Bonne lecture !
Chapitre 22
Le trajet du motel jusqu’au lieu de réunion fut assez mouvementé. Nous y étions allés à deux voitures et j’étais ravie de me retrouver sur le siège passager de l’Impala de Dean. J’adorais cette voiture. À l’arrière, Griffin, Celeste et Anjali s’étaient entassés. Les deux premiers pour parler un peu des stratégies à adopter face aux autres chefs de clans et Anjali, pour, je cite « me soutenir dans cette épreuve et mettre un peu d’ambiance ». Alors, même si mes oreilles traînaient pour comprendre la politique des clans, j’étais ravie qu’elle soit là pour me faire rire en me glissant quelques phrases bien placées, puisqu’elle était derrière mon siège. Au final, puisqu’ils n’aimaient pas vraiment parler politique, cette conversation se conclut rapidement et laissa place aux choix musicaux de la lynx, ce qui fit soupirer les autres. Moi, je dansais presque sur mon siège.
Dans l’autre voiture contenant Nabarun, Sadie, Sage et Swann, il devait y avoir moins d’ambiance, j’en étais sûre.
La voiture entra sur un parking et Dean se gara. Plus loin, je pouvais voir un grand bâtiment se dessiner. Des lumières étaient allumées, à l’intérieur, puisque nous étions déjà en fin d’après-midi. Nous entendions également de la musique s’échapper par les fenêtres, ou par la grande porte qui s’ouvrait à intervalles réguliers pour laisser entrer ou sortir des métamorphes.
Personne ne bougea, ni dans notre voiture, ni dans celle des autres, et un silence s’installa. Personne ne voulait y aller.
Je pris une grande inspiration et me lançai :
— On y va pour leur faire fermer leur gueule et si on voit que ça sert à rien parce qu’ils sont trop limités intellectuellement, on se casse, ok ?
Les autres ne relevèrent pas pendant quelques secondes. Puis Celeste se mit à ricaner.
— Bien dit, approuva-t-elle. Combien de temps est-ce qu’on va rester ? Les paris sont ouverts.
— On y va, on se remplit l’estomac, on se bourre la gueule et on s’en va, proposa Anjali. Ça devrait pas prendre plus de deux heures. J’espère qu’ils font les daïquiris.
Je tournai la tête vers Dean, qui avait l’air renfermé. Je pris sa main dans la mienne, entre nos sièges.
— Ça va aller, le rassurai-je.
— Comme l’a dit Lyn, on part dès qu’on en a envie, ajouta Griffin.
L’Alpha soupira.
— Je m’en fous, d’avoir à les supporter. C’est surtout que je déteste le fait qu’ils veuillent te tester, répondit-il.
Je me redressai avec un air déterminé.
— Qu’ils essayent, rétorquai-je avec un sourire en coin.
Il me fixa, puis ses épaules s’affaissèrent petit à petit, signe qu’il se détendait.
— Si je vois qu’ils sont irrespectueux, on s’en va, insista-t-il. Ou alors je leur arrache les dents. Au choix.
Il ouvrit la portière pour sortir. Nous le suivîmes. Je fis une petite grimace en le regardant par-dessus le toit de la voiture.
— On va plutôt opter pour la première solution, décidai-je.
C’était plus prudent.
— Tu es sûre que tu ne préfères pas quelques petits meurtres ? me lança Celeste, amusée.
Je fis semblant de réfléchir.
— Tu as raison. Et le sang ne se verrait pas sur ma robe, commentai-je.
Les filles m’avaient aidé à choisir une tenue, m’assurant que ces réunions tenaient plus d’une soirée que d’un événement sérieux et que certains se préparaient autant que pour un défilé. Elles m’avaient déniché une robe rouge qui m’arrivait aux genoux, chic, mais simple, ce qui avait été un soulagement, pour moi. En revanche, j’étais affublée d’une paire de talons, même s’ils étaient étonnamment confortables. Pour leur défense, je n’avais pas vraiment protesté, je devais avouer que j’aimais bien le résultat.
Et Celeste et Anjali avaient retourné toute la boutique pour trouver cette robe à ma taille, refusant d’abandonner. Je n’allais pas dire « non ».
Et surtout, la tête que Dean avait fait en me voyant me donnait l’impression qu’il allait me dévorer.
Un peu comme tous les jours, au final, mais là, encore plus.
