Bonsoir/bonjour à tous !
Voici le chapitre 21 ! J'espère qu'il vous plaira ! Techniquement il est 23h12, je ne suis pas en retard.
Chapitre 21
J’étais en pleine séance d’étirements, toujours en suivant les cours donnés en vidéo par une coach sur l’ordinateur, lorsque la porte d’entrée s’ouvrit. Dean étant dans la cuisine d’où s’échappait un délicieux fumet, il ne pouvait y avoir qu’une seule autre personne pour entrer sans frapper.
— Tu es venu dévaliser notre placard ? lançai-je à Ezekiel en prenant ma cheville dans une main et en tirant ma jambe en arrière, comme sur l’écran.
Étrangement, je n’entendis pas de réponse. Pourtant, c’était bien le petit garçon, qui venait d’entrer. Une petite tête châtain clair venait d’apparaître dans le salon, avec ses éternels cheveux en bataille. Mais quelque chose n’allait pas. Il avait un air tout penaud.
Je cessai immédiatement mes exercices et m’approchai de lui en voyant son jean déchiré au niveau des genoux et une plaie sur son front.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demandai-je doucement en lui faisant signe de s’asseoir sur une chaise.
Il obéit, ses yeux bleus résolument baissés.
Dean, alarmé par ce qu’il venait d’entendre, fit irruption auprès de nous.
— Je suis tombé de vélo, expliqua le petit garçon.
S’il semblait avoir surtout de petites écorchures aux genoux, la blessure à sa tête m’inquiétait. Je pris des mouchoirs et allai les mouiller au robinet, puis je retournai près de lui pour nettoyer les coupures. Il grimaça.
— Tu n’avais pas mis ton casque ? lui reprocha Dean, les bras croisés.
— Non…
— Et combien de fois est-ce qu’on t’a dit de le mettre ? soupira l’Alpha.
— Je sais pas, j’ai pas compté ! répondit Ezekiel en haussant les épaules.
Je retins un petit sourire. Dean tenait énormément à lui, ça se voyait. Il n’y avait qu’avec le petit, en dehors de moi, que mon compagnon se montrait plus égayé, plus impliqué. Il maintenait toujours une certaine distance émotionnelle, avec les autres.
Je m’accroupis en face du garçon et mis ma paume sur son front. Il eut d’abord un mouvement de recul, mais je l’invitai d’un regard à me faire confiance. Il obtempéra et je vis Dean s’apprêter à protester. Je ne changerais pas d’avis. De plus, il fallait bien que je m’exerce pour combattre la douleur qui m’assaillait lorsque je soignais quelqu’un.
Je me concentrai et laissai agir mon pouvoir. Je serrai les lèvres, appréhendant ce qui allait suivre. Rapidement, les brûlures habituelles me saisirent et ma mâchoire se crispa. De la sueur perla sur mon front, à mesure que les secondes s’égrenaient. Je fus surprise en voyant que la blessure se refermait plus rapidement que je ne l’aurais pensé. La douleur était toujours là, mais également moins saisissante.
Je progressais. J’étais en train d’apprivoiser mon don.
Lorsque je fus certaine que sa plaie au crâne était rétablie, je passai aux genoux. Ce fut bref, mais les piqûres se firent un peu plus fortes dans mon corps. J’avais fait un pas en avant, mais il ne fallait pas encore que ce soit trop long.
— Je n’oublierai plus mon casque, c’est juré, promit Ez’. Ni mes genouillères.
Je souris.
— J’espère bien, répondis-je.
— Merci ! C’est dommage qu’on ne puisse pas se guérir soi-même…, ronchonna-t-il.
Je lui ébouriffai les cheveux et il fit mine de râler en les remettant en ordre. Enfin, approximativement
en ordre.
Je me relevai et Dean tendit un paquet de bonbons au lionceau, dont les yeux se mirent à briller à cette vue. Sans hésiter une seconde, comme s’il avait peur que l’Alpha ne retire sa proposition, il attrapa le sachet et l’ouvrit.
— Ne mange pas tout, lui ordonna Dean.
— Promis !
Je ne le croyais pas une seule seconde.
Je tournai la tête vers le loup, qui articula un « ça va ? » silencieux. Je hochai la tête et le rassurai d’un sourire. Il m’embrassa sur le front, puis alla vérifier la cuisson des lasagnes. J’en avais l’eau à la bouche et je mourais de faim.
