KYRA [Fantastique / SF]

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louji

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Re: KYRA [Fantastique / SF]

Message par louji »

C'es la bagar ça fait kaboum


Chapitre 17
Sang et métal


_ _ _ _ _



Kassandra



Kassandra avait eu des nouvelles de Jay, mais aucune de Freyja. Ce silence commençait à lui peser. La Corneille était-elle trop occupée pour lui répondre ? Ou estimait-elle que les suggestions de Kass étaient indignes d’intérêt ? Connaissant Freyja, Kass n’aurait pas été étonnée.
Frustrée de rester collée à son téléphone, Kassandra se leva. Appuyée contre le lampadaire tout proche, Ichika l’interrogea en silence.
— On va marcher ? J’en peux plus d’attendre.
Sa copine hocha la tête, accepta la main que Kass lui tendait. Elles firent le tour du pâté de maisons, observèrent deux pies se battre pour un morceau de métal dans la cour arrière d’un immeuble, saluèrent deux fillettes qui leur adressaient des signes de la main à travers le grillage de leur jardin, évitèrent de justesse une grand-mère qui tractait un caddie quasiment aussi gros qu’elle. Kassandra lui proposa son aide, mais l’inconnue marmonna dans sa barbe en secouant la tête avant de poursuivre sa route.
— Je pense que je vais vieillir comme ça, songea Ichika avec un demi-sourire.
— Tant qu’on vieillit ensemble, répliqua doucement Kass en l’entraînant en direction inverse.
Après avoir remonté l’allée d’un pas tranquille, elles débouchèrent sur un parking où Ichika lui indiqua reconnaître les véhicules des Représentants. Elles ne tardèrent pas à s’en éloigner, guère inspirées par la vision des voitures ensommeillées.
Elles venaient de laisser le parking derrière elles quand le portable de Kass vibra. Elle arrêta Ichika pour le tirer de sa poche, en parcourut l’écran à toute vitesse. Soulagement immédiat. Freyja venait de lui répondre ; quelques mots pour les inciter à poursuivre leurs recherches sur cette demeure dans les Alpes.
Après avoir prévenu Ichika, elles reprirent leur route. La poitrine de Kass était plus légère.