Nous rejoignîmes les autres, avant de nous diriger vers le bâtiment. Lorsque nous entrâmes, la musique heurta mes tympans de plein fouet et une multitude de parfums parvinrent à mes narines. Les odeurs des animaux présents en chaque métamorphe, ainsi que leur eau de toilette, les effluves de nourriture et d’alcool.
La salle était immense. La salle était immense. Les tables exposant la nourriture étaient collées au mur afin de laisser de la place pour danser ; il y avait des canapés et des fauteuils disséminés dans les coins. Des métamorphes étaient rassemblés en petits groupes, pour discuter.
Nous nous immobilisâmes à l’entrée, nul d’entre nous n’osant avancer, alors que de nombreuses têtes se tournaient vers nous.
— C’est parti…, souffla Sadie.
Dean fit finalement un pas en avant, en tant qu’Alpha. Immédiatement, je sentis des yeux me scruter avec méfiance ou curiosité. Je savais que mon histoire avait fait le tour, mais certaines ne semblaient pas être au courant de qui j’étais. Tant mieux, en un sens.
Et certains regards étaient compatissants. J’étais soulagée de voir qu’ils ne semblaient pas tous dégoûtés. J’avais l’impression d’être une bête de foire.
En revanche, ce ne fut pas cela qui m’agaça réellement, mais plutôt de constater que Dean était mal vu. Ainsi que les autres. Là aussi, je me doutais de la raison : le clan était mixte, et notre Alpha avait été enlevé par des chasseurs, deux mois auparavant.
Le regard envieux de certaines femmes, ou de quelques hommes, sur Dean, contribua à faire monter la colère. Au moins, eux, ne le regardaient pas comme s’il était un genre de monstre, mais je n’étais pas ravie non plus de la jalousie que je pouvais percevoir.
Je commençais déjà à m’en vouloir d’avoir voulu venir. Mais je devais prendre sur moi. J’affichai un air confiant, comme si je n’en avais rien à faire de leurs œillades.
Certains métamorphes vinrent tout de même saluer Dean, bien qu’avec réticence, mais firent comme si nous n’existions pas, venant simplement se présenter à l’Alpha.
Eh ben…
— Dean !
Nous tournâmes la tête de concert et vîmes arriver vers nous un homme assez petit, aux courts cheveux roux et des yeux d’un vert très clair. Des taches de rousseur venaient réhausser le tout. Il arborait un sourire joyeux.
— Salut Tony, lui répondit Dean sur un ton amical. Je ne savais pas que tu viendrais.
— Je l’ignorais également jusqu’à hier soir. (Il inclina la tête sur le côté.) Je ne m’attendais pas à te voir ici.
Il engloba tout notre clan d’un regard, puis son sourire s’élargit. En me voyant, il me fit un clin d’œil. Je soupirai, mais en fus amusée.
— Et vous êtes presque au complet, en plus ! ajouta le renard.
— Nous ne pouvions pas manquer la fête, ironisa Celeste.
— Mon serpent préféré ! s’enthousiasma Tony. Comment vas-tu ? J’aurai enfin une chance de voir tes crocs, ce soir, ma belle ?
Je fronçai les sourcils. C’était une technique de drague, ça ?
Celeste ricana, puis passa devant lui mais s’arrêta pour mettre une main sur son épaule.
— Si jamais tu les aperçois un jour, cela voudra malheureusement dire que j’ai l’intention de te tuer. (Elle le lâcha et lui rendit son air malicieux.) Je vais me chercher un verre.
Elle s’éloigna et Tony se tourna pour la regarder partir.
— J’ai hâte ! lança-t-il assez fort pour couvrir le bruit de la musique.
— Où est ton chef ? demanda Griffin.
Tony haussa une épaule.
— Quelque part au fond de la salle, à parler avec les autres grands chefs, répondit-il d’un air théâtral.
Je décelai la pointe de sarcasme dans sa réponse.
Il avisa une personne s’avançant vers nous.
— Ah, une chef ne se trouve pas avec eux, commenta-t-il.
