Esther [Action, Romance]

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ge-choux

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Esther [Action, Romance]

Message par ge-choux »

Bonjour,

Voici une histoire que j'ai déjà bien entamée. Pour l'instant 5 chapitres sont déjà finis.
J'espère que la lecture vous plaira. Bien sûr n'hésitez pas à être les plus honnêtes possibles dans vos commentaires, cela m'aidera à m'améliorer :)

Merci et bonne lecture.

Résumé :

Esther vient de quitter son compagnon de longue date. Se pensant libérée de toute emprise, elle découvre qu'un dangereux ami lui veut du bien, faisant disparaitre un à un tous les obstacles vivants de sa vie. Entre inquiétude et soulagement, pertes et retrouvailles, arrivera-t-elle à devenir suffisamment forte pour évoluer dans ce nouveau monde, aussi noir que lumineux ?

Chapitre 1 : Rupture

Le bruit autour d’eux était assourdissant. À leur droite, une mère hystérique tentait de calmer ses deux enfants en train de se disputer pour un stupide jouet en kit. Mal à l’aise dans cet espace confiné embaumant la graisse brûlée, elle regardait son partenaire avec un certain dégoût. Après six années de relation, elle ne parvenait plus à ressentir autre chose pour lui. Les mains sous le menton, les coudes dans son plateau, elle l’observait sans un mot. Il n’aimait pas parler à table. D’ailleurs, il n’aimait pas grand-chose hormis les frites industrielles noyées sous une dose massive de ketchup.

— Tu ne le manges pas ? lui demanda-t-il en pointant son doigt huileux sur son hamburger.

Elle répondit par la négative avant de poser l’objet de ses désirs sur son propre plateau. Satisfait, il se jeta littéralement dessus pour l’engloutir en trois bouchées. De la sauce orange dégoulinait à la commissure de ses lèvres. Il l’essuya d’un revers de manche.

Lorsqu’il eut absorbé la totalité des deux menus, Esther s’éclaircit la gorge pour faire son annonce.

— Eddy, lança-t-elle à voix haute pour passer au-delà du tumulte.

Celui-ci sembla enfin la voir pour la première fois depuis le début du repas. Il fronça ses lourds sourcils blonds, suspicieux. Soudain, tout devint réel. Elle qui s’était préparée depuis plusieurs semaines se trouva intimidée. La pression du regard d’Eddy sur sa personne la fit perdre pied. Plusieurs mots sortirent de sa bouche, mais aucun n’avait de sens.

— J’attends, s’impatienta-t-il.

Esther prit une grande inspiration et resserra ses doigts sur ses cuisses frêles en espérant se donner un peu plus de courage. Elle connaissait Eddy. Ses réactions étaient tellement aléatoires qu’elle ne savait pas s’il allait rire ou se jeter sur elle. Dans tous les cas, elle avait choisi ce lieu en croyant se protéger par l’auditoire.

— Je te quitte, lui annonça-t-elle.

Immédiatement, elle se sentit toute légère. Après des années sans amour, elle avait la sensation d’avoir enlevé le boulet qui était accroché à sa cheville. Toutefois, son soulagement ne fut que de courte durée. Les poings d’Eddy se refermèrent tout doucement de part et d’autre du plateau. Eddy enfonça ses yeux les plus sombres dans les siens prêt à riposter. Sa mâchoire se mit à bouger sous sa peau pâle comme s’il essayait de contenir sa colère.

— Vraiment ? lui demanda-t-il dans un murmure glacial.

Incapable de parler, Esther hocha la tête. Tous les muscles de son corps se contractèrent, tétanisés par la peur.

— Tu n’es pas heureuse avec moi malgré tout ce que j’ai fait pour toi ?

Lorsqu’ils s’étaient rencontrés au lycée, Esther n’avait que quinze ans et lui presque dix-huit. Pendant plusieurs mois, elle l’avait regardé de loin, impressionnée par son assurance et son côté rebelle. Un jour, ils s’étaient retrouvés tous les deux devant l’infirmerie de l’établissement. Lui venait chercher un pansement pour recouvrir une ancienne plaie qui s’était ouverte et elle feignait un mal de ventre pour être dispensée de son cours de natation. Ce fut la première fois qu’il porta son regard sur elle. Il fut séduit par la timidité d’Esther et par son introversion. Malgré leur caractère opposé, chacun trouvait chez l’autre une forme de complémentarité.