Derrière nous, la coach sportive nous demanda de nous pencher en avant jusqu’à ce que nos mains touchent nos pieds. J’allai couper la vidéo et fermer l’ordinateur.
En me retournant, je constatai que le paquet de bonbons n’avait pas tenu plus d’une minute. Je fis les gros yeux au garçon, qui me renvoya un regard suppliant, le tout sur un visage angélique. Je soupirai, puis lui mimai le geste signifiant que je ne dirais rien, en fermant ma bouche par une fermeture éclair et en jetant une clé imaginaire. Il eut l’air ravi.
Mais cela n’allait pas l’aider à grand-chose. Quand Dean aperçut la supercherie, il prit un ton d’une autorité presque paternelle :
— Ez ? Où sont passés les bonbons ?
Le lionceau parût chercher une réponse plausible.
— Ils se sont envolés par la fenêtre, déclara-t-il.
Je mis une main sur mon visage. Au moins il ne savait pas mentir, c’était bon signe, quelque part.
— Comment ça ? insista l’Alpha, qui devait contenir son amusement.
— Je ne peux pas t’expliquer, je ne suis pas météorologue.
Il irait loin, ce petit bonhomme.
— Alors que la fenêtre est fermée ?
Nouvelle colle pour Ezekiel.
— Je l’ai ouverte quelques secondes.
Dean roula des yeux puis reporta son attention sur moi. Je haussai les épaules et fis mine de ne rien savoir. Personne n’était dupe, mais j’avais promis à Ez’ de ne pas le dénoncer.
Il abandonna cette lutte et s’éloigna d’Ezekiel, qui eut l’air soulagé. Je le vis lever un pouce dans ma direction avec un air victorieux. Il avait sincèrement l’air de croire que ça avait marché et je n’osais pas briser ses illusions.
Dean vint me pincer gentiment le nez.
— Il faut que tu arrêtes d’être sa complice, fit-il, amusé.
— Je ne peux pas. Il est trop adorable.
— Il n’a jamais autant mangé de bonbons que depuis que tu es ici.
— On a créé un système de confiance et d’entraide, je ne peux pas briser ça.
Il secoua la tête puis retourna à la cuisine. Il annonça ensuite que les lasagnes étaient prêtes. Ezekiel, qui venait de décider qu’il s’inviterait à manger avec nous, sautilla en allant se mettre à table. Sachant déjà ce qui allait se passer, Dean avait ajouté un couvert pour lui.
En m’installant, je me fis la réflexion que mon don de guérison devait encore progresser. Je commençais à entrevoir la fin du calvaire. Je devais passer à la vitesse supérieure pour utiliser ce pouvoir de la meilleure manière possible, et le plus tôt serait le mieux.
~
Swann afficha une expression de surprise, lorsqu’elle me vit sur le pas de sa porte. Ses yeux verts me scrutèrent avec méfiance.
— Salut, lançai-je.
Elle ne répondit pas tout de suite.
— Salut, finit-elle par me renvoyer.
— Est-ce que je peux entrer ? m’enquis-je en essayant de me montrer la plus calme possible.
Elle ouvrit la bouche, sans doute pour protester. Elle n’en avait pas forcément après moi, mais je lui renvoyais l’image d’une période de sa vie qu’elle aurait préféré oublier. Je n’étais pas sans ignorer non plus qu’elle était assez réservée, même avec les autres.
— Ou bien on peut discuter dehors, si tu préfères, proposai-je.
Mais elle aurait sûrement voulu ne pas discuter avec moi, tout court.
— J’aurais besoin de tes conseils. Pour la guérison.
Cette fois-ci, la curiosité l’emporta. Elle ouvrit la porte en grand et m’invita d’un geste à entrer. Mes yeux parcoururent l’intérieur de sa maison. C’était assez simple. Même s’il était jolie, il paraissait froid. Tout comme au chalet avant que je n’y arrive et que je ne sème des touches de décoration un peu partout. Ici, il n’y avait presque rien de personnel.
Swann me guida jusqu’au salon et nous nous assîmes sur le canapé, mais elle respecta une distance de sécurité, comme si se retrouver trop près de moi pouvait être dangereux.
Je décidai de ne pas y aller par quatre chemins :
— Combien de temps a-t-il fallu pour que tu retrouves pleinement tes capacités ?
Elle baissa les yeux.
— Quelques mois. (Je frémis. Oh… Ça allait être long.) Mais je suis restée seule un moment, je ne guérissais pas souvent les gens.