Je portai mon attention sur la nouvelle venue. Ma mâchoire manqua de se décrocher. Elle était sublime. Elle devait avoir un peu plus de la trentaine, et malgré son jeune âge, une grande sagesse émanait d’elle et se reflétait dans ses yeux. Sa démarche était gracieuse et elle avait un doux sourire peint sur les lèvres. Ses longs cheveux d’un châtain foncé retombaient en cascade sur ses épaules et ses yeux jaunes étaient perçants. D’après mon odorat, il s’agissait également d’un oiseau. Elle portait une longue robe émeraude qui la rendait encore plus saisissante.
— Bonsoir ! lança-t-elle. Je suis ravie que vous soyez là.
Je sentis qu’elle était sincère. Sa voix était aussi douce qu’une plume.
Elle tendit la main à Dean et il la lui serra.
— Harmony, la salua-t-il.
Alors c’était elle, la cheffe du clan d’Ashyrel ? J’étais tout de suite plus rassurée : nul doute qu’il était entre de bonnes mains.
Et en pensant à lui, je le vis arriver, derrière elle. Il me sourit et je le lui rendis. Puis son regard passa sur Anjali, qui le salua d’un signe de tête. Elle détourna rapidement les yeux, ce que je trouvai suspect. Je vis les commissures de ses lèvres frémir et ses joues se colorer légèrement.
Mmh, mmh…
Harmony tendit la main à tout le monde, ne réservant pas ce geste uniquement à notre Alpha, comme j’avais pu voir d’autres le faire. Lorsque ce fut mon tour, je serrai sa main avec plaisir, en souriant. Elle me mettait à l’aise et m’était sympathique.
Elle me dévisagea avec une sorte de fascination et de compassion.
— Tu dois être Lyn, me dit-elle.
— C’est exact, opinai-je. Enchantée de te rencontrer.
— De même, c’est un véritable plaisir. J’ai beaucoup entendu parler de toi et j’avais hâte de te voir en personne.
Même si ses paroles auraient pu me crisper, une telle franchise et une telle sérénité émanaient d’elle que je ne pus lui en vouloir une seule seconde d’avoir abordé le sujet. C’était comme si j’avais affaire à une enfant disant ce qui lui passait par la tête, sans filtre, innocemment.
Elle tenait toujours ma main. Cela pouvait paraître étrange, mais je me disais qu’elle était simplement trop absorbée par notre échange pour s’en rendre compte. En revanche, je ne savais pas pourquoi elle était à ce point envoûtée par moi.
— Eh bien, me voici, répondis-je, un peu nerveuse.
Elle me fixa pendant un instant et le silence revint. Puis elle lâcha ma main sans se départir de son sourire.
— Ashyrel ne tarit pas d’éloges à ton sujet, lança-t-elle en jetant un œil à son second.
L’intéressé chassa ses paroles d’un geste de la main.
— Cela ne me ressemble pas, se défendit-il. Et je ne vois pas ce que je pourrais dire de bien à propos de Lyn.
Je lui tirai la langue et il eut un rictus en coin. Je m’en voulais de moins en moins à l’idée de lui avoir jeté de la terre dans la figure, lorsque nous étions enfants.
Elle lui administra une tape sur le bras.
— Ne la taquine pas ainsi, le rabroua-t-elle gentiment.
— Si tu savais ce qu’elle peut dire sur moi, renchérit-il.
Je pris un air angélique.
— Je ne suis pas du tout comme ça, mentis-je.
— À d’autres.
Je retins un sourire amusé.
Harmony finit par tourner la tête vers Dean.
— Joins-toi à nous pour discuter, si tu en as envie, l’invita-t-elle. Tous les chefs sont réunis dans le fond de la salle. Tu es le bienvenu. Même si je me doute que ça ne t’enchante pas, tu es venu pour ça, non ?
Je pinçai les lèvres. Je savais qu’il n’en avait pas la moindre envie. Et elle pût le constater aussi à son hésitation.
— Bien sûr, finit-il par répondre entre ses dents, d’un ton pas du tout convaincu. J’arrive dans un instant.
Harmony hocha la tête, puis regarda Griffin.
— Tu peux également te joindre à nous, ajouta-t-elle avec un sourire lui mangeant presque tout le visage.
L’intéressé hocha la tête.
— Quant à vous, poursuivit-elle en nous regardant à tour de rôle, je serais absolument ravie de discuter avec vous, mais notre conversation interminable ne vous intéressera pas. Du moins, c’est ce que disent les autres. Vous faîtes partie du clan, vous ne devriez pas être tenus à l’écart.
Elle soupira.
