Que faire alors que son amie vivait dans la détresse et la peur des actes et comportements de son copain ? Alors qu'elle appelait à l'aide par tous les moyens, qu'elle essayait de rentrer en contact avec Alfie, Minerva, Lewis, qu'elle présentait sa famille à Minerva, qu'elle acceptait de mettre son copain en porte-à-faux afin de lui montrer qu'il était surveillé, au risque que cela se retourne contre elle. Que faire alors que Minerva réalisait que le département de la Justice n'était pas le seul corrompu, mais que celui d'Alfie l'était également ? Que pouvait-elle faire, elle, simple employée sans relations hiérarchiques ? Devait-elle se débrouiller seule avec ses amis ? Elle qui se reposait sur les lois et les structures gouvernementales pour régir la société, elle se retrouvait perdue. Si ni la police, ni les Aurors, ni la Justice sorcière n'étaient utiles envers sa population, quelle direction prenait donc cette société ? Quels espoirs pouvaient y être portés ? Elle-même, que faisait-elle dans ce cercle ?
- Vous êtes souvent dans vos pensées en ce moment.
Minerva se redressa et se racla la gorge avant de prendre une gorgée de son thé. Elle lança un regard d'excuse à Elphinston qui l'observait d'un air curieux mais bienveillant.
- Quelque chose vous tracasse ?
Elle s'apprêtait à dire non mais se retint.
- Un peu, mais j'essaie de la régler.
Il y avait un certain soulagement à avouer ses difficultés. Elle n'avait pas besoin de s'étendre dessus, mais mentir ou dissimuler était épuisant. Comme prévu, Elphinston hocha la tête et n'insista pas. Simplement, il ajouta avant de croquer dans un scone :
- Rappelez-vous que vous pouvez toujours demander de l'aide autour de vous. Cela ne fait rien si vous ne gérez pas tout toute seule. Vous avez le droit de demander de l'aide.
Minerva eut un léger sourire, nostalgique. Il parlait comme Dougal. Comme Dougal dans... son illusion ? Elle redressa la tête et observa longuement son supérieur. Celui-ci ne semblait pas se rendre compte de l'attention qu'il recevait. Était-ce une simple coïncidence ? Lorsqu'elle était au plus bas, que son esprit sombrait dans la crainte, la tristesse et la solitude, quelqu'un était venu. A défaut de Dougal, elle se serait bien tournée vers l'hypothèse qu'elle avait tout simplement imaginé cette scène. Qu'elle avait imaginé ce que Dougal lui aurait dit s'il l'a découvrait dans cet état. Mais c'était sans compter les scones et le thé qui avaient été laissés sur sa table de chevet. Le regard de Minerva se déporta sur l'assiette de scones concoctés par Soky.
- Vous aimez ces gâteaux, dit-elle dans un souffle.
Elphinston haussa les sourcils, étonné de son changement de sujet.
- Mmh oui, plutôt, répondit-il néanmoins. Amusant, non ? Sans beurre ou marmelade, ces scones pourraient absorber toute l'eau du lac de Poudlard tellement ils sont étouffants. Mais je les trouve réconfortants, surtout chauds sortant de cuisson.
« Maman, ça signifie quoi, le coquelicot ?
- Les fleurs ont souvent plusieurs significations. Le coquelicot représente l'apaisement, la consolation, car elle fait partie de la même famille que le pavot, qui a des vertus calmantes.
- Le langage des fleurs peut être scientifique ? s'étonna Minerva. Je pensais que c'étaient des pures inventions.
Isobel sourit.
- Je te reconnais bien, tiens. C'est en partie des inventions comme de la science. C'est pour cela que je dis que les fleurs ont plusieurs significations. On y associe les caractéristiques d'une plante par rapport à sa composante, mais également la couleur de ses pétales, sa forme. Si tu reprends ton coquelicot, on dit aussi qu'il représente l'ardeur fragile.
- L'ardeur fragile ? répéta Minerva en levant un sourcil dubitatif.
- Ne fais pas cette tête-là, rit Isobel. C'est une manière de dire qu'il faut profiter de la vie. Un coquelicot c'est vif, c'est rouge sanglant, mais une fois cueilli, il meurt rapidement et se fane, se flétrit. »
- Vous revoilà partie dans vos pensées, sourit Elphinston en passant une main devant ses yeux.
- Hein ? Pardon, je... je dois partir.
- Déjà ?
Elphinston se leva et Minerva recula d'un pas en détournant le regard. Le cœur battant, elle tenta de maîtriser les balbutiements de sa voix, sans succès.
- J'ai... du travail. Pardon.