Je hochai la tête, pensive.
— Mmh… Et si je guérissais quelqu’un régulièrement, tu penses que ça irait plus vite ?
Elle acquiesça.
— Oui. Une fois que je m’y suis remise, ça a été plus rapide.
Elle fronça les sourcils.
— Pourquoi ? Tu t’inquiètes ? (J’opinai.) C’est normal, tu sais… Au-delà du fait qu’on t’a privée de ta louve pendant un moment, il y a aussi le traumatisme.
Elle semblait savoir exactement par quoi j’étais passée. Et tout comme Dean l’avait déjà sous-entendu, c’était parce qu’il lui était arrivé exactement la même chose. On avait dû endormir son côté métamorphe.
— Je ne sais pas dans quel contexte ils te faisaient te servir de ce don, ni par quels moyens, mais ce n’est pas simple, dans tous les cas, enchaîna-t-elle.
Je me mordis la lèvre.
— Mike me forçait à le guérir. (Elle ne réagit pas à ce prénom et j’en déduisis qu’elle n’avait pas eu affaire aux mêmes chasseurs. Ils devaient être nombreux, aux quatre coins du monde. C’était atroce.) Au début, il me le demandait en douceur, puis rapidement, c’est devenu une obligation. Il usait même de la force. Je devais soigner tout le monde, dès que quelqu’un était blessé, dans mon entourage. Je ne devais pas hésiter, même si ça me blessait. Et il me punissait lorsqu’il n’était pas entièrement satisfait du résultat.
Elle m’écouta tout du long sans rien dire. Elle finit par incliner la tête, signe qu’elle avait compris. Je lus de la compassion dans son regard.
— Ils me frappaient quand je ne voulais pas le faire, déclara-t-elle à son tour.
Je serrai les poings, la colère m’envahissant. Elle paraissait si fragile, en le disant, que ça me brisait le cœur.
— J’étais enfermée dans une cage et je devais le faire dès qu’ils le souhaitaient, tout comme toi. Et comme je résistais, cela rendait l’exercice plus difficile.
Elle se redressa, son visage devenant sévère, le regard déterminé.
— Mais dans le fond, cela reste similaire : le tout était entouré de violence, pour toi comme pour moi. J’ai dû reprendre l’habitude de guérir les autres, après en être sorti, mais ce n’est pas tout.
Je me demandais comment elle avait pu s’enfuir. Je n’osai pas lui poser la question. Elle m’en parlerait peut-être un jour, si elle le désirait.
J’inclinai la tête sur le côté.
— Il faut aussi se réapproprier notre pouvoir. Surmonter nos obstacles mentaux. Tu dois travailler sur le fait que tu es désormais libre de choisir qui tu soignes. Quand. Comment. Et tu peux aussi le refuser. Ce n’est pas parce que nous avons le pouvoir de guérir que nous sommes obligées de le faire. Ça reste notre don, notre corps, notre décision. Il faut que tu agisses par envie, pas par obligation. Parce qu’ils t’ont mis en tête que tu n’avais pas le choix. C’est faux. Ils ont réussi à m’ancrer ça dans le crâne également, pendant un temps. Mais puisque j’ai réussi à me tirer peu de temps après, et que j’étais encore désobéissante, ça n’a pas duré trop longtemps.
Je serrai les lèvres. J’avais envie de rétorquer que je le faisais par envie d’aider les autres, surtout que je commençais à être proche des membres du clan, mais ce serait mentir que de dire que ce n’était que pour ça. Je ne pouvais ignorer la petite voix dans ma tête, qui me chuchotait qu’il était de mon devoir de soigner les gens.
— D’ailleurs, il n’y a pas que pour les chasseurs que cette obligation semble évidente. (Je fronçai les sourcils.) Dans de nombreux clans, il paraît tout à fait normal que les guérisseurs utilisent ce don dès que quelqu’un est blessé. Ici, dans le clan Sparks, je le fais avec plaisir si besoin est. Mais je sais toutefois que, puisque ce pouvoir pompe de l’énergie – même si c’est plus facile avec le temps –, on ne me forcera pas. Ce n’est pas le cas partout. Mais ça, c’est encore une autre étape à franchir : dire aux siens que nous ne sommes pas leur esclave.
