Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

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vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

B'jour !
J'ai dit que j'allais poster le 10 ? Bon navrée, hier c'était la crise désolée.

Si vous ne vous rappelez pas des évènements précédents (même si franchement, je ne vois pas pourquoi, cela ne fait que huit mois que je n'ai pas posté), permettez-moi de récapituler :

Spoiler
Après s'être enfuie du Q.G. des Thor, Lilith, les Élites, Selvigia et quelques randoms se retrouvent largués en plein milieu de nulle part, supposés morts au mieux, pourchassés par Kaiser au pire. Ekrest fait appel à l'un de ses contacts, la cheffe de la Faction, pour les héberger temporairement. En échange de cette aide, Lilith passe avec Lana Schneiwäser un accord pour effectuer quelques missions à son service. Elle rencontre ainsi Blade, un soldat surentraîné de la Faction dans les bras duquel elle s'abandonne pour essayer d'oublier Kalyan et les conséquences de son séjour chez les Thor.

En parallèle, elle commence à préparer une expédition vers les autres Mondes pour aller poser quelques questions à Mímir au sujet de Loki et de l'Élu, lorsque les choses tournent au vinaigre et que la Confrérie débarque dans un café où elle se trouve avec Selvigia. Elle se fait intercepter par Syn, qui en profite pour lui extorquer un marché (tuer Skadi en échange de... sa vie), puis les laisse partir. Lilith et Selvigia échappent à Adam, et en plein milieu de sa fuite, elle reçoit un appel de Kalyan. Ce dernier a été banni par sa Maison à cause du rôle qu'il a joué dans l'évasion des Élites, et il a besoin de déguerpir… tout comme Lilith. Ils se donnent donc rendez-vous une semaine plus tard à la source de Mímir.

Au pied du Bifröst, les Élites se font intercepter par Adam et la Confrérie, et une sauvage bataille s'engage. Si Lilith rechigne à tuer sa fratrie, les autres Élites ont un peu moins de scrupules (notamment Åke). Ils massacrent méthodiquement leurs adversaires, en profitent pour capturer Adam, et Lilith, Selvigia et Åke prennent la direction des autres Mondes. Au sommet du Bifröst, Syn négocie leur passage avec Heimdall, qui n'apprécie pas exactement les enfants de Loki en général, mais accepte de les déposer sur l'Yggdrasil. Néanmoins, le bruit d'enfants de Loki se déplaçant dans les Neuf Mondes a fuité, car un aigle géant, Hræsvelgr, les attaque très vite et les fait tomber de l'arbre.

Après la chute vertigineuse, qui l'a séparée des autres, Lilith tombe (totalement par hasard) sur Urdarbrunnr, la source où les Nornes filent le destin de tous les êtres vivants. La discussion avec l'une des trois Nornes originelles soulève plus de questions qu'elle n'apporte réellement de réponses, mais elle révèle néanmoins que Lilith n'est guère… appréciée… parmi les divinités du destin. Elle finit par partir en courant pour éviter de se faire assassiner, et tombe au détour d'une clairière sur une vieille connaissance, Max, fils de Njörd. Un bref affrontement plus tard, elle lui vole son cheval et se remet en route pour Mímirsbrunn, l'abandonnant derrière elle, blessé et vexé.

Elle retrouve Selvigia et Åke, mais ils n'ont guère le temps de récupérer que déjà ils se font attaquer par Vali, un dieu mineur qui manque de les tuer. Ce n'est qu'au prix d'un terrible combat et d'une ruse improbable impliquant du shampoing qu'ils parviennent à le vaincre, confirmant définitivement Lilith comme l'Élue de Loki qui a le pouvoir d'influencer les prophéties des Nornes.
Et enfin, ils atteignent Mímirsbrunn, et retrouvent Kalyan. Lilith marchande la localisation de la prison de Loki, mais Mímir lui demande de payer cette information en sacrifiant sa pyromagie, ce qu'elle refuse. Mais Loki s'en mêle, la torturant en rêve jusqu'à ce qu'elle cède.


Ce résumé occulte des évènements et informations non-essentielles mais néanmoins intéressantes pour les tomes suivants comme Éris l'Altérée de la Faction qui peut se prendre une balle dans le front et le vivre très bien, Emyja/Kaiser qui a 4000 ans, les origines de Syn comme fille de Loki et de Sif… bref deux ou trois détails encore.
Et je garde ce résumé dans un coin parce qu'il risque de bien me servir quand je ferai le synopsis du t2 x)


Allez c'est repartiii !
(J'avoue que juste en relisant cette intro à la P3, j'ai la hype :D )


PARTIE 3 : DE FOUDRE ET DE SANG


Il considère en silence l’immense autel de pierre sur lequel ses frères et sœurs sont tous morts par sa faute. Le sourire de la géante qui le fixe est cruel, aussi sanglant que la lame qui vient d’égorger Iomi. Elle se repaît de sa souffrance silencieuse, de ses larmes, de l’horreur qu’il ne parvient à exprimer qu’au travers de tremblements incontrôlés et de sanglots étouffés.
Je préfère t’avertir, mon prix n’est qu’une vérité. Mais ce n’est pas le vrai prix de ce cette information. Le souvenir des mots de Mímir est comme un couteau enfoncé dans la plaie. Ce sont les clefs elles-mêmes qui te causeront le plus de souffrance. C’est à elles que tu paieras le tribut de la connaissance.
Ni vénale ni opportuniste, Iomi a été sa seule véritable amie ces derniers temps. La seule à qui il a pu confier ses doutes sur son rôle, sa peur de ne pas être à la hauteur, ses certitudes d’être un imposteur. La seule qui est restée avec lui parce qu’il était Levi et non pas parce qu’il était l’Élu. Le dieu décapité a dit vrai, évidemment. Voir ses compagnons se faire égorger puis dévorer un à un a été une souffrance perpétuelle, un étau d’effroi, de douleur et de haine.
Mais voir le corps d’Iomi se faire démembrer par les géants, entendre le son atroce de la chair molle qui se déchire, des bruits d’éclaboussures du sang qui gicle, c’est plus qu’il ne peut en supporter.


| † | † |


— On m’a dit que tu as supplié pour me parler…
Adam relève lentement la tête. Ses muscles étirés, déchirés, affaiblis par les privations, luttent pour se contracter. Dans son visage boursoufflé et congestionné, ses paupières gonflées et bleuies se soulèvent au ralenti. Il semble lutter pour respirer.
Ekrest s’approche de lui à petits pas, lui adresse un sourire qui serait presque amical, s’il n’y avait ses iris étincelants d’une haine à peine contenue. Il attrappe le tabouret laissé dans un coin de la petite pièce, le glisse sous les pieds d’Adam, qui touchent à peine le sol. Ce dernier se met péniblement debout dessus, vacille. Ses genoux flanchent, il glisse, bataille pour se redresser et laisser un peu de repos à ses bras enchaînés au plafond qui, depuis des heures, supportent le poids de son corps amaigri.
— Qu’est-ce… qu’est-ce que vous voulez de moi ? parvient-il à proférer à travers sa mâchoire déformée.
Il tressaille quand l’Élite qui lui fait face ricane, acide et mauvais.
— Juste te faire payer. On sait, de la bouche de ta chère et tendre Emma, qui venait souvent nous rendre visite, que tu étais au courant pour nous.
Adam baisse la tête, prend une inspiration nerveuse. Ce sont les premiers vrais mots que l’un de ses bourreaux lui adresse depuis une éternité. D’habitude, ils sont muets, imperturbables. Il n’y a que leurs yeux et leurs gestes pour exprimer leur rage sanguinaire.
— Je suis dés…
— Ta gueule, l’interrompt Ekrest, le visage fermé.
Il donne un coup de pied dans le tabouret, qui valdingue. Les chaînes crissent quand le corps, rattrapé par la gravité, s’effondre. Adam hurle, les bras tordus, écartelé vif.
Déjà, la porte de la pièce a claqué.


| † | † |


Elle a cherché refuge dans le seul endroit qui lui est réellement familier. Une petite cabane à trois fenêtres, cachée dans les ténèbres du Labyrinthe qui entoure le Manoir. L’endroit où Åke et elle ont grandi, l’endroit qu’ils ont construit, une éternité plus tôt. L’endroit où elle a trahi leur mère.
Les mythes racontent que c’est Kvasir qui a vu dans le feu les restes du premier filet de pêche, créé par Loki. Ils disent que c’est en recréant ce qu’il a vu qu’ils ont réussi à deviner où Loki se cachait et comment le capturer.
Ils ne mentionnent jamais que, quand Odin, Kvasir et Thor sont arrivés dans la cabane, il y avait une petite fille terrorisée par sa mère qui leur a montré comment tisser le filet.
C’est ici qu’Åke lui a dit que, s’il la retrouvait un jour, il la tuerait.
Aujourd’hui, la menace paraît plus tangible que jamais. Terrorisée même entre les murs du Manoir qu’elle a bâti, elle s’est réfugiée dans le passé, à l’époque où Åke et elle étaient seuls contre le reste du monde. L’époque où ils s’étaient promis de toujours rester ensemble. L’époque où, juste tous les deux, ils savaient être heureux.
— Emyja… murmure-t-elle doucement. Je m’appellais Emyja.
Le nom ramène un fourmillement dans sa nuque, une nuée de souvenirs. Mais Emyja est celle qui a trahi sa mère, et cette facette d’elle-même, elle l’a profondément enterrée, jusqu’à presque la faire disparaître. Elle est devenue Synnöve, elle a choisi de fuir. Elle s’est oubliée dans cette nouvelle identité, elle a enfermé à double tour les fantômes du passé.
Sauf qu’Åke n’est pas un fantôme. Et elle n’est pas assez folle pour croire qu’il a oublié.


| † | † |


<=
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Interlude
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Dernière modification par vampiredelivres le lun. 26 déc., 2022 1:29 pm, modifié 13 fois.
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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 23


Après la rencontre avec Mímir, dix jours s’écoulèrent comme dans un rêve. Nous nous mîmes en route en direction de Nidavellir, le monde des nains, situé au nord de la terre. En journée, je me contentai de cheminer aux côté des autres, les yeux dans le vague et l’esprit vide, de discuter de temps en temps avec eux, sans jamais leur mentionner ce qui m’était réellement arrivé, et ils s’abstinrent toujours de poser la question. La nuit, je fis cauchemar sur cauchemar, revivant la torture de mon père mêlée à celle du Q.G. des Thor, ainsi que la souffrance du sacrifice. Bien des fois, je m’éveillai en criant, transpirante, le cœur battant la chamade, des suppliques au bord des lèvres, sans trop savoir si, dans mon rêve, c’étaient des iris turquoise ou électriques qui me menaçaient. À force, je pris l’habitude d’installer ma tente un peu en retrait par rapport aux autres, consciente que mes hurlements ne leur faciliteraient pas le repos.
Durant cette période trouble, sans réelle surprise, Kalyan fut mon plus fidèle soutien. Lui qui avait eu l’occasion d’expérimenter les rêves de Loki n’hésita pas une seule fois à venir m’arracher au sommeil en pleine nuit, ne serait-ce que pour m’extraire de l’horreur, puis de rester allongé à mes côtés jusqu’à ce que je me rendorme. Au matin, il avait toujours disparu, et mes souvenirs de son bref passage étaient troubles, mais mon corps se rappelait sa chaleur rassurante et de sa tendresse mesurée, dépourvue de la moindre once de pitié. Il n’essaya jamais de me réconforter avec des mots, en me disant que tout irait bien ou que ce n’était qu’un rêve car, plus que quiconque d’autre probablement, il savait que les cauchemars me hantaient même durant la journée. En revanche, sa présence attentionnée, la sensation de son regard azur qui se posait régulièrement sur moi pour s’assurer que j’allais bien, devinrent bien vite mes points de repère au quotidien.
La facilité avec laquelle je m’étais attachée à lui aurait pu m’effrayer, mais étrangement, je n’arrivais pas à me sentir en danger lorsqu’il était dans les parages. Au contraire, plus le temps passait, et plus je réalisais que l’infime part de lui que j’avais vue quand j’étais au Q.G. des Thor n’était rien par rapport à ce que je découvrais. Lorsqu’il n’était pas prisonnier de ses devoirs, lorsqu’il se permettait d’être lui-même, sans contraintes ni jugements extérieurs, il irradiait de calme et de confiance en lui-même. Il ne cherchait pas le conflit, il n’essayait pas d’imposer ses opinions. Il était ouvert au dialogue, réaliste dans ses espoirs, efficace dans l’action, digne dans ses choix. À l’instant où il avait recroisé Åke pour la première fois, il lui avait formellement présenté ses excuses pour tout ce qui s’était passé en prison, sans chercher à minimiser le rôle qu’il avait tenu.
Bien évidemment, du côté de mon demi-frère, c’était loin d’être oublié et pardonné, mais face à cette honnêteté désarmante, il s’était contenté de hocher la tête et de grommeler quelque chose dans sa barbe. L’ambiance entre eux demeurait tendue, et ils gardaient leurs distances au quotidien, mais il n’y avait pas de conflit ouvert, ce qui rendait le long trajet plutôt agréable.

Lorsque je me réveillai le matin du onzième jour, je n’aurais pas pu bouger même si je l’avais voulu. Kalyan avait étendu son bras gauche sous ma tête en guise de coussin, passé son bras droit autour de mon ventre, et l’une de ses jambes par-dessus la mienne. Ainsi emprisonnée contre lui, mon nez contre son épaule, inspirant à pleins poumons son parfum citronné diffus, qui commençait à s’estomper, je me sentais étrangement sereine. Calme et apaisée. La brûlure dans ma poitrine avait été momentanément reléguée à l’arrière plan, l’angoisse et l’agonie mentale de ces dernières heures étaient un souvenir, pour l’instant maintenu à distance. Je ne voulais pas sortir de là où j’étais, en vérité. Je m’y sentais trop bien.
Consciente qu’il s’était probablement endormi après être venu me réveiller cette nuit, même si je m’en rappelais à peine, je refermai les yeux, souris, enfouis mon visage dans les replis de son T-Shirt, et ne bougeai plus, savourant simplement l’instant présent. Je savais que, bientôt, je devrais émerger, me relever, faire face à une nouvelle journée épuisante, tenir les souvenirs éloignés autant que possible. Et je n’en avais pas envie. Autant prolonger ce moment éphémère et intemporel autant que possible.
Les longues minutes qui s’écoulèrent dans un calme absolu me permirent au moins de faire le point sur ce qui me hantait depuis plus d’une semaine. Premièrement, le sacrifice que j’avais fait. Et, si la présence de Kalyan parvenait à chasser la première panique, elle n’estompa pas la boule amère qui se lova dans ma gorge à l’instant où j’y repensai, ni la morsure douloureuse du serpent de la rancœur qui planta ses crochets dans mon cœur. Elle parvint néanmoins à dissiper la colère. J’aurais pu en vouloir à l’univers entier, aux Nornes, à Kaiser, aux Æsir et aux Vanes, mais en vérité, les seules personnes que je blâmais étaient mon père et moi. Surtout moi, en fait.
Mais je n’avais pas pour habitude de me complaire dans l’auto-flagellation, ce qui m’avait très vite amenée au second point de ma réflexion : Kalyan. Les avertissements et conseils de Selvigia avaient été limpides, ils résonnaient encore clairement dans mon esprit, et je les prendrais en compte, mais je comptais aussi faire les choses à ma manière. Je voulais pouvoir enfin faire mes propres choix, pour moi. Retomber dans l’un de mes vieux travers, subir un contrecoup aussi violent, m’avait peut-être enfin permis de comprendre que, si je n’y mettais pas du mien, je continuerais, encore et toujours, à répéter les vieux schémas qui m’amèneraient aux mêmes erreurs, et rien ne changerait. J’avais passé une semaine à tourner en rond en ressassant le passé, mais je pouvais choisir de penser plutôt à l’avenir. Je pouvais attendre que ma famille se décide à me traiter convenablement et à me repayer ce que j’avais fait pour elle, ou alors je pouvais moi-même me mettre en quête de personnes, peut-être étrangères, qui le feraient.
Alors même que je songeais cela, je perçus un lent mouvement de va-et-vient dans mes cheveux. Je soulevai légèrement mes paupières, vis que Kalyan n’avait pas encore ouvert les yeux, conclus que c’était un mouvement inconscient de sa part… et, comme un chat, j’étirai mon cou pour presser ma tête un peu plus contre sa main. L’ombre d’un sourire se dessina sur ses lèvres, il marmonna, encore assoupi :
— Salut.
— Hey, répondis-je sur le même ton.
Il demeura quelques instants immobile puis, soudain, ouvrit les yeux, l’air inquiet, et retira brusquement son bras de mes hanches, l’air nerveux.
— Désolé, je ne…
J’agrippai son poignet, le forçai presque à reprendre sa position initiale. Troublé, il riva son regard azur dans le mien, et ses doigts effleurèrent mon dos avec un mélange d’appréhension et d’incertitude. Je lui souris, passai une main dans ses cheveux blonds ébourriffés.
— Tu peux rester ?
Ses épaules se décrispèrent imperceptiblement à ma supplique, le poids de sa main s’alourdit.
— N’hésite pas à me dire si je vais trop loin, me souffla-t-il.
Je me contentai de cacher mon nez dans les plis de son T-Shirt, et marmottai :
— T’inquiète, tu le sauras.
Un rire rauque, encore endormi, lui échappa. De longues minutes s’écoulèrent en silence, à peine troublées par le sifflement du vent qui enveloppait ma tente. Nous avions établi notre campement sur un plateau à basse altitude, balayé par les bourrasques, et les arches de structure de mon abri grinçaient de temps en temps lorsque le vent les malmenait un peu trop.
Finalement, alors que j’étais en train de commencer à envisager l’idée de devoir un jour sortir de cette bulle de tranquilité pour reprendre la route, sa main se faufila sous mon T-Shirt, ses ongles effleurèrent la peau de mon dos, qui se couvrit de chair de poule. Je frissonnai, levai mon visage vers lui, mais ne bougeai pas d’un cheveu pour me soustraire à la lente caresse. Il baissa sa tête vers moi, nos souffles se heurtèrent. Nous nous considérâmes quelques instants, muets, aussi tendus l’un que l’autre.
— Est-ce que… hésita-t-il. Est-ce que je peux t’embrasser ?
Stupéfaite par la question, je cillai, haussai les sourcils, et il pouffa.
— Désolé, je sais que c’est vieux jeu.
Je souris à mon tour. À la réflexion, durant la nuit que nous avions passée ensemble, il avait toujours pris le temps de considérer mes sensations, que ce soit par questions ou par regards. Le souvenir élargit mon sourire, réchauffa le creux dans ma poitrine, j’inclinai la tête. La réponse à sa question était limpide, évidente.
Je me penchai pour m’approcher. J'avais l'impression d'avoir à nouveau quinze ans, d'être de nouveau à l'un de mes premiers rendez-vous avec Sam. Apaisée, à l’aise, je ne réfléchissais plus. Pas de calcul, pas de prévisions. Juste des sentiments, des envies.
Je notai son souffle court, mesuré, sentis ses battements de cœur quand je passai ma main sur son cou pour remonter vers sa nuque. Ses doigts serpentaient le long de ma colonne vertébrale, laissaient une traînée brûlante sur leur passage. Instinctivement, je me redressai, basculai de manière à me retrouver allongée sur lui. Ainsi, confortablement calée sur mes coudes, je me penchai en avant jusqu'à sentir sa respiration de plus en plus rapide ricocher contre mes lèvres.
— J'ai l'impression que ça tend vers « oui »… murmurai-je.
Il ne démentit pas. Je souris, mais il grimaça.
— Ceci dit, il y a ce qui reste de notre passé…
Un soupir m'échappa, je voulus reculer. Son bras refermé sur ma taille m'en empêcha.
— Je me doute que tu ne t’en préoccupes plus vraiment. Mais pas moi, avoua-t-il. Je n’ai pas encore fait la paix avec ce que je t’ai infligé, et j'aimerais que tu l'acceptes.
Suspendue dans un moment unique, je pris le temps d'y réfléchir. J'avais vraiment envie de l'embrasser maintenant, mais pas seulement. Nous étions en eaux troubles, incertains de notre avenir à chacun, mais je savais qu'il n'y avait que dans ses bras que je m'étais sentie en sécurité ces derniers temps. Cette simple certitude me donnait envie d'aller plus loin que juste une aventure d'un soir. Mais, si je choisissais de m'engager avec lui, je devais l'accepter tel qu'il était, regrets et culpabilité inclus.
Son souffle chaud, nerveux, effleurait ma joue à intervalles réguliers. Il était légèrement incliné vers moi, dans l’expectative. Sa paume sur mes lombaires était légèrement moite, son regard furetait à gauche et à droite, incapable de me faire face. Et sous mon crâne, c’était la tempête. Il attendait ma décision, mais je n’avais pas la moindre idée de ce que je pouvais lui répondre. C’était un oui, et un non en même temps. J’avais apprécié chaque moment passé à côté du véritable lui, et la brûlure dans ma poitrine prouvait que je désirais plus que ce que j’avais eu jusque-là. Au fond de moi, j’avais espéré qu’il me demande ça, je l’avais attendu, dès l’instant où j’avais revu son visage.
Mais j’étais une Loki, et lui un Thor. Il y avait un million de raisons pour lesquelles cette histoire ne marcherait pas, la première étant ma capacité, parfois dangereuse, à dissocier devoir et sentiments. C’était dangereux, totalement insensé, et nous en étions tous les deux conscients.
La réponse tomba néanmoins, un peu moins évidente à trouver, mais tout aussi claire que la précédente une fois que je l’assimilai.
— D'accord, murmurai-je simplement.
Et je posai mes lèvres sur les siennes.
Un instant, le temps sembla demeurer suspendu, figé en une question qui attendait sa réponse. Je me pris, l'espace de ce bref instant, à me demander si je ne m'étais pas trompée, s'il le voulait vraiment.
Puis, la glace se fissura, et je me retrouvai emportée dans un tourbillon de sensations inédites. La chaleur de sa peau, la douceur de ses lèvres, la tendresse de ses mains qui m'attiraient contre lui. Nos souffles se mêlèrent, je fermai les yeux, et me laissai emporter. Sa langue s’immisça entre mes défenses, vint taquiner mon palais. Je lui répondis en me collant, si c’était possible, encore davantage contre lui. Notre baiser avait une étrange saveur, mélange d’angoisse, de doutes et de désirs. Je me perdis, m'abandonnai, m'oubliai. C'était simple, clair et évident, en adéquation parfaite avec ce que je désirais. Par son simple contact, il comblait le vide dans ma poitrine, soulageait la douleur. Il était là, présent, conscient de ses failles et de ses travers, de ce qui nous unissait et de ce qui nous séparait. Il me comprenait, m’acceptait, me laissait évoluer et évoluait de son côté, à son rythme. Et ça me suffisait.
Nous nous embrassâmes à perte de souffle, jusqu’à ne plus pouvoir sentir autre chose que le goût et le parfum grisant de l’autre. Après ces quelques semaines à peine qui nous avaient séparés, nos corps se redécouvraient, s’apprivoisaient à nouveau. Sans trop savoir comment, je me retrouvai bientôt uniquement en brassière, et lui torse nu. Mais nous n’avions pas besoin de plus que le simple contact de nos peaux, juste de la certitude que l’autre était là, présent, physiquement et moralement.
Lorsque nous nous séparâmes finalement, je ne pouvais réfréner mon sourire de bien-être. Nez contre nez, respirations erratiques s’entrechoquant dans le petit espace qui séparait nos bouches, paupières closes, je me sentais plus en sécurité que je ne l’avais jamais été ces derniers jours. Instinctivement, j’entremêlai mes doigts dans ses cheveux qui s’allongeaient chaque jour, calai mon menton contre son épaule, me laissai aller. Son parfum familier, et pourtant évanescent, de shampoing citronné, affleura à mon nez, mêlé à l’odeur, plus âcre et forte, de sa peau. Je cambrai mon dos au contact de sa main qui remontait entre mes omoplates. Ses lèvres effleurèrent mon cou, je m’abîmai dans la profondeur de ses yeux électriques qui luisaient doucement dans la pénombre. J’esquissai un léger sourire pensif, l’esprit ailleurs.
— Qu’est-ce qu’il y a ? me demanda Kalyan
— J’étais en train de me dire que j’ai vraiment envie de recommencer sur une base plus saine que celle qu’on a eue jusque-là.
Il inclina la tête sur le côté, un rictus narquois aux lèvres.
— Je pourrais difficilement te contredire.
— Mais ça veut dire plus de mensonges, poursuivis-je, parce que je sais qu’ils vont venir pourrir tout ce qu’il y a ici. Donc je voudrais t’avouer deux ou trois petites choses.
Même si je n’en avais pas l’air, je guettais la moindre de ses expressions. Je discernai ainsi sans mal la surprise qui lui fit écarquiller un peu les yeux, puis l’attention décuplée qu’il me porta en tournant franchement son visage vers moi, alors que jusque-là, il avait plutôt fixé le feu. Quelque peu rassérénée par ses yeux azur qui me détaillaient sans la moindre étincelle d’appréhension ou de crainte, je me lançai d’une voix maîtrisée :
— Déjà, tu le sais probablement, mais j’étais celle qui a torturé l’un de tes amis, Séraphin Cobb.
Son expression calme se froissa quelque peu l’espace de deux secondes, le temps qu’il accepte que j’avais décidé de me lancer d’emblée sur un terrain aussi glissant. Je ne l’avais jamais aussi ouvertement affirmé, mais il fallait que ça sorte, sinon ça nous retomberait dessus un jour ou l’autre. J’avais vu assez de relations dysfonctionnelles pour savoir que le mensonge, que ce soit volontaire ou par omission, était l’une des causes de ruptures les plus fréquentes, et souvent les plus violentes. Les secrets avaient cette mauvaise manie de prendre de plus en plus d’importance au fur et à mesure qu’on les gardait. C’était comme Surtr : sa puissance et son potentiel destructeur augmentaient d’année en année, et le jour du Ragnarök, il carboniserait tout.
Et puis, j’étais certaine que Kalyan l’avait deviné depuis longtemps. Séraphin avait beau ne pas se souvenir de moi, son subconscient, lui, reconnaissait mon visage, même s’il ne parvenait pas à l’associer à des faits dans sa mémoire.
Qu’est-ce qui était pire, au fond, se rappeler de chaque seconde de torture, ou ne pas se souvenir, mais savoir que quelque chose était arrivé ? C’était une question intéressante, mais je n’avais pas envie d’y élaborer une réponse pour le moment. Je digresserais dessus plus tard, lorsque j’accepterais de revenir sur mes expériences traumatisantes au Q.G. des Thor.
— Je m’en doutais, finit-il par admettre, en écho à mes réflexions. Mais ami est probablement un grand mot, et c’était ton boulot, donc je suis très mal placé pour te reprocher quelque chose.
Il y avait une pointe de sarcasme amer dans la fin de sa phrase. Je me contentai de lui retourner un hochement de tête tranquille, simplement pour le remercier de ne pas s’attarder dessus plus que nécessaire.
— Et puis, poursuivis-je, la prison n’était pas le premier endroit où je t’ai vu.
— Ah ? releva-t-il, surpris.
Je souris, alors que mon esprit se projetait des mois en arrière, dans un luxueux hôtel parisien, la veille de la capture du fils de Tyr$. Je me rappelai le regard électrique de Kalyan, la première chose que j’avais remarquée chez lui par habitude, je me souvins de l’impression d’élégance et d’autorité qu’il dégageait. S’il n’y avait pas eu ces yeux azur pour me rappeler de me tenir loin de lui, j’aurais probablement cherché à l’aborder. Il m’avait plu, déjà à l’époque. Si j’avais été superstitieuse, j’aurais peut-être cru que les Nornes cherchaient vraiment à nous mettre ensemble, mais je ne les avais jamais vues comme des entremetteuses, et j’y croyais encore moins maintenant que je les avais rencontrées. Freyja, déesse de l’amour, et Lofn, déesse amours perdus et interdits, devaient en revanche s’amuser en nous voyant.
— Tu te rappelles de l’hôtel dans lequel tu étais, la veille de la capture de Cobb ? l’interrogeai-je.
Il nia instinctivement, puis s’immobilisa, pensif, les yeux dans le vague. Je vis qu’il cherchait à remonter dans le passé, se rappeler d’un évènement auquel il n’avait probablement accordé que peu d’importance jusque-là.
— Ouais, vaguement, marmonna-t-il. Attends, est-ce que…?
Face à son regard surpris, j’inclinai la tête sur le côté, amusée.
— La fille face à la vitre ?
Je lui adressai un large sourire, et il écarquilla les yeux, halluciné par la révélation. Je ne pus m’empêcher de pouffer. Décidément, on avait été voués à se remarquer. Instinctivement, il avait probablement pressenti mon ascendance divine, raison pour laquelle il m’avait ainsi fixée. Quant à moi, physiquement parlant, il m’avait plu, mais connaître sa parenté m’avait immédiatement braquée. S’il n’y avait pas eu la couleur de ses yeux, j’aurais peut-être fait le premier pas. Je l’avais envisagé. Nous aurions peut-être vécu une histoire sans lendemain comme j’avais l’habitude d’en avoir depuis Sam, nous ne nous serions probablement jamais revus. Mais s’il avait découvert que j’étais une fille de Loki, nous aurions essayé de nous annihiler mutuellement. Et avec le recul, je n’étais pas certaine du vainqueur de cet affrontement.
Une petite minute s’écoula dans un mutisme absolu, uniquement troublé par le hurlement d’une bourrasque qui fit claquer les pans de ma tente et siffler les herbes qui poussaient au ras du sol. Kalyan s’était mis à observer consciencieusement ses ongles, avec l’air de quelqu’un qui voulait dire quelque chose, mais n’osait pas le faire. Son visage s’était fait distant, pensif et tendu. Je me gardai de l’interroger, lui laissai le temps dont il avait besoin, sachant que si je tentais quoi que ce soit d’autre, il allait probablement se braquer. Et je devinais que, lui aussi, il avait quelques secrets qui pesaient actuellement sur sa conscience et pouvaient troubler notre relation sur le long terme.
— Puisqu’on en est aux aveux… J’ai participé à certaines tortures sur les Élites, admit-il enfin. Notamment ton mentor, à son arrivée en prison.
Il n’eut pas besoin d’ajouter qu’il le regrettait, je le savais depuis longtemps. Mais il n’en avait pas totalement fini avec les révélations. L’orage dans ses yeux couleur ciel m’avertit que, quoi qu’il compte dire ensuite, je n’allais pas l’apprécier. J’avais appris à lire ses expressions, et là, j’étais certaine que ce n’était pas seulement du regret qui brûlait dans son regard. C’était de la rancœur, une sourde colère qui semblait bouillonner depuis des années. Le regard dans le vague, les mains crispées autour de mon ventre, il entama :
— Et… il y a une histoire qu’il faut que tu entendes.
Je hochai la tête et me calai un peu plus confortablement sur mes coudes.
— Il y a quinze ans, on a repéré une Loki jusque-là non répertoriée.
La mention de l’époque figea mon souffle dans ma poitrine, mon cœur se mit à palpiter. Une terreur primitive, mêlée au déni, se déversa dans mes veines lorsque, l’espace d’un instant, j’envisageai la suite du récit.
— En principe, on serait juste intervenus discrètement, mais notre père était de passage sur Midgard, et il était extrêmement inquiet. Il a commencé à parler bizarrement… à propos de l’Élu, de la nécessité d’éliminer cette Loki tout de suite…
Sa voix se fêla, il se mordit les lèvres. Raidie contre son torse, je commençais déjà à envisager le meilleur moyen de fuir cette tente au plus vite pour ne pas entendre la suite.
— J’avais lu les rapports, poursuivit-il, chaque mot semblant lui coûter une partie de son âme. Sa mère était une Freyja. Une Vane, qui ne serait qu’un dommage collatéral. Ça ne dérangeait personne, en haut.
Je me redressai de quelques centimètres, le cœur au bord des lèvres, mais il m’emprisonna dans sa poigne ferme et me souffla, suppliant :
— Écoute-moi jusqu’au bout… s’il te plaît.
Plus que sa prière ou son emprise presque brutale sur mon corps, ce fut la haine viscérale dans son regard qui me contraignit à l’immobilité. Raide, parée à me dégager à n’importe quel moment, je fichai mes yeux dans les siens, serrai les dents, essayant de me préparer à ce que je devinais. Déjà, ce n’était plus la terreur de la révélation qui me brûlait, mais les prémices de la colère.
Kalyan prit une profonde inspiration, essayant peut-être de juguler les tremblements de sa voix. Il n’y parvint pas.
— On m’a confié la mission… ce qui incluait le repérage du terrain. Quand j’ai vu… quand j’ai vu que ce n’était qu’une enfant…
Une seconde. Une simple seconde de silence. Mes intestins se tordirent, mon cœur cessa de battre, mon estomac tomba dans mes talons tel un bloc de granit.
— J’ai refusé de le faire.
J’expirai longuement, éclatai d’un rire nerveux irrépressible.
— Alors pourquoi me raconter ça ? hoquetai-je une fois que j’eus retrouvé un semblant de maîtrise sur ma respiration.
Il serra les dents, furieux.
— Parce que ça n’a rien changé aux faits. Quand j’ai refusé, mon père m’a insulté, m’a traîté de lâche et m’a dit que j’étais une honte pour ma famille. Björn m’a muté à la gestion des prisons, et Emma a pris la tête des troupes que je commandais jusque-là. Elle a lancé le raid. Pour une fois qu’on la mettait en avant à mon détriment…
L’esprit vide, j’assimilais les mots en silence. Lorsque, enfin, je parvins à saisir toutes les implications de ces trois dernières phrases, la rage déferla dans mes veines, destructrice, meurtrière. Je fermai les yeux, une boule dans la gorge, un rictus aux lèvres. Emma Hamershot. Après toutes ces années, j’avais enfin l’identité de l’assassin de ma mère. Pire, je l’avais eue à ma merci sans savoir ce qu’elle avait fait. Si j’avais su, jamais je ne l’aurais laissée repartir vivante.
Je me redressai d’un bond, et cette fois-ci, Kalyan ne me retint pas. Mais, alors que je m’élançais vers l’extérieur pour évacuer ma rage, il m’interpella une dernière fois :
— Lilith ?
Je m’arrêtai, fis apparaître une épaisse veste à même ma peau, la main sur la fermeture éclair de la tente, ne tournai pas la tête. Le ton de sa voix, blessé, indiciblement haineux, me suffisait. C’était un écho parfait de ce que je ressentais moi-même.
— Je ne peux pas excuser Emma, admit-il. Mais ce n’est pas elle qui a donné l’ordre.
C’est Thor. Il ne le dit pas, mais je le compris. J’approuvai d’un signe du menton, le sang battant à mes tempes, la magie pulsant dans le bout de mes doigts.
— Merci de m’avoir dit la vérité, soufflai-je.

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Dernière modification par vampiredelivres le jeu. 01 sept., 2022 11:14 am, modifié 2 fois.
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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par TcmA »

Heyoooo~

ENFIN. LA SUITE TANT ATTENDUE !!

Le petit récap était le bienvenu ! Tu m'as bien fait rire avec tes "quelques randoms", "totalement par hasard" (uhuh bien sûr) et autres.

On peut dire que la partie trois commence bien. Yes yes. Quel tableau charmant. Levi semble passer un mauvais quart d'heure, j'aurais presque pitié de lui (je suis méchante, en vrai, bichette le pauvre).
Evidemment, Ekrest et Adam dans la même pièce, on sait comment ça va se finir. Mal. Pour Adam. Aish, j'aimerais pas être à sa place quand même.
Ah, Kaiser, Synnöve, Emyja. J'espère que tu vas bien te faire déglinguer par Oké. Bisous. (Non, les mois passés n'ont pas suffit à éteindre ma rage. Etonnant, hein ?)

Chapitre 23 : ou comment rappeler à quel point Loki est une sale merde ❤️
LILYAN LE RETOUR, LILYAN FOR THE WIN !!!! YES !!! Héhéhéhéhé, Kalinou évolue et devient Kalinours. Ils sont chous et ça fait plaisir de voir une relation mature (malgré le trauma sous-jacent owi).
J'aime beaucoup Lily en mode yolo (je sens que ça va pas continuer à me plaire, mais bon, c'est le risque avec elle ❤️)
Ouchie l'histoire de la mort de sa mère... Thor est une grosse merde, c'est noté.

J'ai juste vu un petit "Tyr$" qui se baladait à la fin d'une phrase !

Quel PLAISIR de pouvoir lire à nouveau LCDS ❤️ J'ai hâte de découvrir la suite !

La bise~
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

TcmA a écrit : lun. 04 juil., 2022 7:55 pm Heyoooo~

ENFIN. LA SUITE TANT ATTENDUE !!

Le petit récap était le bienvenu ! Tu m'as bien fait rire avec tes "quelques randoms", "totalement par hasard" (uhuh bien sûr) et autres.

On peut dire que la partie trois commence bien. Yes yes. Quel tableau charmant. Levi semble passer un mauvais quart d'heure, j'aurais presque pitié de lui (je suis méchante, en vrai, bichette le pauvre).
Evidemment, Ekrest et Adam dans la même pièce, on sait comment ça va se finir. Mal. Pour Adam. Aish, j'aimerais pas être à sa place quand même.
Ah, Kaiser, Synnöve, Emyja. J'espère que tu vas bien te faire déglinguer par Oké. Bisous. (Non, les mois passés n'ont pas suffit à éteindre ma rage. Etonnant, hein ?)

Chapitre 23 : ou comment rappeler à quel point Loki est une sale merde ❤️
LILYAN LE RETOUR, LILYAN FOR THE WIN !!!! YES !!! Héhéhéhéhé, Kalinou évolue et devient Kalinours. Ils sont chous et ça fait plaisir de voir une relation mature (malgré le trauma sous-jacent owi).
J'aime beaucoup Lily en mode yolo (je sens que ça va pas continuer à me plaire, mais bon, c'est le risque avec elle ❤️)
Ouchie l'histoire de la mort de sa mère... Thor est une grosse merde, c'est noté.

J'ai juste vu un petit "Tyr$" qui se baladait à la fin d'une phrase !

Quel PLAISIR de pouvoir lire à nouveau LCDS ❤️ J'ai hâte de découvrir la suite !

La bise~
Heyooo ~

Nyoooh, merci d'être revenue aussi vite ! Ravie que le résumé te plaise 😂

Ouais, rien ne va pour aucun perso dans ce début de p3. Levi en prend plein, Adam… ouais, bébé-chat morfle sévère pour le coup, même selon mes standards, et Kaiser panique bien. (Étonnamment, je ne m'attendais pas à ce que ta rage se soit consumée !)

LILYAN ARE BACK ! On rattaque avec un peu de douceur pour anticiper le trauma à venir ? 😁
Pour le trauma sous-jacent, autant Lily sait passer à autre chose et occulter très rapidement, autant Kalinou, c'est pas encore ça (et il a bien raison), donc je pense que c'est sympa de les voir approcher d'un truc sérieux sans oublier d'où ils viennent.
Lily roue libre est très marrante, mais trèèès dangereuse et un peu compliquée à écrire.
Trauma's back avec la maman de Lily, malheureusement. Et Thor est… well, Thor. Une brute épaisse.

Ah oui, effectivement, il y a un petit $ qui traîne, merci !

Contente que ça te plaise toujours, la bise ~
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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par TcmA »

vampiredelivres a écrit : mar. 05 juil., 2022 2:03 pm Heyooo ~

Nyoooh, merci d'être revenue aussi vite ! Ravie que le résumé te plaise 😂

Ouais, rien ne va pour aucun perso dans ce début de p3. Levi en prend plein, Adam… ouais, bébé-chat morfle sévère pour le coup, même selon mes standards, et Kaiser panique bien. (Étonnamment, je ne m'attendais pas à ce que ta rage se soit consumée !)

LILYAN ARE BACK ! On rattaque avec un peu de douceur pour anticiper le trauma à venir ? 😁
Pour le trauma sous-jacent, autant Lily sait passer à autre chose et occulter très rapidement, autant Kalinou, c'est pas encore ça (et il a bien raison), donc je pense que c'est sympa de les voir approcher d'un truc sérieux sans oublier d'où ils viennent.
Lily roue libre est très marrante, mais trèèès dangereuse et un peu compliquée à écrire.
Trauma's back avec la maman de Lily, malheureusement. Et Thor est… well, Thor. Une brute épaisse.

Ah oui, effectivement, il y a un petit $ qui traîne, merci !

Contente que ça te plaise toujours, la bise ~
Haha, en même temps, sommes-nous étonné(e)s que rien n'aille pour les persos ? Non.

J'ai envie de dire, on est au courant pour le trauma, parce que je l'entends venir avec ses gros sabots :') Let's go, on est là pour ça, aussi.
Clairement, la méthode Lily n'est pas la meilleure :''''') Ca va lui revenir en pleine poire à un moment et ça va pas être joli.
Et c'est sûr, ça fait plaisir de les voir se poser et juste parler. Pas de faux semblant. Pas de mensonge.
MDRRR clairement je voudrais pas d'une Lily en roue libre ! Courage !

On verra bien ce que Lily réserve à Thor c:

La bise~[/size]
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Le Cycle du Serpent [I & II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 24


Nous avions établi notre campement dans un immense plateau vide, gris et rocailleux, balayé par les vents, éloigné de toute civilisation. D’épais nuages bas masquaient en permanence le soleil, le sol était dépourvu de toute forme de végétation à part d’épaisses herbes rudes et des broussailles hérissées d’épines, et la roche magmatique s’effritait sous mes pas rythmés. C’était le domaine de Skadi, déesse de l’hiver et épouse de Njörd, un désert de pierre, vide et aride, où mes seuls compagnons étaient le vent qui hurlait dans mes oreilles et les réflexions qui ricochaient sous mon crâne.
Cela faisait plus d’une heure que j’étais partie. Åke, qui avait pris la veille matinale, m’avait simplement regardée sortir sans me poser de question. J’avais couru, si loin que j’avais un instant douté de pouvoir retrouver mon chemin, droit devant moi, en priant peut-être de croiser un Jötun esseulé sur lequel je puisse déverser ma colère. Mais il n’y avait eu personne, rien que du brouillard, du vide et un silence étouffant, aussi dense que les nappes de nuages qui stagnaient sur le plateau.
Maintenant que la première fureur était passée, il ne restait que le trouble. Les doutes, les incertitudes, la rancœur, les souvenirs. Le vide béant dans ma poitrine, que mes inspirations régulières ne parvenaient pas à combler. J’avais mal. Car, au bout du compte, j’avais abandonné mes idées de revanche durant mes années d’entraînement avec Ekrest. Je n’avais pas intégré l’Élite de la Confrérie pour massacrer aveuglément des Thor, ou accomplir une vengeance. Tout le long de ces quinze années passées à me perfectionner, à devenir la plus efficace et la plus puissante possible, n’avaient été vouées qu’à un seul but. Protéger la famille qui me restait de mon mieux. Pas nécessairement par amour ni reconnaissance, seulement parce que nous partagions notre sang, et que c’était déjà un motif suffisant pour que le monde veuille nous anéantir. Pour que d’autres de ma fratrie n’aient pas à souffrir d’une perte comme la mienne.
Et, au fond, j’avais moi aussi tué des parents et des enfants. En général, je m’étais débrouillée pour qu’ils partent ensemble vers Helheim, mais certains cas ne me l’avaient pas permis. La famille Weller par exemple, mon premier meurtre. Le couple était mort, mais je ne savais pas vraiment ce qui était advenu de leur fils. Il pouvait très bien être au fin fond des prisons de la Confrérie comme décédé depuis des années, je ne m’étais jamais intéressé à son cas. J’avais beaucoup de sang sur les mains, beaucoup de meurtres sur la conscience. Dans l’absolu, rien ne me différenciait d’un Njörd comme Max, d’une Thor comme Emma, d’un Odin ou d’un Freyr.
Les silhouettes distantes des tentes apparurent soudain dans le brouillard. J’avais rebroussé chemin il y avait déjà un moment pour ne pas me perdre, et ça faisait une dizaine de minutes que je cherchais le campement par le flux magique qui en émanait, et que je pouvais capter en me concentrant un peu. Mais, à la vue des silhouettes rassemblées au centre, qui émettaient des vibrations énergétiques peu accueillantes, j’accélérai brusquement, tendue.
Je déboulai entre les tentes au pas de course, toutes mes réflexions précédentes chassées par l’acide odeur d’ozone qui me brûlait le larynx, et tombai sur Kalyan, en position défensive, étincelles porteuses de mauvais souvenirs crépitant au bout de ses doigts. En face de lui, Åke, menaçant, avait formé entre ses paumes deux petits éclats de lumière à l’aspect pointu, redoutablement menaçants. Je m’interposai d’un bond, au moment où l’une des aiguilles d’énergie quittait la main de mon demi-frère et filait vers le Thor, meurtrier. L’attaque se brisa sur mon bouclier sphérique érigé à la hâte, que j’avais préparé en voyant l’éclat intense des projectiles d’Åke, forte de mon expérience de ses méthodes de combat. Mes mains tremblèrent sous la puissance l’impact, un frisson de terreur courut le long de mon échine quand je sentis la volonté de tuer qu’il avait mise dans le mouvement.
— Qu’est-ce qui se passe ? aboyai-je presque. Et où est Selvigia ?
— Je suis là, lança l’interpellée en sortant le nez de sa tente. Je ne voulais pas m’en mêler.
— Politiquement correcte, comme toujours… maugréai-je dans ma barbe.
Elle me gratifia d’une œillade méchante, à laquelle je ne prêtai pas beaucoup de crédit, et reportai mon attention sur Åke.
— Je veux sa mort. Pour tout ce qui a été infligé par le passé, lâcha-t-il de but en blanc.
Je haussai un sourcil sceptique.
— Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas il y a une semaine ?
— Parce que j’ai eu le temps d’y réfléchir, et j’avais l’espoir que tu réalises que tu commets une énorme connerie. Or comme tu ne sembles pas avoir le désir d’y remédier par toi-même…
Je jaugeai en une fraction de seconde la position de Kalyan, dos à ma tente, et compris ce qui avait causé le problème en premier lieu. Åke avait compris qu’il s’était passé quelque chose ce matin. Il avait probablement attribué ma fuite ce que Kal m’aurait dit ou fait. Et cela avait beau être le cas, je ne comptais certainement pas y remédier à sa manière, ni le laisser le faire lui-même.
— Non, rétorquai-je. Tu n’as pas compris.
— Lily, écarte-toi.
Je cillai, jetai un bref coup d’œil derrière moi, surprise par la voix masculine, basse mais claire, qui venait de s’élever.
— Mais tu ne…
— Je dois me défendre moi-même, lâcha Kalyan de but en blanc, le visage fermé. Sinon, il essaiera encore et encore, jusqu’à me tuer dans mon sommeil. Au moins comme ça, il comprendra.
— Mais tu n’es coupable de rien, ici ! protestai-je, estomaquée. Tout ce qu’il y avait à dire, tu l’as déjà dit !
— Alors pourquoi pleures-tu toutes les nuits ? releva Åke. Si ce n’est parce que tu te rappelles de ce que tu as subi entre ses mains ?
— Parce que Père m’a forcée à SACRIFIER MA PYROMAGIE À MÍMIR, ESPÈCE D’ABRUTI ! explosai-je brutalement. Parce qu’il m’a torturée jusqu’à ce que je le fasse ! Parce que la famille que je protège depuis des années continue à me demander sacrifice sur sacrifice, et n’hésite pas à me l’arracher de force quand ça lui chante !
Un silence stupéfait succéda à mon cri. Je me mordis les lèvres. Trop tard pour faire oublier ce qui avait été dit. De toute façon, ils auraient tous su à un moment donné, mais je n’avais pas prévu de l’avouer tout de suite, ni même de cette manière, à aucun des trois. Cependant, maintenant que j’avais commencé, il fallait que j’achève.
— Juste avant que je n’aille voir Mímir seule, expliquai-je après avoir pris une profonde inspiration, j’étais… emprisonnée dans un rêve causé par Père. Il savait que j’avais refusé le marché une première fois, et il exigeait que je reconsidère. Il m’a d’abord torturée pour me forcer à me soumettre, a finalement consenti à… un arrangement, on va dire. Qu’il ne va certainement pas tenir.
J’avais ajouté la dernière phrase dans un murmure amer, que le vent emporta loin de ceux qui auraient pu l’entendre. Je me gardai de la répéter.
— Tu ne peux plus… tenta Selvigia, sans parvenir à achever sa phrase.
— Utiliser mes flammes. Crois-moi, j’ai essayé.
La rancœur suintait de mon ton. Je rivai mon regard dans celui, turquoise iridescent, ahuri et toujours empli de colère, d’Åke. Il prit quelques dizaines de secondes pour encaisser ma déclaration, encore une poignée supplémentaire pour décider de ce qu’il allait dire, mais finit par affirmer :
— Il n’empêche que je veux le voir mourir.
Mes lèvres s’étirèrent sur un grondement furieux, qui mourut dans ma gorge lorsqu’une main calleuse se posa sur mon épaule, douce mais ferme.
— Laisse-moi faire, souffla Kalyan à mon oreille.
Il s’avança dans l’espace dégagé entre mon demi-frère et moi.
— Ça ne va rien rien changer à ce qui s’est passé, ajouta-t-il, amer, mais soit.
Avant que je n’aie pu bouger, Åke agit. Sa main jaillit, furtive, à la vitesse d’un serpent. Le fil acéré de sa dague captura un instant l’éclat distant d’un soleil voilé par les nuages, ricocha contre le bouclier rond que Kalyan venait de faire matérialiser. Comment avait-il su où mon frère frapperait, et qu’il frapperait physiquement, je n’en avais aucune idée. Mais soudain, toute sympathie avait déserté ses traits. Son visage se ferma, son expression devint un masque lisse, illisible, concentré. En une poignée de secondes, l’atmosphère s’obscurcit, les nuages s’épaissirent, noircirent, et des étincelles électriques se mirent à crépiter dans les profondeurs de leur masse sombre. Douloureusement consciente de ma position précaire, qui risquait de me transformer en dommage collatéral très bientôt, je me décalai sur le côté, en direction de ma sœur. Cette dernière se redressa, joignit sa main à la mienne, probablement pour ériger un double bouclier en cas de problème, serra fort ses doigts sur les miens. Je lui rendis ma gratitude pour son soutien sous la forme d’une légère pression, reportai mon regard sur les deux combattants, qui venaient de se sauter à la gorge.
Åke visa d’emblée la gorge. Sa main s’épaissit, ses ongles se muèrent en griffes. Fascinée et effarée, j’observai Kalyan parer avec aisance de son bouclier, riposter par une violente décharge qui frappa l’épaule du roux. Celui-ci grogna de douleur, plus animal qu’humain, tenta de faucher le blond, qui l’esquiva d’un bond. Un mètre les sépara. Ils prirent une inspiration simultanée, se relancèrent à l’assaut.
Les coups s’enchaînèrent, violents, imprévisibles. Spectatrice impuissante, j’assistais aux enchaînements éblouissants de l’un et de l’autre. Les assauts mixtes, à la fois magiques et physiques, d’Åke, qui se basait sur ses formes animales pour prendre le dessus. Il mutait d’une forme à l’autre avec une aisance déconcertante, enchaînait alternait entre griffes, sabots et crocs en fonction de la situation. De l’autre côté, Kalyan, contraint de se défendre, parait et esquivait les coups sans faillir. Åke frappa à gauche, Kal se fendit à droite. Le roux cingla l’air de sa patte musclée d’ours, le blond la bloqua du bouclier, lui envoya violemment son poing fermé dans l’aine. Il n’avait pas le dessus, certes, mais il tenait bon. Peut-être même mieux que Vali, si je devais être sincère, puisqu’il ne se laissait jamais toucher.
Et, soudain, la tendance s’inversa. Le ciel s’ouvrit, le tonnerre me déchira les tympans, la foudre fila vers le sol à une vitesse ahurissante. Åke bondit sur le côté pour l’éviter, mais l’arc électrique brûlant obliqua brusquement, ricocha contre les mains tendues de Kalyan, et frappa mon demi-frère de plein fouet. Il fit un vol plané de quelques mètres, s’écrasa au sol, se redressa en ahanant, les yeux troubles. Un second éclair jaillit, fit exploser les roches tout près de ses talons. Un troisième, puis un quatrième, d’une précision effrayante, tombèrent des nuages, obligèrent mon demi-frère à fuir exactement là où Kalyan voulait l’amener. Lorsqu’il fut pile dans son angle de visée, le Thor projeta une dague, qu’Åke évita avec aisance, mais qui le déconcentra. Il ne vit venir la foudre au-dessus de sa tête qu’à la dernière seconde, croisa les bras pour l’encaisser. Son bouclier hâtif ne tint pas longtemps. L’éclair l’aplatit contre le sol, d’où il ne se releva plus.
Kalyan ne nous accorda pas un regard. D’un pas lent, méfiant, il se dirigea vers son adversaire et, parvenu près de lui, il lui envoya une décharge préventive, qui ne parvint qu’à secouer d’un spasme le corps inerte. Alors seulement, il fit disparaître son bouclier, et je cillai. Il paraissait à peine fatigué. Et, certes, nous n’étions pas à Midgard, où le flux magique était troublé par le surplus d’entités demi-divines, mais le calme, le contrôle et la puissance qu’il venait de démontrer me stupéfiaient.
À côté de moi, Selvigia m’agrippa un peu plus fort la main quand elle le vit agripper le roux par les cheveux, s’asseoir sur son dos et placer une lame au contact de sa jugulaire. Soudain, les paupières closes se soulevèrent sur des iris turquoise furieux. Kalyan se pencha pour souffler quelque chose à l’oreille d’Åke, dont le cri de rage fit vibrer l’air ambiant, mais le blond ne bougea pas d’un cil. Au contraire, même, il me sembla que sa prise sur la tête du roux s’affermissait. Finalement, ce dernier, vaincu, acquiesça. Alors seulement, le Thor se redressa, rangea son poignard, et revint vers nous.
— Désolé, marmonna-t-il la tête basse, évitant soudain mon regard. Il fallait que…
— Arrête, lâchai-je d’une voix sèche.
Il se tut. Déjà, le ciel s’éclaircissait aussi vite qu’il s’était assombri. Encore sous le choc, je songeai à ce petit moment, des mois auparavant, où j’avais envisagé de l’affronter en même temps que Séraphin Cobb, fils de Týr. Je me rappelais clairement m’être dit que j’y parviendrais aisément, mais, maintenant que j’avais vu ceci… j’avais soudain un gros doute. Kalyan était un Hamershot, et là où sa jumelle semblait clairement préférer les frappes instantanées et explosives, sans une pensée pour les dommages collatéraux, lui était mille fois plus méticuleux dans sa manière de combattre… et donc bien plus dangereux. Certes, maintenant qu’il était là, je discernais l’épuisement qui obscurcissait ses traits fermés, mais ça n’enlevait rien à l’exploit qu’il venait d’accomplir. La foudre était un élément aussi difficile à maîtriser que les flammes, et je me rappelais du temps que j’avais passé à les soumettre à ma volonté, sans même essayer d’atteindre le niveau de perfectionnement de Selvigia par exemple.
Åke, à nouveau debout, passa à côté de Kalyan sans lui accorder un regard, martelant le sol rocheux de ses talons, se dirigea vers sa tente, la fit disparaître d’un geste.
— Tiens, lâcha-t-il de but en blanc en me tendant un rouleau de parchemin. Amusez-vous bien.
— Où vas-tu ? relevai-je.
Il grimaça.
— Ailleurs qu’avec vous. À défaut de pouvoir le tuer, je garde mes distances.
Sceptique, je levai un sourcil, mais refermai ma main sur la feuille qu’il me donnait, la marquai d’un geste rapide, et la fis disparaître. Åke nous détailla tous les trois quelques secondes, en silence. Ses iris turquoise brûlants de colère qui me sondaient comme s’ils lisaient au plus profond de mon âme firent courir un frisson d’appréhension le long de ma colonne vertébrale. Pour une raison que je n’expliquais pas, ses mots, proférés des jours plus tôt, résonnèrent à nouveau dans mon esprit. Si tu échoues, tu finiras comme ma traîtresse de sœur.
Il consulta Selvigia du regard. À voir leurs expressions à tous les deux, je réalisai qu’ils avaient probablement dû en parler durant la semaine passée… et elle semblait d’accord avec lui. Une grimace affleura à mes lèvres lorsque je réalisai ce que cela impliquait. J’allais devoir faire un choix. Eux ou Kalyan.
Mais ma sœur n’avait pas été la meilleure espionne du Manoir pour rien ; la diplomatie était un art dans lequel elle excellait. Au lieu de me poser l’ultimatum de but en blanc, elle pivota pour me faire face et expliqua honnêtement :
— Je ne me sens pas à l’aise à l’idée de bosser avec lui. Je sais, j’ai dit qu’il pouvait nous servir de mercenaire, mais…
Un fin sourire m’échappa lorsqu’elle hésita, cherchant ses mots. Les vieilles habitudes étaient difficiles à défaire. Voir un Thor comme autre chose qu’un ennemi à abattre ou un individu avec lequel traiter avec prudence était presque inscrit dans notre sang. Renier tout ça, c’était renier des millénaires d’enseignements rabâchés en tout temps, confirmés chaque jour sur le terrain. Mais l’une des choses dont nous avions longuement débattues avec Kalyan le premier jour était justement de cette relation ambiguë entre nos géniteurs. Ils avaient passé des siècles à combattre côte à côte, à faire des raids à Jötunheim et à traquer et à tuer des Jötnar. Si, aujourd’hui, ils se détestaient, c’était à cause de la nature fourbe de mon père.
Sauf que je n’étais pas mon père. Ça, je l’avais bien compris, depuis le temps.
— Il n’y a pas besoin d’en faire tout un drame, soufflai-je en serrant ma main sur la sienne. Il y a trois mois, j’aurais été comme toi.
Elle me fixa avec une pointe d’espoir légèrement malsaine, qui me vrilla le cœur. Au fond, elle aurait aimé que je la choisisse. Sauf que mon choix était fait. Aujourd’hui, dans l’état actuel des choses, j’avais surtout besoin de la stabilité que m’apportait Kalyan. Selvigia… s’il y avait bien une chose que j’avais appris à propos d’elle durant ce début de voyage, c’était que je ne la connaissais au fond pas tant que ça. J’avais confiance en elle, mais il y avait toujours des non-dits dans son attitude fuyante, et ses secrets pouvaient m’exploser à la figure à n’importe quel moment. Loki savait ce qu’elle avait fait durant ses quatre cent années d’existence à part vadrouiller dans les Neuf Mondes. Elle pouvait s’être fait des ennemis, avoir noué des alliances dangereuses… tout, en fait. Au fond, je ne la connaissais pas plus que Kalyan.
Quitte à choisir un étranger, autant choisir celui qui m’avait le moins menti, et avec qui je me sentais pour le moment le mieux.
— Vous, faites le tour de Jötunheim, faites le nécessaire, leur intimai-je à tous les deux. Je vais continuer vers Thrymheim. De toute façon, on voyagera moins vite que vous, donc on se retrouve là-bas, et ensuite, on avisera.
Sa façade calme et attentive s’effrita, ses lèvres roses se plissèrent en une moue de dépit, ses yeux turquoise se chargèrent de rancœur.
— Vraiment ? releva-t-elle, blasée.
Une sourde douleur me vrilla la poitrine lorsqu’elle me sonda avec l’expression de quelqu’un qui me voyait pour la première fois. Je pris une profonde inspiration, luttant pour maintenir pour ma part un visage aussi neutre que possible. Ma famille ou moi. C’était un choix que je devais faire… et je devais le faire maintenant.
J’étais tentée. Selvigia, c’était la sécurité. Une amie, une personne qui m’avait toujours soutenue – à l’exception de quelques brefs moments au Manoir où nos intérêts économiques avaient divergé – mais surtout, une véritable sœur, qui avait toujours répondu présente à l’appel lorsque j’avais besoin d’elle. Elle n’avait pas hésité – ou en tout cas ne semblait pas avoir hésité – à s’allier à un Thor pour me sauver, elle m’avait suivie au milieu de l’enfer pour libérer les autres Élites. C’était si simple, si évident, de me tourner vers elle. À un autre moment, je n’aurais pas hésité.
Mais les semaines passées chez les Thor m’avaient arraché cette loyauté aveugle que j’avais auparavant. Elle avait abandonné la Confrérie de son plein gré, moi, j’avais dû me résoudre à la trahir. Il me fallait quelqu’un qui comprenait ce que je traversais en ce moment, et l’amertume et la déception qui se lisaient sur les traits doux de ma sœur me certifiaient qu’elle n’était pas cette personne.
— Il ne va pas me changer en trois semaines, si c’est ça qui t’inquiète. Tu restes ma sœur, soufflai-je avec douceur. Mais actuellement, il vaut mieux qu’on se concentre sur nos objectifs… et clairement, on n’a pas la même vision des moyens à employer pour y arriver. Faites votre partie du boulot, je ferai l’autre. De toute façon, tu connais probablement mille fois mieux que moi cette région.
Face à mon argumentaire, elle baissa la tête, consciente qu’elle n’arriverait pas à me convaincre. Je me mordis l’intérieur des joues, frustrée de devoir en arriver à là. Mais si je n’étais jamais passée chez les Thor, j’aurais certainement raisonné comme elle.
Au bout de quelques longues secondes de silence, elle finit par reculer, échappant à mon emprise sur sa main, et fit elle aussi disparaître sa tente d’un geste sec, irrité.
— On se retrouve à Thrymheim dans deux ou trois semaines, alors, lâcha-t-elle, distante. Allume le transmetteur dès que vous arriverez, on vous rejoindra.
Elle ne m’adressa plus un regard, simplement un hochement de tête à Åke. Ils se métamorphosèrent tous les deux en faucons, prirent leur envol en quelques battements d’aile puissants. Portés par les courants, ils montèrent si vite et si haut dans les nuages que, en quelques secondes, il me devint impossible de les voir. Je poussai un long soupir.
Je ne me sentais pas capable de regretter la présence d’Åke. Certes, ses enseignements étaient profitables, et avec son aide, j’avais commencé à maîtriser les métamorphoses partielles, mais la distance prudente qu’il avait toujours imposée, ainsi que la rage qui bouillonnait toujours dans ses veines, avaient été inconfortables à supporter. Je n’avais jamais vraiment discuté avec lui, sauf la nuit avant l’attaque de Vali, mais je ne m’étais jamais non plus sentie assez à l’aise pour lui parler à cœur ouvert. L’absence de Selvigia, en revanche, me vrilla le cœur. Au fond, j’avais l’impression de l’avoir abandonnée… alors qu’en fait, j’avais pour une fois réellement pensé à moi.
Est-ce toujours si douloureux d’être égoïste ?
Toujours inquiet de ma réaction, Kalyan demeurait muet derrière moi. Face à son silence, je me permis un sourire, puis pivotai, et lâchai, décidée à ne pas parler de ce qui venait de se passer :
— Ton style de combat est impressionnant.
Surpris, le blond demeura immobile quelques instants, puis releva la tête, hésitant.
— Tu trouves ?
L’angoisse dans sa voix me fit brièvement hésiter.
— Absolument, finis-je par répondre, sarcasme suintant de ma voix. J’imagine mal me balader avec un mercenaire incapable d’user de ses pouvoirs correctement.
Il pouffa, nerveux, mais ne pipa mot. Il avait beau avoir levé le menton, ses yeux cherchaient toujours une quelconque approbation dans les cailloux qui jonchaient le sol. Un arc d’électricité crépitait entre ses doigts. Je m’avançai vers lui, dédaignant la menace évidente, posai mes mains sur ses épaules. Le crépitement s’évapora, l’air redevint calme. Incapable de fuir mon regard, il finit par accepter de le croiser. J’y lus une foule d’émotions contradictoires, allant de la haine à l’espoir en passant par le dépit, l’appréhension et la résignation.
— Qu’est-ce qui te dérange dans ce que tu as fait ? l’interrogeai-je, essayant de mettre le doigt sur ce qui le mettait dans cet état.
Ses lèvres se froissèrent en un pli de frustration.
— Je déteste faire ça, avoua-t-il. User de force pour montrer que… que je mérite d’être là. Que je sais me défendre.
Il avait failli dire autre chose. Les souvenirs de nos séances d’interrogatoire me revinrent, je me rappelai son expression chaque fois qu’il avait levé la main sur moi. Je ne pouvais pas ne pas m’en souvenir, c’était l’une des choses qui m’avaient le plus frappées chez lui. Sa colère intérieure, ses remords, sa retenue, ses gestes trop minutieux qui portaient tant de signification. L’usage de la force le dérangeait, certes, mais j’étais certaine que le véritable problème ne se trouvait pas là.
Je l’enlaçai. L’ensemble de son corps, tendu, se relâcha d’un seul coup, il enfouit son nez dans mon cou, posa ses mains sur mes hanches. Je me collai contre lui, posai ma joue contre son épaule, le serrai fort contre moi, et il s’abandonna totalement à l’étreinte avec un soupir.
— Merci… murmura-t-il.
— Pour ?
— Tout ça. La situation actuelle, le fait que tu sois là quand personne d’autre ne l’est…
Un instant, une partie un peu trop rationnelle de mon esprit songea aux multiples ouvertures, possibilités et options de manipulation que cet aveu m’offrait. Les vieilles habitudes étaient décidément bien difficiles à défaire. Mais Kalyan avait été là pour moi tout le long de mes cauchemars – qui me poursuivraient encore longtemps, j’en étais certaine – et il avait toujours été pleinement sincère. J’avais beau avoir l’habitude de le faire, je n’avais pas envie de le tromper et de l’obliger à faire des choses qu’il ne voulait pas. Je voulais pouvoir être honnête avec lui, parce que ça avait été le fondement même de notre relation, des mois plus tôt.
Alors je me contentai de me blottir un peu plus contre lui, de l’écouter respirer, apaisée par les battements de son cœur qui résonnaient en écho aux miens. Il entrelaça ses doigts aux miens, un sourire au coin des lèvres, et nous demeurâmes ainsi appuyés l’un contre l’autre, profitant simplement du moment présent.
Cette situation aurait pu paraître totalement absurde il y avait encore quelques mois de cela. Ce qui était arrivé avant que nous ne nous retrouvions ici avait probablement éternellement marqué nos âmes et nos esprits. Nous ne pouvions pas effacer ce que nous nous étions infligés, ni échapper à nos souvenirs. Mais il nous était possible de les partager, de nous soutenir mutuellement. Ce qui s’était passé avant ne dépendait pas de nous. Nous avions été dans des factions différentes, tous nos actes avaient été dictés par nos proches et nos supérieurs. Ni lui ni moi n’avions réellement agi pour nous-mêmes.
Brièvement, les réminiscences de notre première nuit ensemble me revinrent, et je me surpris à rougir à l’idée qu’il m’ait vue dans mes pires moments de faiblesse, qu’il m’ait entendue parler de ce que je ressentais réellement. Outre Ekrest, Kal devait bien être le seul à avoir réellement vu mes doutes. Sam et Selvigia les avaient probablement entrevus, mais je ne m’étais jamais permise d’être aussi ouverte et sincère avec eux. Je leur faisais confiance, mais ça m’aurait rongée par la suite, tout simplement parce que ce qui nous liait demeurait, envers et contre tout, plus professionnel qu’intime ou familial.
— Lily ?
— Kal ? répondis-je sur le même ton plaintif que celui qu’il avait employé.
Je devinai son sourire fugitif dans le mouvement de ses commissures, mais il était sérieux lorsqu’il parla.
— Quand… je sais que tu avais dit que c’était surtout pour toi… mais quand tu as vendu cette base pour une nuit…
Il s’interrompit, cherchant probablement les mots justes. Je souris, fis glisser ma main libre sur son dos, amusée de voir à quel point il restait nerveux en abordant ce sujet avec moi.
— Ce que je t’ai dit ce jour-là… répondis-je à la question muette. Comme quoi je voulais me sentir humaine, ne serait-ce qu’un soir… c’était la stricte vérité.
— Et j’étais le choix par défaut ?
Pas difficile de deviner la blessure ouverte, qui résultait probablement de semaines d’interrogations silencieuses, de prises de tête et d’heures de réflexions solitaires. Sa voix se voulait distante et désintéressée, mais je sentais qu’il souffrait intérieurement.
— Tu étais le seul Thor que je connaissais et qui m’intéressait… admis-je d’une voix douce. Mais, si tu n’avais été qu’un choix par défaut… tu n’aurais pas survécu ensuite.
Son rythme cardiaque s’accéléra imperceptiblement. Un peu plus rythmé, un peu plus intense, gonflé d’espoir. Je ne pus m’empêcher de sourire, en me sentant malgré tout un peu idiote. Je me tortillai pour mettre mon visage au niveau du sien, puis posai mon menton contre son épaule. Ses cheveux sentaient le citron. Le parfum était diffus, et pourtant si douloureusement familier qu’il m’aurait été impossible de ne pas le reconnaître. Mon cœur rata un battement à son tour.
— Du coup… hésitai-je. Si tu étais vraiment sincère, avant, est-ce qu’on pourrait…
Ses yeux azur croisèrent les miens, je m’interrompis.
— Tenter de poursuivre ce truc bizarre qu’on a entre nous ? acheva-t-il, interrogateur.
Je ne répondis pas durant un long moment, pensive. Et finalement, alors que sa prise sur ma main se relâchait et qu’il esquissait un mouvement de recul, une pensée s’imposa, détruisant tout ce qui aurait pu s’opposer à ce que je me lance. Quitte à me brûler les ailes, autant entraîner quelqu’un dans ma chute. Je passai mes doigts autour de son cou, me hissai sur la pointe des pieds, et posai mes lèvres sur les siennes.
Kalyan demeura un instant immobile, figé par la stupeur. Puis, ses mains se refermèrent sur ma taille, il m’attira contre lui. Je m’abandonnai entre ses bras, me perdis dans son souffle, l’embrassai jusqu’à ne plus sentir autre chose que le goût de ses lèvres et la douceur de son contact. Le reste du monde s’effaça, au profit d’une douce sérénité que je n’avais que rarement ressentie jusque-là. Les yeux mi-clos, je demeurai collée à lui même lorsque nous nous détachâmes l’un de l’autre, posai mon front contre son épaule, inspirai profondément son parfum citronné diffus.
Ses doigts s’étaient emmêlés dans mes cheveux, effleuraient ma peau avec tendresse.
— Tu me tues… soupira-t-il avec un sourire audible dans la voix. Ça va nous exploser à la figure.
Je ricanai doucement, sans trop savoir si je pensais vraiment ce que je disais lorsque je répondis :
— Tu me connais, je suis cinglée…
Après un court silence, toutefois, j’ajoutai d’une voix un peu plus coupante :
— Mais ne place pas ta barre trop haut. On a du boulot si on veut que ça marche.
Une relation, une vraie, requérait de l’investissement. Si on ne voulait pas que celle-ci soit juste un plan cul qui tournerait mal, il allait falloir qu’on y mette chacun du nôtre. Aussi grands nos différends puissent-ils être, aussi violentes nos disputes puissent-elles un jour devenir, il y avait des règles de base qui ne s’inventaient pas : pas de mensonges, pas de tromperies, pas de secrets.
Kalyan se contenta de sourire, comme s’il suivait le cheminement de mes idées. Il se pencha, effleura mes lèvres avec la légèreté d’un courant d’air, et sourit.
— Ne t’en fais pas, je n’ai pas l’intention de faire foirer ça.