Elle lui tourna le dos, son thé encore fumant et les scones du réconfort abandonnés sur le comptoir. Elle sentait le regard perdu d'Urquart sur son dos frémissant et ses pas n'étaient pas assurés en se rendant aux toilettes, où elle s'y enferma, les doigts tremblants. Depuis le début, Urquart était celui qui était venu chez elle y déposer des scones et un thé aux coquelicots, celui qui l'avait vue dans les abysses les plus profondes. Il avait lu la dernière lettre que Dougal lui avait adressée. Ses larmes, sa détresse. Il avait lu son histoire la plus secrète, sa peine la plus douloureuse, sa blessure qui ne cicatrisait pas.
Et elle se souvenait de ce qu'elle avait ressenti à sa présence. La chaleur de sa main réconfortante, sa voix apaisante, ses mots doux, ses paroles de consolation. Elle pouvait encore sentir son pouce passer sur sa joue, effacer le sillon de ses larmes comme s'il rebouchait les griffures laissées sur sa peau. Ses doigts qui avaient été tendres dans ses cheveux. Elle laissa échapper un sanglot alors que son cœur bondissait aux souvenirs qui affluaient. Elle pleurait des émotions contradictoires qui la submergeaient. L'affection qu'elle lui portait se heurtait à sa loyauté et attachement à Dougal. Elle ne parvenait pas non plus à accepter qu'Urquart ait été au courant tout ce temps. Son plus grand secret : celui qui avait régi sa vie depuis la fin de Poudlard, celui qui lui avait fait choisir sa carrière plutôt que son amour, celui qui l'avait envoyée dans son enfer personnel, qui l'avait rendue malheureuse, qui l'avait faite douter de ses choix, de sa vie, de ses relations. Celui qui l'avait faite continuellement mentir à ses parents, l'avait fait craindre de retourner à Caithness, l'avait rendue malade, l'avait fait sentir comme une incapable au travail, dépressive. Voilà ce qu'Urquart avait découvert à son insu, alors qu'elle gardait tout ceci dissimulé au plus profond d'elle-même, prête à emporter cette tranche de vie dans sa tombe. Voilà le voile qu'il n'aurait pas dû soulever, cette vulnérabilité dont elle n'était pas guérie et qu'il n'aurait pas dû voir.
Le reste de la semaine lui fut éprouvant. Elle avait accepté de rencontrer Lewis et attendait une confirmation du lieu et de l'heure du rendez-vous. Pendant ce temps-là, elle n'avait pas de nouvelles d'Etna. Pas qu'elle s'attendait à en avoir; le silence de son amie était plutôt régulier et surtout, fréquent. Elle savait qu'elle devait patienter jusqu'au prochain signe, mais espérait obtenir plus d'informations grâce à Lewis. La situation de son amie s'était-elle dégradée ? Leo était-il devenu encore plus imprévisible ? Était-il terrifié ? Méfiant ? Irritable ? Menacé, menaçant ?
Dans le même temps, Minerva était devenue distante avec Urquart. Elle se battait toujours avec ses émotions contradictoires, si bien que sa vie au Ministère était encore plus solitaire que d'habitude maintenant qu'elle évitait une des rares personnes avec qui elle s'entendait. Urquart semblait perplexe face à son comportement mais paraissait attendre patiemment que Minerva revienne à son état normal. Si tant soit peu qu'elle ait été dans son état normal depuis son arrivée au Ministère. Elle était de plus en plus fébrile, elle rentrait tendue du travail et déjà épuisée de sa journée du lendemain. Elle imaginait son futur au Ministère comme un chemin brumeux et infini. Qu'y avait-il au bout de cette route ? Elle n'en avait aucune idée. Peu à peu, le tracé était encore plus flou, les contours plus vides : vides d'activités, d'amitiés, vides de choses auxquelles se raccrocher. Dans quel but vivait-elle ? Elle partait le matin pour travailler, rentrait le soir pour se nourrir et se coucher. Jour après jour, elle rentrait dans un rythme amorphe tout en s'éloignant de la seule once de vie qui dynamisait ses journées, à savoir, ses rencontres avec Elphinston. Plus elle réfléchissait, plus elle se demandait : maintenant qu'elle le rejetait de son tableau, elle voyait de plus en plus la futilité de sa vie au Ministère. Par Morgane, elle avait rejeté un homme pour venir dans cette sphère fermée, et maintenant qu'elle y était, elle s'y retrouvait coincée à cause d'un autre homme ? Bien sûr, tout ne tournait pas autour de lui, mais si elle enlevait Elphinston, purement et simplement de sa vie, ne serait-elle pas partie du Ministère depuis fort longtemps ? N'en se serait-elle pas libérée plus facilement ?
- Minerva ?
Peut-être aurait-elle craqué et abandonné, ce jour où il était venu chez elle. Peut-être aurait-il été plus aisé de lâcher prise à ce moment-là, sans songer à ses remords d'avoir mal choisi entre Dougal et le Ministère.