Esther, qui avait grandi sans père, devait prendre soin de sa mère mentalement instable. C’était un travail à plein temps qui l’avait rendue mâture très jeune. Lorsqu’il fut conscient de la situation, Eddy avait insisté pour lui venir en aide. Il conduisait Esther en ville pour qu’elle puisse faire les courses, la ramenait chez elle quand elle avait raté le bus et surtout lui donnait le sentiment d’être une fille normale.

— Je n’oublierais jamais tout ce que tu as fait pour moi, répondit-elle avec une grande sincérité. Jamais.

— Alors pourquoi es-tu aussi ingrate ? la questionna-t-il avec reproche.

La culpabilité s’immisça dans son esprit, mais fut vite effacée par les souvenirs. Après une année de relation, le visage d’Eddy s’était métamorphosé. Il avait quitté le lycée sans avoir obtenu son baccalauréat et, après quelques missions d’intérim, avait décidé qu’il n’était pas fait pour travailler. Il était devenu très possessif avec Esther, l’empêchant presque de vivre sa vie comme elle l’entendait. Le jour de ses vingt ans, elle le prit sur le fait, en train de coucher avec une fille qui lui était inconnue. Malgré la tromperie, elle l’avait pardonnée, bien consciente que sans lui, elle n’était plus rien. Eddy s’était excusé, mais, au lieu de calmer le jeu, il avait multiplié les adultères. Impuissante et dépendante de lui, Esther avait une nouvelle fois fermé les yeux, mais l’amour n’y était plus. Plus elle prenait ses distances et plus il devenait jaloux. Dès qu’elle s’habillait un peu, il l’empêchait de sortir, dès qu’elle refusait de le voir, il venait garer sa voiture devant chez elle, vérifiant qu’elle ne quittait pas sa maison en douce pour sortir.

— Tu sais pourquoi je pars, soupira-t-elle sans pouvoir le regarder en face.

— Est-ce que tu vois quelqu’un ? lui demanda-t-il totalement à côté de la plaque.

— Non Eddy, c’est par rapport à l’autre jour.

La surprise se lut sur son visage. Il ne comprenait vraisemblablement pas ce qu’elle avait à lui reprocher. Pourtant, la semaine passée, Esther était rentrée plus tard du travail. Comme d’ordinaire, Eddy l’attendait devant chez elle et se mit à l’accabler. Esther avait tenté de se défendre, mais il n’avait rien écouté. Avec fureur, il l’avait giflé avec tellement de force qu’elle en été tombée inconsciente. Cet incident la rappela à l’ordre. Elle comprit qu’elle devait partir pour se protéger.

— Je ne vois pas où tu veux en venir, expliqua-t-il. Si c’est par rapport à notre dispute, je me suis déjà excusé.

— Cette fois, je ne peux pas te pardonner, répondit Esther d’une voix tremblante.

Le visage d’Eddy vira au rouge.

— Pourquoi cette fois ? s’énerva-t-il. Tu devrais le savoir que je suis un homme impulsif. Alors, c’est vrai, j’ai tendance à frapper des choses pour me calmer, mais d’habitude tu ne dis rien.

— Ce ne sont pas des choses que tu frappes, rétorqua-t-elle en se remémorant les scènes les plus marquantes de leur histoire.
— Pour qui tu me fais passer ? s’agaça-t-il. Qu’est-ce qu’il te prend ?

— J’ai cru que j’allais mourir ! explosa Esther avant de prendre sa tête entre ses mains.

Tout son être se mit à trembler. Les gens autour d’eux s’étaient arrêtés. En silence, Esther se leva de son siège, intimidée par tous ces regards inquisiteurs.

— J’ai cru que j’allais mourir, répéta-t-elle dans un murmure, les yeux brouillés par les larmes.

Eddy se leva à son tour et tendit un bras vers elle. Immédiatement, elle eut un mouvement de recul.

— Tu es une salope, grogna-t-il entre ses dents serrées malgré l’auditoire.

— Les gens nous entendent, le prévint-elle à voix basse.