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Dernière modification par vampiredelivres le jeu. 01 sept., 2022 11:14 am, modifié 1 fois.
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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

Bonsoir,
Ça fait un mois que j'ai disparu… et je n'ai absolument aucune excuse. Désolée T-T
Bon sur ce, on attaque un chapitre sympa, avec un perso que je voulais vous présenter depuis loooongtemps (elle est dans le casting :D )
Bonne lecture !


CHAPITRE 25


Nous nous remîmes en route après avoir rangé nos affaires. Lancés dans les vastes plaines vides au nord de Mímirsbrunn, nous parcourûmes une bonne dizaine de kilomètres à vive allure, avant même que le soleil ne soit haut dans le ciel nuageux. Kalyan, fatigué par l’usage excessif de magie du matin même, fit quelque chose qu’il n’avait jamais fait durant les dix premiers jours de voyage, où nous avions avancé de la même manière : il demanda une brève pause en milieu de matinée. Je lui adressai un sourire moqueur, mais ralentis malgré tout, consciente qu’il nous restait bien le quadruple à parcourir si nous voulions garder notre progression actuelle, et il valait mieux pour moi qu’il soit encore fonctionnel si jamais nous venions à rencontrer de potentiels ennemis. Car, au bout du compte, nous étions actuellement le pire duo des Neuf Mondes : les trois quarts des êtres vivants qui respectaient les Æsir me détestaient à cause de mon ascendance, et les autres haïssaient Kalyan parce qu’il représentait justement lesdits Æsir.
Ainsi, assis au milieu de cailloux gris et bruns, enveloppés d’un épais manteau de brume, nous nous posâmes l’espace de dix minutes pour boire un peu d’eau, calmer nos respirations et étirer nos muscles tendus. Pour ma part, je sortis même une barre chocolatée de mon inventaire magique et, face au regard amusé de Kalyan qui me regardait manger, je finis par lui en donner une autre simplement pour gommer le sourire goguenard qui étirait ses lèvres.
— Quoi ? grommelai-je, la bouche pleine.
Il pouffa.
— J’ai toujours un peu de mal à réaliser que tu peux parfois te comporter comme une gamine de cinq ans, et ensuite massacrer une quinzaine de personnes dans le calme le plus absolu…
La petite référence à notre premier dîner ensemble m’arracha un léger rire. Je croquai dans ma barre chocolatée avec entrain, bien plus satisfaite d’avoir fait une pause que je n’aurais jamais osé l’admettre. J’avais tellement l’habitude d’évoluer avec des gens capables de modifier leur métabolisme en continu, de puiser dans leurs ultimes ressources pour couvrir chaque jour un peu plus de terrain… Ainsi, pour une fois, voyager de manière un peu plus tranquille me plaisait vraiment. Certes, nous nous donnions toujours à fond, mais je n’usais pas de magie pour améliorer ma résistance ou faciliter ma progression. Je me contentais de marcher et courir autant que mon corps, mon souffle et mon cœur me le permettaient, d’ahaner pour franchir des crevasses en sautant par-dessus alors que j’aurais simplement pu me transformer, de forcer sur mes muscles quand ils criaient grâce alors que j’aurais pu juste les renforcer.
Et, je devais l’admettre, Kalyan m’impressionnait. Pour quelqu’un qui, à première vue, m’aurait paru être un adepte du douillet confort de sa petite chambre au château des Thor, il avait une résistance à toute épreuve. En dix jours de voyage, il ne s’était jamais plaint, il avait toujours suivi le rythme démentiel qu’Åke et Selvigia imposaient, et il avait même trouvé chaque soir la bonne volonté de se joindre au feu de camp, de raconter des histoires et de veiller jusqu’à tard le soir après avoir enchaîné quarante à soixante kilomètres de marche-course. Plus impressionnant encore, il ne paraissait pas – trop – fatigué. Certes, des valises avaient élu domicile sous ses yeux, ses traits étaient tirés, et il avançait avec bien moins d’entrain qu’aux premiers jours, mais il était toujours de bonne humeur, un exploit auquel peu parvenaient.
— Écoute, marmottai-je, la bouche pleine, quand on vient me casser les pieds pendant que je mange…
Il ricana ouvertement en voyant le regard d’avertissement exagéré que je lui lançais, termina sa barre sans plus pipier mot, simplement en m’observant du coin de l’œil, et je finis moi aussi, puis fis apparaître un petit sac poubelle, dans lequel je jetais mes déchets quand je me baladais comme ça dans la nature. Ensuite, nous nous redressâmes tous les deux. Un regard à la boussole nous permit de confirmer, malgré le brouillard, notre cap actuel, et nous nous remîmes en route au pas.
— Tu penses qu’on pourra se pointer à Thrymheim sans se faire massacrer ? interrogeai-je soudain, prise d’une crainte subite.
Je ne connaissais que peu les petites cités des Jötnar, les géants de Jötunheim, mais je connaissais mes halles principales sur le bout des doigts. Au sud-ouest était supposée se trouver Glæsisvellir, une halle légendaire, et ceux qui pouvaient personnellement attester de son existence se comptaient sur les doigts d’une main. Ensuite, quelque part au nord-est se trouvait Utgard, la forteresse cachée des descendants d’Utgard-Loki, un groupe de géants qui haïssaient férocement Thor, et que Selvigia et Åke étaient partis recruter au nom de mon père. Et enfin, dans notre direction actuelle, nord nord-ouest, il y avait la demeure de Skadi, la géante de l’hiver et du ski, épouse de Njörd. Elle et son époux vane étaient aussi opposés que Sól et Máni, et elle avait entre autres participé à l’emprisonnement de mon père, mais prétendre faire un crochet par chez elle pour reprendre des vivres pour la suite du voyage me paraissait une option envisageable. Admettre que je devais la tuer l’était en revanche un peu moins.
— Mmhm… marmonna Kalyan en réponse, pensif. Skadi n’est pas exactement connue pour aimer Loki… Te manifester comme ça à sa porte pourrait te causer quelques… ennuis, on va dire.
Nous cheminâmes quelques minutes en silence, ruminant chacun de notre côté, à la recherche d’une solution qui conviendrait, mais je n’en avais aucune qui me venait à l’esprit. Effectivement, aller chez la femme – la géante, plutôt – qui avait eu la merveilleuse idée de placer un serpent au venin corrosif au-dessus du visage de mon père pour le torturer pour l’éternité ou presque était un concept discutable, mais je ne voyais pas trop où nous ravitailler ailleurs. Les autres géants avaient une peur bleue de Thor et de ses descendants, qui ne se gênaient pas pour organiser des parties de « chasse » de temps à autre et, bien que je puisse dissimuler ses yeux derrière une illusion, il suffirait d’un Jötun un peu trop suspicieux pour créer une panique générale, qui se finirait par nos corps piétinés sous des pieds géants.
— Et si… hésitai-je soudain, prise d’une inspiration subite. Si on me mettait dans une position où je suis intouchable…
Kalyan fronça le nez, sans voir où je voulais en venir. Pour ma part, je tergiversais encore, il me fallut donc une bonne dizaine de secondes supplémentaires pour formuler ma pensée correctement, en une phrase simple :
— Si je me faisais passer pour ta sœur ?
Il fit encore trois pas avant de percuter ce que je venais de dire, et s’immobilisa dès qu’il comprit.
— Non. Hors de question.
Je m’arrêtai, pivotai vers lui en haussant un sourcil.
— Pourquoi ? demandai-je.
— C’est trop dangereux.
— Pourquoi ? répétai-je.
— Elle ne sentira pas ton flux si tu ne l’utilises pas, mais à l’instant où tu feras ne serait-ce qu’apparaître quelque chose, tu es fichue.
— Alors je ne fais rien apparaître.
Il ricana, presque mesquin.
— Imagine qu’elle te demande des preuves. Ou quelque chose, un couteau, n’importe.
— Kal.
Nous nous fîmes face au milieu de la plaine déserte.
— Il faut que je passe par Thrymheim, martelai-je. J’ai promis à une déesse d’y faire quelque chose, donc je le ferai, sinon je me ferai carboniser. Mais ce sera plus simple pour moi si j’arrive à me faire passer pour quelqu’un d’autre. Parce que sinon, je vais devoir m’infiltrer en usant de mon invisibilité, et là je serai vraiment repérée trop facilement.
Il ne pipa mot, figé. J’aurais voulu pouvoir me permettre de suivre ses conseils, d’agir autrement, mais avec sa trace magique à lui, il pouvait couvrir la mienne, au moins aux yeux de la géante. Pour la tuer ensuite, je me débrouillerais, mais il fallait avant tout que je rentre dans sa demeure, et j’avais un très mauvais pressentiment à ce sujet. Or mon instinct ne mentait pas quand il s’agissait de magie.
— Je sais que c’est risqué. Je connais les dangers de mon métier.
Kal sourit tristement, et hocha la tête.
— On fait comme tu le sens, finit-il par soupirer.
Je me remis lentement en marche, songeuse. Il y avait quelque chose dans la mention de Skadi qui avait crispé le Thor.
— Est-ce qu’elle a fait quelque chose contre toi ? relevai-je. Tu as une histoire personnelle avec elle, un vieux contentieux ?
Il grimaça.
— Pas… pas exactement. Mais oui, je la connais.
— Ah.
— C’était l’une des fameuses parties de chasse de mon père, il y a une… vingtaine d’années, je crois… expliqua-t-il spontanément, avec le clair besoin de se vider. Nous étions partis de Midgard en famille… enfin, en famille Hamershot, pour être clair. Il avait entendu parler de géants qui étaient un peu trop motivés à l’idée de tenter l’escalade des Cils d’Ymir, et il voulait les mater. Concrètement, il les a plus décimés qu’autre chose.
J’opinai du bonnet avec un rictus grinçant. Ça ne changeait pas vraiment des histoires que j’avais entendues sur Thor. Il avait beau avoir de belles intentions – protéger le monde des hommes de Jötnar anthropophages et aux mœurs envahissantes – il demeurait une brute épaisse aux tendances sanguinaires. La guerre et les massacres qu’il perpétrait étaient réguliers, et se traduisaient souvent par des sorties en « famille » avec ses enfants, qu’il initiait au concept. Leurs exploits se chiffraient en centaines de morts, milliers de blessés et millions de rancœurs.
Enfin, ça, c’était ce qui se racontait à la Confrérie. Les autres Maisons dépendaient bien trop de celle de Thor pour oser piper mot à ce propos, et même les dieux d’Asgard se contentaient en général d’applaudir quand le dieu de l’orage balançait une tête de géant sur la table de banquet en guise de trophée.
— Mais bref, c’est Skadi qui nous a hébergés le temps de notre… chasse. Et, à ce moment-là, elle avait une nuée d’esclaves humains, ce qui n’a absolument pas dérangé mon père.
Je cillai. Se pouvait-il que le grand protecteur de la race humaine soit un tantinet partial lorsqu’il s’agissait de vieux alliés ?
— Pire, il en a profité pour lui donner des pommes d’Idunn pour la… « remercier »… des services rendus par le passé.
La capture de mon père, donc, déduisis-je aisément.
— Évidemment, je n’ai rien dit à l’époque, mais… déjà à ce moment-là, ça me rendait malade. Savoir que, tout ce pour quoi on prétendait lutter était bafoué devant ses yeux sans qu’il ne dise rien…
Je ricanai doucement, amère. On aurait dit qu’il venait de résumer ma vie de ces dernières semaines.
— Donc… hésitai-je, ton père n’est pas du tout le héros que tout le monde aime voir.
— Ça te surprend ? releva-t-il, l’air aigri.
Je secouai lentement la tête, un rictus aux lèvres. Le grand Thor, fils d’Odin, n’était rien de plus qu’un criminel intermondial protégé par son héritage. Il n’était pas moins corrompu ni mauvais que mes frères ou moi. Il se prétendait vertueux, mais au bout du compte, il n’était qu’un homme un peu trop puissant, qu’on avait appris à vénérer pour la pseudo-justice qu’il incarnait. Et, quoique je ne puisse pas nier qu’il était certainement le seul rempart tangible entre les Jötnar et les humains – si l’on excluait les Cils d’Ymir, cet immense mur autour de Midgard – il demeurait aussi aveuglément borné que d’autres. C’était presque dommage. Je n’aimais pas ceux qui se présentaient comme meilleurs qu’ils ne l’étaient vraiment. Je préférais ceux qui assumaient leur part d’obscurité, la haine et la peur qui les hantaient.
— Nous sommes donc certainement défendus par le plus grand criminel impuni des Neuf Mondes, soupirai-je. Et après, on se plaint du comportement de la Confrérie…
L’humeur sombre de Kalyan se dissipa quelque peu, il m’adressa un sourire amusé.
— C’est vrai que la pauvre Confrérie est constamment et injustement maltraitée !
— Oh, hein.
— Tant de verve et d’arguments valables…
Je soupirai, secouai la tête et accélérai pour l’inciter à se taire, mais il se maintint à mon rythme sans mal. Alors j’accélérai encore, jusqu’à me mettre à courir, et il me pourchassa comme un enfant durant une bonne vingtaine de minutes, jusqu’à ce que j’accepte de ralentir, priant pour avoir gardé le cap. La boussole dans ma manche était certes utile, mais au vu de la longueur de notre trajet, on ne pouvait pas exactement se fier à cette direction approximative. Je savais qu’il faudrait probablement que nous empruntions à un moment donné l’une des routes que les géants utilisaient pour rejoindre le domaine de Skadi. J’espérais que Kalyan, qui avait admis avoir un peu baroudé dans le secteur – même si c’était pour chasser du géant – saurait se repérer. Car pour moi, progresser dans le brouillard et l’immensité désertique de la plaine de Skavoll, c’était comme avancer dans le Sahara en se fiant à la position du soleil levant : il n’était pas improbable que nous en sortions un jour, mais arriver à bonne destination requérait un peu plus de moyens techniques.
Mais j’avais étonnamment confiance en Kalyan pour m’amener à bon port.

Nous avions continué à progresser dans les plaines rocailleuses, le chemin se faisant chaque jour plus pentu et accidenté, jusqu’à ce que, finalement, nous nous retrouvions en train de gravir une petite montagne, et non une simple colline. Évidemment, comme la brume s’attardait toute la journée et que les nuages bas ne se dissipaient jamais vraiment, j’y voyais rarement à plus de cinq mètres, et seul un petit chemin escarpé qui sinuait entre quelques rares conifères rachitiques nous indiquait vaguement le chemin. Nous avions traversé six villages de géants jusque-là, sans jamais avoir de réelle mauvaise rencontre. Depuis les millénaires passés à la merci de Thor, la plupart des géants, et notamment ceux qui habitaient non-loin de la demeure de Skadi, s’étaient quelques peu pacifiés.
Certains s’étaient révélés être plutôt du côté Æsir, d’autres plutôt du côté adverse. Mais notre duo étrange, quelque peu contre-nature d’après eux, avait toujours su faire valoir un argumentaire acceptable à l’oreille qui nous écoutait. Du côté pro-Æsir, Kalyan s’était porté garant de moi, avait appuyé mon rejet de la Confrérie, et m’avait même défendue contre des brutes un peu trop enthousiastes à l’idée de me dévorer. Jamais dans mon enfance je ne m’étais imaginée pouvoir compter sur un ancien ennemi pour l’entendre dire que je valais bien mieux que le reste de ma famille… alors que j’en étais certainement l’un des pires exemples. Et pour compenser, du côté anti-Æsir, j’avais fait valoir que Kal était un mercenaire banni qui n’avait plus aucune attache avec sa famille, qui aidait depuis de longues semaines une fille de Loki et que puisqu’il se présentait à eux sans essayer de faire exploser leur village, il ne pouvait pas être comme la plupart des Thor. Dans les deux cas, ça avait relativement bien marché, passé le premier moment où il fallait faire attention à ne pas sortir le mauvais argument au mauvais Jötun.
Et puis, dans l’un des cas où ça s’était quelque peu compliqué, nous avions filé aussi vite que Sleipnir pour leur échapper, et même s’ils s’étaient lancés à notre poursuite, quelques éclairs bien placés les avaient convaincus d’abandonner rapidement. En cela, je ne pouvais nier qu’avoir Kal à mes côtés était effectivement une garantie de sécurité plus efficace que je n’en avais jamais eue.
Avec ceux qui ne manifestaient qu’un amour modéré des dieux dominants des Neuf Mondes, j’avais demandé une entrevue privée avec leur chef. Kalyan ne m’avait jamais interrogée là-dessus, Loki en soit remercié, parce que je me voyais mal lui expliquer que je diffusais un message équivalent à « Affûtez vos armes et ne provoquez pas de combats inutiles, le Ragnarök approche. » Et je savais parfaitement que nous avions dit plus de mensonges, mais en l’état actuel… c’était compliqué. Cependant, je restais de bonne foi. Avant le Ragnarök, il y avait le Fimbulvetr, un hiver long de trois années qui nous donnerait le temps de nous préparer aux combats finaux, et avant encore le Fimbulvetr et la rupture des chaînes de Loki et de Fenrir… j’avais le temps de remettre les choses au clair.
Mais plus le voyage avançait, plus j’avais la terrible sensation d’être un imposteur, doublée d’une piètre menteuse, chose qui ne m’était encore jamais arrivée jusque-là.
Alors, finalement, un jour que nous nous étions installés dans un petit renfoncement du versant d’une énième crête de montagne en pestant contre les pentes et nos muscles qui souffraient de la montée, je décidai d’être honnête. Je craignais trop ce que je risquais de gâcher en gardant le silence, et j’en avais assez de sentir une nouvelle forme de culpabilité dans ma poitrine. Enveloppée de fourrures de la tête pour contrer le froid, maintenant que je n’avais plus ma pyromagie pour me tenir chaud, j’étais blottie dans la tente à côté de Kal, qui grelottait en silence depuis qu’il était parti chercher un animal à abattre. Évidemment, il n’avait rien trouvé, donc nous mangions nos réserves, mais j’aurais tué pour un repas chaud, d’autant plus maintenant que je n’avais même pas de quoi créer une pauvre flammèche.
Ma magie de feu me manquait cruellement. Et certes, j’avais toujours des allumettes et un briquet sur moi, mais là n’était pas la question. J’avais l’impression, à chaque fois que je voulais instinctivement l’utiliser, qu’on m’avait arraché une partie de moi. Ça me hantait autant que ma culpabilité de l’avoir sacrifiée, si ce n’était plus.
— Kal ? soufflai-je.
Pendant que je réfléchissais, il avait quelque peu arrêté de trembler. Et certes, il n’avait pas encore l’air d’avoir particulièrement chaud dans son sac de couchage spécialement adapté à la Sibérie, mais au moins, il ne frissonnait plus. C’était bon signe.
— Oui ?
J’hésitai, ne sachant trop comment tourner la phrase que je m’apprêtais à dire. Je vais à Thrymheim pour tuer Skadi, j’espère que ça ne te dérange pas, d’autant plus que tu ne l’apprécies pas trop apparemment ? Mauvaise pioche.
— Au sujet de Skadi… entamai-je, hésitante.
Un cri étouffé déchira l’air. Je me figeai, doutant d’avoir bien entendu, finis par reprendre :
— Bref. Ce que je voulais dire, c’est que…
Le cri s’éleva à nouveau, réverbéré par les montagnes. Plus fort, plus désespéré. Indubitablement humain. Et, comme en écho, un grand rire grave et grondant résonna dans la vallée, répercuté par les montagnes. Kalyan et moi nous redressâmes d’un bond, toute discussion oubliée. Il fit apparaître des vêtements secs d’un geste, fit disparaître son sac de couchage et ses affaires à lui.
— Désolé. On en reparle ?
— Plus tard, soufflai-je en me ruant dehors, prenant à peine le temps de ranger ma tente et tout ce qu’elle contenait dans mon inventaire magique.
Nous dévalâmes la pente en direction du rire qui continuait à résonner occasionnellement, entrecoupé de cris de rage et de souffrance. Kalyan, d’un geste lourd et empreint d’un effort certain, repoussait les nuages sur notre chemin, dégageant progressivement la vue sur le ravin dans lequel nous nous engagions au pas de course. Heureusement, plus nous avancions et plus les sons devenaient proches, audibles. À force d’écouter, je discernai trois tons distincts mais très semblables, rauques et graves, de géants. Je fis un bond pour esquiver une crevasse profonde, fis un signe de la main à Kal pour lui indiquer le nombre d’adversaires. Il acquiesça, et accéléra, et je vis des étincelles crépiter dans ses doigts.
Je voulus appeler mes flammes, mais seul une brûlante sensation de vide dans ma poitrine m’étreignit. Je grimaçai, chargeai mes mains de magie, songeai une seconde aux aiguilles de lumière d’Åke. Le moment était malvenu pour expérimenter des techniques que je ne maîtrisais absolument pas, aussi me rabattis-je avec une profonde tristesse sur de l’énergie magique pure, que je savais manipuler correctement.
Et soudain, au détour d’un arbre, une main immense, plus large que mon buste, m’attrapa au vol et me souleva du sol. Je poussai un cri de terreur et de colère mêlées, gigotai, me tortillai. Le géant, de la taille d’un immeuble de trois étages environ, me leva à la hauteur de sa tête, et mon champ de vision fut envahi par un visage d’un gris rocailleux, trop proche.
— J’en ai une autre ! annonça-t-il. Encore une Loki.
Mes flammes auraient décidément été plus que bienvenues dans cette situation, songeai-je avec dépit, n’ayant aucun moyen de me dégager. Mes mains étaient collées contre mes cuisses, impossible de les bouger pour invoquer ne serait-ce qu’un bouclier.
— Par Thor, lâchez-la, elle est avec moi ! hurla Kalyan.
Malheureusement, seul un ricanement lui répondit, et la paluche massive d’un second géant plongea sur lui. Le Thor leva une main, un éclair crépita et le géant gronda de douleur. Je réfléchis à toute vitesse, évaluant mes options. Pour le moment, les géants ne semblaient pas pressés de faire de nous leur casse-croûte. Au contraire, ils semblaient espérer autre chose, attendre un évènement. Ce qui signifiait que j’avais le temps.
J’écartai donc l’idée de mon canon à impulsion magique, absurdement puissant pour la situation, me rabattis sur ma métamorphose. Je pouvais me transformer à n’importe quel moment, devenir un serpent venimeux si c’était nécessaire. Je doutais que les Jötnar, aussi résistants soient-ils, soient immunisés contre une morsure de mamba noir.
— C’est dommage petit prince de l’orage, répondit une autre voix, on n’aime pas ton père… et on n’aime pas le sien non plus…
Ah. Dommage. Je me tortillai pour réussir à lancer un bref coup d’œil à Kal, qui venait de détaler entre trois arbres, s’accordant un répit de courte durée. Les conifères étaient étrangement tordus, leurs longues branches étirées dans la direction du géant qui me tenait comme des mains désespérées.
— Hé, Skvar, on en fait quoi ? lança celui qui me tenait. On les mange ?
Étrangement, je n’avais pas peur. J’avais affronté Vali, et avec l’aide de Selvigia et Åke, je l’avais vaincu. Trois géants du froid pour le Hamershot et moi, c’était largement faisable, pour peu qu’il ne se fasse pas attraper. Pour le moment, il faisait ce qu’il pouvait, et le premier éclair avait sensiblement calmé les deux goinfres.
Puis, je jetai un regard du côté du troisième, à qui la dernière question avait été adressée, et un frisson me parcourut. Il tenait par un pied, tête en bas, une petite silhouette menue, et s’amusait à l’agiter dans tous les sens comme une poupée de chiffons, escomptant probablement une réaction. Mais elle semblait évanouie. Je grondai, fixai à nouveau celui qui me tenait. Sa face était essentiellement humanoïde, plus aplatie que la nôtre, son nez ressortait à peine de son visage. Il avait une peau grisâtre, teintée de marron, des oreilles trop grandes et un regard trop mesquin et affamé. En ouvrant la bouche, il dévoila une rangée de dents plates, chacune de la taille de ma tête.
— Hein, Skvar ?
Le dénommé Skvar ne répondit pas plus que la première fois, et je soupirai.
— Apparemment, c’est non, souris-je en essayant de maîtriser la peur et la colère dans ma voix. Tu veux bien me reposer maintenant ?
Il éclata d’un rire tonitruant, semblable à deux pierres qui raclaient l’une contre l’autre. Je grimaçai, les oreilles en miettes.
— J’t’aime bien, toi, tu sais ? Fais voir si t’es aussi solide que la p’tite miss branchages là-bas.
Miss branchages… Une fille de Freyr, donc. En avisant les cheveux blancs et courts qui pendaient vers le sol tandis que son corps se balançait mollement dans les mains de Skvar, je fus prise d’un doute. Mon regard revint vers les conifères difformes, signe évident d’une manipulation biomagique. Serait-ce possible que…?
Le géant me catapulta brutalement vers le ciel, l’air de vouloir s’amuser avec moi comme avec une balle de tennis.
Il avait cependant oublié un détail primordial qui me différenciait de la fille de Freyr avec laquelle il avait joué auparavant.
À la seconde où je fus libre de mes mouvements, lancée à vive allure dans une brume légère, l’estomac un peu retourné par la brutale accélération, je me transformai. Le changement fut presque instantané, mon mode de pensée s’adapta en une fraction de seconde. Je basculai en avant et piquai vers le sol. Mes ailes rabattues contre le sol, je voltigeai aisément entre les mains géantes maladroites qui essayaient de me rattraper au vol. Un rire, indubitablement humain cette fois-ci, résonna. Au ras du sol, je déployai à nouveau mes ailes pour freiner ma course, l’infléchis dans la direction du minuscule bosquet, me perchai sur une branche tordue juste au-dessus de Kalyan. Il paraissait concentré, même s’il prit le temps de m’adresser un sourire amusé.
Un grondement de tonnerre résonna au loin, les trois géants échangèrent des regards soudain anxieux. Celui qui m’avait capturée, dédaignant la menace d’un petit choc électrique, se dirigea à pas lourds vers les arbres, probablement pour attraper Kal et l’empêcher de nuire. Je repris mon envol, m’élevai dans le ciel en quelques puissantes impulsions, suffisamment haut pour être hors d’atteinte, pris une inspiration hachée. C’était un exercice technique. Très technique. Qu’on utilisait généralement sur des combattants émérites, souvent des Thor d’ailleurs.
Je me métamorphosai en plein vol, arquai mon corps pour faire face au sol, tendis les mains. Un violent rayon d’énergie frappa le géant en pleine tête, l’envoyant le nez dans les rochers. Déjà, j’étais redevenue oiseau, et je m’élevais à nouveau. Kalyan me gratifia d’un bref regard impressionné, mais ne bougea pas d’un cheveu de son abri, surveillant Skvar qui, avec une grimace, se redressa et jeta la fille de Freyr dans une sacoche à sa taille. Le monstre paraissait furieux d’avoir été interrompu dans son jeu, mais guère plus enthousiaste à nous affronter dignement.
Tant pis pour lui. Je réitérai ma manœuvre, mais il tendit la main et matérialisa une sorte de bouclier d’énergie qui absorba le choc de mon rayon. Déjà, le Jötun que j’avais mis à terre se relevait, et quand il se posta aux côtés de son chef, je constatai deux choses. D’une, Skvar avait deux bonnes têtes de plus que l’autre, ce qui le faisait plafonner à près de quatre étages. De deux, le troisième géant avait disparu.
Les deux debout échangèrent quelques mots, que je ne compris pas sous ma forme aviaire. Je grimaçai intérieurement quand, ensemble, ils se jetèrent sur les arbres pour les déraciner, mais Kalyan avait heureusement anticipé. La foudre s’abattit au moment où ils se ruaient sur lui, ils s’étalèrent au sol en grondant de douleur. Kalyan leva la tête vers moi et hurla quelque chose. Je plongeai à nouveau, incapable de comprendre ce qu’il disait, repris forme humaine juste à côté de lui.
— Tu disais ?
— Où est le troisième ?
Un grondement monstrueux, pareil à celui de la montagne qui se serait déchirée, résonna entre les rochers. Une ombre couvrit le soleil brumeux. Le rocher passa loin au-dessus de nous, mais décapita presque la cime montagneuse de laquelle nous étions descendus.
— Je crois qu’il veut jouer au bowling, relevai-je, caustique, en regardant la forme éloignée arracher péniblement un autre morceau de terre et de roche à la montagne.
— Strike.
Nous nous dispersâmes comme si nous en avions convenu. Kalyan s’élança vers le géant qui nous prenait pour des quilles tandis que, lame en main, je me ruai sur les deux toujours à terre. Le jet de caillou me rasa d’un peu plus près, soulevant une pluie de gravats qui m’obligèrent à m’abriter derrière un bouclier matérialisé à la hâte. Puis, j’ouvris sans hésitation ni remords la gorge du Jötun qui m’avait tenue, m’immobilisai un instant sur la tête de Skvar. Il battait des paupières, commençant à reprendre conscience, aussi me dépêchai-je de tailler profondément dans son cou au niveau de la carotide. La peau, un peu plus rugueuse et dense que celle d’un humain, me résista un peu plus que d’habitude, mais je me contentai d’appuyer plus fort. Un flot de sang bleu pâle, tirant sur le gris, dévala la pente comme un torrent, le géant fut pris de soubresauts d’agonie qui me jetèrent à bas de son torse. Je m’écartai le temps qu’il finisse de mourir en paix, non sans récolter au passage un regard encore empli de choc, de haine et un souffle qui aurait probablement été une malédiction s’il avait pu parler. Je lui rendis un rictus satisfait, levai la tête.
Le géant en contrebas venait de s’effondrer. Je fronçai le nez, perturbée par la simplicité de ce combat. C’était presque trop beau pour être vrai… mais peut-être avais-je placé mes standards trop haut après mon dernier affrontement avec Vali. Kalyan et moi étions puissants, rapides, bien entraînés. Venir à bout de trois géants n’était effectivement pas censé nous poser problème. À une époque, Ekrest et moi en avions repoussé une dizaine quand nous étions à Nidavellir, étant malheureusement tombés sur le chemin d’une escouade de reconnaissance qui préparait un raid. Mais aujourd’hui, l’absence de ma pyromagie me handicapait, faussait mes calculs. J’étais privée d’un atout majeur, d’une arme qui avait été une part de moi.
Je secouai la tête. J’avais appris à combattre avec, à l’incorporer dans mes enchaînements. Il fallait maintenant que j’apprenne à vivre et à me battre sans, c’était trop tard pour regretter mon choix.
Le temps que Kalyan remonte la pente, je me tournai vers Skvar, et me mis en tête d’extraire la fille de Freyr de la sacoche à sa ceinture dans laquelle il l’avait jetée. Si elle était encore vivante après avoir été lancée en l’air et secouée dans tous les sens par un géant de cette taille, ce serait un miracle. En plus, elle devait avoir subi le contrecoup de la chute de son bourreau. Ça s’annonçait mal.
Grinçant des dents, je me faufilai dans l’ouverture de la bourse de cuir, qui faisait en toute honnêteté la hauteur et la largeur d’une fenêtre de maison. Dans l’obscurité, toujours privée des flammes qui auraient pu m’éclairer, je grimaçai, et fis apparaître une petite boule de d’énergie concentrée dans ma paume. Grâce aux rayons pâles que l’énergie émettait, je discernai une forme étalée au sol, à plat sur le ventre.
En principe, je n’aurais pas dû la déplacer. En fait, ce n’était pas une bonne idée de la déplacer du tout. Pour peu qu’elle ait quelque chose de cassé, je risquais d’aggraver la fracture. Si c’était la colonne vertébrale, je pouvais la paralyser. Et nous n’avions pas de fille d’Eir à proximité pour réparer les dégâts.
Au prix d’un effort de volonté, j’obligeai ma boule de lumière et d’énergie à rester suspendue au-dessus de ma tête comme un plafonnier, et me penchai en avant pour l’ausculter. Le pouls battait, nettement perceptible et régulier. En prenant le mien en comparaison, j’estimai qu’il n’y avait pas d’hémorragie interne majeure, même si c’était une estimation plus qu’approximative. Prudemment, je sortis un tensiomètre mécanique de mon inventaire, le passai au bras de la jeune femme, le gonflai, puis regardai. La tension était normale, pas même un millimètre au-dessus de la moyenne. Je palpai doucement ses membres un à un, à la recherche de fractures, en finissant avec une délicatesse infinie par la colonne. Rien. Elle semblait avoir seulement été secouée.
— Ça va ? demanda Kalyan en passant la tête dans l’ouverture de la sacoche.
— Elle n’a pas l’air blessée, mais je n’ose pas la déplacer. Si elle s’est fait jeter comme une chaussette de droite à gauche…
Il hocha la tête, l’air sombre, comprenant où je voulais en venir.
— Tu gères les premiers soins ?
J’acquiesçai.
— Ok, je vais essayer d’ouvrir ce truc.
Il ressortit, fit apparaître quelque chose qui ressemblait vaguement à une dague elfe, fine et effilée, et entreprit de découper le cuir en ahanant. Au vu de la taille et de l’épaisseur de la peau, il semblait que c’était du vanköfr, une sorte de yak immense élevé par les Jötnar au nord-est pour sa viande, sa peau, sa laine et son lait. Ces bêtes descendaient rarement autant au sud, de ce que j’avais lu, ce qui signifiait que ce géant était loin de son lieu de vie habituel. Mercenaire ou vagabond ? Je ne pouvais plus lui poser la question, et ce n’était pas ce qui importait.
Finalement, un semblant de clarté perça dans la sacoche au fur et à mesure que les pans découpés s’écartaient, et j’éteignis ma lampe de fortune. Il faudrait que j’apprenne à manipuler l’énergie comme Åke le faisait, comme des particules et non comme une énergie. C’était presque dommage qu’il ne soit plus là pour m’apprendre.
— Je la connais, fit soudain Kalyan en désignant la fille. J’ai bossé avec elle sur quelques missions de reconnaissance, mais c’était il y a une dizaine d’années.
Je haussai les sourcils, tournai la tête vers la fille, et blêmis, mes doutes précédents confirmés par la forme du visage ovale aux traits anguleux, ses sourcils arqués et ses lèvres fines.
— Je la connais aussi.
En même temps, il n’y avait pas soixante-dix filles de Freyr aux cheveux blancs coupés court avec qui j’avais collaboré ces deux dernières années.

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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

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CHAPITRE 26


En attendant que Thalia se réveille, nous nous étions installés à côté en nous enveloppant dans l’épais cuir de vanköfr, terriblement chaud et doux. Je songeais sincèrement à m’en emparer pour le donner à un tailleur nain qui serait capable d’en tirer le meilleur pour m’en faire un manteau. Ou une combinaison d’hiver. Bref quelque chose de chaud, maintenant que je n’avais plus de magie pour me réchauffer. Il faisait un froid à fendre les pierres, la nuit, sur Jötunheim. Heureusement, nous n’étions qu’en fin d’été pour le moment, mais je pressentais que les températures ne tarderaient pas à chuter drastiquement.
— Kalyan ? interrogeai-je.
— Oui ?
— Question technique. Si tu électrocutes un géant qui me tient, est-ce que le courant me touchera aussi ? Ou est-ce que tu sais faire en sorte que ça n’arrive pas ?
— Donne-moi ta main, m’intima-t-il après un moment de réflexion, et je levai un sourcil. Donne, je veux te montrer quelque chose.
Méfiante, j’enlevai mon gant et tendis ma main dans sa direction. Il entrelaça ses doigts aux miens, ferma les yeux, et soudain, une magie électrique, vibrante, se joignit à la mienne. Nos deux flux magiques s’entremêlèrent pour n’en former qu’un, joignant nos forces, associant notre puissance. La technique, qui m’était familière même si je n’avais pas pu l’utiliser souvent jusque-là, me donna le vertige. Je connaissais ma magie, je l’avais explorée dans ses recoins, j’avais toujours essayé d’en tirer le maximum. Mais j’étais encore jeune. Ce n’était pas une excuse, simplement un aveu d’inexpérience. Je le réalisais quand je faisais face à Ekrest, Åke ou même Selvigia : ils avaient une autre perception du monde, ils maîtrisaient des facettes du flux dont je n’avais même pas conscience.
Et Kalyan avait, de la même manière, une autre approche. Avec lui, je ressentais soudain la puissance cachée dans les nuages, l’électricité omniprésente qui se dégageait de partout, y compris de nos corps. Il tendit la main, ne demandant qu’un fragment infime de magie à notre force conjointe, et un arc d’électricité crépita entre ses doigts, suffisant pour assommer un mamouth, condensé en une seule ligne presque parfaitement circulaire, dont aucune ramification ne s’échappait.
Je l’avais entrevu lorsqu’il avait affronté Åke, mais je le comprenais mieux maintenant : il maîtrisait le moindre mouvement, la moindre parcelle de magie qu’il utilisait. Il régulait son absurde puissance – aussi absurde que la mienne devait paraître à un enfant de Loki lambda – par une volonté de fer. Et il n’avait pas besoin de grands gestes pour diriger ses pouvoirs, juste des minuscules mouvements, de quoi aider son esprit à orienter l’action.
Fascinée, je le regardai jouer avec les éclairs, les amasser, les concentrer pour en faire des armes de destruction massive, puis les disperser dans l’air en libérant progressivement leur potentiel pour ne pas provoquer de détonnation. J’avais toujours détesté la foudre, mais il y avait quelque chose de foncièrement beau dans la manière dont il arrivait à manipuler l’élément autour de lui.
— Whaou, lâchai-je finalement quand il rompit notre connexion.
— Maintenant tu sais. Mais tu m’aurais fait confiance sans le savoir ?
— Je ne sais pas, répondis-je sans réfléchr.
J’aurais pu mentir, prétendre que je voulais pouvoir me reposer aveuglément sur lui. Mais Kalyan n’était pas dupe ; il se recula, me considéra un instant de son regard azur. Son sourire se ternit, un pli d’agacement barra son front, ses lèvres se froissèrent. Mais, après un instant de silence pensif, ses traits se détendirent et il attrapa à nouveau ma main.
— Lilith, je ne veux pas que tu me fasses aveuglément confiance. Je veux que tu sois toi, méfiante si nécessaire, capable de te sauver si nécessaire. Ma magie ne change rien.
Ses paroles me heurtèrent au plus profond de mon âme, comme une vague que je me serais prise de plein fouet ou un éclair qui serait tombé sur mes épaules. Je tressaillis, touchée par la sincérité qui émanait de ses yeux couleur ciel d’été, par l’absence totale de réprobation ou de regrets. Il pensait chaque mot qu’il venait de me dire. En fait, depuis que j’étais avec lui, cela avait toujours été le cas.
Le moins que je puisse faire était lui rendre la pareille.
— Je ne pourrai probablement jamais me reposer totalement sur toi, soufflai-je de but en blanc. Mais je peux être honnête. Je veux l’être.
Je croisai son regard, il me sourit. Je me pris à sourire à mon tour, jetai mes bras autour de son cou, et l’enlaçai fort. Il me serra en retour contre lui, et je songeai aux doutes et aux hésitations que j’avais eu en songeant à lui avouer la vérité au sujet de mon voyage. Ces mensonges n’avaient pas lieu d’être, surtout s’il faisait le chemin avec moi.
Je me reculai, gardant ma main dans la sienne, me concentrai sur son flux magique.
— À moi de te montrer quelque chose, souris-je.
Comme avec le cheval sur lequel j’avais voyagé durant une partie de mon trajet, je me faufilai dans son esprit, d’autant plus facilement que nous avions partagé notre magie un instant plus tôt et que je ressentais encore son flux magique qui pulsait dans l’air ambiant. Je pris garde à ne pas écraser quoi que ce soit, à ne pas m’imposer, à ne pas prendre le contrôle. À mes côtés, Kalyan, ayant certainement des souvenirs de mes sessions d’hypno-manipulation en prison, se crispa, et une barrière instinctive commença à s’ériger autour de son esprit. Je serrai doucement sa main, le fixai droit dans les yeux en souriant. Il se détendit quelque peu.
— Du calme. Tu m’entends ? projetai-je mentalement, sans bouger les lèvres.
Il hocha la tête.
— On peut communiquer comme ça. C’est une sorte de liaison mentale, basée sur les hypno-illusions des Loki. Tu peux projeter une sorte de « pensée » dans ma direction, si tu veux.
— COMME ÇA ?
— Aïe, trop fort. Plus doucement.
— Comme ça ?

Je pouffai.
— Mieux. Maintenant un juste milieu entre les deux ?
— C’est pas intuitif, ton truc.

Sa voix mentale était instable, déséquilibrée. Elle oscillait entre le bruyant et l’inaudible, sans qu’il ne réussisse à trouver la juste fréquence. Patiemment, je l’aidai à calibrer à sa force de projection jusqu’à ce qu’il arrête de basculer entre hurlements et murmures dans mon crâne.
— Ok, je crois que j’ai. C’est bon là ?
— Parfait. Et même Heimdall ne nous entend pas, ici
, souris-je.
— C’est génial ! s’exclama-t-il, fasciné.
J’avais eu la même réaction en découvrant le concept. La télépathie n’existait peut-être pas dans le monde nordique, mais on avait essayé d’en approcher au plus près. Cela requérait nécessairement de l’hypno-manipulation, parce qu’il s’agissait d’établir une connexion en s’infiltrant non seulement dans le flux mais aussi dans l’esprit de l’autre personne, mais c’était le mieux qu’on ait pu créer.
Kalyan hocha la tête, et je le sentis fureter le long de la liaison, explorant mentalement le pont immatériel que je venais de construire. Puis, après quelques longues secondes de silence et de réflexion, il me lança :
— Je suppose que tu as quelque chose à me dire ? Ça a un rapport avec Thrymheim ?
Il y avait des fois où je regrettais sa perspicacité et notre proximité. Il me comprenait trop bien. Il remarquait les petits tics que j’avais, les moments où j’esquivais un sujet. Nous n’avions pas vraiment eu l’occasion de parler des raisons de mon voyage jusque-là, mais il se doutait que je ne lui avais pas tout dit. Je soupirai en silence, mais admis la vérité sans tourner autour du pot plus longtemps.
— Effectivement. J’ai conclu un marché avec Syn pour sauver ma peau, à Midgard. En échange de son aide, je dois tuer Skadi.
Kalyan se figea, ânona à haute voix :
— Pardon ?
— Honnêtement, je ne savais pas trop comment te l’annoncer. Mais je ne veux pas que ça te mette dans une position délicate là-bas.
— Pas de secrets, qu’on avait dit…
grommela-t-il mentalement.
— Et c’est ce que je fais, soupirai-je. Je ne te demande pas de m’aider, je veux juste te prévenir.
Il pinça les lèvres.
— Et du coup, pourquoi cet arrangement ?
— On était de sortie avec Selvigia, mais les Frigg nous ont repérées et ont transmis l’info à la Confrérie. Évidemment, Kaiser et Adam se sont rués sur nous. Et Syn, qui était de passage, en a profité pour nous coincer et nous extorquer la promesse. Je ne sais pas pourquoi elle voudrait la mort de Skadi, si ce n’est par vendetta personnelle pour l’emprisonnement de notre père, mais…

Pure vérité pour une fois. Mais, au vu de l’expression ébahie de Kalyan, je sus que j’avais laissé échapper quelque chose de travers. Ses sourcils s’étaient froncés, son regard s’était fait vide sous le choc, sa bouche s’était entrouverte. Je réfléchis un instant, puis réalisai brusquement.
— Merde. Ok, désolée c’était pas censé sortir comme ça, m’excusai-je en pâlissant. Elle va me tuer si elle apprend que j’ai révélé ça.
— Tu es sérieuse ?