- Minerva, vous m'entendez ?
Minerva se redressa vivement pour la énième fois de la journée et se tourna vers Marchbank qui l'interpellait depuis probablement quelques minutes.
- Vous avez besoin de quelque chose ?
- De votre attention.
Minerva rosit tandis que Marchbank déchaussait ses lunettes pour observer attentivement son ancienne assistante.
- Lorsque vous êtes arrivée parmi nous, fraîchement diplômée de Poudlard, des félicitations de vos professeurs plein les poches, je vous ai sentie perdue dans ce monde ministériel. Puis, vous avez eu l'air de prendre vos marques.
- C'est juste qu'aujourd'hui..., tenta Minerva avant de s'arrêter, stoppée par la main levée de Marchbank.
- Ensuite, je vous ai à nouveau perdue. Le travail avec Maître Ross vous a à la fois bien occupée mais aussi vidée de votre énergie. Vous avez vécu des instants de faiblesse après votre promotion et j'ai été ravie que vous soyez revenue parmi nous.
Elle laissa planer un silence, durant lequel Minerva attendait le « mais » qui se cachait derrière son discours.
- Je crois que nous vous perdons à nouveau.
Minerva leva la tête.
- Je vous assure, je vais bien mieux. Comme vous l'avez dit, j'ai eu des instants de faiblesse, une mauvaise santé. Désormais, tout va mieux, il faut juste que je me remette dans le rythme.
Mais Marchbank secoua la tête.
- Je ne parle pas de ce... genre de perdition. Je n'ai pas dit que vous vous perdiez. C'est nous, qui sommes en train de vous perdre.
- Je ne comprends pas.
Marchbank croisa ses mains devant son menton.
- C'est bien simple. Il semble que le Ministère ne s'adapte pas à votre pied.
- Je peux y remédier.
- Vous n'y êtes pas du tout, à nouveau. Vous pourrez essayer autant que vous voudrez. Le Ministère ne changera pas pour vous.
Minerva sentit son sang refluer lentement de son cerveau, ses bras s'engourdir.
- Qu'est-ce que vous sous-entendez ?
- Que je vais avoir besoin d'une nouvelle assistante.
- Maître Marchbank !
Minerva s'était levée d'un bond. Vexée, elle sentait des larmes de frustration et de déception lui monter aux yeux.
- Je sais qu'avec mon poste de greffière je suis moins en votre présence mais... je pensais faire un bon travail.
Marchbank soupira, à peine surprise par l'éclat de son assistante.
- Vous n'y êtes pas, répéta-t-elle. Vous faites un excellent travail. Et vous me manquerez si vous décidez de partir.
- Partir ?
- Vous êtes jeune, continua Marchbank sans relever l'exclamation de Minerva. Jeune et déjà coincée ici. Vous avez vu toutes les momies qui travaillent dans ce département ? Moi, incluse. Que faites-vous ici ?
Minerva mit du temps à rassembler ses pensées avant de sortir :
- Pour changer certaines choses...
- Certaines choses ? Lesquelles ? Où ? Avez-vous avancé dans vos ambitions ? Quelque chose a -t-il changé ?
- Cela prend du temps... Maître Marchbank, s'il vous plaît...
- Je ne suis pas là pour vous jeter la pierre, bien au contraire, vos intentions sont plus que louables. Mais vous avez frappé à la mauvaise porte, Minerva. Regardez notre département, regardez qui est à sa tête. Vous croyez que des gens comme Maître Ross ont la même vision que la vôtre ? Vos projets prendront du temps, oui. Tellement de temps que vos arrières petits-enfants verront à peine les premières pousses des graines que vous aurez vaillamment plantées.
Minerva se laissa tomber sur sa chaise, les jambes cisaillées. Coupées par la vérité qu'elle avait refusé de voir, dont elle s'était détournée. Cette vérité qui la poussait au bord du précipice et lui soufflait : et maintenant ?
- Quittez le navire, Minerva. Pour votre bien à vous, votre santé physique et mentale, cessez d'essayer de vider l'eau d'un bateau à la coque percée.
La conversation avec Marchbank virevoltait dans la tête de Minerva alors qu'elle se rendait au point de rendez-vous que Lewis et elle s'étaient donné. « Quittez le navire », avait-elle conseillé. Mais Minerva sentait une corde la retenir : sa peur de se lancer, de se jeter dans les vagues froides et tumultueuses de l'inconnu. D'une manière ou d'une autre, elle avait besoin d'être poussée.
Lewis n'habitait pas à Londres. Minerva avait accepté de le rejoindre aux alentours de son village, à l'espace de jeux pour enfants. Il était déjà présent, sa silhouette se découpant dans le soleil rougeâtre. Il était assis sur un cheval de bois, ses pieds le berçant d'avant en arrière, pensivement.
