Bon, cette petite session de blabla entre le trio était bien sympathique, franchement ! Ça fait plaisir de voir Al s'ouvrir aux possibilités et parler honnêtement avec Alice. Mais des trois, c'est Sora que je préfère, actuellement.louji a écrit : ↑sam. 31 juil., 2021 1:55 pm Hello ! Bientôt la fin, l'occasion de quelques discussions pour les personnages
Chapitre 18
Alice
An 500 après le Grand Désastre, 1e mois de l’hiver, Terres de l’Ouest.
Le voyage se fit sans hâte ni paresse. Pour la promesse de nuits et de repas chauds, nous fîmes quelques détours par des auberges nichées au cœur des bourgs occidentaux. Ça change du speed du premier voyage Nous évitâmes de petits chemins directs au profit de voies plus sûres. Contrairement à nos péripéties des dernières semaines, nous n’avions pas à nous presser.
Soraya et Achalmy ne se plaignaient pas d’une éventuelle perte de temps. Mon amie appréciait voyager et, si l’air moite et glacé de l’hiver lui convenait mal, l’horizon infini la rassénérait rassérénait, non ? . Quant à Al, partager des instants en notre compagnie sans se soucier de retrouver quelque Dieu lui redonnait du poil de la bête. Son bras gauche était toujours invalide, mais il ne grimaçait plus à cause de ses côtes. Et son appétit était de retour.
Pour ma part, je croquais ces journées de liberté conditionnelle. Dans quelques semaines, je serais de retour au Château. Je serais de nouveau la dirigeante de l’Ouest, une jeune reine qui avait encore tout à apprendre. En attendant, je savourais les quelques heures de jour que nous passions à chevaucher et à discuter. Comme une pause hors du temps. J'aime bien ce petit temps mort pour les personnages, ça leur fait du bien à tous et au lecteur aussi, c'est cool
À mesure que les jours glissaient, l’air s’adoucissait. Quand nous fûmes à proximité de Ma’an, j’expérimentai le même voyage sensoriel qui m’avait frappée quelques mois plus tôt. Je n’en avais alors pas réellement profité, muselée par l’impatience de mon père. Cette fois-ci, j’imposai à mes deux compagnons un arrêt par le marché de la ville multiculturelle. Si Soraya y trouva tout son compte, Al préféra s’octroyer quelques heures à bord d’une barque sur le lac Ishalgen. Ça me fait toujours autant rire comme référence
Nous nous retrouvâmes sur la berge, près de la cabane de location. Les chevaux se repurent d’une brassée d’avoine tandis que Soraya et moi rangions nos trouvailles dans leurs fontes. Quand Al nous rejoignit après avoir dépensé quelques pièces de cuivre, il souriait. Sa petite balade en compagnie de l’eau semblait l’avoir revigoré.
Il ne restait que quelques heures avant le coucher de soleil. Nous reprîmes la route sans tarder, guère désireux de nous attarder à Ma’an en pleine nuit. La cité méritait sa réputation et chacun d’entre nous en avait fait les frais. Al afficha d’ailleurs une expression austère alors nous nous éloignions des faubourgs de la ville.
— Qu’est-ce qu’il y a ? lançai-je en suivant son regard.
Je ne distinguais rien de spécial au milieu des bâtisses poussiéreuses qui se serraient les unes contre les autres. Rien si ce n’étaient de mauvais souvenirs.
— Vous vous rappelez la nuit qu’on a passée à l’auberge, l’été dernier ? Quand nous revenions du Noyau ?
— Oui, grommelai-je en faisant la moue. J’avais dormi sur le fauteuil.
Soraya ricana aussitôt à cette déclaration et profita de notre attention pour rabattre avec prestance sa natte de cheveux bruns.
— Il est bien normal que l’impératrice réquisitionne le lit.
Amusée, je roulai des yeux puis talonnai ma jument. Une fois à la hauteur de mon amie, je lui assénai un coup inoffensif dans le bras.
— Tu n’étais plus impératrice, à ce moment-là.
— Pas plus que tu n’étais reine !
J’acceptai la pique de bonne grâce. Al nous observait du coin de l’œil, interdit. Je lui adressai une grimace en retour, qui finit par lui arracher un frémissement des lèvres.
— Moi qui croyais que tu avais mûri, princesse.
— Par les Dieux, Alice, gronda Soraya en jetant un regard meurtrier à notre compagnon, tu ne veux pas lui asséner un ou deux éclairs, histoire de le faire taire ?
Achalmy se contenta d’élargir son rictus.
— Je croyais que je parlais pas assez, justement. (Soraya se contenta de l’ignorer, menton dressé.) Cette fameuse nuit, pendant que vous étiez en train de ronfler à côté, je…
— Je ne ronfle pas !
— Désolé, soupira Al avant de me jeter un coup d’œil amusé. Pendant qu’Alice ronflait…
— Va droit au but, marmonnai-je avant de lever un index menaçant où papillonnaient des étincelles.
Il haussa les épaules avant de reprendre son histoire :
— Une voleuse s’est glissée dans ma chambre. Elle voulait me tuer. Ah ouiiiiiii, c'est vraiiiiiii
Stupéfaite, je me contentai de le dévisager, bercée par la marche régulière de ma monture. Soraya reprit ses esprits avant moi.
