Nous errons dans les couloirs du château en suivant les gardes du prince depuis une bonne heure. Nous montons un escalier qui nous mène à un couloir sombre et étroit. Là, tout est en bois, que ce soit le sol, le plafond, ou les portes. Les gardes ouvrent une petite porte bancale sur ma droite.
-Voilà votre chambre, Milady. M’indique le prince. Rejoignez-nous dans le salon principal dans vingt minutes.
-Bien, monseigneur.
Puis je jette un dernier regard sur Joota et pénètre dans cette pièce froide et dépourvue de tout. La porte se referme derrière moi. Une fenêtre minuscule et poussiéreuse me fait face. Juste à ma droite se trouve un matelas à même le sol. Les lattes du parquet sont étroites, une commode est installée à côté du lit. La pièce en elle-même est petite, froide, et sombre. Pour rien au monde je ne voudrais habiter là. Mais durant notre mission, je vais devoir y loger. De l’extérieur, le château paraît luxueux, mais ce que le prince nous offre réellement est la misère. La chambre est presque inhabitable, et il l’offre à la soi-disant épouse d’un Lord que je suis. Je pose alors ma valise et prends une grande inspiration. Je m’appelle désormais Eulalie. Eulalie Lazarus. Milady… C’est comme ça que tout le monde va m’appeler. Je m’allonge sur le lit et ferme les yeux. Même si notre mission ne fait que commencer, je suis fatiguée. Soudain, j’entends quelqu’un frapper à ma porte. Je me redresse et vais ouvrir. Je découvre une femme en armure.
-Nous avons eu un problème. Dit-elle. Une sorte de… monstre géant est entré dans le royaume. Il faut sortir de là. Je vous accompagne pour rejoindre le prince et son conseiller. Ils sont dans les sous-sols.
-Bien.
Je la suis dans les couloirs quand un bruit sourd se fait entendre. Des cris surviennent dans chaque pièce. Je vois de nombreuses personnes sortir, affolées. Tout le monde court dans les escaliers, et je me fais bousculer à plusieurs reprises. Quand je parviens à une fenêtre juste avant de descendre vers les sous-sols, j’observe l’extérieur. Un géant de feu ravage toute la ville. Les Elemento existent. Et ce monstre en est la preuve.
-Dépêchez-vous ! Il se rapproche !
Je jette un dernier coup d’œil sur ce géant. Joota et moi sommes les seuls à pouvoir le tuer. Mais nous devons passer inaperçu ici. Nous devons faire croire que nous n’avons pas de pouvoir.
-Vous voyez la même chose que nous ? Me demande Alsmë dans mon oreillette.
-Oui. Dis-je doucement.
Je cours précipitamment dans les marches de l’escalier pour atteindre une petite pièce sombre. Enfin, la pièce n’est pas petite, mais tout le personnel du royaume y est réfugié. Dans un angle, j’aperçois Joota, assis sur une malle. Le prince est à côté de lui et ils discutent pendant de longues minutes. Je n’ose pas m’approcher. Quelqu’un me prend par le bras et m’entraîne à l’écart de la foule.
-Qui…
-Je suis Thorn, sous conseiller du prince. Archibald est mon supérieur et le prince m’a demandé de venir vous voir. Il veut que vous veniez les voir, et en temps que Milady, vous avez besoin d’un garde rapproché. Et c’est moi.
Le prince vient rejoindre Thorn et le prend à part. Je le vois lui parler longtemps avant que Joota ne passe discrètement à côté de moi et qu’il arrête le temps.
-Yllianna, nous avons un très gros problème. Dit-il.
-Pourquoi tu as arrêté le temps ?
-Il faut que je te dise quelque chose. Mais avant, il faut tuer ce monstre.
-Quoi ? Mais, on ne peut pas…
-Si. J’ai arrêté le temps, on monte, et on le détruit à néant. Viens !
Il me prend la main et court en direction de la porte. Je monte les escaliers rapidement et nous arrivons dans la cour du château. Le géant est dans la rue principale, immobilisé par le pouvoir de Joota. Je respire un grand coup et vole jusqu’à lui. Je repense à la façon dont nous devons le tuer. Ce qui l’a créé est capable de le détruire. Joota, lui, a déjà joué son rôle dans la destruction de ce monstre de feu en arrêtant le temps. Maintenant, je dois en faire bon usage. Je crée une boule de feu dans ma main et lui lance dessus. Ça ne fait que raviver les flammes.