Ce n’était plus la peine de nier.
— Mortellement. C’est la fille de Loki et de Sif.
Il se détacha brutalement, rompant la connexion, et je ne cherchai pas à le retenir. Je savais que ça faisait beaucoup d’informations d’un seul coup. Et Åke avait beau m’avoir abreuvée avec des quantités autrement plus astronomiques, celle-ci était déjà terrible pour quelqu’un qui avait grandi avec la certitude que Syn était sa demi-sœur. Il se redressa, fit quelques pas dans le froid glacial, le temps d’éclaircir ses idées, puis se replia à nouveau sous la peau de vanköfr. Il n’étendit pas de nouveau sa main pour autant, trop troublé par la révélation.
— Mais depuis… enfin… Qui est au courant ?
— Aucune idée. Moi, Selv’, Åke.
— Et parmi les grands ?
Je haussai les épaules. Les origines de Syn ne devaient pas avoir été préservées très longtemps, du moins pas à son échelle de vie. C’était le genre de secret qui fuitait trop rapidement. Néanmoins, elle et son frère Ull étaient tous les deux reconnus comme des enfants de Thor, publiquement du moins. Thor était-il au courant ? Je ne pouvais pas l’envisager avec la haine qu’il vouait à Loki.
— Mais c’est…
La perplexité et l’ahurissement sur le visage de Kalyan m’arrachèrent un rire. Il me considéra un moment en silence, perplexe, puis il rigola à son tour, plus nerveusement.
— Comment est-ce que tu fais pour survivre au quotidien ? finit-il par demander en soupirant.
Je pouffai.
— Excellente question.
Puis, je songeai à Vali, et mon amusement s’effaça. Kalyan était mon partenaire pour cette expédition, même si nous avions tous les deux affirmé que nous espérions plus à long terme. Mais Skadi et cette expédition à Thrymheim n’étaient qu’une partie du problème ; j’avais d’autres responsabilités, plus conséquentes et impactantes. Combien de temps pourrais-je lui cacher que je pouvais changer des destins ? Qui pouvait dire si je n’étais pas déjà en train d’affecter son sort ?
Trop préoccupée par mes interrogations, je ne remarquai pas le regard songeur et curieux que le fils de Thor posait sur moi, son cheminement mental alors qu’il aboutissait à la conclusion qui me posait problème.
— Il y a encore des choses que tu ne me dis pas.
Un long soupir m’échappa, je tendis la paume vers lui. Mais quand il accepta de me prendre la main, je ne cherchai pas à m’infiltrer dans ses pensées, à lui expliquer. Pensive, j’appréciai simplement le contact de sa peau douce et chaude contre la mienne, j’entrelaçai mes doigts aux siens, les délaçai, dessinai de lents cercle du pouce sur ses phalanges sans parvenir à une réponse qui aurait pu convenir.
— Oui, admis-je finalement. Mais je ne sais pas si je peux t’en parler… ni si je le devrais. C’est… compliqué.
À ma grande surprise, il ne parut ni étonné, ni dépité, même à peine étonné. Il se contenta de hausser les épaules, fataliste, et de sourire :
— Je suppose que ça viendra un jour.
Ébahie qu’il laisse passer avec autant d’aisance, je levai la tête vers lui, me perdis un instant dans le bleu éclatant de ses yeux. Il m’adressa un sourire, mesuré mais lumineux, referma ses doigts sur mon poignet. Il n’ajouta rien de plus, mais au travers de son flux magique que j’effleurai instinctivement, je perçus une résignation tranquille, une patience réfléchie, presque infinie. Je souris à mon tour.
— Merci.
Un grognement, accompagné d’un juron coloré, nous sortit de cette bulle de calme et de dialogue apaisé qui nous avait enveloppés. Je pinçai les lèvres, n’eus pas besoin de jeter un coup d’œil sur le côté pour deviner le mouvement qui agitait l’épaisse peau de bête dans laquelle nous avions emmitouflé l’inconsciente. Kalyan et moi échangeâmes un regard blasé, tournâmes la tête de concert pour aviser une tête hérissée de cheveux blancs en bataille qui dépassait du cocon de cuir, un bras qui s’étendait pour trouver une prise. Ses iris d’un vert profond, brillant, de la couleur des aiguilles de sapin, firent la navette entre le blond et moi, ses sourcils s’arquèrent encore davantage, elle plissa les yeux en se fixant finalement sur moi.
— P’tain Max m’avait dit que tu t’étais trouvé quelqu’un, mais j’y croyais pas… Bon, vas-y, dis-moi comment vous avez…
Un soupir m’échappa, je relâchai Kalyan, m’approchai d’elle.
— T’as pas mieux à raconter comme conneries, toi ? Tu veux pas crever en silence, comme tout le monde ?
Kalyan haussa les sourcils, et je ne sus dire s’il était juste surpris par mon ton ou s’il encaissait encore notre récente discussion.
— Bien sûr que non ! ricana Thalia. Quitte à mourir, autant rapporter des ragots intéressants ! T’imagines, toi et lui. Mais tous ceux qui vous connaissent me croiront jamais !
C’était bien ma veine d’être tombée sur la seule commère qui devait avoir bossé à la fois avec moi et avec Kal. Elle avait un sacré petit réseau de connaissances, je le savais déjà auparavant, mais je le réalisais davantage maintenant que je savais qu’elle avait travaillé avec un Hamershot par le passé.
— D’ailleurs à ce sujet… pas un mot, sifflai-je. On est suffisamment recherchés comme ça séparément, si tu commences à raconter qu’on peut nous trouver tous les deux…
— Oh, je vois pas de quoi tu parles !
Elle m’adressa un large sourire qui se voulait innocent, mais qui était en vérité empli de malice et d’un amusement dangereux. Elle en était capable, je le savais. Et il n’y avait rien de pire pour moi en ce moment qu’une langue un peu trop déliée. Soupirant en silence, je lui rendis son sourire… et d’un seul coup, la plaquai au sol, l’immobilisant d’une clé de bras. Elle gronda de douleur et de colère, mais je ne la lâchai pas pour autant, dénuée de remords. Je connaissais trop bien les serpents avec qui je travaillais en général.
— Je ne plaisante pas, Thallie
— Oh. Eh. Calme, miss. Je blague.
Son ton s’était refait sérieux, un peu agressif, même. Je sentis une liane s’enrouler lentement autour de ma cheville, signe qu’elle commençait à se mettre en colère. Et même si elle était blessée, j’aurais de sérieux ennuis si elle décidait de m’affronter. Enfin remarque, il n’y avait pas énormément de verdure à l’horizon, donc ça devrait aller.
— Tu m’as sauvé la peau, je peux bien te rendre la pareille en me taisant…
Je relâchai ma prise sur son bras.
— … quelques semaines… Aïe, arrête, j’ai compris ! Ah t’es rabat-joie quand t’es amoureuse, j’aurais jamais voulu voir cette facette de toi.
Je sentis le rose de mes joues et de mon nez, déjà intense à cause du froid ambiant, foncer encore un peu. Amoureuse ? Ce n’était pas le premier mot auquel j’aurais pensé.
— Tu veux pas rester la froide psychopathe que je connais ? Please ? Et j’oublie même le demi-milliard de pièces sur ta tête !
Avec un long soupir, je la libérai de sa prison de cuir et l’aidai à se redresser en la gratifiant d’un regard assassin.
— Ah, voilà, quand tu veux ! s’exclama-t-elle avec un rire quelque peu nerveux. Oh merde, d’ailleurs… les trois brutes, là ?
— Ils ne poseront plus de problème, répondit Kalyan.
— Sobre et efficace, comme d’habitude. Vous faites bien la paire, décidément.
Je voulus l’agripper par les cheveux, mais elle intercepta mon poignet avec une vivacité serpentine. Sa fatigue semblait évaporée, son contrecoup disparu. Mais, quand elle se mit enfin droite, je remarquai que ses jambes frémissaient. Elle chancela, s’affala dans mes bras, et je la rallongeai illico.
— Arrête de gigoter, abrutie, soupirai-je.
La couleur avait totalement déserté son visage, la laissant livide, tremblante. Elle battit des paupières, eut un bref moment d’absence que j’interprétai comme un malaise momentané, puis elle revint à la réalité, le regard trouble.
— Je vais bien, grimaça-t-elle en écartant mon bras.
Son geste manquait néanmoins de conviction, et même Kalyan, assis quelques pas plus loin, le vit. Il se leva à son tour, s’approcha, s’accroupit à côté de moi et sourit, l’air sceptique :
— Mmhm. À peu près aussi bien que la dernière fois que je t’ai vue.
— Ta gueule.
— Tu as forcé ?
Elle grinça des dents, détourna les yeux.
— Avec quelles plantes j’aurais pu le faire ? finit-elle par grincer.
Je hochai la tête sans rien dire. Thalia avait une forte affinité avec les arbres, encore plus que la plupart des enfants de Freyr. Mais il y en avait peu, dans la région. Nous approchions du domaine de Skadi, un vaste plateau montagneux, gris et aride, où rien ne poussait ou ne vivait. Je n’aimais déjà guère les lieux, mais pour Thalia, dont les pouvoirs dépendaient de la flore locale, c’était le pire endroit possible.
Une fois qu’elle eut retrouvé un semblant de teinte de peau normale, elle nous tendit les bras, et nous l’aidâmes à se redresser.
— Bon, soupira Kalyan, il faut qu’elle se repose.
— Eh, je suis là, gronda-t-elle. Et ouais, ceci dit, j’ai probablement une côte pétée. Aiche, non, deux. Ou même trois.
— Thrymheim est le plus proche et le plus sécurisé, compléta-t-il sans prendre garde à l’interruption.
À son expression fermée, je vis qu’il n’avait pas encore totalement digéré ce que je lui avais dit, mais qu’il était en train de mouliner dessus. Le chemin lui permettrait de décider s’il acceptait ou non de m’aider. En tout cas, il avait fait un pas vers moi, j’en étais conscience. À moi d’amenuiser l’écart. Je lui adressai un sourire reconnaissant, passai le bras de Thalia par-dessus mon épaule malgré ses protestations véhémentes. Et je fis bien. Après quelques pas seulement, tandis que Kalyan marquait et faisait disparaître la peau de vanköfr dans son inventaire magique, la Freyr vacilla, ses genoux flanchèrent. Je la retins sans mal, au mépris de sa colère apparente de se trouver dans une telle situation de faiblesse, avançai encore un peu, puis me tournai pour murmurer à son oreille :
— Qu’on se mette bien d’accord, miss, je t’épargne, là. Tu m’en dois une belle.
— Salope… siffla-t-elle en retour avec un rictus corrosif.
— Ravie qu’on s’entende. Toi aussi tu m’avais manqué.
La froide menace dans mon ton, mêlée d’arrogance et d’une discrète pointe de mépris, ramena en moi des souvenirs lointains de négociations, de combats et d’alliances temporaires. Il n’en avait pas fallu beaucoup pour ramener les vieux instincts à la surface. Kalyan semblait traiter Thalia avec une distance précautionneuse mais cordiale, preuve que leur association s’était certainement mieux déroulée que la nôtre. Après notre mission en commun, Thalia et moi avions réussi à préserver une sorte d’amitié chien-chat, à coups de crocs, de provocations et d’intimidations plus ou moins évocatrices. Ceci dit, cela n’entravait en rien notre capacité à sortir ensemble dans le premier bar venu et à descendre des verres jusqu’à ce qu’aucune de nous ne soit capable d’aligner une pensée cohérente.
Comme pour me le prouver, elle releva :
— Pareillement. Mais je te préfère avec trois grammes dans le sang.
— Avec trois grammes dans le sang, je ne t’aurais pas sortie des mains de ce géant.
Elle grimaça, et je lui tapotai l’épaule de la main qui la soutenait. J’appréciais sincèrement cette fille pour son esprit déluré et ses frasques hilarantes, mais je ne risquais pas d’oublier de lui rappeler qu’elle me devait sa vie. Elle était capable du pire quand elle n’était liée ni par devoir ni par alliance, et j’avais besoin de sauver ma peau trop souvent en ce moment pour laisser passer ses folles idées.
Entre temps, Kalyan avait progressivement remonté les quelques mètres qui nous séparaient. Il se mit à notre hauteur sur la pente rocheuse, chemina quelques minutes en silence à nos côtés, puis finalement posa la question qui relancerait la discussion et les souvenirs :
— Comment vous vous êtes rencontrées ?
Thalia m’adressa un rictus narquois, et entama avec un grand sourire :
— On avait une opé en commun. Un connard qui faisait chier nos Maisons.
Kal haussa les sourcils, l’air de demander davantage d’explications, et je complétai :
— Nécromancien. Extrêmement pénible.
— Ah.
— On a dû s’y mettre à trois pour le descendre. Le troisième, c’était Max. D’ailleurs Thalia…
Je lui lançai un regard équivoque, accompagné d’un large sourire, et elle roula des yeux.
— Ouais. Ta gueule.
— Mmhm.
Elle avait légèrement rougi. Je ricanai, satisfaite, mais aussi secrètement impressionnée. Je trouvais cela admirable. Les alliances entre Maisons étant tumultueuses, les relations qui perduraient plus de quelques mois en devenaient quasiment impossibles. Max et Thalia, je n’y avais pas cru au début, mais maintenant que quelques années avaient passé, je commençais à me dire que cela pouvait devenir durable. Et peut-être même stable. Ils avaient tous les deux la même énergie un peu chaotique, une bougeotte parfois un peu frustrante, le même sale caractère passif-agressif.
— D’ailleurs, Max est dans le coin, non ? relevai-je en songeant au fils de Njörd.
— Ouais, il était censé me rejoindre la semaine dernière mais il a été retardé, apparemment.
Je pinçai les lèvres, essayant tant bien que mal de réfréner un sourire quand elle me lança un regard assassin plus qu’équivoque.
— Pour ma défense, il a essayé de me buter.
— Donc tu lui as volé son cheval, pesta-t-elle. D’ailleurs il est où ?
— Enfui à cause d’une mauvaise rencontre. Ou mort, je ne sais pas trop d’ailleurs…
Kalyan haussa les sourcils à son tour, et je réalisai immédiatement que je m’aventurais en terrain dangereux. Je ne lui avais pas encore parlé de Vali ou de mon rôle de « rouage ». Un frisson courut le long de mon échine, je secouai la tête. Mais heureusement, Thalia n’avait pas l’air de vouloir insister sur le sujet, parce qu’elle relança rapidement :
— Et vous deux alors ?
Je levai la tête vers Kalyan, nous échangeâmes un regard incertain, quoique mêlé d’amusement, puis je lui souris :
— Vas-y, je te laisse raconter.
Il roula des yeux, et je réprimai un rire. Mais j’étais sincèrement curieuse de voir comment il voudrait le présenter.
— On s’est rencontrés à Midgard il y a quelques temps, finit-il par expliquer. Et on a formé une… alliance de circonstance on va dire.
— Mmhm. Juste une… alliance ? fit-elle avec un clin d’œil suggestif. Une petite alliance de rien du tout ?
Je l’ignorai, et Kalyan soupira, mais malheureusement pour moi, elle n’en avait pas fini.
— Ceci dit, j’ai comme ouï dire que cette petite alliance de rien du tout a donné lieu à un sacré chaos…
— Alors à ce propos… soupirai-je.
— Ouais, j’ai eu l’histoire. Max m’a raconté.
Une bourrasque glacée emporta ses derniers mots mais j’avais lu sur ses lèvres plus que je ne l’avais réellement écoutée. Comme soufflée par la rafale, Thalia vacilla, son front se plissa, et je doutai soudain qu’elle n’ait qu’une ou deux côtes cassées. Après tout, je ne l’avais auscultée qu’en surface, je n’étais pas une fille d’Eir. Elle aurait besoin de véritables soins pour ne pas garder de séquelles de son affrontement avec les jötnar. Avec un peu de chance, elle pourrait en obtenir à Thrymheim, étant donné qu’elle était une Vanir et non une sale Loki qui devait se faire passer pour quelqu’un d’autre.
— Bon, qu’est-ce que tu fichais dans le secteur ? demandai-je à Thalia, curieuse de savoir ce qui l’avait amenée sur notre chemin.
Le front plissé par la douleur, elle m’adressa néanmoins un regard reconnaissant en voyant que je n’insistais pas sur son état catastrophique.
— Il s’avère que Max est un peu… hors des circuits habituels, pour ainsi dire.
— Une manière élégante de dire qu’il a été banni pour avoir essayé de monter un coup d’état, explicitai-je à l’intention de Kalyan.
— Charmant personnage donc, pouffa le Thor en roulant des yeux.
— Tu n’as même pas idée… ricana Thalia avec un large sourire. Bref, comme il fait un peu ce qu’il veut en ce moment, il est vachement plus au fait des offres sur le marché des têtes.
Je grinçai des dents, sachant parfaitement où ça allait nous amener.
— Et franchement Lilith, quand on a vu ton nom dessus, on n’y a pas cru. Ni lui ni moi.
— C’est gentil, souris-je, vaguement reconnaissante de son scepticisme éclairé.
Le marché noir ne recensait la plupart du temps que les pires criminels, ceux dont les actes étaient même reniés par leur propre Maison, et les traîtres. Il fallait commettre près de l’irréparable pour avoir une récompense… ou alors avoir fait un massacre qui dépassait de loin les conventions entre Maisons. Je savais qu’Ekrest y avait eu sa place un moment – enfin, l’une de ses identités alternatives – après une opération en Afghanistan qui avait été particulièrement meurtrière pour les Odin, mais je n’y avais personnellement jamais figuré… jusqu’à maintenant. En plus, au vu de la somme promise, j’étais quasiment certaine que c’était Kaiser elle-même qui y avait mis mon nom.
— Mais bref. Il s’avérait que ta tête vaut très cher en ce moment, donc il s’est mis en route. Et moi… je prends des vacances.
Elle n’en dit pas plus, mais je devinai que, quand le choix s’était présenté, elle n’avait guère hésité.
— Ok, admis-je après une brève réflexion. Ça n’explique pas pourquoi lui, il était à côté d’Asgard la dernière fois que je l’ai croisé, et toi t’es ici.
— On a décidé de se séparer quand des infos à propos d’un groupe d’enfants de Loki dans les environs de Mímirsbrunn est arrivé. Depuis, je remonte leur piste.
Sa phrase me mit la puce à l’oreille, raviva le souvenir d’une remarque que l’un des Jötnar avait faite en me capturant. Encore une Loki, avait-il dit. Sur le coup, je ne l’avais pas relevé, trop préoccupée par le fait de devoir me sortir de ses mains pour ne pas être traitée comme un hochet pour enfant ou un casse-croûte. Maintenant que j’avais en tête cette petite phrase, ainsi que ce que Thalia venait de dire, je ne pouvais m’empêcher de me demander qui était réellement traqué. Car Max et Thalia s’étaient séparés avant que je ne croise Max, donc avant que Selvigia, Åke et moi n’arrivions à la source de Mímir.
Or le seul autre groupe de Loki dont j’avais récemment entendu parler et qui pouvait être de sortie dans les Neuf Mondes était Levi. Selvigia l’avait vaguement mentionné ce qui semblait être une éternité plus tôt, ce fameux jour où nous étions allées prendre un café et qu’Adam nous était tombé dessus.
Levi attirait trop l’attention. Et cela ne me dérangeait pas dans la mesure où il distrayait donc la plupart des chasseurs de prime de ma propre tête, mais c’était problématique s’il suivait le même chemin que moi, ce qui semblait être le cas.
— Tu ne sais pas où ils vont, à tout hasard ? osai-je demander en priant pour ne pas soulever des questions.
— Tu veux discuter avec la famille qui veut ta peau toi ? Écoute, meurs toute seule si tu veux. Mais ils ont l’air d’aller vers la Forêt de Fer, vu leur piste.
— Et Thrymheim est sur le chemin.
— Yep.
Kalyan me lança un regard pensif, semblant deviner à quoi je pensais. Si je croisais des Loki à Thrymheim, il vaudrait vraiment mieux que j’aie une autre apparence. Surtout si c’était Levi. Je plissai le nez, grincheuse. Les choses étaient déjà suffisamment compliquées en ce moment, sans même avoir à rajouter la variable « Levi, l’Élu officiel » à l’équation. Tuer Skadi me préoccupait déjà bien assez, que ce soit seule ou avec l’aide de Selvigia et Åke. Et, honnêtement, j’en venais à me demander si j’aurais leur aide. Cela faisait bien trois semaines que j’étais seule avec Kalyan, et je n’avais plus du tout eu de leurs nouvelles depuis… et ce n’était pas faute d’avoir essayé d’allumer le transmetteur occasionnellement.
Une autre chose qui me préoccupait quelque peu, même si je n’allais pas en parler, c’était cette fameuse légende urbaine qui commençait apparemment à se transmettre de bouche à oreille au sujet de de ce qui s’était passé au Q.G. des Thor. La dernière chose dont j’avais besoin – du moins pour sauver les apparences à mon retour à Midgard – c’était que les racontars de mon emprisonnement et de ma trahison se propagent. J’avais déjà suffisamment de mal à survivre dans les huit autres Mondes avec un demi-milliard de pièces d’or sur ma tête sur le marché des mercenaires, mais si ça se propageait dans Midgard, qui était malgré tout mon environnement de prédilection, j’aurais du mal à pouvoir me poser plus de deux semaines à un même endroit.
Ceci dit, mon retour à Midgard n’était pas prévu pour très bientôt, pas avec les prolongations successives de ma petite escapade. Mímir m’avait parlé des gantelets de Thor pour accéder à la caverne de Loki, un élément sur lequel je ne m’étais pas vraiment penchée pour le moment tant l’obtenir semblait improbable, mais il faudrait que j’y pense un jour. Tuer Skadi était le problème le plus immédiat, puisque c’était un serment que j’avais fait à Syn, mais la fureur montante de mon père et ses envies de vengeance et de destruction étaient encore une toute autre affaire.
J’avais l’impression de glisser d’un élément à l’autre, d’un objectif à l’autre, sans avoir de prise sur ce que je faisais ou sans avoir de possibilité de m’arrêter, de prendre le temps de réfléchir pour trouver un chemin plus facile à arpenter. Mais au moins, je suivais mon chemin. En plutôt bonne compagnie.
Comme pour donne raison à mes réflexions, Thalia trembla à nouveau, plus violemment que les fois précédentes, tant que je sentis mon propre bras frémir dans le creux de son dos. Je la rattrapai, mais cette fois-ci, sa presque-chute n’échappa pas à Kal, qui fronça les sourcils.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda-t-il quand elle reprit enfin son souffle, encore précaire sur ses appuis.
— J’ai forcé, admit-elle en grimaçant.
— Abrutie…
Et elle s’effondra d’un seul coup, les yeux révulsés, la tête renversée en arrière. Attentive, j’avais préparé mon corps à l’éventualité, renforcé légèrement mes muscles en prévision – et elle n’était pas exactement un poids lourd avec ses cinquante kilos tout mouillés pour son mètre soixante – mais la chute faillit quand même me prendre au dépourvu. Pestant en silence, je la maintins un instant en suspension, le temps de me stabiliser, puis pliai les genoux et me laissai lentement descendre vers le sol.
— Va falloir qu’on la ramène plus vite que ça à Thrymheim si on veut qu’elle survive, lâchai-je en relevant la tête vers Kalyan. Et il lui faut une perf’, probablement. Et des soins rapides.
Kal leva la tête vers les hauts pics qui se profilaient à des dizaines de kilomètres de là, soupira.
— Bon. C’était mon dernier recours, mais j’ai une solution.


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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

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CHAPITRE 27


Il avait un suspenseur dvargen.
Perchée à quelques cinq mille mètres d’altitude, au-dessus des nuages qui avaient étouffé la plaine et les pieds des montagnes, j’hésitais entre le tuer et le tuer. Le suspenseur, une sorte de coque de navire absurdement effilée et aérodynamique, fendait l’air si aisément que j’étais dépitée à l’idée qu’on ait fait tout ce voyage à pied alors même qu’on avait un moyen de transport depuis le tout début. Nous filions à une vitesse indécente, louvoyant entre les montagnes avec l’aisance d’un oiseau, mais à la vitesse d’un petit avion midgardien. Et, certes, c’était encore loin de la vitesse d’un descendant de Sleipnir, mais cela raccourcissait déjà considérablement le trajet.
— Lilith ?
— Mmhm ? grinçai-je.
— Tu veux savoir pourquoi je ne l’utilise pas au quotidien ?
Je souris presque en songeant au fait qu’il avait dû voir mon dépit sur mon visage, puis je hochai la tête.
— Montre.
— Donne ton poignet.
Il me tendit sa main, et comme quelques dizaines de minutes plus tôt, juste en l’effleurant, je perçus la puissance absurde que sa magie pouvait canaliser. Puis, en me focalisant une seconde supplémentaire, je réalisai la quantité d’énergie que le vaisseau volant, conçu par les nains de Nidavellir, drainait. C’était presque inhumain. C’était un flux d’énergie semblable à celui que j’avais déployé à Barcelone sur quelques minutes pour combattre le Svynfilkingar, mais ici, Kalyan le maintenait déjà depuis bien plus longtemps. Et nous avons encore de la route, réalisai-je en contemplant le lointain sommet qui dépassait de loin les autres montagnes. Kalyan m’avait indiqué d’un geste vague le pic de Thrymheim, la demeure de Skadi, quand nous avions passé les nuages, mais après quelques minutes de vol, il semblait qu’il s’était à peine rapproché. Enfin si, j’étais mauvaise langue, nous étions plus proches, mais pas suffisamment pour que Kal ne s’effondre pas en plein vol s’il maintenait cette dépense d’énergie.
— Il n’y a pas de ligne de flux ici, expliqua-t-il en voyant mon air abasourdi. Il n’y en a que peu à Jötunheim de manière générale, mais ici, et en particulier dans les plaines d’Arak, c’est quasiment impossible d’en trouver. Donc s’il vole actuellement, c’est uniquement avec mon énergie.
Sans même réfléchir, je modifiai une dernière fois mon apparence, gardant ma morphologie et le corps avec lequel j’étais familière, mais changeant de visage pour basculer sur une identité que je savais n’avoir jamais utilisé pour la Confrérie. Je ne changeai pas beaucoup, mais suffisamment pour qu’on ne puisse pas s’imaginer que je pouvais être moi. Puis, j’appliquai une illusion permanente sur mes yeux pour leur donner le délicat éclat électrique porteur de mort des Thor. Si par malheur un enfant de Heimdall était dans le coin, ce tour de passe-passe serait totalement inutile, mais avec des jötnar normaux, il en valait la chandelle. Et enfin, ce qui restait de ma magie – soit quasiment une réserve pleine – je le redirigeai vers la liaison que je partageai avec Kalyan.
Le vaisseau ne fit pas de bond improbable, pas d’accélération soudaine. Il se contenta de filer à la même vitesse qu’auparavant, ni plus ni moins. Par contre, je sentis clairement que Kalyan se détendait d’un seul coup à mes côtés, respirait plus aisément et reprenait un peu de couleur. Je calculai en silence l’avantage de me drainer de ma magie avant mon arrivée à Thrymheim. Comme j’additionnais mon flux à celui de Kal, c’était sa signature énergétique de Thor qui serait la plus perceptible. Comme je serais quasiment vide – en jugeant approximativement la distance qui restait à parcourir – ma trace magique serait de base plus faible. Donc je pourrais survivre les premières heures sans me faire repérer, pour peu que je ne sois pas stupide au point de faire apparaître quelque chose.
À cette pensée, je redirigeai une infime partie de mon énergie dans l’apparition d’un sac à dos de survie, semblable à celui que j’avais utilisé à Istanbul après ma fâcheuse rencontre avec Adam, qui stockait tout ce qu’il me fallait pour subsister quelques jours. Celui-ci ne contenait pas grand-chose à part des vêtements de rechange, une brosse à cheveux, une brosse à dents et un couteau, mais ce serait amplement suffisant.
Le regard de Kal fit la navette entre mon sac et moi, puis il hocha la tête, et je sentis qu’il réduisait quelque peu sa propre dépense énergétique, probablement pour me laisser me drainer en première. Il avait compris mes intentions.
— Merci, souris-je.
— Oh je te laisse te fatiguer avec plaisir, grinça-t-il en retour.
Le voile pensif qui hantait ses yeux depuis que j’avais parlé de l’assassinat planifié de Skadi ne s’était pas encore levé, mais son humour grinçant parvint presque à le dissiper un instant.
— Plus sérieusement, ajouta-t-il un ton plus bas en jetant un bref coup d’œil à Thalia, qui gisait à l’arrière, inconsciente, je ne suis pas foncièrement contre ton… travail là-bas, on va dire. Mais
L’insistance qu’il mit sur le mot me fit sourire.
— … il faudra que tu fasses extrêmement attention. Et je ne peux pas garantir que je serai là pour sauver les meubles.
— Je vais essayer de faire ça aussi proprement que possible. Mais tu connais la probabilité que ça parte en vrille.
Il roula des yeux mais ne nia pas. Je m’attaquais à du gros calibre, j’en étais consciente, bien plus gros que tout ce que j’avais pu effleurer à Midgard en qualité de meurtrière professionnelle. Et de toute manière, j’étais loin d’être qualifiée pour le travail dans un autre Monde que le mien. Je connaissais l’humanité, ses rouages, ses moteurs, les règles d’échange tacites et les conventions sociales. Mais Jötunheim, peuplé de géants dévoreurs de chair humaine ? C’était totalement hors de ma zone de compétences.
Je songeai à Ekrest, à tout ce qu’il m’avait appris. Un adversaire est un adversaire, disait-il, quelle que soit sa taille, quoi qu’il ait comme arme. Accorde-lui la même valeur qu’à n’importe quel autre. Si je savais m’adapter, je saurais vaincre… pour peu qu’il n’y ait pas de mauvaises surprises en plein milieu du combat.
— Est-ce que je peux assumer que tu ne te mettras pas en travers de mon chemin ? relevai-je après un moment de réflexion et de regard dans le vide.
Ce n’était certainement pas une question que je voulais poser, mais j’avais besoin d’être totalement au clair là-dessus pour pouvoir opérer en toute tranquillité. Kalyan esquissa un rictus narquois, roula des yeux.
— Même si je l’aurais voulu, je n’aurais pas osé. Toi, dotée de tes pouvoirs et de tes armes ?
Un sourire m’effleura au souvenir d’une soirée dans un restaurant qui me paraissait désormais lointaine, mais qui remontait à moins de quelques semaines. Aujourd’hui, les souvenirs étaient troubles, dilués dans l’adrénaline de l’action, perdus dans les remous des journées chaotiques qui s’étaient écoulées. Mais je savais encore que c’était l’un des affrontements les plus tactiques auxquels j’aie participé. Privée de ma magie, armée seulement de ce que je pouvais trouver en cours de route, j’avais pourtant nettoyé la zone.
Je coulai un bref regard à Thalia, et une pensée m’effleura. Thalia aurait pu faire partie des combattants que j’avais affrontés ce jour-là. Et même si je savais qu’elle se laissait rarement aller aux missions de routine et aux attentats massifs comme celui qui avait été orchestré sur Kalyan, elle aurait pu être là. Un rictus m’effleura quand je songeai que le combat aurait pu être autrement plus difficile avec elle sur place, puis il s’effaça lorsque je réalisai que jamais l’idée que Thalia puisse faire partie des victimes ne m’avait ne serait-ce traversé l’esprit.
— À quoi tu penses ? demanda Kal doucement, voyant certainement que mon expression s’était assombrie.
— Je… Nous sommes amies.
Il haussa les sourcils, et je désignai la Freyr du menton.
— Enfin, quelque chose qui s’en rapproche, admis-je avec un léger ricanement en pensant à nos piques et à nos menaces. Mais ce soir-là, au restaurant…
Je ne savais pas vraiment quoi dire. Que je l’aurais regretté si j’avais tué Thalia ? Que je n’étais pas sûre que j’aurais survécu ? Que j’étais contente qu’elle n’ait pas été là, même si aujourd’hui, ça soulevait un autre type de dilemme moral : à quoi tenaient mes amitiés ? À une simple situation, le mauvais endroit au mauvais moment ?
Kalyan passa une main dans ses cheveux blonds en soupirant, et entama d’un ton posé, quoique clairement attristé :
— Parmi les…
Freyr, complétai-je en silence, mais on ne pouvait pas se permettre de prononcer le nom du dieu hors de Midgard, sous peine d’attirer son attention.
— Agriculteurs ? suggérai-je avec un haussement de sourcils.
Il se fendit d’un éclat de rire bref, ferma les yeux, les rouvrit, reprit :
— Agriculteurs, ouais. Bref, il y avait un type avec qui j’avais bossé il y a quelques mois.
— Est-ce que c’est moi qui…?
— Non, il était dehors, dans l’escouade que j’ai électrocutée.
À son expression, je vis qu’il faisait un effort pour mettre le véritable mot sur l’action. Il avait fait tomber un éclair sur les Freyr à l’extérieur. Il les avait fait frire de l’intérieur, vaporisé leur sang, court-circuité leurs neurones. Il les avait tués, quasiment d’un seul coup, juste en tendant la main. Le souvenir de la puissance qu’il pouvait concentrer fourmillait encore dans mes doigts en ce moment même, après qu’il me l’ait montré tout à l’heure.
— Ils ont publié un bilan de leurs morts en interne, quelques jours plus tard. Je ne sais pas s’il savait dans quoi il s’engageait, s’il l’avait fait volontairement…
Il pinça les lèvres, détourna la tête.
— Honnêtement, les cauchemars de ton père n’étaient qu’une infime justification pour ton évasion.
Je haussai les sourcils, surprise. Depuis que je l’avais rencontré, il n’avait jamais réellement abordé ce sujet fâcheux des cauchemars qui l’avaient hanté, lui et son groupe de matons, pendant mon emprisonnement. Il avait laissé entendre qu’il en avait eu de manière récurrente, suffisamment pour le pousser à basculer et orchestrer ma libération avec l’aide de Selvigia, mais il n’en avait jamais mentionné la teneur.
D’un bref coup d’œil, je vérifiai que Thalia était toujours en train de comater dans un coin de la coque ovoïde, puis osai :
— D’ailleurs ces cauchemars… tu n’en as jamais parlé…
Si cela était possible, il se rembrunit encore davantage. Quelques longues secondes de silence s’écoulèrent, l’espace entre nous se fit aussi dense que du plomb. Je savais exactement ce que je ramenais à la surface, j’étais passée par là aussi. Mais, pour moi, mes cauchemars m’avaient enfermée dans une prison mentale. Pour lui, cela avait été de longs mois d’insomnies, à appréhender la nuit suivante, à craindre les rêves.
— Il n’y a qu’une personne dont je suis réellement proche dans ma famille, en toute honnêteté, admit-il finalement. Ma grande-sœur, Gretel.
Gretel du conte de Hansel et Gretel. Gretel qui, gamine, avait tué ce qui à l’époque s’apparentait non pas à une sorcière à proprement parler, mais à une géante anthropophage qui avait élu domicile un peu trop près de Midgard. Gretel Hamershot, dont les contes avaient ensuite déformé l’histoire jusqu’à en faire un mythe à part entière, totalement indépendant de nos légendes nordiques.
— Elle est… probablement la personne la plus saine d’esprit de toute cette famille, lâcha-t-il avec un rire sincère, réellement amusé. Elle se tient aussi loin de nous que possible, et elle fait sa vie en-dehors du cercle des Maisons, en ce moment.
Je me fendis d’un bref sourire, appréciant déjà Gretel juste par la description qu’il en faisait.
— Dans mes cauchemars… elle mourait. Perpétuellement. Ou alors elle se noyait, et c’étaient tes cris qui… Elle devenait toi… et tu devenais elle…
Il prit une inspiration hachée, secoua la tête. Sa main, enveloppée autour de mon poignet, se relâcha un instant, puis il sembla se rappeler que seule notre liaison physique actuelle me permettait de maintenir le suspenseur en vol, et il laissa son bras retomber. Je me tordis la main pour extraire mon poignet de sa prise, entrelaçai mes doigts aux siens sans jamais rompre le contact. En retour, il serra doucement, se tourna à nouveau vers moi.
— Bref. Et quand j’ai tué Jespen… enfin, quand j’ai appris que Jespen était sur la liste des victimes, j’ai décidé que je ne pouvais plus continuer.
Il me fallut un instant pour comprendre qu’il en revenait au meurtre du fils de Freyr.
— Ton père m’avait rendu presque fou, mais c’est la mort de Jespen qui m’a fait basculer. L’idée que ça puisse arriver, encore et encore, qu’au nom de ma famille, je massacre encore des gens que je connaissais. Toi comprise.
L’aveu me tira un mince sourire, mais il poursuivait déjà, dans un flot de paroles ininterrompu qui venait droit du cœur.
— Alors j’ai décidé de me mettre dans une situation dans laquelle je n’aurais d’autre choix que de quitter ma Maison, pour découvrir moi-même que ça faisait de vivre sans eux. Björn n’allait pas me tuer, c’était certain. Ne restait que l’exil.
Il n’y avait pas de fatalisme dans son ton, simplement une calme acceptation. Le silence retomba, mais il n’était pas désagréable. Je n’avais rien à ajouter à cela. Au moment de ma fuite, inconsciente de tout ce qui se jouait dans les coulisses, j’avais supposé que Kal m’avait aidée parce que Loki le rendrait fou s’il ne le faisait pas. Et peut-être que, égoïstement, j’avais espéré qu’il tienne un peu à moi, suffisamment en tout cas pour prendre cette décision. À ce moment-là, je n’avais encore aucune idée de sa rancœur envers sa famille, et à peine un vague aperçu des tensions qui régnaient entre Emma et lui. Aujourd’hui, je comprenais à quel point les fractures s’étaient faites profondes, combien il avait dû souffrir de son nom et des attentes qui pesaient sur lui.
Je reportai mon regard sur les hautes montagnes dont les sommets défilaient devant nous, songeant à ce que cela signifiait, tant pour lui que pour moi. Moi aussi, j’avais rompu avec la Confrérie d’une manière similaire, je m’étais opposée à elle jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de retour en arrière possible. Aujourd’hui, pour revenir, il me faudrait un véritable miracle… ou la mort soudaine et imprévue de la Commandante, mais la connaissant, je doutais fort que ce soit possible. Mais combien de relations allais-je encore sacrifier dans ma quête de liberté ? Selvigia s’était déjà détachée de moi parce que j’avais choisi Kalyan, Ekrest et moi avions du mal à déterminer où nous en étions. Åke, je ne lui faisais pas confiance, et les autres Élites… je ne les connaissais pas assez pour oser m’approcher de trop près.
— En tout cas, repris-je, brisant les réflexions dans lesquelles nous étions chacun plongés, j’apprécie que tu acceptes de venir à Thrymheim avec moi, malgré toutes tes réticences.
Il fronça le nez, mais secoua la tête, et un mince sourire affleura sur ses lèvres minces quand il admit :
— Honnêtement, si tu la tues, je ne m’en porterai que mieux. Mais j’espère juste que tu feras attention à toi.
Et cela mit fin à la discussion qui nous avait occupés.

À l’instar de Himinbjorg, la demeure d’Heimdall, la forteresse de Thrymheim avait été creusée dans les profondeurs de la montagne plutôt que bâtie dessus, si bien qu’elle dépassait à peine de la pierre, et les rares promontoires visibles ressemblaient plus à des escarpements rocheux couverts de neige qu’à des tours dotées de lucarnes. Nous fîmes deux tours autour de la cime de la montagne, Kalyan cherchant de toute évidence un endroit plat où se poser, et j’en profitai pour admirer l’épaisse couche de poudreuse qui recouvrait les environs. Quelques, rares mais visibles, pistes de ski descendaient en longs sillons dans des pentes raides qui auraient mis à mal les champions olympiques de Midgard. Étroites et sinueuses, elles suivaient les crêtes et vallons de la montagne, bordées de versants vertigineux, menaçant à chaque virage de basculer dans une longue chute libre. Je ne voulus même pas envisager la possibilité d’une descente, consciente que, si je le faisais, je finirais le reste du trajet en volant, sous une forme d’oiseau. Pas que j’aie ne serait-ce que l’énergie de faire apparaître des skis à l’heure actuelle.
Je m’étais vidée de presque toute magie durant l’approche. Kalyan en avait encore un peu, même après le combat contre les géants, mais je sentais dans l’air que les pulsations du flux magique se faisaient irrégulières. L’atterrissage le mettait à rude épreuve. Ses yeux cherchaient frénétiquement un espace plat, une vague corniche moins escarpée que les autres, un endroit où la neige serait bien tassée, un filet de sueur commençait à couler le long de sa tempe. Et je comprenais les risques. Si nous nous posions ailleurs, nous risquions une longue glissade vers le sol depuis quelques quatre mille mètres d’altitude. Même si nous survivions – ce qui, dans notre état, n’était plus garanti – il restait le problème de remonter. Car Thalia n’avait pas émergé de son inconscience, et cela devenait inquiétant. Son pouls était encore stable, mais je ne savais trop que dire de son état global, étant donné que je ne savais pas ce qui lui était arrivé exactement durant son combat contre les géants.
Finalement, alors que j’allais me résigner à l’idée de mourir de froid après une longue chute douloureuse, Kalyan sembla repérer quelque chose. Ses yeux s’éclairèrent, son bras se tendit. Il désigna un point bien plus bas que ce que j’aurais estimé, me tendit la main. Comprenant la demande – il n’y arriverait pas seul – je poussai un soupir et lui donnai mon poignet, lui abandonnant les restes d’énergie que j’avais préservés. Le vaisseau dvargen piqua vers la roche à une allure vertigineuse, rasa une crête en soulevant un tourbillon de neige sur son passage, s’immobilisa d’un coup en manquant de me projeter au sol, recula. Et, d’un seul coup, alors que je pensais que Kal était devenu fou et qu’il cherchait juste à nous écraser contre la paroi, l’ombre de la pierre nous recouvrit.
Nous nous posâmes en douceur dans le creux d’une grotte large mais peu haute, qui logeait tout juste le suspenseur. Les parois étaient lisses, sans une imperfection, comme si elles avaient été creusées par la magie. La roche, dans l’éclairage blanchâtre des lumières intérieures du vaisseau, avait une couleur brunâtre, terreuse, et elle scintillait légèrement.
Trop épuisée pour trop prêter attention à ces détails, je relâchai la main de Kalyan quand la coquille de verre du vaisseau commença à s’ouvrir, et je faillis bien défaillir quand je perdis l’accès à son énergie. Un voile noir couvrit une seconde ma vision, les ténèbres menacèrent de m’emporter et, l’espace de quelques instants, je demeurai suspendue dans la brume trouble de l’incertain. Puis, le vent glacé qui s’engouffrait dans cet étrange parking de montagne me fouetta le visage, et la conscience reprit ses droits sur mon esprit.
En ahanant, nous sortîmes Thalia dans le brancard sur lequel nous l’avions placée, et je me laissai guider à la lumière d’une torche de fortune un étroit corridor. Sur le chemin, je songeai à Thalia, au temps qu’il lui faudrait pour se réveiller, à ce qu’elle risquait de dire. C’était dangereux de commencer avec un faux nom, et d’ensuite devoir s’expliquer. Mais me présenter comme Lilith était encore plus mortel, pour peu que des informations aient circulé.
— Kal ?
Il tourna la tête. Dans la lueur des flammes, ses yeux bleus, ternis par l’épuisement, scintillaient d’un éclat rougeâtre, et les angles de son visage paraissaient plus acérés.
— Kira, fis-je en me pointant du doigt.
Il haussa les sourcils, puis finit par hocher la tête en me considérant comme s’il me voyait pour la première fois.
— Enchanté, Kira, murmura-t-il avec un sourire.
Malgré ma fatigue, je lui rendis un large sourire, et tout en marchant, je commençai à considérer un léger changement d’attitude. Une démarche différente, des manies quelques peu tordues par rapport à celles que j’avais habituellement. C’était une transformation comme je n’en avais plus effectuée depuis longtemps. Habituellement, je changeais de corps, et donc d’attitude par défaut puisque la morphologie n’était plus la même. Mais ici, je gardais mon enveloppe habituelle, au cas où. Il n’y avait que mon visage et mes gestes pour me différencier de la véritable Lilith.
J’étais si concentrée sur mes changements progressifs – plat du pied en premier sur le sol, épaules en avant, dos légèrement arrondi – que je faillis ne pas remarquer la jeune fille qui nous attendait à la sortie de la coursive.
Elle était jeune. Une quinzaine d’années, guère plus. De longs cheveux blonds, emmêlés, sales et ternes, une robe de lin brun, humide et collante. Quand elle croisa nos yeux bleus, elle baissa immédiatement la tête, et je ressentis aussitôt un élancement de pitié et de colère. Des souvenirs d’une autre période, où je vivais à Midgard, plus jeune, comme elle, remontèrent. Je pinçai les lèvres. Elle avait une nuée d’esclaves humains, avait dit Kalyan. Esclaves… ou provisions ? Ou les deux ? Skadi était une géante, et même si elle était relativement civilisée dans la mesure des standards asgardiens, elle n’en demeurait pas moins anthropophage pour autant.
Sans mot dire, la gamine nous guida dans les couloirs sombres, tandis que deux autres, qu’elle appela par signes discrets au détour d’angles où ils se terraient, nous aidaient à porter le brancard. J’essayai de faire de mon mieux pour ne pas voir l’horreur mais, avec les souvenirs, je ne pus m’en empêcher.
J’avais été élevée au Manoir, où l’égalité n’avait jamais vraiment été de mise, et s’il y avait bien une chose que je connaissais mieux que quiconque, c’était le principe de l’échelle sociale. Les mythes disaient que c’était Heimdall qui avait jadis déterminé, de manière totalement arbitraire, les trois castes sociales : le järl, le karl, le thrall. Le premier était noble, le second était libre. Quant au troisième, il était le serviteur des deux premiers, et son statut était plus ou moins équivalent à celui du bétail.
Aujourd’hui, l’esclavage n’était plus tellement à la mode – si ce n’était pour faire occasionnellement la une des journaux et le bonheur de quelques hommes cupides et totalement dénués de morale – mais le trafic d’humains était toujours de mise. Pour ma part, j’avais eu l’occasion de plonger dans ce nid de vipères à quelques reprises – notamment dans le rôle de la victime – donc je m’étais bien gardée d’investir de l’argent dedans. Ceci dit, je connaissais quelques personnes au Manoir qui n’avaient pas eu ce genre d’états d’âme, probablement parce que, lors de leur naissance, la traite négrière était encore en plein essor. Il était difficile de faire changer les mentalités archaïques.
Moi, j’avais bien trop souvent été de l’autre côté, plongée jusqu’au cou dans une atmosphère oppressante où viols et maltraitance étaient de rigueur au quotidien, obligée de baisser la tête et de subir simplement parce que j’avais besoin d’infiltrer en toute discrétion un réseau quelconque. Une fois, notamment, lorsque j’avais dû entrer dans un camp terroriste allié à la Confrérie afin de vérifier qu’ils n’essayaient pas de s’enrichir à nos dépens, j’avais passé plus de trois semaines dans le rôle de l’esclave. Soignée comme un chien, enchaînée à un piquet la majeure partie du temps, forcée de me taire et de me laisser manipuler comme un objet, j’avais plus d’une fois dû me mordre la langue jusqu’au sang pour ne pas carboniser l’ensemble de la zone. Les souvenirs de ces longues nuits d’agonie silencieuse, qui avaient fait partie de l’entraînement d’Ekrest pour me préparer à d’éventuelles prisons de Maisons adverses, avaient définitivement chassé ce qui aurait pu rester des vestiges de mon enfance. Quelque part au fond de moi, je n’avais jamais oublié.
Et je ne pouvais pas ne pas repérer les mêmes signes chez ces esclaves que je voyais.
Quand les immenses portes s’entrouvrirent en raclant contre le sol de pierre inégal, juste assez pour nous laisser passer, la fille s’écarta immédiatement, disparut dans l’ombre de laquelle était sortie, tout comme ses deux compagnons qui portaient le brancard. Un battement de cils, et c’était comme s’ils n’avaient jamais été là. Immédiatement, je sentis l’attention de la salle entière qui se focalisait sur nous. Les murmures s’élevèrent, et je captai aisément le nom de Thor lancé un peu partout. Dans l’obscurité qui régnait près des murs, je ne voyais personne, mais je percevais des dizaines de présences, le poids des regards qui hérissait la peau sur mes os.
— Dame Skadi, salua Kalyan.
Le ricanement d’outre-tombe de la géante résonna dans mes os, fit trembler l’ensemble de mon corps.
— Bienvenue, petit Hamershot. Cela faisait longtemps que je ne t’avais pas vu.
Un frisson courut le long de mon échine, je consultai Kalyan du regard. Il inclina imperceptiblement la tête en signe d’approbation, et mon cœur se tordit dans ma poitrine. Il allait falloir que je la joue très serré si je voulais survivre. Mais c’était probablement la seule manière pour moi de passer la nuit sans y laisser ma peau au passage.
Je demeurai immobile, le regard fixé sur les flammes qui dansaient dans l’âtre. La cheminée en elle-même avait une dimension relativement humaine… j’imaginais que les géants adaptaient donc leur taille en fonction de la situation et de leurs envies. Ce qui signifiait que, pour impressionner leurs visiteurs, ils se manifestaient en taille maximale, et ensuite… j’allais supposer qu’ils revenaient à une forme un peu plus convenable pour discuter. Parce que, personnellement, je n’étais pas capable d’augmenter ma hauteur au-delà de deux mètres et quelques. J’avais déjà essayé, et ça m’avait vidée de mon énergie magique.
— Qui nous amènes-tu donc ? Est-ce le repas de ce soir ?
Un instant, j’eus réellement peur pour ma vie, puis je me rappelai que je me faisais passer pour une fille de Thor. Mon regard tomba sur Thalia, et je me demandai si nous ne l’avions pas emmenée dans un nid de guêpes plutôt qu’un endroit où elle serait guérie.
— J’aurais aimé dire que j’apporte des cadeaux aussi… prévoyants… mais non, c’est une escale de nécessité que nous faisons chez vous. Mon amie a besoin de soins, elle a fait quelques mauvaises rencontres sur la route.
— Tiens donc… Et que lui est-il donc arrivé ?
— Dame Skadi, où est passé votre sens de l’hospitalité ? rétorqua-t-il avec une sécheresse qui me surprit. C’est une histoire à raconter autour d’une chope d’hydromel, pas debout sur votre porche.
Il y eut quelques grondements graves que j’interprétai comme des rires, des murmures et des quintes de toux étouffées, et, finalement, une réponse qui me rasséréna quelque peu :
— Je vous en prie, asseyez-vous.
Une table de pierre, jusque-là invisible, apparut soudain près de l’âtre. Elle était seulement de quelques dizaines de centimètres plus grande qu’une table humaine, ce qui fit que Kal et moi pûmes se hisser sur le banc le plus proche sans trop d’efforts. Alors seulement, les géants daignèrent changer de forme à leur tour, et nous rejoignirent progressivement. Un à un, ils s’installèrent à nos côtés en discutant tranquillement, comme s’ils reprenaient la conversation qu’ils avaient tenue avant que nous n’arrivions. Je les écoutai d’une oreille distraite, focalisée sur le large siège de bois poli placé en tête de table, qui demeurait vide.
Déjà, deux serviteurs aussi invisibles qu’un courant d’air emportaient le brancard avec Thalia dessus. Vers l’infirmerie ou vers le garde-manger, je n’aurais su encore en être certaine. Une sourde appréhension s’était instillée dans ma poitrine et s’y était lovée comme un serpent dans son nid, refusant de partir. J’étais dans la demeure de la femme qui avait emprisonné mon père. Celle qui, plus vicieuse que les autres, avait placé un serpent venimeux au-dessus de lui pour le faire souffrir pour l’éternité.
Pourquoi ?
La question, que je ne m’étais jamais posée, me piqua comme un dard, me perturba. J’avais toujours pris le châtiment de mon père comme un acquis, mais je ne m’étais jamais questionnée sur les raisons qui auraient poussé Skadi à le punir autant. D’un seul coup, le serpent me paraissait… sciemment cruel. Comme si une éternité de chaînes ne suffisait pas. Et je n’étais pas sûre que quelqu’un l’ait un jour questionné. À l’époque, avec le meurtre de Baldr, une telle haine aurait pu paraître justifiée, mais depuis ? Que les dieux soient cruels, ce n’était guère nouveau, mais qu’ils maintiennent de telles punitions pendant l’équivalent d’une éternité, eux qui savaient quel était le prix de l’éternité…
— Mais tu ne m’as même pas présenté ton amie, Hamershot…
Une forme noire s’était détachée des murs où elle s’était dissimulée jusque là, et s’était installée à la tête de la table. Kalyan, lui, se raidit imperceptiblement, mais tourna la tête vers moi, haussant les sourcils. Je sentis, dans la tension de ses épaules, la menace dans son attitude, qu’il se maîtrisait, comme il s’était précédemment maîtrisé en prison. Je lui rendis son regard avec un bref sourire tranquille, à mille lieues de la peur que mon cœur battant faisait pulser dans mes veines, et mes yeux remontèrent le long de la table jusqu’à faire face à notre hôtesse.
Son visage était à l’image du territoire qui était le sien : un désert rocheux, aride, strié de veinures et de crevasses. Ses sourcils étaient épais et drus, surplombaient des yeux d’un gris brunâtre et pâle, enfoncés dans leurs orbites. Son nez aquilin, semblable au bec d’un rapace, se terminait en une pointe crochue un peu au-dessus de ses lèvres fines et sèches, et les flammes de l’âtre plongeaient dans ombre la joue gauche en y creusant un profond abysse de noirceur. Dans l’obscurité générale de la demeure, ses traits n’exprimaient que des émotions en nuances de gris et de brun, à peine lisibles, mais ses yeux véhiculaient une colère si profonde que, l’espace de quelques instants, je me demandai pourquoi nous n’étions pas déjà morts depuis que nous avions franchi le seuil. Son sourire faussement avenant ne parvenait pas à masquer la fureur qui l’habitait, son aura de haine faisait presque virer l’air. Ce n’était pas directement dirigé contre moi… mais cela semblait l’être contre Kalyan. Et je n’étais pas certaine qu’il saisisse la portée de cette rage.
— Dame Skadi, merci de m’accueillir, saluai-je dans la pure forme traditionnelle, redirigeant sans mal l’attention vers moi.
Elle riva sur moi ses yeux de terre et de roche, et j’inclinai la tête avec un sourire.
— Je me nomme Kira.

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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

INTERLUDE


Le calme qui règne sur le lac ensoleillé est factice, une illusion aussi fragile et délicate qu’une bulle de verre. Même les Nornes mineures qui ne savent pourtant presque rien s’agitent, perturbées dans leur travail par l’anxiété qui irradie dans l’air. Les dieux, habituellement enveloppés de leur suffisance et de leurs certitudes de toute-puissance quasiment absolue, restent pour une fois muets, comme des enfants pris en faute. Pourtant, ils ne sont responsables de rien.
Skuld les observe avec un mélange de pitié et d’amusement. Ils ont peur. Les grands et invincibles Æsir craignent les soudains risques qu’encourent leurs beaux avenirs glorieux tracés à l’avance.
— Ne lui parlez pas. Ne parlez pas d’elle. Ne l’approchez pas, si ce n’est pour la tuer. Si elle meurt, le cours de votre avenir demeurera inchangé. Si en revanche elle survit…
La voix éraillée d’Urd résonne comme une menace. La vieille géante tend la main vers une trame de vie toujours étirée sur son métier à tisser. La navette d’os, mue de sa propre volonté, dessine de lents allers-retours entre les fils sans jamais créer de rangée supplémentaire puisque personne ne manipule les les pédales du métier. Au centre de la trame étirée, les fils se sont déchirés, emmêlés, formant des nœuds épais et des trous béants. L’enchevêtrement insolite est une vision d’horreur pour les divinités du destin, le chaos de cette existence leur a totalement échappé.
Dès qu’elles ont constaté les dommages, les trois Nornes primaires ont soustrait la trame aux regards de leurs plus jeunes congénères. Elles ont contenu les premières vagues de peur et fait taire les rumeurs qui commençaient à s’élever. Puis, elles ont convoqué les dieux majeurs à une rencontre urgente pour leur expliquer la situation, conscientes que, en menaçant leurs destins, elles sauraient les convaincre de faire disparaître la perturbatrice. La peur que Skuld lit dans leurs yeux lui prouve qu’elles ont réussi.
— C’est ainsi qu’on la traque, explique-t-elle d’un ton posé, presque moralisateur. Elle laisse des traces dans les vies des autres, elle déchire leur avenir. Quelques secondes suffisent, parfois. Pour Vali…
Elle désigne d’un geste peiné la trame lacérée. Le dieu – enfin, presque dieu – était voué à un long destin heureux. Il aurait dû survivre au Ragnarök, protégé des flammes de Surtr, et habiter les cieux en compagnie de Vidar. Désormais, impossible de combler le trou qui s’est creusé entre les fils, réduisant son sort en charpie.
— … il était supposé trouver des enfants de Loki en ces lieux et les tuer, mais c’est lui qui est mort.
Un vent de murmures effrayés agite l’assemblée des déités asgardiennes. Ils sont terrifiés que leurs histoires de bravoure si savamment entretenues, leurs combats héroïques et leurs futures morts légendaires leur soient arrachés par une seule personne, une fille de Loki qui peut renverser leur avenir d’un claquement de doigts.
— Nous avons essayé de lui créer des obstacles, d’amener des ennemis sur sa route, mais elle s’en est toujours tirée jusqu’à maintenant. Alors, plutôt que de prendre davantage de risques et de perdre davantage d’âmes incapables de la vaincre, nous nous tournons vers vous.
Skuld pivote vers les trois dieux les plus puissants du groupe : Thor, Odin et Týr. L’un de ces trois suffira certainement à vaincre cette mortelle, pour peu qu’il ne se laisse pas convaincre ou embrouiller l’esprit. Mais les trois Nornes ont convenu que, si elles parviennent à instiller suffisamment de peur dans leurs cœurs, ils voudront avant tout préserver leur sécurité.
— J’irai, décrète Thor. Je la tuerai.
— Très bien. Rappelle-toi, n’échange pas avec elle et tout ira bien.
— Où est-elle ?
— Elle vient d’arriver à Thrymheim, répond Heimdall, descendu pour l’occasion de sa montagne au sommet du monde.
— Elle cause de plus en plus de dommages au fur et à mesure qu’elle rencontre de nouvelles personnes, ajoute Urd en guise de menace. Fais vite.
Thor opine du bonnet, ses traits rudes fermés, préparant déjà le combat. Skuld, Urd et Verdandi se détournent, satisfaites de l’avoir convaincu si aisément. Elles savent depuis bien longtemps que la terreur et l’aveuglement sont les meilleurs moyens de garder le contrôle.
De dos, elles ne remarquent ni les regards entendus entre Thor, Týr, Odin et Heimdall, ni la haine flamboyante dans leurs regards, qu’ils avaient étouffée jusque là. Elles ne comprendront jamais la rage de ceux qui, emprisonnés depuis des millénaires dans les trames qu’elles ont tissé, sont prêts à tout pour échapper à leurs griffes.

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Chapitre 28
Dernière modification par vampiredelivres le mar. 08 nov., 2022 11:34 am, modifié 1 fois.
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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par TcmA »

Hiello~

Boooon, notre Lily internationale met bien le barda ! Tout ce qu'on aime héhéhé

Et en plus ils lui amènent Thor sur un plateau d'argent, entre ça et la petite ref à Vali... J'ai un peu peur de ce que ça va donner (aka grosse baston samer) et comment Lily va gérer ça sans pyromagie... (Tu vas me dire, elle a assez de rage pour brûler Thor même sans pyromagie). La réunion entre Thor et Kalinou va être charmante aussi, j'imagine.

Avec tout ce qu'implique la fin... Je vois bien ces dieux tordus utiliser Lily pour leurs propres intérêts, en lui mettant la pression d'une façon ou d'une autre (... Kalinou ?). Aish, ça promet !

En tout cas, c'est toujours aussi chouette, et tu nous hypes bien la suite ! J'ai hâte de lire tout ça !

La bise~
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par louji »

Bonjouuuur !

J'avais relu tout le T2 ce printemps mais je débarque que maintenant 😆

Je vais pas te faire une réponse-citée de tes chapitres car clairement trop de boulot vu mon retard, mais je te fais un retour par chapitre quand même !

Interlude (partie 3) :
"Je préfère t’avertir, mon prix n’est qu’une vérité. Mais ce n’est pas le vrai prix de ce cette information" :arrow: ce cette
J'ai déjà dit que Levi me faisait de la peine ? Depuis le début, j'ai l'impression que tu le fais un peu passer par le nigaud arrogant, mais on sent dès le départ que le mec est juste perdu :roll:
Mdr même Adam me fait de la peine 💀 Je lui offrirais clairement pas le mug de Best mom of the year mais je me dis qu'il avait pas 10000 possibilités quoi. Avec une daronne pareille, c'était soit il la suivait, soit... l'infanticide, c'est grave chez Kaiser ?
Wah, j'avais oublié cette histoire de filet. Bordel, mais c'était une gamine. Tu m'étonnes qu'elle était terrorisée. Bon, je me doute que y'a beaucoup plus que cette trahison en jeu.

Chap 23
La p'tite réflexion de Lily autour de ce qu'elle souhaite, du fait de se séparer de sa famille pour s'entour de ses propres proches, c'est cool !
La remarque de Kal sur le fait qu'il se sent encore mal et que Lily a pas le droit d'ignorer ça/de le pousser à "guérir" plus vite est vachement pertinente et bienvenue !
"la veille de la capture du fils de Tyr$" j'ai ri (y'a littéralement un dollar, c'est pas moi qui vient de le mettre au cas où mdr)
"et Lofn, déesse amours perdus et interdits, devaient en revanche s’amuser en nous voyant." manque un petit mot
Eh beeeh, la Emma, décidément, elle les cumule :lol: Là, elle est clairement dans la merde.

Chap 24
"— Je suis là, lança l’interpellée en sortant le nez de sa tente. Je ne voulais pas m’en mêler." :arrow: elle me détruit Selvi ptn :lol:
Aie aie aie, la colère de Lily est tellement légitime. Quelque part, ça fait du bien de la voir exploser et dire ce qui lui pèse. Parce que, sinon, elle est tellement réservée.
Bon les ouga-ouga combattent, c'était prévisible. On crache jamais sur l'action en vrai 8-)
Ah oué, Kalinou il envoie. Ça fait zizir de le voir combattre, car on avait pas trop eu l'occasion en vrai.
Rhaaa même si la réaction de Selvie est logique et pragmatique, ça me fruuuustre. J'avais envie qu'ils restent ensemble :( (va't-en OKÉ si t'es pas content)
Lilyan ♥ Je commence à vraiment croire en leur relation ! Au début, c'était un peu compliqué parce que clairement, oskur, pour moi c'était hyper malsain dans le T1. Mais ces moments de confidence et de confiance depuis le T2 posent de jolies bases.
"Mais, si tu n’avais été qu’un choix par défaut… tu n’aurais pas survécu ensuite." j'ai rigolé
Tu répètes pas mal de Kal sent le citron 😁😆
Bon, bon, nos zigotos avancent. Ça fait plaisir ♥ Même si, bon, je doute que tout se passe bien pour les 2 tomes et demi qui restent avant la fin :")

Chap 25
"il valait mieux pour moi qu’il soit encore fonctionnel" fonctionnel ça fait un peu objet 😭 Opérationnel ?
"termina sa barre sans plus pipier mot" piper
"dans lequel je jetais mes déchets quand je me baladais comme ça dans la nature." ✨♻️✨ (je suis infernale depuis que j'ai découvert qu'on pouvait mettre des emoji)
"interrogeai-je soudain, prise d’une crainte subite." soudain/subite ça fait redite :D
" Utgard," wow Aion (le mmo) right in the feels
"la géante de l’hiver et du ski" du ski ?? Comment ça peut être possible ? 😭
Quand Lily est dans la main du géant, pourquoi elle se transforme pas d'office en petit animal ? Il y a quelque chose qui la bloque ?
"l’infléchis dans la direction du minuscule bosquet" infléchis quoi ? ses ailes ?
Eh mais c'est pas Thalia qu'ils viennent de sauver ?? Enfin on la rencontre :mrgreen:

Chap 26
Ça fait un peu bizarre de voir direct le prénom de Thalia, comme elle a pas été nommée à la fin du chapitre précédent :)
J'aime beaucoup le passage où ils connectent leurs flux magiques :D C'est super cool et ça ouvre pas mal de possibilités mine de rien.
Le dialogue mental est incroyable 😭
"tournâmes la tête de concert pour aviser une tête hérissée" petite redite
"e le savais déjà auparavant, mais je le réalisais davantage maintenant que je savais qu’elle avait travaillé avec un Hamershot par le passé." idem avec savais
"— Je ne plaisante pas, Thallie…" on a pas les mêmes Thallie, mais le surnom reste 🥰
Sinon je l'aime déjà 😏

Chap 27
LES AGRICULTEURS OUIIIIIIIIIII 🌲🌱🌿
"Ma grande-sœur" ça prend un tiret ? 🤔
"Gretel Hamershot, dont les contes avaient ensuite déformé l’histoire jusqu’à en faire un mythe à part entière" très stylé la façon dont tu as tourné le conte 8-)
Eh bien, elle a pas l'air commode, la Skadi. J'ai un peu peur ce qui va se passer avec Lily mdr

Interlude
Ah ouéé.
Ah ouééééééééé.
Les Aesir carrément :lol:
Effectivement, notre Lily remue bien du bordel là. Je pensais qu'on en arriverait si vite à cette situation ! Avec de pareils projecteurs braqués sur elle, jsp comment elle va s'en sortir. Surtout sans autre allié que Kal à disposition.

C'était super cool de reprendre plusieurs chapitres comme ça ! On sent que pas mal d'action nous attend dans les chapitres qui arrivent, entre Skadi et Thor. Je me rends pas trop compte d'où on en est par rapport à la fin ? On attaque la dernière partie là ?
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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

TcmA a écrit : mer. 02 nov., 2022 1:36 pm Hiello~

Boooon, notre Lily internationale met bien le barda ! Tout ce qu'on aime héhéhé

Et en plus ils lui amènent Thor sur un plateau d'argent, entre ça et la petite ref à Vali... J'ai un peu peur de ce que ça va donner (aka grosse baston samer) et comment Lily va gérer ça sans pyromagie... (Tu vas me dire, elle a assez de rage pour brûler Thor même sans pyromagie). La réunion entre Thor et Kalinou va être charmante aussi, j'imagine.

Avec tout ce qu'implique la fin... Je vois bien ces dieux tordus utiliser Lily pour leurs propres intérêts, en lui mettant la pression d'une façon ou d'une autre (... Kalinou ?). Aish, ça promet !

En tout cas, c'est toujours aussi chouette, et tu nous hypes bien la suite ! J'ai hâte de lire tout ça !

La bise~
Hiello ~~

La Lily internationale, j'adore :lol:

Grosse baston samer, je crois que tu as ciblé l'essentiel de la fin de ce tome x) (Ouais, elle a bien envie de le cramer même sans, mais… ouais, nan, sans flammes ça va être compliqué.) Charmante ? Oh c'est pas le mot que j'aurais utilisé. :mrgreen:

Là-dessus, je ne dirai absolument rien parce que bon, vous avez déjà pleiiiin d'indices, et faut encore que mon tome ait un minimum d'intérêt XD Mais promis ça va être fun !

Vive la hype :D
À bientôt et merci pour ton passage

louji a écrit : dim. 06 nov., 2022 6:04 pm Bonjouuuur ! Hellooooo !