— Je pensais que tu allais nous conter une histoire d’amour… Mais avec toi, il faut toujours que ce soit brutal, hein ? C'est une brute nordiste en même temps x)
— J’ai pas choisi d’être sa cible, rétorqua Achalmy en fronçant le nez. En fait, on s’est promis de se battre à mort la prochaine fois qu’on se rencontre. Pourquoi je suis certaine qu'on va la revoir, du coup ?
Cette fois-ci, ce fut à mon tour de soupirer.
— Eh bien, il ne te reste plus qu’à espérer ne jamais la revoir. (Comme il me lorgnait d’un air perplexe, je pinçai les lèvres.) J’ai perdu suffisamment de proches ces derniers temps. Je ne veux pas t’ajouter à la liste.
Une ombre couvrit l’éclat de ses yeux. Il se détourna pour observer la route.
— Oui, moi aussi.
Nous avions atteint la Zone Morte quand la nuit fut trop dense pour être chevauchable. La lune éclairait un paysage spectral autour de nous : terre poussiéreuse et usée, pas la moindre trace de vie. Ni trace de mort, à vrai dire. Si même dans la zone morte, il n'y a pas de morts… Même si nous connaissions déjà la topologie des lieux, les frissons étaient difficiles à contenir tandis que nous mettions pied à terre. Soraya nous fournit un feu assez généreux pour cuire les côtelettes de mouton que nous avions achetées au marché. Comme elle s’occupait du repas, Al et moi entreprîmes de monter la tente. L’air était moins froid et humide que dans l’Ouest, mais l’idée de dormir à la belle étoile me déplaisait. Sans la moindre brise, le moindre bruit, j’avais l’impression d’être coincée dans un cauchemar. La toile nous offrirait une protection symbolique.
Un jeu de cartes nous occupa pour la soirée. Je fus la première à être éliminée et assistai au reste de la partie blottie sous ma couverture. Les flammes crépitaient toujours entre nous, baignant mes compagnons et notre tente d’éclats orangés.
— Celui qui gagne dort au milieu, lança Soraya an abattant sa dernière carte.
Achalmy déposa la sienne en retour, esquissa un sourire.
— Par la barbe d’Eon, grommela Soraya en croisant les bras d’un air boudeur. Laisse-moi ta place, Al. La dernière fois que tu as gagné ta place pour être au milieu, tu as fini par dormir dehors. Tu parles d’un gâchis.
— La dernière fois, Alice me ronflait dans une oreille et toi tu me tripotais.
— Que de grands mots… J’appréciais la fermeté de tes muscles. Soraya, je t'aime ♥
Al roula des yeux avant de rassembler les cartes pour les ranger avec un lien de cuir.
— Le mieux, ce serait qu’Alice dorme au milieu, déclara Soraya en m’adressant un sourire de connivence. Comme ça, je ne te toucherai plus et toi tu pourras la tripoter si tu veux. Je meurs
Il ouvrit la bouche pour protester, mais je fus plus rapide :
— Soraya ! Nous sommes en voyage pour terminer notre quête envers les Dieux. Et, même si ce n’était pas le cas, je… nous ne sommes pas des sauvages. Eh ho, Alice.
Al s’était rembruni et hochait la tête. Déçue que sa proposition fût rejetée, Soraya se dirigea vers la tente pour en soulever le voile d’entrée.
— Puisque vous refusez un peu d’amusement, je vais me coucher. Au milieu.
— Bonne nuit, lançai-je avant de retourner à la contemplation des flammes.
Sans les pouvoirs de Soraya ni l’aide du vent, elles ne tarderaient pas à disparaître. Al dut se faire la même réflexion, car il utilisa une branche saine pour remuer les autres.
— Tu n’appréhendes pas trop ? soufflai-je à mon ami après un instant de silence. L’arrivée au Noyau, la rencontre avec l’ensemble des Dieux ?
— J’ai plutôt hâte. J’ai envie d’en finir avec toute cette histoire, de reprendre ma vie… d’avant. Ou ta mort d'avant, pour peu qu'il y ait des Dieux un peu malhonnêtes.
Je resserrai les pans de ma couverture autour de mes épaules en acquiesçant.
— Qu’est-ce que tu comptes faire une fois que tout ceci sera terminé ?
Une expression songeuse glissa sur son visage. Sa mâchoire se crispa un instant.
— Je suis pas sûr, pour être honnête. Je voudrais aller voir mon ancien maître et mon père, leur dire pour Mars… Il faudrait aussi que je retourne au clan Valkov pour savoir si tout se passe bien. La fameuse collaboration des cousins qui avait causé tant de chaos.
J’approuvai d’un hochement de tête, tout aussi curieuse quant au devenir du village nordiste. Depuis que nous avions quitté le Château, nous avions eu le temps de nous narrer nos aventures respectives. Al et Mars avaient affronté des épreuves tout aussi dures que les nôtres pour parvenir à leur objectif. En vérité, ils y avaient plus que perdu. J'confirme. Al risquait d’ailleurs encore sa vie à l’instant où nous parlions.
— En réalité, reprit Achalmy en grattant la semelle de sa botte à l’aide d’une branche, je crois que je me suis lassé de courir par monts et par vaux. J’ai vu ce que les Valkov avaient réussi à faire.
— Tu voudrais les rejoindre ?
— J’en sais rien. Peut-être que je pourrais trouver quelque chose à faire ? Entraîner les enfants, participer à la protection du Mont… Prof Al, je ne suis pas sûre que ça se passe extra bien
Je lui souris à travers les flammes.