Je déglutis. Elle avait raison. Heureusement, le clan de Dean était assez souple, là-dessus. Quand je voulais soigner, je voyais bien qu’il se retenait de me dire qu’il y avait d’autres solutions, rien que parce que cela m’était douloureux. Et les autres fois où j’avais assisté à une guérison, cela s’était fait dans la bienveillance. Swann avait accourût plusieurs fois auprès de moi, et même d’Anjali, après la chambre froide, mais je savais qu’elle avait peur pour nous. Si elle avait décidé de ne pas agir, nul doute que les autres ne lui auraient sûrement pas pardonné, mais je les voyais mal la forcer à faire quoi que ce soit, ni user de violence.
— Il faut que je m’améliore, fis-je après un silence. Je veux récupérer ce qu’on m’a enlevé et surtout… Je veux être prête. Je ne sais pas à quoi, mais parfois… Parfois j’imagine le pire. Et je veux être capable de guérir mes proches.
Ma gorge se serra. J’allais parler de quelque chose à laquelle je refusais de penser, d’ordinaire.
— Je ne me souviens pas de ce qu’il s’est passé, pendant le meurtre de mes parents, mais il y a de fortes chances pour que j’aie essayé de les sauver, en vain. Je ne veux pas que ça recommence.
Elle opina.
— Je comprends.
— Mais je ne sais pas comment faire. Je ne veux blesser personne. Est-ce qu’il y aurait… d’autres techniques ? l’interrogeai-je.
Elle secoua la tête.
— Non, réfuta-t-elle. (Je soupirai.) Mais j’ai une idée.
Mon regard croisa l’émeraude de ses yeux.
— Tu vas me guérir,
moi.
Je sursautai.
— Quoi ?
— Nous allons t’entraîner, expliqua-t-elle. Mais il ne faudra le dire à personne. Au moins jusqu’à ce que tu sois prête.
J’écarquillai les yeux. Elle ne pouvait pas être en train d’insinuer que…
— Je refuse que tu te fasses du mal pour moi, contrai-je.
— Écoute. C’est le seul moyen. En parallèle, il faudra que tu apprennes à rester calme dans ces moments-là, et que tu surmontes cette impression de devoir.
— Mais tu…
— Je ne me blesserai pas fort. On commencera par de petites égratignures. Et quand tu seras suffisamment à l’aise pour que les plaies se résorbent très rapidement, on passera à des coupures plus grandes.
Je mis une main tremblante sur ma bouche.
— Et si je me rate… ?
— Alors ce ne seront que des égratignures, simples à soigner. Nous passerons à un niveau supérieur lorsque nous serons sûres toutes les deux que tu peux réussir. Je suis la seule personne à qui tu peux demander cela. Et je veux t’aider. Je sais que tu ne voudrais pas que Dean se blesse. D’ailleurs, tu ne le veux pour personne. Mais lui ne te laisserait sûrement pas le faire pour lui, afin que tu ne souffres pas. De même pour les autres. Je suis désolée de le dire aussi crûment, mais moi j’accepte l’idée que tu puisses avoir mal pour te réapproprier ton don.
Je ne lui en voulais absolument pas de penser comme ça. Elle n’était pas vraiment proche de moi mais elle acceptait de m’aider, parce qu’elle me comprenait.
J’eus un temps d’hésitation.
— Mais je ne peux pas cacher cela à Dean.
Elle haussa une épaule.
— Pourtant, ce serait le mieux à faire. (Je me mordis la lèvre inférieure. Je n’aimais pas l’idée d’avoir des secrets pour lui.) S’il le sait, il ne supportera pas l’idée que tu souffres et de deux, il ne serait pas non plus d’accord avec le fait que je me blesse, moi, une de ses protégés. Au mieux il proposerait sûrement de prendre ma place. (Je frémis. Elle le remarqua.) Je sais que tu n’aimerais pas ça.
Je n’aimais pas non plus celle qu’elle allait se faire du mal pour me venir en aide.
— Il le saura un jour ou l’autre, déclara-t-elle. Mais il vaudrait mieux que ce soit lorsque tu seras plus à l’aise. Parce que tu auras déjà fait des progrès.
Je hochai la tête et expirai longuement.
Swann se leva.
— Prends le temps d’y réfléchir, me conseilla-t-elle. Reviens me voir quand tu seras sûre de toi.
~
Anjali connaissait des moments de pure créativité et dans ces cas-là, il était difficile de l’arrêter.
En débarquant dans sa chambre, on pouvait s’attendre à ce qu'il y ait des morceaux de papiers, de tissus, de vêtements, volant dans la pièce. De plus, elle avait l'habitude très tenace de changer de passion toutes les semaines, ou presque, comme elle me l’avait dit, lorsque nous étions enfermées dans la chambre froide. J’avais pu le voir par moi-même, depuis.