Elle se remplit de plomb une centaine de mètres plus loin. Ichika lui avait tiré le poignet pour la forcer à se cacher dans une rue perpendiculaire. Les yeux écarquillés de sa copine trahissaient un effroi que Kassandra avait eu le temps de saisir à son tour.
Freyja et un homme. Frey, figée, blême, la mâchoire crispée. L’homme la dominant de sa taille et de son pistolet enfoncé entre ses côtes. Tous les deux immobiles sur la route, à quelques centaines de mètres de l’immeuble du Conseil.
— Qui c’est ? s’enquit Ichika à voix basse.
— Je ne sais pas. Je le reconnais pas.
— Merde. Qu’est-ce que Frey attend ? Elle peut détruire l’arme avec ses capacités, non ?
— Si, j’imagine…
Elle-même à moitié accroupie derrière le muret, Ichika ne quittait plus la Corneille des yeux. Sa main glissa spontanément à son poignet droit, poussa l’aiguille de céramique hors de son encoche. Kassandra lui serra l’épaule avant qu’elle ait pu aller plus loin.
Chica, on ne sait pas ce qui se passe avec cet homme.
— Freyja est menacée. C’est tout ce que je vois.
Elles étaient trop loin pour entendre les échanges entre la Corneille et son adversaire. La posture de l’un comme de l’autre ainsi que l’ombre qui couvrait leurs visages étaient pourtant sans équivoque. La poitrine de Kassandra pesait toujours aussi lourd. Ichika lui jeta un œil, se pencha vers elle. Ses traits durcis firent pousser des ronces autour de la balle de plomb qui lui servait de cœur.
— Kass, si je dois y aller. Ne me suis pas.
— N’y va pas. On ne sait pas si…
— Kassi, je ne peux pas laisser Frey seule si elle est en danger.
— S’il te plaît.
La cassure dans la voix de Kass ébrécha le masque de pierre de sa copine. Elle lui serra les mains, se déplaça sur ses appuis pour lui embrasser le front.
— Tu as fait déjà tant pour Nour. C’est à mon tour, Kass.
— Laisse-moi t’aider. Je peux faire diversion, prévenir les Corbeaux, n’importe quoi !
— Je ne veux pas que tu te mettes en danger. Et sans capacité offensive…
— Et toi, tu as le droit de te mettre en danger ? l’interrompit sa copine d’un ton inhabituellement cassant.
— J’ai appris à le faire. Pas toi, mi cariña.
Kassandra ne lui rendit qu’un regard béant de peur, un rictus pincé par cette douloureuse vérité. Ichika lui pressa les doigts comme pour se donner courage. Puis elle contourna le muret.
Même si Kass ne comptait pas intervenir dans l’affrontement, elle se pencha à l’angle de la rue. Les genoux baissés, Ichika contournait le duo figé de l’autre côté de la route. Bien que Freyja soit en bonne position pour l’apercevoir, elle ne laissa rien paraître. Kassandra la remercia en silence pour son masque impassible tandis qu’Ichika avalait mètre après mètre.
Elle avait remonté sa manche au préalable. Les ronces se resserrèrent autour du cœur de Kass quand elle s’entailla le bras dans un mouvement aussi précis qu’assuré. Par habitude, elle sonda les environs, remercia le néant et toutes les divinités qu’il n’y ait personne à proximité. Les témoins Sapiens étaient toujours une épine dans le pied. Au mieux, on les retrouvait dans la journée pour les faire passer sous les mains des manipulateurs de la mémoire. Au pire, ils vendaient leurs témoignages à des journaux à sensation.