-Essaie l’eau ! M’indique Joota.
Je forme une immense boule d’eau entre mes mains et la jette avec puissance sur notre ennemi. Le feu s’éteint par endroit. Si je continue comme ça, il sera détruit rapidement. Après lui avoir envoyé plus d’une vingtaine de boule d’eau, le géant s’écroule à terre avec fracas. Dans sa chute, il a provoqué une grande onde de choc, ce qui m’a projeté violemment contre un mur. Joota court vers moi précipitamment.
-Yllia !
-Je… je vais bien.
Quand je rencontre son regard, je sille. Je plonge mes yeux dans les siens, que je trouve toujours aussi magnifiques.
-Arrête de me regarder comme ça. Dis-je en détournant mon regard.
-Comment ?
-Tu sais très bien ce que je veux dire…
Il sourit et me prend dans ses bras instantanément en déposant un bref baiser sur le haut de mon crâne. Puis il s'éloigne un peu et je vois un air inquiet sur son visage. Même s’il le cache derrière son éternel sourire en coin.
-Il nous reste encore deux Elemento à détruire… Dis-je, épuisée.
-Nous y arriverons. Je te le promets.
Il laisse reposer son front contre le miens et prend une grande inspiration.
-Il faut y retourner. Chuchote-t-il. Milady…
Il rit et dépose ses lèvres sur la paume de ma main.
-Allons-y.
J’acquiesce d’un signe de tête et nous marchons lentement jusqu’au château, et jusqu’au sous-sol. Là, Joota s'assoit sur la malle et je me remet à l’emplacement exact où j’étais avant qu’il n’arrête le temps. Il me lance un clin d’œil et tout le monde se remet en mouvement. Le prince vient me voir directement.
-Milady.
-Monseigneur.
-Je voulais en savoir un peu plus concernant votre venue ici, nous n’avons pas vraiment eu l’occasion d’en discuter.
-Le Lord Lazarus souhaiterait faire une alliance avec votre royaume. Il pense qu’une menace ne va pas tarder à arriver.
-Vous pensez ?
-Lui. Moi, je ne prends pas part à ses décisions, ou ses opinions. Les réunions sont confidentielles et je n’y suis pas conviée.
-Je sais. Je veux seulement savoir ce que vous, Milady Lazarus, vous en pensez.
-Je n’ai pas encore assez de preuves pour affirmer une telle chose. J’ai entendu dire que pour être roi, vous aviez besoin de vous marier.
-C’est exact. Ma promise est une habitante d’Olname, une petite ville sans prétention.
-En dehors de toutes ces négociations, et alliance, j’aimerais vraiment assister à votre mariage, monseigneur.
-Avec un immense honneur, Milady. Il aura lieu dans deux jours. Je vous présenterai ma promise le matin-même si vous le souhaitez.
-Bien monseigneur. J’y serais.
Après une révérence de politesse, je le salue et parcourt la pièce sous le regard de Joota.
-Le monstre a disparu ! Annonce un homme.
Le prince se précipite vers la fenêtre la plus proche et affiche un sourire de victoire.
-Rien ne pourra jamais détruire notre royaume. Je vous le garantis.
Je jette un coup d’œil à Joota. Nous allons le détruire, et il ne s’en doute même pas. Tout le monde sort de la pièce et rejoint ses appartements respectifs. Avant d’arriver au mien, une gouvernante vient me voir et m’informe que le prince veut me voir dans son bureau dans dix minutes. Le temps de mettre des vêtements de Milady… Après m’être changée, quelqu’un frappe à ma porte. J’ouvre et Joota entre précipitamment avant de refermer la porte derrière lui.
-Il faut absolument que je te parle.
-Je t’écoute.
-C’est… par rapport au prince. Je… il ne faut pas que je le tue.
-Joota, il faut absolument le tuer. Si tu ne le fais pas, je le ferai. Il faut que quelqu’un le fasse.
-Je… je ne peux pas le faire.