Un jour elle aimait faire de la peinture à la folie, le lendemain, ce serait la poterie, le surlendemain, elle tenterait d'apprendre à décrypter nos rêves et se la jouerait psychologue, et la semaine d'après, elle essaierait de nous faire des tours de magie. Sa seule passion constante était la danse. Et le chant. Et elle était merveilleuse, là-dedans. Ça aussi, j’avais pu le constater. Je le voyais à l’instant même, alors qu’elle chantait doucement, assise dans l’herbe.
La vérité, c'était qu'elle rêvait de découvrir le monde et craignait de ne pas avoir assez de temps pour faire tout ce qu'elle voulait. Elle élaborait des listes de tout ce qu'elle souhaitait accomplir ou voir avant de mourir. Elles changeaient sans arrêt, mais ça, c’était un autre problème.
J’étais certaine d’une chose : j’allais tout faire pour l’aider à accomplir ses objectifs. Et peu importait le nombre de listes que cela représentait.
C’était d’ailleurs pour cette raison que j’étais assise en face d’elle, à attendre qu’elle ait fini de triturer son appareil photo et de le tordre dans tous les sens, les sourcils froncés, alors qu’il était tôt, qu’il faisait froid et qu’il s’était remis à neiger. Mes cheveux logeaient de nombreux flocons. Mon nez devait être rouge.
Mais elle était adorable, avec son bonnet blanc, sa grande écharpe rouge et ses gants noirs, qui l’empêchaient d’appuyer correctement sur les boutons.
À côté d’elle, Eden soupirait et levait les yeux au ciel à intervalles réguliers, surtout après les interventions d’Anjali telles que « Ça marche pas ce truc », ou « Ce n’est pas la bonne luminosité ». La jeune louve lui répétait sans cesse qu’elle s’y prenait mal. Apparemment, elle était passionnée par la photographie et, pas de chance pour elle, elle était témoin de la nouvelle passion de notre amie. Je voyais à son expression qu’elle avait parfois envie de s’arracher les cheveux.
Et moi, j’avais froid, à rester ainsi immobile. Cela faisait deux heures que nous étions là et Anjali n’était jamais satisfaite du résultat. Je ne savais même plus combien de fois elle m’avait photographiée. Sous tous les angles. Dans différentes postures. Au final, le lever du soleil était vite passé et la lynx avait maugréé que les lumières et les couleurs qu’elle désirait avoir grâce à ce phénomène naturel, ne seraient plus accessibles.
— Bon. Je pense que j’ai tout bien réglé, annonça l’indienne avec un sourire emplit de fierté.
Eden serra les lèvres et son visage était comique. Elle capta mon regard et leva les yeux au ciel. Je lui lançai un clin d’œil complice qui la fit sourire. Dans ces moments-là, j’étais heureuse. J’étais bien entourée et je commençais à nouer des liens avec les gens de mon passé, ainsi qu’avec les nouveaux venus dans ma vie. J’étais toujours préoccupée par certaines choses – surtout par la proposition que m’avait faite Swann –, mais je pouvais les reléguer au second plan pour pleinement profiter de l’instant présent.
Anjali s’allongea dans l’herbe, en face de moi, et orienta l’appareil de sorte à ce qu’on me voit en contre-plongée. Eden se recula pour ne pas être dans le champ. Pour ma part, je souris à l’objectif. J’entendis le « clic » qui annonçait que la photo avait été prise. Mais la lynx me fit signe de ne pas bouger.
— C’est trop mis en scène… Il faudrait quelque chose de plus naturel, observa-t-elle.
— Tu déconnes ? s’exclama Eden. Ça fait deux heures que tu lui fais faire de la mise en scène !
Anj’ chassa sa remarque d’un geste nonchalant de la main, sans éloigner son œil de l’appareil.
— Et puis une photo peut paraître naturelle, même s’il y a de la mise en scène, ajouta Eden.
— Ça me paraît paradoxal.
— Je t’assure que c’est possible.
— Vraiment ?
— Oui, répondit Eden, exaspérée. À mes débuts, j’ai pris Dean et Lyn en photo. Il y avait bien une pose à prendre, pourtant c’est extrêmement convaincant ! Lyn s’était mise à rire sans que ça ne soit prévu pour le cliché et on voyait l’amour débordant entre eux.
