clocloee a écrit : ↑lun. 29 mars, 2021 1:45 pm
jukebox_fr a écrit : ↑lun. 29 mars, 2021 10:05 am
J'ai commandé le DVD de l'adaptation de 2004 en 4 épisodes par la BBC, je devrais le recevoir dans peu. De ce que j'ai vu des extraits, M.Thornton y est très intense
Je compte la regarder dès réception, donc je vous dirai ce que ça donne en comparaison de ma lecture toute fraiche du roman
Cool j'attends ton avis !
Ça y est j'ai regardé cette adaptatiion. Deux fois même
Si c'était un livre, je crois qu'il serait classé dans ma liste or ou même, soyons fous, peut-être même diamant
J'ai regardé une première fois pour la découverte et une seconde fois pour l'analyse et le plaisir de me réimprégner de quelques scènes très marquantes
Pourquoi j'ai largement préféré l'adaptation ?
Parce que, comme je pouvais m'y attendre, elle corrige bien des choses qui plombaient le livre. Les scénaristes y sont allés sauvagement à la tronçonneuse pour élager tout ça et ça donne finalement une histoire qui ne se concentre plus que sur le contexte social et sur la romance sans trop s'attarder sur les problèmes de petite fille privilégiée de Margaret.
On commence en pleines noces de mariage d'Edith et on fait une pierre trois coups en plaçant la situation de la tante et de la cousine, celle des parents (la mère assiste au mariage) et l'attraction à peine cachée de M. Lennox pour Margaret qui ne capte rien du tout à ses insinuations. Et puis boum, par une transition très osée on se retrouve à Helstone avec M. Lennox qui fait sa demande et se fait rejeter. Et puis boum, sans transition, ce qui est perturbant, dans le train qui mène la famille dans le Nord. J'ai trouvé ça ultra rapide et manquant de repères importants pour la suite. Ainsi d'entrée on sait ce que Margaret quitte, mais on ne sait pas quelle importance ça a ou a eu dans sa vie et son éducation. Aucune indication comme quoi elle a vécu 8 ans sous l'influence de sa tante et de sa cousine soumise à des codes, une étiquette et un niveau de vie particulier, pas vraiment de notion de son attachement et de son idéalisation de son Helstone familial, ni aucune idée de sa relation distante à ses parents, sa mère surtout. Par contre, on nous la pose tout de suite en personne qui aime la simplicité et qui porte déjà un regard distancé sur sa famille londonienne.
L'autre gros élagage, c'est sur la religion qui, avec un ancien pasteur et sa fille élevée dans ses principes, ne manque pas de revenir souvent sur le tapis dans le livre. Là il n'y a plus rien: plus de citations intempestives de la bible, plus d'évocations comparatives, plus de morales à profusion sur la base des principes chrétiens, zou ! Ejectée la religion.
Du coup les problèmes de conscience de M. Hale filent pratiquement aux oubliettes et sont à peine évoqués à un moment pour justifier le déménagement et pour que Mrs Hale jette à la face de son mari son incompréhension et sa désaprobation de Milton. Il en découle aussi de sérieuses altérations dans la perception qu'a le téléspectateur de certains personnages. On n'a plus cet idée d'entrée du père lâche au plus haut point, bien qu'il y ait une autre scène bien plus tard qui nous permette de nous faire une petite idée de cette faiblesse de caractère. On le ressent surtout comme mou, indécis et totalement dépassé par la vie à Milton à cause de ses principes moraux inadéquats (ses confrontations régulières avec les autres patrons autres que Thornton sont intéressantes).
Le personnage de Bessy est le second plus altéré par ce choix d'épuration. Elle passe de la jeune fille morbide et remplie d'admiration pour sa ô combien supérieure Margaret à une jeune fille malade mais lumineuse par ses traits d'humour qui a une relation complice avec l'héroïne.
Plus de religion, dit aussi disparition de la relation qui s'installe autour d'elle entre Higgins et M. Hale. En fait on reste très longtemps sur une idée forte de Margaret faisant le lien entre les divers antagonistes, partis et classes sociales alors que dans le livre j'avais la sensation qu'elle mettait les gens en relation et qu'ensuite cette relation pouvait se passer d'elle pour continuer son bonhomme de chemin.
Il y a donc des altérations sur les personnages du fait de choisir de ne pas mettre de la religion à toutes les sauces mais il y a aussi des changements qui ont été fait sur l'héroïne. On part d'entrée avec une bien meilleure opinion d'elle, même si pour ma part, cette Margaret du téléfilm n'est toujours pas une Margaret qui me plait énormément.
Déjà on a l'impression d'avoir une Margaret plus âgée que 18 ans (début à milieu de vingtaine, je dirais) et on nous la présente moins ingénue, bien qu'il y ait toujours cette surprise de sa part quant au fait que des hommes puissent s'intéresser à elle et vouloir l'épouser. Elle fait preuve d'autant de psychorigidité que dans le roman mais elle part de moins loin sur la remise en question de ses opinions et préjugés. C'est comme si elle avait déjà passé un an de vie à Milton. On la voit prendre la parole et tenir tête aux hommes là où les autres femmes (hormis Mrs Thornton qui est une femme de la même trempe (d'ailleurs M. Thornton aurait-il un petit complexe d'Oedipe ?!