Elle n’avait pas tort sur un point : je m’en passerais bien, de cette discussion. Et en même temps, il était vrai que c’était plutôt injuste envers ceux qui auraient voulu participer. J’aurais pu être présente pour soutenir Dean, également.
Anjali mit ses mains sur mes épaules.
— Ne t’en fais pas, Harmony, on va bien s’occuper, en attendant, répondit-elle.
Oh, oh. En me souvenant de son anecdote qu’elle m’avait raconté dans la chambre froide, à propos d’elle, ivre, dans un bar, je redoutais le pire.
— Génial ! conclut Harmony. Je vous laisse, alors. À plus tard !
Elle se retourna mais me lança un dernier coup d’œil avant de s’éloigner. Son absence généra un grand silence entre nous.
— Qu’est-elle ? demandai-je. Je ne suis pas arrivée à deviner.
— Un aigle royal, m’apprit Ash.
— Waouh…, soufflai-je, émerveillée.
— Je crois que tu lui as tapé dans l’œil, enchaîna-t-il.
Sur le coup, je crus avoir mal compris. Je fronçai les sourcils.
— Hein ?
— Elle avait l’air totalement charmée, reprit Sage.
— Carrément, approuva Tony.
— N’importe quoi, protestai-je.
Je jetai un œil à Dean. Il serrait les mâchoires, agacé.
— Ne me dis pas que tu les croies ? lui lançai-je, abasourdie.
Il soupira.
— Je l’ai remarqué aussi, en fait, avoua-t-il.
Alors là…
Tony gloussa.
— Tu devrais faire attention, mon pote, adressa-t-il à Dean. Il ne faudrait pas qu’elle te la vole.
Mon compagnon lui mit une tape derrière la tête.
Mon expression fit rire Ashyrel. Anjali, elle, me chuchota à l’oreille :
— Tu fais craquer tout le monde, plaisanta-t-elle.
Je grognai quelque chose d’inintelligible, ce qui augmenta leur amusement. Je m’approchai de Dean.
— On s’en fout, non ? souris-je.
Il finit par se détendre et il m’embrassa brièvement.
— Tu as raison.
— Et puis, tu as ton fan club, toi aussi, fis-je remarquer.
Je désignai du menton un groupe de femmes qui pensaient l’observer avec discrétion.
— Je les avais oublié, celles-là, grommela-t-il.
Sa réponse me fit rire.
— Nous devons aller retrouver les autres, lâcha-t-il sans entrain.
— Ça va aller ? m’enquis-je. Je pourrais venir si jamais…
Il secoua la tête.
— Ne t’en fais pas, me rassura-t-il. Je préfère largement que tu ailles t’amuser.
Ashyrel se tint à mes côtés. Anjali me prenait déjà la main pour me tirer vers le buffet.
— T’inquiète pas, Dean, on va prendre bien soin d’elle ! répliqua le corbeau.
Dean roula des yeux, mais pour une fois, je le vis sourire – même faiblement – à mon ami.
— Je vous fais confiance pour ça, fit-il avec sarcasme.
— Si j’étais toi, je ne le ferais pas, ricana Nabarun.
Sur ce, on me guida jusqu’à une table recouverte de nourriture et de boissons. Swann, qui était restée en retrait, ainsi que Sage, déposèrent des plats que nous avions concoctés.
Je ne pensais pas que le singe hurleur nous accompagnerait, puisqu’elle était assez renfermée et semblait bien mieux se porter en restant à l’écart des foules, pourtant, elle était bien là. J’avais été étonnée quand elle avait assuré qu’elle viendrait.
Parfois, nos regards se croisaient, et sa proposition concernant son aide pour mon pouvoir me trottait dans la tête. Entre nous, il y avait une certaine tension, l’attente d’une décision.
Celeste nous retrouva. Elle avait un verre contenant un liquide ambré dans la main.
— Enfin ! Je culpabilisais presque d’ouvrir les festivités toute seule, railla-t-elle avant de boire une longue gorgée.
Mes yeux se perdirent dans l’infinité des mets proposés. Rapidement, je me composai une assiette assez variée. Mon estomac criait famine. Heureusement que la musique le cachait.
La cobra passa un bras autour de mes épaules et lança à la ronde :
— Chers membres du clan Sparks, et autres invités. (Elle jeta un regard à Ashyrel et Tony.) J’ai réservé une table afin que nous puissions nous amuser par divers jeux à boire. Qui m’aime me suive !