Je tiltai. Une minute…
— C’est toi qui as pris cette photo ? m’étonnai-je.
Elle reportèrent leur attention sur moi, tandis que j’étais concentrée sur la louve. Cette dernière inclina la tête sur le côté.
— Tu l’as vu ? Celle où vous vous étreignez ? Pour être sûre qu’on parle bien de la même.
— Oui, affirmai-je. Dean la garde dans son portefeuille.
Mes yeux se mirent à pétiller.
— Alors il l’a encore…, sourit-elle. (Puis elle eut un air gêné.) Oui, c’était moi. Tu la trouves comment… ?
Je mis une main sur mon cœur. Je n’exagérais même pas.
— Elle est magnifique. J’adore cette photo, la complimentai-je.
Elle soupira de soulagement. Elle me promit de la retrouver dans ses fichiers, et de me l’envoyer.
— C’est bien beau tout ça, intervint Anjali qui peinait à masquer un sourire attendri, mais on n’avance pas des masses.
Eden tourna la tête vers elle.
— À qui la faute ? grommela-t-elle.
— Je voulais un bon éclairage !
— Tu l’as laissé filer !
— Ce n’est pas de ma faute si le soleil s’est levé trop vite ! renchérit Anj’.
— C’est sûr qu’il aurait pu attendre que t’aies fini, ironisa la louve.
Je ris. Les voir ainsi m’amusait.
Sans prévenir, Anjali ajusta sa position, appuya sur le bouton de l’appareil et elle me mitrailla.
— Un éclair de génie ? plaisantai-je.
Elle se releva, satisfaite, après avoir regardé le résultat.
— Oh oui, confirma-t-elle.
Elle me fit signe d’approcher, ce que je fis.
Nous nous retrouvâmes à regarder toutes les trois l’écran de l’appareil photo. Je fus bluffée par le résultat.
Anjali n’avait pas menti quand elle avait dit avoir terminé les réglages. La luminosité était superbe, l’angle était bon. On me voyait en contre-plongée, en train de rire, entourée de flocons qui virevoltaient et qui s’étaient pris dans mes cheveux. On discernait également les brins d’herbes, ce qui donnait une réelle sensation d’immersion et ajoutait une pointe de nature. Certains détails étaient floutés, puisqu’elle n’avait pas encore pris l’habitude, mais cela rendait vraiment bien, nous permettant de nous focaliser sur d’autres éléments.
— T’as réussi ! s’étonna Eden, les yeux écarquillés.
— Je savais que j’y arriverais ! rétorqua Anjali, qui ne cessait de sourire. Vous voyez ? On l’a, la pointe de naturel !
Je gloussai.
— Est-ce qu’il faut que je rie sur toutes les photos pour qu’elles soient réussies ? fis-je avec sarcasme.
— Peut-être bien, railla Anj’.
Puis elle nous demanda de nous rapprocher d’elle. Elle leva l’appareil photo et nous photographia, toutes les trois, plusieurs fois, afin de garder des souvenirs de ce moment. Nous passâmes des jolis sourires à des grimaces absolument atroces.
Je les adorais, ces deux femmes.
~
Cela faisait un moment que je mourais d’envie d’essayer la grande baignoire de Dean.
Notre baignoire, désormais, et cette idée m’emplissait de joie. De toute façon, je n’avais jamais caché que j’étais tombée amoureuse de cette salle de bain dès que j’avais posé les yeux sur elle. Je soupçonnais même mon compagnon d’être un poil jaloux, en voyant mon enthousiasme.
Ce fut pour cela que, deux jours avant la grande réunion des clans, nous nous retrouvâmes, mon loup et moi, immergés dans l’eau chaude et moussante. Cela me permettait de me relaxer, parce que malgré ma détermination, j’étais nerveuse. La journée du lendemain serait chargée, puisqu’il faudrait préparer des plats et faire des heures de route, afin de trouver un motel où passer la nuit. Ensuite, nous rejoindrions le point de ralliement.
— Nous ne sommes pas obligés d’y aller, me rappela Dean, qui devinait mon appréhension.
— Non, mais nous allons le faire, répondis-je.
— Tu es têtue.
Je lui fis l’affront de sourire jusqu’aux oreilles, comme si j’étais fière de ce défaut.
— Tout juste, admis-je.
Il secoua la tête. Sa main caressait mon bras, et je me laissai aller, mon dos contre son torse.