- Lewis ?
Il releva la tête. Il était drôle de remarquer qu'il n'avait absolument pas changé. Il avait grandi, bien sûr. Il était plus proche de l'homme que de l'adolescent qu'elle avait connu. Ses cheveux blonds étaient coupés plus courts, faisant ressortir ses pommettes anguleuses. Ses yeux bleu délavé semblaient hésitants alors que son sourire, lui, paraissait assuré.
- Bonsoir, Minerva.
Il se leva et ils se tinrent l'un en face de l'autre, en silence, gênés. Minerva fut ramenée des années en arrière. Lorsqu'ils s'étaient embrassés pour la première fois au mariage de Fleamont. Lorsqu'il avait rompu avec elle deux ans plus tôt au spectacle de Noël. Les deux rares fois où Minerva avait été mise au pied du mur : par rapport à ses sentiments, par rapport à ses hontes. Lewis personnifiait donc cette dague nécessaire qui lui rappelait qui elle était, qui elle devait être. Il en devenait un être dont elle était à la fois reconnaissante et dont elle avait peur, ce qui était assez paradoxal.
- Cela me fait plaisir de te voir.
Minerva sourit. A elle aussi. Si elle séparait Jedusor du reste, elle pouvait affirmer que sa relation avec Lewis lui avait beaucoup apporté. Plus de confiance, d'estime. Des rires aussi. Il avait été son premier copain et du début jusqu'à la fin, il lui avait démontré un profond respect et de la sincérité.
Elle alla s'asseoir sur le tourniquet tandis que Lewis retournait sur son cheval.
- Qu'est-ce que tu deviens ?
Il semblait déjà savoir qu'elle travaillait au Ministère mais lui n'avait rien dit de sa situation professionnelle.
- Je suis en train de passer un diplôme en psychologie. Chez les moldus.
- Chez les moldus ?
Lewis sourit.
- J'aimerais installer un cabinet dans les environs et pouvoir avoir des patients sorciers comme moldus. Mais chez eux, mon diplôme de Poudlard... comment dire ? Paraîtra un peu léger et louche. Je suis en formation dans l'université moldue de Reading. C'est plutôt intéressant. J'aime ce que je fais.
Minerva hocha la tête. Pouvait-elle en dire autant ? Aimait-elle ce qu'elle faisait ? Pas franchement. Mais elle était heureuse et absolument pas surprise que Lewis ait trouvé sa voie. Depuis ses années à Poudlard, il avait semblé vivre avec du recul sur lui-même, à rechercher à se développer selon ses passions et envies. C'était quelque chose qu'elle admirait franchement chez lui : il avait le courage de travailler sur son développement personnel. Elle l'enviait. Elle aurait pu passer plusieurs heures à lui demander comment il procédait pour vivre de cette manière, mais sûrement aurait-il répondu quelque chose du genre « c'est à toi de trouver ta façon de faire ». Et puis, ce n'était pas la raison de leur rencontre. Lewis sembla capter le changement d'ambiance et il s'éclaircit la gorge.
- Etna t'a dit qu'elle m'avait vu ?
Minerva acquiesça.
- Je ne connais pas les détails, mais oui. Elle a dit que tu allais bien.
- On a pu parler assez longuement. C'était étonnant, nous n'avions aucune conversation à Poudlard. Je crois qu'elle voulait juste discuter avec une connaissance.
- Je crois qu'elle voulait discuter avec beaucoup de connaissances...
Lewis hocha la tête.
- Je l'ai trouvée étrange aussi. Il était déjà anormal qu'elle passe autant de temps avec moi. Donc je savais que quelque chose clochait.
Minerva se mordilla la lèvre.
- Tu as pu avoir plus de détails ? Elle me donne plusieurs signes, mais je n'arrive pas à les croiser entre eux, à en faire des preuves, à trouver un moyen de l'aider. Elle m'a présenté ses parents, mais je ne sais pas quoi faire de cette rencontre.
Lewis parut étonné.
- Elle t'a présenté ses parents ? Elle doit vraiment être désespérée...
- C'est ce que j'ai pensé, acquiesça Minerva. Plus le temps passe, plus je m'inquiète.
Lewis eut un instant de réflexion.
- Il lui faut un endroit plus en sécurité. Je pense qu'elle aura le courage de fuir, mais le tout est de s'assurer qu'ils ne la trouveront pas.
- Elle le fera, assura Minerva qui voyait les tentatives d'Etna une preuve de son courage, mais... attends. Comment ça, « ils » ?
Lewis cligna plusieurs fois des yeux.
- Parce que les deux sont coupables... Minerva, de qui tu parles exactement ?
- De son copain, Leo. Toi, de qui tu parles ?
Lewis se redressa lentement.