— Ça me fait plaisir de savoir que tu te projettes, Al. Je sais que tu menais ta vie comme tu le pouvais, en étant mercenaire et chasseur dans l’Ouest, mais…
— C’était instable, je sais. Ça me dérangeait pas, au fond. Mais j’ai envie de quelque chose de différent.
Nez levé au ciel, j’admirai un instant les étoiles avant d’oser reprendre la parole :
— Si tu le souhaites, le Château te sera aussi ouvert. Je crois que le Garde royale serait honorée de découvrir ton style de combat et de s’entraîner à tes côtés. Quand ton maître était venu faire une démonstration devant mes parents, les soldats avaient été ravis. Ton peuple et le mien ont beau s’entendre comme chien et chat, nous vouons l’un pour l’autre un peu d’admiration.
Je me tus, appréhendant déjà une réplique de mon ami, mais il se contenta de me fixer. Craignant de l’avoir mis mal à l’aise, je secouai les mains et repris :
— Peu importe, tu es libre, Al. Je sais que tu as besoin de cette liberté pour être heureux.
— Non, non, c’est pas ça, me rassura-t-il en grattant sa joue mal rasée. Je suis soulagé que tu me l’aies proposé, Alice. J’avais peur que… que ton nouveau statut de reine ait creusé un écart entre nous. C'est toi qui creuses l'écart, benêt.
Même si sa peur était logique, je ne pus m’empêcher de grimacer.
— Al, cet écart existe déjà… Aux yeux du peuple, je suis reine avant tout.
— Et moi, un roturier étranger ?
— Oui. Allez, bam dans ta gueule. C'est pour la fois d'avant où il lui a fait le ême coup.
Il m’adressa un sourire penaud. Je n’étais pas heureuse de lui rappeler nos statuts, surtout lorsque ses contrées ignoraient de telles constructions sociales. Toutefois, s’il désirait bel et bien s’installer dans l’Ouest…
— Comment je pourrais faire, alors ? maugréa Achalmy en tripotant nerveusement le manche de Kan. Pour être considéré comme… quelqu’un de fiable par ton peuple ?
C’était une vaste question. Et une réponse simple n’était pas à ma portée.
— Eh bien… Peut-être pourrais-tu faire comme Maître Soho ? Gagner le respect et la reconnaissance des Occidentaux grâce à ton savoir-faire guerrier ?
— C’est une idée. Tu penses que la Garde royale aurait besoin des connaissances des Chasseurs ?
— Il faudrait en discuter avec le commandant Wilson, il est mieux placé que moi pour te répondre correctement. (Je fronçai les sourcils en réalisant la précision qu’il avait instillée dans sa demande.) Tu voudrais être près du Château pour une raison particulière ? L’Ouest est grand, tu trouveras sûrement des Nobles qui désirent former une garde personnelle. Alors ouais mais… Lilice…
Achalmy me dévisagea avec une telle intensité que je crus un instant l’avoir électrisé. Une fois sorti de sa torpeur, il m’adressa un sourire tordu.
— C’était pour pas m’éloigner trop de toi que je pensais au Château, Alice. L'honnêteté, damn. Il en a fait du chemin, ce bourriquet x)
J’eus l’impression que le feu s’était jeté sur mon visage. Mon ventre se contracta et le besoin de fuir sous ma couverture me crispa la nuque. Au fond, elle reste la petite fille d'avant, mais ça fait plaisir ^^
— Je… Je pensais que tu… (Al ne cessait de me lorgner, implacable.) Tu avais été plutôt clair avec moi, cet été. Sur ton incapacité à sacrifier ta liberté.
— C’est vrai. Je veux encore de ma liberté. Mais je ne veux plus perdre de gens. Je veux rester auprès des personnes auxquelles je tiens. Mon ancien Maître, mon père et toi êtes dans l’Ouest. Alors je veux y rester. Petits pas pour Al, mais c'est du progrès. Baby steps, comme on dit.
Je fermai un instant les paupières, avalai tant bien que mal les possibilités qu’il venait de jeter entre nous. La tête bourdonnante, je m’éclaircis la gorge avant de m’enquérir :
— Achalmy, je voudrais être certaine de ce que tu me proposes. Tu souhaites rester dans l’Ouest et, même près du Château si possible, pour… parce que tu es un ami ? Bon, là elle est dans le déni.
Un drôle de sourire adoucit son visage tendu.
— Il me semblait que tu m’avais proposé d’être un peu plus. (Face à mon expression médusée, il haussa les épaules.) Ce que je ressens pour toi a changé, mais je crois que c’est en bien. Tu n’étais qu’une princesse agaçante, mais j’ai beaucoup d’admiration pour la jeune femme que tu es devenue. Awwwww ♥
J’étais si stupéfaite que mon silence permit au rire étouffé de Soraya de percer la toile de la tente. Sora ♥ Al poussa une bordée de jurons en prenant conscience que notre discussion avait été suivie depuis le début.
— Désolée ! lança notre amie depuis l’abri de fortune. Je ne voulais pas spécialement écouter aux… il n’y a pas de portes. Enfin, ce que je veux dire, c’est que ce n’était pas voulu. Je dois toutefois reconnaître que j’attendais ce moment depuis des mois.
Toujours en rogne, Al se contenta de foudroyer la tente du regard. Nan mais mec, aussi, tu assumes que la miss ragots de service va se coucher juste comme ça sans laisser traîner une oreille ? (ou deux d'ailleurs)
— Mêle-toi donc de ce qui te regarde, gronda-t-il en se relevant brusquement. Je vais dormir dehors.
