dans le mauvais sens, être pincé par un crabe étant loin d’être agréable, je le sais pour en avoir déjà fait les frais. En tout cas, je n’aurais jamais assez remercié Maman et Papa pour leur tolérance, et leur souvenir me serre violemment le cœur, m’attriste et me fait regarder dans le vague. Lorsque la voix du gars s’élève au bout d’un moment indéterminé, me tirant de mes pensées, et je me concentre de nouveau sur lui, qui ignore complètement Plav et me demande mon nom sans donner le sien. Il me regarde et je soutiens ses yeux, un peu étonné par sa réaction. Je suis assez étonné qu’on ignore mon frère, ce n’est pas commun, car, généralement, les gens qui le voient pour la première fois sont curieux : ils font face à un animal et ont envie de l’approcher, de le toucher et me posent des questions à son sujet. Cependant, ce gars reste indifférent à sa présence et ne lui accorde aucune attention. Soit il n’apprécie pas les animaux plus que ça, à moins que ce ne soit les poissons, soit il n’en a rien à faire et il ne faut pas chercher plus loin, c’est relatif à sa sensibilité.
À côté de moi, Plav s’immobilise et se tait, intrigué et pas du tout vexé d’avoir été ignoré. Mon frère n’est pas comme ça, il n’est absolument pas susceptible et reste un animal même si c’est une créature magique, alors la vexation, il ne connaît pas, et je devine qu’il est en train d’essayer de comprendre les réactions de notre interlocuteur sans plus lui parler, parce qu’il se doute qu’il n’aura pas de réponse. Il se contente de rester immobile contre ma jambe, la tête hors de l’eau et le regard interrogateur fixé sur le gars. Je réponds à sa question sans changer de ton :
-Milàn. Et tu es ?
Le gars m’offre une cigarette et je l’accepte, l’en remerciant d’une voix basse. Il s’active et prend une autre pour lui, avant de mettre son mégot dans le paquet, et je constate qu’il ne fait pas partie de ceux qui polluent la mer, de quoi faire légèrement se recourber mes commissures vers le haut. Il se munit d’un briquet et, si, d’habitude, la personne ayant un briquet allume la cigarette de la ou des personnes qui sont avec elle avant d’allumer la sienne, le gars allume la sienne d’abord, avant de me tendre le briquet, où un minuscule feu brûle. Ça m’étonne sans m’étonner, il fait ce qu’il veut, et il aurait été étrange de m’offrir une cigarette et de ne pas me prêter son briquet en ayant conscience que je n’en ai pas, par exemple, mais ce n’est pas ça : il ne me refuse pas le briquet et me présente même son feu, il ne l’a pas fait pour moi en premier et ce n’est qu’un détail, mais un détail qui en dit long sur lui. Néanmoins, je ne le connais pas, je ne fais que spéculer et les spéculations ne servent à rien, car elles ne se fondent sur rien ou presque. Mes dents pincent délicatement la cigarette tandis que je me penche un peu vers le feu et dirige adroitement le bout de la cigarette sur lui et l’y laisse, bout qui finit par rougeoyer. La cigarette allumée, je me redresse et regarde l’horizon en tirant dessus, avant de la retirer d’entre mes lèvres et de relâcher la fumée en fronçant les sourcils et en soupirant. La nicotine pénètre mon organisme et fait déjà effet, détendant lentement mes muscles.
-Merci, je le remercie de nouveau.
J’en avais bien besoin, j’ajoute dans un souffle, davantage pour moi-même que pour lui.