— Et bien qu’ils écoutent, rétorqua-t-il encore plus fort en renversant son plateau. Qu’ils entendent tous à quel point tu sais montrer ton cul pour obtenir ce que tu veux.

En cet instant, Esther aurait aimé pouvoir se cacher dans un trou. Malheureusement, personne n’arrivait à ignorer cette scène. Elle qui n’aimait vraiment pas être mise en avant, se trouva être le clou du spectacle.

— Tout le monde devrait savoir que tu n’es qu’une petite pute.

Pour ponctuer la scène, il attrapa son gobelet de cola et lui envoya au visage. Esther s’essuya avec sa chemise, mais sentit le sucre lui coller la peau.

— Casse-toi avant que je ne m’énerve davantage ! lui ordonna-t-il.

Obéissante, Esther se leva à son tour, dissimulant l’humiliation du mieux qu’elle le pouvait. Elle récupéra ses affaires, mit son manteau et s’éloigna de lui aussi vite que possible. Dans sa hâte, elle bouscula un jeune homme qu’elle ne prit même pas la peine de regarder et qui pourtant n’avait rien raté de la scène.

Elle se retrouva sur le parking bondé, encore sous le choc. À présent seule, elle laissa ses émotions retomber. Un vent frais ramena quelques mèches de ses cheveux bruns sur son visage. Malgré la tournure des évènements, Esther était soulagée. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle se sentit libre. Mais libre n’était qu’un simple mot, car dans les faits, elle n’était pas plus indépendante qu’avant. Sans chauffeur et sans bus, elle dut bien se résoudre à rentrer chez elle à pied.

Cette soirée était fraiche, très fraiche. Sous son manteau, Esther grelottait. Ses doigts, rangés dans ses poches, devaient déjà être bleus. Sa marche, plutôt active, ne parvenait pas à la réchauffer. Au bout de quelques minutes, ses pieds lui faisaient mal dans ses petites bottines en cuir. Une ampoule avait probablement dû se former au niveau de son talon. La douleur la fit grimacer, mais elle ne s’arrêta pas pour autant. Arrivée devant la plus grosse côte de la région, elle mit les mains sur ses hanches et souffla un bon coup.

Une camionnette s’arrêta à sa hauteur. La vitre côté passager s’ouvrit et l’homme au volant se pencha pour lui parler.

– Tu veux que je te ramène ? lui demanda-t-il avec une gentillesse exagérée.

Esther se baissa vers le conducteur, mais ni les photographies de femmes nues accrochées à son pare-soleil ni les outils de chantier sous le siège ne l’encouragèrent à entamer la discussion.

– Où vas-tu comme ça ? Je peux te raccompagner jusqu’à chez toi, insista-t-il.

– Je ne suis plus très loin, expliqua-t-elle. Je peux gérer.

Le ton peu convaincu de sa voix fit rire le conducteur. Le cœur d’Esther se mit à battre très fort quand il sera le frein à main. Esther tenta nerveusement d’attraper son téléphone portable dans sa poche, mais l’échappa aussitôt sortie de celle-ci.

– Qu’est-ce que tu fais ? Je te fais peur ? Tu ne devrais pas, poulette.

Quand l’homme ouvrit la portière, elle était tétanisée. À la lumière des réverbères, Esther constata qu’il avait bien une quarantaine d’années et un visage menaçant. Malgré la petite taille de la ville, elle fut certaine de ne jamais l’avoir croisé. Même s’il était grassouillet, elle savait pertinemment que ses chances de prendre la fuite étaient faibles. Deux options s’offraient à elle : ou gravir la côte en courant, ce qui l’essoufflerait au bout de quelques mètres, ou faire demi-tour et risquer de se retrouver dans une zone industrielle dans laquelle il pourrait la faire disparaitre sans problème.

– N’approchez pas, s’exclama-t-elle malgré la peur.

Les mots n’eurent aucun effet sur l’homme qui s’avança dans sa direction. Le sourire sur ses lèvres devint de plus en plus large. Esther fit un pas en arrière et regarda autour d’elle pour envisager des options. La maison la plus proche devait être à une centaine de mètres.

– Arrêtez ou je crie, le prévint-elle.

– Il n’y a personne ici, rétorqua-t-il dans un rire.