— Oh, ça me regarde, Chasseur furieux, le railla Soraya d’un ton mordant. Parce que je vais devenir la ? conseillère de la reine Occidentale en matière de politique étrangère !
Même si Soraya et moi avions eu le temps d’en discuter depuis notre rencontre, l’affirmation n’avait jamais été posée. À la fois surprise et reconnaissante, je me levai à mon tour pour rejoindre la tente. Le visage narquois de mon amie en dépassait. Avant que je pusse la remercier d’avoir accepté ma proposition, elle ajouta en criant presque :
— Alors, si l’on peut jeter les bases de relations diplomatiques avec le Nord grâce à un mariage, je serais ravie. Faut peut-être pas pousser le bouchon trop loin x)
— Oh, Soraya, soupirai-je en m’agenouillant face à elle. Tu n’es pas obligée d’en faire tant.
Elle se contenta de tendre la main pour la poser sur ma joue.
— Alice, tu te rends compte ? Il y a moins d’un an, tu te battais pour ne pas épouser mon frère, un étranger Sudiste. Aujourd’hui, tu souris comme une enfant à l’idée de lier ta vie à celle d’un rustaud de Nordiste.
Nier ou détourner la conversation n’aurait pas servi à grand-chose ; je sentais mes joues plissées sous le coup d’un grand sourire. Je ne pouvais pas non plus nier la chaleur qui s’était répandue dans ma poitrine suite à l’annonce d’Achalmy. Arf. Quel duo de boulets ♥
Par les Dieux, je ne pouvais surtout pas nier les doutes qui m’envahissaient à propos de cette possible union. Mon peuple accepterait-il un étranger ? Mé oui. Al voulait-il au moins m’épouser ? Ça, ça reste à prouver avec le temps. Comment ferait-il pour concilier liberté et devoir ? Avec des compromis ^^
— Alice.
La main de Soraya sur ma joue me ramena à la nuit déserte. Son sourire s’était fait plus protecteur, moins railleur. Ses yeux dorés m’enveloppèrent d’un cocon de réconfort.
— Viens dormir, Lice. Nous aurons tout le temps d’en discuter plus tard.
— Oui. (Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule, avisai la silhouette d’Achalmy enroulée dans sa couverture.) Bonne nuit, Al.
Je l’entendis grogner avant qu’il ne donnât une réponse distincte :
— Bonne, Alice.
C’était idiot, mais j’aimais toujours la façon dont son accent martelait mon prénom pour le rendre moins lisse. Une fois mes bottes délacées, je rejoignis Soraya sous la tente. Sans Al pour prendre toute une partie du couchage, nous avions bien assez de place pour dormir confortablement. Dis qu'il est gros pendant que t'y es
— Si tu l’éduques un peu, il pourrait représenter un parti intéressant, chuchota Soraya d’un ton très sérieux.
— Un parti intéressant ?
Je ne pus m’empêcher de rire. Je n’avais jamais considéré Al sous cet angle.
— Eh bien, si on y réfléchit… Il provient de deux grands clans Nordistes. Il est ancien élève d’un Maître reconnu dans l’Ouest et il a enfin obtenu sa Maturité. Je pense qu’il a du potentiel. Une fois qu’il se sera débarrassé de ses manières arriérées, évidemment. Damn et moi qui rêvais de mon Soralmy…
À la fois épuisée et portée par le méli-mélo de sentiments dans mon corps, je me contentai de rire. Elle n’avait pas tort, au fond. Et son regard était définitivement plus critique que le mien.
— Bonne nuit, murmurai-je en étouffant un bâillement. Nous pourrons débattre des partis intéressants plus tard, tu veux ?
— Bien sûr. Bonne nuit, Lice.
Bien malgré moi, mes mains se crispèrent sur les rênes. L’enceinte du Noyau s’élevait face à nous, austère et inhumaine. Un cercle parfait dont la surface luisait malgré son noir profond. Des mois plus tôt, il avait fallu longer la muraille pour en repérer l’unique entrée, le Passage. Aux dernières nouvelles, il se trouvait au sud, raison pour laquelle nous étions descendus aussi loin vers les terres australes.
— Plus qu’à prier, marmonna Al en levant le nez pour observer le sommet de l’enceinte. Qu’ils aient pas bougé l’entrée. Oh tu sais, les Dieux et leur confiance absolue en l'humanité…
Soraya soupira avant de talonner sa monture. Le mieux restait de faire le tour. Si les Dieux avaient bel et bien déplacé l’entrée du Noyau, nous n’aurions plus qu’à contourner la muraille. Malheureusement, nos vivres n’étaient pas suffisants pour nous permettre de tenir plusieurs jours. Il nous faudrait faire un nouveau détour pour commercer avant de retourner à notre exploration. Sans compter que mon couronnement officiel n’allait pas tarder…
— Oh !
L’exclamation de Soraya me tira de mes songes anxieux. Un sourire spontané chassa les brumes de mon esprit tandis que nos chevaux avançaient vers la muraille. Le Passage. Les Dieux ne l’avaient pas déplacé. Simple rectangle de vide haut de trois mètres et large de deux.
Soraya ne se fit pas prier pour s’y engager en premier. Al suivit, visiblement sur ses gardes. Quant à moi, je ne pus m’empêcher de lorgner la pierre noire. Elle était lisse et pourtant brillante d’une infinité de minuscules cristaux. Une création non-humaine, étrangement divine. Pourquoi son côté divin serait étrange ?