J'avais relu tout le T2 ce printemps mais je débarque que maintenant 😆 Pas de souci, j'ai bien traîné dans mes publications aussi…

Je vais pas te faire une réponse-citée de tes chapitres car clairement trop de boulot vu mon retard, mais je te fais un retour par chapitre quand même ! Je te rep inline pour plus de lisibilité ^^

Interlude (partie 3) :
"Je préfère t’avertir, mon prix n’est qu’une vérité. Mais ce n’est pas le vrai prix de ce cette information" :arrow: ce cette 👍🏻
J'ai déjà dit que Levi me faisait de la peine ? Depuis le début, j'ai l'impression que tu le fais un peu passer par le nigaud arrogant, mais on sent dès le départ que le mec est juste perdu :roll: Clairement, Lily le voit comme un petit bâtard arrogant et inutile, mais il est plus largué qu'autre chose. La moitié du temps, il essaie juste de faire sa vie sans mourir quinze fois, et c'est déjà pas mal.
Mdr même Adam me fait de la peine 💀 Je lui offrirais clairement pas le mug de Best mom of the year mais je me dis qu'il avait pas 10000 possibilités quoi. Avec une daronne pareille, c'était soit il la suivait, soit... l'infanticide, c'est grave chez Kaiser ? Un câlin à Adam est mérité dans cette intro, il a beaucoup trop morflé. Les Élites déchus ne sont pas exactement… rationnels, quand il s'agit de vengeance.
Wah, j'avais oublié cette histoire de filet. Bordel, mais c'était une gamine. Tu m'étonnes qu'elle était terrorisée. Bon, je me doute que y'a beaucoup plus que cette trahison en jeu. C'est… compliqué. Elle est toujours terrorisée, quand t'y réfléchis, et à relativement juste titre…

Chap 23
La p'tite réflexion de Lily autour de ce qu'elle souhaite, du fait de se séparer de sa famille pour s'entour de ses propres proches, c'est cool ! Lily qui se sèvre doucement de ses relations toxiques ✨
La remarque de Kal sur le fait qu'il se sent encore mal et que Lily a pas le droit d'ignorer ça/de le pousser à "guérir" plus vite est vachement pertinente et bienvenue ! Nice, contente que ça plaise ! Pour une fois qu'ils dialoguent vraiment, autant que ce soit pertinent et que ça fasse passer les bons messages :)
"la veille de la capture du fils de Tyr$" j'ai ri (y'a littéralement un dollar, c'est pas moi qui vient de le mettre au cas où mdr) Rhah zut, merci de l'avoir relevé !
"et Lofn, déesse amours perdus et interdits, devaient en revanche s’amuser en nous voyant." manque un petit mot Ah ?
Eh beeeh, la Emma, décidément, elle les cumule :lol: Là, elle est clairement dans la merde. Combo de merde… ça pue pour la prochaine rencontre 🙃

Chap 24
"— Je suis là, lança l’interpellée en sortant le nez de sa tente. Je ne voulais pas m’en mêler." :arrow: elle me détruit Selvi ptn :lol: Selv' a un historique de neutralité déjà dans le Manoir, elle ne se mêle pas de ce qui ne la regarde pas x)
Aie aie aie, la colère de Lily est tellement légitime. Quelque part, ça fait du bien de la voir exploser et dire ce qui lui pèse. Parce que, sinon, elle est tellement réservée. Craquage bonsoir, mais c'était nécessaire.
Bon les ouga-ouga combattent, c'était prévisible. On crache jamais sur l'action en vrai 8-) 🥊⚡️⚡️⚡️🔥🔥🔥 (Ouais moi aussi je craque avec les émojis)
Ah oué, Kalinou il envoie. Ça fait zizir de le voir combattre, car on avait pas trop eu l'occasion en vrai.
Rhaaa même si la réaction de Selvie est logique et pragmatique, ça me fruuuustre. J'avais envie qu'ils restent ensemble :( (va't-en OKÉ si t'es pas content) Si tu regardes, Selvie n'aime pas trop se mouiller dans des trucs qui la dépassent…
Lilyan ♥ Je commence à vraiment croire en leur relation ! Au début, c'était un peu compliqué parce que clairement, oskur, pour moi c'était hyper malsain dans le T1. Mais ces moments de confidence et de confiance depuis le T2 posent de jolies bases. Ouais clairement, le T1 était tordu af, là on (ils + moi) essaye de tout bien remettre à plat, sans planquer des trucs sous le tapis.
"Mais, si tu n’avais été qu’un choix par défaut… tu n’aurais pas survécu ensuite." j'ai rigolé 😁
Tu répètes pas mal de Kal sent le citron 😁😆 C'est sa marque de fabrique 😂
Bon, bon, nos zigotos avancent. Ça fait plaisir ♥ Même si, bon, je doute que tout se passe bien pour les 2 tomes et demi qui restent avant la fin :") You know what ? Yolooooo !

Chap 25
"il valait mieux pour moi qu’il soit encore fonctionnel" fonctionnel ça fait un peu objet 😭 Opérationnel ? C'est mieux effectivement.
"termina sa barre sans plus pipier mot" piper Aya thanks !
"dans lequel je jetais mes déchets quand je me baladais comme ça dans la nature." ✨♻️✨ (je suis infernale depuis que j'ai découvert qu'on pouvait mettre des emoji) Lily est écolo 😏😂
"interrogeai-je soudain, prise d’une crainte subite." soudain/subite ça fait redite :D True
" Utgard," wow Aion (le mmo) right in the feels Ouais ouais, mais bon, on sait d'où ils ont tiré leur inspi x) (J'avouuuue, ça fait longtemps que j'ai pas joué 😭)
"la géante de l’hiver et du ski" du ski ?? Comment ça peut être possible ? 😭 Nan mais je… franchement, la mythologie nordique des fois ça me dépasse. Genre…
Image
This is Skadi
Quand Lily est dans la main du géant, pourquoi elle se transforme pas d'office en petit animal ? Il y a quelque chose qui la bloque ?
"l’infléchis dans la direction du minuscule bosquet" infléchis quoi ? ses ailes ? Elle serait toujours dans les mains du géant… et risquerait potentiellement d'être bloquée si elle essaie de se retransformer ensuite en quelque chose de plus gros.
Eh mais c'est pas Thalia qu'ils viennent de sauver ?? Enfin on la rencontre :mrgreen: Coucouuuu !

Chap 26
Ça fait un peu bizarre de voir direct le prénom de Thalia, comme elle a pas été nommée à la fin du chapitre précédent :) Je note ^^
J'aime beaucoup le passage où ils connectent leurs flux magiques :D C'est super cool et ça ouvre pas mal de possibilités mine de rien. Heheh, t'as pas vu la moitié encore 😈
Le dialogue mental est incroyable 😭
"tournâmes la tête de concert pour aviser une tête hérissée" petite redite 👍🏻
"e le savais déjà auparavant, mais je le réalisais davantage maintenant que je savais qu’elle avait travaillé avec un Hamershot par le passé." idem avec savais 👍🏻👍🏻
"— Je ne plaisante pas, Thallie…" on a pas les mêmes Thallie, mais le surnom reste 🥰 Ouais cette Thallie est un peu plus psychotique…
Sinon je l'aime déjà 😏 Ravie que ce soit le cas 😁

Chap 27
LES AGRICULTEURS OUIIIIIIIIIII 🌲🌱🌿 J'ai évidemment pensé à toi !
"Ma grande-sœur" ça prend un tiret ? 🤔 Pour une obscure raison mon cerveau a décidé d'en mettre un, mais non.
"Gretel Hamershot, dont les contes avaient ensuite déformé l’histoire jusqu’à en faire un mythe à part entière" très stylé la façon dont tu as tourné le conte 8-) J'avais des doutes mais il semble que ça passe 😊
Eh bien, elle a pas l'air commode, la Skadi. J'ai un peu peur ce qui va se passer avec Lily mdr Oh Skadi ? Nooon, elle est adorable voyons 🙃

Interlude
Ah ouéé.
Ah ouééééééééé.
Les Aesir carrément :lol: Bonsoiiiiir, c'est nouuuuuus !
Effectivement, notre Lily remue bien du bordel là. Je pensais qu'on en arriverait si vite à cette situation ! Avec de pareils projecteurs braqués sur elle, jsp comment elle va s'en sortir. Surtout sans autre allié que Kal à disposition. Ah bah elle a buté un dieu quand même, l'un de ceux qui étaient censés survivre au Ragnarök. C'est compliqué de pas se faire repérer quand même.

C'était super cool de reprendre plusieurs chapitres comme ça ! On sent que pas mal d'action nous attend dans les chapitres qui arrivent, entre Skadi et Thor. Je me rends pas trop compte d'où on en est par rapport à la fin ? On attaque la dernière partie là ?
Tu t'es tapée un giga-marathon oui 😂 Bon, je suis contente que ça te plaise ! Et on attaque la dernière partie, il reste exactement sept chapitres avant la fin ^^ On est dans la dernière ligne droite, un gros marathon de fin Skadi-Thor qui s'annonce.

Merci d'avoir tout rattrapé ✨
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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 28


Nous nous étions rencontrés à Midgard, par un total hasard. Ma mère, une femme particulièrement intelligente pour sa mortalité, avait dissimulé ma naissance à la connaissance de tous, et surtout de la Maison de Thor. Elle descendait elle-même d’une fille de Freyja – les meilleurs mensonges comportent toujours un soupçon de vérité – et elle connaissait suffisamment le monde magique pour savoir que ce n’était pas ce qu’elle me souhaitait. Elle m’avait couvée, protégée, peut-être même un peu étouffée, allant jusqu’à passer un accord avec un nain de passage à Midgard pour qu’il enchante notre maisonnette et que ma magie ne soit pas repérable.
Puis, elle était morte. Comment, je ne savais pas, pourquoi, je ne savais pas non plus. Elle était sortie un soir, et je ne l’avais plus revue pendant les jours qui avaient suivi. Je suspectais qu’elle ait refusé de payer une part du prix du nain, parce que quand son corps était apparu, presque magiquement, sur le canapé du salon, un matin, il était intact. Aucune trace de combat ou de blessure, pas la moindre éraflure. Pas de marque d’usage de magie non plus, semblait-il.
— Un serment sur le Leiptr ? releva Skadi, perplexe.
— Peut-être, admis-je avec un haussement d’épaules. Je n’ai jamais retrouvé ce nain, et elle a toujours refusé de me dire son nom, donc impossible de savoir.
Je laissai passer un temps, réfléchissant, assemblant les pièces de cette nouvelle identité. Qui était Kira ? Que voulait-elle, qu’aimait-elle ? Qu’est-ce qui lui manquait suffisamment pour s’engager dans cette quête désespérée en plein milieu de Jötunnheim ? Car on ne s’engageait pas impunément sur le territoire des géants.
Mentir était devenu une seconde nature, avec les enseignements d’Ekrest. Construire une personnalité, réelle et tangible, suffisamment éloignée de la mienne pour ne pas éveiller les soupçons, créer une histoire en quelques minutes à peine… Et ensuite se laisser porter par le courant, s’immerger dans cette nouvelle identité au point de devenir elle, le temps d’une mission, d’une soirée, d’une rencontre.
— Après ça, j’ai commencé à vadrouiller. Ma mère m’avait toujours avertie des menaces, de ce qui risquait d’arriver si un Thor mettait la main sur moi.
Le nom du dieu roula sur mes lèvres, faillit ne pas passer, tant l’habitude de l’éluder était présente. Mais je me forçai, crispant les poings sous la table.
— C’est à dire ? releva Skadi, ayant certainement perçu la petite hésitation.
— Le sens de la… famille… des Thor…
Le rictus m’échappa, et cette fois, le nom passa sans mal.
— Leur absolue hégémonie sur tout le monde, y compris eux-mêmes. On ne réchappe pas de l’emprise familiale, à moins de commettre un crime pour s’en arracher. Et encore, à ce moment-là, il vaut mieux apparemment mourir que de devenir un renégat.
Skadi se fendit d’un rire de pierre, froid et cassant.
— Vu comme ça… Hamershot, qu’en penses-tu ?
Kalyan laissa un sourire sardonnique affleurer à ses lèvres, si juste et réaliste que, l’espace d’une seconde, j’eus froid dans le dos. Mais je l’avais déjà vu jouer le jeu, prétendre qu’il était un Hamershot et qu’il aimait le pouvoir qui allait avec, alors qu’en vérité, c’était loin d’être le cas. Mais aujourd’hui en particulier, il tenait son rôle comme un acteur professionnel. Le véritable Kalyan avait disparu, enterré tout aussi profondément que la véritable Lilith, sous une gangue de froideur, de cynisme et d’insensibilité.
— La famille est sacrée, voyons. C’est aussi ce que j’essaie de lui apprendre…
Il haussa les sourcils envers moi, et je fronçai le nez, gamine.
— … en l’emmenant voyager. La famille fera tout pour toi… donc tu feras tout pour ta famille.
Ses mots me piquèrent le cœur comme un aiguillon empoisonné, même si je savais bien que ce n’était pas leur but. Ils sonnaient trop juste, touchaient trop près du centre. Ma famille – ma vraie famille – avait été sacrée, fut un temps. Intouchable. Imparfaite, aussi, mais suffisamment proche de moi pour lui pardonner ses défauts. Suffisamment présente pour m’aider lorsque c’était nécessaire, juste assez distante pour me laisser évoluer à ma guise. Du moins l’avais-je cru.
Je dus lutter pour repousser les pensées parasites, au risque de trahir ma couverture. Je ne pouvais pas me permettre d’être quelqu’un d’autre que Kira, actuellement, et Kira ne souffrait pas de l’abandon de sa famille. Elle rejetait les siens.
— Pour le moment, tu as été un bon compagnon de voyage, et un excellent guide, admis-je avec un sourire bravache, mais ça me convainc pas tellement sur les autres.
— D’ailleurs, où est ta charmante fratrie ? releva la géante à l’intention du Hamershot.
— C’était un voyage en solo pour moi cette fois-ci, j’avais besoin d’aller voir Mímir.
— Ah, tiens donc. Et a-t-il répondu quelque chose d’intéressant, pour une fois ?
— J’ai eu une partie des réponses dont j’avais besoin, on va dire, répondit-il avec un regard en coin à mon intention.
De l’extérieur, cela aurait pu ressembler à un regard d’avertissement, mais je l’interprétai plutôt comme une amicale provocation. Je ne lui avais toujours pas tout dit. Que j’étais l’Élue, que je risquais d’avoir ma part de responsabilité dans le Ragnarök, que Loki pouvait venir dans mes rêves et mes cauchemars dès que l’envie lui en prenait, semblait-il… Il lui manquait encore tellement de clés, et je ne pouvais pas vraiment me permettre de les lui donner.
— Sous forme d’énigme, évidemment.
— Évidemment. Mais assez peu cryptique, pour une fois.
— Et le prix ? demanda Skadi sans une once de savoir-vivre.
Kalyan fronça le nez, serra la mâchoire, et sa réaction, si naturelle qu’elle en paraissait vraie, me fit un instant douter. Avait-il réellement consulté Mímir ? Il n’en avait jamais rien dit, et je n’avais jamais assumé qu’il profite de notre lieu de rencontre pour obtenir des réponses à des questions personnelles.
Je repoussai mon assiette, encore à demi-remplie. Le vanköfr faisait un bon ragoût, mais bien trop épais pour moi.
— Vous n’avez plus faim, Dame Kira ?
Je tournai la tête vers le géant qui venait de s’addresser à moi, une créature au visage épais, encore bouffi par la jeunesse. Il avait les yeux de Skadi, un semblant de creux dans la joue gauche qui pouvait s’apparenter à une fossette pour peu qu’il sourie, et une sorte d’étrange élégance dans l’harmonie de ses traits.
— C’est extrêmement consistant, admis-je, l’air faussement gênée. Mais c’est…
— Particulièrement mauvais, interrompit Skadi avec un claquement de langue agacé. Cette petite nouvelle que j’ai en cuisine ne sait absolument pas s’y faire avec la viande. Mais je lui apprendrai.
Au vu de la sécheresse de son ton et de la colère dans sa voix, je doutai que ce soit une leçon de cuisine particulièrement agréable. Pour peu que la pauvre esclave ne se fasse pas elle-même dévorer en guise d’exemple. Je serrai les dents.
— Vous n’avez toujours pas renoncé, n’est-ce pas ? grinça Kalyan, soudain accusateur.
— De ? Ah, non, bien sûr que non, petit Hamershot. Une maisonnée comme celle-ci ne s’entretient pas toute seule voyons, et tu es trop jeune pour comprendre l’intérêt des thralls.
Il y eut une grimace à la périphérie de mon champ de vision, du côté du géant qui venait de s’adresser à moi, et Skadi ouvrit la bouche pour lui faire certainement une remontrance, mais Kalyan répondit sèchement avant que Skadi n’ait le temps de se concentrer pleinement sur lui.
— Et vous êtes trop vieille pour réaliser que vos acquis ne vous permettront pas de comprendre votre monde actuel.
Elle se permit un rictus.
— Et pourquoi en aurais-je besoin ?
Mais un murmure nerveux s’était levé autour de nous, et la critique avait été reçue par certain des géants attablés auxquels je n’avais que brièvement parlé. Un Hamershot avait critiqué, et même si Skadi avait l’âge pour se permettre de balayer la remarque d’un haussement d’épaules, d’autres semblaient avoir davantage grandi dans l’esprit que la parole de Thor – et donc de ses enfants par la même occasion – se devait d’être respectée. C’était quelque que j’avais toujours haï chez les enfants de Thor, cette capacité à faire changer quiconque de comportement par leur simple présence. Juste parce qu’ils affichaient une moue dépitée ou douteuse, le reste du monde se pliait en quatre pour leur faire plaisir. Je n’avais jamais été de ceux qui les respectaient ou craignaient ainsi, mais ô combien de personnes avais-je vues qui agissaient ainsi. Et aujourd’hui, même chez les ennemis ancestraux des Æsir, il y en avait pour réagir ainsi.
Le pire, c’était certainement qu’ils s’étaient présentés pour la plupart comme des chefs de clans locaux, tous conviés ici à un évènement-surprise de la maîtresse des lieux. C’étaient des géants qui étaient censés être influents, mais déjà, ils se comportaient comme des souris effrayées.
— Pour comprendre que vous n’êtes pas éternelle, vous non plus. Mais c’est une discussion pour une autre fois, ajouta-t-il, un ton plus bas, avec un calme calculé. Pour le moment, merci beaucoup pour votre hospitalité. Si cela ne vous dérange pas, Kira et moi allons nous retirer pour nous reposer, ça a été un voyage… chaotique.
— D’ailleurs, vous ne m’avez pas raconté comment vous êtes tombés dans les ennuis, releva-t-elle, laissant elle aussi de côté le conflit en suspens.
— Oh, trois géants qui n’avaient pas compris que Thalia était son amie, intervins-je avec un sourire et une nonchalance étudiée. On va dire qu’ils n’ont pas fait très long feu. L’un d’entre eux s’appelait… Scar ? Skvar ?
Un léger rictus joua sur les lèvres de Kalyan, il entra dans mon petit jeu sans mal.
— Je crois, oui. Il ne voulait pas la lâcher.
Aucun de nous ne verbalisa la conclusion de cette rencontre, et aucun des Jötnar n’osa demander, mais je captai un murmure qui parlait de Skvar. Apparemment, il avait été connu, dans le coin. Pour les bonnes ou les mauvaises raisons, ça, je n’aurais su le dire. Mais je n’eus pas vraiment le temps d’analyser les tendances politiques et les alliances qui semblaient se jouer ici. Déjà, Kalyan s’était levé, et quand il sortit de table, je lui emboîtai le pas. Des serviteurs, qui attendaient près de la porte, le regard vague et les épaules voûtées, nous précédèrent au travers des immenses battants que nous avions franchi un peu plus tôt.
— Où est notre amie ? Conduisez-nous à elle.
Je détestais le ton péremptoire que j’utilisais pour m’adresser à eux, mais le risque qu’on m’entende encore était trop grand pour que je me permette d’abandonner ma façade de fille de Thor arrogante. Et, quelque part, j’aurais presque admis que je l’aimais bien. Voir les gens frémir et plier immédiatement, au lieu de me manifester la sempiternelle haine inhérente à mes origines, était presque plaisant. Presque. C’était juste assez satisfaisant pour compenser l’habituelle frustration de devoir lutter pour se faire entendre, et juste assez dérangeant pour m’empêcher de l’apprécier.
Inconsciemment, je cherchai la main de Kalyan, qui marchait près de moi. Il entrelaça ses doigts aux miens, serra, mais ne dit rien, et nous progressâmes en silence dans les couloirs sombres de la montagne, louvoyant entre les rocs qui dépassaient parfois du sol, à la lueur de quelques faibles torches. Sortie de la halle principale, je respirais un peu mieux. J’avais passé le premier test de l’infiltration, celui de l’assimilation de l’identité. Skadi m’avait associée à une fille de Thor sans broncher, elle n’avait émis aucun jugement ou doute sur mon ascendance. Dans le jargon, on appelait ça l’assimilation, parce que l’adversaire apprenait à associer une apparence à une identité, et cet association induisait une certaine sécurité. Si la première rencontre était convaincante, cela éliminait une bonne partie des doutes et écartait quelque peu les questionnements de l’ordre de « et si…? ».
Il ne restait plus qu’à tuer la géante, de préférence discrètement et proprement, mais pour ça, je devais d’abord comprendre où étaient situés ses quartiers. Au vu de ce que je devinais de la taille de la forteresse, ça n’allait pas être une partie de plaisir. D’autant plus que, si j’utilisais mes pouvoirs de Loki, je me ferais débusquer en un claquement de doigts, et si je vadrouillais comme une Thor inconsciente, je soulèverais des questions qui n’étaient pas bienvenues.
Mais c’était un problème à résoudre plus tard. Je le laissai en tâche de fond, à l’arrière de mon esprit, moulinant dessus occasionnellement, mais me concentrai surtout sur la petite pièce dans laquelle on nous avait amenés. Enfin, elle était petite à l’échelle du lieu, évidemment. Elle comportait deux lits, qui semblaient être en principe des lits simples, mais trois fois plus grands que des lits habituels. Je fronçai les sourcils, me demandant comment j’allais me hisser dessus, jusqu’à ce que je voie l’une des servantes désigner en silence une sorte d’échelle. Je fronçai le nez, mais acquiesçai. Kalyan, lui, me regardait avec un sourire dénué de la froideur dont il avait fait preuve précédemment.
— Habitue-toi, tout est à l’échelle jötnunienne ici.
— Je vois ça.
— Si les maîtres n’ont besoin de rien, je vais me retirer. Appelez-moi si vous avez un besoin de quoi que ce soit.
La fille venait de parler d’une voix douce, haut perchée, dans un vieux norrois si impeccable qu’elle paraissait native. Mais je n’eus même pas le temps de m’en étonner qu’elle avait déjà disparu en claquant doucement la porte derrière elle.
— Comment… comment on l’appelle ?
Kalyan pinça les lèvres, ne répondit pas, et je grimaçai.
— Et Thalia ?
Il ferma les yeux un instant, se concentra, et inconsciemment, j’ouvris une étroite connexion à son esprit pour comprendre ce qu’il faisait. Ses perceptions se firent miennes, je sentis les crépitements inexistants de l’air, les différences de polarité, subtiles mais présentes. Et je sentis, quelque part dans l’autre lit simple, une activité électrique bien plus intense. Un cerveau, semblait-il. Kalyan resta concentré quelques secondes, évaluant certainement la mesure de cette activité, puis expliqua :
— En principe, elle est toujours inconsciente, mais je ne détecte aucune anomalie.
— Tant mieux.
Je me détachai de lui, m’arrachant à regret de son univers sensoriel fascinant, et me hissai en quelques mouvements dans le lit où on l’avait allongée. Elle gisait là, inerte. Une petite poche de sang, suspendue à un crochet au mur, déversait son liquide goutte à goutte dans son bras au travers d’une perfusion. Je passai lentement ma main sur son front, évaluant sa température, puis le long de son corps, à la recherche d’autres blessures que je n’aurais pas remarquées plus tôt. Au travers de son T-Shirt, je percevais une épaisse bande rigide, qui devait être un bandage pour sa cage thoracique.
— Elle va bien ? demanda Kal depuis en bas.
— On peut dire ça.
Je m’étirai longuement, consciente que ce dont on aurait réellement eu besoin, c’était d’une Eir. J’avais un kit médical microscopique, destiné aux urgences, mais il n’était destiné qu’à dépanner et sauver à un instant donné. Derrière, il me fallait une Eir. Ou alors une géante magicienne.
— Thrall ! lançai-je à voix haute, détestant déjà cet emploi.
La gamine qui nous avait guidés jusque là apparut dans l’embrasure de la porte comme par magie. Ses pieds nus n’émettaient aucun bruit sur le roc glacé, mais juste à la regarder dans sa petite robe de lin fine et légère, j’eus mal et froid pour elle.
— Comment tu t’appelles ?
Elle déturna la tête, hésitant clairement à répondre.
— Si tu ne veux pas me répondre, j’irai demander directement à Skadi.
Son visage se tordit, déformé par une soudaine terreur.
— Non, non. Je m’appelle Arza, maîtresse. Enfin, on m’appelait ainsi avant…
Avant qu’elle ne soit capturée et enchaînée par un serment, certainement. Elle ne termina jamais, et je préférai ne pas lui laisser le temps de replonger dans les souvenirs traumatiques des évènements qui l’avaient amenée ici.
— D’accord Arza. Sais-tu s’il y a une guérisseuse ici ?
— Oui, il y en a une, approuva-t-elle avec un hochement de tête. Mais elle…
— Va la chercher, interrompit Kalyan. Et si Skadi demande, dis-lui que c’est moi qui ai requis sa présence.
La gamine n’osa même pas protester. Elle tourna les talons dans une envolée de cheveux blonds emmêlés, et disparut à nouveau.
— Je déteste ça, grommelai-je en fronçant le nez.
— Moi aussi. Mais Skadi ne changera pas.
Il y avait une rancune non-dissimulée dans sa voix, mais aussi une pointe d’espoir étouffé. Il se hissa le long des barreaux de l’échelle, s’étant débarrassé de ses chaussures humides de neige et de terre, et s’assit sur le côté du lit.
— Si tu arrives à faire ce que tu m’as dit… tu libèreras beaucoup de monde. Tu n’as même pas idée.
J’opinai silencieusement, mais ne répondis rien. Je n’étais pas venue en sauveuse, je n’étais pas là pour rattraper les erreurs de dieux arrogants qui avaient eu le malheur de laisser un peu trop de pouvoir à une géante. J’étais là pour un objectif simple, mesurable, et ô combien égoïste, contrairement à ce que Kalyan laissait sous-entendre. Je devais seulement couvrir mes traces, assurer ma protection par Syn.
Dans le silence qui s’installait, je redescendis par l’échelle le temps de déballer mon sac et de déposer mes affaires sur les petites étagères qui avaient été taillées à même la roche du mur, et Kalyan m’imita. Mais, ensuite, tandis que je remontais dans le lit, il resta en bas et s’affala dans un fauteuil sommaire. Il ne semblait guère déterminé à parler davantage, et je le comprenais. La discussion tendue avec Skadi, couplée à notre dépense d’énergie magique absurde juste pour arriver ici, nous avaient déjà fatigués suffisamment pour que nous ayons seulement envie de dormir. Maintenant que j’étais sur un lit, même avec une Thalia toujours entre la vie et la mort à côté de moi, je n’étais pas certaine de pouvoir tenir longtemps avant de fermer les yeux.
Heureusement pour mon état de fatigue intense, la Eir finit par se manifester. Arza la précéda par la porte de la chambre, s’inclina brièvement sur son passage avec une expression de respect sincère que je ne l’avais vue manifester ni envers Skadi, ni envers Kalyan, et qui semblait acquise par de vrais actes et non par un simple statut. Puis, elle se retira en refermant la porte derrière elle, et je me focalisai sur la fille d’Eir.
C’était une grande brune à la peau mate, aux yeux du vert feuille brillant de sa Maison, et aux traits fermés et bien dessinés. Sans paraître être une force de la nature, elle semblait athlétique et assez souple, et malgré la fraîcheur qui régnait dans le château, elle ne portait que des vêtements légers, sportifs.
— Bonsoir, salua Kalyan. Merci d’être venue si vite.
— On ne va pas dire que c’était vraiment un choix, cingla-t-elle. Mais après tout, qui suis-je pour remettre en cause vos priorités…
Je haussai un sourcil depuis le haut du lit, perplexe. Un venin acide suintait de sa voix, et elle cherchait clairement à évacuer un ressentiment depuis longtemps accumulé.
— Notre amie a besoin d’aide. On ne sait pas pourquoi elle est inconsciente, on espérait que tu pourrais nous aider là-dessus.
— Mmhm.
— C’est à dire, « mmhm » ? intervins-je.
— C’est à dire que vous n’avez pas idée de ce que je vois ici, grinça-t-elle. Mais bien sûr, les blessures d’une nouvelle venue sont prioritaires.
Je fus étonnée de découvrir une réelle rancœur dans sa voix, dirigée droit contre le Hamershot.
— Vos jolis pactes, vos alliances de circonstance… vous n’avez aucune idée du mal que ça engendre. Mais pourquoi est-ce que je me fatigue ?
Elle se détourna, se hissa le long de l’échelle en bois avec une lassitude teintée de colère qui exusdait dans chacun de ses gestes, à la fois lents et terriblement crispés. Elle transportait, comme Elizabeth à l’époque de mes jours en prison, une petite sacoche qu’elle avait accrochée en bandoulière, où elle gardait certainement tous les outils additionnels dont elle avait besoin en plus de sa magie. Toutes les compresses, les herbes, les poudres et les pommades. La voir me tira presque un fin sourire nostalgique, qui s’effaça bien vite quand elle me regarda de travers avec toute la haine non-verbale qu’elle pouvait emmagasiner. Je frissonnai presque, secouée. C’était le genre de regard dont j’avais l’habitude, qui me fit même douter un moment de mon camouflage. Je portai les doigts à mes yeux, prête à reconstituer mon illusion, transformai à la dernière seconde le geste en une main dans les cheveux nerveuse. J’étais une fille de Thor, ici, il n’y avait rien pour le moment pour le démentir. Et c’était presque terrifiant de voir la haine que cette Eir pouvait manifester face à une Thor.
— Tu t’appelles ?
— Jessica.
— Kira, enchantée.
Seul un silence me répondit, et quand elle se détourna de moi pour s’occuper de la fille de Freyr, je levai un sourcil en direction de Kalyan. Il me répondit par un haussement d’épaules qui en disait suffisamment long sur sa propre rancœur pour que je comprenne. C’était son héritage de sang, celui qu’il détestait devoir assumer, mais qui lui incombait en général dès qu’on apprenait qu’il était un Hamershot.
— Elle va bien ? préférai-je demander à haute voix, tout en lui adressant un hochement de tête qui se voulait rassurant.
— Oh, bien… tout est question de perspective. Elle a trois côtes cassées, énuméra-t-elle sans détourner les yeux de sa patiente et un poumon perforé – même si ce n’est pas mortel en soi. Et c’est sans parler des contusions. Qu’est-ce qui lui est arrivé ?
— Un Jötunn s’est amusé à la traiter comme un hochet pour enfant, répondis-je du même ton cinglant qu’elle employait.
Elle ne tourna pas la tête, mais je vis le discret rictus qui flottait sur ses lèvres.
— Charmant.
Elle posa les mains sur les épaules de Thalia, et sa magie, chaude et puissante, fit vibrer l’air. Je haussai les sourcils, fascinée de percevoir son flux aussi net, clair et puissant ici. Elle avait une puissance phénoménale, ou alors c’était moi qui n’étais pas encore suffisamment habituée aux Neuf Mondes pour jauger de la quantité de magie qu’une personne déployait. Pour comparer, je tentai de mesurer son flux a celui que j’avais senti émaner de Kalyan plus récemment. Il me paraissait plus faible, mais j’en parvins malgré tout à la conclusion qu’elle était bien plus puissante que les filles d’Eir que j’avais connues par le passé.
C’était curieux qu’elle ait été attribuée au service de Skadi, et non à une grande Maison qui aurait bien fait usage de ses pouvoirs.
En sentant le regard interrogateur que je posais sur ses épaules, elle tourna la tête et haussa les sourcils dans ma direction avec une expression si irritée que je m’étonnai un instant qu’elle ne se soit pas déjà jetée à ma gorge.
— Ne t’en fais pas, princesse de foudre, ton amie va mieux. Elle va dormir encore un peu par contre.
— Si j’avais été une fille du chaos, aurais-tu davantage apprécié notre rencontre ? interrogeai-je brusquement, faussement moqueuse.
Elle se rembrunit, mais ne parut pas plus agressive pour autant.
— Si tu avais été une fille du chaos ici, je t’aurais présenté mes condoléances.
Elle remballa ses affaires par gestes secs, mesurés, laissa une compresse humide, certainement imbibée d’huiles essentielles et enroulée autour de feuilles quelconques, sur le front de Thalia. En traversant le lit dans l’autre sens, en direction de la sortie, elle posa un genou de travers, vacilla sur le matelas mou, s’appuya contre moi pour se rééquilibrer. Je lui donnai un gentil coup d’épaule pour la remettre d’aplomb, et elle me remercia d’un bref hochement de tète grincheux. Puis, elle disparut par là où elle était venue sans un « au revoir », avec un simple hochement de tête distrait qui en disait long sur ses priorités.
— Whaou, lâchai-je avec un ricanement nerveux. Elle ne t’aime vraiment pas.
— Étonnant ? releva Kalyan. Pas vraiment. Je réagirais pareil si mon contrat était ici et que je voyais ce qu’elle voit au quotidien.
Il se hissa à son tour le long de l’échelle, s’assit à côté de moi, m’adressa un sourire voilé, et en réponse, je me blottis dans ses bras.
— On a dit quoi sur la responsabilité individuelle et la responsabilité familiale ?
Dans mon cas, j’étais souvent représentative des agissements de ma famille : vols, meurtres, rançons, kidnappings, j’avais fait tout cela. Mais je savais m’en dissocier, aujourd’hui.
— Accepte ce que tu ne peux affecter, affecte ce que tu ne peux accepter, dis-je, reprenant une vieille maxime d’Ekrest.
À l’époque, il l’avait détournée pour me donner une leçon sur le fonctionnement du Manoir, mais je l’aimais bien dans son ensemble, suffisamment pour avoir appris à l’appliquer dans différentes circonstances.
— D’Aube-Court ? releva Kal avec à-propos.
— Exact.
— Je ne suis pas surpris.
— Eh, il m’a donné de bons principes, pestai-je, un peu sur la défensive.
— Ai-je dit le contraire ? Certes, je les trouve un peu brutaux et violents parfois, mais ils ont l’air de t’aider.
— Tu vois.
Je jetai un bref coup d’œil à Thalia, qui somnolait toujours.
— On devrait faire comme elle, pouffa Kalyan. Mais en tout cas, merci pour ton aide avec le suspenseur.
— C’est normal.
Il gigota, enfouit ses pieds sous la couverture. Je me redressai le temps de me glisser aussi dans les draps, calai ma tête dans le creux de l’épaule de Kalyan. Les trois semaines de voyages à deux seulement nous avaient rapprochés davantage que je ne l’aurais escompté. Libérée des pressions familiales et des héritages de haine, j’avais assez facilement cédé à ce fantôme de proximité qui nous avait hantés les premiers jours, souvenir de ce que nous avions été au Q.G. des siens. Et lui, arraché aux contraintes et aux pressions hiérarchiques, avait pu accepter plus facilement l’idée que, même si c’était bancal et que ça ne tenait qu’à un cheveu et beaucoup de confiance, ça tenait pour le moment. Et puis, partager un quotidien dans les plaines désertiques hantées par des géants anthropophages adoucissait même les angles les plus rudes.

Je m’éveillai dans les ténèbres de la chambre, sans avoir aucune idée de l’heure, étrangement reposée malgré mon usage intensif de magie. Le stress de ces dernières heures s’était quelque peu évaporé, remplacé par la calme certitude d’avoir survécu aux premiers instants décisifs. Désormais, il était temps d’agir, je le sentais dans mon horloge biologique, comme un instinct enfoui, acéré, affûté par les années de pratique. Un frisson d’appréhension, curieusement bienvenu, glissa le long de mon échine, descendit jusqu’à l’estomac, qui pour une fois n’était pas noué. Cela faisait longtemps que je n’avais pas ressenti cette pointe d’excitation qui précédait la préparation d’un meurtre. Avec la Faction, tout était devenu routinier, simple. Encore avant, à la Confrérie, cette sensation de nervosité grandissante se perdait dans la paperasse administrative qu’il fallait gérer au fur et à mesure. Ici, en ce moment même, j’avais l’impression de retomber dans mes jeunes années, quand Ekrest me confiait une mission simple et me laissait me débrouiller.
Le souvenir d’Ekrest me tira un sourire mélancolique, je me redressai, me faufilai hors du lit dans le silence le plus total. Kalyan dormait profondément, et Thalia était enfouie sous les couvertures, toujours raccrochée à sa perfusion. J’espérais qu’elle ne tarderait malgré tout pas à se réveiller, parce que plus le temps passait et plus son inconscience m’inquiétait. En tant qu’enfants de dieux, les comas comme celui-ci étaient en principe réparateurs : ils nous permettaient de regagner notre énergie magique plus rapidement. Mais, passée une certaine durée, ils devenaient aussi dangereux que les comas des simples mortels, menaçant de dommages cérébraux majeurs.
Je jetai un dernier regard à la fille de Freyr, essayant de me rassurer. C’était une femme solide, qui en avait vu de pires, et qui avait bien plus d’expérience que moi. Elle s’en tirerait. Cette pensée en tête, je glissai le long des barreaux, me réceptionnai en douceur sur le sol, et me dirigeai vers la porte. Arza, la servante, était debout derrière, et elle fit d’abord mine de m’accompagner, mais quand je lui fis un bref signe de la main, elle se replia à nouveau dans l’ombre d’un renfoncement du mur. Elle paraissait affamée, misérable. Je serrai les dents, retraçai mentalement le chemin que nous avions pris pour arriver jusqu’à la grande salle, et m’engageai dans une direction approximative.
Une fois parvenue aux portes du hall, j’hésitai. Je me souvenais vaguement par où nous étions arrivés, et ce couloir débouchait donc sur une sorte d’équivalent rustique de garage. Pour ma part, je cherchais la chambre de Skadi, où elle devait certainement être en ce moment même. Intuitivement, j’aurais eu tendance à checher vers le haut de la montagne, et non dans ses profondeurs. Skadi était la déesse de l’hiver et du ski, pas des grottes et des ténèbres. Je n’aurais même pas été étonnée si elle avait une sorte de balcon depuis lequel elle pouvait quitter sa cîme.
En furetant un peu dans les corridors sombres et déserts, je finis par trouver un escalier qui partait vers le haut. Je m’y engageai, vérifiai d’une main que ma petite lame était bien à ma ceinture, accessible. Je ne voulais en aucun cas tomber sur une mauvaise surprise sans y être préparée.
L’escalier montait en colimaçon, et semblait ne jamais s’arrêter. Il était large, les marches étaient trop hautes pour moi sur le pourtour extérieur, mais des marches plus petites avaient été taillées dans la moitié intérieure, certainement pour permettre le passage aux esclaves de Skadi. La pensée m’arracha une brève grimace, puis j’avançai, calculant en silence de combien je montais. Rompue, désormais, à l’escalade et aux montagnes démesurées pour la pauvre humaine que j’étais, j’évaluai au premier palier que je rencontrai – au bout de deux bonnes minutes d’ascension – que j’étais montée d’environ un étage de jötunn, soit trois à quatre étages humains. Pour peu qu’elle habite au sommet de sa montagne, comme je l’avais prédit, j’en avais pour un moment.
Au troisième étage – taille XXL évidemment – je pris le temps de faire une brève pause et d’explorer rapidement les environs. Devant chaque porte qui était occupée, et qui semblait être donc une chambre ou une suite, il y avait un serviteur silencieux, les yeux vides, le regard fixe. Ils ne me répondirent que par hochements de tête quand je les interrogeai à mi-voix sur les occupants de la pièce, et je finis par en déduire que c’étaient là que logeaient les hôtes que nous avions rencontrés au dîner, les chefs des clans voisins.
— Et où loge Dame Skadi ? osai-je finalement interroger quand j’en eus assez de rencontrer soit des pièces vides soit des esclaves muets qui me barraient le passage.
L’esclave détourna le regard, l’air de ne pas savoir s’il avait le droit de répondre ou non.
— Réponds ! aboyai-je un peu plus brusquement, quelque peu irritée à l’idée de devoir faire cela.
— Trois étages plus haut, ma Dame, finit-il par murmurer.
Je me détournai avec une grimace, me dirigeai vers le colimaçon. En arrivant ici, je n’avais guère d’autre raison pour tuer Skadi que celle que Syn m’avait donnée. Mais plus je passais de temps dans la montage, et moins j’aimais l’ambiance des lieux et les évidentes conséquences du règne de la géante. Je n’avais jamais été une justicière, pourtant, mais le ton d’Arza lorsqu’elle avait parlé à mots couverts de l’époque où elle s’était fait arracher à sa famille me pinçait le cœur, et j’étais certaine que c’était la même chose pour tous les serviteurs ici. Et j’étais certaine aussi qu’ils ne vivaient guère vieux, car le plus âgé que j’avais croisé jusque là – et j’en avais croisé quelques uns – ne dépassait pas les trente-cinq ans. Skadi restait, envers et contre tout, une jötunn.
Après quelques minutes d’ascension supplémentaire, je réalisai que je n’avais pas croisé de troisième palier, et que j’arrivais devant une massive porte de bois. Je regardai vers le bas, curieuse, me demandant si je n’avais pas raté quelque chose, puis pressai doucement la poignée métallique. Avant même de pouvoir l’ouvrir en grand, je sentis les courants glacés de l’air extérieur, et la sévère résistance du vent qui repoussait la porte vers moi. Consciente que je n’étais certainement pas arrivée au bon endroit – à moins que Skadi n’aime habiter la tête dans les nuages et dormir directement contre le flanc de la montagne – je poussai malgré tout la porte, curieuse de voir où j’allais débouler.

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Dernière modification par vampiredelivres le dim. 20 nov., 2022 6:48 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : mar. 08 nov., 2022 10:38 am
louji a écrit : dim. 06 nov., 2022 6:04 pm Bonjouuuur ! Hellooooo !

J'avais relu tout le T2 ce printemps mais je débarque que maintenant 😆 Pas de souci, j'ai bien traîné dans mes publications aussi…

Je vais pas te faire une réponse-citée de tes chapitres car clairement trop de boulot vu mon retard, mais je te fais un retour par chapitre quand même ! Je te rep inline pour plus de lisibilité ^^

Interlude (partie 3) :
"Je préfère t’avertir, mon prix n’est qu’une vérité. Mais ce n’est pas le vrai prix de ce cette information" :arrow: ce cette 👍🏻
J'ai déjà dit que Levi me faisait de la peine ? Depuis le début, j'ai l'impression que tu le fais un peu passer par le nigaud arrogant, mais on sent dès le départ que le mec est juste perdu :roll: Clairement, Lily le voit comme un petit bâtard arrogant et inutile, mais il est plus largué qu'autre chose. La moitié du temps, il essaie juste de faire sa vie sans mourir quinze fois, et c'est déjà pas mal.
Mdr même Adam me fait de la peine 💀 Je lui offrirais clairement pas le mug de Best mom of the year mais je me dis qu'il avait pas 10000 possibilités quoi. Avec une daronne pareille, c'était soit il la suivait, soit... l'infanticide, c'est grave chez Kaiser ? Un câlin à Adam est mérité dans cette intro, il a beaucoup trop morflé. Les Élites déchus ne sont pas exactement… rationnels, quand il s'agit de vengeance.
Wah, j'avais oublié cette histoire de filet. Bordel, mais c'était une gamine. Tu m'étonnes qu'elle était terrorisée. Bon, je me doute que y'a beaucoup plus que cette trahison en jeu. C'est… compliqué. Elle est toujours terrorisée, quand t'y réfléchis, et à relativement juste titre…

Chap 23
La p'tite réflexion de Lily autour de ce qu'elle souhaite, du fait de se séparer de sa famille pour s'entour de ses propres proches, c'est cool ! Lily qui se sèvre doucement de ses relations toxiques ✨
La remarque de Kal sur le fait qu'il se sent encore mal et que Lily a pas le droit d'ignorer ça/de le pousser à "guérir" plus vite est vachement pertinente et bienvenue ! Nice, contente que ça plaise ! Pour une fois qu'ils dialoguent vraiment, autant que ce soit pertinent et que ça fasse passer les bons messages :)
"la veille de la capture du fils de Tyr$" j'ai ri (y'a littéralement un dollar, c'est pas moi qui vient de le mettre au cas où mdr) Rhah zut, merci de l'avoir relevé !
"et Lofn, déesse amours perdus et interdits, devaient en revanche s’amuser en nous voyant." manque un petit mot Ah ?
Eh beeeh, la Emma, décidément, elle les cumule :lol: Là, elle est clairement dans la merde. Combo de merde… ça pue pour la prochaine rencontre 🙃

Chap 24
"— Je suis là, lança l’interpellée en sortant le nez de sa tente. Je ne voulais pas m’en mêler." :arrow: elle me détruit Selvi ptn :lol: Selv' a un historique de neutralité déjà dans le Manoir, elle ne se mêle pas de ce qui ne la regarde pas x)
Aie aie aie, la colère de Lily est tellement légitime. Quelque part, ça fait du bien de la voir exploser et dire ce qui lui pèse. Parce que, sinon, elle est tellement réservée. Craquage bonsoir, mais c'était nécessaire.
Bon les ouga-ouga combattent, c'était prévisible. On crache jamais sur l'action en vrai 8-) 🥊⚡️⚡️⚡️🔥🔥🔥 (Ouais moi aussi je craque avec les émojis)
Ah oué, Kalinou il envoie. Ça fait zizir de le voir combattre, car on avait pas trop eu l'occasion en vrai.
Rhaaa même si la réaction de Selvie est logique et pragmatique, ça me fruuuustre. J'avais envie qu'ils restent ensemble :( (va't-en OKÉ si t'es pas content) Si tu regardes, Selvie n'aime pas trop se mouiller dans des trucs qui la dépassent…
Lilyan ♥ Je commence à vraiment croire en leur relation ! Au début, c'était un peu compliqué parce que clairement, oskur, pour moi c'était hyper malsain dans le T1. Mais ces moments de confidence et de confiance depuis le T2 posent de jolies bases. Ouais clairement, le T1 était tordu af, là on (ils + moi) essaye de tout bien remettre à plat, sans planquer des trucs sous le tapis.
"Mais, si tu n’avais été qu’un choix par défaut… tu n’aurais pas survécu ensuite." j'ai rigolé 😁
Tu répètes pas mal de Kal sent le citron 😁😆 C'est sa marque de fabrique 😂
Bon, bon, nos zigotos avancent. Ça fait plaisir ♥ Même si, bon, je doute que tout se passe bien pour les 2 tomes et demi qui restent avant la fin :") You know what ? Yolooooo !

Chap 25
"il valait mieux pour moi qu’il soit encore fonctionnel" fonctionnel ça fait un peu objet 😭 Opérationnel ? C'est mieux effectivement.
"termina sa barre sans plus pipier mot" piper Aya thanks !
"dans lequel je jetais mes déchets quand je me baladais comme ça dans la nature." ✨♻️✨ (je suis infernale depuis que j'ai découvert qu'on pouvait mettre des emoji) Lily est écolo 😏😂
"interrogeai-je soudain, prise d’une crainte subite." soudain/subite ça fait redite :D True
" Utgard," wow Aion (le mmo) right in the feels Ouais ouais, mais bon, on sait d'où ils ont tiré leur inspi x) (J'avouuuue, ça fait longtemps que j'ai pas joué 😭)
"la géante de l’hiver et du ski" du ski ?? Comment ça peut être possible ? 😭 Nan mais je… franchement, la mythologie nordique des fois ça me dépasse. Genre…
Image
This is Skadi
Quand Lily est dans la main du géant, pourquoi elle se transforme pas d'office en petit animal ? Il y a quelque chose qui la bloque ?
"l’infléchis dans la direction du minuscule bosquet" infléchis quoi ? ses ailes ? Elle serait toujours dans les mains du géant… et risquerait potentiellement d'être bloquée si elle essaie de se retransformer ensuite en quelque chose de plus gros.
Eh mais c'est pas Thalia qu'ils viennent de sauver ?? Enfin on la rencontre :mrgreen: Coucouuuu !

Chap 26
Ça fait un peu bizarre de voir direct le prénom de Thalia, comme elle a pas été nommée à la fin du chapitre précédent :) Je note ^^
J'aime beaucoup le passage où ils connectent leurs flux magiques :D C'est super cool et ça ouvre pas mal de possibilités mine de rien. Heheh, t'as pas vu la moitié encore 😈
Le dialogue mental est incroyable 😭
"tournâmes la tête de concert pour aviser une tête hérissée" petite redite 👍🏻
"e le savais déjà auparavant, mais je le réalisais davantage maintenant que je savais qu’elle avait travaillé avec un Hamershot par le passé." idem avec savais 👍🏻👍🏻
"— Je ne plaisante pas, Thallie…" on a pas les mêmes Thallie, mais le surnom reste 🥰 Ouais cette Thallie est un peu plus psychotique…
Sinon je l'aime déjà 😏 Ravie que ce soit le cas 😁

Chap 27
LES AGRICULTEURS OUIIIIIIIIIII 🌲🌱🌿 J'ai évidemment pensé à toi !
"Ma grande-sœur" ça prend un tiret ? 🤔 Pour une obscure raison mon cerveau a décidé d'en mettre un, mais non.
"Gretel Hamershot, dont les contes avaient ensuite déformé l’histoire jusqu’à en faire un mythe à part entière" très stylé la façon dont tu as tourné le conte 8-) J'avais des doutes mais il semble que ça passe 😊
Eh bien, elle a pas l'air commode, la Skadi. J'ai un peu peur ce qui va se passer avec Lily mdr Oh Skadi ? Nooon, elle est adorable voyons 🙃

Interlude
Ah ouéé.
Ah ouééééééééé.
Les Aesir carrément :lol: Bonsoiiiiir, c'est nouuuuuus !
Effectivement, notre Lily remue bien du bordel là. Je pensais qu'on en arriverait si vite à cette situation ! Avec de pareils projecteurs braqués sur elle, jsp comment elle va s'en sortir. Surtout sans autre allié que Kal à disposition. Ah bah elle a buté un dieu quand même, l'un de ceux qui étaient censés survivre au Ragnarök. C'est compliqué de pas se faire repérer quand même.

C'était super cool de reprendre plusieurs chapitres comme ça ! On sent que pas mal d'action nous attend dans les chapitres qui arrivent, entre Skadi et Thor. Je me rends pas trop compte d'où on en est par rapport à la fin ? On attaque la dernière partie là ?
Tu t'es tapée un giga-marathon oui 😂 Bon, je suis contente que ça te plaise ! Et on attaque la dernière partie, il reste exactement sept chapitres avant la fin ^^ On est dans la dernière ligne droite, un gros marathon de fin Skadi-Thor qui s'annonce.

Merci d'avoir tout rattrapé ✨
"et Lofn, déesse amours perdus et interdits, devaient en revanche s’amuser en nous voyant." manque un petit mot Ah ?" :arrow: déesse DES amours perdus et interdits ?"

Bon Skadi en skis, on en a déjà discuté, mais masterclass comme ils disent sur Twitter (rip)

"Ah bah elle a buté un dieu quand même, l'un de ceux qui étaient censés survivre au Ragnarök. C'est compliqué de pas se faire repérer quand même." :arrow: Avec du shampoing surtout 8-)

"Tu t'es tapée un giga-marathon oui 😂 Bon, je suis contente que ça te plaise ! Et on attaque la dernière partie, il reste exactement sept chapitres avant la fin ^^ On est dans la dernière ligne droite, un gros marathon de fin Skadi-Thor qui s'annonce." :arrow: 7 chapitres, c'est pas beaucoup :o Ca va être intense ohmama
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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 29


J’atterris, comme je l’avais escompté, à l’air libre, au sommet d’un pic rocheux qui avait été, au moins sur la moitié de sa surface, aplati pour faire une terrasse. Une épaisse couche de neige dure et froide recouvrait le sol, et le vent me soufflait des nuées de petits flocons au visage. L’aube se levait lentement, une pâle ligne de clarté à l’horizon qui me permettait de distinguer les formes nettes des montagnes environnantes comme autant d’ombres découpées dans le tissu de la nuit. L’air était glacé dans mes poumons, piquant même, mais il ajoutait au lieu un étrange charme. Je restai un long moment appuyée dans l’embrasure de la porte, songeant à ce que j’allais faire, puis je me rappelai une instruction de Selvigia.
En regardant autour de moi, je repérai une sorte de levier qui pivotait, et qui semblait être fait pour s’intercaler entre la porte et le chambranle pour la maintenir ouverte. Je tirai dessus comme une forcenée, maudissant l’absurde taille et l’absurde force des géants, avant de repérer un second mécanisme de poulie qui permettait de l’abaisser bien plus facilement. Le ridicule de la situation, une fois le cale-porte mis en place bien plus facilement, me fit ricaner, et je me faufilai dehors.
Il faisait un froid à geler les pierres, mais je ne comptais pas m’attarder longtemps. Je me dirigeai vers le rebord et fis le tour de la colonne qui dépassait du sol et qui abritait l’escalier en gardant une main sur le muret de pierre d’une taille démesurée par rapport à moi – et risiblement petite pour empêcher un géant de tomber. Y avait-il déjà eu des « accidents » ? Je n’en doutais pas.
Une fois que j’eus fait le tour complet de la tourelle sur laquelle j’étais pour vérifier que j’étais bel et bien seule, je me mis en quête d’une pile de neige fraîche. Au vu du froid inhumain qui régnait à ces quelques huit mille mètres d’altitude, c’était peu probable d’en trouver facilement, mais je finis par y arriver en observant le ballet des flocons de neige légers lorsque le vent les faisait danser. C’était dangereusement près de la porte, mais il allait falloir que ça fonctionne.
À mains nues, je creusai un profond trou dans la pile, pestant en silence contre le froid qui allait me faire attraper le pire rhume de ma vie, jusqu’à ce que le trou fasse la largeur de mon avant-bras et la profondeur de deux bonnes mains. Puis, priant pour ne pas avoir encore récupéré l’intégralité de mon énergie magique, je fis apparaître la lettre d’Åke, et le transmetteur dvargen que Selvigia m’avait donné. Je l’allumai, attendis un instant, guettant un signal qui se manifesterait de l’autre côté, ou alors une voix qui m’indiquerait qu’ils étaient là et qu’ils me recevaient, mais seul le hurlement du vent se faisait entendre. Alors, je le laissai allumé, pariant sur les chances que sa batterie soit faite pour ce genre d’environnement, l’enfouis dans le trou que j’avais creusé, et le recouvris de neige.
À la fin de l’opération, mes mains tremblaient, mes doigts étaient gourds et bleus, et je savais que j’allais être malade comme un chien pour peu qu’une Eir ne vienne pas me soigner. Mais je savais aussi que si elle me soignait, j’aurais le droit à des questions auxquelles je ne voulais pas nécessairement répondre. Il faudrait donc que j’y survive à ma manière… ce qui ne me changeait guère de d’habitude, en vérité. Déjà au Manoir, les Eir ne m’appréciaient que peu, parce que je venais seulement lorsque j’étais très sérieusement blessée. Pour les petites infections, les maladies bénignes et les petites coupures, je faisais avec. Le problème, c’était qu’à chaque fois que je venais donc voir une Eir, avec sa bonne conscience, elle s’occupait de tout ce que j’avais accumulé pendant la période où je n’étais pas allée la voir, et elle s’épuisait bien souvent sur mon corps « maltraité ».
Le souvenir, récurrent durant ma période au Manoir, m’arracha un bref sourire, puis je me repliai vers la porte, soufflant doucement sur mes mains jointes pour les réchauffer. Il me restait une dernière chose à faire avant de retourner chez Skadi ; je ne tenais pas particulièrement à le faire au vu et au su de la géante qui me dévorerait si elle apprenait qui était mon père.
Quand mes mains furent enfin à peu près sèches, quoique toujours engourdies par le froid à en fendre les pierres, je tirai la lettre d’Åke de la poche où je l’avais enfouie après l’avoir fait apparaître avec le transmetteur, et la déroulai lentement. Åke l’avait écrite sur un vieux parchemin, solide, mais rustique, bien dans la mode des vieilles missives viking dont on ne se servait plus. Les cursives runiques flottèrent quelques secondes devant mes yeux tandis que je bataillais contre la neige et la clarté encore faible pour leur donner un sens. Lorsque, enfin, les premiers mots en vieux norrois s’assemblèrent en prenant un vague sens, je me plongeai dans la lecture.

Lilith,

Je suppose que coucher les mots sur le papier les rendra plus aisés à comprendre. J’ai passé les quelques dernières nuits de notre voyage à synthétiser toutes les connaissances que Mímir a déversées dans mon esprit. Bien sûr, ça ne vaut pas la vue des rituels qui sont inscrits dans ma mémoire, mais de cette manière, les informations te seront plus aisément accessibles et, si nos chemins venaient à se séparer, définitivement ou non, tu auras ce qu’il te faut pour poursuivre.

Avant toutefois que je ne te parle de ton rôle d’Élue, quelques avertissements. Pour le moment, il semble que Loki ait brouillé les pistes en choisissant officiellement quelqu’un d’autre, mais la vérité est qu’il y a certaines choses auxquelles l’autre ne pourra jamais prétendre. Mais une fois que cette information aura filtré – et cela ne tardera pas – tu seras la cible principale des autres Maisons. Les consacrés ne te trahiront pas et ne parleront jamais, mais les autres n’hésiteront pas à essayer de t’abattre s’ils savent qui tu es.
Garde ton rôle et ton identité les plus secrets possible. Nous avons tous bien trop à y perdre.


Je fis une brève pause, réfléchis à toute allure. La nomination de Levi, des mois plus tôt, m’avait rendue furieuse parce que j’avais eu l’impression de perdre le respect que j’avais tant bataillé pour gagner. Mais Loki l’avait-il fait pour brouiller les pistes ?
Après qu’il m’ait torturée à la source de Mímir, j’avais du mal à croire à un geste désintéressé de sa part. Ce n’était certainement pas l’amour qui le motivait, mais peut-être qu’il avait réellement voulu me préserver. Pas pour mon propre bien-être, mais pour le sien. Si, effectivement, la rumeur de ma nomination à la position d’Élue se diffusait, j’aurais encore plus d’assassins et de mercenaires sur le dos que d’habitude, et Kaiser me compliquait déjà suffisamment la vie ainsi.

Maintenant, il faut que tu fasses deux distinctions précises. Consacrée à Loki et Élue impliquent deux types de pouvoirs bien différents.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de te l’expliquer, quand tu es consacrée à Loki, tes pouvoirs sont liés aux siens. Ce que je n’ai pas dit, c’est que cela permet en outre de les brider. Si, aujourd’hui, tu es puissante, sache que tu n’es qu’à la moitié de ton potentiel, comme nous tous.
C’est une manière pour nous de dissimuler notre force. Même les autres Loki en viendraient à nous craindre si nous ne le faisions pas, et c’est déjà parfois le cas sans même qu’ils sachent la vérité.


Je ne pouvais malheureusement pas dire le contraire. À l’époque où je n’étais encore que la seconde Élite de la Confrérie, mes demi-frères et demi-sœurs respectaient Ekrest autant qu’ils le fuyaient lorsqu’ils le pouvaient. Je n’avais jamais eu peur de lui, parce qu’il ne s’était jamais montré dangereux envers moi – ou du moins, je ne l’avais jamais perçu ainsi malgré les multiples agressions, coups et tortures préparatoires – mais j’avais toujours été consciente de sa puissance phénoménale. Ce qui m’avait davantage effrayée en revanche, c’était le profond gouffre de connaissances qui nous séparait, un abîme creusé par ses quatre cents années d’existence, qui lui donnait une maîtrise dont je ne pouvais même pas rêver sur sa magie.

Maintenant, l’une de tes caractéristiques principales en tant qu’Élue, c’est ton lien avec Loki. Considère que tu es pour lui une ancre dans le monde physique, hors de sa prison. Il a bien plus d’aisance à te joindre en rêve, contrairement à nous, où ça requiert une réelle énergie de sa part. Il perçoit les variations de ton flux magiques, les moments où tu l’utilises.

En outre, il est possible que tu aies déjà expérimenté une phase durant laquelle tu entends sa voix dans ton esprit. Cela arrive notamment lorsque tu es soumise à un stress intense, et vous entrez alors dans ce que Mímir a appelé la fusion. Il partage ton corps et tes ressentis, et tu partages son expérience et sa puissance. Il faut aussi savoir que, durant ce genre de fusion, une part de l’esprit de Loki s’échappe de son corps, et intègre le tien.
Il arrive cependant que des fragments de son âme se perdent en chemin, et se raccrochent alors aux personnes qui se situent dans ton entourage physique immédiat. Ces fragments établissent une connexion temporaire entre Loki et la personne à qui ils se sont attachés.


Je m’arrêtai quelques instants dans ma lecture, réalisant subitement quelque chose. La seule fois où j’avais eu l’occasion d’expérimenter cette fameuse fusion, c’était au Q.G. des Thor, durant le waterboarding. Et, à la réflexion, l’état physique de Kalyan et de mes matons s’était sensiblement dégradé après cette petite session de torture où j’avais cédé mon corps à la voix dans ma tête. Aujourd’hui seulement, je pouvais affirmer avec certitude que cela avait été mon père. Au moment des faits, la voix avait la tonalité et la manière de parler d’Ekrest, probablement pour me mettre en confiance vis-à-vis d’un phénomène que je ne connaissais pas.
Était-ce la preuve absolue que j’étais l’Élue ?
Je balayai la question en secouant la tête, me replongeai dans ma lecture.

Il est possible de forcer le processus à l’aide d’un rituel, que tu trouveras détaillé à la page suivante. Il y a néanmoins quelques points importants à connaître avant de l’effectuer. D’une part, lorsque la fusion se fait naturellement, elle est beaucoup plus stable, et génère de fait beaucoup plus de puissance. D’autre part, comme le rituel requiert énormément d’énergie de ta part, tu mettras du temps à récupérer ton énergie magique si tu forces le processus. Sur Midgard, cela te videra entièrement de ton énergie, ailleurs tu auras un peu plus de marge, mais guère beaucoup.
Et enfin, il est possible de n’exécuter que la première partie du rituel, la connexion. Dans ce cas, tu pourras entendre la voix de Loki, mais tu ne partageras pas sa puissance. Si tu n’achèves pas le rituel, tu resteras dans cette phase indéterminée indéfiniment, et la fusion spontanée ne te sera plus possible. Il te faudra achever le rituel au moins une fois, puis rompre la connexion, afin de retrouver ta puissance d’origine.

Au dos, le détail du rituel.
Åke.