L’homme déboutonna le premier bouton de son jean avant de glisser sa main à l’intérieur. Il dévisagea Esther, la bouche ouverte. Il manipulait son jouet avec insistance si bien qu’elle en eut un haut-le-cœur. Jamais elle n’aurait pensé tomber sur un pervers exhibitionniste dans cette ville.

– Tu sais quand je t’ai vue partir seule du resto, après avoir agacé ce petit merdeux, j’ai eu envie de te filer une petite correction. J’ai eu envie de te coincer dans un coin aussi silencieux que celui-ci pour te faire crier un peu.

– Je ne suis pas intéressée, répondit-elle fébrilement.

– Ce n’est pas ce que j’aurais pensé après ce que j’ai entendu. Tu voudrais peut-être que je te paie ? Je dois avoir quelques billets dans ma boîte à gants. Si ça peut te rendre un peu consentante, je peux bien faire l’effort.

Devant le silence d’Esther, complètement choquée, l’homme insista de nouveau.

– Écoute, j’ai juste besoin de me vider les couilles. Que tu acceptes ou non cet argent, je te remplirais quand même.

Ses mots firent tressaillir Esther. C’en était trop. Elle décida de tenter sa chance en prenant la fuite. Elle s’élança avec énergie pour gravir la côte, mais, rapidement, l’air glacial lui coupa le souffle. L’homme s’était mis à sa poursuite et ne mit pas longtemps à la rattraper. Il empoigna son épaule et la projeta au sol.

– Arrêtez, hurla-t-elle.

Le quadragénaire se mit à rire tout en l’empoignant par les cheveux.

Alors qu’elle se croyait perdue, Esther vit arriver une voiture à vive allure. Lorsque la berline arriva à leur hauteur, elle pilla nette. La fumée du pot d’échappement qui s’échappait dans l’atmosphère froide accentuait le côté lugubre de la scène. Surpris, son agresseur s’éloigna de quelques pas et tenta à son tour de prendre la fuite. Il fit quelques grandes enjambées pour tenter de regagner son véhicule, mais, à peine eut-il parcouru les premiers mètres que la voiture réaccéléra pour foncer droit sur lui. En quelques secondes, la vitesse et la puissance de l’impact firent voler l’homme qui s’écrasa quelques mètres plus loin sur le bitume, inconscient.

Ses membres n’avaient plus une position naturelle et une mare de sang commençait à se créer autour de sa tête. La probabilité qu’il soit mort était presque certaine. Dégoutée par la scène, Esther détourna son attention vers la voiture qui s’était mise à l’arrêt sur le bas-côté. Ses phares encore allumés et le pare-brise explosé rendaient toute la scène encore plus réelle.

– Rentre chez toi, entendit-elle.

Esther reconnut la voix grave, mais douce d’un homme.

– Est-il mort ? demanda-t-elle.

– Rentre chez toi, répéta-t-il avec plus d’autorité. Ce soir, tu es sortie du restaurant et tu es immédiatement rentrée chez toi. Tu n’as croisé personne. Il faisait froid. Répète-toi ce que je viens de te dire jusqu’à ce que tu le crois.

Le ton menaçant de l’individu lui fit des frissons dans le dos.

– Comment vous saviez que j’étais au restaurant ? l’interrogea-t-elle inquiète.

– Je t’ai vu au restaurant, répondit-il dans un grognement. Rentre chez toi maintenant. Ne pose pas de question. Tu n’aurais pas envie de te trouver à côté d’un cadavre quand la prochaine voiture passera dans cette rue, si ?

Esther jeta un dernier coup d’œil au corps inerte de son agresseur et acquiesça. Étrangement, le fait de voir la mort pour la première fois ne lui fit aucun effet.

– Vous avez raison.

Elle rajusta son manteau et reprit sa route, éclairée par les phares de la berline. Elle se retourna soudain, consciente d’avoir oublié quelque chose.

– Merci ! lança-t-elle.

