Un pas vers la guérison

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Vanget

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Un pas vers la guérison

Message par Vanget »

Un pas vers la guérison
Tôt ce matin-là, au premier étage des consultations, une jeune femme élégante attendait… Elle arrivait toujours très en avance. Elle avait besoin de temps, de beaucoup de temps. Pour la énième fois, elle sortit un flacon d’alcool, enleva ses gants et se frotta les mains longuement, avec minutie.
Absorbée par l’intensité de sa tâche, elle n’entendit pas l’homme s’approcher.
« Bonjour, madame, je suis le remplaçant du docteur Pick, il vient d’être appelé pour une urgence… Cela va l’occuper de nombreuses heures… Pour le moins. Il lui désigna la porte d’en face. Entrez, je vous prie. »
La grande pièce aux murs blancs était encombrée de diverses revues scientifiques encore empaquetées, elles s’entassaient sur le sol, les chaises, le bureau, les étagères… Ils parvinrent néanmoins à se frayer un chemin et ils prirent chacun leur place sur les deux seuls fauteuils libres.
L’ordinateur étant allumé, le praticien consulta le dossier de la patiente en hochant la tête à chaque paragraphe puis il demanda.
— En quoi puis-je vous être utile madame Pack ?
— Eh bien docteur…
— Oh oui ! que j’aime ce mot ! N’hésitez pas à le prononcer souvent !
Devant l’air interrogatif de la jeune femme, il s’excusa d’un geste et l’invita à poursuivre.
— Je souffre de troubles obsessionnels convulsifs… J’éprouve le besoin constant de me laver les mains à la moindre occasion… Cela m’épuise et rallonge considérablement mes journées, je commence tout et je ne finis rien, la moindre action s’éternise, j’ai la sensation d’avoir absorbé l’infini…
— Quand ces anomalies ont-elles débuté ?
— Je ne saurais vous dire… Je suis d’une nature anxieuse, un peu perfectionniste, ces exigences se sont mises en place petit à petit, insidieuses, jusqu’à ce qu’elles s’imposent, impérieuses, dévorantes !
— Je vois… Quel traitement le docteur Pick vous a-t-il proposé ?
— Des anxiolytiques ! On les essaie tous, à tour de rôle : l’Equanyl, le Tofranyl, le Valium, le Librium, l’Eunoctal, le Binoctal, l’Imménoctal, le Phénobarbital, le Belladenal, le Mandrax, le Tranxène, le Céresta… Mes cocktails tropicaux, euphorisants !
— Et vous avez senti une amélioration ?
— Pas du tout ! Je suis tellement assommée que je culpabilise moins… Mais je frotte toujours autant ! Sauf un jour où j’étais déconnectée. J’ai mis ces médocs dans un bocal en verre. Alors à travers tous ces cachets teintés, j’ai imaginé une nature luxuriante, inexplorée, des contrées lointaines gorgées d’épices aux parfums enivrants, des mers d’émeraude sans rivage, un Grand Nord immaculé dans lequel un silence magnétique vient briser la ligne d’horizon qui s’élève soudain en couleurs hallucinées…
— Eh bien !!! Sans le savoir, vous avez fait un pas vers la guérison ! Ce que je vais vous proposer est assez identique…
D’une poche de la blouse, il sortit une boîte transparente remplie de petits cylindres blancs.
— Dès le début du trouble, à la place de vous laver les mains : vous prendrez deux Tic Tac !
— Deux Tic Tac pour effacer mes Tocs ! mais docteur ! ce sont des… Bonbons ! s’exclama consternée la patiente.
— Vous allez comprendre : dans votre cortex cérébral, les manies ont créé un sillon qui s’approfondit avec les répétitions dans un cercle vicieux. Pour casser cette obsession, vous devez lui substituer un geste plus anodin et passer à autre chose ! Un détail pour éliminer un grand traumatisme… Ainsi, la trace parasite va s’alléger et disparaître. Au bout de quelques mois, vous serez guérie… Vous pourrez garder vos psychotropes sous verre, uniquement afin de vous évader…
Il fut interrompu, la porte s’ouvrit avec fracas, l’intrus très en colère, les cheveux en bataille, un talkie-walkie dans la main, se figea au milieu de la pièce.
« Je l’ai trouvé ! ne cherchez plus ! venez me rejoindre de toute urgence dans mon cabinet ! » Il reprit son souffle, la voix saccadée.
— Monsieur Pock, sortez sans tarder de mon bureau !
L’homme se leva, salua la jeune femme et s’arrêta tout près de son interlocuteur.
— Cher docteur Pick, avant que vos sbires ne se précipitent sur moi pour me brutaliser selon leurs habitudes, je tiens à vous dire ceci : vous êtes un incompétent ! Votre suffisance vous a cloîtré, vous n’évoluez plus, ne vous informez plus sur les avancées des neurosciences, pour vous : de simples détails ! Vous avez un siècle de retard !
Tout à coup, il y eut une bousculade, en un instant, il fut plaqué au sol, menotté et traîné dans le couloir.
La patiente, choquée par cette soudaine violence, se leva et demanda dans un souffle.
— Qui est-il pour mériter cela ?
— Un de nos pensionnaires, il a passé vingt fois le concours d’entrée en médecine… Sans succès. Les autorités ont décidé de le neutraliser, c’est un dangereux contestataire, il doit être rééduqué !
La jeune femme rajusta ses gants et regagna la sortie.
— Madame Pack ! votre ordonnance ! vos rendez-vous !
— Inutile ! Elle se retourna pour le fixer sans ciller. Votre numerus clausus est une absurdité : il a augmenté votre autosatisfaction et généré un désert médical sans précédent, un désastre ! Elle extirpa la petite boîte et prit deux Tic Tac. Je vais suivre sa méthode à la lettre…D’ailleurs, je me sens déjà beaucoup mieux !

Gérard Taverne (Vanget) 22/01/2024
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