Le clan au complet – excepté Ezekiel qui était trop jeune et Eden qui restait pour le garder – se rendrait à cette réunion. Celui d’Ashyrel également. Mis à part eux, je ne connaissais personne. Enfin, si, un renard.
— Tony y sera ? demandai-je, car c’était le seul autre métamorphe que je connaissais.
— Je n’en sais rien. Dans son clan, ils sont un peu les rois de l’improvisation. On sait toujours à la dernière minute s’ils seront présents. (Cela me fit sourire.) Enfin, c’est déjà arrivé qu’on les voit débarquer sans qu’ils n’aient rien dit.
Un autre nom me revint. Et pas des moindres.
— Et… Elizabeth ? m’enquis-je, après une hésitation.
L’agacement dans ma voix était perceptible. Je sentais que je n’allais pas l’aimer. Surtout pas après le portrait que m’en avaient fait les autres.
— Elle y sera. Mais il ne s’est jamais rien passé, avec elle.
— Elle n’a pas l’air de le comprendre, ça, soupirai-je.
Bon. Après tout, je ne l’avais encore jamais vu. Peut-être qu’en voyant que Dean n’était plus libre, elle laisserait tomber. Il fallait que je mette ma possessivité de louve de côté et que je prenne du recul.
— Je ne sais même pas pourquoi elle fait une fixette sur moi, avoua-t-il.
— C’est ton charisme naturel qui fait des ravages, raillai-je. Sans parler du fait que tu es très sexy.
— On a seulement parlé quelques minutes et à propos des clans, se défendit Dean. Il n’y avait rien de sexy là-dedans ! Même si je te remercie pour le compliment.
Je ris.
— Chéri, avec cette voix-là, tout ce que tu dis est sexy.
Il haussa un sourcil, perplexe.
— Ou intimidant, ajoutai-je. Ou les deux.
— Tu me trouves intimidant ? s’amusa-t-il.
Je lui fis un clin d’œil.
En réalité, oui. Je le trouvais intimidant, quand la situation l’exigeait. Dans l’urgence, il pouvait vraiment faire peur.
— Ça dépend, répondis-je. La plupart du temps, ta voix me paraît plutôt sensuelle.
Je me raclai la gorge et tentai de prendre un timbre grave, rauque :
— Oh Lyn, tu as fait des cookies. Regarde ma belle salle de bain. Oh mon Dieu je ne peux pas te laisser seule sous la douche.
Il ne put s’empêcher de rire face à ma piètre imitation. Je le suivis mais lui lançai un regard accusateur.
— Te moque pas de moi, le grondai-je.
— Ah ? Parce que ça ne va que dans un sens ?
— Exactement.
Nous nous calmâmes un instant plus tard et le silence nous enveloppa. Mais il n’avait rien de gênant, il était même apaisant. Cependant, je finis par le rompre :
— J’ai déjà participé à une réunion, avant ? Est-ce qu’il y aura des gens que je connais ?
Il m’embrassa sur la tempe.
— Non, répondit-il. Tes parents n’aimaient pas cela. Ils voulaient vivre comme les humains le plus possible, sans se préoccuper de toute cette politique de clans. Et cela t’allait très bien, puisque ça te donnait mal à la tête rien que d’y penser.
J’eus un rictus en coin.
— Et on a fini par te rendre allergique à ça aussi ? tentai-je de deviner.
Il eut un petit sourire empreint de nostalgie.
— Cela remonte à plus loin. Mes parents n’aimaient pas non plus les réunions de clans, expliqua-t-il.
Je ne dis plus rien pendant quelques secondes. Si j’avais compris que ses parents étaient morts, je ne savais pas comment, et je n’avais encore jamais osé lui poser la question.
— Tu veux bien me parler d’eux… ?
Son regard fixa le vide pendant un moment. Je n’insistai pas, ne voulant pas le brusquer. Mais, alors que je pensais qu’il n’allait pas répondre, il le fit :
— Ils s’appelaient Michael et Mina. Nous vivions à l’écart des autres métamorphes. Tout comme tes parents, ils voulaient vivre le plus simplement possible. Je me souviens que mon père adorait plaisanter, tout le temps, dès que l’occasion se présentait. Et ma mère… J’entends encore son rire, parfois. Ils t’auraient adoré.
Je serrai sa main. Le fait qu’il se confie, et ces mots, me touchèrent.