-Pourquoi ? Pourquoi tu ne peux pas ôter la vie de quelqu’un qui va tous nous tuer, les uns après les autres sans se poser de question ? Pourquoi ?
-Parce que c’est mon frère ! Crie-t-il. C’est mon frère, Yllianna, je ne peux pas le tuer, même si je le voulais.
Je marque une grande pause. Le prince est en fait le frère de Joota ? Je ne comprends plus rien.
-Quoi ? Ton… frère ?
-Oui, c’est mon frère. Il a été adopté par le roi et la reine quand il avait dix ans, il s’en souvient très bien. Et moi aussi. J’avais six ans, j’ai tout vu.
-Pourquoi tu ne m’as rien dit, Joota ? J’aurais pu comprendre, t’aider… Tu ne me fais pas confiance ? Tu penses que je ne sais pas garder un secret ? Tu sais pertinemment que je n’aurais rien dit, que j’aurais tout fait pour t’aider. Et toi, au lieu de ça, tu gardes cette histoire pour toi.
-Quand il est parti, mes parents m’ont fait promettre de ne jamais le blesser, et de ne jamais faire quoi que ce soit contre lui. Ils m’ont aussi dit de garder le secret le plus longtemps possible où il serait en danger… Je suis désolé de ne pas avoir pu te le dire plus tôt. Mais je ne pouvais pas. Et tu n’es pas censé être au courant, alors fais comme si de rien n’était.
-Tu veux vraiment que je fasse comme si de rien n’était ? Tu veux que j’oublie que tu m’as trahis ? Parce qu’au fond, c’est ça, Joota. Tu n’as pas confiance en moi, tu ne veux pas que je connaisse ta vie, tu ne veux pas que je t’aide à surmonter tes épreuves. Tu es lâche.
-Non. J’ai fait une promesse à mes parents. Et tu sais combien c’est difficile de briser une promesse que tu as faite à des morts. Tu dirais un secret alors que tu aurais promis à ta mère de ne jamais le dire à personne ?
-A quelqu’un en qui j’ai confiance comme toi, oui. Je ne t’ai jamais rien caché, Joota. Tout ce que tu sais de moi et de ma vie, c’est tout ce que je sais. Tu sais tout, je t’ai tout dévoilé. Maintenant, je dois aller voir le prince, il m’a demandé.
Je tourne les talons et commence à avancer dans le couloir quand il me retient par le bras et m’entraîne dans la pièce voisine en fermant la porte. J’essaye de me défendre et de sortir mais je n’y arrive pas. Je ne veux pas lui faire de mal.
-Arrête ! Laisse-moi sortir.
-Yllia’, je suis désolé si ça te blesse. Je ne recommencerais plus. Je te dirais tout.
-Garder un secret trop longtemps pour soi finit par nous détruire. Ne l’oublie pas. Maintenant, laisse-moi sortir, ton frère m’attend.
Il me sert dans ses bras et je me laisse aller. Je sais que je n’arriverai pas à être méchante avec lui, je n’arriverai même pas à lui en vouloir. Mais je veux qu’il comprenne que ça me blesse et que je peux l’aider. Il fait partie de ma vie et je ne veux pas qu’on se cache des choses.
-Tu sais… si je ne te dis pas tout, c’est parce que les mots sont comme des pierres dans mon cœur. Et parfois, c’est difficile de parler.
Je me redresse un peu et l’observe un instant. Une larme coule sur sa joue et je l’enlève de mon pouce.
-Parfois nos yeux disent des choses bien plus profondes que ce que les mots pourraient exprimer. Tu n’as pas besoin de parler. Nous avons d’autres moyens.
-Je t’aime, Yllia’. Ne l’oublie jamais.
Il place une main dans mes cheveux et m’embrasse tendrement. Ses lèvres liées aux miennes me donnent l’impression de voler. Je peux sentir son souffle contre ma joue, et quand je le pousse un peu, je sens ses lèvres se redresser un peu en un sourire. Mais il n’arrête pas son baiser pour autant. Puis il se redresse et m’ouvre la porte tel un gentleman.
-Je vous en prie, Milady. Dit-il.
Je souris et il me lance un clin d’œil taquin quand je passe la porte. Je descends les nombreux escaliers pour arriver devant le bureau du prince.