Simple, concis, efficace. Je consultai le verso de la feuille, sur lequel s’étiraient de longues lignes de préparations et de formules en runique, quelques schémas rapides d’un double pentacle de protection un peu inhabituel, retouché afin de contenir un esprit entrant – celui de mon père, donc – mémorisai rapidement les différences, puis m’éloignai de la tourelle pour chercher une zone un peu plus plate pour tester ma mémoire. C’était un exercice classique auquel je m’adonnais souvent lorsque j’étais gamine pour retenir les différents enchantements, et sur lequel j’avais perdu la main depuis le temps. Mais, pour mon plus grand plaisir, je réalisai bien vite que j’avais retenu sans mal la structure globale. En moins de cinq minutes, avec quelques tentatives répétitives et quelques corrections apportées au vol lorsque j’avais un doute, je pus retracer le pentacle les yeux fermés.
La satisfaction me tira un sourire, qui s’effaça néanmoins bien vite lorsque je songeai à l’idée de convoquer l’esprit de mon père dans ma tête. Après notre plus récente altercation, j’espérais n’y avoir jamais recours volontairement, mais je savais déjà quelque part au fond de moi que le moment viendrait bien plus tôt que je n’aurais voulu l’admettre. Les mercenaires envoyés par Kaiser n’étaient qu’un échauffement. Max, Thalia, les Freyr qu’avait rencontrés Selvigia, même Vali, tout ça n’était qu’un prélude à l’apocalypse qui risquait de s’abattre sur nous à tout instant. Kalyan et moi formions déjà un duo dangereux, qui rappelait à certains une époque qu’ils auraient préféré oublier. D’ici bientôt, et surtout si je parvenais à tuer Skadi, nous attirerions l’attention d’ennemis plus dangereux encore.
Je fis disparaître le parchemin, veillant à mettre une énergie minimale dans l’action afin de réduire mes chances de me faire démasquer, soufflai une dernière fois sur mes doigts bleuis, puis décidai de rentrer. La porte claqua lourdement derrière moi lorsqu’elle se referma, coupant d’un seul coup le vent froid qui s’était engouffré dans les corridors par l’embrasure et les hurlements qui l’acompagnait. Un silence épais, statique, retomba brusquement ; je regardai autour de moi.
J’étais revenue sur le dernier palier, où je m’étais arrêtée après avoir échoué à trouver la chambre de Skadi. Pourtant, on m’avait indiqué le troisième étage, et je doutais que les serviteurs humains du lieu aient une raison quelconque de me mentir. Ce qui signifiait probablement que la pièce était dissimulée par un enchantement. Silencieusement, je descendis les marches du côté géant, une par une, en m’arrêtant régulièrement pour estimer la différence de hauteur et pour effleurer le mur du bout des doigts. Passé un bon mètre et demi de descente, je posai ma main sur le mur, et continuai ainsi ma progression, vérifiant que rien ne m’échappait.
Et, au moment où j’allais abandonner l’idée et me résigner au fait que l’on m’avait menti, le mur disparut sous mes doigts. Enfin, visuellement, il était toujours là, mais physiquement, il faisait un angle qui n’était pas visible. Une illusion, le tour de passe-passe le plus simple du monde, que j’avais moi-même appris à faire exactement de cette manière. Je passai doucement mes mains sur l’espace vide une ou deux fois, observant mes doigts qui apparaissaient et disparaissaient dans le mur, percevant les pulsations infimes de la magie qui stagnait sur les lieux, puis pris une inspiration et franchis le passage. Si ma main gauche se colla à nouveau contre le mur pour suivre son tracé le temps de voir au travers de l’illusion, la droite alla automatiquement chercher la garde de ma longue dague, dans le fourreau. Je progressai à petits pas méfiants, le temps de discerner les contours de l’illusion, de la traverser dans son ensemble.
Le mur immatériel faisait une bonne quarantaine de centimètres d’épaisseur, une œuvre massive pour un illusionniste, qui contraignait mon cerveau à un exercice particulièrement frustrant. En effet, respirer alors que j’avais l’impression d’être entourée de pierre de tous les côtés n’avait rien d’agréable. Une pointe de terreur, aussi familière que désagréable, souvenir de moments bien plus effrayants, guettait dans mon cœur. J’essayai de la chasser, mais finis par accepter sa présence irritante.
Et puis, finalement, je discernai à nouveau autre chose que le gris d’une roche inexistante. Je déboulai dans un long corridor vide, éclairé contrairement au reste de la demeure par des torches massives qui flambaient haut et clair, et étaient de toute évidence alimentées régulièrement. Le corridor devait faire une douzaine de mètres de long et, au bout, il y avait une grande porte rectangulaire. Je ne vis aucun serviteur, et n’entendis rien si ce n’était le bruit de ma propre respiration qui ricochait dans mes oreilles. Un frisson me parcourut, peut-être dû au contrecoup de ma balade à l’air frais encore quelques instants plus tôt, mais je l’associai davantage à de l’appréhension. Je parcourus la distance qui me séparait de la porte dans un silence mortuaire, glacée par l’absence totale de bruit ou de présence vivante. Un mauvais pressentiment courut le long de mon échine au moment où je posai ma main sur la poignée.
Évidemment, elle ne tourna pas. Cela aurait été trop simple.
Je pivotai sur moi-même, à la recherche d’une autre issue, d’un angle de mur sombre où me cacher, d’un autre couloir dérobé, mais je ne vis absolument rien, si ce n’était la lumière dansante des flammes orangées sur les murs. Une grimace m’échappa, je me résignai à tourner les talons. Mais au moment où j’allais à nouveau franchir la paroi illusoire, j’entendis une puissante respiration de l’autre côté, accompagnée d’un bruit de pas trop lourd pour être humain. Ils résonnaient dans l’escalier circulaire, encore trop loin pour être Mon cœur bondit dans ma poitrine, je me dépêchai de passer l’illusion et de remonter en vitesse les escaliers, aussi discrètement que possible. L’idée de rester cachée en haut m’effleura, mais fut contrebalancée par la certitude que, si Skadi avait le moindre doute – et, étrangement, j’étais instinctivement certaine qu’elle en aurait – elle m’acculerait sans mal en haut et je serais en trop grande difficulté. Alors, parvenue à une hauteur décente entre sa chambre et la sortie sur le pic de la montagne, je fis demi-tour, stabilisai ma respiration autant que possible, et repris une descente plus tranquille.
Elle apparut au détour d’un mur, immense et menaçante, son visage rocailleux se fondant presque dans la pierre des murs à la lumière du lourd flambeau qu’elle portait. Ses yeux d’adroise brunâtre se fichèrent sur moi comme si j’étais un lapereau et elle un aigle, et ne me lâchèrent plus.
— Que fais-tu ici ? gronda-t-elle.
Sa voix basse et profonde, presque masculine, chargée de colère et d’aversion, hérissa les poils sur ma nuque. Je tressaillis, m’obligeai à garder la tête levée pour faire face, selon mon allure de Thor, alors que mon instinct me hurlait de détaler au plus vite.
— Je me promenais, narguai-je, effrontée. Le lever du soleil était magnifique. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’étais partie pour retourner dans ma chambre.
Alors que je me détournais, elle m’agrippa violemment par les cheveux, grandit d’un bon demi-mètre pour me dépasser, et me plaqua contre le mur le plus proche. Au choc, un gémissement m’échappa, des points noirs dansèrent devant ma vision troublée, le contrôle de ma magie m’échappa. Skadi changea sa prise, son autre main se referma sur ma gorge, et serra violemment. L’air dans mes poumons échappa au contrôle de ma volonté, mon corps se cambra de lui-même, hanté par les souvenirs d’autres sessions d’étouffement et d’étranglement, mes pieds quittèrent le sol. Un sourire carnassier se peignit sur les traits rudes, je sentis mon visage devenir rouge, puis virer, lentement, au bleu, alors que le sang stagnait dans mon cerveau. J’essayai de faire appel à ma magie, mais au moment où je la sentais affleurer dans mes mains, le flux fut brutalement coupé. Je hoquetai sous le choc et la violence de la rupture soudaine, émis une plainte sourde. Sans mes pouvoirs, impossible de me dégager de sa prise.
— Est-ce que tu imagines les hurlements de ton père quand les premières gouttes de venin l’ont touché ? siffla-t-elle, cruelle.
Son sourire vipérin, et l’éclat mauvais de ses yeux couleur terre, me donnèrent la chair de poule. Elle savait que j’étais une Loki. Je hoquetai, à la recherche désespérée d’un peu d’air respirable à faire passer à travers ma trachée comprimée. En vain. La force de la géante était incomparable à tout ce que j’avais pu connaître par le passé. Même un enfant d’Odin avec sa puissance décuplée de Berserk aurait eu du mal à rivaliser. Avec sa taille quasiment double à la mienne et ses bras bien plus longs, mes coups de pied instinctifs ne touchaient que le vide, et elle me maintenait avec aisance en l’air d’une seule main. Je voulus chercher ma dague d’une main frénétique, mais elle me l’arracha avant que je n’aie le temps de l’atteindre.
— La terre a tremblé, la mer a frémi… Jörmungandr lui-même a tressailli, raconta-t-elle avec une satisfaction non dissimulée. Je ne l’avais jamais vu aussi furieux. Et ô combien désespéré.
L’oxygène désertait mon cerveau, brûlé à une vitesse effarante. La maîtrise de mon corps m’échappa, un voile noir passa devant mes yeux. Je serrai les dents, luttant de toute mon âme pour obliger mon esprit à demeurer en place, à ne pas s’échapper. À la lisière de ma conscience, je percevais ce qui ressemblait à un écho de pas. Mais, alors qu’une silhouette aux cheveux clairs se matérialisait derrière la géante, elle glissa son gigantesque pouce sur ma carotide, pressa avec une douceur calculée, et ma conscience s’éteignit.

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Dernière modification par vampiredelivres le jeu. 01 déc., 2022 12:47 am, modifié 1 fois.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par louji »

Yoooo

"— Leur absolue hégémonie sur tout le monde, y compris eux-mêmes. On ne réchappe pas de l’emprise familiale, à moins de commettre un crime pour s’en arracher. Et encore, à ce moment-là, il vaut mieux apparemment mourir que de devenir un renégat." :arrow: mdr j'y ai lu à la fois une description de la Maison Thor que de la Confrérie :roll:

"C’était quelque que j’avais toujours haï chez les enfants de Thor, " :arrow: quelque chose

Très cool le passage où Kal analyse l'état de Thalia par les afflux électriques :ugeek:

"Elle déturna la tête, hésitant clairement à répondre." :arrow: détourna

" Accepte ce que tu ne peux affecter, affecte ce que tu ne peux accepter," j'aime bien mais ça reste Ekrest quoi 😒

Allez j'attaque le chap 29 8-)

"Il perçoit les variations de ton flux magiques" :arrow: magique

Aaaah mais oui j'avais légèrement mis de côté cette histoire de Consacrée. En fait, y'a moyen que Lily soit suffisamment armée pour affronter Thor :lol: On laisse Loki fronter comme c'est l'Élue, v'là les pouvoirs de Consacrée et vas-y qu'on casse du Thor :roll: En plus comme ils ont besoin de ses gantelets pour libérer Loki, I guess qu'ils vont réussir à calmer M. Foudre.

"Ils résonnaient dans l’escalier circulaire, encore trop loin pour être Mon cœur bondit dans ma poitrine, je" :arrow: manque un bout de phrase :mrgreen:

Mmmh eh bien Mlle Lokinette, vous êtes dans l'embarras

Pour de vrai, son plan de faire mine qu'elle était en balade était cool, mais arf :roll: Heureusement, Kalinou is back (ou quelqu'un d'autre avec des cheveux clairs).
Sinon, les explications sur le rituel, les pouvoirs de Consacrée et d'Élue sont cool. Je m'imagine qu'elle va en avoir besoin pour Thor, mais on verra en temps et en heure 8-)
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : dim. 20 nov., 2022 8:29 pm Yoooo

"— Leur absolue hégémonie sur tout le monde, y compris eux-mêmes. On ne réchappe pas de l’emprise familiale, à moins de commettre un crime pour s’en arracher. Et encore, à ce moment-là, il vaut mieux apparemment mourir que de devenir un renégat." :arrow: mdr j'y ai lu à la fois une description de la Maison Thor que de la Confrérie :roll:

"C’était quelque que j’avais toujours haï chez les enfants de Thor, " :arrow: quelque chose

Très cool le passage où Kal analyse l'état de Thalia par les afflux électriques :ugeek:

"Elle déturna la tête, hésitant clairement à répondre." :arrow: détourna

" Accepte ce que tu ne peux affecter, affecte ce que tu ne peux accepter," j'aime bien mais ça reste Ekrest quoi 😒

Allez j'attaque le chap 29 8-)

"Il perçoit les variations de ton flux magiques" :arrow: magique

Aaaah mais oui j'avais légèrement mis de côté cette histoire de Consacrée. En fait, y'a moyen que Lily soit suffisamment armée pour affronter Thor :lol: On laisse Loki fronter comme c'est l'Élue, v'là les pouvoirs de Consacrée et vas-y qu'on casse du Thor :roll: En plus comme ils ont besoin de ses gantelets pour libérer Loki, I guess qu'ils vont réussir à calmer M. Foudre.

"Ils résonnaient dans l’escalier circulaire, encore trop loin pour être Mon cœur bondit dans ma poitrine, je" :arrow: manque un bout de phrase :mrgreen:

Mmmh eh bien Mlle Lokinette, vous êtes dans l'embarras

Pour de vrai, son plan de faire mine qu'elle était en balade était cool, mais arf :roll: Heureusement, Kalinou is back (ou quelqu'un d'autre avec des cheveux clairs).
Sinon, les explications sur le rituel, les pouvoirs de Consacrée et d'Élue sont cool. Je m'imagine qu'elle va en avoir besoin pour Thor, mais on verra en temps et en heure 8-)
Yooo !

Ouais, la Maison de Thor et la Confrérie se ressemblent beaucoup sur certains points… mais c'était un peu le but x)

Merci pour les corrections !

Le mentorat d'Ekrest est très… chirurgical, on va dire :lol: Après je sais que c'est aussi une maxime que j'applique beaucoup au quotidien quand je commence à me prendre la tête avec des trucs qui me dépassent, et ça marche plutôt bien.

Alors, je sais pas si elle est suffisamment armée, parce que même si elle est Consacrée… il reste le dieu le plus fort d'Asgard quoi… :?

Oh non ma phrase ! :lol:

Elle est dans la grosse mouise oui x) Comme Levi avant :D Mais va bien falloir qu'elle s'en sorte d'une manière ou d'une autre.
Je te laisse imaginer tout ce que tu veux, tu verras bien soon enough vers quoi tend la fin du tome 8-)

Merci pour ton comm, la bise !
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

Hello ~
Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas laissé un petit message d'intro à un chapitre je crois. On attaque un chapitre que j'aime beaucoup, parce qu'il lance une nouvelle dynamique de personnages et… il était temps je pense !
Bonne lecture :)


CHAPITRE 30


Je repris connaissance dans une obscurité totale et oppressante. L’air humide sentait la pierre, le sang, la pourriture et les espaces exigus, et, dans mon esprit encore cotonneux, j’assimilai tout d’abord cette puanteur au mitard des Thor. Je relevai la tête en papillonnant des paupières, finis par décider de les garder closes pour éviter d’épuiser mes yeux qui cherchaient une lueur inexistante. J’avais mal partout, et plus particulièrement au cou, étiré par les heures que j’avais passées avec la tête pendouillant vers l’avant. Mes bras et mes épaules me lancinaient aussi, douloureux, tordus en un angle improbable à cause de la chaîne par laquelle j’étais suspendue au plafond. Les maillons d’acier m’enserraient les poignets au point que je ne sentais quasiment plus le bout de mes doigts et, en bougeant un peu pour essayer de réactiver ma circulation sanguine, je sentis des croûtes sur le bas de mes paumes qui se craquelaient. Un filet de sang chaud, poisseux, coula le long de mon avant-bras, la chaîne grinça, et je gémis doucement.
— Ah, la princesse a fini sa sieste ! s’exclama une voix traînante, éraillée par la soif.
J’esquissai une grimace en reconnaissant le ton désagréablement familier, levai la tête en triangulant la position de mon interlocuteur en fonction des échos de sa voix sur la roche. Ma gorge enrouée refusait de laisser passer un son, mais en ouvrant les yeux sur mes iris lumineux, qui brillaient de leur propre éclat malgré l’obscurité, l’autre put deviner que je roulais des yeux, et il pouffa. Son rire sec, cassant et désabusé, provoqua un frisson glacé qui descendit mon échine. Au vu des crissements métalliques que je percevais, lui aussi était suspendu au plafond, comme moi, enchaîné. Mais il ne semblait y avoir personne d’autre que nous ici.
Mes commissures s’étirèrent en un léger rictus narquois, j’inclinai doucement la tête d’avant en arrière pour chasser la brume qui engourdissait mon corps et ralentissait mon esprit.
— Levi… parvins-je à ahaner avec mes cordes vocales desséchées. Salut.
— Salut.
Un silence.
— Je te croyais morte à Stockholm… souffla-t-il, soudain hésitant.
À ces mots, une sourde colère se mit à pulser dans mes veines, chassant les derniers effluves d’inconscience de mon système, éclaircissant mes pensées. Je grinçai des dents, me tortillai pour répartir différemment le poids de mon corps entre mes épaules tordues. Les ligaments entre les articulations de mes membres supérieurs étaient si distendus que j’aurais pu m’improviser contorsionniste si j’avais été libre de mes mouvements.
— Où est-ce qu’on est ? croassai-je péniblement en réponse à la question précédente.
— Les cachots de Skadi. Impossible de s’échapper. D’ailleurs comment ça se fait que tu sois vivante ?
Je ricanai, aigre. Les cachots de Skadi. Elle avait découvert que j’étais une fille de Loki… mais certainement par l’intermédiaire de quelqu’un. Je n’avais rien fait qui aurait pu dévoiler mon identité, ce qui ne signifiait qu’une chose : quelqu’un m’avait vendue. Et, au sein de la maisonnée, il n’y avait que Kalyan qui connaissait mon ascendance… et Thalia. Mais Thalia dormait encore quand j’étais partie, et je refusais de croire que Kal m’aurait trahie.
— En massacrant beaucoup de Thor dans les prisons, et avec un peu d’aide extérieure.
— Les prisons ? sourcilla-t-il.
L’incompréhension dans sa voix traînante me parût sincère, mais je ne laissai pas mes perceptions actuelles, encore brumeuses, influencer mes conclusions préétablies. Qu’il ait participé ou non n’importait pas, il demeurait un salaud qui avait toujours tenté de me causer du tort par tous les moyens.
— Donc Kaiser te hisse à la place la plus convoitée et enviée de toute la famille mais ne te parle pas de ses plus noirs secrets ? cinglai-je avec morgue.
Ses prunelles turquoise iridescentes situées à un mètre de moi environ disparurent un instant, dissimulées par un battement de paupières.
— Quels secrets ?
Je ricanai, mauvaise, et il sembla se recroqueviller sous mon œillade meurtrière.
— Première question, contrai-je sans lui répondre, que sais-tu de ma RMC à Stockholm ?
Ma gorge était trop sèche pour ce genre de longues phrases ; ma voix se fêla douloureusement sur les derniers mots.
— C’est parti en vrille à l’arrivée d’un classe F1, expliqua-t-il, mais tu t’es débrouillée pour faire sortir tout le monde… sauf toi. Selon les rapports publiés ensuite, tu as été carbonisée dans l’explosion causée par un certain Kalyan Hamershot.
Je grinçai des dents en réalisant que Kal était décidément le mouton noir de sa famille, le Loki parmi les Æsir, rendu responsable de toutes les atrocités commises, qu’il y ait réellement pris part ou non.
— Maintenant, seconde question. Qui d’autre est mort
J’accentuai exagérément le mot en y mettant tout le sarcasme que je pouvais.
— … aux mains de ce même Kalyan Hamershot ?
Levi cilla à nouveau, et je devinai qu’il n’avait pas vraiment pris le temps de faire des recherches sur le sujet. Après tout, sa principale ennemie disparue, il avait été libre d’imposer sa loi dans le Manoir sans avoir à rendre de comptes à quiconque. J’étais sûre qu’il en avait profité.
Il me fixa avec ce que je supposai être son air abruti habituel, et je soupirai.
— Ok, scoop de l’année : Ekrest. Et non, comme moi, il n’est pas mort.
— Je ne… PARDON ? hoqueta mon demi-frère.
La stupeur dans sa voix m’arracha un rire grinçant, presque dément. Je fermai les yeux, sans que la différence avec ce que je voyais les paupières écartées ne soit réellement perceptible – mon cerveau s’apaisa simplement, détendu par la certitude qu’il était censé être dans le noir quand j’avais les paupières closes. La seule chose qui disparut de mon champ de vision furent les deux phares turquoise suspendus presque à portée de main. Une douloureuse grimace tordit mon visage, mes entrailles se contractèrent à la mention de la mort d’Ekrest. Aujourd’hui, j’aurais donné ce que j’avais de plus cher pour le savoir quelque part à proximité, capable de me sortir de cette geôle pourrie. Mais Ekrest était à Midgard, et mes appuis ici étaient à peine certains. Il n’y avait que Kalyan ou moi-même pour me sortir de là. Mais, dos au mur, suspendue dans une grotte sombre où l’accès à mes pouvoirs m’était interdit, je ne pus m’empêcher de douter un instant. Le ferait-il ?
— Lilith ? appela Levi, apparemment incapable de supporter le silence plus de cinq secondes.
J’étouffai un rire en réalisant que, dans les prisons des Thor, il n’aurait pas tenu plus de dix minutes. Dans un environnement conçu pour m’ôter mes repères temporels, je n’avais même pas essayé de compter les heures, m’étais contentée de les laisser filer une à une sans tenter de m’y raccrocher. Je m’étais refermée sur moi-même pour m’éviter de sombrer dans la folie due au silence absolu, j’avais occulté le reste de l’univers pour m’immerger dans le blanc omniprésent dans lequel on avait essayé de me noyer.
— Mmhm ? grommelai-je néanmoins, économisant ma salive.
Je fis basculer tout mon poids sur mon épaule gauche, entamant un lent mouvement de balancier. Les maillons de la chaîne s’entrechoquèrent, et le sang se remit à pulser dans ma main droite, provoquant un fourmillement, désagréable mais rassurant, dans le bout de mes doigts.
— Qu’est-ce qui s’est passé à Stockholm ? demanda Levi.
— Tu t’en préoccupes vraiment ? relevai-je, sceptique.
— Pour le coup, oui.
Je demeurai un instant interdite par la fermeté de sa réponse, déglutis.
— Est-ce qu’ils apportent de l’eau ?
— De temps en temps. Skadi ne veut pas nous laisser mourir de soif, elle veut nous tuer elle-même.
J’acquiesçai, les yeux toujours fermés, souris en sentant le sang affluer dans ma main gauche quand le mouvement de balancier déplaça mon centre de gravité vers la droite. J’étendis les doigts, remontai du bout de l’ongle le long des maillons, jusqu’à toucher l’emplacement où la chaîne qui entravait mes poignets passait dans un anneau, puis s’élançait vers le plafond.
— Le matin de la rançon, entamai-je en replongeant dans mes souvenirs, Kaiser m’a convoquée dans son bureau pour me parler de ma prochaine mission. J’étais censée superviser un camp d’entraînement pour former un nouveau groupe de polyvalent. On a parlé de ça, d’un legs d’Ekrest… que je n’ai toujours pas ouvert, d’ailleurs, tiens.
Le petit rappel de la clé USB que m’avait confiée la commandante après sa « mort » – qui, si je l’avais utilisée, m’aurait probablement avertie de la trahison de ma cheffe – m’arracha un léger rire nerveux, empli d’auto-dérision. Combien de choses se seraient passées différemment si j’avais su ?
— Enfin bref, repris-je après un instant de réflexion, elle m’a servi un thé, on a conclu sur le déroulement de la RMC, et la nécessité de m’éloigner un peu de toi, et je suis partie.
Levi laissa échapper un ricanement amusé lorsque je le mentionnai, mais ne m’interrompit pas.
— Ensuite, on s’est installés à Stockholm, et la négociatrice Heimdall a commencé à faire sa chieuse, et on a dû couper la magie à l’intérieur du bâtiment pour garder le dessus.
— La config adverse ? demanda Levi, en digne tacticien qu’il n’était pas.
— H.O.T., même pas l’ombre d’un Týr à l’horizon ! grinçai-je, toujours aussi dépitée. On avait trois Thor, deux Odin et la Heimdall à l’intérieur, et le reste dehors. Sauf que le chef adverse, ce Hamershot dont tu as lu le nom…
Je veillai à garder ma voix aussi égale que possible en citant Kalyan pour éviter d’éventuelles et pénibles questions.
— … était à l’intérieur… Ça veut dire qu’il y avait un autre classe F1 dehors au même moment.
Soudain, je réalisai que je n’avais aucune idée de l’identité de cet autre enfant de Thor qui avit failli me réduire en poussière. Mais vu qu’il avait tout juste manqué de carboniser Kal au passage, sans l’ombre d’une arrière-pensée, mes soupçons se portèrent très vite sur Emma Hamershot, la jumelle de Kalyan, à la puissance magique comparable. S’il y en avait bien une capable de placer son frère dans une position de dommage collatéral sans aucune honte ni regret, c’était elle.
Au souvenir de l’assassin de ma mère, une violente bouffée de haine me coupa momentanément la respiration, je dus souffler longuement pour ne pas laisser transparaître la colère dans mon ton.
— Je pense savoir qui c’est, mais je n’en suis pas certaine, avouai-je honnêtement. M’enfin. Le F1 dehors a lancé un éclair qui a pulvérisé les bâtiments dans un bon rayon de trente mètres, mais j’avais eu le temps de faire téléporter mon équipe et de dégager tout le monde, sauf le Hamershot et moi. On s’en est sortis en sautant par la fenêtre.
— Attends deux secondes… m’arrêta Levi, qui venait de comprendre. La F1 dehors a agi… avec un Hamershot à l’intérieur ?!
Si j’avais pu, j’aurais haussé les épaules, mais je ne parvins qu’à faire crisser la chaîne sur laquelle je me balançais.
— Yep. Conflits internes, je suppose. Le souci, c’est que j’étais mal en point, repris-je sans chercher à détailler mon état après le saut, et j’ai tenté une sortie définitive en me coupant l’iliaque, mais ils avaient une Eir à côté. Quand je me suis réveillée, trois jours étaient passés, et j’étais dans les prisons des Thor.
— Helvete ! jura Levi. Mais on n’a pas eu d’avis de capture ni de demande de rançon… Juste un dépôt de plainte chez les Forseti pour comportements non éthiques… posé par les Heimdall.
Je ricanai doucement en réalisant que la négociatrice Heimdall chargée de la rançon, outrée par l’état de Séraphin, était allée au bout de ses menaces. Tout ça me paraissait être arrivé si longtemps auparavant…
— Quelle surprise… marmottai-je dans ma barbe, avant de reprendre un ton plus haut. Pas besoin de te faire un dessin de ma première semaine en taule, tu peux te l’imaginer, je pense.
Levi émit un claquement de langue blasé, que j’associai dans mon esprit à la grimace qu’il faisait quand quelque chose lui déplaisait. Je fermai les yeux, emportée par les souvenirs.
— Kalyan était mon maton attitré. Spécialiste des décharges, surtout, mais je dois avouer que, de manière générale, j’ai encore appris deux ou trois trucs sur la torture, avec lui.
— C’est possible, ça ? releva mon demi-frère, sceptique.
Nous nous fixâmes un instant, puis ricanâmes en même temps, synchrones dans notre amère ironie. Les échos de nos gorges enrouées résonnèrent longtemps entre les murs de pierre brute, grinçants, presque déments.
— Admettons… finit-il par grommeler. Et ensuite ? Qu’est-ce qui t’a fait basculer ?
— Qui te dit que j’ai basculé ?
Je sus, rien qu’au ton un brin trop interrogateur de ma voix, que je m’étais trahie toute seule. Mais Levi eut la rare décence d’attendre que je m’explique toute seule, sans faire de remarque.
— Une aire de prison entière remplie de combattants oubliés, supposés morts, admis-je enfin.
— Comme Ekrest ?
— Et Kirstin Hatwood. Et Tyko Eriksson. Et plein d’autres Vanir.
Mon demi-frère accusa le coup. Son mutisme stupéfait – musique à mes oreilles – dura bien dix battements de cœur, le temps qu’il assimile ce que je venais de lâcher comme bombe. Il n’avait pas eu l’occasion de rencontrer Tyko, qui avait été porté disparu à la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais il avait fréquenté Kirstin durant une bonne trentaine d’années, à l’époque où je n’étais pas encore née.
— K-Kirstin ? bégaya-t-il, sous le choc.
Je ne pris pas la peine de confirmer ou de répéter. Mes yeux, un peu plus accoutumés à l’obscurité, discernaient maintenant l’esquisse de sa silhouette, comme une ombre un peu plus claire dans les ténèbres qui nous enveloppaient. La roche dans laquelle nous étions emprisonnés était étrangement luminescente, elle diffusait un étrange éclat.
— En plus de ça, ils avaient essayé de me convaincre que j’avais été empoisonnée à la coniine, mais je les avais toujours envoyés balader en pensant que ce n’était qu’une ruse. Sauf qu’une Eir m’a ensuite confirmé que ça avait été le cas. Les délais règlementaires étaient dépassés depuis longtemps, et je n’avais pas vu l’ombre d’un négociateur. Quand j’ai vu Ekrest, en plus des autres… en fait, il m’a ordonné de collaborer.
— Il a fait quoi ?!
Le légendaire, l’incorruptible Ekrest d’Aube-Court, songeai-je avec amertume. Comme tout le monde, j’y avais cru. Et, au bout du compte, il avait été si fidèle à sa réputation que ça l’avait perdu. Incapable de dépasser la limite morale qu’il m’avait inculquée toute mon enfance, il était demeuré prisonnier de ses démons comme des barreaux de sa cellule. Incapable de renier ce qu’il avait toujours été, c’était vers moi qu’il s’était tourné pour sauver son honneur et sa peau, au mépris de mon intégrité.
Et pourtant, ô paradoxe de ma vie, je ne parvenais pas à lui en vouloir. Plus maintenant, en tout cas.
— C’était la seule manière de s’en sortir, expliqua-je, dédouanant au passage mon fourbe de mentor. J’étais encore une prisonnière, lui n’était plus qu’un rat de labo. À force de négocier, j’ai réussi à arrêter les mauvais traitements sur tous les détenus de la Centrale et à contcter Selv’. Elle a organisé un sauvetage et, avec un peu de casse, on a réussi à sortir presque tout le monde.
Un silence.
— Et depuis, je vadrouille sur l’Yggdrasil à la recherche du sens de mon existence, ajoutai-je avec une pointe de sarcasme.
Levi pouffa, mais le cœur n’y était pas. Son rire était aigre, tendu, légèrement psychotique.
— Et du coup, cette histoire de coniine… Attends, ne me dis pas que c’était dans le thé de…
Sa voix se fêla avant qu’il n’ait pu prononcer le nom, une litanie de jurons en vieux norrois lui échappa.
— Mais pourquoi ? interrogea-t-il, stupéfait.
Mes orteils frôlèrent un mur froid et irrégulier, s’éraflèrent contre les aspérités de la roche, mais le mouvement de balancier n’était pas encore assez prononcé pour que je puisse m’appuyer contre la paroi. Je grinçai des dents. Agir et parler, les deux règles d’or pour ne pas sombrer dans la folie de la déprivation sensorielle. Ou alors, option deux, m’enfermer à l’intérieur de moi-même, m’enterrer si profondément que seul un choc brutal pourrait m’obliger à sortir.
— Aucune idée. Je suppose qu’entre elle et Adam, je devais perturber leurs plans, mais… je cherche toujours une vraie raison d’envoyer par le fond un groupe entier d’Élites.
C’était un pieux mensonge, puisque la véritable réponse, je la connaissais : Kaiser avait besoin de se débarrasser de tout potentiel Élu. Et j’étais l’Élue, même si nous étions peu nombreux à le savoir. Mais je ne pouvais pas balancer ça maintenant. Je n’en avais pas envie, en fait, parce que tant que Levi assumait officiellement son titre et ses responsabilités, j’étais un peu plus tranquille. C’était lui que les Æsir poursuivraient en premier, pas moi.
— Et toi ? demandai-je, désireuse de changer de sujet. Qu’est-ce qui t’est arrivé pour que tu te retrouves ici ?
Ma gorge était sèche à force de parler, mais il fallait que je maintienne mon esprit occupé. D’un côté, entretenir la conversation au mépris de mes cordes vocales douloureuses, de l’autre, me balancer pour garder mon corps en mouvement, stimuler mes sens et mon oreille interne.
— Au début… au début, avec Selvigia, on a mené les battues à Stockholm et aux alentours pour te retrouver. Personne ne te croyait morte… pas après Barcelone, ajouta-t-il avec un ricanement forcé. On pensait tous que tu te terrais pour éviter de te faire capturer par les Heimdall qui patrouillaient aussi. Mais, au bout de trois semaines, Kaiser a stoppé les recherches quand les Thor ont… « admis » ton meurtre.
Salope, grinçai-je. Quel genre de relations diplomatiques entretenait-elle exactement avec les chefs des Thor ? Clairement, au moins entre Björn Hamershot et elle, c’était plus qu’une bonne entente, vu la manière dont ils se rendaient mutuellement service.
— Et puis, je venais d’avoir un présage de Mère, elle m’avait ordonné de venir la libérer. Donc j’ai monté une expédition, et on est partis pour Mímirsbrunn pour connaître la localisation de sa prison.
Tous les chemins menaient à Mímirsbrunn, décidément. Mais je ne m’attardai pas longtemps sur cette pensée, interpellée par la délicate nuance de rancœur dans la voix de Levi. Quelque chose m’échappait, j’en étais certaine, il taisait une information essentielle. Mais il poursuivit avant que je n’aie le temps de lui poser la question.
— Ensuite, on est partis en direction de Stronstall, mais on a croisé un groupe de géants sur la route, et, même si on a réussi à les descendre, ils nous ont salement amochés. On a dû faire un crochet à Thrymheim pour demander de l’aide… mais tu vois comment ça s’est terminé, grommela-t-il, frustré.
— Tu dis « on »… où sont les autres ?
J’entrevoyais déjà la réponse, j’avais même peur qu’il me la donne. Et le bref silence qu’il lui fallut pour formuler le mot m’assura que j’avais raison.
— Bouffés. Je suis le dernier sur la liste. Enfin, toi et moi, maintenant.
Il se mit soudain à tousser. Un son gras, enroué, qui, sans que je ne sache pourquoi, hérissa les poils sur ma nuque. Instinctivement, je me tortillai, nerveuse, et mes pieds ripèrent contre le mur le plus proche.
— Ça va te paraître bizarre… marmonna Levi une fois que sa respiration se fut apaisée, mais je suis content que tu sois vivante.
— Arrête de te foutre de ma gueule, grinçai-je.
— Je suis sérieux.
— Bien sûr. Tu veux qu’on reparle de Barcelone, peut-être ?
Il accusa le coup. Un bref silence succéda à mon commentaire mordant, puis le blond grommela :
— Ça a changé, depuis. J’ai changé.
— Je n’en ai pas l’impression… maugréai-je, blasée. Tu me supportes quand ça t’arrange, et le reste du temps, tu me fais chier.
— Pas toi, peut-être ? releva-t-il d’une voix sceptique, ponctuée par une nouvelle quinte de toux.
J’exhalai un long soupir pour essayer de calmer la colère qui commençait à brûler ma poitrine, et cinglai d’un ton mauvais :
— Contrairement à toi, si tu m’avais foutu la paix, je l’aurais fait aussi. Mais comme tu cherches toujours la merde, sans jamais te rendre compte que tu n’as aucune chance…
Vexé, il la ferma, et ne se manifesta plus pendant vingt bonnes secondes, durant lesquelles nous nous considérâmes avec attention, pensifs. Finalement, un rire rauque, presque blessé, lui échappa, amenant une grimace grincheuse sur mes lèvres. Les vieilles rancœurs étaient tenaces. Il avait essayé de me faire tuer plusieurs fois lorsque je m’étais avérée potentiellement dangereuse, et pour Barcelone, notamment, il s’était même arrangé avec Adam. Il s’était officiellement excusé dès ma nomination, mais je ne l’avais jamais oublié. C’était un miracle que Sam et moi nous en soyons sortis.
En outre, il était l’Élu officiel. Mais, étrangement, cette dernière réflexion ne provoquait plus de torsion dans mon estomac, ni de bile amère dans ma gorge. Le titre d’Élue, je l’avais haï, jalousé et convoité, mais la case prison m’avait un peu calmée. J’avais trop souffert pour une idéologie en laquelle je ne croyais plus vraiment, j’avais vendu mon âme au diable qui me servait de père. L’ancienne rage pour un simple poste un peu plus haut placé n’était plus là.
— Écoute, marmonna-t-il, je sais que j’ai pas mal merdé par le passé, et je n’ai pas vraiment l’intention de réparer quoi que ce soit… parce que, au bout du compte, ça ne changera rien. Mais… Tu te rappelles le soir de ma nomination ?
Difficile de l’oublier, songeai-je, l’amertume se déversant dans ma gorge. Je dus batailler avec ma voix pour ne pas avoir une voix rauque quand je marmonnai mon approbation.
— Tu avais raison, murmura-t-il, si bas que même les échos de ses mots contre les murs atteignirent à peine mes oreilles.
Je fronçai un sourcil, curieuse de savoir ce qu’il entendait par là. Les souvenirs précis étaient confus dans ma mémoire. Ils n’étaient pas de ceux que je gardais précieusement, comme les enseignements d’Ekrest. En revanche, je me souvenais avoir enregistré notre conversation nocturne sur mon téléphone, que je n’avais au bout du compte pas utilisée une seule fois. Ses alliés de l’époque – dont la liste s’était probablement allongée avec ma disparition – ses ennemis, ses relations familiales… une bonne partie de sa vie sociale, encore à disposition, quoique certaines infos devaient être périmées maintenant.
— Je n’étais pas prêt. J’étais dépassé, dès le lendemain. Adam a commencé à m’extorquer de l’argent, Selvigia ne fichait rien pour aider vu qu’elle aime beaucoup trop sa chère neutralité…
Un rire m’échappa, malgré la mention du fils de Kaiser qui me faisait grincer des dents. Lui, c’était encore un autre problème dont il faudrait s’occuper plus tard.
— Bref. Tout ça pour dire que tu as causé un bordel social pas possible, en disparaissant. Tu ne veux même pas savoir. Et j’ai l’impression d’avoir enfin compris qu’il vaut mieux t’avoir pour alliée plutôt que pour ennemie.
Selon les critères de Levi, c’était une véritable déclaration d’allégeance. Je penchai la tête sur le côté, me mordillai l’intérieur des joues. J’étais seule maîtresse de mes choix. Seule face à Levi, mon ennemi de toujours au sein de la Confrérie. Enfin, ennemi… c’était peut-être un grand mot. Rival n’aurait pas convenu non plus, la comparaison entre sa puissance magique et la mienne ne tenait pas la route. Qu’étions-nous, au juste ?
Il n’y avait pas de mot juste pour qualifier cette relation étrange. Il était l’un de ces membres de ma famille que je n’avais jamais appréciés mais que, par nécessité, j’avais appris à tolérer au quotidien. Et puis, « famille » n’avait pas le même sens lorsqu’une hiérarchie d’ordre politique et économique existait à l’intérieur.
Cette absence de terme adapté me gênait, bizarrement. J’aimais bien être au clair sur ce que je ressentais. Là… l’ancienne moi, avant sa capture, lui aurait juste ri au nez et l’aurait envoyé balader, lui et sa soi-disant honnêteté. Mais c’était l’ancienne moi, justement, et ma position actuelle était bien différente de la sienne. Je n’étais plus au Manoir, je ne pouvais pour le moment pas me permettre d’y rentrer. J’étais censée tuer Skadi, mais je n’avais qu’une très vague idée sur la manière d’y parvenir, et aucun moyen de mettre en pratique ce que j’étais censée faire. Qu’est-ce qui était stratégiquement intelligent, ici ?
Ne pas se créer plus d’ennemis que nécessaire. Dans sa position actuelle, Levi me demandait implicitement de m’associer à lui. Et une alliance… pas seulement avec lui en tant que personne, mais avec l’Élu officiel de Loki… pourrait être vraiment bénéfique, tant au Manoir qu’ici. Et je n’avais pas nécessairement besoin d’avoir confiance en quelqu’un pour faire un pacte avec lui.
Il dut voir l’éclat calculateur dans mes yeux, parce qu’il lâcha avec un audible sourire narquois dans la voix :
— Tu vois ? C’est exactement de ça que je parle. Plus le fait que je peux t’exonérer des frais de ta trahison, ajouta-t-il avec une pointe d’humour.
Avait-il appris à être comique depuis que j’étais partie ? J’en doutais sérieusement, mais là n’était pas la question. Encore une fois, on en revenait à l’avantage d’avoir l’Élu à ses côtés. Il savait ce que son soutien valait, maintenant. Et, même si les frais de trahison n’étaient pas totalement monstrueux – à moins qu’on m’ait supprimé ou vidé mes comptes au sein de la Confrérie, ce qui était possible – ils demeuraient un sérieux désagrément financier. Parce que, oui, il fallait payer une taxe si on parlait en prison, à moins de vouloir finir exilé… ce qui équivalait à un suicide social, et parfois physique, dans notre société. La preuve avec Kalyan et Max.
Je me mordis les lèvres. L’air était vicié, avait le même parfum qu’une chambre au Manoir laissée trop longtemps fermée. Une odeur de froid et de poussière, qui glaçait mes poumons de l’intérieur. J’avais un pressentiment. Mauvais. Levi était en train de crever, j’en étais quasiment certaine. Et, aussi pénible puisse-t-il être, jamais je n’avais appris à laisser quelqu’un derrière. D’autant plus qu’il n’avait pas trempé dans ma capture et mon emprisonnement.
J’avais fait suffisamment de dommages collatéraux jusqu’ici. Blade, certains Thor innocents, Vanessa, les Loki qui avaient péri sous le Bifröst… Il était temps que j’inverse la tendance, que je redevienne celle que j’avais été. Celle qui ne laissait personne derrière.
— Je vais te sortir d’ici.
— Bon courage, ricana-t-il amèrement. J’ai essayé.
Tu n’avais pas d’alliés extérieurs. Moi j’en avais – en théorie, murmura une vicieuse petite voix intérieure – mais je priais pour qu’ils soient à l’heure. Je n’avais aucune garantie, actuellement, seulement mes prières, mais il faudrait que ça suffise.
Je laissai ma tête retomber en arrière, tirai sur les bras tordus qui commençaient à devenir douloureux à force de porter le poids de mon corps, et songeai à nouveau à Skadi un instant. Elle avait deviné que j’étais une Loki… mais comment ? Un serviteur, quelqu’un comme Arza ? Arza n’aurait pas pu savoir. M’étais-je donc trahie par ma propre trace magique, en faisant apparaître l’émetteur dvargen et la lettre d’Åke ? C’était l’option la plus plausible, étant donné la puissance de ma trace, mais c’était certainement celle que j’aimais le moins envisager. Cela voudrait dire que je n’aurais nulle part où me cacher dans les Neuf Mondes si j’usais de ma magie. Or user de ma magie était devenu presque une nécessité à tous points de vue.
— Lilith ?
— Tu ne sais vraiment pas te taire plus de vingt secondes… soupirai-je avec un léger rire.
Il garda le silence, vexé, et je pus presque le voir pincer les lèvres et détourner la tête, malgré l’obscurité presque totale qui régnait. Je connaissais ses expressions, ses manies. Cela faisait quinze ans que je le connaissais, et que je le fréquentais trop régulièrement pour ma propre santé mentale.
— Admettons, finit-il par ronchonner. T’as fait quoi… après ? Après être sortie de prison, je veux dire.
Je réfléchis un instant, faillis le rembarrer et lui demander de se taire, puis songeai au poids qu’il portait sur sa conscience, et que sa voix n’arrivait pas à dissimuler. Les dizaines de morts, dévorés les uns après les autres. Morts pour lui, pour que l’Élu ait peut-être une chance de survivre. Il ne l’admetrait jamais, mais cela devait le ronger.
— J’ai temporairement rejoint la Faction pour assurer mes arrières, j’ai bossé pour eux quelques semaines. Et ensuite, on a organisé le départ pour l’Yggdrasil avec les anciens Élites et…
Le souvenir de Blade, qui n’était pas revenu depuis des dizaines de jours, refit soudain surface, et je grimaçai. Moi aussi, je commençais à accumuler mon lot de morts. Vanessa, Blade… Les jours diluaient la peine et la culpabilité, mais ils n’effaçaient jamais vraiment le souvenir d’impuissance, ni les cicatrices des choix qui avaient dû être faits.
— T’as aussi perdu quelqu’un en cours de route, nan ?
Il avait décidément trop évolué pour ma stabilité émotionnelle. La question était précise, incisive, portée avec une assurance presque chirurgicale. Mais après tout, c’était le genre de certitude qui ne s’acquérait qu’avec l’expérience des pertes, comme j’avais pu le constater.
— Oui.
— C’était qui ?
— Un homme de la Faction, nom de code Blade.
D’ailleurs, je n’avais jamais su comment il s’appelait vraiment.
— On a bossé ensemble, il était chargé de me chaperonner et moi de lui apprendre un peu le monde magique.
— Dur.
— La Faction l’a mis hors-jeu avant que la Confrérie ne commence à s’acharner sur lui.
Avec mon accord tacite. Le souvenir était toujours aussi douloureux.
— C’est surtout que… pour passer le Bifröst, on a dû affronter la Confrérie, admis-je. Et autant Selvigia et moi tirions avec des balles paralysantes, autant les anciens Élites…
Je n’achevai pas, et il comprit sans mal.
— Merde…
— Ouais. Je ne sais pas combien il y a eu de morts, honnêtement. L’un des anciens, Åke avait… un message à faire passer, d’après ce qu’il a dit.
— Kaiser doit être dans la paranoïa la plus totale.
La remarque me tira un rictus mauvais. Synnöve Kaiser méritait au moins ça, après tout ce qu’elle avait magouillé pour orchestrer la disparition de dizaines de personnes à travers les époques. De ce qu’Åke m’avait raconté pendant le voyage, elle n’avait parfois pas attendu que les recrues atteignent l’Élite pour les faire disparaître promptement. Dès lors que leurs pouvoirs paraissaient un peu trop menaçants, ils se vaporisaient.
— Oh, mes oisillons bavardent…
Un pan de mur entier s’ouvrit à la volée, dévoilant l’éclat étourdissant d’une torche. Pourtant, elle ne flambait pas bien haut, mais sa lumière, après l’obscurité totale de ces derniers temps, était aveuglante. Je détournai les yeux, n’ayant pas besoin de voir pour reconnaître la voix grondante de Skadi.
— Vous vous connaissez, semble-t-il… ricana-t-elle, venimeuse. C’est parfait, je n’avais pas prévu d’avoir autant d’invités ce soir à l’origine, donc nous aurons un peu de viande supplémentaire. Merci ma chère Kira d’être venue.
Elle s’approcha, et son parfum de terre glacée, âcre et piquante, m’enveloppa. Ma chaîne trembla, crissa, frémit, je me fis secouer dans tous les sens tandis qu’elle me décrochait, puis elle fit de même avec Levi. Derrière elle, une silhouette blonde tremblante tenait la torche immense à bout de bras. Arza, la servante qui s’était occupée de mes quartiers avec Kalyan. Mon cœur frémit dans ma poitrine à l’idée qu’il soit arrivé quelque chose au fils de Thor, je me mordis la langue pour réfréner une question malvenue. Puis, après quelques ultimes secousses qui me donnèrent la nausée, Skadi nous souleva tous les deux à bout de bras et nous porta dehors comme si nous n’étions que de vulgaires sacs. Je réfrénai l’envie folle de me débattre comme une forcenée, consciente que, vu sa force, cela ne servirait à rien. Puis, mon regard dériva sur Levi, et mon estomac sombra dans mes talons lorsque je réalisai combien cette expédition lui avait réellement coûté. Il était pâle et sale, à peine vêtu des lambeaux de ses vêtements de voyage, si maigre qu’il donnait la chair de poule avec ses os qui saillaient. Que ce soit ses coudes, ses clavicules ou ses côtes, tout apparaissait dans les déchirures du tissu. S’il avait encore des muscles en l’état actuel, c’était juste ceux qui lui permettaient de maintenir son corps en vie.
En me voyant l’observer, il esquissa une grimace, et je me pris à chercher son habituel cynisme sur ses traits émaciés, mais il semblait qu’il n’avait même plus la force pour ça. Il détourna bien vite le regard, mais ce que j’avais eu le temps d’entr’apercevoir dans ses yeux me donna des frissons. C’était une perte que je pouvais comparer à celle de Vanessa, quelque chose qui l’avait détruit de l’intérieur. Ou quelqu’un, plutôt.
Mais bien vite, je n’eus pas l’occasion de me pencher sur cette question. Arza, qui portait toujours la torche, déverrouilla une dernière porte devant nous, la tira en ahanant, dévoilant une immense pièce où les géants que j’avais vus la veille – ou ce qui avait été la veille pour moi – étaient assemblés.

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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

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CHAPITRE 31


— Chers amis, annonça Skadi avec une satisfaction évidente, pour le rituel de ce soir, j’avais à l’origine prévu un repas un peu plus frugal… mais il s’avère qu’il y aura plus de viande que prévu. Et comme vous le savez, je ne suis pas de ceux qui ne partagent pas avec leurs féaux.
Ignorant son discours, ô combien intéressant il était, je me focalisai sur une analyse efficace de la salle. Contrairement au cachot et aux couloirs dans lesquels elle nous avait traînés, les statuettes qui bloquaient la magie ne couvraient ici pas la pièce entière, seulement le corridor central et l’autel. Je les voyais, disposées en rectangle autour de la ligne centrale de la pièce. Sinon, c’était une immense salle où la magie semblait accessible partout, et où je pourrais donc combattre sans mal.
— Quant à vous, fils de Thor, vous avez été trompé. Votre « sœur » est en vérité une fille de Loki.
Kalyan, au premier rang des tribunes, fronça les sourcils et jeta un regard irrité dans ma direction.
— Permettez-moi alors de la tuer pour cet outrage, finit-il par exiger, l’air furieux.
Je notai avec un sourire intérieur qu’il utilisait le même ton mesuré que dans la prison, quand il n’était pas vraiment au contrôle des actions et qu’il devait jouer une comédie.
— Oh, je ne voudrais pas salir vos mains, Hamershot. Si vous voulez tout savoir…
À côté de lui, Thalia était blême. Elle se tenait assise, apparemment rétablie de son coma, mais son visage était aussi livide que celui de Levi, et son regard était braqué sur moi. Mais quand je voulus croiser son regard, elle détourna la tête et son expression se tordit de la pire des culpabilités. Je frémis. C’était elle qui m’avait dénoncée. Mais sciemment ou non, je n’en avais aucune idée. Je ne distinguais aucune animosité dans son attitude, seulement de la peine et de l’anxiété. Consciente que, comme souvent, les choses pouvaient être différentes de ce qu’elles paraissaient, je préférai réserver mon jugement.
Skadi continuait à parler, et je ne prêtais absolument pas attention à son discours. Mon regard dériva à nouveau sur la salle. Dans les gradins, les chefs de clan attendaient qu’on me dépèce et me démembre pour être servis. Sur le côté de l’autel, les trois fils de Skadi, qu’elle nous avait présentés au dîner de la veille, observaient avec un manque d’attention évident, signe que ce n’était pas la première fois qu’ils assistaient au cérémonial. Et enfin, le long des murs, les esclaves de Skadi étaient alignés en rangs serrés, aussi pâles et maigres que Levi, des rangées de fantômes privés de liberté et de volonté.
Je levai la tête vers l’autel sur lequel Skadi comptait me sacrifier avec une curiosité morbide. Et, alors même que je luttais pour comprendre qui était représenté par l’immense statue qui nous surplombait, je captai un nom dans son charabia. Baldr. D’un seul coup, je me raccrochai au flot de paroles qui ne s’était pas interrompu depuis que j’avais lâché prise. Et soudain, sans même avoir à écouter davantage, je compris, et la situation m’arracha un éclat de rire abasourdi qui trancha net dans le cérémonial. La géante s’immobilisa, un éclat de pure rage dans le regard, me dévisagea avec une sauvagerie sanguinaire qui aurait dû me terrorriser, mais j’étais incapable de m’arrêter. C’était un rire nerveux, hystérique, qui ricochait sur les murs de pierre, qui mettait les géants apparemment mal à l’aise, qui incitait les esclaves à se cacher un peu plus dans les tréfonds de la salle, dans l’espoir qu’ils n’aient pas à être mêlés à cet affrontement qui s’annonçait.
— Baldr ? relevai-je quand j’eus repris un semblant de souffle. Baldr ? Vraiment ? Depuis tout ce temps ?
— Et jusqu’au Ragnarök, proféra Skadi avec un grondement féroce qui m’arracha un nouveau ricanement.
— Ça fait quatre millénaires quand même.
— Et donc ?
C’était d’une ironie absurde. Skadi sacrifiait, apparemment depuis des dizaines de siècles, des humains – et lorsqu’elle le pouvait, des enfants de Loki – pour un amour qui n’avait jamais existé. Lorsqu’elle s’était mariée, elle avait dû choisir son époux parmi les Æsir et les Vanir seulement en regardant leurs pieds, et elle avait choisi les plus beaux en pensant que ce seraient ceux de Baldr, dieu de la lumière et de la beauté. Mais il s’était avéré que c’étaient les orteils de Njörd qui avaient le plus beau lustre, avec leur pédicure impeccable au sel et au sable fin de la mer infinie qui entourait le monde. Skadi n’avait jamais digéré cette erreur, apparemment, et sa relation avec Njörd, son parfait opposé, était connue pour avoir été l’une des premières affaires de couple vivant séparé dans l’histoire de l’univers.
L’équipe de Levi était morte à cause d’un amour à sens unique, car Baldr n’avait jamais fait le moindre geste, ou manifesté la moindre intention envers Skadi. Et lorsqu’il était mort par la faute de Loki…
C’est pour ça que sa haine persiste autant, réalisai-je en songeant à la question que je m’étais posée en arrivant. Je secouai la tête, songeuse, tandis que la maîtresse de cérémonie essayait de reprendre là où elle s’était arrêtée, vantant le noble Baldr face au cruel et vicieux Loki, décrivant comme si elle y avait assisté le terrible assassinat – alors que c’était peu probable qu’elle ait été là.
— Et sinon, vous avez pensé à l’invoquer au moins une fois pendant ces cérémonials ?
Du coin de l’œil, je vis un mince sourire anxieux affleurer sur le visage de Thalia, et Kalyan lever les yeux au ciel, incapable de ne pas se départir de son rôle de fils de Thor éhontément trompé par une sauvage fille de Loki. Leur présence familière était rassurante, même si je n’étais pas certaine de pouvoir compter sur leur aide dans le combat à venir. Enfin, ça dépendait. Si Skadi décidait de me ligoter sur l’autel – même si je n’y voyais pas de chaînes pour le moment – je ne pourrais compter que sur eux. J’essayai de capter le regard de Thalia, mais au même moment, Skadi jeta violemment Levi au sol et secoua ma chaîne comme un grelot. Le monde se troubla devant mes yeux, mon oreille interne partit en vrille, les crissements de la chaîne me vrillèrent le crâne. Une nausée violente remonta, je fermai les yeux pour au moins épargner à mon cerveau l’incohérence de la vue. Puis, les secousses se firent rotations, mon estomac plongea dans mes talons sous l’effet de la force centrifuge, mes bras se tordirent et s’étirèrent sous le poids de mon corps. Je grondai de douleur.
Skadi semblait prendre un malin plaisir à m’agiter dans tous les sens, un peu comme Skvar avait fait avec Thalia précédemment. Mais malgré mon tournis et mon désir brûlant d’essayer de me raccrocher à un point visuel, je luttai pour garder les yeux fermés.
Et soudain, la tension sur la chaîne se libéra d’un coup. Mon corps, soumis à la gravité, prit la tangente, décrivit ce que j’estimai sans le voir être une longue parabole, et après quelques secondes de vol plané, je cognai contre la roche dure. Des étoiles dansèrent devant mes paupières fermés, un cri de douleur m’échappa, une douleur terrible aiguilla l’ensemble de mes os, partant en toile d’araignée depuis ma jambe tordue sous mon dos. Je grinçai des dents, pris une inspiration tremblante, abrutie par le choc.
Lorsque le contrecoup et la nausée refluèrent et que je repris contact avec le monde réel, je ne vis d’abord pas Skadi, pourtant penchée sur moi. Je vis la statue de Baldr, avec ses immenses cils carricaturaux, ses traits lisses, si beaux même au travers de la pierre qu’ils provoquaient de l’envie. La roche était d’un blanc immaculé, en contraste total avec le reste de la montagne grise et sombre. Baldr, le dieu mort par la faute de mon père, même si ce n’était pas par sa main. Baldr, un connard arrogant qui avait été surprotégé dès sa naissance par ses parents et adulé comme un sur-dieu parmi les dieux.
Ce n’était certainement pas pour lui que j’allais mourir aujourd’hui.
Je jetai un bref regard à Kal, qui hocha imperceptiblement le menton, et un rictus nerveux m’échappa. Malgré le choc, mon esprit s’était éclairci. Sur le côté, les esclaves, anxieux et immobiles, observaient en silence le déroulement des évènements, conscients que quelque chose se tramait. Même les fils de Skadi et les chefs de clan le percevaient, à voir les regards nerveux. Seule la géante, maîtresse de cérémonie plongée dans une transe d’aveugle adoration envers un mort qui n’avait que faire d’elle, ne voyait pas que, pour une fois, son cérémonial sacré était perturbé.
Je pris une longue inspiration pour calmer mon pouls encore filant, saisie d’une soudaine appréhension. Kalyan n’avait aucune raison de m’aider. Au contraire, tous les principes qui lui avaient été inculqués depuis sa naissance auraient dû l’inciter à m’abandonner et à se ranger du côté de ceux qui écrivaient l’histoire. Je fermai les yeux, élaborai à toute vitesse un plan pour m’en sortir si Kal en venait soudain à changer d’avis. Vu tout ce qu’il m’avait raconté sur lui-même sur son père et sur la géante, c’était peu probable, mais je ne pouvais pas totalement écarter cette possibilité.
Mes battements de cœur s’étaient espacés, ralentis par le calme que je m’imposais. Je n’avais plus d’alliés ou d’ennemis, plus d’attentes envers quiconque, seulement un objectif clair, celui pour lequel j’étais venue à l’origine : tuer Skadi.
Au moment où la lame plongea vers ma nuque, je roulai sur le côté. Le fil aiguisé ne me rata que d’un cheveu, je sentis le souffle froid de la mort sur mon cou un instant avant que je ne dévale les petites marches latérales de l’autel. Je fis une série de roulés-boulés dans les crissements de la chaîne que je me traînais, bondis sur mes pieds dès que j’eus atteint le sol et me jetai sur le côté malgré la douleur aiguë de mon os brisé. Skadi, trop stupéfaite par mon brusque mouvement, interrompue dans sa macabre litanie, eut un bref instant d’hésitation de trop. J’atteignis la zone où la magie m’était à nouveau accessible, pivotai brusquement. Mon pistolet à impulsion magique apparut dans mes mains enchaînées, je le braquai droit sur la tête de la géante toujours penchée en avant, et tirai.
La détonnation claqua, semblable à un coup de tonnerre, vrillant mes oreilles, et une explosion de lumière m’aveugla. Quand je rouvris les yeux, l’immense corps de Skadi gisait, inerte, affalé contre le mur. Ses fils poussèrent à l’unisson un effrayant grondement de rage et voulurent se jeter sur moi, mais Kalyan s’interposa brusquement, les repoussa d’un violent éclair et dégaina une longue lame jaillie de son inventaire magique.
Soudain, toute la tension que j’avais inconsciemment réfrénée se dissipa. J’effectuai une métamorphose-éclair, passai d’humain à animal puis à nouveau humain en un battement de paupières, le temps de resouder mon os comme Åke m’avait appris à guérir mes blessures. Puis, un rictus aux lèvres, je fonçai vers Skadi, qui papillonnait déjà des paupières en reprenant conscience. D’un geste maladroit, ralenti, elle voulut me repousser. J’esquivai sa grosse paluche souplement, la cinglai au passage de ma lame, et elle gémit de douleur. Le temps qu’elle réalise ce qui se passait, j’étais perchée sur son torse, les mains serrées sur le manche de ma dague.
— Tuez-les ! eut-elle le temps de hurler aux esclaves à ses ordres et aux géants qui étaient ses féaux.
La pointe transperça son œil, se fraya un chemin jusqu’à son cerveau, et le sang bleu sombre gicla, aspergeant mon visage. Je frissonnai sous la brûlure glacée du liquide, pareil à de l’acier gelé collé à la peau, retirai ma lame, frappai une seconde fois pour m’assurer de sa mort, puis voltigeai. Une flèche rasa mon épaule, un couteau lancé avec une improbable précision rebondit contre mon flanc. Un grognement de douleur m’échappa, mais déjà les thralls libérés du joug de la géante reculaient et baissaient leurs armes, le visage consterné. Je considérai le couteau qui gisait au sol, me demandai un instant si celui qui l’avait lancé avait réussi à contourner les ordres pour qu’il arrive manche en avant, ou si ce n’était qu’un heureux hasard. Dans tous les cas, il m’avait épargné une sale blessure mais, dans la masse d’humains qui se pressaient désormais contre le mur pour essayer d’échapper à un affrontement entre demi-divins et géants, impossible de le reconnaître.
Je jetai un regard à Kalyan, qui commençait à nouveau à se faire submerger. Son premier éclair avait ramené quelques souvenirs traumatiques chez les géants, mais ils semblaient s’être repris depuis. Quatre d’entre eux s’approchaient, l’air méfiant, et deux des trois fils de Skadi semblaient clairement préparer quelque chose dans leur coin. Le dernier en revanche, qui semblait le plus jeune, trépignait sur place, indécis.
En secouant la tête, je chassai mes réflexions sur la famille de Thrymheim, et décidai de filer au secours de Kal.
— Increvable, ricana une voix sur ma gauche alors que je m’élançais.
— Ouais, ouais… contente de voir que tu vas mieux.
Elle pinça les lèvres mais ne dit rien, préférant serrer les mains sur le manche de sa dague. Je fis de même, nous ne nous consultâmes qu’une seconde du regard, puis plongeâmes vers la nasse qui avait entouré Kalyan, lui coupant effectivement toute retraite. En me faufilant derrière les jambes géantes, qui faisaient bien ma taille, je tailladai dans le haut des mollets, visant les artères et les nerfs. Deux jötnar tombèrent sur un genou, les ligaments à l’arrière de l’autre cisaillés. Le temps qu’ils réalisent ce qui leur arrivait, Thalia leur coupait l’autre jambe, et en essayant de pivoter vers nous, trois d’entre eux s’effondrèrent face contre terre avec un hurlement, incapables de gérer leur propre poids. Je ricanai, et nous les achevâmes proprement l’un après l’autre.
— Lily ! appela Kalyan avec un accent d’urgence dans la voix.
Je suivis son regard, réalisai avec un frisson que les deux fils de Skadi les plus vindicatifs préparaient une incantation magique conjointe. Et Kalyan me tendait la main.
Sans réfléchir, je le rejoignis en quelques pas, pris sa main tendue. Et soudain, mes perceptions s’infléchirent imperceptiblement, ma manière de sentir mon environnement changea. Je devinai l’électricité statique dans l’air, le potentiel entre l’air et la terre, perçus les minuscules courants qui circulaient dans ma peau, entre mes cellules. Lorsque Kalyan orienta ses sens vers l’un des géants, instinctivement, je focalisait moi aussi mes pensées dessus, et brusquement, je le sentis, lui. Tout comme j’avais été capable, fut un temps où je possédais encore ma pyromagie, de repérer les variations de chaleur dans l’air ambiant, au travers du fils de Thor, je devins électrokinésiste. Le géant se transforma soudain dans mon esprit un être fait de neurones, de potentiels électriques qui variaient sans cesse.
Par Kalyan, à qui j’avais totalement cédé le contrôle de notre puissance conjointe, je perçus la manière dont il ciblait le bulbe rachidien, centre des mouvements inconscients et instinctifs tels que la respiration et les battements de cœur. Mes doigts fourmillèrent lorsqu’il étendit ses perceptions jusqu’à l’ensemble du cerveau, et qu’il se concentra intensément. Et, quand soudain, le géant s’effondra sans préavis, son cœur et son souffle brutalement court-circuités par la redirection de toute l’énergie de son cerveau dans le bulbe rachidien, un frisson courut le long de mon échine. Ce que j’avais déjà entrevu chez Kalyan lors de son combat avec Åke me frappa brutalement. Avec lui, comme avec Ekrest ou les Élites, ce n’était plus seulement une question de puissance. C’était une question de technique. Et Kalyan maîtrisait ses pouvoirs comme j’avais rarement vu un Thor les maîtriser. De ce qu’on m’avait enseigné, les Hamershot excellaient dans la force brute et explosive mais, au contraire du reste de sa fratrie, lui semblait préférer le travail de précision.
J’avais à peine abouti à cette conclusion que, déjà, Kal se focalisait sur l’autre géant. Désormais consciente de son modus operandi, je ne lui rendis la tâche que plus simple puisque je me concentrai spontanément sur le cerveau, sans même essayer de me perdre dans le reste des circuits internes de la créature. Le fils de Skadi tomba en moins de deux secondes, raide mort, provoquant un instant de flottement au sein des esclaves comme des géants restants, qui se tournèrent vers nous. En voyant nos mains jointes, en sentant le flux magique qui irradiait de nos corps, leurs yeux s’écarquillèrent en un mélange d’effarement et d’admiration. Je leur adressai un sourire de requin.
— D’autres volontaires ?
Le fils de Skadi qui était demeuré en retrait, encore un adolescent au vu de son apparence, ne bougea pas d’un cheveu, et les chefs de clan restants, suivant son exemple, se redressèrent mais ne bougèrent pas. Je m’avançai vers le jeune jötunn, Kalyan dans mes pas, sa main toujours de la mienne. Je dus lever la tête vers son visage, un bon mètre au-dessus du mien, mais étrangement, ce fut lui qui parut impressionné de devoir me faire face.
— Ta mère a payé pour les sévices qu’elle a infligé aux humains et à ma famille, lui dis-je d’un ton clair. Acceptes-tu cela ?
Il opina silencieusement. Il avait les yeux de terre de Skadi, sa peau de roc et ses expressions figées, mais ses traits étaient étrangement… humains. Adoucis, comme s’il n’était pas totalement géant par ses origines. Un enfant de Njörd ?
— Libérerais-tu les thrall ? Ou essaieras-tu de préserver l’ordre de ta mère ?
Il prit une inspiration nerveuse, jeta un regard de biais aux chefs de clan qui l’observaient, et je sus qu’il jouait sa position d’héritier sur cette décision.
Sur le côté, la Eir que je n’avais même pas repéré en arrivant rassemblait en silence les esclaves, guérissait des blessures qui semblaient avoir été là depuis trop longtemps. Son visage n’exprimait qu’une totale concentration, elle traitait les cas un par un, mais un mince sourire flottait sur ses lèvres à chaque fois qu’une personne qui était venue à elle en claudiquant ou en grimaçant repartait vers le groupe d’esclaves le dos droit et la démarche assurée.
— Je n’ai jamais réellement adhéré aux idées de ma mère, finit-il par décréter d’une voix froide et ferme. Vous êtes libres.
— Maître Gedvog… osa Arza dans la foule d’anciens esclaves. Nous n’avons nulle part où aller, et les landes…
Sa voix frémit, dérapa. Les montagnes comme les plaines jusqu’à Nidavellir étaient infestées de géants qui n’avaient guère de considérations pour la vie humaine en général, comme j’avais pu le constater avec Thalia.
— Ceux qui le souhaitent pourront rester ici, pas en tant que serviteurs, mais en tant qu’habitants à part entière du domaine. Je sais que cela ne compensera pas pour les années de tourments et les horreurs que vous avez subies ici, mais si vous restez, vous serez traités en égaux. Et je peux jurer si vous le souhaitez que plus aucun mal ne vous sera fait.
Un mouvement de flottement se propagea dans le petit groupe humain, des murmures s’élevèrent. La roche les faisait ricocher et troublait leurs échos. À quelques mètres de distance, même si j’entendais le bruissement du débat, j’étais incapable de deviner une idée générale.
— Je resterai, finit par clamer une voix claire, s’arrachant à la masse.
— Arza !
— Je n’ai plus de maison ailleurs, rétorqua-t-elle sèchement à l’homme qui venait de la reprendre. Et je connais Thrymheim comme ma poche.
— Tu es plus que bienvenue, Arza.
Les mots de Gedvog générèrent encore quelques haussements de sourcils méfiants et quelques regards perplexes, mais je discernai dans son attitude et dans sa voix une sincère bienveillance.
— Quant à vous autres, prenez le temps de vous décider. Mais si vous choisissez de partir, je veillerai à ce que vous entamiez votre voyage dans les meilleures conditions. Et vous, amis des clans, ajouta-t-il enfin en se tournant vers ses congénères, je vous demanderai de les laisser passer.
Un frisson parcourut mes épaules, une idée presque oubliée affleura à mon esprit. La fille d’Eir, Jessica, avait fini de soigner les derniers, et elle avait disparu de mon champ de vision. Je pivotai sur mes talons, parcourus la salle sombre éclairée aux torches du regard jusqu’à tomber sur sa silhouette dans un coin de la salle. Elle était penchée sur un corps inerte que j’identifiai comme Levi. La main toujours dans celle de Kalyan, je projetai mes perceptions vers lui, à la recherche d’une défaillance dans son système nerveux, d’une surcharge, d’un nœud de circulation qui serait inhabituel. Mais je ne perçus rien.
— Pas mal, projeta Kalyan à travers la liaison mentale, exploitant de son côté l’hypno-manipulation lokienne pour deviner ce que je faisais. C’est encore un peu sommaire comme analyse mais tu t’en sors bien.
— Et toi tu maîtrises de mieux en mieux la communication mentale.