- De ses parents, Minerva. Ce sont des parents dont je m'inquiète.
- Ses...?
Lewis se leva et se rapprocha d'elle.
- Pourquoi son copain ?
Minerva se leva à son tour, le cœur s'accélérant.
- La blessure d'Etna, ses remarques abusives, les mensonges qu'elle utilise, sa bague. Lewis, as-tu vu sa bague ? Pour éloigner les autres hommes ? C'est son copain qui a fait ça, qui d'autres ? Il l'empêche d'utiliser des hiboux, elle sort aux heures où il travaille pour qu'il ne remarque pas ses tentatives de prises de contact avec moi.
Lewis avait les yeux tellement ronds qu'elle se sentit obligée de s'arrêter là.
- C'est forcément son copain..., balbutia-t-elle alors qu'en même temps, elle se souvenait des hésitations d'Alfie qui préconisait de ne pas tirer des conclusions hâtives.
Lewis ouvrit la bouche, la referma. Puis la rouvrit à nouveau :
- Dans tout ce que tu viens de me dire... qu'est-ce qui prouve que le copain est le coupable ?
- Je...
- J'ai les mêmes soupçons que toi mais... pour les parents. Elle vit chez eux.
- Elle... quoi ? Elle ne vit pas avec son copain ?
Le malaise qu'elle avait ressenti à table chez les Stevenson revint. Elle se souvint de la tension qui y régnait. De son étonnement en réalisant que ses parents ne semblaient pas savoir où vivait Etna étant donné qu'ils ne connaissaient pas la relation entre leur fille et Leo. Peut-être qu'ils ne posaient pas de question car il n'y avait pas besoin d'en poser : ils savaient déjà où elle vivait, avec eux. Si elle sortait aux heures de travail, c'était peut-être aussi pour échapper à ses parents.
- Mais je ne comprends pas... Elle était blessée un jour, à la pommette. Elle a dit à un ami qu'elle était tombée de balai. Mais à moi, elle a annoncé qu'elle avait arrêté le Quidditch et qu'elle était tombée de la mezzanine de son appartement. Si ces informations sont mensongères, cela voudrait dire que...
Elle ne termina pas sa phrase, et Lewis non plus. Simplement, il secoua la tête.
- Ce n'est pas vers ses parents qu'elle se tourne pour demander de l'aide. S'il y a bien une personne qui semble être de son côté, c'est son copain.
- Mais pourquoi me donner son adresse, si ce n'est pas pour...
A nouveau, Minerva s'arrêta. Etna ne lui avait pas donné l'adresse du copain pour qu'elle aille le menacer. Minerva avait demandé un lieu où elle pourrait la contacter. Etna l'avait donc donné. Pourquoi ne pas avoir donné la maison familiale ? Si elle changeait sa perspective... d'où était réellement venue la tension chez les Stevenson ? Des parents ou de Leo ?
Tout était une question de point de vue. Les coupables pouvaient tout aussi bien être les parents que Leo, au détail près qu'Etna semblait bel et bien vivre chez sa famille et qu'en toute logique, elle n'aurait pas donné l'adresse du responsable pour demander de l'aide.
La silhouette d'un homme apparut un peu plus loin, et Minerva espéra qu'il ferait un détour pour leur éviter de changer de sujet.
- C'est pour cela que je suis inquiet qu'elle t'ait présentée ses parents. Elle a dû voir que tu visais la mauvaise personne et a décidé d'opérer une tactique plus... frontale.
- Ses parents m'ont invitée à déjeuner chez eux...
Elle repensa à son ton mielleux, ses remerciements polis, ses compliments... alors qu'ils étaient responsables du malheur de leur fille.
- Ils ont dû vouloir te juger. Savoir si tu allais leur poser problème ou pas.
L'homme derrière ne semblait pas vouloir faire de détour car il continuait de monter dans leur direction d'un pas hésitant. Peut-être avait-il bu.
- J'ai dit que j'avais des contacts dans la police et avec des avocats grâce à mon travail.
Pour la première fois, Lewis parut amusé.
- Ce n'est pas plus mal. En voulant faire peur à son copain, tu peux être une menace pour eux. Le département de la Justice du Ministère est très réputé.
- Ne parle pas trop fort, prévint Minerva en remarquant l'homme qui s'était arrêté à quelques mètres dans le dos de Lewis. Moldu.
Lewis mima un « ah » avec sa bouche mais par discrétion, ne se retourna pas. Après quelques secondes de silence durant lesquelles l'homme dissimulé dans la pénombre ne bougea pas, Minerva commença à ressentir une boule au ventre. Elle inspira avant de lancer :
- Vous cherchez quelque chose ?