) ) s'effacent et se taisent volontiers. Mais on n'est pas non plus sur de l'expression de grandes idées, elle se comporte plus en bonne chrétienne moralisatrice qu'autre chose. On nous la présente d'ailleurs comme une personne en décalage avec les us et coutumes de Milton et qui, le temps de s'adapter et d'assimiler tous les codes, passe pour une femme orgueilleuse qui se positionne en supérieure, alors qu'elle ne pense rien de tel. Dans le livre, il y a certes beaucoup de malentendus et de préjugés qui donnent aux autres une opinion erronnée sur l'intention derrière ses actes, mais elle a tout de même des attitudes et des réflexions qui abondent dans ce sens, preuve qu'elle a de base une haute opinion d'elle-même.
Quant à M. Thornton, je l'ai trouvé fidèle au livre, mais on sent une très nette accentuation de sa dualité (son antagonisme intérieur ?) entre le patron calculateur et l'humain au coeur tendre.
Toute la façon de filmer, de cadrer, la photographie, les lumières, etc. sont là pour exacerber cette idée qu'il y a deux grandes forces qui s'agitent à l'intérieur du bonhomme. On nous le montre d'ailleurs très sanguin et très enclin à laisser éclater la très forte pulsion du moment bien que sa raison reprennent ensuite le dessus et l'amène à reconsidérer ses actions ou ses paroles afin de réparer ce qui doit ou peut l'être. J'ai adoré l'acteur qui l'interprète et je me suis payée un gros fou rire quand, après avoir passé pas loin de 3 épisodes d'à peu près 1h chacun à me demander dans quoi je l'avais vu et surtout entendu cette voix chaude et profonde, dans le dernier je me suis enfin souvenue: c'était dans la trilogie le Hobbit, où il incarne pas moins que Thorin Ecu-de-Chêne ! (ouais... nain, crassouyeux, cheveux longs, barbe et près de 10 ans de plus, c'est pas la même que gentleman ténébreux en costume et rasé de près
). Toutes les scènes qui m'ont marquée et m'ont faite vibrer sont de son fait (mes hormones qui me travaillent ?
). J'ai trouvé qu'il donnait tellement d'intensité et d'ambivalence à son personnage que ça ne sublimait les scènes déjà émotionnellement chargées. La déclaration à Margaret (d'ailleurs il n'y a pas de prédéclaration comme dans le livre quand elle est à moitié dans les vapes après avoir reçu la pierre), puis le moment où il expose sa solitude à sa mère après avoir été rejeté (j'avais déjà trouvé ce passage touchant mais là il m'a fendu le coeur) ou encore le moment où il voit Margaret pour la dernière fois et lui fait ses adieux (une scène qui n'existe pas dans le livre mais qui est ma préférée du téléfilm) et pour finir, le final, évidemment (la fin est un peu moins abrupte parce qu'elle est plus moderne dans son approche, et donc va un peu plus loin que la bienséance de l'époque ne le permettrait (et donc apporte certainement plus satisfaction à un public actuel), mais elle reste tout de même dans le même goût que celle du livre).
Concernant les personnage secondaires, Mrs. Thornton perd ce petit côté ridicule que me renvoyait la lecture de ses pensées dans le livre. Elle est ici 100% lionne à défendre son petit. Et M. Bell perd grâce à mes yeux car il est transformé en une espèce de provocateur fouille-caca qui ne sait que mettre les gens dans l'embarras, quand dans le livre il était un protecteur bienveillant à l'esprit critique mais légitime et pertinent.
Pour ce qui est du cadre et du contexte social, j'ai apprécié que le téléfilm englobe aussi le travail des enfants, et qu'il étende notre connaissance à ce que font, disent et pensent des personnages dont on avait peu ou pas de retours dans le livre. Ça enrichit, complexifie et nuance le tout, pour détromper la vision naïvement manichéenne de Margaret.
Pour terminer, je pense que c'est suite au visionnage de ce téléfilm et à son influence que les gens qui aiment Orgueil et Préjugés conseillent Nord et Sud en lecture suivante. Avec son grand élagage il redonne beaucoup d'importance à la romance et il y a en plus un choix de plans qui contribuent à rendre le tout très romantique. Qui plus est, comme il y a moins de scènes autres que la romance, et que celles consacrées à montrer les conditions de travail et le travail de la filature de coton trouvent aussi le moyen de faire avancer la relation entre Margaret et M. Thornton, on est en permanence confronté à leur opposition jusqu'au revirement de leurs sentiments et opinions, comme on peut l'être dans O&P. Le fait que ce soit le même réalisateur que pour Orgueil et Préjugés qui se soit attelé à adapter Nord et Sud en téléfilm, explique certainement cela (m'est avis qu'il avait grand envie de renouer avec son premier succès
)
Pour ma part, je sais que la prochaine fois que je le lirai à nouveau (je compte bien terminer la VO tout de même !) ma perception des personnages et de certains passages sera forcément teintée par le souvenir de cette adaptation.