Les changements furent nets. L’air s’épaissit, prit un goût sucré et une odeur de bois brûlé. La végétation éclata autour de nous, camaïeu de verts et de bruns ponctués çà et là de fleurs aux couleurs provocantes : orange incandescent, rouge éclatant, bleu électrique, jaune criard. Le glougloutement C'est mignon comme mot du ruisseau à la source invisible emplit l’air pour se fondre harmonieusement avec les chants d’oiseaux et les cris d’animaux inconnus.
Autrefois, avant que nos ancêtres trahissent les Divinités Primordiales, le Noyau était un lieu de rencontre entre déités et humains. Un lieu extravagant, destiné autant à charmer les Hommes qu’à les intimider. La faune et la flore que l’on y trouvait était un exutoire de création pour les Dieux.
— C’est magnifique, soupira Soraya en dévorant les environs de son regard brûlant. Dommage que nous soyons sûrement les derniers humains à le voir.
Prudemment, je me laissai tomber de ma selle puis contournai ma monture pour m’enfoncer entre les arbres. Après quelques mètres, je tombai sur une zone dégagée où les restes d’un cercle de pierre et d’une cabane en bois me serrèrent le cœur. C’était ici que nous avions campé, des mois plus tôt. Ça fait longtemps…
Derrière moi, j’entendis Al râler quand Soraya lui proposa son aide pour descendre de cheval. Je me tournai à temps pour le voir s’appuyer sur mon amie, son bras gauche serré contre lui. J’osais à peine imaginer sa frustration.
Ça ne peut pas lui faire de mal, d’apprendre à compter sur les autres.
L’idée me fit sourire. Alors que je me dirigeais mes vers compagnons, un bruit de pas froissa l’herbe tendre dans mon dos. Je m’arrêtai, frissonnai.
— Alice ?
Vêtue de haillons délavés, une silhouette longiligne à la peau d’albâtre se tenait entre deux troncs noueux. Je dus retenir les étincelles qui fusèrent dans mes veines, réponse à la souffrance que cet être avait provoquée autour de lui.
— Aion.
COUCOU CHOUPI !
Allez, on réattaque.
Boooon. Ça fait du bien. Après les galères, les voyages sempiternels et les problèmes pseudo-insolubles, on approche enfin d'une solution viable. Choupi Mars, ça fait du bien de le voir mentionné ici, il le mérite.louji a écrit : ↑sam. 14 août, 2021 5:35 pm Hello ! Pour ceux qui ont la chance d'en avoir, je vous souhaite de bonnes vacances !
Chapitre 18
Achalmy
An 500 après le Grand Désastre, 1e mois de l’hiver, Le Noyau
Aion se tenait face à Alice, les bras le long du corps. Pourtant, je pouvais sentir la tension qui habitait le corps de mon amie. La même qui électrisait mes muscles, éveillait mes sens. Nous avions beau être des alliés du Dieu déchu, il restait l’être fourbe qui nous avait tous impliqués dans cette quête mortelle.
— Aion, lança Alice d’une voix prudente. Nous sommes de retour. Nous avons rempli notre part du marché.
Même de loin, je devinais le regard instable de la divinité. La façon dont ses iris changeaient inlassablement de teintes. Des yeux qui me hanteraient encore des années.
— Nous avons retrouvé Kan et Eon, ajouta Alice sans perdre de sa superbe face au Dieu qui avait brisé sa vie autant que la mienne.
— Galadriel m’en a déjà informé. Toi et ta suffisance, vos gueules.
Le ton sec du Dieu me hérissa les poils de la nuque. Nous avions joué nos vies pour l’aider. Mars avait même perdu la sienne. Et il se permettait de…
— Achalmy.
Soraya venait de m’agripper le bras. Son regard d’ordinaire taquin s’était fait terne. Ouais, calme chaton.
— Même s’il n’est pas encore redevenu complètement un Dieu, il reste un être aux pouvoirs immenses. Il pourrait nous tuer sur place.
Je marmonnai dans ma barbe, laissai la poigne de Soraya apaiser ma colère. Je n’avais aucune chance face à Aion. Surtout avec un bras en écharpe. Bras en écharpe ou pas, hein. Je te rappelle la raclée qu'il t'a mise dans les tout premiers chapitres ? (Oui, je les ai relus récemment )
— Galadriel attendait votre retour, ajouta Aion en nous englobant tous d’un regard bref. Pour vous tenir au courant de l’évolution de notre marché. Évolution, évolution… moi ça m'inquiète.
Alice s’avança d’un pas dans sa direction. Un pic d’angoisse me refroidit la poitrine, mais ni elle ni Aion ne trahissaient le moindre signe d’animosité.
— Seigneur Aion, pouvez-vous implorer les autres Divinités Primordiales de venir ? Mes compagnons et moi aimerions retourner chez nous le plus rapidement possible.
L’intéressé inclina le menton, glissa son attention divine vers Soraya et moi. L’ombre d’un rictus plissa ses lèvres délicates lorsqu’il m’aperçut. Je lui rendis son sourire acide.
— Je vais les appeler, déclara Aion en daignant s’avancer vers nous. Kan nous a prévenus par le biais d’Eon qu’elle mettrait un peu de temps à arriver. Une histoire d’essences à séparer, dans les Sanctuaires des Terres au-delà des Mers. Oué, tu sais, c'est plus compliqué que tes petites galères de dieu déchu.