L'homme s'avança et Minerva capta quelques traits de visage. Bizarrement, elle avait l'impression de l'avoir déjà vu quelque part. Il s'avança d'encore quelques pas. Lewis sentit le changement d'ambiance et mit discrètement sa main dans sa poche, là où se trouvait sa baguette.
- Lewis Rollin, finit par dire l'homme. Je cherche Lewis Rollin.
Minerva tiqua, fronça les sourcils. Elle se tourna vers son ami. Son cœur rata un battement. Sur le visage du jeune homme se mélangeait un tourbillon d'émotions, un patchwork si changeant qu'elle ne parvenait pas à distinguer ce qu'il ressentait. Il se redressa, les genoux tremblants. Les doigts qui tenaient sa baguette paraissaient faibles. L'homme derrière était presque impassible, si ce n'est la lueur d'impatience qui luisait dans ses yeux bleu délavé.
Lewis lui faisait face, blanc. Leur regard était terrifiant de similitudes. Leurs cheveux étaient du même blond, leurs traits provenaient du même moule, excepté que l'homme avait une cicatrice le long de sa mâchoire. Sous le choc, Minerva se souvint d'une photo qu'elle avait longuement regardée chez Lewis il y a de ça plus de deux ans et qui avait causé tant de douleur à la mère de Lewis. Elle reconnaissait l'homme en face. L'homme qui ne devait être depuis bien longtemps ; l'homme qui avait animé et en même temps détruit la vie de Lewis. Un homme qui ne pouvait pas être ici.
- Albert ...? bredouilla Lewis et Minerva aperçut le petit frère dans son menton tremblant, ses sourcils plissés, ses yeux emplis de doutes et d'espoirs.
Elle vit le petit garçon qui revenait à chaque vacances de Poudlard en espérant y voir son grand frère de retour de sa mauvaise blague.
- Salut, petit frère.
Les lèvres de Lewis tremblèrent.
- Je suis de retour.
Minerva était figée. Ce n'étaient pas de simples retrouvailles d'entre les morts. Dans la réaction de Lewis, elle sentait une terreur contrôlée. Il avait passé des années à chercher des réponses sur la mort de son frère, à flirter avec la menace de Jedusor. Sa détermination n'en éliminait pas sa peur. Albert était mort. Ses parents avaient recueilli le corps. Ils l'avaient enterré.
Alors que faisait-il ici ? Minerva voyait son ami se débattre entre l'espoir d'avoir retrouvé son frère et les questions, l'incompréhension. Il leva le bras, sa main enveloppant la silhouette de son frère de haut en bas.
- Je ne comprends pas. Albert, je...
Albert sourit.
- C'est pourtant simple, non ? Je suis de retour.
Lewis secoua la tête.
- Tu... ne peux pas revenir comme ça. Pas aussi tard, pas ainsi. Albert, tu étais mort, tu...
Les larmes l'empêchèrent de continuer. Le visage d'Albert s'assombrit.
- Je sais.
- Mais explique-moi ! s'emporta Lewis soudainement. Car je ne sais rien. Où étais-tu ? Que faisais-tu ? Les parents t'ont enterré, par Merlin, tu...
Il sembla être à la fois à court de mots et avoir besoin de libérer ce flot de paroles qui lui obstruait la gorge, qui l'étouffait.
- Ils ont enterré un corps, répondit plus doucement Albert. Mais pas le mien.
- Pas le...? répéta Lewis mais son souffle le lâcha.
Minerva sentait le sang lui battre aux tempes. Lewis semblait prêt à vomir. Elle se souvenait qu'il n'avait pas été là pour la mise en terre. Ses parents n'avaient pas attendu qu'il rentre de Poudlard pour effectuer son dernier au revoir à son frère. Quel parent oserait faire cela ?
- Papa et maman ont sciemment enterré quelqu'un d'autre, reprit Albert. Pour me protéger, te protéger.
- En quoi simuler ta mort me protégerait ?
Albert tenta un pas en avant mais s'arrêta en voyant Lewis se crisper. Minerva, elle, n'était qu'un individu invisible qui tentait de comprendre comment cette histoire allait se terminer.
- Tu me tenais en si haute estime... Si tu savais ce que j'ai fait... En me croyant mort, tu ne devais rien apprendre. Mais tu as fait l'inverse : tu as cherché tant de réponses que tu t'es mis en danger, à jamais. Mon ami m'avait prévenu...
- Ce que tu dis n'a aucun sens. De quel ami parles-tu ? Albert, rentrons à la maison. Il faut que papa et maman te voient.
Albert secoua la tête, le coin de sa bouche se crispa compulsivement.
- Mon ami... Il a été le seul à me soutenir après mon attaque, après ça.
Il pointa la cicatrice qui parcourait sa mâchoire. Lewis frissonna et tendit une main que Minerva retint, par réflexe.
- Qui t'a fait ça ?