Le sang d’Ichika durcit contre son avant-bras, adopta la forme d’une tige acérée. Consciente du bruit de ses pas sur la route déserte, elle ralentit la cadence et appuya sur ses pointes de chaussures. Les mâchoires de Kassandra ne tardèrent pas à devenir douloureuses à force de serrer les dents. Ichika approchait de plus en plus, toujours invisible à l’ennemi. Trois mètres, deux mètres, un…
Kass se rappela la nature du pouvoir de Bruno Girandeau quand le masque de Freyja se fissura. Un éclair de compréhension glacée venait de traverser son regard. Les épines des ronces lui perçant le cœur, Kassandra se leva, prête à crier, mais Thomas Lenoir s’était déjà tourné.
Le canon de son arme en plein sur le front d’Ichika.




Ichika



Le néant sous ses yeux. Un tunnel d’obscurité, de poudre et de mort. Thomas Lenoir - Bruno Girandeau - appuya sur la détente. Ichika leva le bras, prête à lui trancher la main de sa lame de sang. Ni l’un ni l’autre n’atteignirent leur cible. Frey venait de donner un coup de poing dans le coude de l’homme. Il dévia. Juste assez pour détourner le coup de feu au-dessus de l’épaule d’Ichika.
Les jeunes femmes agirent de concert. Ichika acheva la course de sa lame, entailla l’épaule de Bruno Girandeau. Derrière, Freyja lui planta son poignard dans le dos. Essaya, du moins. Après avoir écarquillé les yeux de surprise, elle bondit en arrière pour se mettre en sûreté.
— Gilet pare-balles, informa-t-elle Ichika d’une voix rêche.
Bruno Girandeau ne leur accorda pas de deuxième chance. Il força Ichika à se déporter en tirant de nouveau dans sa direction. Menaça de faire pareil avec Freyja, qui se jeta derrière un bac de fleurs. Aucun coup de feu ne détonna, cette fois.
Le temps qu’Ichika signale à Frey qu’elle pouvait quitter sa cachette, l’homme s’était éloigné en sens inverse, en direction du parking. Ichika bondit sans vérifier que Freyja la suivait. Kass se trouvait juste là, sur le chemin de Zakka…
La vision d’Ichika s’était brouillée d’angoisse quand elle se jeta dans la ruelle où elle avait laissé sa petite-amie. Recroquevillée contre le mur, plus pâle qu’elle ne l’avait jamais vue, Kass respirait par à-coups. Ichika se jeta vers elle, lui empoigna les mains en prenant soin de diluer son sang pour ne pas la blesser.
— Ça va ?
— Oui. (Kass cligna furieusement des yeux en examinant la silhouette de sa copine.) Et toi ? Il a pointé son arme sur…
— Frey m’a sauvée.
Le choc l’ayant vidée de ses couleurs et de ses pensées rationnelles, Kassandra se contenta de la dévisager en ahanant. Freyja ne tarda pas à les rejoindre, considéra Kass avec gravité avant de se détourner. Il y avait comme de la culpabilité dans son regard.
— On doit y aller, Ichika. Faut qu’on le rattrape.
— Oui.
— Non, s’étrangla Kassandra en agrippant les bras de sa petite-amie.
Elle considéra le sang qui venait de tacher ses doigts, trembla de plus belle. Le ventre noué, Ichika extirpa ses mains de celles de sa copine. Il y avait un temps pour la discussion, pour la projection, pour la stratégie.
Et il y avait le temps pour l’offensive, pour l’action. Et l’opportunité que Freyja venait de leur offrir ne pouvait pas être manquée.
— Reste ici, l’implora Ichika d’une voix tordue, douloureusement tordue. Je te retrouve dès que possible, Kassi.
Sans lui laisser le temps de lui promettre - ou de réfuter - Ichika s’élança avec Freyja en direction du parking.