L’homme sortit une main du véhicule, déjà habillée d’un gant en latex, et lui fit signe d’avancer. Qui, en dehors des soignants et des tueurs en série, se promenait avec de tels équipements ? Un frisson lui parcourut l’échine. Bien décidée à ne pas revivre une autre scène d’horreur, Esther accéléra le pas. Toutefois, lorsqu’elle entendit la portière s’ouvrir, elle ne put s’empêcher de se retourner. C’est là qu’elle vit une grande silhouette déployer, à côté du corps de l’individu, une immense bâche en plastique. Ce geste eut l’effet d’une claque. Ce soir, un homme était mort.
ge-choux

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Esther [Action, Romance] - Chapitre 2

Message par ge-choux »

Chapitre 2 : Réalité

Lorsqu’elle se réveilla ce matin-là, Esther ressentit une vive douleur en bas du dos. Elle ferma les yeux tout en palpant la zone du bout de ses doigts fins, se remémorant la chute qu’elle avait faite la veille. À chaque appui, elle grimaçait de douleur. Curieusement, les évènements de la veille ne l’avaient pas du tout empêchée de dormir. Elle se rendait bien sûr compte que ce qu’elle avait vécu était loin d’être habituel et que, par la force des choses, elle avait été complice d’un meurtre. Elle aurait certainement dû être traumatisée ou choquée, mais il n’en était rien. Cela était, pour elle, encore une bizarrerie de sa vie.
Esther vivait avec Hélène, sa mère. En descendant les marches en bois de leur maison de bourg, elle s’attendit à la voir aux fourneaux, en train de cuisiner un plat qu’elles ne mangeront probablement jamais. Il n’en était rien. Sa mère était à la fenêtre, en train d’espionner les passants comme elle le faisait parfois.

– Bonjour, lança Esther.

Immédiatement, Hélène se tourna vers elle, un sourire immense sur les lèvres. Sa mère n’avait pas encore cinquante ans, mais en paraissait soixante. Son visage entier était parsemé de petites ridules qui lui donnaient des allures de grand-mère précocement.

– Je ne voulais pas te réveiller, lui expliqua-t-elle en remontant son pantalon bien trop grand pour elle. Il y a des gendarmes partout dehors.

Esther s’approcha à son tour de la fenêtre remplie de tension. Sur la place, plusieurs groupes de gendarmes et quelques maitres-chiens s’étaient attroupés pour écouter les directives de leur supérieur. Avaient-ils découvert le corps de l’homme ? Étaient-ils déjà remontés jusqu’à elle ?

– Tu sais quelque chose ? se renseigna sa mère.

– Non, répondit-elle d’une voix qu’elle voulait sereine. C’est probablement un exercice. Rien ne se passe jamais dans cette ville, pourquoi voudrais-tu que cela change ?

Le mensonge lui vint très naturellement. Sa mère souffrait d’agoraphobie que ni les médecins ni les psychologues n’arrivaient à calmer. D’après eux, Hélène avait développé cela peu après sa naissance, à la suite d’une agression brutale qui l’avait conduite à une hospitalisation de plusieurs mois. À son retour au domicile, elle s’était mise à faire de violentes crises de paranoïa qui ne s’apaisaient qu’avec les comprimés prescrits par les psychiatres. Ce fut pourquoi, pendant les premières années de son existence, elle fut placée chez la sœur de son défunt père dont elle n’avait plus aucun souvenir.

Sa mère eut de nouveau le droit de garde quand Esther entra en primaire. Les médecins et les juges avaient convenu qu’elle ne présentait plus aucun risque pour sa fille. En effet, même si elle n’était pas une maman traditionnelle, Hélène n’avait jamais souhaité faire de mal à son enfant.

– Tu essaies de me ménager, devina sa mère.

Esther haussa les épaules tout en laissant planer le doute. Au fil des années, ce fut elle qui prit la place de l’adulte dans le foyer, protégeant sa mère du mieux qu’elle le pouvait.

– Qu’est-ce que tu veux qu’il arrive ? lui demanda Esther pour la raisonner.

Alors qu’elle terminait sa phrase, on frappa à la porte. Sa mère sursauta en émettant un petit cri.

– Je vais aller ouvrir, proposa Esther.

– Tu ne les fais pas rentrer, l’implora sa mère. Je ne les connais pas.

Esther hocha la tête et se dépêcha de rejoindre l’entrée. Avant d’ouvrir, elle prit une profonde inspiration, répétant une dernière fois les propos de son sauveur nocturne. Une fois toutes ces idées inscrites dans son esprit, elle déverrouilla les cinq serrures qu’avait fait installer sa mère et fit face aux deux gendarmes.