Nous échangeâmes un regard, un sourire de connivence, puis notre attention commune se reporta à nouveau vers Levi. Kalyan fit une analyse un peu plus poussée, descendant systèmatiquement depuis le cerveau, qui ne semblait pas atteint, jusqu’au bas de la colonne vertébrale en sondant les liaisons nerveuses majeures une à une. Puis, brusquement, une onde de magie pure satura le corps de Levi, ses cellules nerveuses semblèrent s’allumer dans mon esprit comme des dizaines de minuscules ampoules, illuminant son corps d’une lumière fantôme que nous seuls percevions. La lumière retomba aussi vite qu’elle était venue, mais quelque chose dans les circuits de Levi semblait soudain fonctionner… mieux. Je n’aurais su le définir autrement. C’était comme si les signaux circulaient soudain avec une fluidité nouvelle, à une vitesse encore décuplée.
— La guérison de l’Eir ? interrogeai-je en silence.
— Exactement. Elles ne guérissent pas que le corps, en vérité.
Je ne savais pas, mais c’était une bonne nouvelle. C’était aussi peut-être pour ça que, malgré leur âge, les demi-divins étaient très rarement prônes aux maladies neurodégénératives et aux troubles mentaux.
Levi papillonna des paupières, poussa un grognement. Je me détachai doucement de Kalyan, l’absence de ses perceptions me donnant un soudain tournis, comme si j’étais naturellement habituée à sentir l’électricité, et tout en écoutant d’une oreille distraite les débats qui s’élevaient parmi le groupe d’esclaves, je me dirigeai vers Levi et Jessica.
— Merci, lâchai-je à l’intention de la fille d’Eir.
Elle me sourit, son regard vert feuille à mille lieues de la froide haine qu’elle m’avait manifestée lorsque je me faisais encore passer pour une fille de Thor.
— Merci à toi… tu n’as même pas idée combien tu m’as aidée ici.
Son visage exprimait un soulagement non feint, son attitude était aussi détendue que si elle avait soudain passé une journée de vacances au soleil. Je faillis lui demander si, vraiment, j’avais aidé tant que ça, puis je considérai la situation dans son ensemble et je me mordis la langue.
— Je suis liée par contrat ici, je ne peux rien faire sans l’accord de la maîtresse des lieux… enfin, du maître des lieux, maintenant, expliqua-t-elle brièvement. Je ne pouvais rien faire…
Sa voix, malgré son apaisement – ou peut-être à cause de la soudaine résolution des évènements – frémit, faillit se rompre, mais elle finit par ravaler ce qui semblait être des larmes d’impuissance, et son expression s’adoucit encore.
— Je suis désolée de t’avoir précipitée dans le piège, toi et ton amie. Mais j’avais besoin d’une excuse pour que Skadi amène monsieur Foudre ici et la connaissant… c’était le spectacle qui l’y pousserait.
Je ravalai un hoquet de stupeur en comprenant soudain ce qu’elle me disait. C’était elle qui avait trahi ma couverture ? Mais quand avait-elle deviné ?
Je repensai à notre rencontre, à la manière dont elle était tombée sur moi dans le lit, où son épaule m’avait effleurée. Il n’en fallait que si peu, compte tenu de sa puissance magique. Elle avait dû certainement avoir des doutes, et avait vérifié par un simple contact physique qui lui avait permis de déployer ses perceptions d’Eir.
— J’irai m’excuser à elle aussi, parce que je l’ai trompée. J’ai fait en sorte qu’elle confirme que tu étais une Loki lorsqu’elle était à peine réveillée de son coma, et qu’Arza entende.
Je hochai lentement la tête. Évidemment, Arza étant soumise par un quelconque enchantement à Skadi, elle avait dû le lui rapporter immédiatement, qu’elle le veuille ou non. C’était elle que j’avais vue dans l’ombre de la tour, au moment où je m’évanouissais.
— Au vu de ta puissance, j’étais quasiment certaine que Foudre ici présent connaissait tes origines… et qu’il t’aiderait si nécessaire.
— Pari risqué, grinçai-je.
— Mais nécessaire.
— Tu aurais aussi pu nous en parler.
— Pas vraiment, j’étais sous une clause de confidentialité assez… leiptrienne.
— Ah.
Un frisson remonta le long de mon échine au souvenir du dernier – et seul – que j’avais vu rompre un serment sur le Leiptr, le dieu Vali. J’acquiesçai, songeuse. Je ne lui en voulais pas, pas du tout même. Elle n’avait fait que ce qu’elle pouvait faire, limitée dans ses options, captive d’un devoir et d’un contrat. J’avais agi de la même manière, dans les limites de mes marges de manœuvre, lorsque j’avais été prisonnière chez les Thor.
— Félicitations pour avoir réussi, alors, souris-je finalement en lui tendant une main cordiale.
Elle parut rassurée que je ne lui en tienne pas rigueur.
— Bravo pour avoir survécu jusqu’à maintenant. J’en connais peu comme toi, prêtes à risquer autant, et qui s’en tirent malgré tout.
Je pouffai.
— Je suis encore jeune à notre échelle, rien n’est joué. Mais merci.
Elle me serra la main, en profita pour projeter une onde de magie régénérative dans l’ensemble de mon corps, discrète, délicate, mais si agréable… Je soupirai d’aise alors qu’elle s’éloignait, pivotai vers Levi, qui semblait avoir à peu près fini de reprendre conscience, même si son corps était toujours dans un état déplorable.
— Fini de papoter ? grinça-t-il.
— Ouais.
Je me penchai, l’aidai à s’appuyer sur moi pour se relever.
— T’es pas obligée.
— Oh à la minute où t’as ta magie, je te lâche.
Il ricana, et lentement, esquissa quelques pas tremblants vers le centre de la salle. Son corps, même guéri par la Eir, n’avait que mal supporté les violentes privations dont il avait dû être victime depuis sa capture ; je le portai plus que ne l’aidai pour sortir du corridor où le flux magique était bloqué par les statuettes. Cependant, au moment où il récupéra ses pouvoirs, il se redressa d’un seul coup, littéralement métamorphosé comme je l’avais fait un peu plus tôt. Un rire nerveux, presque hystérique, lui échappa, il tendit les mains devant lui, fit apparaître des flammèches avec l’expression de quelqu’un qui redécouvrait la vie. Je pinçai les lèvres, déchirée de l’intérieur à la vue de la magie qui ne m’était plus accessible. Je voulus me détourner, mais il me rattrapa soudain par l’épaule.
— M… Merci. Je ne…
Je le dévisageai. Son visage anguleux avait retrouvé son aspect sain et nourri, même si son estomac devait maintenant hurler famine. Ses cheveux blonds n’étaient plus une masse filasse, crasseuse et emmêlée ; ils avaient repris leur longueur et leur lustre. Il avait repris sa musculature habituelle, ses tablettes de chocolat qu’il aimait tant et qui transparaissaient entre ses lambeaux de vêtements, et son petit air arrogant qu’il aimait tant. Mais il y avait une humilité nouvelle dans ses yeux, une douleur sans fin qui filtrait depuis les tréfonds de son âme. Je tournai la tête vers l’autel, me souvins de l’odeur métallique qui m’avait enveloppée lorsque j’avais été allongée là-bas. Il n’en restait aucune trace, mais je pouvais m’imaginer la quantité de sang qui y avait coulé. Tous les compagnons de Levi, tous ceux qu’il aurait pu peut-être considérer comme ses amis.
Son sourire s’était terni en suivant mon regard. Il avala sa salive, grimaça, et je ne pus m’empêcher de ressentir une pointe de peine à son égard. Combien en avait-il emmenés avec lui, et combien en avait-il vu mourir ? Une dizaine ? Une vingtaine ? On allait rarement au-delà de ce nombre dans les expéditions hors de Midgard, mais peut-être que pour l’Élu, on avait fait une exception.
Plutôt que de parler, d’essayer de compatir, je préférai me taire et m’éloigner, pour le laisser seul avec sa peine un moment. Il lui faudrait bien plus que ça pour faire son deuil correctement, mais c’était la seule chose que je pouvais lui offrir à l’heure actuelle. Et je n’étais pas certaine que cela suffise.
Je rejoignis Kal au moment où les géants présentaient leurs hommages au nouveau maître de Thrymheim. Quelques uns étaient déjà partis, et quelques uns étaient morts, mais la plus grande majorité semblait pour le moment adhérer à la succession de Gedvog, ne serait-ce que par défaut. J’étais certaine que les alliances seraient reconsidérées sur le long terme, en fonction des priorités et des exigences de chaque clan, mais pour le moment, Gedvog regardait les géants d’un mètre plus grands que lui – dans le meilleur des cas – s’incliner bas, et souriait à ceux qui lui présentaient des félicitations plus sincères que les autres. Il me paraissait jeune, trop jeune pour assumer une telle position, surtout après le massacre qui venait d’avoir lieu, mais quelque chose me disait que je n’avais peut-être pas estimé son âge correctement.
Du côté des anciens esclaves, Jessica avait rassemblé un petit groupe autour d’elle et leur expliquait comment traverser Jötunnheim le plus facilement. Elle semblait avoir compris que, de toute manière, le plus logique était de les inciter à s’esquiver maintenant, tant que la rumeur ne s’était pas encore répandue. Car une troupe d’une trentaine d’humains, dépourvus d’armes et de pouvoirs, au beau milieu de Jötunnheim, ne feraient pas long feu. La nouvelle de la mort de Skadi se propagerait comme une traînée de poudre, et bientôt, tout le monde les guetterait. Et tout nos ennemis communs nous guetteraient. Je grinçai des dents. Il faudrait dans l’idéal qu’on parte aussi tôt que possible aussi, mais d’un autre côté, je n’étais pas certaine que tout le monde soit d’aplomb avant au moins un repas chaud.
Je repris la main de Kal, furetai distraitement dans son esprit pour établir la connexion, tout en écoutant d’une oreille distraite ce qui se racontait chez les jötnar. Ils parlaient déjà de territoires, de patrouilles et de surveillance.
— Il va falloir qu’on y aille, n’est-ce pas ? interrogea Kal.
— Alors oui, mais Levi risque d’avoir besoin au moins d’un vrai repas, et nous, de provisions. Il est quelle heure ?
— Nous étions au dîner lorsque Skadi nous a amenés ici.
— On part à l’aube ?
proposai-je. Si je ne me fais pas encore séquestrer par un quelconque psychopathe anthropophage local, évidemment.

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Dernière modification par vampiredelivres le dim. 18 déc., 2022 9:41 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par louji »

Holaaa

Bon, pour Levi, du coup, ouais voilà :lol:

"L’incompréhension dans sa voix traînante me parût sincère" :arrow: parut

"former un nouveau groupe de polyvalent" :arrow: polyvalentS ?

"C’était la seule manière de s’en sortir, expliqua-je," :arrow: expliquai-je

"Kaiser avait besoin de se débarrasser de tout potentiel Élu" :arrow: cheh, voilà. Cette Kaiser je te jure

Chap 31 j'arriiiive
D'ailleurs la personne blonde qu'on voit à la fin du chap précédent c'est la domestique du coup ?

"Lorsque Kalyan orienta ses sens vers l’un des géants, instinctivement, je focalisait " :arrow: focalisai

Bon, en fin de compte ça s'est pas passé comme je le pensais (qui a trahi, qui était là, etc...) mais c'est bien comme ça aussi :lol:

Skadi, fait
Next ? :roll:

Vrai de vrai, ce combat était rapide mais efficace et très stylé 8-) Je relève notamment la minutie et la technique de Thor, qui sont vachement classes. Avec la puissance de Lily combinée, ils doivent pouvoir faire de sacrés trucs mine de rien.

Je me demande à quel point ça va être chaud maintenant d'ici la fin du tome :roll:
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

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And now it's time… for the real fight.

CHAPITRE 32


Nous convînmes de nous mettre finalement en route à l’aube, après avoir passé la nuit chez le nouveau seigneur de Thrymheim, Gedvog. Il nous avait hébergés sans mot dire – et je n’étais pas certaine qu’il ait eu envie de dire quoi que ce soit au vu de la manière dont nous avions éliminé sa mère et ses frères – et nous avait même renouvelé nos stocks de vivres pour le voyage à venir. Thalia semblait grâce à l’intervention de la fille d’Eir parfaitement remise de sa rencontre avec les géants au bas des montagnes, et Levi était bien plus heureux avec son corps d’origine et un ventre plein, même s’il était impossible de nier que les récents évènements l’avaient affecté bien plus qu’il ne le montrait.
Malgré notre nombre et notre puissance conjointe, nous décidâmes de ne pas utiliser le suspenseur de Kalyan. Les quelques dizaines de kilomètres que nous avions déjà fait avec, lui et moi, nous avaient plus qu’épuisés, et il restait une longue route avant de rejoindre les terres moins dangereuses de Nidavellir. Nous nous mîmes d’accord sur l’idée que commencer le voyage en étant tous déjà vidés de nos réserves magiques était une plus que piètre idée, surtout si nous considérions ce qui nous était déjà arrivé par le passé. Ainsi, Kalyan le rangea à nouveau dans son inventaire avec un improbable effort de puissance et de volonté le soir d’avant, et pour ma part, j’allai récupérer le transmetteur que j’avais dissimulé sur la tourelle. Personne ne me demanda pourquoi je disparus pendant près d’une heure, déterrant à la main l’objet que, sinon, j’aurais pu libérer de son emprise de glace avec ma pyromagie. C’était dans les montagnes d’ici qu’elle me manquait le plus cruellement.
Arza et Jessica nous firent de vrais adieux, Jessica me donna même une pochette d’herbes enchantées qui était censée pouvoir accélérer la guérison des blessures lorsqu’elle était appliquée sur la plaie. Et enfin, un peu comme mes anciens compagnons de prison partant de chez Heimdall – ce qui me semblait avoir été une éternité plus tôt – nous nous emmitouflâmes de nos plus chauds habits et nous dévalâmes les pentes de la montagne à ski. Skadi ayant été la déesse de l’hiver et du ski, son domaine était agrémenté de nombreuses pistes plutôt bien entretenues, même si je ne savais pas comment c’était possible. Toujours était-il que la descente depuis son immense montagne ne posa aucune difficulté. En plus, c’était absurdement bien indiqué. Sur certains conifères au feuillage haut et aux troncs nus, des panneaux avaient été placés à hauteur suffisante pour indiquer les directions des villages les plus proches. Gedvog nous avait également donné des conseils, mais je devais avouer que « prendre à droite par la piste qui contourne la forêt » était une terminologie trop vague pour moi.
J’avais aussi l’émetteur-récepteur-carte dvargen pour nous donner une direction générale, mais il n’était guère utile car il ne référençait pas les variations de terrain. Cependant, au cas où Selvigia et Åke se manifestent un jour, je le gardais allumé en permanence.
Nous voyageâmes une semaine ainsi, à alterner entre bivouacs dans des grottes ou dans des renfoncements montagneux, et journées épuisantes sur les pistes, à skis dotés de peaux de phoque pour gravir les pentes. À chaque fois qu’il s’agissait de dresser le camp, je trouvai une délicate excuse pour ne pas avoir à justifier mon incapacité à user de pyromagie, et refourguai l’allumage des feux de camp à Levi. Souvent, je prétextai chasser des oiseaux ou poser des collets. Thalia s’occupait d’essayer d’extraire des racines ou des feuilles comestibles, et elle nous faisait souvent une bouillie d’épines d’un quelconque arbre local qui n’était au final pas mauvaise si elle était bien assaisonnée. Nous vivions autant sur les réserves que nous avait données Gedvog que sur ce que nous trouvions dans les environs, et étrangement, l’humeur dans le groupe était au beau fixe. Il n’y eut aucun conflit, certainement parce que Thalia et Kalyan se connaissaient déjà depuis longtemps, et que Levi savait s’intégrer, au combien il me coûtait de l’admettre. Il eut même la décence de ne poser absolument aucune question sur Kalyan et moi, se contentant d’accepter la situation entre nous comme s’il n’y avait aucun problème.
Et puis finalement, après une semaine épuisante, mais dépourvue de mauvaises rencontres – l’histoire qui avait certainement circulé à notre sujet devait au moins tenir les quelques belliqueux à distance de notre petit groupe – nous finîmes par atteindre la bordure des montagnes. Au-delà, il y avait de larges collines, encore bien des obstacles à parcourir certainement… mais il n’y avait plus de neige. Ce soir-là, nous campâmes pour la première fois sous les étoiles, malgré la fraîcheur de l’air.

— Max ? relevai-je avec stupeur lorsque je les vis tous assis autour du feu le lendemain matin.
J’avais été la dernière à me lever, et tout le monde était déjà bien installé pour un solide petit-déjeuner dans la matinée orageuse. Le ciel était d’un gris aussi sombre que l’humeur de Max, apparemment, parce que quand il me vit, il me fusilla du regard, et le silence équivoque dont il me gratifia me fit bien comprendre qu’il n’avait absolument pas oublié.
— Bonjour tout le monde, finis-je par soupirer quand il garda le silence.
— Yo.
— Salut.
— Lily !
Selvigia se redressa d’un bond, me fonça dessus, et m’enveloppa dans une étreinte aussi chaude et imprévue que bienvenue. Je le lui rendis avec affection, un immense sourire aux lèvres.
— Ça fait plaisir de te revoir, chuchota-t-elle discrètement. Et Max te fait la gueule pour la forme, il va très bien.
La remarque me tira un bref rire, puis je me détachai d’elle et allai m’asseoir dans à la seule place libre qui m’avait été laissée, entre elle et Kalyan. Åke m’adressa un bref hochement de tête lorsque je passai à ses côtés, Max détourna la tête ostensiblement, mais je vis l’ombre d’un sourire jouer sur ses lèvres.
— Vous êtes arrivés quand ?
— Cette nuit, mais on ne voulait pas vous réveiller. Vous allez vers Thrymheim ?
Åke semblait avoir une farouche envie d’en découdre, et je me sentis presque désolée d’avoir à lui annoncer qu’il n’aurait pas l’occasion de le faire.
— Vous arrivez après la guerre… On en revient, Skadi est morte.
Selvigia se permit un bref rire, ponctué d’un applaudissement.
— C’est parfait, ça nous évitera le détour.
— Attendez, quoi ?
Max sembla d’un seul coup se réveiller de sa léthargie grincheuse.
— Skadi… genre… la Skadi ?
Je ricanai, lui adressai un grand sourire.
— Tiens, tu parles toi ? Ouais, la Skadi, la géante de l’hiver.
— Mais vous…
— C’est compliqué. Je ne m’attarderais pas trop dessus à ta place.
— Ah mais du coup vous partiez où ? intervint Selvigia, songeuse.
— Loin d’ici, soupira Thalia avec une grimace. Les guerres territoriales ne devraient pas tarder, connaissant les populations locales. Et la chasse aux esclaves échappés va démarrer aussi.
— Ah, vous avez libéré les esclaves ? releva Åke avec une moue perplexe.
Je m’abstins de lui demander comment il savait. Il avait quatre mille ans après tout, et moi je n’étais qu’une novice dans les voyages intermondiaux.
— On va vers où, alors ? finit par demander Selvigia.
— Nidavellir ? suggérai-je. Et ensuite, on avisera en fonction des objectifs et des besoins de chacun.
La proposition fut approuvée de nombreux hochements de tête qui me rassérénèrent quelque peu. Je jetai un bref coup d’œil à Selvigia en haussant les sourcils, l’interrogeant en silence comment s’était passé leur partie du voyage à Jötunheim. Elle secoua la tête, l’air de me dire que nous en parlerions plus tard, et je décidai d’arrêter de poser des questions et de manger mon petit-déjeuner comme tout le monde. La matinée passa en un battement de cils, entre discussions et chamailleries. Max avait abandonné son mutisme grincheux et il me charriait désormais comme avant, ce qui me rassurait sur le fait que je ne l’aie pas tant vexé que ça, finalement. Nous trouvâmes bien vite dans l’ensemble un nouvel équilibre de groupe, et bientôt, nous fûmes prêts à repartir.
La demi-journée de voyage passa vite, et en milieu d’un après-midi qui commençait à s’annoncer orageux, nous allions atteindre une petite forêt lorsque Kal appela à un arrêt.
— On a un problème, annonça-t-il, l’air sombre.
Il désigna le nuage noir, chargé d’électricité, droit devant nous, et je fronçai les sourcils. Un orage ? Il y eut un moment de flottement dans le groupe, une incertitude quant à l’identification de ce soudain danger. Puis, un grondement déchira l’air, un éclair flasha dans l’intérieur du nuage, découpant dans un contre-jour terrifiant la silhouette d’un char tiré par des bêtes cornues, et soudain, mon estomac sombra dans mes talons.
— Oh Freyr tout puissant… gémit Thalia en comprenant elle aussi. Faut qu’on file.
Elle agrippa la main de Max, et elle était sur le point de partir en courant, quand un second arc de foudre explosa dans le ciel, déchirant nos oreilles, et que l’éclair mit feu aux arbres à une centaine de mètres de là. La fille de Freyr se figea, comme paralysée, un couinement de terreur lui échappa. Sa prise sur la main de Max blêmit jusqu’à ce que ses phalanges se fassent blanches, elle se raccrocha à lui comme si elle craignait de se noyer.
— C’est nous qu’il cherche… réalisai-je, livide.
Et, au vu de la vitesse à laquelle il approchait, nous n’avions pas le temps de fuir. Au mieux, nous avions dix minutes pour essayer de préparer un semblant de plan, décider si nous devions tomber à genoux et supplier ou essayer de nous battre et tenir quelques battements de cœur. Car fuir dans les collines, se séparer, n’était clairement pas une option envisageable.
Comme de juste, un troisième éclair embrasa un autre pan de la forêt comme si ce n’étaient que des brindilles sèches, coupant effectivement toute retraite à tous ceux qui étaient à pied. Ne laisse personne derrière, songeai-je avec une amertume cynique en repensant à tous mes entraînements. Ce mantra, je le paierais un jour de ma vie, j’en devenais de plus en plus certaine chaque jour qui passait ici.
— Ton suspenseur ? demandai-je à Kal dans un espoir que je savais vain.
— Il nous explosera en plein ciel.
Cela aurait été trop beau de pouvoir fuir ainsi, évidemment.
— Bon, qui veut plaider à genoux ? osa Levi avec une voix d’outre-tombe. Même si je doute qu’il connaisse la pitié.
Mon esprit s’était fait liquide, mes pensées tourbillonnaient comme les rapides d’une rivière trop profonde. J’étais incapable d’accrocher une idée cohérente, une esquisse de solution. Derrière nous, le brasier lointain rugissait, interdisant la fuite ; devant nous, le nuage dans lequel Thor était enveloppé se rapprochait à une vitesse effarante. Thor, le dieu de l’orage, la terreur des géants. Qui voulait-il réellement, Levi, l’Élu officiel ? Moi, la meurtrière de Skadi ? Cela n’importait guère, au fond, il était bien plus puissant que ses enfants que nous avions l’habitude d’affronter à la Confrérie.
L’idée des stratégies de la Confrérie parvint à soulever un remous dans le tourbillon chaotique de mes réflexions, auquel je me raccrochai immédiatement.
— Strat’ thurisaz-14 ? interrogeai-je.
Selvigia fronça un sourcil, Levi blêmit encore plus que je ne le crus possible, Åke leva les yeux au ciel.
— Tu ne comptes sérieusement pas…
— De toute façon, on va mourir, contrai-je avant qu’il n’ait le temps de finir. J’aimerais bien croire qu’on peut y arriver, mais c’est irréaliste. Alors autant essayer de gagner du temps.
Contre des légions entière de géants, Thor agitait son marteau et le monde s’effondrait. À côté, nous n’étions que des fourmis, nous allions nous faire écraser. Mais le fatalisme de cette certitude avait quelque chose de bon, parce qu’il ouvrait la porte aux pires-meilleures idées de plans. Thurisaz-14 était un plan d’immobilisation de l’adversaire. J’avais des seringues de somnifères, mais il faudrait certainement des doses de cheval pour assommer une brute comme Thor, ou au moins le ralentir quelque peu. Et, au vu de la résignation ambiante, c’était la meilleure idée que nous avions, à défaut de pouvoir fuir.
Le temps que j’explique la stratégie, l’orage était depuis longtemps sur nous. Les vastes collines avaient disparu dans un nuage de brume épaisse, poisseuse, le ciel s’était obscurci. Tout mon champ de vision, à part les personnes présentes autour de moi, se déclinait en nuances de gris. Le tonnerre grondait à intervalles réguliers, des arcs d’électricité épais déchiraient la pénombre grisâtre.
— Tout le monde a compris ?
Je ne reçus que des approbations muettes ou alors de vagues grognements.
Il y eut un moment de silence, une indicible tension dans l’air, quelques instants seulement, tandis que le dieu descendait de son chariot. Je retins mon souffle, anxieuse, consultai Kalyan d’un bref coup d’œil. Ses iris azur étaient ombrageux, emplis d’un profond ressentiment. À sa gauche, Max faisait nerveusement passer son poids d’un pied sur l’autre, conscient que, malgré notre indéniable avantage numérique, notre entreprise relevait toujours d’une pure folie. Nous allions affronter un Ase en pleine possession de ses pouvoirs. Et pas n’importe lequel : seulement le plus puissant d’entre eux tous.
Le grondement de l’orage se rapprochait à une vitesse effarante. Un sinistre coup de tonnerre résonna, et une pluie diluvienne se mit soudain à tomber, nous trempant tous jusqu’aux os en moins de deux secondes. Je jetai un regard sur le côté, en direction d’Åke, Selvigia et Thalia, qui guettaient l’horizon brumeux, les sourcils figés, stoïques malgré les torrents d’eaux qui s’abattaient sur nos épaules. Ma sœur ne me regarda qu’une fraction de seconde, le temps de m’adresser un clin d’œil accompagné d’un rictus crispé qui traduisait sa nervosité. Mon cœur se mit à cogner dans ma poitrine, incontrôlable, quand une forme humaine, massive, émergea de l’obscurité des nuages. Glacée par un mauvais pressentiment, je dus batailler pour contenir un mouvement de recul instinctif.
Dire que Thor était grand aurait été un gentil euphémisme. C’était de loin le plus immense des hommes que j’avais rencontrés. Le sommet de son crâne rasé avoisinait facilement les deux mètres trente, et sa massive carrure de combattant aurait fait peur à un bodybuilder professionnel. Ses muscles noueux et épais, dégoulinants d’eau de pluie, étaient déjà tendus alors que les combats n’avaient pas encore commencé. Il ne portait qu’un pantalon de cuir sombre et, à l’exception d’une lourde pelisse drapée au-dessus de ses épaules et par-dessus sa tête, rien ne couvrait son torse marqué de tatouages gris-noirs à l’allure délavée. Comparé aux géants que j’avais rencontré un peu plus tôt, il paraissait presque pouvoir faire le poids par sa simple carrure.
Une étincelle de fureur maîtrisée illuminait ses yeux, mais il n’ouvrit pas les hostilités sur-le-champ. Au lieu de cela, son regard électrique brûlant, aigu et perçant, voltigea brièvement entre les membres de notre groupe hétéroclite, s’attarda une fraction de seconde sur chacun d’entre nous, l’air pensif et calculateur. Pour ma part, je détaillai ses cheveux roux-blonds qui poussaient en-dessous de la ligne de ses oreilles, plaqués contre sa peau par la pluie battante, et sa barbe de la même teinte, tressée avec soin. J’aurais aimé pouvoir dire que, comme Vali, il n’était qu’une brute épaisse, avide de sang et de violence, mais l’attention discrète qu’il portait à son allure, ainsi que la maîtrise qui irradiait de sa posture, m’obligeaient à réexaminer cette idée préconçue.
— Kalyan, comment vas-tu ? demanda-t-il, ignorant presque totalement la présence des autres.
Kal se mordit la lèvre inférieure, le visage figé en une expression que je ne savais guère déchiffrer. Il paraissait à la fois perplexe et en colère, une colère teintée d’une pointe d’inquiétude. Son regard voltigea brièvement vers moi, ses traits s’adoucirent presque imperceptiblement, il sembla faire un choix.
— J’aurais préféré ne pas vous croiser, père, si c’est pour éviter un sermon comme vous avez l’habitude de m’en faire, mais je suppose que maintenant qu’on est là…
Le dieu inclina la tête sur le côté, l’air d’accepter ses remontrances. Kal n’avait pas réussi à effacer totalement la pointe accusatrice de son ton, mais Thor n’y réagit pas.
— Je ne voulais pas te sermonner, mais…
— Ah ? Pas de remarque sur mon départ de la Maison ? releva le blond, cette fois un peu plus remonté. Pas de critique sur… l’incident ? Ne me dites pas que Björn ne vous en a pas parlé.
Thor ricana sèchement, basculant lui aussi sur une défensive agressive. J’avais soudain l’impression de voir deux loups face à face, l’un massif et brutal, mastodonte de muscles et de violence, l’autre un peu plus petit et fin, mais à peine moins dangereux. Ils n’avaient pas encore sorti les crocs, mais on n’était plus très loin. Et la seule chose que nous pouvions faire était attendre.
— Il m’en a parlé. Et, si je ne m’abuse, c’est elle la fameuse fille de Loki qui s’est échappée ?
Je hochai doucement la tête, la mâchoire serrée.
— Sache, fils, que je n’ai jamais approuvé cette entente entre vous et la Confrérie. Mais je suppose que, au moins, votre petit bazar aura su mettre un terme à tout ça. Je serais presque navré que tu aies eu à en pâtir, ajouta-t-il en rivant ses yeux dans les miens.
Sa sollicitude sonnait aussi fausse que mes premiers mensonges à Ekrest, quinze années auparavant. Je souris et acquiesçai à haute voix, redirigeant la totalité de son attention sur moi :
— Presque.
— Ne m’en demande pas trop non plus.
— Je n’oserais jamais. Après tout, vous aussi vous comprenez l’intérêt des alliances de circonstance.
Il grinça des dents tandis que, à cause de mon ton effronté et mes réponses directes, mes battements de cœur décollaient. Je faisais face, mais la peur insidieuse et la colère brûlante continuaient à dévorer mes entrailles. J’osais ce que je n’aurais jamais dû oser. Je l’attaquais sur son alliance avec Skadi, celle qui avait mené à l’emprisonnement de Loki. Une alliance contre-nature entre des dieux et une géante.
— J’admets que cela doit bien être la première fois que je vois une telle alliance se dresser contre moi.
Sa voix roula telle un doux grondement de tonnerre, basse mais clairement audible par-dessus les claquements des gouttes d’eau qui s’abattaient violemment sur les rochers. Un frisson courut le long de mon échine, je levai le menton.
— Ce n’était pas contre vous, à l’origine.
Thor inclina la tête, un léger sourire aux lèvres, riva son regard sur moi.
— Vrai, convint-il. Mais je ne peux vous laisser repartir ainsi, pas après ce qui est arrivé à Skadi.
Son assurance tranquille me fit clairement reconsidérer l’idée honteuse de filer à toutes jambes, et il dut s’en apercevoir, car il ajouta avec un rictus mauvais :
— Si vous vous inclinez maintenant, je peux encore me montrer clément.
Åke ricana durement, amer, et Kalyan fronça le nez, l’air sceptique.
— Aussi clément que lorsque tu as ordonné l’assassinat d’une gamine de quatre ans ? cingla-t-il.
— Curieuse forme de loyauté que de contester publiquement les ordres de son père, rétorqua Thor en le fusillant du regard.
— Si nous t’obéissions aveuglément, nous serions tes soldats, pas tes enfants.
Le dieu broncha en voyant que son fils ne se démontait pas. Ses yeux électriques firent la navette au sein de notre groupe, cherchant les liens, évaluant les failles potentielles, et je me bénis silencieusement de ne pas m’être placée aux côtés du blond comme j’en avais eu l’intention.
— Lequel d’entre vous est l’Élu ? interrogea Thor de but en blanc, provoquant un moment de flottement au sein des non-Loki.
Face à notre silence stoïque, il haussa bien vite les épaules, l’air ennuyé.
— Peu importe, après tout. Vous mourrez tous aujourd’hui.
Il leva le bras, et nous eûmes tout juste le temps de joindre nos paumes selon la configuration établie avant que les épais nuages sombres au-dessus de nos têtes ne s’illuminent de blanc. Une violente détonation claqua dans mes oreilles quand le dieu abaissa son bras, guidant la foudre vers notre petit groupe. La peau de mes bras se hérissa, l’ozone envahit mes narines. Les yeux fermés, mes doigts serrés sur le poignet de Kal, aveuglée malgré mes paupières closes, je me fondis dans les perceptions magiques du fils de Thor, frissonnai en sentant l’énergie accumulée dans le ciel, vibrante, crépitante, qui n’attendait que d’être libérée. La foudre s’écrasa brutalement sur le bouclier érigé depuis longtemps par Selvigia, Levi, Åke, Max et Thalia, l’enveloppa comme de l’eau ruisselant sur un dôme de verre. Thor sourcilla, stupéfait par cette soudaine cohésion et, avec une aisance décuplée par sa rage et ma puissance magique, Kalyan s’empara brutalement du contrôle de l’éclair et le redirigea vers son père. Totalement pris au dépourvu, ce dernier eut tout juste le temps de croiser les bras devant lui pour bloquer l’assaut. Une intense onde d’énergie parcourut l’air, me coupa le souffle et me fit vaciller, mais je parvins à rester debout.
Puis, alors que le dieu encaissait lentement le choc de ne pas avoir instantanément vaporisé un groupe de misérables avortons demi-divins, nous passâmes à l’action. Thalia, grâce à la force conjointe d’Ake, Selvigia, Levi et Max, fit jaillir du sol rocailleux une nuée de ronces qui s’enroulèrent autour des pieds de notre adversaire, tandis que Max condensait dans le même temps l’eau de pluie en une boule de liquide qu’il projeta au visage de Thor, et enferma sa tête dedans. Le dieu, pris au piège du liquide, relâcha totalement son contrôle sur l’orage, et Kal s’engouffra dans cette faille sans aucune hésitation. De sa volonté froide, inflexible, appuyée par ma force magique, il amassa une nouvelle charge électrique dans l’épais nuage noir, la contint jusqu’au dernier moment, jusqu’à ce qu’elle échappe presque à son contrôle, puis infléchit simplement sa course spontanée vers le sol en direction de son père. Le flash aveuglant brûla ma rétine, je ne rouvris un œil prudent qu’après le coup, pour vérifier l’état de la situation.
Touché mais pas blessé, Thor s’ébroua, poussa un grondement de bête féroce et fit apparaître un large marteau au manche court. Je serrai les dents, l’angoisse se déversa dans mes veines. Au corps à corps, aucun d’entre nous n’avait sa chance, mais nous ne parviendrions plus à le maintenir à distance bien longtemps. Une sincère peur, pour ma vie comme pour celle des autres, me coupa le souffle.
Comme pour me donner raison, l’immense montagne de muscles s’élança vers notre petit groupe en rugissant sauvagement. Les ronces qui l’avaient retenu se disloquèrent à sa première enjambée, telles des cordelettes fragiles.
— Maintenant ! hurlai-je.
Nous nous dispersâmes comme une volée de moineaux effarouchés. Kalyan et moi piquâmes un sprint vers la gauche, Max et Thalia filèrent à droite, et Selvigia, Ake et Levi se métamorphosèrent en oiseaux. Thor freina des quatre fers à l’endroit où nous nous étions précédemment tenus, jaugea les duos que nous avions formés. J’affrontai un instant ses yeux orageux. Un rictus mauvais tordit son visage, il s’élança vers le Njörd et la Freyr.
Il ne fit pas trois pas avant de se faire brutalement projeter à terre par un double jet de magie qui le frappa dans le dos, et Max et Thalia n’hésitèrent pas plus. Une nouvelle gerbe de lianes épineuses jaillit du sol pour l’y clouer et, à voir son visage soudain congestionné, sa trachée devait être obstruée par la flotte. De sa bouche ne sortit qu’un gargouillis étranglé, il se mit à se tortiller pour échapper à l’emprise des Vanir. L’un des trois oiseaux plongea en piqué, ses plumes noires scintillant dans l’éclat de la foudre naturelle qui illuminait les nuages de l’intérieur. Un frisson courut le long de mon échine, hérissant mes poils d’un mauvais pressentiment. Je voulus crier, mais trop tard. Une brutale déflagration d’énergie pure nous envoya tous dans le décor.
L’espace d’une fraction de seconde, ciel et terre se confondirent devant mes yeux en un tourbillon grisâtre, et mes sens se déconnectèrent. Quand je repris connaissance, j’étais au sol, le bras gauche tordu sous le poids de mon corps, les oreilles vrillées par un sifflement aigu et douloureux. Une sourde douleur vint m’aiguiller la poitrine, que je reconnus comme celle d’un volet costal, mais je la repoussai d’une pénible torsion de la volonté. Rétrogradée à l’état de détail, la souffrance devint presque accessoire quand je me redressai, les dents serrées.
J’avais cessé de chercher du regard mes alliés. Ils gisaient tous dans un rayon de vingt mètres environ, plus ou moins conscients. Et, au centre de ce même cercle, Thor se redressait, menaçant, chargeait un nouvel éclair qui nous pulvériserait tous.
Haletante, je décochai un violent jet d’énergie en direction de Thor pour interrompre son attaque. Il encaissa le coup en silence, pivota vers moi, et j’étouffai un grognement en réalisant que j’étais devenue la cible prioritaire. Il tendit le bras. Un arc d’électricité fusa de ses doigts, à la hauteur de ma poitrine. Je bondis stratégiquement du côté de Kalyan, roulai dans l’herbe détrempée, grimaçai à cause de mes multiples côtes brisées, secouai la tête pour éclaircir mes pensées.
Le fils de Thor demeurait trop loin pour que je l’atteigne avant de me faire carboniser. Mais, heureusement pour moi, quelqu’un d’autre avait déjà repris ses esprits, et parvint à distraire Thor d’une flèche bien ajustée dans la cuisse avant qu’il ne me vaporise. Je levai la tête, repérai Åke qui frappait violemment le dieu d’une décharge de magie, appuyé par Levi, ce qui m’arracha un haussement de sourcils instinctif. Lui et sa lâcheté, j’aurais cru qu’ils seraient déjà loin.
Mon cœur frappait erratiquement contre ma cage thoracique en miettes, chaque nouvelle pulsation provoquait une intense vague de souffrance qui paralysait un instant mon esprit. Le souffle court, j’assistai à une série de violents échanges de jets d’énergie qui fusaient dans tous les sens, ainsi qu’à la formation d’un nouveau groupuscule, un peu plus puissant que les autres : Kalyan et Åke. Par un quelconque miracle, mon demi-frère avait mis sa haine de côté, probablement conscient de l’importance de la situation. L’éclair conjugué qu’ils formèrent et qui s’abattit sur la tête du dieu fut d’une puissance effarante, même s’il laissa le duo exsangue.
— Faut qu’on l’immobilise, souffla soudain une voix féminine sur ma gauche.
Je tournai la tête, croisai le regard turquoise déterminé, quoique empli d’appréhension, de Selvigia. J’acquiesçai d’un signe sec, un peu plus raide que d’habitude, et elle esquissa un léger rictus narquois.
— Plus tard. Stratégie thurisaz-19 ? interrogea-t-elle.
Froncement de nez. Je tergiversai quelques instants, le temps de me remémorer les spécificités du schéma qu’elle avait suggéré, finis par approuver quand une idée lumineuse éclaira mes pensées.
— Un, décidai-je en la désignant, deux pour moi et trois pour Levi.
Nos regards se croisèrent, nous nous comprîmes. Elle sourit, fila se positionner de l’autre côté de notre adversaire, dissimulée par une illusion d’invisibilité, tandis que je me mettais à la recherche de l’Élu.
Dans l’obscurité et la pluie battante, fréquemment traversées de flashs lumineux, reconnaître sa silhouette distante fut ardu, mais une fois que j’eus repéré sa tignasse blond cendré plaquée contre son crâne, je ne réfléchis pas plus et m’élançai. Je le rejoignis alors qu’il projetait un petit jet d’énergie vers Thor, l’attrapai par l’épaule, esquivai de justesse la droite instinctive qu’il voulut m’asséner. Quand il se rendit compte de son erreur, ses yeux s’écarquillèrent, il voulut s’excuser. Je l’interrompis, pressée :
— Thurisaz-19, tu prends le trois.
Levi eut un bref moment de latence tandis que son esprit assignait l’ordre aux souvenirs des stratégies communes de la Confrérie, puis il acquiesça.
— Selv’ prend le un, ajoutai-je avant de me détourner.
Je me métamorphosai en faucon d’un mouvement fluide. Le vent et la pluie fouettèrent mes plumes, je pris mon essor en direction des nuages sombres.
Thurisaz-19 était un plan conçu pour affronter des enfants de Thor classés F1 – ceux qui manipulaient aisément la foudre – de préférence sans les tuer et sans faire trop de dommages collatéraux. Bien sûr, il fallait adapter le plan à la puissance de notre adversaire actuel, dix fois plus fort que le plus dangereux de ses enfants, et je n’étais pas certaine que certains enchaînements spécifiques soient exécutables ici. Mais il fallait essayer.
De ma position haut dans le ciel, et avec ma vue acérée de faucon, je repérai Selvigia qui était déjà à sa place, et Levi qui se positionnait à soixante degrés à sa gauche. Je poussai un cri strident.
Par habitude, le dieu leva la tête, me vit. Un éclair fusa de ses doigts mais, préparée à l’assaut, je l’esquivai avec aisance. Profitant de sa distraction momentanée, Selvie et Levi encochèrent chacun une flèche, visèrent, et touchèrent leur cible. L’épaule et la cuisse transpercées, Thor rugit de douleur, se replia légèrement sur lui-même. Haut au-dessus de sa tête, je redevins brièvement humaine, le temps de projeter dans sa direction un jet d’énergie qui l’aplatit au sol, puis je revins à ma forme aviaire et repris la hauteur que j’avais perdue en deux secondes de chute libre. Deux nouvelles flèches fusèrent, à une demi-seconde de décalage, quand l’ennemi voulut se redresser, il ne les esquiva que par chance. Je réitérai ma manœuvre : transformation, rayon, transformation. Il s’étala à nouveau à terre. La scène se répéta encore une fois.
Les autres, remarquant notre manège, s’y adaptèrent. Un autre oiseau aux yeux turquoise, Åke, me rejoignit dans le ciel, et s’intercala dans mon rythme un brin imprévisible. Au sol, Kalyan, Max et Thalia se dispersèrent pour former avec Selvigia et Levi un tiers de cercle autour du dieu, de manière à ne pas accidentellement toucher un allié si le dieu esquivait, et ils rajoutèrent des assauts physiques et magiques au cycle arythmique déjà établi.
Durant une bonne vingtaine de secondes, Thor ne put se relever durant plus d’un battement de cœur. Que ce soit une flèche, un jet d’eau, un arc électrique, une liane ou un rayon d’énergie, il y avait toujours quelque chose pour le frapper dans le dos. Nous ne lui laissions aucun répit, pas même un instant pour éviter qu’il ne reprenne ses esprits.
Néanmoins, malgré nos efforts, il finit par exploser. Littéralement. Une onde de choc, semblable à celle qui nous avait envoyés valser la première fois, propulsa ceux qui étaient au sol en arrière. Les nuages s’illuminèrent, le ciel s’ouvrit sur une lumière blanche digne de Muspellheim, l’ozone piquant me brûla la gorge. Je projetai un dernier jet de magie qui manqua sa cible, me couvris d’un bouclier thermique, me transformai en fourmi volante à l’ultime seconde. L’air s’embrasa, la foudre remonta depuis la terre, à la recherche des cibles qui avaient minimisé leur taille pour lui échapper. Je repliai mes ailes, me laissai tomber, sentis la chaleur des courants qui m’auraient carbonisée si je ne m’étais pas protégée de la chaleur. L’électricité qui m’effleurait me manqua plusieurs fois de peu.
Puis, la température retomba, je redevins humaine, percutai Thor de plein fouet. Nous nous écrasâmes tous les deux au sol, et je roulai sur le côté le plus vite possible malgré la douleur de l’atterrissage qui me déchirait les hanches et les genoux.
Il se redressa, et je voltigeai, esquivai de justesse la décharge qu’il projetait. Un rictus appréciateur se peignit sur son visage, je me pris à sourire. Ses yeux ciel étincelèrent, Mjöllnir apparut dans sa main, fusa droit vers ma tête. J’esquivai le marteau qui m’aurait fracassé le crâne, mais me pliai à l’impact du pied dans mon torse. Le volet costal réparé par mes métamorphoses successives se rompit à nouveau, je hurlai de douleur. Thor m’agrippa par les cheveux, leva le bras. Quelqu’un voulut s’interposer, se prit le coup à ma place. Au sinistre craquement de multiples os, je sus instinctivement que, qui que ce soit, la blessure était fatale. Une soudaine terreur se mit à pulser dans mes veine. Je fis apparaître une dague, sectionnai mes cheveux pour me libérer de l’emprise de mon adversaire, fis volte-face, plantai la pointe dans son épaule et la retirai brutalement.
Je ne réfléchissais plus. Mon cœur pulsait, pompait l’adrénaline dans tout mon système. Je sentais les plus insignifiants de mes muscles, prévoyais les coups en lisant les plus infimes regards et mouvements du dieu. J’étais en phase, dans l’instant présent. Pas une seconde d’avance, pas une seconde de retard, la cadence parfaite avec mon corps.
Mes gestes suivants furent fluides, mille fois répétés à l’entraînement. Je me glissai sous le bras tendu, cadenassai mes jambes autour du bassin de Thor, augmentai drastiquement ma masse corporelle. Pris au dépourvu par le poids soudain sur son flanc droit, il esquissa quelques pas vacillants sur le côté, se prit les pieds dans le corps inerte qui avait encaissé son coup de marteau, bascula. Je devins mouche le temps de sa chute, redevins humaine quand il cogna contre le sol, frappai violemment, un poing après l’autre, dans son visage. Son nez explosa, suivi de son arcade sourcilière et de sa mâchoire, il poussa un gémissement inarticulé. Un violent jet d’énergie jailli de sa paume tournée vers moi m’envoya valdinguer dans le décor telle un vulgaire fétu de paille. Mais, comme je m’éloignais de Thor contre mon gré, Kal et Max, mains jointes, aplatirent à nouveau d’un éclair le dieu qui tentait de se relever.
Éreintée, le crâne bourdonnant, je pris deux secondes pour souffler, et une question s’imposa à mon esprit embrumé. Qui était ce corps près de l’Ase ?
Je me redressai péniblement sur un coude, la vision floutée par la pluie et les chocs encaissés, tentai de faire un rapide décompte des alliés que je voyais. Kalyan et Max étaient côte à côte, Åke et Thalia se concertaient, mais Selv et Levi manquaient à l’appel.
Un grondement résonna dans l’air comme le son d’un glas, je voulus tourner la tête vers Thor et le corps, mais un flash de lumière m’aveugla. Quand je pus à nouveau ouvrir les yeux sans voir autre chose que du blanc, Thalia se tenait campée devant moi. Ses cheveux neige, maculés de sang et de boue poussiéreuse, collaient à son front, sa posture était crispée. Un flot sombre coulait de son épaule tordue en un angle inhabituel. Quand elle parla, sa voix fut comme deux rocs qui s’entrechoquaient, crissante, sèche et agressive :
— Je me casse, avertit-elle.
— Ouais… haletai-je, caustique. Et une fois qu’il nous aura achevés, il se lancera à ta poursuite.
— Il nous tuera tous de toute façon.
— Autant crever en essayant alors. Non ?
Une étincelle de doute fugace passa dans ses iris verts brillants, et je souris en tendant la main vers elle pour qu’elle m’aide à me redresser. Elle me la prit avec une hésitation circonspecte, me tira vers le haut, grimaça ostensiblement.
— Si je meurs aussi stupidement, tu deviens ma thrall à Helheim jusqu’au Ragnarök.
Je ricanai, gardai sa paume serrée dans la mienne lorsqu’elle fit mine de me lâcher.
— Merci, soufflai-je.
Elle esquissa un amer sourire, tira pour se libérer de ma poigne. Je la laissai s’échapper, fermai les yeux pour construire un bouclier d’invisibilité autour de mon corps. Le combat était loin d’être terminé.
Thor n’était pas comme mes adversaires traditionnels, avec qui je pouvais me permettre de me porter au corps-à-corps. Avec lui, si j’osais m’approcher de trop près, je me ferais mortellement électrocuter au premier contact. Qu’il ne l’ait pas fait jusque-là signifiait simplement que, malgré ses difficultés, il était encore certain de nous vaincre. Cela ne voulait cependant pas dire qu’il était totalement invulnérable, et j’avais encore en main une carte qui pourrait faire pencher la balance en notre faveur.
Avant cependant, il fallait que je vérifie quelque chose.

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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

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CHAPITRE 33


Les coups successifs avaient quelque peu écarté Thor de l’endroit où je l’avais combattu, et donc de l’endroit où gisait le corps. En m’approchant, couverte de mon bouclier d’invisibilité, je découvris avec horreur que les corps étaient en vérité au nombre de deux, mais qu’un seul bougeait encore un peu. Un frisson de terreur courut le long de mon échine, je rivai mon regard dans les yeux de ma sœur, voilés par le sang et la douleur. Sa respiration était lente et lourde, celle de quelqu’un qui récupérait d’un violent choc.
Mais, plus inquiétant encore peut-être était Levi, étendu face contre terre, totalement inerte. Je serrai les dents, m’accroupis à ses côtés, l’attrapai par l’épaule et le genou pour le retourner sur le dos en ahanant, avant de prendre son pouls à la carotide. J’avais un mauvais pressentiment.
Le pouls, ténu mais présent, me rasséréna quelque peu. Personne ne méritait de mourir sous les coups de Thor, sauf peut-être les Jötnar anthropophages. Et encore.
Après m’être assurée qu’il respirait correctement, je le basculai en position latérale de sécurité – assassin et secouriste allaient de pair d’après Ekrest – puis me déplaçai à côté de Selvigia et redevins visible. En me voyant apparaître, si proche, elle esquissa un sincère sourire heureux, que je lui rendis péniblement.
— Ça va ? m’enquis-je.
Une moue, accompagnée d’un froncement de nez, lui échappa.
— J’ai connu mieux.
La terre trembla en écho, je grinçai des dents. Il fallait qu’on se bouge toutes les deux. Très vite.
— Allez, debout ! la pressai-je.
Elle hésita, un quart de seconde seulement, suffisamment pour ramener à la surface le malaise que j’avais ressenti en voyant leurs deux corps étalés au sol.
— Je ne peux pas…
Mon estomac tomba dans mes talons. Cette appréhension qui avait persisté malgré le fait que Levi soit vivant m’étreignit à nouveau le cœur, je me rappelai le choc violent, les craquements. Son visage était pâle, blanc comme neige, ses yeux cernés, ses lèvres desséchées, déformées par un rictus.
— Comment ça ?
Il y avait un brin de détresse et de déni dans ma voix. En l’entendant, Selv sourit, l’air sincèrement attristée, mais quand elle parla, ses mots étaient durs, violents.
— Colonne vertébrale brisée. Deuxième ou troisième lombaire, je ne sais pas, mais je ne sens plus mes jambes. Et au vu de l’énergie que la magie me demande, je dois avoir une sale hémo interne.
Sous le choc, je tombai à genoux sur les rochers noyés par la pluie. La douleur irradia dans mes jambes, mais je la sentis à peine. Une terreur pure, primitive, s’était mise à pulser dans mes veines. Je ne pouvais pas perdre Selvigia, pas ici, pas maintenant. Je pris sa main étalée sur la pierre, frissonnai au contact de ses doigts glacés.
— J’ai l’impression d’être une cancéreuse en phase terminale, vu ta tête… ricana-t-elle amèrement.
— Dis-moi que tu ne vas pas me faire des confessions terrifiantes qui seront trop commodément interrompues par ta mort soudaine et imprévue… grinçai-je, mi-figue mi-raisin.
Elle pouffa. Un son faible, rauque, qui me donna l’impression que mes entrailles se liquéfiaient.
— Non… je n’en ai plus pour longtemps, mais pas à ce point-là. Mais… j’ai bien des choses à te dire.
Je gardai le silence, la regardai, attendant qu’elle se lance. Je devinais, à ses prunelles troubles et son pouls filant qu’elle n’était plus très loin du chemin qui menait vers Helheim.
— À propos de Vanessa…
Je cillai, et elle laissa sa main retomber sur le côté, près de moi. Un simple geste semblait pourtant lui coûter tant d’efforts. J’entremêlai à nouveau mes doigts aux siens, serrai fort. Cette fois-ci, un véritable sourire se peignit sur son visage.
— Avant que je ne te dise quoi que ce soit, je veux te dire que je ne t’en veux pas. Ou plus, en tout cas. Tu dois déjà suffisamment culpabiliser par toi-même.
— Pourquoi je sens que tu t’apprêtes à me massacrer moralement ?
Elle perçut l’amertume derrière le ton sarcastique.
— Parce que c’est le cas, sourit-elle. Vanessa était une Loki de de deuxième génération. Adam était sa mère…
Un frisson courut le long de ma colonne vertébrale, tétanisant mes muscles et bloquant mon souffle dans ma poitrine. Jusque-là, j’étais au courant. Je la transperçai du regard, consciente, au vu de son expression, que le pire restait à venir.
Soudain, elle grogna. Son front se plissa, elle serra les dents. Lorsqu’elle écarta à nouveau les paupières, son regard était voilé par la douleur qu’elle endurait en silence.
— Qu’est-ce que ça t’apporte de me le dire maintenant ? Et pourquoi il te l’a dit ? Et quand ?
La distraire. Par tous les moyens. Lui faire oublier, ne serait-ce que momentanément, cet acide qui la rongeait de l’intérieur, gagnait à chaque seconde un peu plus de terrain. Parler de tout et de rien. Profiter de ces dernières secondes arrachées à la mort, même si elles plomberaient à nouveau ma conscience pour les prochaines semaines.
— Il me l’a dit… à Istanbul… parce que c’était ma fille aussi.
Cette fois-ci, je crus sincèrement, l’espace de quelques secondes, qu’elle se fichait de moi ou que, aux portes de Helheim, elle délirait. Mais non, ses iris avaient beau être troubles, sa voix était claire, et son ton était ferme. Elle savait ce qu’elle disait.
— C’était une époque où nos relations… n’étaient pas aussi mauvaises que… ces dernières années. Quand il me l’a dit… il voulait que… je te haïsse… Mais…
Elle haletait, ne parvenait à enchaîner plus de quelques mots à la suite. Je serrai les dents, les larmes aux yeux. J’avais tué Skadi, comme je l’avais promis à Syn, j’étais officieusement l’Élue. Et ma sœur mourait devant mes yeux en m’avouant que j’avais tué sa fille.
— Tu ne peux pas m’abandonner avec ce genre de révélation, soufflai-je à mi-voix.
Elle ne cilla même pas, se contenta d’un doux sourire rassurant.
— Tu dois me laisser partir. J’ai fait mon temps. Et puis, il fallait bien sauver cet abruti au moment où il se jetait sur Thor…
Elle prit une inspiration haletante, convulsive, laissa son regard errer sur Levi, son corps entier tendu comme un arc. J’inspirai lentement, soudain tremblante. Mon cœur se serra alors que je devinais venir le moment fatidique.
— Au revoir, grande sœur…
Un dernier sourire. Une ombre de clin d’œil.
— À une prochaine… petite sœur.
Ses paupières se fermèrent doucement. Son souffle ralentit. Instinctivement, mes doigts remontèrent vers son poignet, guettant le pouls, infime, mais encore présent. Battement. Battement.
Battement.
Expiration.
Silence.