Ichika eut l’impression d’être transportée la veille, lors de sa session de running avec Freyja. Mais il n’y avait pas de fleuve, pas de chants d’oiseaux dans les arbres, pas d’inconnus matinaux sur leur route. Rien que du béton et du gravier, les battements de son cœur, un océan de voitures.
Bruno Girandeau s’était réfugié dans le parking. Frey avait entraîné Ichika jusqu’au véhicule des Jindal en premier réflexe. Pour n’y trouver que leurs anciennes traces de pas, le fantôme d’une discussion où elle aurait pu mettre fin à sa fuite avant même qu’elle débute.
Après avoir poussé un juron, Frey vira vers Ichika.
— On se sépare pour le chercher ? Ou tu crains d’être seule ?
— J’en sais rien, répondit Ichika avec franchise.
— Si tu as besoin d’aide ou que tu l’as trouvé, appelle-moi. (Freyja tendit le bras pour lui serrer brièvement le poignet.) N’hésite surtout pas, Ichika.
Après avoir hoché la tête, Ichika partit en sens inverse. Elle retourna vers l’entrée du parking, observa nerveusement les environs. Même si Bruno Girandeau ne disposait pas de capacité offensive, son pouvoir de détection lui accordait un avantage conséquent.
Alors qu’elle remontait à pas lent les rangées de voiture dans l’espoir de l’apercevoir, Ichika serra les dents. Elle avait manqué perdre la vie quelques minutes plus tôt. Pour une erreur aussi stupide qu’avoir oublié quel genre de Mutabilis était Girandeau.
Frustrée à l’idée de passer des heures à chercher un homme qui pouvait les sentir venir, Ichika accéléra la cadence. Le parking n’était pas immense. Et il n’y avait qu’une issue - à moins que l’homme tente d’escalader le mur d’enceinte. En croisant son périmètre avec celui de Freyja, l’une d’elle finirait pas tomber sur lui. Il ne pouvait en être autrement.
Dix minutes plus tard, les jeunes femmes se retrouvèrent près du véhicule des Jindal. Frey avait l’air sur le point d’exploser. La colère et leurs recherches frénétiques avaient teinté ses joues de rouge.
— Je comprends pas, gronda-t-elle en shootant dans des graviers. Il a pas pu nous échapper. On l’a vu rentrer dans le parking.
Perplexe, Ichika sonda les alentours. Ces quelques dernières minutes, des badauds étaient venus récupérer leur voiture. À chaque reprise, quitte à essuyer des regards méfiants, les jeunes femmes avaient inspecté les conducteurs et leurs mouvements une fois garés ou sortis du parking. Aucun d’entre eux n’avait semblé lié à leur fuyard.
— On refait un tour ? proposa Ichika d’une voix égale. On peut inspecter l’intérieur des voitures, cette fois.
— Mais il est venu avec les Jindal et leur voiture est vide. Et comment il aurait pu rentrer dans une autre voiture, de toute façon ? s’agaça Freyja en faisant un cercle autour de quelques mètres de large.
— Il a peut-être trouvé une voiture ouverte. Quelqu’un qui aurait oublié de fermer.
Freyja soupira en s’arrêtant. Après avoir observé les graviers pendant quelques secondes, elle bascula le nez vers Ichika. L’air résigné ne lui allait pas très bien.
— On a rien d’autre à faire, de toute manière, grinça la jeune femme en faisant tournoyer sa lame entre ses doigts. Alors allons-y. Je commence par la rangée du fond.
— Je fais le début.
Ichika gardait une main plaquée sur son avant-bras. Elle avait solidifié le sang par-dessus la plaie pour éviter l’hémorragie, mais elle ne voulait pas attirer l’attention si un passant l’observait de trop près.
Rendue hagarde par la perte de sang et l’appréhension, Ichika s’efforçait de passer outre sa vision trouble et les sueurs froides. Elle vérifia méthodiquement l’habitacle de chaque voiture à l’entrée du parking. Chercha Freyja du regard par-dessus les toits luisants pour détendre sa nuque engourdie.
Elle remonta encore une rangée de véhicules sans rien trouver de nouveau. À une vingtaine de mètres, Frey attaquait une autre partie. Ichika l’imita, soupira en constant un nouvel intérieur vide.
La douleur pulsant de plus en plus fort dans son bras, Ichika contourna la voiture, se pencha à l’intérieur.
Détonation.
Un brusque sursaut tira Ichika en arrière. Le souffle coupé, elle se retourna, chercha sa coéquipière du regard. Freyja surgit d’entre deux voitures en courant à moitié accroupie. Ichika se baissa à son tour, expira un souffle tremblant.
Elle avait vu Freyja se tenir l’épaule. Avant d’avoir pu tiré au clair ce qui s’était passé, quelqu’un dérapa dans les graviers. Coup de feu. Même le silencieux dont l’arme semblait pourvue ne pouvait pas masquer ce bruit caractéristique.
Malgré les cavalcades de son cœur, Ichika inspira entre ses dents, forma de nouveau sa lame de sang et quitta son abri.