– Esther Mercier ? demanda l’un d’entre eux.

– Oui, répondit-elle en feignant la surprise.

– Pourrions-nous rentrer cinq minutes pour vous poser quelques questions ?

Esther déglutit. Elle avait perdu toute sérénité même si elle arrivait à le dissimuler à merveille.

– Je suis désolée, mais ma mère est malade, expliqua-t-elle en mimant la maladie mentale d’un geste de la main. Est-il possible que vous me posiez ces questions dehors ?

– Bien sûr, accepta l’homme sans rechigner.

– Je dois aussi aller me changer, poursuivit-elle en désignant son pyjama.

Le second policier ne put s’empêcher de sourire en remarquant son magnifique ensemble en pilou.

Aussitôt accordé, elle s’élança dans les escaliers pour attraper un jean dans sa commode et une veste un peu plus présentable dans sa petite armoire des années trente.

– Qu’est-ce qu’ils te veulent, l’interrogea sa mère alors qu’elle était en train de se changer.

– Maman ! s’exclama-t-elle.

Esther tenta de cacher le corps avec ses vêtements sans vraiment y parvenir.

– Arrête de rentrer comme ça dans ma chambre ! Je te l’ai déjà dit !

Hélène ne sembla ni troublée par la quasi-nudité de sa fille, ni par sa remarque. Comme si elle n’avait rien entendu, elle s’avança davantage pour s’assoir au coin du lit de sa fille.

Sa mère acquiesça malgré sa déception. Elle afficha un sourire fragile à Esther qui lui brisa le cœur. Hélène était une femme craintive. Son handicap était un calvaire pour Esther qui avait toujours rêvé de prendre son indépendance. En l’absence d’un père et de soutien, elle était prisonnière. Alors, même si elle lui portait beaucoup d’amour, elle ne pouvait s’empêcher de lui vouer une certaine rancune.

– Ils m’attendent, reprit Esther en passant comme une fusée devant elle.

Les deux gendarmes n’avaient pas bougé.

– Désolée pour l’attente, lança-t-elle.

Le premier homme regarda le second avant de prendre son calepin dans la grande poche de son treillis.

– Madame, connaissez-vous Guillaume Battut ?

– Non, pas du tout, qui est-ce ? répondit-elle en pensant au cadavre qu’elle avait laissé la veille.

– C’est un habitant de la commune, expliqua le premier gendarme. Sa femme nous a alertés pendant la nuit pour nous dire qu’il n’était pas rentré. D’ordinaire, nous ne nous inquiétons pas lorsqu’un homme majeur ne rentre pas à son domicile, mais là, des personnes ont retrouvé sa camionnette dans un fossé et une marre de sang un peu plus loin.

Esther déglutit sans pour autant perdre son sang-froid.

– Je suis navrée, je ne suis au courant de rien.

– Où étiez-vous hier soir ? l’interrogea le second gendarme beaucoup plus sévère que le premier.

– Hier je suis sortie pour aller au restaurant de la zone commerciale nord, répondit-elle avec beaucoup de naturel. J’ai retrouvé mon copain. Ex, se corrigea-t-elle presque immédiatement. J’ai rompu avec lui, ajouta-t-elle.

– Des témoins ?

– Plusieurs dizaines, avoua-t-elle en sentant l’humiliation de la veille refaire surface. On pourrait même dire que la scène est devenue publique.

Son premier interlocuteur acquiesça d’un air compatissant. Il commença à ranger son calepin quand le second reprit la main.

– Et après ?

– Après, bégaya-t-elle.

Les mots de l’homme mystère ressurgirent alors dans son esprit.

– Après, reprit-elle avec beaucoup plus d’assurance, je suis rentrée toute seule chez moi par la nationale, à pied. Je me suis dépêchée parce qu’il faisait froid et mes doigts commençaient à geler. J’ai pris la douche la plus brûlante de ma vie et je me suis couchée.

– Je vois, nota le gendarme. Et lorsque vous êtes passée sur la nationale, quelle heure était-il ?