Je fus perplexe.
— Parce que tu as réussi à réserver une table au milieu de cette cohue ? Juste pour nous ? Alors que tu n’y es même pas pour la garder ?
Elle prit un air pensif pendant quelques secondes.
— Ok, j’ai peut-être formulé quelques menaces bien placées afin qu’on nous foute la paix et qu’on comprenne que cette table est pour nous.
Je ris. Je n’en attendais pas moins d’elle.
Sadie lui tapa dans la main, suivie par son jumeau, ainsi qu’Anjali et Nabarun. Swann soupira doucement en les suivant, Tony fit un clin d’œil à Celeste, Ashyrel avait l’air absolument ravi à la perspective de boire et moi, je mis également un bras autour des épaules de la cobra, mon assiette dans l’autre main.
Je commençais à être complètement ivre.
J’avais perdu – mais de peu, je tiens à le préciser – contre Ashyrel au bière-pong, et mon équipe composée d’Anjali, Sadie et Tony avait échoué face à celle de mon meilleur ami, de Celeste, Nabarun et de Sage. Swann nous regardait, mais ne jouait pas avec nous, se contentant de sourire de temps en temps à nos bêtises.
De plus, les jumeaux n'ayant pas l'âge légal pour boire, nous buvions les verres perdus à leur place, quand c’était leur tour. Et puisque c’était Celeste qui s’était occupée de l’alcool, les boissons étaient chargées. Le monde avait commencé à tourner.
C’était pour cela que nous avions décidé de faire un autre jeu, pendant lequel nous pourrions être assis. Mais il n’était pas beaucoup plus intelligent. Nous nous étions donc lancés dans une partie d’action ou vérité. Sauf qu’ici, la cobra ayant récupéré un bol remplit de piments, lorsque nous ne voulions pas répondre ou exécuter l’action, nous devions en manger. Nous avions dû remplir des papiers et nous tirions au sort notre défi. Et évidemment, il fallait que ce soit le plus gênant possible.
À la partie d’avant, je n’avais pas vraiment compris cela, et Celeste avait fini par déclarer avec mes questions « Quel est ton plus grand rêve ? » ou « Qu’est-ce que tu achèterais avec un million de dollars », que mes défis étaient bannis du jeu. Et comme je n’étais pas la seule, nous avions recommencé depuis le début.
Finalement, cela tournait beaucoup autour du sexe. Pour ne pas dire que autour de ça.
Celle qui était la plus à plaindre, pour le moment, était Anjali : puisque son frère était présent, il y avait beaucoup de questions auxquelles elle n’osait pas répondre. Et Celeste le faisait exprès pour qu’elle perde. La dernière en date était « Avec combien de personnes as-tu couché ? ». Elle avait encore les yeux rougis à cause du piment. Mais, l’alcool aidant et sa tolérance au piquant diminuant, elle finit par déclarer qu’elle n’en avait plus rien à faire et qu’elle ne mangerait plus ces trucs.
Nabarun était dans la même situation, mais heureusement pour lui, les questions avaient été moins gênantes, et il s’en était bien sorti avec les actions. Jusqu’à ce qu’Ashyrel pioche un papier pour lui et lise :
— As-tu déjà couché avec plusieurs personnes à la fois ?
Nabarun ne réfléchit même pas et mordit dans un piment, ce qui revenait à un aveu. Les yeux d’Anjali s’écarquillèrent.
— Ah bon ? s’étonna-t-elle.
— Je n’ai pas répondu ! contra son frère, qui grimaçait en mâchant.
— C’est tout comme, rétorqua-t-elle. Tu aurais pu t’épargner le piment, on a tous comprit.
— Swann, t’es sûre que tu veux pas jouer ? demanda Sage.
L’intéressée secoua la tête avec un petit sourire.
— Ok, alors c’est à moi, poursuivit-il.
Il attrapa un papier plié en deux.
— Question pour Sadie. Alors…
Il nous jeta un regard blasé.
— Franchement, elles sont débiles vos questions, grommela-t-il.
— Hé ho, intervint Celeste. Ça te fait bien rire quand ça ne concerne pas ta sœur ou toi.
— C’est écrit quoi ? s’impatienta Sadie.