Alice hocha la tête comme si ces mots faisaient sens. Elle m’avait expliqué tant bien que mal ses découvertes dans les Sak aviriens, mais je devais reconnaître qu’une grande partie m’échappait. En même temps, t'es trop bourrin pour essayer de t'approprier une autre culture.
— Je suis soulagé que vous n’ayez pas mis trop longtemps pour revenir, précisa Aion en croisant les bras sur sa poitrine mince.
Malgré sa situation d’être divin déchu, il parvenait à afficher un air supérieur. La Noblesse des Occidentaux avait déteint sur lui. Quoique, je le soupçonnais d’avoir toujours été le plus arrogant des Dieux.
— Ravi de voir que tu es toujours en vie, arrière-petit-fils. Je sais même pas quoi dire, il me désespère.
Son clin d’œil déclencha des nausées au fond de ma gorge. Il savait à quel point notre lien de parenté m’exaspérait. Alice m’interrogea silencieusement, l’air inquiète. Je la rassurai d’un mince étirement des lèvres avant de tourner le dos à Aion. Moins je le regarderais, mieux j’irais. Go faire ça alors.
Nous n’eûmes pas le temps de nous reposer avant l’arrivée des Dieux. Quelques secondes après notre discussion avec la divinité déchue, la silhouette de Galadriel se devina se devina ? Le verbe me paraît bizarre dans ce contexte. entre deux troncs. Elle prit chair sous nos yeux stupéfaits. Peau d’abricot, chevelure flamboyante, nudité généreuse, orbites en feu. Notre Mère à tous.
Alice, Soraya, Achalmy.
Au moins la Déesse de la Vie daignait-elle nous appeler par nos noms. Nan mais cherche pas, l'autre c'est un abruti. Après avoir pris complètement forme, elle approcha de nous en souriant.
Je vous remercie d’être revenus au Noyau sans tarder.
— Ils ont mis bien assez de temps, grommela Aion en rejoignant la Déesse. Toi je vais te…
Elle lui jeta un regard indéchiffrable – après tout, difficile de lire quelque chose dans les flammes qui habitaient ses yeux.
Aion, leurs quêtes respectives se sont révélées plus qu’ardues. Les as-tu au moins remerciés ? BAM DANS TA… attends, j'ai l'impression de me répéter là.
Pincement des lèvres. Fuite du regard. Un rire amer me remonta la gorge. Je le coinçai contre mes gencives, serrai les poings. Alice fit alors un pas vers Aion.
— Non, il ne nous a pas remerciés. (Elle se tourna vers la Déesse, le visage fermé.) Dame Galadriel, nous avons perdu un ami pendant notre quête. Il s’appelait Mars. Est-ce qu’il a… bien rejoint Lefk ?
Le silence de Galadriel parut gelé malgré l’air tiède et sucré du Noyau, malgré les flammes dans ses orbites. Quand la Déesse finit par entrouvrir les lèvres, une voix désincarnée la précéda :
Votre compagnon m’a rejoint. N’ayez aucune crainte pour lui. Coucou toi ♥
Alice et Soraya sursautèrent, cherchèrent inconsciemment une présence tangible. Pour ma part, je me contentai de fermer les paupières. Une voix comme celle-ci, qui résonnait dans les os sans émettre le moindre son, qui tourmentait l’âme sans même la toucher…
— Il est mort pour vous, Aion, lançai-je fermement en m’avançant vers l’intéressé. Il aurait dû mourir… mourir dans d’autres…
J’avais perdu la voix. En réalité, je n’en savais rien. Je ne savais plus. S’il y avait des morts honorables, des morts justes. Choupi Lefk venait de me confirmer que Mars l’avait rejoint, mais c’était une évidence bien avant. Mars se serait sûrement fiché de savoir si l’honneur l’avait accompagné pendant ses dernières heures. Évidemment. Il est mort de froid, en même temps.
— J’en ai conscience. ALORS AGIS EN CONSÉQUENCE BORDEL DE CACAHUÈTES !
Aion avait planté l’instabilité de son regard sur moi. Il ne se détournait pas, cette fois.
— Je vous remercie pour ce que vous avez fait pour moi, reprit-il d’un ton sourd. Je vous présente aussi des excuses pour les dangers auxquels vous avez été confrontés. Mouais. J'y crois moyen.
Ça continuait à bouillir en moi. C’étaient de belles paroles. Envoyées du bout des lèvres par un être qui se fichait parfaitement de nous.
— Nous n’avions pas le choix.
L’apprêté de la voix d’Alice m’étonna. Ses yeux sombres rejetaient en bloc d’éventuelles répliques de la part d’Aion. Lilice stand up ! Je suis si fière d'elle.
— C’était un marché, rappela-t-elle en s’avançant vers moi, dans lequel la vie d’Al était en jeu. Si nous n’avions pas retrouvé les divinités jumelles, il l’aurait payé de sa vie.
Un muscle se crispa dans la joue d’Aion.
— Nous lui avons fait une fleur. Il était mort avant ça. À cause de toi ducon. Il m'exaspère.
— Il est mort pour vous ! Nous n’avons pas eu le choix de prendre part à votre petite vengeance, vous nous avez forcé la main.
— Rappelle-toi, chère princesse, qu’Achalmy n’a jamais été forcé de se rendre au Noyau.
— Je suis reine, siffla Alice en élevant la voix. Et vous vous doutiez qu’Achalmy reviendrait pour savoir ce que j’étais devenue. Vous l’aviez laissé pour mort au campement de la Maturité !