Albert ne répondit pas. Minerva ne connaissait pas de sortilèges qui pouvaient créer une telle marque, à part peut-être un sortilège Impardonnable.
- Mon ami m'a dit... qu'il y avait un jeune homme dangereux pour toi. Sur un simple bout de papier, il a écrit des initiales, puis une adresse.
- Tu y es allé ? C'est qui cet homme ? pressa Lewis.
Albert se prit la tête dans les mains et marmonna tout bas avant de se redresser.
- Un jeune qui venait de sortir de Poudlard. C'est passé à la Gazette, un ancien joueur de Quidditch de Gryffondor.
Le sang de Minerva se glaça dans ses veines et ce fut elle qui tituba cette fois-ci. Pour la première fois, Albert sembla la remarquer. « J.T. dangereux » Oui, Jedusor Tom était dangereux.
J.T.
Jedusor Tom.
Jimmy Thomas.
- Oh, Merlin... bredouilla Minerva. Oh, Merlin...
Le papier dans sa poche qu'elle avait brûlé sembla refaire son apparition, plus lourd que jamais. Lewis se plaça à côté d'elle, en soutien. Il leva un visage torturé sur son frère.
- Tu l'as tué...?
Albert cligna des paupières, trois fois.
- Je... Je ne voulais pas. Je voulais savoir pourquoi il t'était dangereux. J'ai fait semblant d'avoir besoin d'aide près de chez lui et... et il m'a accueilli, m'a donné à boire et des biscuits, m'a demandé s'il pouvait contacter ma famille, des amis... il avait l'air gentil, je ne comprenais pas pourquoi mon ami... et puis, j'ai eu un moment d'absence. Quand je me suis réveillé, la maison était dévastée et le jeune homme... le jeune homme... il y en avait partout...
Minerva s'affaissa au sol, les jambes coupées, le cœur au bord des lèvres. Elle leva la tête.
- Vous mentez, furent ses premiers mots. Le corps de Jimmy a été retrouvé intact.
Lewis parut reprendre une once d'espoir, attendant que son frère confirme qu'il n'était pas un meurtrier. Mais Albert secoua la tête.
- Mon ami était là quand j'ai commencé à paniquer. Il a pris les choses en main, il a arraché un cheveu du jeune homme, m'a dit qu'il gérait tout. Qu'il remplacerait le corps par un autre. Il est revenu avec un autre homme mort, un fermier...
Albert avait des yeux fous, horrifiés en relatant son histoire, comme s'il réalisait à peine qu'il avait été sur les lieux.
- Il lui a fait boire une potion et le fermier a pris l'apparence de ce jeune homme...
- Le Polynectar n'a d'effets que sur quelques heures, répliqua Lewis tout en agrippant le bras de Minerva.
Celle-ci ne savait pas qui soutenait qui. Elle n'avait plus de force. Tout ce à quoi elle songeait, étaient les derniers instants de Jimmy, des instants de terreur pure.
- Je crois que cela a suffi pour l'enquête, répondit Albert. Mon ami a tout nettoyé et m'a emmené avec lui. Il m'a dit que tout irait bien.
L'ami qui semblait avoir tout prévu. L'ami Jedusor, qui avait fait assassiner Jimmy et qui l'avait planifié durant des mois, mijotant son polynectar funeste.
- Le corps que les parents ont reçu... C'était celui du jeune Gryffondor, avoua Albert. Mon ami m'a dit que pour votre sécurité, à toi et aux parents, il fallait que je m'éloigne. Que je pouvais vous faire du mal. Et que le seul moyen de vous laisser à l'écart était de vous faire peur. Ce corps était la preuve que mes actes pouvaient entraîner une mort terrible.
Dans son brouillard de pensées morbides, Minerva comprenait enfin pourquoi la mère de Lewis était si terrorisée de voir son deuxième fils courir après son frère et « l'ami ».
- Mais j'avais si besoin de te revoir, après tout ce temps.
Dans son regard fou, Minerva pouvait déceler une réelle affection pour son petit frère. Mais une affection incontrôlée, fébrile. Il passa une main saccadée dans ses cheveux, les ébouriffa. Son œil droit fut saisi d'un tic.
- Mais m'aurais-tu accepté ? L'idée que tu me rejettes m'était insupportable.
- Tu es mon frère, Albert, pourquoi...
- Je ne suis plus le même frère qui est parti de la maison, coupa Albert. Mon ami m'a dit que le seul moyen pour que tu m'acceptes, c'est que tu deviennes comme... comme moi.
- Comment ça, comme toi ?
Minerva se releva. Son instinct de chat lui soufflait que le vent avait de nouveau tourné, était plus lourd. Quelque chose n'allait pas. Albert se massa la nuque, son front commençait à briller de transpiration.