Tony lui prit le papier des mains et le lut :
— « Quelle est ta position préférée » ?
Je crus que Sage allait s’arracher les cheveux en voyant sa sœur réfléchir. J’éclatai de rire. Finalement, elle prit plutôt un piment.
— Vous êtes pénibles, à jamais répondre, tous ! s’agaça Celeste, qui, elle, n’hésitait pas une seconde à jouer le jeu, à chaque fois.
Sage eut l’air soulagé de ne pas savoir.
— Le prochain est pour Anjali, déclarai-je. (Je pris un papier dans la coupelle et le dépliai. Je manquai de m’étrangler.) Embrasse ton voisin de droite.
Nous les regardâmes tous, son voisin de droite et elle. Il s’agissait d’Ashyrel. Elle me lança un regard accusateur et je tentai de lui faire comprendre par le mien que je n’y étais pour rien. Sachant que je lui avais parlé du corbeau en la soupçonnant d’être attirée par lui, elle devait penser que je le faisais exprès.
L’intéressé haussa un sourcil et tourna son visage vers elle. Il lui fit un sourire en coin.
— Ne te force pas, bien sûr, dit-il.
Elle finit par hausser les épaules.
— Ce n’est qu’un jeu, répondit-elle.
Elle se pencha vers lui et plaqua ses lèvres sur les siennes. En voyant cela, Celeste émit un cri de victoire avant de vider son verre. Elle aussi, elle était bien éméchée.
Cela dura plus longtemps que nécessaire, au point que Nabarun finit par détourner le regard, que Swann cacha mal un sourire et que des ricanements s’élevèrent autour de la table. Nos deux amis semblaient avoir oublié que nous étions là. Je pris une chips afin de me concentrer sur autre chose. Mais cela ne suffit pas.
Je finis par me racler la gorge, sur le point d’exploser de rire.
— On continue ? m’enquis-je.
Ils se séparèrent enfin, revenant à la réalité.
— Pour Lyn, maintenant ! fit Anjali, les joues encore un peu rouges.
Elle se chargea d’attraper un papier, alors que ce n’était pas son tour, pour se donner une contenance. De son côté, Ashyrel agissait comme s’il ne s’était rien passé, mais je plissai les yeux dans sa direction. Il me renvoya un air interrogateur. Mes iris semblèrent dire : « Te fous pas de moi. » Il abandonna notre duel de regards.
— Fais-nous une démonstration de danse du ventre, lut Anjali.
Je me tournai vers elle, les yeux ronds.
— Je ne sais pas faire ça, paniquai-je.
— Tu veux dire que tu manges un piment ? me défia-t-elle, sournoise.
Je grimaçai. Je n’avais pas envie de goûter ça.
Bon.
Je me levai de ma chaise et le monde tangua pendant quelques secondes.
— Sur la table ! s’exclama Celeste.
— J’ai déjà du mal à tenir debout, protestai-je, le ton plaintif.
— C’est deux piments, sinon.
— Tu déconnes ?
— Non. Je modifie exceptionnellement les règles parce que je veux vraiment voir ça.
Je pinçai les lèvres, essayant de réfléchir à une solution. Mais mon esprit pataugeait dans la semoule. Je pouvais peut-être m’enfuir en courant ? Si je n’avais pas peur de tomber à peine un mètre plus loin en me prenant une chaise.
Puis, finalement, mon esprit de compétition se réveilla et je finis par hocher la tête.
— Ok. Aidez-moi à grimper, fis-je.
Des acclamations encourageantes retentirent en réponse. Pour me donner du courage, je vidai mon verre d’un trait. Sur le moment, je pensais vraiment que c’était une bonne idée.
Ils espacèrent les objets sur la table pour me laisser de la place, puis Nabarun et Ashyrel tinrent mes mains afin que j’aie un appui en montant. Arrivée à ma destination, je détachai mes chaussures et les jetai quelque part. Pas loin, en tout cas. Du moins, je l’espérais.
Je levai les bras pour que leurs cris soient plus forts, comme si je ne pouvais pas le faire s’ils n’étaient pas assez enthousiastes. J’étais finalement prise dans l’euphorie du moment. J’en oubliai même que je pouvais tomber de la table à chaque instant.