– Je n’en sais rien, répondit-elle tout en cherchant une réponse réaliste qui ne l’incriminerait pas. Je dirais vingt-deux heures, peut-être vingt-deux heures trente.

– Vous dites que vous êtes rentrée à pied, renchérit le gendarme. Ce n’est pas très prudent de faire plusieurs kilomètres de nuit comme ça dans une zone peu fréquentée. Vous n’avez pas de voiture ?

– Non, je n’ai même pas le permis ! s’exclama-t-elle. Je fais avec les moyens du bord.

Son expression était tellement naturelle et spontanée que pour la première fois depuis qu’elle leur avait ouvert la porte, le second gendarme lui sourit.

– On a retrouvé votre téléphone sur la nationale à une dizaine de mètres de la camionnette de Monsieur Battut, expliqua-t-il alors. Vous comprendrez qu’il s’agit d’un indice que nous devons analyser. Nous sommes donc dans l’obligation de le garder le temps que l’enquête soit résolue. Cela ne vous pose pas de problème ?

Esther fouilla nerveusement dans ses poches, se sentant comme nue. Perdre son portable entre deux coussins du canapé était une chose, mais le laisser sans savoir quand elle pourrait le récupérer en était une autre.

– Bien sûr, répondit-elle. Si vous pensez que cela peut aider. J’ai dû le perdre en route.

Après tout, que risquait-elle ? Son téléphone ne pouvait en rien la compromettre. Et si sa bonne foi pouvait définitivement lever les soupçons des gendarmes, ce serait une aubaine.

– Nous avons d’autres personnes à interroger, mais en fonction de l’avancement de l’enquête nous serons susceptibles de vous recontacter. Pensez à rester dans le coin, lui conseilla-t-il.

– Aucun problème, rétorqua-t-elle. Je n’ai jamais mis l’orteil en dehors du département ! Je ne vois absolument pas ce qui pourrait m’en faire sortir.

Les gendarmes lui sourirent une dernière fois avant de s’éloigner. Esther ferma la porte et fit face à sa mère qui sortait juste de la cuisine.

– Tu vois que c’est imprudent de sortir toute seule ! Des gens se font massacrer dehors.

– La probabilité était d’une chance sur mille ? dix mille ? répondit-elle nerveusement. Essaie de te calmer un peu et laisse-moi tranquille. Je vais bien.

Hélène prit une mine attristée qu’Esther ne connaissait que trop bien. Elle allait encore se cacher dans sa chambre pour y pleurer toutes les larmes de son corps. Comme d’habitude, elle se mit à ressentir une culpabilité qui lui noua la gorge.

– Je suis désolée, souffla-t-elle en baissant la tête.

Esther qui n’arrivait pas à affronter la situation se précipita dehors pour prendre un bol d’air frais. Ici, elle savait que sa mère ne la suivrait pas. Des larmes de frustration se mirent à rouler sur ses joues. Ce fut à cet instant qu’elle vit les deux gendarmes qui l’avaient questionnée en train de fumer une cigarette à côté de leur véhicule.

– Tu penses qu’elle a quelque chose à voir avec tout ça ? demanda le plus grand des deux.

– Je ne crois pas, répondit-il aussitôt. Cette gamine est complètement paumée et fine comme elle est, elle n’aurait jamais pu promener un corps.

Voilà ce que la société pensait d’elle. Une fille paumée ? Elle renifla nerveusement avant de se moucher. Un déchet, voilà comment elle s’imaginait. Esther n’avait jamais eu la moindre confiance en elle. Son estime était proche du néant. Personne ne lui avait jamais dit en face qu’elle ne valait rien, mais les mots du gendarme lui firent l’effet d’un coup de masse. Si seulement elle pouvait disparaitre, sortir de son corps pour ne plus revenir. Les larmes se transformèrent en sanglots bruyants qui attirèrent l’attention des deux hommes. Immédiatement, ils détournèrent le regard, insistant sur l’inutilité de son existence et remontèrent dans leur véhicule pour reprendre leur route.

Alors que le sentiment de solitude reprenait le dessus sur ses pensées plus noires, un jeune homme était en train de l’observer et de ressentir, pour la seconde fois depuis sa naissance un soupçon de compassion. Ce sentiment, qui l’avait bouleversé hier, lui dessina un doux sourire sur la bouche.
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