Soraya suivait la discussion de loin, prudente. Je décelai toutefois une lueur rougeoyante dans le doré de ses yeux. De la fierté. Pour Alice. Wi. Lice ♥
Je ressentais la même chose. Malgré les horreurs qu’elle avait vues et vécues sous le joug du Dieu déchu, elle lui faisait face. Je comprenais sa hargne après avoir été muselée par Aion pendant des mois.
— Je comprends que tu sois en colère, Alice, mais… Non. Juste tais-toi;
— Nous sommes tous en colère, le coupa l’intéressée d’un ton cassant. Comment voulez-vous que nous vous fassions confiance si vous nous considérez comme des êtres sacrifiables à souhait ?
La bouche du Dieu se pinça dans un mélange d’amertume et de colère. Avant qu’il pût reprendre la parole, Galadriel s’approcha d’Alice. Ses lèvres roses étaient maussades.
Tu as raison, Alice Tharros. Tes doutes sont fondés, la confiance entre Humains et Divinités a été brisée des deux côtés. Merci.
Les yeux d’Aion s’agrandirent, une étincelle s’illumina brièvement sur son épaule.
— Galadriel, tu ne vas quand même pas choyer ces… Mais on t'a dit de te taire alors tais-toi.
Aion, le coupa-t-elle en levant une main sereine, tu as comploté sur le dos des Humains. Manque un bout d'italique ici. Des innocents en ont souffert ou en sont morts. Nous ne pouvons pas l’ignorer. Lui peut. Toi un peu moins.
— C’était une juste vengeance, cracha-t-il avec tant de venin que des flammes gonflèrent sous ses doigts. MAIS JE VAIS TE… ARGH. Je l'adore pourtant. Mais il me casse les pieds, là. Chaton que je t'explique, se venger sur des gens qui ne t'ont rien fait, ça n'a aucun sens. Ce ne sont pas les descendants des abrutis qui ont comploté contre toi qui sont responsables des erreurs de leurs aïeux. Je sais que c'est dur pour quelqu'un qui n'a pas la notion du temps. Mais essaie. Je suis sûre que tu peux y arriver.
Soraya fit claquer sa langue pour ramener le silence. Les Dieux lui jetèrent un coup d’œil surpris, comme s’ils avaient oublié sa présence tout ce temps.
— Les soldats Occidentaux qui escortaient Alice étaient innocents. Alice était innocente. Achalmy était innocent. Je l’étais aussi. Certains de nos proches ont comploté avec vous, Aion, mais nous trois sommes innocents. Innocents de la trahison qui vous a frappé il y a cinq cents ans et innocents dans le plan que vous avez monté pour vous venger.
Alice et moi hochâmes la tête de concert. Galadriel écoutait avec une expression lointaine, penaude. Ce n’était pas juste pour elle non plus. Elle prenait la défense d’Aion, mais elle subissait en même temps les critiques qui étaient adressées à son égal. En même temps, elle n'a rien fait non plus pour l'aider à l'époque.
— Alors, ne vous cachez pas derrière votre prétendue vengeance pour justifier le mal que vous avez répandu autour de vous. Et les vies d’innocents qui ont été bouleversées par la suite.
Galadriel se dirigea vers Aion et posa une main sur son épaule. Ils n’échangèrent pas un mot, mais un courant de compréhension passa entre eux.
— Ce n’était pas juste, je le reconnais. Ce sont vos ancêtres qui m’ont trahi, mais pas vous. Vous ne méritiez pas les souffrances que je vous ai fait subir. J'y crois toujours pas.
Je jetai un coup d’œil à Alice et Soraya, fus soulagé en constatant leur expression morose. Nous acceptions les paroles d’Aion, mais nous ne lui pardonnions pas pour autant.
— Et je vous remercie encore pour les efforts que vous avez fournis pour trouver Kan et Eon. Mmhm, try again.
La déclaration d’Aion se ponctua d’un silence. Soraya et Alice hochèrent la tête puis se détournèrent pour s’occuper de leurs montures. Galadriel serra l’épaule de son compagnon.
— Qu’est-ce qui se passe à présent ? lançai-je aux deux Divinités Primordiales.
Nous attendons que Kan revienne complètement à Oneiris, expliqua Galadriel en se détachant du Dieu déchu. Une fois qu’elle sera de retour, Eon se montrera lui aussi. Nous pourrons alors ramener Aion avec l’aide de Lefk.
J’acquiesçai en silence, lèvres pincées. Tout semblait si facile à présent. Une petite réunion entre Dieux et le tour serait joué. Le fameux « ta gueule c'est magique » Les sacrifices que Soraya, Alice et moi avions subi semblaient dérisoires. Les mois que nous avions passés à voyager afin de retrouver des pistes infimes paraissaient risibles. C’était pourtant notre sueur, notre sang et notre détermination qui allaient permettre à Aion de retrouver son statut.
— Vous comptez changer, n’est-ce pas ? Rêve pas trop mon chaton, même si la question est justifiée.
Aion me cingla d’un regard stupéfait. Il entrouvrit les lèvres, mais je le devançai :
— Si vous voulez qu’on vous fasse de nouveau confiance, on a besoin de savoir qu’on est plus que des réceptacles à prières. Et des sacrifices dispensables à souhait.
Nous allons changer, assura Galadriel en me considérant avec attention. Nous n’étions que l’ombre de nous-mêmes ces derniers siècles. Lefk et moi assurions à deux ce que nous avions toujours assuré à cinq. À présent que nous allons bientôt tous être réunis, nous espérons être plus attentifs au devenir des Hommes. Espérons. Comme pour Al, baby steps.