Le premier instinct que j’eus fut de me rouler en boule et de pleurer, mais quelque chose – probablement la conscience lointaine du combat qui se poursuivait non-loin, m’en empêcha. Je ne pouvais pas exactement me permettre d’accuser le coup tout de suite. Si je survivais à cet affrontement, peut-être que je le pourrais, mais il fallait d’abord survivre. Et vu comment c’était parti, on était loin d’un match nul, sans même parler d’une victoire pour notre camp.
Alors je serrai les dents, passai doucement ma main sur ses cheveux trempés pour les dégager de son visage, grimaçai au contact de sa peau encore chaude. Elle paraissait presque endormie. Mais surtout, elle avait gardé sa main serrée sur la poignée de sa courte lame, comme pour appeler une Valkyries à considérer son cas. Un instant, j’espérai qu’on la juge suffisamment digne d’entrer au Valhalla, même si j’avais peu d’espoirs. Si Odin avait beau recruter en masse, provoquant guerre après guerre simplement pour peupler sa grande halle à l’approche du Ragnarök, il y avait un certain type de personnes qu’il refusait presque toujours : les enfants de Loki. Cependant, Selvigia méritait les plus grands festins, et non de croupir dans les ténèbres de Helheim, soit-elle accueillie par Hel à Éljúdnir.
Je poussai un long soupir, résolue malgré mes réticences à l’égard des Æsir à plaider en sa faveur. Je ramenai sa main serrée sur son arme sur son ventre, puis déplaçai celle que j’avais tenue de la même manière, redressai son corps, et soufflai doucement :
— Ô Valkyries, ô Freyja, vous qui choisissez les morts, considérez l’âme de cette combattante tombée. Vous qui offrez refuge aux vaillants guerriers, voyez les exploits de ma sœur et guidez-la vers la halle d’or. Odins meyjar, ô Vanadís, trouvez-lui un siège au Valhalla ou au Fólkvangr, accordez-lui votre protection, car sa vie fut longue et sa mort fut noble.
Je pris une inspiration hachée, esquissai une grimace, et énonçai malgré tout :
— Ô Hel, sœur du Loup, toi qui résides dans les plaines glacées de Helheim, ouvre tes grilles à l’âme de ma sœur. Reine des profondeurs, j’implore ta clémence pour son âme noircie par le sang qu’elle a fait couler ; trouve-lui un siège en ta halle Éljúdnir si le Valhalla ou le Fólkvangr ne l’accueillent pas. Demi-sœur, en son nom, j’implore ta clémence et ton sens de la famille pour celle qui a voué sa vie aux siens.
— Qu’est-ce que…
Dans la pluie battante, le murmure rauque, étouffé, peina à parvenir jusqu’à mes oreilles, mais je l’entendis malgré tout. Je serrai les dents, tournai lentement la tête, dévisageai Levi d’un regard assassin, haineux. Quand il reporta ses iris turquoise sur le corps étendu près de moi, ses yeux s’écarquillèrent sous le choc, il ouvrit la bouche mais ne put répondre. Il crispa le poing sur une fine cordelette, toussa, crachotant du sang sur son menton, le visage tordu en une expression colérique et désespérée que je l’avais rarement vu arborer.
— Elle n’aurait pas dû… soupira-t-il.
— Dû quoi ? grondai-je, furieuse.
Et puis, il fallait bien sauver cet abruti, avait-elle dit en le désignant. Le sauver de quoi ? Qui entre les deux aurait davantage mérité de mourir ?
Si le choix m’avait incombé, j’aurais choisi de sacrifier Levi. Mais c’était Selvigia qui avait encaissé le coup pour lui. Pourquoi ? Il n’était même pas le véritable Élu, simplement un imposteur… et elle le savait, en plus.
— Merde…
Une larme coula sur sa joue, suivie d’une autre. Il se mit à sangloter doucement.
— J’aurais dû t’en parler à toi… pas à elle.
— Dépêche-toi de t’expliquer, menaçai-je sèchement, habitée par une rage presque sans pareille.
Je venais de perdre ma sœur parce que cet abruti s’était jeté sous le marteau de Thor. Parce que je n’avais pas été suffisamment véloce et efficace pour me sortir moi-même des emmerdes et esquiver le coup. Elle nous avait certainement sauvés tous les deux en encaissant le coup. Mais, autant je m’étais moi-même amenée au corps-à-corps, autant Levi n’avait rien à faire là à ce moment précis. Qu’est-ce qu’il foutait là, au juste ?
— Je…
Il hésita, la tête tournée vers le poing crispé de ma sœur, et je remarquai le bout d’une cordelette de cuir qui dépassait entre les doigts. En voyant mon regard dessus, il baissa la tête.
— J’ai rendu visite à Mímir, admit-il, le nez froncé, au sujet de Mère. Même si je ne connais pas encore la localisation de sa prison…
Oh, tiens, grinçai-je intérieurement.
— … je connais le moyen de la libérer.
La fin de la phrase me laissa pantoise. Quel avait été le prix d’une telle information ? Qu’avait-il dû donner ou subir pour pouvoir, n’étant pas l’Élu, obtenir le moyen de libérer le prisonnier le plus dangereux de l’histoire de notre mythologie ? Les questions me brûlèrent la langue, mais je les retins à la dernière seconde. Je n’avais pas envie de parler de ma pyromagie, et il n’avait certainement pas envie de parler de son propre sacrifice.
Il renifla, comme un gamin pris en faute, et poursuivit, les mots s’entrechoquant dans sa gorge, pénibles à faire passer :
— Il existe quatre « clés »… qui sont en vérité des artefacts magiques dont l’existence a été tenue aussi secrète que possible. Seul Mímir et les dieux qui ont emprisonné Mère sont au courant de leur existence. La clé d’ambre, cachée au fond de Mímirsbrunn depuis la mort de Kvasir, la clé de glace de Skadi, qui s’est perdue il y a longtemps, la clé de sang d’Odin…
Un silence. Malgré moi, j’étais suspendue à ses lèvres, médusée par ce qu’il m’expliquait.
— … et la clé d’éther, acheva-t-il en ouvrant la paume de Selvigia sur la cordelette, dévoilant un pendentif métallique au milieu duquel brillait un arc électrique. Chacune d’entre elles permet de briser l’un des sorts qui emprisonnent Mère. J’étais venu à Thrymheim pour découvrir où Skadi dissimulait la sienne… mais je n’y ai causé que des morts… et je n’y ai rien gagné. Celle-ci…
Il serra à nouveau le poing sur le petit anneau, et des hoquets silencieux secouèrent son buste et ses épaules. Il fit exactement ce que j’aurais voulu faire, c’est à dire se rouler en boule, ramener ses genoux sous son corps, et pleurer. Mais je ne pouvais pas me permettre de le laisser faire ça. Je voyais derrière lui, en périphérie de mon champ de vision, les autres qui continuaient à occuper Thor comme ils le pouvaient en attendant que nous revenions.
— Relève-toi, sifflai-je.
Levi ne réagit pas.
— Levi, bouge. Ou alors tu veux mourir comme elle ?
— Pourquoi pas ? Je ne suis même pas le véritable Élu, admit-il dans un souffle.
Sous le choc, je ne relevai même pas, et il lui fallut un moment pour réaliser ce qu’il avait dit. Lorsqu’il percuta enfin, il blêmit à nouveau. Je battis des paupières, perplexe, hésitai un moment, finis par interroger :
— Comment ça ?
Un bref silence me répondit, puis il marmonna avec une grimace :
— Mímir me l’a dit. C’était une partie du prix à payer pour l’information sur l’ouverture de la prison de Mère.
— Mais alors, pourquoi…?
— Parce que je sers de distraction… et qu’il y a apparemment une chance que je réussisse.
Pouvais-je vraiment le regarder droit dans les yeux actuellement et admettre, ici et maintenant, que c’était pour moi qu’il jouait les appâts ? Je jetai un regard au corps de Selvigia qui gisait entre nous, ses longs cheveux bouclés plaqués contre son crâne par la pluie, son expression sereine même s’il était apparent qu’elle ne dormait pas vraiment.
— Tire-toi d’ici, finis-je par soupirer. On va l’occuper encore un moment, au moins histoire que tu puisses prendre de l’avance. Est-ce qu’on sait si c’est toi qu’il poursuit vraiment ?
Levi me fixa avec un ahurissement presque palpable qui me tira un sourire.
— Pourquoi…
— Il paraît que tu peux réussir.
Et, égoïstement, je n’avais pas envie de le voir ici alors qu’il venait de provoquer la mort de Selv. C’était injuste qu’elle ait dû y passer pour une simple « distraction », qu’elle soit tombée quand il survivait, alors même que son rôle n’était que factice. Mais ça, je ne pouvais pas vraiment me permettre de le dire.
— Mets ce truc dans ton inventaire
— Je ne peux pas…
Je ne relevai pas, poursuivis :
— … et va-t’en. On te donnera le maximum de temps possible.
— Tu comptes prévenir les autres ?
— Non.
Enfin, si, certains. Plus tard. Åke, notamment. Mais cela pourrait attendre.
— Enfin, si, plus tard pour certains. J’enverrai peut-être Åke à ta rescousse si on s’en sort.
Son visage se tordit en une grimace horrible, un mélange de terreur, de peine et de souffrance particulièrement douloureux à voir, si profond que j’en regrettai presque la rancœur que je ressentais actuellement pour lui.
— Ne… Essayez de survivre.
— Essayer, c’est le bon mot.
Il sembla tiraillé encore un instant, puis ses tergiversations semblèrent s’arrêter sur un semblant de décision. Il tira de son inventaire magique une petite sacoche de cuir, y glissa la clé d’éther, et je perçus distinctement son rayonnement énergétique s’atténuer, comme si la sacoche était magique. Ce qui n’était pas impossible.
— On ne peut pas les mettre dans notre inventaire magique, expliqua-t-il en voyant mon regard interrogateur. C’est pour ça que Selv a pu l’arracher à… l’autre. Il la portait au cou.
Je hochai la tête, l’observai tandis qu’il se transformait en oiseau, sautillait, saisissait la cordelette de la sacoche entre ses serres, et écartait ses ailes.
— Bon courage… murmurai-je en le voyant s’envoler.

Le dessin du pentacle n’était pas un exercice compliqué. Je ne l’avais pourtant pratiqué qu’une seule fois, en haut de la montagne de Skadi, mais c’était amplement suffisant pour l’avoir appris par cœur. Un couteau, dans le sol boueux, un peu de terre. Un murmure s’échappa de mes lèvres, presque inconscient, tandis que j’activais une à une, progressivement, les runes que je dessinais. Il était absolument possible de le faire en une seule fois, mais en général, cela puisait dans les ressources du magicien, tandis que si je les faisais une par une, elles s’alimentaient déjà partiellement à partir de celles qui existaient. Ce n’étaient que de petits détails, mais c’étaient des détails auxquels Ekrest m’avait appris à faire attention, notamment lorsqu’on s’engageait dans un rituel qu’on ne connaissait pas. Et je n’avais aucune idée de la quantité de magie qui me serait requise pour invoquer l’esprit de Loki.
Le raisonnement derrière ce choix était simple : nous étions sept enfants de dieux particulièrement puissants – enfin, cinq maintenant que Levi était parti et que Selvigia était morte – et nous nous attaquions à un dieu qui se jouait de nous. Il devait certes fournir quelques efforts pour nous maintenir à distance, mais c’était loin d’être aussi compliqué que nous ne l’aurions espéré. Vouloir l’immobiliser était illusoire, et vouloir lui survivre était impensable, mais vouloir le tuer était une très mauvaise idée. Dans cet entre-deux où nous ne savions pas vraiment ce que nous avions comme chances, j’avais décidé de faire appel à la seule personne que je puisse atteindre et qui l’ait un jour combattu.
Un frisson courut le long de mon échine quand j’activai les dernières runes, qui permettaient de bloquer les attaques magiques entrantes. J’étais assez loin du combat pour que personne ne se préoccupe réellement de moi, je m’étais dissimulée derrière une illusion d’une vaste plaine hantée par le brouillard, mais je préférais prendre mes précautions.
— Ensevi kalda. Dori me ohakera, y zana skatt.
Une fine pluie commença à tomber dans la zone des combats, me rappelant désagréablement le dernier rituel que j’avais exécuté, celui qui m’avait privée de ma pyromagie. Je pinçai les lèvres, tournai mon énergie vers les runes.
— Sölt zgona vor ge Loki !
Viens à moi, esprit de Loki. Je ne l’appelais pas de gaieté de cœur, pourtant.
Le contrecoup ne se fit guère attendre. La violence et la puissance du rituel me coupèrent le souffle, je sentis mes réserves d’énergie magique se couper par deux ou peut-être même plus. La sensation du soudain drainage me donna l’impression que mon cerveau se vidait de tout oxygène. La tête me tourna, je grondai, mis un genou en terre et serrai les dents, le regard trouble.
Le vertige mit quelques bonnes secondes à passer, mais ces quelques secondes me semblèrent être une éternité. Lorsque j’eus retrouvé un semblant de contact avec la réalité, j’avais la bouche sèche, le cœur battant fort, et de petits frissons d’anxiété couraient sur mon échine. Le rituel n’avait pas été excessivement compliqué… mais était-il vraiment terminé ?
— Non, pas encore. Il faut que tu en appelles à ma puissance pour l’achever.
Mon cœur rata un battement, j’avalai ma salive avec nervosité, songeant à la dernière fois où je lui avais parlé.
— Père.
— On t’a donc transmis le rituel d’invocation ? Qui le connaissait ?
— Mímir l’a transmis à Åke
, expliquai-je mentalement.
— Ah, Mímir…
Il y avait une étrange nostalgie dans son ton, agrémentée d’une pointe d’ironie, que je préférai ne pas relever. Ce qui concernait les affaires des dieux me dépassait encore de trop loin, même si je pressentais que je risquais de m’en mêler de plus en plus souvent.
— Ce n’est pas impossible, répondit-il encore une fois à mes réflexions silencieuses. Mais pourquoi m’avoir appelé ?
Je tournai mon regard vers l’affrontement en cours, duquel je m’étais coupée. Thor venait de projeter un éclair d’une rare violence en direction d’Åke, et seule la maîtrise absurde de Kalyan sur ses pouvoirs lui permit d’y survivre. Kalyan redirigea une partie du flux de l’électricité vers le sol, de l’autre influa sur celle qui allait électrocuter mon psychopathe de demi-frère. Je ne compris pas exactement comment il avait fait, mais je vis les ramures des éclairs s’affiner et se disperser le long de la peau d’Åke sans avoir l’air de jamais le toucher.
— Pas mal, commenta mon père dans mon esprit. Mais si vous continuez à vous défendre, il aura raison de vous.
— Que faire alors ?

Je le sentis presque pincer mentalement les lèvres, et devinai dans son soudain tourbillon de réflexions qu’il écartait l’idée du meurtre, ce que j’appréciai. Je n’étais pas encore certaine de vouloir subir les conséquences d’une telle action, Élue ou pas. Finalement, un semblant d’idée sembla se dessiner dans son esprit, il prit un moment pour sonder notre réserve de magie commune… qui frisait actuellement le néant par rapport à mes réserves habituelles.
— Ça risque de faire juste, commenta-t-il d’un ton retenu, neutre.
Je rebiffai, sachant exactement ce qu’il voulait me dire.
— Pour le moment, c’est hors de question !
— Mmhm.

Des images d’un lointain combat, qui avait eu lieu certainement à une époque où les humains vivaient encore dans des huttes sans la moindre idée des puissances qui les environnaient, surgirent devant mes yeux. Je regardai l’affrontement en accéléré, à la vitesse où mon cerveau pouvait traiter les informations, encaissai les images qui se succédaient, analysai les détails. Je notai les tactiques de Thor, les associai à ce qu’il avait déjà fait avec nous aujourd’hui. Et je compris qu’on allait devoir changer de stratégie.
— Åke devrait avoir le filet, ajouta mon père avec un air songeur.
Une autre image flasha dans mon esprit, accompagnée d’un violent sentiment de rage et d’impuissance. J’acquiesçai. C’était une option envisageable, en tout cas plus envisageable que notre stratégie actuelle presque inexistante. Je me redressai, et Loki se fit étrangement silencieux sous mon crâne. Une tension soudaine l’habitait, et au travers de lui, moi aussi. Mes émotions se mêlaient aux siennes, et je devais faire attention à ce que je ressentais et ce que je lui laissais me faire ressentir. Pour le moment, il n’avait pas esquissé un seul geste agressif à mon égard, mais je me méfiais toujours de lui. Je n’avais pas oublié Mímirsbrunn, et au vu de son silence, lui non plus.
Au fur et à mesure que je m’approchais, ma peau se hérissa à nouveau dans l’ozone omniprésent qui rendait l’air âcre et amer. Kalyan projeta un nouvel éclair, que Thor dévia avec un amusement palpable. Puis, dans une fraction de seconde que je n’aurais jamais pensée possible, il tira sur l’éclair qui était en train de partir vers la forêt, le ramena entre ses mains en une boule compacte, brillante, chargée d’énergie, et tout le monde plongea instantanément à couvert lorsqu’il la projeta vers le petit groupe qui s’était formé.
Je coupai tous les plans que j’avais préparés précédemment, toutes les stratégies, toutes les idées, tout ce que j’aurais voulus faire, et plongeai en avant. Avec la quantité d’énergie que je venais de mettre dans l’invocation de Loki, mon bouclier faillit se rompre à l’impact, mais malgré le violent contre-coup qui me laissa pantoise, sous le choc, je parvins étonnamment à tenir bon. Enfin, au moins le temps que les autres se dispersent un peu. L’impact me laissa cependant étalée par terre, juste aux pieds du dieu. Ses muscles noueux, striés de fines coupures, dégoulinants de pluie et de sang, étaient crispés, tendus. Dans ses iris brillait le doute, ainsi qu’une émotion étrange et incongrue, que je mis un moment à reconnaître.
Le remords.
Il allait vraiment me tuer. Dans mon esprit, Loki se tendit alors que la température de l’air chutait brutalement.
— Erreur stupide de te mettre à découvert comme ça ! siffla-t-il.
— Zenol väkna, murmurai-je sans réfléchir, déclenchant la dernière phase du rituel de fusion.
La magie envahit mon corps, se déversa dans mes veines comme une vague destructrice, un tsunami de puissance si violent que j’en eus le souffle coupé. À l’instant où il le put – et je ne lui résistai guère – Loki m’arracha le contrôle de mon corps, créa un bouclier thermique, nous métamorphosa. Quand la foudre déchira les nuages et que l’air autour devint une fournaise digne de Muspellheim, je n’étais plus qu’une fourmi plaquée au sol, effarée par la puissance que le dieu de l’orage venait de déployer.
— Il n’a fait que jouer avec nous depuis le début… réalisai-je, soudain terrifiée.
— Non, il évaluait le danger que vous représentiez réellement.
Il n’y avait pas d’amertume dans la voix de mon père, seulement une étrange pointe d’humour nostalgique, comme s’il se rappelait le bon vieux temps où il partait chasser les trolls et les jötnar en compagnie du dieu roux.
— C’était effectivement le bon vieux temps, convint-il avec cette fois-ci un peu de rancœur. Maintenant, laisse-moi parler.
Il nous métamorphosa à nouveau mais, sans même avoir à me regarder dans un miroir, je sus que je n’avais pas mon apparence habituelle. Mon poids était différemment réparti, mes muscles n’avaient pas la même élasticité lorsqu’ils répondaient aux sollicitations. La sensation était familière, quoique toujours aussi perturbante.
— Thor ! m’exclamai-je.
L’Ase, convaincu de m’avoir pulvérisée une bonne fois pour toutes, s’était déjà détourné pour aller régler leur compte à mes compagnons d’armes. Le son de ma voix modulée, distordue par le contrôle que Loki exerçait dessus, le figea dans son mouvement. Il pivota lentement, le visage déformé par l’incompréhension et le déni. Un rictus narquois, vicieux, étira mes lèvres, et mon ton se fit suave.
— Ça fait une éternité…
Thor était trop loin pour que j’entende sa voix étranglée, mais je lus sur ses lèvres le nom de mon père, qu’il semblait refuser d’énoncer. Mue par une volonté qui m’était étrangère, je m’avançai pas à pas. Mon cœur cognait violemment dans ma poitrine, dopé à la terreur du souvenir du dernier éclair qui avait bien failli me carboniser. Mais Loki ne semblait pas éprouver de crainte. Après tout, son corps à lui était en sécurité dans une caverne mystérieuse dont seuls quelques dieux – et, désormais, Levi – connaissaient la localisation. Que craignait-il, si ce n’était ma mort ?
— Contrairement à Odin, qui est venu me faire la morale quelques fois, tu ne m’as jamais rendu visite, poursuivait déjà Loki, un brin accusateur. Je pensais que nous étions amis, pourtant…
À la lisière de mon champ de vision, je repérai Max, qui aidait Thalia à se relever, et Åke qui reculait prudemment, profitant de la distraction momentanée de leur adversaire. Seul Kal demeurait inerte, face contre terre.
— Nous l’étions… finit par marmonner Thor, et je discernai la culpabilité dans son regard.
— Mmhm.
Loki laissa un instant son grognement sceptique flotter, et le dieu de l’orage parut se ratatiner sous l’éclat vipérin de mon regard. Tout comme lui, je sentis le coup de poignard verbal venir, et pourtant, je fus stupéfaite par la violence des mots de mon père.
— Ou peut-être n’es-tu qu’un lâche qui, sous prétexte de suivre son destin de brute sanguinaire, fuit les conséquences de ses actes ? Tu as enchaîné quelqu’un que tu appelais ami, tué des milliers d’innocents sous prétexte qu’ils pourraient un jour se montrer dangereux. Tu massacres méthodiquement mes enfants quand ils ne sont pas déjà emprisonnés comme Hel, Fenrir ou Jörmungandr, tu décimes des familles lorsqu’elles abritent un enfant de quatre ans qui a mes yeux et mon héritage. Honnêtement, si tu venais à mourir maintenant, penses-tu réellement qu’une Valkyrie viendrait te chercher ?
Thor blêmit, et le contrôle qu’il exerçait sur le ciel nuageux fondit comme neige au soleil.
— Tu as commis un meurtre, Loki, contre-attaqua-t-il malgré tout.
— Ah ?
Je ricanai, cynique, et l’amertume de ce rire me donna mal à la gorge.
— Qui a lancé l’épieu dans la poitrine de Baldr ?
— Tu l’as guidé.
— Mais pas lancé. Höd a-t-il été inculpé, lui aussi ? releva mon meurtrier de père. La légendaire justice divine de Týr et Forseti a-t-elle été appliquée ? Suis-je en droit de porter plainte pour une sentence sans procès et une absurde partialité de mes bourreaux ?
Il avait beau construire ses phrases comme des répliques de pièce de théâtre, je sentais, tout comme Thor, qu’elles résonnaient quelque part en moi. Mon père était après tout le maître du mensonge, mais tout bon mensonge contenait un fond de vérité. Détourner ce fond pour en faire une tirade désespérée, c’était tout à fait son genre. Trouver la corde sensible, et tirer dessus sans pitié, il savait faire. Et pour preuve, à chaque mot supplémentaire, le visage du dieu de la foudre se décomposait un peu plus. De blême, il passa à livide, puis à blanc comme un linge et, lorsque toute couleur eut définitivement déserté son visage, il vacilla. Je perçus dans mes veines la satisfaction mesquine de mon père comme si elle était mienne. La sensation était déroutante, frustrante. Je ressentais les émotions de quelqu’un d’autre et, même si pour le moment, elles n’entraient pas en conflit direct avec les miennes, je commençais à craindre le moment où ça arriverait.
— Le juste et bon, railla Loki, divin protecteur de Midgard, aurait-il failli respecter la loi d’Odin ? Grands Æsir, où étiez-vous lorsqu’il s’est agi de condamner tous les coupables d’un meurtre ? Il paraît que, à Midgard, on nomme cela un homicide involontaire aujourd’hui, je suis sûr que pour Höd, ce serait un facteur atténuant…
— Cesse, vil calomniateur ! gronda Thor, et l’air parut rugir avec lui.
— Je ne fais qu’énoncer une vérité par une autre voix que la mienne. Ou enchaîneras-tu une autre de mes filles sous le prétexte qu’elle soit née ?
Thor me fusilla du regard, et je sentis mon cœur tambouriner à nouveau dans ma cage thoracique.
— Je devrais la tuer pour avoir seulement osé me défier. D’autres sont morts pour bien moins.
— D’autres n’ont jamais eu le courage de te défier et sont morts quand même, ricana doucement Loki.
Une douce-amère nostalgie déferla tandis que des souvenirs qui n’étaient pas les miens envahissaient mon esprit. Je vis un coucher de soleil sur les sables de Nidavellir, sur lequel la silhouette massive de Thor se dessinait en contre-jour, de brèves mais violentes scènes de combats éclaboussées de sang et de sincère peur, un jötun que j’assimilai à Thiazi agonisant sur le carrelage de la salle de banquet de Thrymheim, une petite maisonnette en bordure de la cité d’or d’Asgard, distante et différente des autres, mais toujours protégée par les remparts. Puis, mon père rompit sèchement le flux d’images, et la réalité me rattrapa. Soudain, je n’étais plus à une dizaine de mètres de Thor, mais à deux pas de lui seulement, à portée de coup. Et pourtant, figé par les réminiscences qu’il devait revivre lui aussi, il ne bougeait plus, malgré la menace. Même son aura agressive semblait s’être dissipée.
— Nous étions amis… déplorai-je dans un souffle.
Il me considéra un instant de ses yeux électriques, ternis par les regrets qu’il avait si longtemps tenté d’étouffer, et sa résolution déjà vacillante parut s’écrouler. Ma main se leva vers son visage, mon pouce effleura une joue striée de sang, de pluie et, désormais, de larmes silencieuses.
— Je suis désolé… articula-t-il sans parvenir à le dire haut et fort.
Mon père sourit avec une gentillesse calculée, laissa ma main retomber, mais la garda tendue vers Thor, paume ouverte, comme une invitation. Ce dernier hésita, leva sa main, la retira à la dernière seconde.
— Tu as fait ce que tu devais faire..
En mon for intérieur, je me raidis. Ma voix était trop douce, enjôleuse, chargée d’une magie primitive que je percevais mais ne comprenais pas. Et, paradoxalement, tous mes muscles étaient bandés comme dans l’expectative d’un coup, tout mon corps était tendu. Je me sentais vibrer comme en plein combat, frémir à l’idée d’une poignée de main.
Par réflexe ou instinct, je rassemblai le peu de puissance personnelle que je possédais, me remémorai la lettre d’Åke. Mon père était trop concentré sur Thor pour suivre le défilement de mes pensées, il s’était volontairement coupé de moi pour savourer l’instant. Emprisonnée dans mon esprit, privée du contrôle de mon corps, je me préparai.
Le dieu roux tendit à nouveau la main mais, cette fois-ci, ne la retira pas. Ses doigts mouillés se refermèrent sur les miens, et à la tension soudaine de son corps, je devinai ses intentions : me jeter au sol, me carboniser d’un dernier éclair. Sa prise avait beau être glissante, elle serait suffisamment ferme. Tiré en avant, mon corps commença à basculer. Mais Loki était plus rapide.
Il projeta sa puissance à la rencontre du flux magique de Thor, força violemment le passage dans son esprit, et le contraignit d’une simple pensée à l’immobilité. De son explosion de puissance, je ressentis, physiquement, une véritable brûlure, comme un coup de fouet en travers de ma tête, comme l’une des pires migraines que j’aurais jamais vécues. Déjà, une lame apparaissait dans ma main libre, convoquée par la volonté de mon père. Il cingla le torse nu de son adversaire d’une profonde estafilade, remonta en direction de la gorge.
— Daraham, projetai-je mentalement aussi fort que je le pouvais, avant qu’il n’achève son geste.
Sa conscience s’évanouit instantanément, mais ses pouvoirs s’attardèrent quelques précieuses secondes supplémentaires. J’eus le temps de projeter le dieu de l’orage dans une sorte de coma, dont il ne mettrait certes pas bien longtemps à sortir, mais c’était déjà ça de gagné. Puis, je dégrafai ses gantelets métalliques, qui étaient l’origine de sa force, les marquai et les plaçai dans mon inventaire magique. Plus qu’un geste réfléchi, c’était un réflexe de survie, une minime garantie de pouvoir négocier mon existence. Du moins je l’espérais.
Encore pantelante, secouée par les changements de puissance brutaux qui affectaient mon corps, je pivotai sur mes talons. Levi, Åke, Max et Thalia avaient disparu, leurs silhouettes depuis longtemps évaporées dans le brouillard. Ils avaient profité de ma confrontation avec le dieu pour fuir. Tant mieux.
Il ne restait que deux corps dans la plaine : celui de Selvigia, vide de toute vie, et celui de Kal. Je me précipitai à ses côtés aussi vite que mon état le permettait. Le sang de mes estafilades se mêlait à celui de Thor qui m’avait éclaboussée, un douloureux mal de crâne me vrillait la tête. J’étais à peine capable de marcher, un tourbillon de ténèbres menaçait de m’emporter à chaque pas. Mais il fallait qu’on parte, tout de suite. Luttant pour rester conscience, je m’effondrai près du corps inerte du blond, cherchai le pouls carotidien.

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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

Et enfin, l'ultime et dernier chapitre de ce tome…

CHAPITRE 34


Il battait. Faiblement, mais il battait.
J’étais sur le point de m’effondrer, rassurée, quand soudain, je sentis des à-coups sous mes doigts, puis soudain, plus rien. Pas un battement. Pas une seule inspiration.
— Non… Non, non, non, non… reste avec moi, Kal…
Une décharge d’adrénaline me fouetta le sang, je m’attelai à une réanimation cardio-pulmonaire anxieuse, douloureusement consciente que, sans défibrillateur à portée de main, tous mes efforts seraient bientôt vains. Mais je m’entêtai malgré tout, épuisée mais enragée par l’idée qu’il y passe maintenant. J’avais déjà perdu Selvigia dans ce combat, il était hors de question que Kalyan s’en aille aussi, surtout à cause d’un stupide choc électrique un peu trop fort. J’agissais vite, mue par des habitudes devenues presque des réflexes. Combien de fois avais-je apporté les premiers secours à mes hommes avant l’intervention des filles d’Eir ? Combien avaient failli périr des dizaines de fois à mes côtés ?
Soudain, on me tira en arrière. Je me tortillai comme une anguille jusqu’à échapper à l’emprise des mains mouillées sur mes épaules, m’élançai pour me replacer. Mais avant que je ne puisse reprendre mes vaines tentatives, l’ombre massive de Thor s’interposa entre le corps de Kalyan et moi. En voyant sa posture droite, non agressive, j’écartai la pensée fugace – et suicidaire – de tenter de forcer le passage, essayai plutôt de le contourner. Il me retint, m’agrippa par le poignet.
— Pourquoi vouloir le sauver ?
Sans répondre à sa question, sans croiser son regard, je m’arrachai à nouveau à sa poigne, aidée par la pluie et le sang qui ruisselaient le long de ma peau, revins à la charge. Il m’attrapa à nouveau, plus fermement cette fois, les deux mains sur mes épaules, me secoua comme un prunier.
— Pourquoi ? insista-t-il.
Je serrai les dents, me dégageai d’un mouvement brusque, mais m’abstins de tenter de forcer le passage une nouvelle fois. Mais je gardai la tête obstinément baissée. On perdait du temps. Trop de temps. L’Ase en face de moi n’était pas menaçant, pas envers moi. Je lui avais déjà survécu. Il respectait probablement ça.
Mais Kalyan était en danger. Chaque seconde supplémentaire que son cœur était à l’arrêt augmentait la probabilité qu’il ne se réveille jamais, même si je parvenais miraculeusement à le relancer.
— Une vie pour une vie, maugréai-je enfin de mauvais poil. Il m’a sauvée il n’y a pas si longtemps que ça. Deux fois.
— C’est un traître à sa famille.
— Et moi aussi ! Entre déchus, on se soutient.
Je songeai à Thalia et Max, Åke et Levi, disparus quelque part dans les plaines. J’espérais qu’ils allaient bien. Même pour Levi.
Quand je levai la tête, Thor me considérait d’un air pensif. Il y avait une amère nostalgie dans ses yeux électriques mais un léger sourire étirait ses lèvres.
— Une vie pour une vie, acquiesça-t-il avec le rictus de celui qui était le seul à comprendre une mauvaise plaisanterie. Faisons un marché.
Je haussai un sourcil.
— Quand viendra l’heure du Ragnarök, tous ou presque périront. Tu es la seule qui puisse s’affranchir des fils des Nornes. Si tu as une chance de survivre aux flammes de Surtr, tu préserveras ma lignée.
— Je reste mortelle et relativement peu puissante en comparaison des forces à l’œuvre… ricanai-je, sarcastique. Élue ou pas.
— Je te donnerai les outils nécessaires, mais tu tiendras ta part. Et tu sauveras au moins l’un des miens. Qui, cela ne m’importe pas.
Un silence. Abasourdie, je mis quelques instants à réarranger un semblant de cohérence dans mes pensées, puis demandai :
— Pourquoi ?
Il ne répondit rien. Et je sus qu’il ne répondrait rien. Il y avait une obscure raison, quelque chose qui m’échappait.
— C’est tout ?
— C’est déjà bien assez.
Je fronçai le nez, incrédule, mais finis par hocher la tête. Il était improbable que je survive au Ragnarök, de toute manière. Et le temps pressait trop pour Kalyan.
— Je le jure.
Mais quelque part, je sentais que je m’engageais sur une pente glissante. Les meilleurs accords étaient ceux qui étaient arrachés à l’autre sous la contrainte, par nécessité immédiate.
— Alors je m’y engage aussi, acquiesça Thor, inconscient de mes réflexions.
Sans plus faire attention à moi, il se détourna, s’agenouilla auprès de son fils. Sur ses traits livides que je ne voyais que de biais, il me sembla lire de l’affection, du regret, de la tristesse. Il posa une main sur le torse dénudé de Kal, l’autre sur son flanc gauche. Un vrai défibrillateur divin.
Le buste se souleva dans un spasme, retomba… et la poitrine se souleva imperceptiblement. Une fois. Deux fois. Trois fois. Bientôt, la respiration était régulière, profonde. Je me permis un léger sourire rasséréné. Au fond, nos dieux, nos parents, étaient comme nous : humains, faillibles. Ils avaient du bon et du mauvais, et leurs pouvoirs donnaient à leurs variations d’humeurs des proportions extrêmes, mais ils demeuraient comme nous. Réels. Tangibles.
Thor pivota vers moi avec une grimace étrange, comme s’il regrettait partiellement ce qu’il venait de faire, mais n’osait pas vraiment se l’admettre. Je lui adressai un hochement de tête, les yeux toujours fichés sur Kalyan. À peine une minute venait de s’écouler, pourtant, son visage commençait déjà à reprendre des couleurs, ce qui me rassurait sur son état de santé. Avec un peu de chance, les dommages ne seraient pas trop importants.
Le dieu leva la tête vers le ciel, qui continuait à déverser sur nous sa pluie diluvienne, et dessina avec sa main un large demi-cercle autour de sa tête. L’orage s’apaisa en quelques secondes à peine, le ciel s’éclaircit, les nuages se dissipèrent sur un crépuscule sanglant qui ne laissait même plus entrevoir un arc de soleil, seulement ses derniers rayons. Je m’approchai précautionneusement du corps étendu, inconscient, posai une main sur front, chassai l’eau qui s’était accumulée dans le creux de ses yeux fermés, vérifiai sa respiration, pris sa main, m’infiltrai très délicatement dans son esprit. Comme pour toute personne comateuse, je ne captai que de brefs flashs de couleur, des échos de sons déformés, que je savais être en réalité les bruits extérieurs, distordus par l’inconscience. Je ne m’attardai que peu, le temps de vérifier qu’il n’y avait aucune irrégularité dans le flux magique, qu’aucun organe vital n’était touché. Je me retirai ensuite en douceur, hésitai un instant, puis marquai le pantalon déchiré et ensanglanté de mon compagnon de voyage, le fis disparaître dans mon inventaire magique. Une épaisse couverture et une serviette de douche se matérialisèrent dans mes mains. Je frottai vigoureusement le corps quasiment nu avec la serviette, l’enroulai dans le plaid, contemplai son visage détendu avec attention.
Ce fut la sensation d’une troisième présence, inconnue, qui m’obligea à me retourner. Son aura, moins puissante que celle des dieux que j’avais pu rencontrer jusque-là, mais certainement plus puissante que la mienne, se fondait presque dans celle, écrasante, de Thor. Je pivotai, avisai une femme qui guidait un chariot tiré par des chèvres dans notre direction, et haussai un sourcil. Elle arrêta le véhicule à nos côtés, descendit, me jaugea un instant avant de se fendre d’un sourire attendri.
— Tu vois, souffla-t-elle à Thor, j’avais raison.
Il renifla, sceptique.
— Si tu le dis, Lófn…
Je me figeai. Lófn, déesse des amours perdus et impossibles, une divinité ase mineure qui n’avait pas eu beaucoup d’enfants au fil des siècles. Avec les mœurs plus modernes des humains, elle n’était plus aussi révérée à Midgard que par le passé, mais elle faisait néanmoins partie de ces dieux que l’on n’oubliait pas, notamment parce qu’ils résidaient toujours à Asgard malgré tout.
— Dame Lófn, saluai-je en inclinant la tête.
Elle me retourna un hochement de tête avenant, désigna Kalyan du menton.
— Je m’occupe de lui, allez bavasser. De ce que je peux déduire de l’expression grincheuse de celui-là, vous n’en avez pas encore fini.
Thor – effectivement grincheux, même si je ne lui avais pas prêté beaucoup d’attention jusque-là – n’en attendait pas plus pour m’attraper par le bras et me tirer sur le côté. Nous nous éloignâmes d’une petite centaine de mètres, suffisamment pour que personne ne nous entende, et j’en profitai pour balayer la plaine du regard. Il n’y avait pas l’ombre d’une silhouette humaine dans mon champ de vision, ce qui signifiait que Thalia, Max et Åke avaient pu s’en tirer. Du moins, je l’espérais.
Quand le dieu se tourna enfin vers moi, son regard était grave, anxieux, brûlant. Sa nervosité palpable était contagieuse, et je me retrouvai bien vite à me mordiller les lèvres, tendue moi aussi, alors que je n’avais aucune idée de ce qu’il comptait encore m’infliger ou exiger de moi.
— Vous ne m’avez pas fait jurer sur le Leiptr, réalisai-je soudain.
Il esquissa un rictus amer.
— J’ai appris à mes dépens que Loki et Leiptr font rarement bon ménage, et encore moins quand c’est sous la contrainte. Et, en outre, je ne cherche pas à t’emprisonner dans un serment restrictif. Tu as une liberté que personne d’autre n’a, ce serait stupide de t’enchaîner ainsi.
Je haussai un sourcil. Thor, le dieu-brute, le fléau des Jötnar, était-il doté d’une pointe de discernement et de logique ?
— Ne m’oblige pas à reconsidérer… m’avertit-il en entendant mon ricanement narquois.
Je m’abstins de faire remarquer qu’il avait déjà exécuté plus de la moitié de sa part du contrat. Et, quels que soient les « outils » qu’il pourrait me donner par la suite, Kalyan était vivant, et relativement en bonne santé. Ce qui pouvait changer du tout au tout en fonction de l’humeur du dieu, raison pour laquelle je ne me permettais aucune remarque trop provocatrice. En outre, il ne fallait pas oublier que ma vie demeurait potentiellement en danger ici. Thor avait beau s’être calmé et ne plus sembler avoir d’intentions belliqueuses à mon égard, un faux mouvement et je me ferais atomiser, et cette fois-ci, Loki ne pourrait pas me sauver. Mais, après ce qui me parut une éternité à fixer ces prunelles électriques, les traits du dieu se fendirent d’un sourire amusé, plissant les coins de ses yeux en pattes d’oie.
— Tu as de l’audace pour te présenter comme l’une de mes enfants chez Skadi, ajouta-t-il plus doucement. Quoique…
Je haussai les sourcils.
— Connais-tu ta famille du côté de ta mère ? m’interrogea-t-il en voyant ma perplexité.
La question me prit sincèrement au dépourvu, tant bien que la réponse m’échappa avant même que je ne réalise que je parlais :
— Pas vraiment… je sais qu’elle était fille de Freyja, mais c’est tout. Elle est morte quand j’avais quatre ans.
Tuée par vos enfants. Il hocha la tête lentement, partagé entre fatalisme et tristesse, comme s’il connaissait les raisons de sa mort.
— Nalaya Síverdín, c’est ça ?
Non. Maman. Un frisson courut le long de mon échine. Thor connaissait ma mère. Il connaissait son nom et en savait au vu de son expression plus sur elle que je n’en avais jamais su.
— Qu’est-ce que… qu’est-ce qu’elle a à voir avec ça ?
Je fus moi-même surprise d’entendre ma voix se briser sur la fin. Nalaya Síverdín était un fantôme que je n’avais jamais osé contacter, une ombre de souvenir familier et douloureux, l’écho de quatre années de bonheur avant que la Confrérie ne m’arrache mon enfance. Sa mort m’avait précipitée trop vite dans l’univers sauvage des Maisons, dans les combats et la brutalité, la politique et les manipulations.
Je n’en voulais aucunement à Ekrest pour les années de dur entraînement, pour les larmes et le sang, les cicatrices visibles et invisibles que je porterais toute ma vie sous la surface de ma peau. Il m’avait forgée dans la violence, m’avait aidée à me construire, en me laissant toujours le choix de celle que je devenais. Si j’avais voulu arrêter, j’aurais pu le faire à n’importe quel moment, mais je m’étais prise au jeu, trop fascinée par la puissance cachée que je découvrais dans mon corps, droguée à l’adrénaline et au risque, motivée par l’approbation de mon mentor. Le souvenir de ma mère était demeuré une ombre reléguée à l’arrière de mon esprit, la faiblesse que je n’avais jamais avouée à quiconque, le moteur d’une haine viscérale contre les Thor dans mes jeunes années.
Plus tard, par mes premières rencontres avec des enfants de Thor prisonniers qui s’étaient terminées en bains de sang, j’avais appris que faire souffrir les « coupables » ne m’apporterait aucun réconfort, et j’avais abandonné mes idées de vengeance. J’avais abandonné jusqu’à l’idée même de me souvenir de ma mère, puisque les réminiscences de sa mort ne me causaient que de la tristesse, une peine profonde et impossible à combler. Je m’étais détachée de tout ce qui aurait pu me la rappeler, j’avais délaissé sa mémoire pendant longtemps.
Et voilà qu’elle resurgissait soudain comme un rêve depuis longtemps oublié, dans la bouche du père de son assassin.
— C’était effectivement une fille de Freyja, mais son père descendait de moi, expliqua Thor, me sortant de mes réflexions. En vérité, tu as une ascendance qui regroupe maints dieux majeurs æsir comme vanir, raison pour laquelle nous te surveillions depuis toute petite.
Pendant qu’il parlait, il serrait d’une main distraite un garrot de tissu autour de son bras gauche. Je haussai la tête quand je le vis sortir une antique seringue de métallique, dotée d’un conteneur en verre enfermé dans un carcan de tiges couleur bronze, qui paraissait dater du dix-neuvième siècle. Quand le sang se fut suffisamment accumulé dans son artère, il piqua la pointe dans son bras d’un geste vif, les yeux plissés par la douleur, et préleva ce qui me semblait être une centaine de millilitres. Le garrot disparut à l’instant où il retira l’aiguille, et il leva les yeux vers moi. Je reculai d’un pas, méfiante, et il sourit.
— À l’époque, on faisait ça en s’entaillant les bras et en les pressant l’un contre l’autre, mais il s’avère que ça provoquait nombre d’ennuis, entre le sang perdu et les infections, donc désormais, on passe par là. C’est beaucoup plus propre.
— Vous comptez…
— Te l’injecter, oui.
— Hors de question.
— Tu n’as pas exactement le choix… grommela-t-il avec un rictus mesquin.
Séparée de lui par à peine un mètre, je n’eus pas l’occasion d’esquiver la décharge électrique, qui me frappa de plein fouet et court-circuita une seconde ou deux toutes mes fonctions vitales. Le temps que je me reprenne, Thor m’avait agrippée par le bras, et était en train d’enfoncer l’épaisse aiguille dans mon épaule. Mon grondement de douleur instinctif se mua en hurlement quand le sang de Thor se mêla au mien. La souffrance explosa dans mon corps. Un voile blanc couvrit ma vue, un sifflement aigu vrilla mes oreilles. Je tressaillis, me mordis la langue jusqu’au sang, me sentis prise de frissons convulsifs, qui devinrent spasmes pendant quelques instants, avant de s’apaiser. La brûlure dans mes veines, semblable à celle que j’avais ressentie quand j’avais abandonné ma pyromagie à Mímirsbrunn, me laissa pantelante, chancelante, même quand ma vision s’éclaircit à nouveau.
Sonnée, tremblante, il me fallut quelques dizaines de secondes en position accroupie, fermement appuyée sur mes cuisses, pour reprendre mon souffle et mes esprits. La tête me tournait, la nausée me guettait. Un haut-le-cœur me prit, mais je ravalai péniblement le goût amer de la bile, les dents serrées, les yeux fixés sur une pauvre touffe d’herbes sauvages qui poussait entre deux roches. Quelque chose était différent dans mon organisme, je le sentais jusque dans mes os.
Quand, enfin, je me redressai, le dieu me considérait d’un regard approbateur, presque impressionné.
— Qu’est-ce que ça va me faire ? haletai-je, encore tremblante.
— Disons simplement que, même si tu possédais mon sang, c’était le sang de Loki dont tu as hérité directement qui prédominait jusque-là, et définissait donc tes capacités magiques.
Il me fallut un long – trop long – moment pour assimiler ce qu’il était en train de sous-entendre. Mais avant que je ne puisse enchaîner sur une autre question, il ajouta :
— Également, je t’arracherais en principe mes gantelets de force, mais je respecte ta prise de butin. C’est pourquoi je te propose un échange. Ma ceinture contre mes gantelets.
L’esprit toujours en vrac, je pris néanmoins le temps de considérer la proposition. Les gantelets de Thor étaient l’origine de sa force, la raison pour laquelle il pouvait soulever son marteau magique. C’était pour cela que, dans un élan un peu désespéré, je les lui avais arrachés. C’était à peu près le seul objet avec lequel j’aurais pu marchander nos vies.
— Je n’ai pas le choix ? relevai-je avec un rictus amer, en écho à la seringue.
— Je ne peux pas te les reprendre si tu ne les portes pas, admit-il, l’air irrité. Mais je te demanderai de prendre en considération le fait que tu laisseras Asgard vulnérable. J’ai besoin de Mjöllnir, donc des gantelets, contre les Jötnar.
Instinctivement, j’interprétai sa sincérité trop évidente comme une forme de mensonge, mais un second regard m’incita à me raviser. Il paraissait réellement inquiet et, plus convaincant encore, il semblait se sentir coupable de ce qu’il venait d’avouer. Certes, à l’échelle des Neuf Mondes, ce n’était pas réellement un secret puisque les mythes avaient depuis longtemps établi ce que Thor était ou n’était pas capable de faire, mais il y avait quelque chose dans son attitude, un brin de malaise peut-être, qui finit par me convaincre d’acquiescer.
Il défit avec précaution la large ceinture de cuir ornée de boucles de bronze, la tendit devant lui en guise d’offrande de paix, de preuve de sa bonne foi. Méfiante, je fis apparaître les gantelets, que j’avais jusque-là soigneusement conservés dans mon inventaire magique, hors de sa portée. Les accessoires passèrent d’une main à l’autre comme un banal échange, mais un frisson d’anxiété parcourut mon échine lorsque je considérai l’objet mythique, offert de bonne grâce par un dieu, que j’avais désormais en ma possession.
La ceinture me paraissait bien trop large pour moi. Lourde, épaisse, détrempée par la pluie, elle pesait dans mes bras et je me demandai un instant avec un rictus presque amusé si la passer en bandoulière ne conviendrait pas davantage. Mais, à l’instant où je la glissai autour de ma taille, par-dessus mes vêtements thermiques moulants, sa longueur et son poids semblèrent s’ajuster. Elle se resserra à la perfection autour de mes hanches, s’affina, s’allégea, et je sentis une puissance nouvelle, inconnue et effrayante, se déverser dans mes veines. Je pivotai vers Thor, médusée, et en retour, il m’adressa une ombre de sourire narquois.
— J’espère que c’est le bon choix.
Il continua à me fixer, et ses traits faussement cordiaux se tendirent d’une sévérité teintée de peine, comme si les siècles passés avaient érodé sa haine et sa rancœur envers mon père et les miens. Ce qui, au vu de la confrontation qui avait eu lieu, me paraissait désormais presque plausible.
— Tu portes une lourde charge, petite fille.
Je me hérissai à l’appellation, mais déjà, il poursuivait :
— Si je peux me permettre de te faire une recommandation, quand tu seras à Stronstall, demande à quelqu’un de te forger l’enchantement des Järngreipr sur l’un de tes bijoux. Quand ton père sera libéré… les frontières du possible te paraîtront illusoires… mais ça te mettra en danger. Ta magie atteindra une puissance que tu ne peux même pas t’imaginer.
Il me passa doucement l’un desdits gantelets au poignet, fit glisser son doigt le long de sa surface. L’absurde puissance que j’avais ressentie décrut progressivement dans mes veines, mon cœur ralentit. Puis, il remonta dans l’autre sens le long du cuir, et le flux magique sembla revenir, brûlant de son potentiel destructeur.
— C’est une sorte de régulateur, compris-je.
— Tu en auras besoin, ne serait-ce que pour dissimuler ton identité. Anticipe. Ils seraient capables de tous se liguer contre toi simplement par peur de ce que tu pourrais accomplir.
Dans ses yeux azur, il y avait une pointe d’amertume, un regret depuis longtemps étouffé. Une vieille histoire, très certainement, qui devait encore remonter aux origines du temps des dieux. Je m’abstins de demander, et il ne parut pas vouloir prendre le temps de l’expliquer. Mais j’avais perçu l’idée, et le sentiment qui en ressortait faisait écho à ma propre rancœur envers la Confrérie. C’étaient souvent les gens qui nous entouraient qui mettaient le plus d’ardeur dans l’effort de nous détruire.
Thor siffla, et du brouillard environnant jaillit le chariot tiré par des chèvres. Il grimpa dedans, saisit les rênes, se retourna vers moi une dernière fois. Une main posée sur son cœur, il s’inclina légèrement.
— Au revoir, Élue. Nous nous reverrons sur le dernier champ de bataille.

| † | † |


Je ne revins vers Kalyan que quelques minutes plus tard, encore assommée par les révélations, épuisée par le combat qui, je le réalisais, venait seulement de s’achever. Dire que j’avais gagné aurait été un mensonge, mais dire que j’avais perdu aussi. L’affrontement s’était achevé en statu quo, chacun des deux partis ayant au bout du compte obtenu un peu de ce qu’ils voulaient. Levi était loin, doté de l’une des clés qui lui permettrait de libérer notre père, et il serait peut-être secondé par Åke s’il avait un peu de chance. Thor m’avait injecté son sang, m’avait fait jurer de sauver au moins un membre de sa famille, et moi, j’avais survécu. Ce simple fait était en lui-même une grande victoire.
Kalyan, assis raide et droit dans sa couverture en peau de vanköfr, semblait guetter ma venue. Entre deux pans de cuir, je devinai qu’il s’était rhabillé de vêtements propres, et la couverture dans laquelle je l’avais enroulé était jetée sur le côté en boule humide. Je m’installai à côté de lui, rabattis le pan de cuir qu’il me tendait pour me couvrir du froid, et me blottis contre lui.
— Ça va ? m’interrogea-t-il d’emblée.
Je hochai la tête, la tête détournée, le regard ailleurs.
— Épuisée.
Il glissa ses bras autour de mes reins, m’attira contre lui, et je me laissai aller contre son épaule. Son parfum corporel, doux, familier, chatouilla mes narines, et je me permis enfin de respirer un peu plus librement.
C’est fini.
Je laissai mon regard errer sur le sol détrempé, et une idée soudaine, violente, me frappa comme une gifle. Je voulus la chasser, mais elle persista, lancinante, douloureuse, et je sentis une boule brûlante remonter dans ma gorge. Selvigia. Dans la précipitation des combats, je n’avais même pas eu le temps de réellement le réaliser, mais maintenant que la tempête était passée et que le calme revenait, je réalisais. Elle était morte. Juste là, à quelques dizaines de mètres, gisait son corps inerte, que je pouvais voir juste en tournant la tête.
Un sillon de sel coula le long de ma joue, termina sa course quelque part dans le cou de Kalyan. Je fermai les yeux, reniflai doucement. En guise de réponse, le blond m’enlaça encore un peu plus fort, au risque de me briser quelques côtes au passage.
— Tu peux la pleurer, tu sais… souffla-t-il à voix basse à mon oreille.
Un sourire crispé étira mes lèvres. J’avais perdu l’habitude de pleurer depuis toute petite. Depuis la mort de ma mère, en fait, je n’avais plus versé de larmes de tristesse pour quiconque. Mais Selvigia les méritait. Et la souffrance muette qui m’enserrait le cœur ne s’en irait pas avant longtemps.
— Elle me dirait que ce n’est qu’une perte de temps… souris-je amèrement.
La fin de ma phrase se termina sur un sanglot étranglé. Kalyan secoua tristement la tête, et passa son bras autour de mon épaule pour m’attirer contre lui. Je fermai les yeux, ravalai ma colère pour blottir ma tête dans son cou. Dans notre monde de dieux et de monstres, parfois, même nos pouvoirs ne suffisaient pas pour protéger ceux que l’on aimait.
À l’abri des regards, je laissai couler quelques larmes silencieuses, me serrai fort contre lui, comme si sa présence pouvait combler le vide que la mort venait de creuser en moi. J’avais survécu parce qu’elle s’était jetée entre ce marteau et moi. Mais elle n’avait pas fait ça que pour moi, elle n’était pas folle. Elle avait simplement accepté de prendre un risque plus ou moins calculé, entreprendre une action dangereuse pour récupérer un objet d’une valeur inestimable.
Un objet que j’avais confié à Levi, de toute personne.
Je pris une inspiration tremblante en réalisant que c’était loin d’être fini. Il manquait trois des clés, dont l’une qui était portée disparue depuis qu’elle n’appartenait plus à Skadi. Et, même si on en venait à récupérer les quatre clés, à libérer Loki, que ce soit Levi ou moi qui s’y colle… on n’était pas vraiment sortis de l’auberge. Car cela présageait le Ragnarök.
Or, face au cadavre encore tiède de Selvigia, je réalisais que je ne souhaitais pas davantage de morts. Kalyan avait failli y passer tout à l’heure, seule la bonne volonté de son père l’avait sauvé. Vanessa était morte il y avait quelques semaines de cela. Combien d’autres verrais-je partir ainsi ?
Je me serrai plus fort contre le fils de Thor, la gorge encore serrée par les sanglots, cherchai par réflexe sa pulsation magique familière. Son flux était faible, épuisé par le violent combat que nous avions mené, mais il était régulier et familier. Je m’y raccrochai comme à une bouée, cherchai quelque part en moi le courage d’avouer une vérité que je ne voulais pas vraiment lui dire. C’était certainement le pire moment pour le lui dire, après le combat que nous venions de mener, cela pouvait rompre le peu que nous avions pour l’instant. Mais c’était peut-être aussi le meilleur moment dans la mesure où je n’aurais jamais de seconde chance dans un instant aussi calme.
— Kal ? projetai-je mentalement.
— Oui ?
Je pris une inspiration nerveuse bien réelle. Kalyan tourna la tête vers moi, haussa les sourcils, sans pour autant rompre le contact.
— Je ne t’ai pas dit un truc la dernière fois…
— Je me rappelle. Mais si c’est aussi tendu comme sujet…

Il m’offrait une porte de sortie. Dans un autre temps, je l’aurais certainement saisie. Les secrets comme celui-ci n’étaient pas censés se partager. Ils étaient censés se protéger, peut-être au péril de sa vie… sinon je mettais effectivement ma vie en péril.
— Non, tu mérites de savoir pourquoi ton père me poursuivait comme ça.
Un bref silence, seulement troublé par le bruissement régulier du vent et le silence dans mon esprit tandis que je déblayais le terrain pour une révélation.
— Il avait raison, à l’époque. Je suis l’Élue de Loki.
Je ne bougeai pas, me préparant avec un frisson d’appréhension au pire. À sa colère, à son incompréhension, à son rejet. L’Élue de Loki, celle qui pouvait changer les destinées. Celle qui pouvait tuer un dieu mineur et affronter un dieu majeur sans en mourir. Celle que les Nornes elles-mêmes semblaient craindre.
Quand, après de longues secondes d’un silence qui menaçait de s’éterniser, j’osai relever la tête vers lui, il souriait. Un sourire las et perplexe, aussi blasé que quelqu’un aurait pu l’être en apprenant un fait pareil, mais dénué de rancœur.
— T’en as encore beaucoup, des nouvelles comme ça ?
— Apparemment, quelques unes, croassai-je d’une voix enrouée. Mais je les découvre en général au fur et à mesure qu’elles me tombent dessus. Ces dernières semaines, j’ai eu l’impression de me prendre tuile sur tuile.
Il pouffa, m’observa un long moment.
— Tu veux bien me raconter ?
C’était absurde qu’il me le demande, qu’il ne l’exige pas. Qu’il ne se soit pas déjà levé pour partir. Mais après tout, c’était ce que j’avais espéré de tout cœur. Alors je racontai, alternant entre voix haute et voix mentale en fonction de la sensibilité des informations que j’osais partager en risquant de titiller les dieux concernés en les appelant par leurs noms, ou les oreilles trop longues d’Heimdall. Je narrai la fuite du Q.G. des Thor, les jours d’errance et d’incertitude au service de la Faction, le marché avec Syn. La rencontre avec les Nornes, l’affrontement avec Vali, le pacte avec Loki. Les enchaînements d’évènements plus capillotractés les uns que les autres, qui culminaient au meurtre de Skadi et à cet affrontement. Et enfin, la discussion surréaliste avec son père, la promesse que j’avais faite et le cadeau qu’il semblait m’avoir offert.
Quand j’en eus fini, je n’avais plus de souffle, plus d’eau dans ma gourde, et les flammes qui avaient consumé la forêt non loin finissaient de mourir, étouffées par le violent orage qui avait secoué la plaine pendant le combat contre Thor. Et les yeux de Kalyan étaient aussi ronds que des soucoupes, mais au moins, il ne s’était toujours pas levé pour partir.
— Attends, tu es en train de me dire que mon père t’a…
Je haussai les épaules.
— Apparemment.
— Mais c’est… enfin ils n’ont…
Il était tellement surpris qu’il en bégayait. Je le pris pour ce que c’était, soit un encouragement dans la mesure où, pour le moment, le fait de parier sur la vérité se révélait payant.
— Ils n’ont pas fait ça depuis des années ? relevai-je, sachant pertinemment ce qu’il voulait dire.
— Oui… cela fait quelques siècles déjà que les Æsir et Vanir ont convenu que, sauf circonstances exceptionnelles, les… « hybrides »…
Il mima des guillemets, l’air songeur.
— … étaient trop dangereux. Et impossibles à affilier à un seul camp.
Comme quoi ils n’avaient pas tout à fait tort… songeai-je avec un rictus silencieux. Mais après tout, c’est peut-être l’intérêt, cette fois-ci.
— Tu peux me montrer quelque chose ? demandai-je soudain. Juste comment tu fais une étincelle.
Kalyan leva un sourcil, puis hocha la tête, comprenant où je voulais en venir. Toujours reliée à son flux magique, je perçus les infimes variations de tension qu’il commençait à provoquer, et la manière dont il les manipulait. Quelque part, c’était très similaire aux changements de température qui permettaient de générer plus facilement des flammes. J’étais, étrangement, en terrain connu.
Une lumière, brève mais éclatante, crépita entre ses doigts. Je tendis la main à mon tour, reproduisant ses gestes, mais aussi ses intentions. Liée à lui, je percevais bien plus facilement les différences de tension existantes mais quand, juste avant d’y parvenir, je m’arrachai à son contact, je réalisai que je les ressentais toujours aussi précisément. La sensation, à la fois inconnue et vertigineuse, me donna le tournis. Je m’écartai de quelques pas, songeant à l’orage qui s’était amoncelé quelques dizaines de minutes plus tôt, aux nuages que le vent avait chassés. Focalisée sur l’idée de les ramener à moi comme je ramenais les flammes auparavant, je ne réalisai tout d’abord pas que les nuages étaient revenus à une vitesse ahurissante. Et lorsque je le vis, lorsque je mesurai la puissance infinie au bout de mes doigts, la tension explosive qui s’était accumulée, le ciel ténébreux se fendit d’un terrible éclair d’un blanc destructeur.
J’éclatai d’un rire nerveux, libérateur. Jusqu’à maintenant, je n’y avais pas cru. Même lorsque Thor me l’avait sous-entendu, même quand Kalyan me l’avait confirmé, je n’avais pas osé espérer avoir acquis une nouvelle magie.
— Lily ? osa Kal, un sourire anxieux aux lèvres, l’air à la fois sidéré et nerveux.
Je me tournai vers lui, et me heurtai soudain à un visage dans le miroir qu’il tendait face à moi. Le mien. Mais avec les yeux de Kalyan, bleus électriques, crépitants encore de ma nouvelle magie.