Une fois stabilisée, je me mis à onduler des hanches et à me trémousser d’une manière très approximative, sous les applaudissements de mes camarades. J’avais à peine conscience que nous venions d’attirer l’attention d’une partie de la salle. Je m’amusais comme une folle, et cela ne m’était encore jamais arrivé.
Je me mis à rire, même si je devais me ridiculiser. J’étais galvanisée par l’enthousiasme qui régnait. Finalement, cette réunion n’était pas si horrible. Du moins, pas pour nous, en tout cas.
Mon pied glissa sur une flaque d’alcool, et je tombai à la renverse dans un cri de panique. Je faisais moins la fière, d’un coup.
Je sentis des bras me réceptionner. Je mis quelques secondes à réaliser que ma tête n’avait pas rencontré le sol et ne le ferait pas. Devant moi, je voyais les autres, levés, prêts à m’aider, mais qui s’étaient arrêtés dans leur élan, en voyant que je n’avais plus besoin d’aide. Ils étaient encore surpris et l’inquiétude avait à peine eu le temps de gagner leur visage. Celeste brisa le silence en se mettant à rire. Elle souleva ensuite son verre bien haut en clamant :
— À notre danseuse !
Consternée, je vis mes amis brandir leurs boissons à leur tour et les vider d’un trait.
Je levai les yeux et vis le visage de Dean au-dessus du mien. Il avait l’air à la fois exaspéré et amusé.
— Oups ? fis-je en retenant un fou rire.
Il laissa échapper un soupir puis secoua la tête, en m’aidant à me remettre sur mes pieds.
— Tu sais que le coup du chevalier servant qui vient secourir la princesse, c’est hyper cliché ? souris-je.
— La prochaine fois je te laisse tomber, alors, répliqua-t-il.
Je lui assénai une tape sur le bras.
— Je t’ai vu monter sur la table et te mettre à danser alors que tu es visiblement… (Il me jaugea du regard.) … saoule. Je craignais pour ta survie, plaisanta-t-il.
Je mis la main sur mon cœur, en un geste théâtral.
— C’est très prévenant de ta part, répondis-je.
Je fis une moue boudeuse.
— Je ne suis pas si bourrée que ça…
Il haussa un sourcil. Je tentai de soutenir son regard, mais j’abandonnai très vite la lutte.
— Ok, t’as gagné. Je le suis. (Je reniflai.) Je n’ai pas battu Ash.
— C’est-à-dire ?
— Il a refusé de perdre au bière-pong.
— J’ai refusé de perdre ? me lança l’intéressé. C’est plutôt que l’idée de marquer ne serait-ce qu’un point ne t’a pas effleurée.
— Mais je ne lui ai laissé que très peu d’avance, fis-je plus fort en m’adressant à Dean, en essayant de couvrir les paroles du corbeau.
— On te croit tous, Lyn, rétorqua mon ami.
J’adressai un doigt d’honneur à Ashyrel, qui se mit à rire.
Je me rassis à ma place et Dean tira une chaise pour se joindre à nous. Anjali m’adressa une moue approbatrice.
— Très bon déhanché, me complimenta-t-elle.
Je n’étais pas sûre que ce soit véridique. Elle était aussi ivre que moi. Voire plus. Néanmoins, je lui renvoyai un sourire ému. C’était plus fort que moi.
— À quoi vous jouez ? s’enquit Dean en avisant les papiers et le bol rempli de piments.
— Tu vas voir, répondit Nabarun. Question pour Celeste : quel est le rôle le plus bizarre que tu aies pu jouer pendant l’acte ?
Nous relevâmes tous la tête en entendant cette interrogation. Je ne savais pas si j’avais envie de savoir ou non. Surtout qu’elle allait forcément répondre.
— Il était branché Pokémon. J’ai accepté de me déguiser en Pikachu.
Je faillis m’étrangler avec ma gorgée de pina colada. Je masquai une quinte de toux derrière ma main. Tony éclata de rire.
— Le contexte était qu’il venait juste de m’attraper dans sa Poké Ball. Sauf que là, la boule c’était plutôt…
— On ne veut pas en savoir plus, la coupa Swann, plus loin.
— Ça devait être marrant, observa Sadie.
— Je pourrais me glisser dans le rôle que tu veux, pour toi, lança Tony pour taquiner Celeste.
Elle lui souffla un baiser en réponse.
— D’accord je vois en quoi consiste ce jeu, lâcha Dean.