Freyja



Ichika avait eu un bon flair. Bruno Girandeau s’était engouffré dans une voiture qu’on avait oubliée de verrouiller. Frey n’avait pas eu le temps de reculer quand la portière s’était brusquement ouverte. Poussée vers l’arrière, la jeune femme n’avait pu que regarder le canon de l’arme à feu cracher la mort dans sa direction.
Au cours de la formation des Corbeaux, on apprenait aux jeunes recrues à réagir lors de diverses situations menant à des blessures, des paralysies ou des entraves physiques passagères. Frey s’en était toujours sortie avec d’excellents résultats, félicitée pour son sang-froid et l’ingénuité de ses réactions.
En réponse à la douleur brûlante qui lui transperça l’épaule, Freyja eut un gargouillis, un élan de pure panique et fut tentée d’effacer des années de formation d’une pensée barbouillée par la certitude de mourir.
Frey. FREY. DÉGAGE DE LÀ.
Après s’être accroupie pour éviter une nouvelle balle, elle se jeta sur le côté. Temporairement à l’abri derrière les carrosseries des voitures, Freyja se pressa l’épaule pour limiter l’hémorragie et ces insupportables vagues de souffrance qui la paralysaient des doigts jusqu’aux trapèzes.
Le souffle crispé, elle poursuivit sa route, s’obligea à ne pas crier quand une munition érafla le pare-choc du véhicule derrière lequel elle s’était cachée. Même si l’arme de Girandeau était munie d’un silencieux, l’écho résonnait entre les murs du parking. Ichika ne tarderait donc pas à venir en renfort.
Des pas de course dans les graviers. Frey poussa sur ses talons pour quitter son abri. Ahana jusqu’à la prochaine voiture, où une silhouette se dressa face à elle. Ichika s’arrêta à temps, écarquilla les yeux en apercevant le sang qui dégoulinait entre les doigts de Freyja. Elle se retint visiblement de pousser un juron, s’accroupit à côté de son amie.
Comme elle tendait les doigts vers l’épaule de Frey, celle-ci lui asséna une petite tape inoffensive.
— T’inquiète, je m’en occuperai quand on aura neutralisé Girandeau.
— Laisse-moi faire, insista Ichika en pressant son avant-bras contre l’épaule de sa coéquipière.
Comme Ichika avait déjà commencé à agir, Freyja obtempéra. Elle observa avec fascination le sang d’Ichika se mêler au sien puis durcir progressivement pour former une plaque cramoisie qui emprisonnait l’hémorragie.
— Dès que je ne te toucherai plus, mon sang va redevenir liquide et libérer le flux, expliqua Ichika en répétant l’opération à l’arrière de l’épaule. Mais si tu es capable d’encaisser la douleur, je peux enfoncer le tissu de ton sweat dans la plaie pour que ça limite la perte de sang quand je vais relâcher mes pouvoirs.
— Vas-y, siffla Frey en serrant les poings sur le bas de son vêtement. Mais fais vite, Girandeau va pas attendre longtemps.
— Je l’ai blessé en venant jusqu’à toi, l’informa Ichika d’une voix égale. Ça va le ralentir un peu.
Ichika enfonça fermement un bout de tissu dans la plaie à l’arrière de l’épaule de Frey. La jeune femme couina malgré sa préparation mentale. Les traits crispés, Ichika bascula de nouveau devant, où elle échangea un regard avec Freyja avant d’agir.
— C’est bon, grinça Frey alors que tout son corps hurlait l’inverse.
Le doigt d’Ichika plongea dans la blessure béante, y logea un morceau de sweat pour coaguler le sang dès qu’elle relâcherait son emprise. Des larmes de douleur brûlèrent les yeux de Frey, qui se plia en deux pour contenir la déferlante de feu dans son bras droit.
— On y va, cracha-t-elle en se pressant les paupières pour y chasser les restes salins.
Ichika retira son bras, récupéra son sang contre sa propre peau pour y forger sa lame habituelle. Elle aida Freyja à se redresser et se plaça devant elle.
— Pas la peine de me protéger, grommela Frey d’une voix rauque en la suivant dans l’allée du parking.
Bien qu’elle jeta un œil pensif dans sa direction, Ichika ne prit pas la peine de répondre. Elle trottina en direction de plusieurs traces de sang sur les graviers, inspecta les alentours.
— Je l’ai laissé ici, expliqua la jeune femme en grattant le sol de la pointe de sa chaussure.
— Il est pas loin, alors.
Elles se guidèrent grâce aux indices sanguinolents que l’homme avait abandonnés derrière lui. Un bout de canon pointa dans leur direction alors qu’elles approchaient du fond du parking. Elles s’écartèrent aussitôt de la trajectoire pour se réfugier chacune devant une voiture.
— On contourne chacune de notre côté pour le coincer ? suggéra Freyja en articulant exagérément pour compenser le faible son de sa voix.
Ichika hocha la tête, partit de son côté. Frey prit une grande inspiration, serra les dents en se redressant. Chaque mouvement accentuait les langues de feu qui coulaient de son épaule vers le reste de son corps.
Sous ses Doc Martens, les graviers crissaient horriblement. Freyja finit par se faire une raison, décida d’accélérer un bon coup. Elle prit soin de baisser la tête et de brandir son bras valide devant elle en débarquant au niveau de Girandeau.
Comme il avait prévu qu’elles arriveraient en tenaille, il n’était pas tourné vers elle quand Frey contourna le véhicule. L’arrivée de Freyja ne tarda pas à lui imposer une rotation. La jeune femme esquiva sur le côté dans la crainte qu’il tire, mais l’homme ne lui prêtait pas réellement attention.
Son buste était orienté de l’autre côté. Frey poussa sur ses muscles épuisés pour bondir vers lui, repousser cette maudite arme à feu. Le pistolet se révéla être complètement hors de sa portée quand Girandeau le braqua sur une Ichika déstabilisée. La balle fusa sans que Frey ou Ichika aient pu réagir.
Contrairement au tir destiné à Freyja une poignée de minutes auparavant, Girandeau s’était préparé. Avait visé juste, précis. La munition se logea en plein dans la poitrine d’Ichika.




Jayden



La conscience de Jayden clignotait. Lumière, teintée de cris et de poils hérissés. Obscurité, songes poisseux et terrifiants. Dans cet entre-deux, la lumière grise qui coulait de la fenêtre, jetait son flot opaque sur le corps inanimé d’une fillette.
Inaya, murmurait la conscience de Jay quand elle s’élevait dans la lumière.
Nour, se désolait-elle dans l’obscurité.