<=

| † | † |

FIN DU SECOND LIVRE

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vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

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J'ai… beaucoup de choses à dire sur ce tome.
Déjà, j'ai commencé à poster le tome 2 le 1er avril 2020, ce qui s'annonçait déjà comme une vaste blague. :mrgreen: C'était encore le confinement, c'est venu sur un coup de tête alors que la moitié du tome n'était pas encore écrite… et finalement, ça s'est quand même (un peu) ressenti.

Je ne sais pas à quel point ça a été perçu de votre côté, mais j'ai eu beaucoup de difficultés avec L'Alliance des Déchus. La partie visible de l'iceberg, c'était mon rythme de publication plus qu'irrégulier. La partie moins visible, c'était les pétages de câble internes quand la cohérence partait dans tous les sens, le chaos du jardinage sans préparation qui faisait que des évènements sans relations apparentes advenaient en plein milieu du tome… enfin bref.

Ceci dit, je reste consciente du travail fourni, de l'énergie investie, et du résultat final. Et… j'en suis pas insatisfaite, de ce tome, finalement. Je suis sûre qu'à la relecture, d'ici quelques semaines, j'aurai envie d'en jeter les 3/4 à la poubelle, mais d'ici-là, je me rends compte que… peut-être qu'il n'est pas si mauvais, déjà ? :lol: Vu comment c'était parti, c'était pas gagné d'avance.

Donc je voudrais, comme d'hab', vous dire un grand merci à vous. Coline et Salomé, mes deux lectrices/correctrices/bêtas/supports émotionnels préférées. Tous les petits lecteurs fantômes, Booknode et Wattpad confondus, qui ont pris le temps de jeter un coup d'œil, parfois de voter, parfois de laisser un commentaire. Toutes les personnes qui ne font que passer, même si elles ne se manifestent pas. Vous faites vivre ces romans au-delà de ce qui se passe dans ma tête, et ça, ce n'est pas rien.

L'attente promet d'être un peu longuette pour le tome 3, mais ne désespérez pas… le chaos ne fait que commencer. :twisted:

(Et en attendant, promis, il y a plein d'autres projets qui arrivent. L'Ellana Litterary Universe ne fait que commencer à s'étendre XD)
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : lun. 26 déc., 2022 1:31 pm
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J'ai… beaucoup de choses à dire sur ce tome.
Déjà, j'ai commencé à poster le tome 2 le 1er avril 2020, ce qui s'annonçait déjà comme une vaste blague. :mrgreen: C'était encore le confinement, c'est venu sur un coup de tête alors que la moitié du tome n'était pas encore écrite… et finalement, ça s'est quand même (un peu) ressenti.

Je ne sais pas à quel point ça a été perçu de votre côté, mais j'ai eu beaucoup de difficultés avec L'Alliance des Déchus. La partie visible de l'iceberg, c'était mon rythme de publication plus qu'irrégulier. La partie moins visible, c'était les pétages de câble internes quand la cohérence partait dans tous les sens, le chaos du jardinage sans préparation qui faisait que des évènements sans relations apparentes advenaient en plein milieu du tome… enfin bref.

Ceci dit, je reste consciente du travail fourni, de l'énergie investie, et du résultat final. Et… j'en suis pas insatisfaite, de ce tome, finalement. Je suis sûre qu'à la relecture, d'ici quelques semaines, j'aurai envie d'en jeter les 3/4 à la poubelle, mais d'ici-là, je me rends compte que… peut-être qu'il n'est pas si mauvais, déjà ? :lol: Vu comment c'était parti, c'était pas gagné d'avance.

Donc je voudrais, comme d'hab', vous dire un grand merci à vous. Coline et Salomé, mes deux lectrices/correctrices/bêtas/supports émotionnels préférées. Tous les petits lecteurs fantômes, Booknode et Wattpad confondus, qui ont pris le temps de jeter un coup d'œil, parfois de voter, parfois de laisser un commentaire. Toutes les personnes qui ne font que passer, même si elles ne se manifestent pas. Vous faites vivre ces romans au-delà de ce qui se passe dans ma tête, et ça, ce n'est pas rien.

L'attente promet d'être un peu longuette pour le tome 3, mais ne désespérez pas… le chaos ne fait que commencer. :twisted:

(Et en attendant, promis, il y a plein d'autres projets qui arrivent. L'Ellana Litterary Universe ne fait que commencer à s'étendre XD)
Holaaaa

Déjà, 1 : bravooooooooo pour la fin de ce tome 2 ! c'est clairement pas facile de finir un roman, alors une suite de saga... :D Congrats !

2 : pour toutes les difficultés que cette suite a engendré, c'était un mal pour un bien j'imagine. Comme tu dis, ton jardinage t'a emmené sur des voies qui étaient pas forcément les bonnes (t'es un peu maso en même temps, quelle idée de jardiner) mais ça a permis la construction d'une intrigue plus solide, riche et prenante.

3 : m'enfin, les 3/4 méritent pas de partir à la poubelle :lol: C'est vrai que c'est compliqué de te donner un avis sur le T2 dans l'ensemble dans la mesure où je ne l'ai pas vraiment lu d'une traite comme je fais avec mes lectures habituelles, mais j'ai pas trouvé qu'il y avait de gros point faible ou temps mort dans ce tome. Pour le temps de la relecture, plein de courage en tout cas. Si jamais, je serais curieuse de savoir ce que tu vas modifier dans les grandes lignes, enlever ou ajouter.

4 : avec plaisir pour la lecture et l'accompagnement ♥ LCDS est une saga qui gagne en epicness à chaque partie (et en drama, on est là pour ça aussi mdr) et qui continue de me surprendre par ses personnages et la réinterprétation des mythes nordiques. On sent toute ton énergie, tes inspirations, tes motivations dans cette série (encore plus que pour Dynasties par exemple). On sent que c'est un récit que t'as dans les tripes et qui te travaille. Je te souhaite donc de bien joyeusement dénouer tes boyaux pour la suite et essayer d'en faire un truc sans mourir d'hémorragie :lol:

5 : t'as assisté en direct à ma réaction sur les derniers chapitres et je ne peux que te saluer (maudire) pour cette fin. Un bon mélange de combat épique / révélations / progression scénaristique / développement des personnages et de draamaaaaaa
(mon coeur un peu cassé là et mon breakdown à 23h45)

6 : à tête reposée, je suis hyper intriguée par ce système d'artefacts (les clefs). Je me doute que tu vas te débrouiller pour rendre ça pas aussi tranquille et simple qu'une petite recherche d'outils :lol: Au fond, je reste toujours curieuse de savoir ce que Lily va décider par rapport à Loki (le libérer, l'ignorer, le fuir, l'affronter, le trahir, le soutenir... tellement de possibilités, chacune valable par rapport à l'évolution personnelle de Lily et sa relation pourrie avec Loki) mais je sais même pas si t'as déjà prévu cet après (avant ?) libération :lol:
Autre point : les nouveaux pouvoirs de Lily. Perdre la pyromagie était vraiment pas cool mais elle gagne un sacré truc derrière mine de rien. Avec Kal, ils peuvent clairement casser des crânes, surtout s'ils s'y mettent à 2. Ce sera pas de trop vu ce qu'ils doivent affronter dans tout ce bazar :roll: Maintenant, vue l'ascendance de Lily, je sais pas à quel point elle peut devenir cheatée :lol:
Spoiler
Je voulais juste faire une parenthèse sur l'histoire de Selvie et Adam.
Les indices que t'as laissés, avec le recul je suis hyper frustrée de pas les avoir captés mdr Je me suis toujours demandé avec qui Adam avait pu avoir Ness, sachant qu'il s'agirait quand même d'une personne importante pour lui, vu l'implication qu'avoir un enfant demande (même si bon Selvie a pas trop (du tout) été impliquée dans l'éducation). Plus j'y pense, plus ça me paraît gros. Fin tu dis dès le T1 qu'Adam et Selvie ont été ensemble pendant un moment. Je crois que je me suis fait avoir par un truc hyper con et factuel du fait que j'avais genre... zappé qu'Adam était loin d'être le seul à s'amuser à changer de sexe mdr J'ai juste même pas pris en compte le fait que Selvie pouvait avoir fréquenté Adam en tant qu'homme alors que c'est des Loki quoi les genderfluid de service.
Mais maintenant je suis hyyyyper intriguée sur cette période de leur vie (commune). Comment ils pouvaient être l'un envers l'autre dans une relation romantique. L'idée de Selvie amoureuse, ça me fait super bizarre (comme elle est hyper secrète et indépendante). Adam je suis moins "étonnée" mais idem l'imaginer engagé dans une relation, la vulnérabilité qui en découle (surtout avec l'arrivée de Ness) ça élargit complètement le champ du personnage.
Non, non, je suggère pas du tout l'écriture d'un OS.
Bref, tu nous as encore bien secoués avec ce tome et on est pas sortis de l'auberge x)
J'avoue que j'appréhende la lecture des tomes 3 & 4 question drama, car là on était déjà pas mal et j'ai pas de doutes que ça va monter en intensité :lol:
Allez, au plaisir de te recroiser par ici, que ce soit sur LCDS ou un autre projet :D
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Re: Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : mar. 27 déc., 2022 12:00 amHolaaaa

Déjà, 1 : bravooooooooo pour la fin de ce tome 2 ! c'est clairement pas facile de finir un roman, alors une suite de saga... :D Congrats !

2 : pour toutes les difficultés que cette suite a engendré, c'était un mal pour un bien j'imagine. Comme tu dis, ton jardinage t'a emmené sur des voies qui étaient pas forcément les bonnes (t'es un peu maso en même temps, quelle idée de jardiner) mais ça a permis la construction d'une intrigue plus solide, riche et prenante.

3 : m'enfin, les 3/4 méritent pas de partir à la poubelle :lol: C'est vrai que c'est compliqué de te donner un avis sur le T2 dans l'ensemble dans la mesure où je ne l'ai pas vraiment lu d'une traite comme je fais avec mes lectures habituelles, mais j'ai pas trouvé qu'il y avait de gros point faible ou temps mort dans ce tome. Pour le temps de la relecture, plein de courage en tout cas. Si jamais, je serais curieuse de savoir ce que tu vas modifier dans les grandes lignes, enlever ou ajouter.

4 : avec plaisir pour la lecture et l'accompagnement ♥ LCDS est une saga qui gagne en epicness à chaque partie (et en drama, on est là pour ça aussi mdr) et qui continue de me surprendre par ses personnages et la réinterprétation des mythes nordiques. On sent toute ton énergie, tes inspirations, tes motivations dans cette série (encore plus que pour Dynasties par exemple). On sent que c'est un récit que t'as dans les tripes et qui te travaille. Je te souhaite donc de bien joyeusement dénouer tes boyaux pour la suite et essayer d'en faire un truc sans mourir d'hémorragie :lol:

5 : t'as assisté en direct à ma réaction sur les derniers chapitres et je ne peux que te saluer (maudire) pour cette fin. Un bon mélange de combat épique / révélations / progression scénaristique / développement des personnages et de draamaaaaaa
(mon coeur un peu cassé là et mon breakdown à 23h45)

6 : à tête reposée, je suis hyper intriguée par ce système d'artefacts (les clefs). Je me doute que tu vas te débrouiller pour rendre ça pas aussi tranquille et simple qu'une petite recherche d'outils :lol: Au fond, je reste toujours curieuse de savoir ce que Lily va décider par rapport à Loki (le libérer, l'ignorer, le fuir, l'affronter, le trahir, le soutenir... tellement de possibilités, chacune valable par rapport à l'évolution personnelle de Lily et sa relation pourrie avec Loki) mais je sais même pas si t'as déjà prévu cet après (avant ?) libération :lol:
Autre point : les nouveaux pouvoirs de Lily. Perdre la pyromagie était vraiment pas cool mais elle gagne un sacré truc derrière mine de rien. Avec Kal, ils peuvent clairement casser des crânes, surtout s'ils s'y mettent à 2. Ce sera pas de trop vu ce qu'ils doivent affronter dans tout ce bazar :roll: Maintenant, vue l'ascendance de Lily, je sais pas à quel point elle peut devenir cheatée :lol:
Spoiler
Je voulais juste faire une parenthèse sur l'histoire de Selvie et Adam.
Les indices que t'as laissés, avec le recul je suis hyper frustrée de pas les avoir captés mdr Je me suis toujours demandé avec qui Adam avait pu avoir Ness, sachant qu'il s'agirait quand même d'une personne importante pour lui, vu l'implication qu'avoir un enfant demande (même si bon Selvie a pas trop (du tout) été impliquée dans l'éducation). Plus j'y pense, plus ça me paraît gros. Fin tu dis dès le T1 qu'Adam et Selvie ont été ensemble pendant un moment. Je crois que je me suis fait avoir par un truc hyper con et factuel du fait que j'avais genre... zappé qu'Adam était loin d'être le seul à s'amuser à changer de sexe mdr J'ai juste même pas pris en compte le fait que Selvie pouvait avoir fréquenté Adam en tant qu'homme alors que c'est des Loki quoi les genderfluid de service.
Mais maintenant je suis hyyyyper intriguée sur cette période de leur vie (commune). Comment ils pouvaient être l'un envers l'autre dans une relation romantique. L'idée de Selvie amoureuse, ça me fait super bizarre (comme elle est hyper secrète et indépendante). Adam je suis moins "étonnée" mais idem l'imaginer engagé dans une relation, la vulnérabilité qui en découle (surtout avec l'arrivée de Ness) ça élargit complètement le champ du personnage.
Non, non, je suggère pas du tout l'écriture d'un OS.
Bref, tu nous as encore bien secoués avec ce tome et on est pas sortis de l'auberge x)
J'avoue que j'appréhende la lecture des tomes 3 & 4 question drama, car là on était déjà pas mal et j'ai pas de doutes que ça va monter en intensité :lol:
Allez, au plaisir de te recroiser par ici, que ce soit sur LCDS ou un autre projet :D
Helloooo !

1) Merci :D

2) Il y a aussi le fait que j'aime pas écrire les milieux… et le T2 c'est clairement un milieu de saga, donc je pense que ça joue aussi. Donc ça n'a pas été facile, surtout en jardinant, mais c'était bien marrant aussi par occasions.

3) Tu me diras si tu le relis un jour (genre après que j'aie fini d'agoniser sur la perspective de devoir en faire la correction :lol: ). Mais je pense que, comme pour le T1, je vais me faire une sorte de suivi des modifications, chapitre par chapitre, et dans la globalité. Mais déjà, il va falloir attaquer… *roulement de tambours dramatique* la terrible relectuuuure… x)

4) Came from the trauma, stayed for the drama :) C'est vrai que c'est clairement l'ouvrage où je suis capable de mettre le plus de cœur et d'énergie. J'aime bien projeter sur Lily (la pauvre) toutes mes histoires et tous mes traumatismes de recherches chaotiques, ça doit se ressentir :D Merci bien, je vais essayer de préserver ce qu'il me reste d'intégrité physique et mentale x)

5) C'était beau quand même. J'avoue que vous faire lire les fins en live, c'est quand même magique x) Je prends note pour potentiellement la fin du tome 3 ! (Petit breakdown des familles par contre…)

6) C'est marrant parce que c'est comme d'hab, c'est un pivot majeur de l'histoire et l'une des merveilleuses raisons pour lesquelles je ne pourrais pas te répondre, même si je le voulais, c'est que je n'en sais fichtrement rien ! Mais j'ai comme l'impression, vu comment ça se dessine dans ma tête, que Lily ne sera pas la seule actrice décisionnaire sur ces points, et qu'il est fort possible que Levi gagne un peu enfin en responsabilité, pour le meilleur ou pour le pire. M'enfin, we shall see.
Les nouveaux pouvoirs, c'est vraiment un délire à part. En même temps, je ne pouvais pas rester sur une Lily 100 % Loki, parce qu'elle maîtrisait déjà la plupart de ses pouvoirs à 95 %, et ce qui lui manquait le plus, c'était l'expérience. Maintenant, elle va pouvoir s'amuser avec des nouveaux jouets x) Et, quitte à y sacrifier la pyromagie… ouais c'est un deal rentable :lol:

Spoiler
Bonjour bonsoir à tous j'aimerais ouvrir une parenthèse (
(Double parenthèse, qui a la ref ?)

Alors. Pour Selvie-Adam, c'est… (je réfléchis, je vais écrire au fil de mes réflexions)
Ce qui est marrant en fait, c'est que pour une fois, ce n'était absolument pas du jardinage, et c'est l'un des premiers points que j'ai voulu retravailler dès la correction du T1.
(J'esquive un peu toutes les questions que tu poses en blablatant, mais je t'ai vue avec ta petite mention d'OS, hein :mrgreen: )
Donx, disais-je, c'était calculé dès le T1. Dès la première apparition de Vanessa, en fait, je savais qu'elle était liée à Selvie. Mais c'était trop évident, d'une certaine manière, donc j'avais besoin d'esquiver le problème. J'ai mis deux ou trois refs déjà dans La Confrérie, et je pense que je rajouterai deux ou trois signes avant-coureurs dans L'Alliance, mais c'est marrant que ce soit vraiment le truc planifié avec lequel j'ai réussi à arnaquer tout le monde. :lol: D'ailleurs, dans une V0.75 du T2, Selvie l'annonçait à Lily plus tôt (genre dans le jet de la Faction) parce qu'elle était au courant depuis longtemps (ce qui n'est pas le cas dans la version actuelle), et c'était explosif entre elles notamment parce que du coup, Lily venait de lui dire qu'elle avait tué sa fille.
Bref. Selv' amoureuse c'est quelque chose de très particulier, j'avoue que j'ai du mal à la cerner encore, mais cet OS n'est absolument pas exclu si c'est ça que tu cherchais comme réponse x)
)


Autant le tome 3 je peux déjà promettre du drama à gogo, autant le tome 4 je ne m'engage pas encore x).

En tout cas, merci d'être repassée par là, de t'être laissée embarquer dans ce voyage et de continuer à t'accrocher à la barque, parce que oui, on n'est pas encore sortis de l'auberge. :lol:
La bise ~
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchus

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : mar. 27 déc., 2022 1:00 pm Helloooo !

1) Merci :D

2) Il y a aussi le fait que j'aime pas écrire les milieux… et le T2 c'est clairement un milieu de saga, donc je pense que ça joue aussi. Donc ça n'a pas été facile, surtout en jardinant, mais c'était bien marrant aussi par occasions.

3) Tu me diras si tu le relis un jour (genre après que j'aie fini d'agoniser sur la perspective de devoir en faire la correction :lol: ). Mais je pense que, comme pour le T1, je vais me faire une sorte de suivi des modifications, chapitre par chapitre, et dans la globalité. Mais déjà, il va falloir attaquer… *roulement de tambours dramatique* la terrible relectuuuure… x)

4) Came from the trauma, stayed for the drama :) C'est vrai que c'est clairement l'ouvrage où je suis capable de mettre le plus de cœur et d'énergie. J'aime bien projeter sur Lily (la pauvre) toutes mes histoires et tous mes traumatismes de recherches chaotiques, ça doit se ressentir :D Merci bien, je vais essayer de préserver ce qu'il me reste d'intégrité physique et mentale x)

5) C'était beau quand même. J'avoue que vous faire lire les fins en live, c'est quand même magique x) Je prends note pour potentiellement la fin du tome 3 ! (Petit breakdown des familles par contre…)

6) C'est marrant parce que c'est comme d'hab, c'est un pivot majeur de l'histoire et l'une des merveilleuses raisons pour lesquelles je ne pourrais pas te répondre, même si je le voulais, c'est que je n'en sais fichtrement rien ! Mais j'ai comme l'impression, vu comment ça se dessine dans ma tête, que Lily ne sera pas la seule actrice décisionnaire sur ces points, et qu'il est fort possible que Levi gagne un peu enfin en responsabilité, pour le meilleur ou pour le pire. M'enfin, we shall see.
Les nouveaux pouvoirs, c'est vraiment un délire à part. En même temps, je ne pouvais pas rester sur une Lily 100 % Loki, parce qu'elle maîtrisait déjà la plupart de ses pouvoirs à 95 %, et ce qui lui manquait le plus, c'était l'expérience. Maintenant, elle va pouvoir s'amuser avec des nouveaux jouets x) Et, quitte à y sacrifier la pyromagie… ouais c'est un deal rentable :lol:

Spoiler
Bonjour bonsoir à tous j'aimerais ouvrir une parenthèse (
(Double parenthèse, qui a la ref ?)

Alors. Pour Selvie-Adam, c'est… (je réfléchis, je vais écrire au fil de mes réflexions)
Ce qui est marrant en fait, c'est que pour une fois, ce n'était absolument pas du jardinage, et c'est l'un des premiers points que j'ai voulu retravailler dès la correction du T1.
(J'esquive un peu toutes les questions que tu poses en blablatant, mais je t'ai vue avec ta petite mention d'OS, hein :mrgreen: )
Donx, disais-je, c'était calculé dès le T1. Dès la première apparition de Vanessa, en fait, je savais qu'elle était liée à Selvie. Mais c'était trop évident, d'une certaine manière, donc j'avais besoin d'esquiver le problème. J'ai mis deux ou trois refs déjà dans La Confrérie, et je pense que je rajouterai deux ou trois signes avant-coureurs dans L'Alliance, mais c'est marrant que ce soit vraiment le truc planifié avec lequel j'ai réussi à arnaquer tout le monde. :lol: D'ailleurs, dans une V0.75 du T2, Selvie l'annonçait à Lily plus tôt (genre dans le jet de la Faction) parce qu'elle était au courant depuis longtemps (ce qui n'est pas le cas dans la version actuelle), et c'était explosif entre elles notamment parce que du coup, Lily venait de lui dire qu'elle avait tué sa fille.
Bref. Selv' amoureuse c'est quelque chose de très particulier, j'avoue que j'ai du mal à la cerner encore, mais cet OS n'est absolument pas exclu si c'est ça que tu cherchais comme réponse x)
)


Autant le tome 3 je peux déjà promettre du drama à gogo, autant le tome 4 je ne m'engage pas encore x).

En tout cas, merci d'être repassée par là, de t'être laissée embarquer dans ce voyage et de continuer à t'accrocher à la barque, parce que oui, on n'est pas encore sortis de l'auberge. :lol:
La bise ~
Heyo !

Ah oui, pour le côté milieu de saga, je te comprends. Y'a cette peur du côté "transition" qui pourrait ennuyer... Mais le T2 de LCDS il est quand même bien agité 😭

Pour la relecture complète, je t'assure pas de la faire cette année, comme j'avais relu tout le début en début d'année et du coup une bonne partie de la fin sur cette fin d'année... Mais s'il y a besoin éventuellement que je relise des sections/chapitres, dis-moi !

Hehe oui ça se ressent :lol: Mais ça nous arrangerait bien que tu conserves ton intégrité physique et mentale sooo courage :roll:

Pour la fin du T3, si ça colle en temporalité/nos présences respectives pas trop loin les unes des autres, carrément 8-)

Oooh, I see. Franchement, avec le nouveau rôle qu'embrasse Levi sur cette fin de T2, je serais pas étonnée de le voir prendre en grade. Je trouverais même plaisant de suivre ce personnage dans une nouvelle dimension ! Je te dis, je l'aime bien notre Levi loser national :lol: Attachant malgré lui à mes yeux.
Je vois pour les pouvoirs. Comme c'est dit à quelques reprises dans le T2, ce qui la différencie des autres Élites avec à peu près les mêmes pouvoirs, c'est l'expérience et la "créativité" autour de l'usage de leurs capacités. Mais là je pense qu'elle va pouvoir être créative avec ses petits éclairs⚡

Spoiler
On rouvre les spoilers 8-)

Alors ça je m'y attendais pas vraiment (le fait que Selvie-Adam, ce soit pas du jardinage). Parce que c'est vrai que c'est pas forcément le ship le + évident. Pas que ça fasse cheveu sur la soupe, hein (c'est introduit suffisamment tôt effectivement pour qu'on sache qu'ils ont un vrai background commun) mais ça fait vraiment idée farfelue sortie de ta tête farfelue pour apporter en chaos à cette histoire déjà bien chaotique :lol:
(et j'ai vu que tu avais vu pour l'OS 🥹)
Arf oui dans la version dont tu parles, où Selvie le dit à Lily plus tôt, j'ose imaginer la scène qui en aurait découlé oskur 😢 Mais dans la version actuelle, en dehors de la scène de mort en elle-même de Selvie, c'est tout ce qu'elle a dû encaisser et avaler par rapport au fait que Lily a tué Ness qui surgit au même moment. Ça apporte vachement plus de drama évidemment et ça fait remettre en perspective plusieurs scènes entre Selvie et Lily au cours du T1. Maintenant, je me demande comment Adam va aussi encaisser la mort de Selvie. Je me doute qu'ils sont plus aussi proches que pendant la relation romantique ofc, mais Selvie devait quand même avoir une certaine place dans son coeur, au moins pour tout ce qui a été partagé.


Chouette pour le T3, on va encore bien déguster :lol:

Avec plaisir ! ♥
Merci à toi.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I & II] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par louji »

ATTENTION SPOILERS TOME 1 CHAPITRE 30


DÉTOURNEZ LES YEUX AMES INNOCENTES



(je suis vraiment désolée pour ce montage, mais... 3 ans, voire plus, que je le dois donc le voilà 🫡)

(vraiment navrée de soumettre vos yeux à cette horreur produite sur Gimp)

(mais profitez quand même 👍)

(mdr j'ai dit spoilers comme si on pouvait comprendre quoi que ce soit au montage à moins d'avoir lu tous les commentaires présents sur ce sujet oskur)

(y'a des petits détails faut ouvrir les yeux)

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vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [OS] : Istanbul

Message par vampiredelivres »

Things were said, and things are done.
Things were promised, and things are delivered.
Profitez-en bien, c'est vous qui l'avez voulu ♥

PS : Il a entièrement été écrit avec l'album Stripped de Faouzia en boucle pendant toutes les séances… parce qu'après tout, pourquoi pas !


ONE SHOT
Istanbul


Eva.

Eva, il faut que je te parle.

Réponds s’il te plaît.

Ton téléphone borne régulièrement à Istanbul, je sais que tu y es.

Et l’autre folle aussi.

Je crois savoir ce qu’elle t’a raconté. Mais elle ne t’a pas tout dit.

Eva, je t’en prie, ça nous concerne tous les deux.

Tant pis, si tu ne veux pas venir me parler, je viens vous chercher.

Eva…

Si jamais tu veux reconsidérer, ça concerne Moscou.

Tant pis pour toi, je viendrai moi-même.



Syn, qui jusque là n’avait pas bougé, observant Lilith et Selvigia préparer leur plan d’évasion avec un sourire songeur, haussa les sourcils en voyant la seconde fille de Loki se retransformer, exactement à l’endroit où elle était assise un instant avant, ignorant la stratégie prévue.
— Ça pour une surprise…
Dédaignant son commentaire, Selvigia fit apparaître son téléphone, considéra les dizaines de notifications d’appels manqués et de messages non-lus. L’espace de quelques instants, elle reconsidéra la situation, le choix qu’elle faisait. Les soldats de la Confrérie finissaient de s’extirper du van qui les avait amenés jusqu’ici. Lilith filait le long des murs, transformée en petite araignée velue et filiforme, inconsciente des doutes de sa sœur. Bientôt, elle serait dehors, libre comme l’air.
— C’est une diversion additionnelle, commenta-t-elle finalement d’une voix distante, désintéressée.
Une sourde appréhension lui enserrait le cœur. Il y avait longtemps déjà qu’Adam et elle ne se parlaient plus en-dehors des rares négociations politiques dans le cadre du Manoir. Ils coexistaient parce qu’ils faisaient partie de l’Élite, mais ils ne communiquaient plus.
Ou plus comme avant en tout cas.
— Évidemment, pouffa Syn en voyant son regard trouble. J’avais prévu d’y aller, mais je pense que je vais rester pour le spectacle en fait.
— Mettez-vous à l’aise alors. Vous allez voir, la famille n’a pas changé depuis tout ce temps.
Syn s’appuya plus confortablement contre la vitre, derrière laquelle les forces de la Confrérie venaient de commencer à charger. Dans le brouhaha ambiant du café, des tasses et des couverts qui cliquetaient et des conversations qui se poursuivaient, Selvigia fit le décompte en silence, troublée par les questions qui lui embrouillaient l’esprit.
Quatre.
Combien de fois avait-elle participé à de telles interventions ?
Trois.
Avait-elle un jour imaginé être elle-même la proie d’une telle chasse ?
Deux.
De quoi Adam voulait-il parler ?
Un.
Quel rapport avec Moscou ?
La porte faillit bien voler hors de ses gonds tandis que les soldats casqués déferlaient brusquement au beau milieu du café, soulevant des cris de terreur et de protestation de la part des clients. Seules Syn et Selvigia, muettes et immobiles au milieu de la soudaine panique, se contentèrent de les regarder submerger le lieu comme un raz-de-marée, couvrir les issues, envahir l’espace. Elles accusèrent un bref instant le coup lorsque les suppresseurs de magie s’activèrent autour d’elles, coupant leur flux, échangèrent un bref regard, puis esquissèrent un sourire de circonstance, froid et figé.
— En scène, gente dame, murmura Syn avec un haussement de sourcils.
Le cœur au bord des lèvres, consciente qu’elle signait peut-être son emprisonnement, voire même sa mort, Selvigia poussa lentement sur ses talons pour se lever. La moitié des occupants du café s’étaient jetés sous leurs tables ou baissés, cherchant désespérément une protection derrière les meubles, essayant de s’écarter des envahisseurs. Dans le tumulte, elle était la seule à se dresser sans crainte apparente.
— Kaldtjis ? demanda une voix froide et désincarnée depuis la porte.
Une vague parcourut les soldats casqués au fur et à mesure que l’information circulait et qu’ils se tournaient vers Selvigia et Syn.
— Salut, Adam, répondit-elle avec un mince sourire.
L’un des soldats se détacha de la cohorte, s’avança, braqua son arme droit sur Syn, soulevant des hurlements.
— Je ne ferais pas ça, à ta place. Ce n’est pas Síverdín.
— Et qui est-ce donc ? interrogea une autre personne, sa voix également déformée par un micro intégré au casque.
À son tour, Syn se leva lentement dans un cliquetis de mailles, soulevant un vent de murmures autant chez les humains inconscients des enjeux que chez les Loki qui soudain, reconnaissaient le style asgardien de la robe.
— Oh, murmura celui qui avait parlé.
— Síverdín n’est pas là, reprit Selvigia en assurant sa voix qui menaçait de trembler. Avant que tu ne poses la question, elle est déjà partie.
Il y eut un bref moment de flottement, et elle devina que des discussions étouffées avaient lieu sous les casques, débattant de la marche à suivre. L’ancienne Élite laissa ses yeux courir sur les silhouettes, suivant les flux de communication, notant les imperceptibles indices qui indiquaient où se situait leur chef. Lorsqu’elle l’eut repéré, planté près du bar, froid et figé, elle s’adressa directement à lui, ignorant tous les autres.
— Tu voulais me parler. Sortons d’ici. Ne dérange pas les gens autour.
À l’oreille des spectateurs, la conversation en vieux norrois était absolument incompréhensible. Cependant, dans la mesure du possible, Selvigia préférait les écarter du conflit. Elle n’aimait pas les affrontements qui avaient lieu au grand jour, ça allait à l’encontre de tout ce qu’elle avait appris lorsqu’il s’agissait de dissimuler l’existence du monde magique aux humains. Et puis, depuis qu’elle était sous la protection de la Faction, elle se sentait en permanence surveillée, traquée.
Elle perçut son doute, la tension indicible de ses muscles alors qu’il luttait pour ne pas se tourner vers elle, même s’il savait qu’elle l’avait repéré parmi les uniformes interchangeables.
— Je t’écouterai, promit-elle. Et en échange, tu me laisseras repartir.
Avec un rictus, il retira brusquement son casque et la fixa droit dans les yeux, le visage déformé par une rage soudaine. Il n’avait pas son visage habituel, mais elle connaissait cette apparence qu’il portait comme une seconde peau. C’était celle de la mission au Venezuela.
— Tu te doutes des ordres que j’ai reçus, n’est-ce pas ?
— Bien sûr. Et toi, tu sais pourquoi j’ai déserté. Tu n’aimerais peut-être pas que j’en parle tout de suite…
Un instant seulement, son regard glissa de droite à gauche, trahissant son doute, sa vulnérabilité.
— Tu connais mes promesses, ajouta Selvigia, un ton plus bas. Je t’écouterai. Mais ne me demande pas de te suivre ou de me laisser capturer maintenant.
— Et tu serais capable…
— Si tu m’y forces, oui, affirma-t-elle froidement malgré son cœur battant.
Elle le savait au fond d’elle-même, c’était un mensonge. Là-dessus, elle avait toujours été lâche et faible, incapable d’abandonner ce à quoi elle tenait pour une juste cause. Elle n’avait pas quitté la Confrérie lorsque Kaiser avait fait tuer Gimöd. Elle n’aurait certainement jamais résisté autant que Lilith dans les prisons des Thor, refusant de démordre de ses principes. Elle n’aurait pas essayé de se suicider pour ne pas divulguer d’informations. Elle aurait cédé bien avant qu’ils ne lui révèlent la toile de complots que la commandante avait tissée. Elle se serait effondrée si elle avait vu Kirstin dans ces geôles, aussi prisonnière qu’elle.
Par rapport aux Élites, elle était faillible.
Mais c’était aussi sur ce principe qu’elle avait construit sa réputation au Manoir. Elle restait éloignée des conflits pour survivre au fil du courant, refusant de s’impliquer pour ne pas y perdre au change.
Elle récupéra d’un geste lent, visible aux yeux de tous, ses lunettes qu’elle avait posées sur la table, les coinça en un simulacre de serre-tête, affectant un sourire nonchalant. Une peur acide lui étreignait la poitrine, mais elle luttait pour garder une prise sur les réactions de son corps, sachant pertinemment qu’ils l’étudiaient tous pour se jeter sur elle au moment où elle flancherait.
Ne laisse pas l’ennemi avoir le dessus sur le terrain. Ne te fais pas coincer dans un endroit fermé. Tu es une Loki, cherche les grands espaces ouverts. Un suppresseur de magie a toujours un rayon limité.
Un peu tard pour cette leçon, Kirstin, mais merci de me l’avoir apprise.

Le sourire sur ses lèvres s’adoucit à la pensée de son mentor, dissipa quelque peu la poigne de l’angoisse. Elle fit mine de faire un pas vers la sortie et, aussitôt, un mouvement de la masse de soldats resserra l’étau autour d’elle. Elle ne s’immobilisa pas pour autant. D’un pas lent, assuré, elle traça son chemin entre les tables, les soldats faisant mine de la bloquer, puis s’écartant juste ce qu’il fallait sur son passage. Pour peu, elle aurait pu croire à une haie d’honneur, mais c’était davantage une escorte de l’opprobre.
À chacun d’entre eux, elle leur rendit un mince sourire, murmura leurs noms lorsqu’elle arrivait à les identifier. Beaucoup croyaient qu’ils étaient identiques, interchangeables, indissociables. Mais elle avait passé des années à mémoriser les habitudes et manies de chacun. Ici un petit bracelet qui dépassait sous le gant, là un petit tic de se frotter le menton. Elle connaissait tout le Manoir ainsi, à leur insu, et leur silence stupéfait était la plus forte marque de respect qu’ils puissent lui manifester dans cette situation.
Sur le pas de la porte qu’on lui avait ouverte, elle s’immobilisa, se retourna pour adresser un bref salut de la tête à Syn. La déesse lui rendit un mince sourire avenant, ses yeux anthracite étrécis en fentes, pareils à ceux d’un serpent. Dans son expression, Selvigia lut la remarque muette qu’elle lui adressait – N’oubliez pas votre parole – mais elle n’y répondit pas. Elle n’était même pas encore certaine de survivre à cette après-midi.
Elle émergea dans la rue bruyante entourée d’un cordon de sécurité, toujours privée de ses pouvoirs, respirant plus librement malgré la touffeur écrasante de la fin d’été. Le béton lui-même, imprégné de la chaleur des rayons de soleil qui tombaient droit en ce milieu de journée, irradiait, surplombé d’une fine couche d’air miroitant. D’un geste élégant, dénué de menace évidente, Selvigia fit retomber ses lunettes de soleil sur son nez, pivota vers Adam qui sortait du café à sa suite. La porte se referma en claquant derrière lui, enfermant la moitié de son escouade à l’intérieur, certainement au cas où Lilith y serait toujours.
La pensée la fit sourire. Si elle avait été encore là, Selvigia n’aurait pas parié sur les soldats d’Adam. Lilith lui avait raconté l’incident qui l’avait opposée aux Freyr, dans ce restaurant, et Selvigia avait mentalement recoupé les informations avec ce qu’elle-même savait de l’évènement. La conséquence était indéniable : elle les avait massacrés.
— Marchons un peu, veux-tu ? suggéra-t-elle d’une voix douce.
Adam fronça les sourcils, et elle lui offrit un sourire moqueur alla Lilith, le cœur battant.
— Je te promets de t’écouter. Et tu me promets de me laisser repartir.
Le Kaiser tergiversa encore quelques secondes, plus pour la forme que par réelle hésitation. Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il avait fait son choix au moment où il avait accepté de la laisser ressortir de ce café. Et il y avait quelque chose d’inhabituel dans son attitude, dans son regard, qu’elle ne lui avait encore jamais vu avant. Il ressemblait à une bête traquée qui aurait vu la mort le frôler d’un peu trop près.
Et, soudain, il fit un bref geste de la main, et les suppresseurs de magie s’éteignirent. Le mur de soldats se fendit en deux, ouvrant un passage pour les deux Élites, qui s’y engagèrent d’un même pas. Au moment où il franchissait le barrage, Adam remplaça sa tenue de combat par un short et un T-Shirt décontractés, tendit la main pour récupérer une casquette apparue de son inventaire magique, s’en coiffa. Quelques mètres plus loin, ils n’étaient plus qu’un couple normal au milieu d’une grande rue d’Istanbul, s’éloignant progressivement du chaos. L’action de la Confrérie avait été aussi rapide qu’un éclair, et les premiers passants ne faisaient que commencer à s’attrouper, certainement trop effrayés par l’allure des troupes paramilitaires plantées en plein milieu de la rue.
Aucun d’eux deux ne parla durant les premières minutes, et Selvigia laissa le long silence s’installer, l’accueillant à bras ouverts. Les pensées qui tourbillonnaient sous son crâne n’avaient aucun fil ni cohérence. Elles allaient de souvenirs de leurs premières missions en commun à la perspective d’un sniper niché actuellement sur les toits, attendant l’ordre de la descendre.
— Elle était là, n’est-ce pas ? demanda-t-il finalement.
Selvigia reporta son regard sur Adam tout en acquiesçant silencieusement, observant ses réactions. Ses lèvres frémirent, ses poings se crispèrent, enserrant un fil invisible, une ligne de vie. Dans ses yeux troubles, elle vit qu’il s’y raccrochait de toute son âme. Elle se sentit frémir intérieurement.
De toute son existence, elle n’avait jamais vu Adam aussi émotionnellement vulnérable.
— Tu voulais me dire quelque chose d’important au sujet de Moscou ? reprit-elle pour ne pas laisser la conversation dériver.
Elle n’aimait pas le presser ainsi, mais elle savait que c’était nécessaire si elle voulait avoir la moindre chance de garder le dessus sur la situation. Si elle avait appris une chose à force de le fréquenter, c’était que c’était bien trop rare de le voir dans une situation de faiblesse, et que c’était un tort absolu de l’y laisser. Adam n’était jamais aussi dangereux que lorsqu’il se sentait vulnérable. Lorsqu’il était au contrôle, il avait une certaine propension à assumer les réactions des autres, et il devenait donc prévisible. Lilith cherchait à prendre l’ascendant, à l’enfoncer dans son incertitude en comptant sur le fait qu’il ferait une erreur. Selvigia préférait l’avoir dans sa zone de confort, là où elle savait manœuvrer avec lui.
Et l’une des manières de le ramener au contrôle était de lui rendre la main sur les informations importantes, de le conforter dans l’idée que c’était lui qui les détenait.
— Moscou n’est… qu’une conséquence, on va dire… grinça-t-il. C’est… ça date d’avant.
Elle fut surprise de l’entendre tant hésiter, se demanda un moment s’il aurait osé ne pas couper son micro, et que toute leur conversation soit retransmise à son équipe. Mais, au vu de la sensibilité de sa voix et de l’émotion qui pointait dans son ton, elle en doutait fortement.
— Ça remonte aux Hijos de la Luna, lâcha-t-il dans un souffle.
Selvigia fit un effort pour garder son pas souple, son souffle aussi léger et régulier qu’auparavant. Les Hijos de la Luna. Cela faisait si longtemps.
— Une douzaine d’années, non ? releva-t-elle.
Une ombre passa dans le regard d’Adam, mais il opina.
— Exact. Une douzaine d’années.
Elle prêta l’oreille à la manière dont il s’appensantissait sur la durée. Quoi que ce soit, c’était important. Mais qu’est-ce qui pouvait être lié à une douzaine d’années et au vieux cartel guatémalien ? Et qui avait pour conséquence Moscou ?
Elle fronça le nez, se creusant l’esprit pour essayer de trouver une cause commune, une conséquence plausible. Mais tant de choses pouvaient se dérouler en une décennie.
— Quand… quand, à Moscou, je t’ai confié la patrouille…
Il sautait d’une période à l’autre, c’était frustrant. Comme si son esprit, d’habitude si logique, linéaire et rationnel, avait déraillé, oscillant entre passé et présent. Enfin, présent… Moscou datait de deux années, mais c’était un présent encore relativement récent à l’échelle des quelques quatre siècles de Selvigia. Cela, cependant, pas grand-monde le savait. Pour la plupart de sa fratrie, elle était une relative jeunette, une petite cinquantaine d’années, comme Levi. Peu de monde – à part Kirstin, Ekrest et Kaiser – savaient qu’elle avait déjà vécu d’innombrables autres vies en arpentant les Neuf Mondes avant d’intégrer la Confrérie.
— Ça ne te ressemble pas de tourner autour du pot ainsi, releva-t-elle.
Sa voix trancha dans les hésitations d’Adam, un peu plus froide que ce qu’elle n’aurait voulu, et elle le regretta immédiatement à la manière dont il replia imperceptiblement ses épaules vers l’avant en bouclier.
— Ça ne me ressemble pas d’admettre que j’ai perdu quelqu’un d’important, gronda-t-il sauvagement.
Inconsciemment, elle l’avait emmené dans la direction des quais où elle avait retrouvé Lilith à peine une heure plus tôt. La fraîcheur des embruns de la rivière la frappa en même temps que la remarque cinglante, qu’elle accueillit avec une surprise honnête.
— Qui ça ?
— Moscou, Eva, Moscou. Ce n’est pas compliqué pourtant.
— Ton élève ? Vanessa ?
Le nom remua des souvenirs lointains, que Lilith avait ramenés à la surface deux semaines plus tôt déjà en racontant la mort de la gamine, emprisonnée chez les Thor à l’insu de tous. La gamine que Selvigia avait cru voir mourir pendant l’une des patrouilles qu’elle menait. La gamine dont elle s’était sentie responsable.
La culpabilité était toujours là. Elle se faisait oublier la plupart du temps, mais dans les moments les plus sombres, dans les périodes de doute et d’amertume, elle remontait comme une lame de fond, fauchant tout sur son passage. Ce n’était pas tant le fait d’avoir tué l’élève d’Adam en particulier. Cela faisait longtemps, déjà à l’époque, qu’ils ne se parlaient plus tellement. L’arrivée de Lilith avait provoqué trop de remous, et c’était encore trop peu après qu’elle l’ait évincé de sa position de second Élite. Selvigia, avec ses absences d’allégeances, ses tendances neutres et son côté refuge, avait amassé un parti plus massif que d’habitude, créant des fluctuations politiques au Manoir.
Adam lui avait confié son élève en gage de bonne foi, pour montrer que la paix qui avait existé entre leurs deux factions avant pouvait perdurer malgré les perturbations.
Et cette paix s’était effondrée en même temps que l’élève d’Adam disparaissait dans les débris d’une explosion provoquée par un Thor.
Mais au-delà de cette responsabilité politique, Selvigia s’était toujours sentie coupable de la perte humaine. Vanessa n’était qu’une gamine sans histoires. Sa disparition avait cristallisé des tensions latentes, mais c’était surtout un coup absolu au moral de celui qui, pour quelques années au moins, aurait fait figure de père pour elle.
— Ma fille.
Selvigia s’était perdue dans ses réflexions, aussi ne releva-t-elle d’abord pas que les deux mots d’Adam suivaient exactement le chemin de ses pensées.
Puis, l’affirmation la percuta réellement, revenant à la charge comme un boomerang. Ma fille. Elle blêmit, et tous les efforts qu’elle avait faits pour garder son expression imperturbable furent réduits à néant par le tremblement de sa voix :
— Pardon ?
Il ne répéta pas, et ce fut suffisant pour qu’elle soit certaine d’avoir bien entendu. Elle s’immobilisa, debout sur le quai, les flots du Bosphore clapotant doucement à quelques mètres de là. Adam s’arrêta en face d’elle, un rictus grinçant étirant ses lèvres.
— Enfin… Ma fille, c’est peut-être la mauvaise manière de te l’annoncer. Notre fille, devrais-je dire. Vanessa Akirès. Le faire-part est un peu tardif, désolé.
Derrière l’ironie amère et le ton cinglant, elle entendit la faille. L’imperceptible trémolo de sa voix qui avait réussi à faire frémir les cordes vocales tendues à se rompre, celui qui annonçait qu’un château de cartes était en train de s’effondrer derrière le masque en acier trempé. Et, en même temps qu’elle le voyait se consumer de l’intérieur dans la haine et la rage, elle sentait son propre masque qui tombait, son assurance qui s’écroulait.
— Les… les Hijos de la Luna ? Tu étais…
Selvigia sentit sa voix se rompre une seconde avant qu’elle ne l’entende. Elle reprit difficilement son souffle, puis sa phrase :
— Tu étais femme à ce moment-là, n’est-ce pas ?
— Yep. On avait inversé. Ça faisait un an quasiment.
— Et je… mais attends, comment ça notre fille ? Neuf mois de grossesse, l’allaitement, ça fait au moins…
Elle se figea.
— Attends. C’était ça, ta fameuse mission d’infiltration de dix mois ? Oh dieux…
Abasourdie, Selvigia accusa lentement le coup, encaissant les révélations et les liens qui se faisaient dans son esprit au fur et à mesure qu’elle réexplorait les différentes étapes de leur relation. Cette mission chez les Hijos de la Luna, des semaines d’infiltration dans un cartel guatémalien, les avaient rapprochés bien plus que prévu. C’était à cette période-là qu’ils avaient finalement cédé à l’idée de coucher ensemble, puis même de se mettre ensemble pour un moment. C’était peut-être parce qu’Adam-femme était différent de l’Adam actuel. Plus posé, moins sanguin et agressif. Plus avenant, aussi, plus joueur. Elle l’avait apprécié davantage quand il était une femme.
Incapable d’affronter davantage son regard froid, vide, détruit de l’intérieur, elle se détourna, reprit leur marche d’un pas plus vif qu’avant. Ses pensées tourbillonnaient désormais autour d’une seule idée fixe.
Adam avait une fille.
Moscou. Il lui avait confié la responsabilité de sa fille.
Adam avait une fille avec elle. Enfin, lui, à l’époque. Elle qui était un homme à l’époque était son père.
La gymnastique cérébrale des genres lui aurait donné le tournis fut un temps, lorsqu’elle n’était pas encore à l’aise avec ses pouvoirs de métamorphe. Désormais, elle était suffisamment au clair avec les évènements pour savoir où elle se situait au moment des évènements.
— Moscou ? Quand elle est…
Les flashs s’imposèrent avant qu’elle ne termine sa phrase, elle douta un moment de pouvoir continuer. Elle avala sa salive mais parvint à les outrepasser.
— Les Thor l’ont capturée ?
Ils s’agitaient dans son esprit comme une horde d’oiseaux en cage furieux, cognant contre les parois de son crâne. les souvenirs. La patrouille de routine, l’alerte, l’éclair dévastateur. Les débris qui volaient, le ciel et la terre qui se confondaient.
— Oui. Ce n’était pas volontaire, au début ils ont cru qu’elle se faisait passer pour une gamine pour leur échapper plus facilement. Quand ils ont su…
La douleur voila sa voix, déforma son regard, mais Selvigia l’écoutait à peine. Elle n’était plus à Istanbul. Elle revivait Moscou. Le froid, la douleur, le terrible affrontement.
Le choix qu’elle avait dû faire.
— Ils l’ont enchaînée à leur Q.G. par un enchantement, ils lui ont retiré sa magie pendant la torture en pensant lui faire avouer sa véritable identité. Je ne… Elle n’était pas prête.

— Ils sont au moins une dizaine !
— On ne peut pas rester là. Mais… il manque la petite.


La peur. La culpabilité.
Contrairement à ce que tu espères, Adam, je n’abandonne personne sur le terrain, avait dit Lilith en rentrant, les vêtements encore ensanglantés et à moitié calcinés. Elle avait affronté un Svinfylkingar, un berserker d’Odin, pour sauver un soldat laissé derrière pour mort dans une transaction qui s’était mal terminée.
C’était quelques semaines à peine avant l’arrivée de Vanessa au Manoir, et Lilith avait alors quinze ans.

— Elle n’est pas là ! Pour ce qu’on sait, elle est sous les gravats. Son signal casque est off.

Si cela avait été Lilith au même âge, Selvigia aurait moins hésité à la laisser à ses dépens. Mais Vanessa n’avait pas été élevée par Ekrest pour être une arme vivante.

— Elle a probablement pris un rocher sur la tête. On y va.

C’était eux ou la petite. Selvigia avait pris la décision.
— Si elle n’était pas prête, il ne fallait pas l’envoyer sur le terrain, cingla-t-elle. C’est le risque auquel on s’expose.
— L’autre folle y allait depuis…
— L’autre folle comme tu dis y allait depuis ses neuf ans parce qu’elle avait tué à neuf ans. Parce que ça faisait cinq ans qu’elle était formée par le meilleur. Enfin, le plus psycho, ce qui chez nous revient au même.
Adam se renfrogna, replié sur lui-même comme si elle avait réussi à le blesser encore davantage par cette simple comparaison. Selvigia, elle, songeait à Lilith, certainement en train de disparaître dans les bas-fonds de la ville en ce moment même. Elle avait du mal à s’imaginer à dix-neuf ans, elle qui avait grandi chez les elfes, capable de s’adapter aussi vite à un tout nouveau milieu, capable de se retrouver abandonnée de tous sans pour autant avoir peur.
Avoir quitté la Confrérie aussi brutalement lui pesait, malgré la trahison de Kaiser, malgré le fait d’avoir retrouvé Kirstin. Elle était foncièrement casanière, elle n’aimait pas les changements brutaux. Elle avait mis une quarantaine d’années à quitter les elfes. Elle n’aimait pas les décisions rapides, prises dans le feu de l’action.
C’était entre autres pour cela qu’elle avait choisi de rester discuter avec Adam. Elle avait voulu comprendre.
Les souvenirs de Moscou se superposèrent aux souvenirs des prisons du Q.G. des Thor. Les visages décharnés derrière les barreaux, les corps frêles et amaigris, roués de coups, les regards hantés. Les yeux fous de Kirstin, son propre mentor. Son esprit délirant, ses penchants meurtriers.
Kirstin avait toujours été si égale en humeurs, si posée et précautionneuse. Le mentor parfait pour Selvigia et son penchant pour la sécurité, l’équilibre idéal pour Ekrest et son impulsivité violente. Cela ne l’avait jamais rendue faible pour autant, contrairement à ce que Selvigia pensait d’elle-même. Au contraire, sa force résidait dans la mesure qu’elle mettait, tant dans ses mots que dans ses actions et dans ses coups.
— Tu savais pour les Élites, accusa-t-elle froidement, n’attendant pas de réponse. Tu savais…
Sa voix, qu’elle aurait voulue si assurée, flancha.
— Pour Kirstin, compléta-t-il, lapidaire. Pour James. Pour Ekrest. Pour tout le monde.
— Et tu n’as jamais rien fait…
C’était un murmure, tout juste audible,
— Pour ta propre fille, tu n’as rien fait, cingla-t-elle, soudain véhémente.
— Pour notre fille.
— Ce n’était pas notre fille, Adam. Tu m’en as refusé la parenté en t’abstenant de me prévenir de son existence. En la mettant sous ma responsabilité et en me blâmant ensuite de ne pas l’avoir protégée.
Les mots qu’elle prononçait se retournèrent soudain contre elle, elle les encaissa de plein fouet comme un uppercut dans le creux de la poitrine. Dans un souffle saccadé, elle gronda, une colère sourde se déversant de sa voix :
— Quand elle est « morte » à Moscou. Tu ne m’as jamais dit que tu avais mis ma fille sous ma responsabilité, à mon insu. Tu ne m’as jamais dit que je venais de perdre ma fille. Que j’aurais peut-être dû mieux la protéger. Et c’est maintenant que tu viens me le dire ?
Elle s’immobilisa, planta son regard dans le sien, songea à toutes ces années passées à essayer de se faire petite dans le Manoir malgré sa puissance magique. Parfois, la colère prenait le pas, et elle cessait de se cacher derrière ses sourires patients. Parfois, comme aujourd’hui, elle voyait clair dans les jeux d’intrigues.
— Tu ne me le dis pas pour moi. Tu le dis contre Lilith.
— Elle a tué ta fille, insista-t-il.
Était-ce le fait de savoir qu’Adam essayait de l’utiliser contre Lilith, ou était-ce la mention de sa fille qui lui déchirait la poitrine ainsi ? Selvigia le considéra longuement, cherchant dans ces traits masculins déformés par la haine les traces de la femme qu’elle avait pris le temps d’aimer. Parce qu’elle l’avait aimée, d’un amour éphémère, le temps de quelques années. Elle n’aurait pas été capable de dire s’ils s’étaient aimés, elle n’avait aucune idée de ce qu’il avait ressenti à l’époque. Une voix dans sa tête lui murmurait que s’il – enfin, elle à l’époque – avait fait le choix de garder leur enfant, c’était que c’était réel. Amour ou égoïsme ? Un peu des deux, certainement, vu qu’il ne lui en avait jamais rien dit.
Elle détesta la colère qui s’emparait d’elle, le douloureux sentiment d’injustice. Adam avait commis le pire crime qu’un parent pouvait commettre : il lui avait sciemment volé le temps qu’elle aurait pu passer avec Vanessa. Et il revenait trop tard, même pas repentant, simplement furieux, cherchant certainement à déverser sa propre culpabilité sur le cœur de quelqu’un d’autre.
Prenant une longue inspiration, elle considéra ses options. Elle était seule à Istanbul, repérée par la Confrérie, certainement traquée par d’autres Maisons en prime. Adam… Adam était au bord d’une crise de nerfs, ravagé par la perte de sa fille. Leur fille. C’était une annonce qu’elle ne pouvait pas encaisser. Pas ainsi.
— Va t’en Adam. Tu as dit ce que tu avais à dire, et je t’ai écouté.
Ils s’affrontèrent encore du regard l’espace de quelques secondes, puis il tourna les talons, et un instant plus tard, il était devenu oiseau. Dans un froissement d’ailes, elle le regarda prendre son envol, profiter d’un courant ascendant pour prendre de la hauteur, disparaître en direction de l’autre berge de l’immense fleuve. Alors seulement, s’appuyant dos au mur le plus proche, elle expira longuement. Toute la tension de ces dernières minutes se relâcha d’un seul souffle, et les larmes suivirent dans la foulée.
Elle savait que des Loki étaient encore dans les parages, certainement en train de la surveiller, mais cela n’importait pas. Elle était seule avec elle-même, vivante pour le moment, portant un nouveau secret, le poids d’une nouvelle mort.
Vanessa « Akirés » Kaiser.
Le jeu sur le nom était fin et élégant, tout juste ce qu’il fallait pour que personne ne se doute de son identité. Elle était arrivée au Manoir suffisamment tard pour que personne ne songe à l’associer à la curieuse absence d’une année d’Adam. Elle était tombée dans le piège, comme tout le monde.
— Je suis désolée, Vanessa… murmura-t-elle. De…
Elle se tut, un sourire amer aux lèvres. Désolée de quoi exactement ? De ne pas avoir été là pour toi ? Trop sentimentale, lui aurait dit Ekrest. Ce n’était pas ta responsabilité, lui aurait dit Kirstin.
Songeant à son mentor, elle parvint à esquisser un sourire un peu plus sincère. Un reniflement lui échappa.
— Désolée pour le temps qu’on aurait pu passer ensemble si j’avais su, compléta-t-elle, toujours à voix basse.
Lorsqu’elle en aurait le temps, elle lui dresserait un petit autel. Elle payerait ses respects à son âme partie en Helheim. Des actions tangibles pas de simples regrets.
Chassant les larmes, elle songea un instant à ce qu’elle dirait lorsqu’elle rentrerait, se rappela que Syn avait fait mention d’un Frigg qui les aurait pistées. Pour les autres, elle dirait donc qu’elle s’était fait poursuivre par des Frigg.
Lilith avait tué sa fille, d’une balle dans la tête. Elle le lui avait elle-même raconté, malheureuse inconsciente des conséquences de ses propres actes. Les mots d’Adam flottaient dans son esprit, et elle avait beau les chasser, elle savait qu’il avait raison. Elle ne voulait pas la blâmer, mais déjà, le dard empoisonné de la rancœur et de la colère s’était fiché dans son cœur, et le venin se déversait.
D’un pas lent, résigné, elle prit le chemin de la ville, confondant ses traits au fur et à mesure qu’elle s’éloignait, brouillant les pistes de ses poursuivants.

— Berkana, j’ai un angle. Attends confirmation de tir.
De l’autre côté du fleuve, Adam abaissa lentement ses jumelles. Aucun de ses hommes ne se tenait à côté de lui, ne pouvait voir les sillons des larmes qui avaient coulé en même temps que celles d’Eva.
— Refusé.
— Chef, elle a déserté. On va vraiment la…
— Oui. Selvigia n’est pas la priorité, et on a une autre piste.
Un silence empli d’incompréhension lui répondit. Il déglutit discrètement, affermit sa voix, chassa Eva et Vanessa de ses pensées par un considérable effort de volonté. Il y avait des priorités.
— Il semblerait que notre chère Lilith ait eu le malheur d’emporter quelqu’un dans sa chute, cette fois.

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