— Ashyrel, reprit Sadie. Pourrais-tu coucher avec quelqu’un présent à cette table ?
Je retins mon souffle. Si mes théories s’avéraient vraies, alors il devrait répondre positivement.
— Oui, répondit-il en haussant une épaule, l’air détaché.
Je le savais. Et je savais aussi de qui il parlait. Cette personne, d’ailleurs, masqua légèrement son visage grâce à ses cheveux, afin qu’on ne la voit pas rougir.
— Qui ? l’interrogea Celeste, qui paraissait intéressée par ce qui se disait.
— Ah, on ne m’a pas dit que je devais dire qui, juste oui ou non, la corrigea-t-il en levant les mains.
— Ok alors à mon tour et j’ai une question pour toi, rétorqua-t-elle. Qui ?
— Tu n’as pas pioché de papier ! protesta-t-il.
Elle garda les yeux fixés sur lui et saisit un défi au hasard. Elle ne fit même pas semblant de le lire, puis le reposa.
— Qui ? insista-t-elle.
— Arrête de changer les règles ! grommelai-je. Tu l’as déjà fait avec moi.
— De toute façon je ne répondrai pas, conclut le corbeau avec un sourire en coin.
Anjali parût soulagée. Tiens, tiens.
Celeste s’avoua vaincue et se laissa retomber sur sa chaise, avec un air frustré.
— C’est au tour de Lyn de répondre, d’ailleurs, argua Ashyrel. Celeste, passe-moi le papier dont tu t’es servie pour mentir.
Elle le lui donna en boudant toujours. Les yeux d’Ash parcoururent les mots puis il éclata de rire. Cela ne me disait rien qui vaille. Je me raidis, m’attendant au pire.
— Lyn, je doute que tu répondes à ça. (Il regarda Dean.) Et si tu le fais, ça va être marrant.
Mon compagnon fronça les sourcils.
— Quels sont les fantasmes que tu aimerais le plus réaliser ? asséna-t-il.
Il y eut un grand silence autour de la table, puisqu’ils attendaient tous ma réponse. Pour ma part, je restai bouche-bée. Surtout que j’avais bien conscience que Dean aussi, me regardait. Néanmoins, je ne savais pas s’il avait vraiment envie que je le dise devant tout le monde ou s’il voulait savoir aussi.
Enfin, j’étais certaine qui voudrait le savoir, mais sûrement pas dans ces conditions.
Mes joues se teintèrent de rouge alors que des tas d’images traversaient mon esprit, nous impliquant, Dean et moi, dans diverses situations hautement érotiques.
— Alors ? me taquina Celeste. Tu ne dis rien ?
Ashyrel croisa les bras avec un sourire en coin. De son côté, Tony commençait déjà à pousser le bol de piments dans ma direction. Il avait compris.
— Tu sais ce qu’il faut faire, si tu ne réponds pas, me dit-il.
J’en pris un et le mis dans ma bouche sans hésiter une seconde de plus. Je le mâchai rapidement et l’avalai, mais cela ne servit à rien, puisque la brûlure se fit tout de même ressentir avec une intensité que je n’aurais pas imaginé pour un si petit aliment.
J’eus les larmes aux yeux et commençai à tousser. Je mis ma tête dans mes mains et posai les coudes sur la table, le temps que ça passe.
— Il est débile ce jeu, m’étranglai-je, de mauvaise foi.
Dean frotta mon dos et j’entendis les autres rire.
— La roue tourne ! se réjouit Anjali dans mon malheur.
— Ça va Lyn ? ricana Sage.
— Oui, mentis-je. Je réfléchis, c’est tout.
J’essayais de justifier ma position mais pas besoin d’être un génie pour deviner que je voulais seulement cacher mon visage écarlate.
Il me fallait du lait. Ou du pain. Et très vite. Puisque je n’avais rien de tout cela sous la main, je piochai dans les chips. C’était ça, ou rien.
Les autres poursuivirent le jeu et je finis par relever la tête lorsque je me sentis mieux. Je croisai le regard de Dean, qui pétillait. Avec malice, il se pencha vers moi et me chuchota à l’oreille :
— J’aimerais bien connaître la réponse, moi.
Cette fois, ce ne fut pas à cause du piment que je rougis. Je finis par sourire malgré ma gêne et soufflai :
— Si t’es sage.
Chapitre 21
Chapitre 23