Quand l’entre-deux de gris fut suffisamment stable, Jay s’obligea à passer outre le choc physique et psychologique. Son bras était si engourdi qu’il s’effondra dessus en voulant se redresser. Nour ne l’avait pas raté.
Mais au moins l’avait-elle épargné. Jayden avait étudié en long et en large les rapports de ses massacres. En contact direct ou à distance, ses nuages électriques tuaient en quelques secondes. Si Jayden était encore capable de respirer malgré le poids qui écrasait son corps au sol, c’était bien parce que l’enfant-assassin en avait décidé ainsi.
Avec un grognement, il tenta une nouvelle fois de se relever. Le bras qui avait reçu la décharge pendait contre son flanc, palpitant comme si des milliers d’abeilles s’y étaient réfugiées. Tout le reste de son être tressautait, agité par une espèce de hoquet géant. Mais jamais un hoquet ne lui avait fait si mal. Ou plongé dans un état de confusion pareil, où la nausée côtoyait les vertiges.
Sa main valide accrochée aux barreaux de la balustrade, Jay rampa à moitié en direction d’Inaya. Enfonça les doigts dans la peau tendre de son cou. Expulsa un soupir fébrile quand les échos si précieux de son cœur balbutièrent contre sa pulpe.
Et, quand ses oreilles cessèrent d’être des caveaux de grésillement, les cris le frappèrent. Enfoncèrent des épines dans son cœur, des coups de pied dans ses tripes.
Nour - Kyra - avait envahi le Conseil. Et sa mission sanglante avait déjà débuté.