- Tu es malade ? s'inquiéta Lewis.
Minerva songea à la mort de Jimmy. Aucun sortilège ne pouvait déchiqueter un corps ainsi. Et aucun sortilège classique ne pouvait laisser une telle cicatrice sur la peau d'Albert. La cause était animale. Albert grogna, gémit. Lewis s'avança mais Minerva le retint.
- Attends ! La lune...
- Quoi, la lune ?
Minerva se tourna vers la lueur qui transparaissait au loin : le haut d'un disque blanchâtre, parfaitement arrondi, luisait dans l'obscurité. Elle regarda à nouveau Albert, forme humanoïde au sol.
- C'est un loup-garou !
Lewis pâlit aux,mots de Minerva et se tourna vers son frère qui se recroquevillait de douleur, le corps convulsant.
- Albert ! Albert écoute-moi !
Mais Albert était à des lieux de son frère. Ses cris transperçaient la nuit, inhumains. Ses doigts se tendirent alors que des griffes déchiraient l'ongle, la peau. Des poils commencèrent à lui pousser sur le corps, ses bras et ses jambes se déformèrent, son visage s'étira vers l'avant. Les os claquaient tels des coups de feu.
- Albert !
- Ça ne sert à rien, cria Minerva en tentant de tirer Lewis vers elle. Il faut partir !
Mais Lewis se débattait avec une telle ardeur que Minerva chuta au sol. Lewis rampa en avant, la main tendue, suppliante, vers son frère.
- Je t'en prie, Albert, reviens-moi...
Mais Albert n'était plus. A sa place, se tenait un loup-garou aux babines retroussées. Un loup-garou qui ne reconnaissait plus rien, plus personne. Pour lui, il se jeta sur un sorcier qui tentait impunément de l'approcher. Pour Lewis, c'était son grand-frère qui lui tomba dessus et le mordit à la hanche.
- Lewis ! hurla Minerva en même temps que son cri de douleur retentissait dans la clairière.
Le sortilège qu'elle lança était si puissant que le loup-garou vola plusieurs mètres plus loin. Elle se rua sur Lewis, attrapa sa main et transplana au premier endroit qui lui traversa l'esprit, juste pour fuir. Lewis était tout ensanglanté. La morsure était profonde, les dégâts, irréparables. Elle ne pouvait rien faire.
- Je dois t'emmener à Sainte-Mangouste.
- Non, pitié ! haleta Lewis. Pitié, ne fais pas !
Elle ne savait pas si ses larmes étaient dues à l'acte de son frère, sa douleur ou sa peur. Les mains de Minerva tremblaient violemment alors qu'elle épongeait le sang sur la hanche de son ami. Son cerveau avait pris le contrôle de son corps ; la vision du frère de Lewis en train de se jeter sur Lewis tournait en boucle dans sa tête.
- Je ne saurais pas te soigner seule, il te faut des soins d'urgence.
- Je t'en prie Minerva, ils vont m'enregistrer, ils vont me signaler au Ministère ! Je serai rejeté à tout jamais, ils vont tout m'interdire, je t'en supplie Minerva laisse-moi ici !
- Et t'abandonner à la mort ? Hors de question !
- Par Morgane...
Lewis s'étouffa dans un sanglot désespéré. Sa détresse était telle que sa poitrine se soulevait à un rythme erratique. Son futur était entre les mains d'une autre personne et il ne pouvait pas prendre de décisions par lui-même. Son corps ne répondait plus, se vidait de son sang, le même sang que celui qui lui avait infligé ce destin.
- Minerva, appela-t-il en cherchant le regard de la jeune fille. Minerva ne m'y emmène pas. Je préfère mourir, ne me fais pas ça, ne me condamne pas à cette vie.
Sa supplication brisa et piétina le cœur de la jeune fille. Son estomac se recroquevilla sur lui-même, elle ne parvenait plus à déglutir. Il avait prononcé ces mots d'une voix plus posée, rauque de douleur et emplie de peur. Son nom, il l'avait murmuré, mais elle aurait pu l'entendre à des kilomètres de là.
- Tu n'as pas le droit de me dire ça, de me demander ça, pleura-t-elle.
- Je ne t'ai jamais rien demandé Minerva, je t'en supplie, implora-t-il en agrippant la main de la jeune fille.
Elle lâcha un nouveau sanglot en croisant le regard bleu de Lewis jadis si confiant et sarcastique, ce soir hanté et anéanti. Elle avait fait beaucoup d'erreurs à son encontre, elle n'en ferait pas une autre qui le mènerait à la mort. Même si elle savait qu'il lui en voudrait à tout jamais.
- Pardonne-moi...
- NON !
Et Minerva transplana dans un craquement, laissant derrière elle une flaque de sang et l'écho du hurlement de Lewis.