— Nous avons déménagé dans le New Hampshire quand j’avais quinze ans. Nous avons passés deux ans tranquillement avant que…
Ma poitrine se serra. Je savais ce qui allait suivre.
— … avant qu’ils ne soient tués.
Je restai bouche-bée. Je ne m’étais pas attendu à cela. C’était horrible.
— Pourquoi ? fis-je, d’une voix douce.
— À cause de leur nature. Les assassins étaient… (Il hésita à poursuivre une seconde.) … des chasseurs.
J’eus envie de vomir. Ce fut comme si le temps venait de se suspendre.
Ces enfoirés avaient causé bien trop de mal. Ils avaient détruit sa famille, puis la mienne. Sans compter toutes les autres victimes.
— J’étais avec un ami, lorsque c’est arrivé, poursuivit-il.
La tension se fit plus forte. Je fronçai les sourcils et compris ce que je venais de percevoir dans sa voix : de la culpabilité. Il avait été absent, puis une nouvelle fois lorsque le malheur était venu frapper à notre porte. Et il se pensait coupable.
Même si je comprenais déjà pourquoi il était inquiet quand il n’était pas avec moi, là, c’était encore plus évident.
— Ce n’était pas de ta faute, lui chuchotai-je.
Il ferma les yeux un instant.
— Je sais. Mais je ne peux pas m’empêcher de le penser, répondit-il.
Cela prendrait du temps, pour qu’il chasse cette impression. Il lui était arrivé beaucoup de choses graves en peu de temps, ce n’était pas simple de prendre assez de recul, de raisonner normalement.
— Je suis désolée, je n’aurais pas dû parler de cela…
— Non, ne t’en fais pas, me rassura-t-il. J’aurais bien fini par tout te raconter un jour, de toute façon.
Je hochai timidement la tête. Je voulus trouver un moyen d’alléger la conversation :
— Alors ? Comment es-tu arrivé chez moi ? demandai-je.
Cela eut le mérite de faire naître un nouveau sourire sur ses lèvres.
— Griffin a fini par me trouver et a pris soin de moi, tout en essayant de me faire entrer dans un clan. Mais je n’étais heureux ni avec Eden et lui, ni parmi les autres. Et finalement, il m’a présenté à vous.
J’allais décerner une médaille à Griffin, un de ces jours.
Il se mit à caresser mes cheveux.
— J’ai su que je ne voulais pas repartir, en te voyant, avoua-t-il.
Mon cœur fondit. Cela devait se voir sur mon visage. Je caressai sa joue du pouce.
— Combien de temps est-ce qu’on a mis avant de sortir ensemble ?
— Un peu plus d’un an. Le temps qu’on se décide à arrêter de faire semblant. Et vu que nous sommes tous les deux têtus, ça a été long, fit-il, taquin.
— J’ai résisté à ta voix grave aussi longtemps que ça ? lâchai-je, faussement choquée.
— Oh non. Tu étais sous mon charme depuis le début.
J’eus un sourire en coin.
— Tu en es sûr ?
— Certain, osa-t-il affirmer avec confiance.
Je secouai la tête en souriant, même s’il n’avait peut-être pas tort.
Si je retrouvais mes souvenirs, je vérifierais cela.
~
Cette nuit-là, je me retournai sans cesse, dans le lit, en proie à des songes mêlant rêves et cauchemars. Mais j’avais à peine le temps de les entrevoir. Les mauvaises images arrivaient en premier, si bien qu’en les repoussant de toutes mes forces, en luttant contre moi-même, j’écartai également les meilleures.
Je me battis tant et si bien que je ne me souvins de rien, au réveil. Dean avait dû me réveiller deux fois, car je laissais échapper des plaintes, comme si j’avais mal ou que je pleurais.
Je ne voulais pas laisser les images m’atteindre. Alors je m’étais mise à bannir toutes les autres. Je me disais avec amertume, le lendemain, que des souvenirs étaient là, quelque part, mais que je ne pouvais plus les atteindre, parce que je m’en étais interdite l’accès moi-même. Je savais, au fond, que cela venait de moi, alors que mon passé ne demandait qu’à revenir.
Mais je sentais que c’était au sujet de mes parents. Et je ne
voulais pas me rappeler. Le peu que j’avais entrevu m’avait profondément choqué au point que j’en oublie le cauchemar. J’avais juste la sensation que c’était bien ça.
J’ignorais ce qui était réel ou non. Et je ne pouvais pas me laisser l’occasion de le savoir.
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Chapitre 20
Chapitre 22