Je soupirai en me calant contre un tronc. Je n’aurais sûrement pas mieux de la part des Dieux. Si je me méfiais encore d’Aion, j’avais moins de doutes concernant Galadriel. Après tout, elle avait tenu son marché avec Alice.
Je vais me retirer, annonça Galadriel d’une voix calme. Si vous le souhaitez, vous pouvez passer la nuit dans le Noyau, vous y êtes les bienvenus. Lefk, Aion et moi vous tiendrons au courant quand les Divinités jumelles seront revenues parmi nous. Nous pourrons alors redonner à Aion son statut d’antan.
— Vous aurez besoin de nous ?
La question de Soraya fit sourire la Déesse.
Non. Par ailleurs, quand le moment sera venu, vous devrez sortir du Noyau. Nos essences pures sont trop puissantes pour vos esprits, nous risquerions de vous tuer. Mais n’ayez crainte, reposez-vous aujourd’hui. Je reviendrai vous voir demain matin.
Sans un mot de plus, le corps de Galadriel se dissipa comme fumée dans le vent. L’éclat rougeoyant de ses yeux flotta un moment dans l’air avant de disparaître complètement. Bon, j'ai ragé contre Aion, mais il faut quand même dire que j'aime bien Mama Galadriel. Elle essaie, au moins.
— Je vais vous laisser, déclara Aion à son tour. Si vous avez besoin de quelque chose… vous n’aurez qu’à m’appeler. Je vous entendrai.
Comme il s’éloignait du camp, je me décollai de mon arbre et rejoignis mes amies. L’épuisement et l’appréhension avaient creusé leurs visages.
— Je ne savais pas comment ça se passerait, souffla Alice alors que nous déchargions nos montures. Je crois que j’en attendais un peu plus d’Aion. Quand nous avons voyagé ensemble il y a quelques mois, j’ai aperçu des aspects de lui qui me donnaient espoir. Choupette…
— C’est ton charme et ta faiblesse, Alice, de croire que les autres ont toujours l’envie, au fond d’eux-mêmes, d’être bons.
Je n’aurais pas pu dire mieux que Soraya. Alice ferma les yeux en soupirant lourdement. C’était peut-être elle la plus déçue d’entre nous, en fin de compte. C’était elle qui avait placé un mince espoir en Aion. Mais quelle idée d'espérer, aussi x)
— Je crois qu’il était quand même sincère quand il s’est excusé et nous a remerciés.
Soraya et moi ne prîmes pas la peine de répondre. Je ne connaissais pas les pensées qui s’agitaient sous le crâne de la Sudiste, mais les miennes étaient catégoriques. Même si Aion s’était montré honnête envers nous, ses actes passés étaient trop graves. J’étais peut-être – sûrement – borné et rancunier, mais je n’étais pas prêt à plus de miséricorde pour cet individu.
— Nous aurions dû demander aux Dieux un repas tout prêt, marmonna Soraya en tirant d’un sac une lamelle de viande séchée.
Alice rit tout bas en flattant sa monture. C’était plaisant de l’entendre rire, ça me ramenait à des flambées plus sereines et à des batailles de boules de neige. À des instants partagés sans le poids de devoirs divins.
— Peut-être que c’est pas trop tard pour exiger un repas, fis-je remarquer en tournant les talons pour scruter les environs. Excusez-moi ? Les Dieux ? Vous auriez autre chose que de la viande trop salée et des fruits trop secs à nous proposer ? Yo les gars, ça baigne ? Nous on a faim !
La fatigue nerveuse me rendait sûrement insolent. Pourtant, les rires d’Alice et Soraya qui suivirent ma déclaration me rassénérèrent Ah, round 2 de rassénér au lieu de rasséréner ^^. Je n’étais sûrement pas le seul à perdre un peu la tête.
Une exclamation de surprise s’éleva à ma droite. Alice avait écarquillé les yeux, une main encore posée sur le flanc de sa jument. Je suivis son regard, crus que mon cerveau embrumé me jouait des tours.
— Par les Dieux, murmura Soraya avant d’émettre un sifflement ravi. Merci les Dieux !
Autour d’un feu né de nulle part reposaient des grappes de gros raisins juteux, des fraises des bois odorantes, des poignées de grosses framboise et un méli-mélo d’abricots et pêches qui formaient un camaïeu d’orange et rose. Un tas de légumes que je n’aurais même pas su nommer avait été empilé à côté.
— Eh bien, nos prières ont été entendues, soufflai-je avec un rire décontenancé. Yé. Maintenant, dis merci et mange. ^^
Alice et Soraya échangèrent un regard avant de s’avancer vers les fruits et légumes que les Dieux nous avaient offerts. Sûrement un cadeau combiné d’Aion et Galadriel.
— Viens, Al ! implora Alice en jetant dans sa bouche une framboise aussi grosse qu’une phalange.
J’aurais préféré de la viande juteuse, du pain craquant et du jogurt en guise de repas divin, mais mon estomac n’avait pas les mêmes exigences. Agenouillé face au feu, j’attrapai une pêche, la frottai contre ma veste par habitude et croquai dedans. Finalement, c’était aussi juteux, craquant et sucré que mon repas de rêve.
Maintenant, reste à voir ce qui va réellement changer. Il nous reste combien de chapitres ?
La bise ~