Jayden s’appuya à la balustrade pour se relever. Les genoux vacillants, il enjamba Inaya puis tituba vers la porte du Conseil. Deux des quatre Corbeaux qui la gardaient encore quelques minutes plus tôt étaient prostrés. Jay ne prit pas la peine de vérifier leur pouls. Pas alors qu’il sentait pulser des vagues d’énergie antinomiques. Il épaula le mur, poussa la porte.
Une large table circulaire occupait la salle dont les baies vitrées offraient une vue sur le quartier de la Jonction. Sur le bois foncé et ciré reposaient des corps dont l’immobilité en disait bien assez. Au fond, Joseph Anderson faisait barrière de son corps entre Nweka Agou et les vagues mortelles de Nour.
Le jeune assassin avait grimpé sur la table. Sa silhouette enfantine surplombait des dizaines de corps animés et inanimés. Enragés et silencieux. Vifs et passifs. Certains Mutabilis aux capacités offensives avaient trouvé le courage de lancer un assaut.
Jay cligna des yeux confus alors que des Corbeaux désespérés tiraient en vain sur l’assassin. Son épiderme ne laissait rien passer de leurs projectiles, de leur effroi emmailloté de la rage aveugle d’abattre l’ennemi.
La seule personne qui avait la capacité de lui faire face se dressait de l’autre côté de la table. Rempart ultime entre des Mutabilis impuissants et une enfant inarrêtable, son propre grand-père.
Un grognement-geignement s’éleva du fond de sa gorge. Jayden se traîna dans la salle, trébucha sur le corps d’un troisième Corbeau anéanti. Il se rattrapa de justesse au dossier d’une chaise, observa pendant quelques secondes la femme aux yeux révulsés qui y était installée.
Puis Charles Ancesteel le remarqua. Leva la voix au milieu des détonations et des cris de terreur :
— Jayden ! Aide-moi !
Le jeune homme rencontra le regard de son grand-père, frémit de sa dureté. Au milieu du chaos, de la mort invisible, il conservait son flegme. Jay n’eut pas le temps d’être reconnaissant de sa maîtrise : Kyra bondissait dans sa direction.
Le corps de Jay réagit par pur réflexe. L’obligea à reculer alors que l’enfant tendait la main dans sa direction, un éclat aux milles brisures dans ces yeux si grands qui lui mangeaient le visage. Les doigts de l’assassin frôlèrent le visage de Jay, furent écartés de force par de nouvelles balles véloces.
La chute expulsa le souffle de Jay de ses poumons, envoya un arc de douleur dans le bras qui avait reçu la décharge. Alors qu’il se redressait en grognant, un poids lui tomba dessus. De nouveau projeté au sol, Jayden agrippa son assaillant. Comme le bras qu’il venait de saisir lui faisait l’effet d’une branche incassable, il se retint à temps de projeter ses illusions mentales.
Nour l’observait, le dévorait, le suppliait. De ses lèvres sourdes, de son regard aveugle, de son serment immuable. De toute sa détresse et toute sa supériorité.
— Nour, s’étrangla Jay en prenant conscience des Mutabilis qui se rapprochaient d’eux, avides d’arracher la vie à cette enfant qui pesait à peine sur son buste.
De près, entre deux sursauts d’adrénaline, il remarqua les traces d’un maquillage à la lisière de ses cheveux, de son cou. Comprit le subterfuge qui l’avait cachée aux yeux de tous depuis le début.
— Inaya ? chuchota Nour d’une voix pressante.
— Vivante.
La fillette hocha sèchement la tête, enroula les mains autour de la gorge de Jay. Il tressaillit, empoigna ses poignets par instinct. Elle s’inquiétait pour Inaya. Pour la jeune fille qui avait prétendu être sa sœur. Pour celle qui l’avait masquée aux sens des Mutabilis détecteurs, dotée de la capacité des Saad à masquer les pouvoirs en contact épidermique.
— Nour, souffla Jayden d’une voix rendue cassée par la pression qui augmentait sur sa trachée, Nour on peut toujours…
— Lâche-le ! tonna une voix cassante à quelques mètres.
Jay tourna la tête de concert avec son assaillant. Charles avait contourné la table et se dressait de toute sa noblesse malgré sa jambe tordue. Son magnétisme titillait les nerfs de Jay. Des stylos, agrafes et autres broutilles métalliques venaient percuter son costume trois pièces.
— Lâche-le, éloigne-toi et nous pourrons discuter, Kyra, gronda Charles d’un ton rêche.
— Il ment, intervint Jayden d’une voix tout juste audible. Il va te tuer, Nour.
L’enfant ne répondit pas, força Jayden à se redresser en tirant sur sa gorge. À cette vision, le visage de Charles tourna à la tempête. Ses yeux bleus orageux foudroyaient aussi bien Kyra que son petit-fils. Il susurra d’ailleurs à son intention :
— Jayden, qu’est-ce que tu attends pour le mettre hors d’état de nuire ?
Nour quitta Charles des yeux pour retrouver ceux de Jayden. Kyra avait l’air de mener une guerre. En lui-même, avec Nour, avec l’UOM, Jayden, Amel et Zakka. Jay lui rendait sa bataille : l’assassin était là, à portée de ses mains capables de l’anéantir mentalement. Ils s’agrippaient mutuellement, les petites mains de Nour serrées autour de sa gorge, les doigts de Jay enroulés sur ses bras.
Aucun ne pouvait faire le dernier pas. Jayden était le seul Mutabilis de la pièce à pouvoir inverser la tendance. Quant à Kyra, il savait quelle était la prochaine étape avant d’atteindre son grand objectif final. La prochaine étape prenait la forme d’un battement effréné sous ses doigts. D’un souffle haché qui voulait protéger et non pas condamner.
— Nour, murmura Jay en lui souriant faiblement, échappe-toi. Fuis l’UOM et le Conseil.
La bataille faisait toujours rage chez l’ennemi et ces mots n’y ajoutèrent qu’un écran de confusion. La poigne de Nour s’affaiblit, mais Jayden la maintint de force contre son cou. S’il n’avait plus l’air en danger, plus rien n’empêcherait les Mutabilis de s’en prendre à elle.
— Jayden, écarte-toi de lui, le somma son grand-père avec hargne.
Une vague de magnétisme les bouscula. Jayden grimaça, son propre pouvoir hurlant de contrebalancer cette répulsion irritable. Nour ferma les yeux en grimaçant, même si aucune pièce de métal sur elle ne l’envoya rouler au loin.
Une flamme glacée se réveilla des cendres de son regard brun. Une main toujours sur la gorge de Jay, elle se leva et tendit l’autre bras en direction de Charles. Une décharge étrangla Jayden, percuta sa conscience pour l’empêcher d’envoyer une quelconque hallucination dans le cerveau de Kyra.
En même temps, de nouveaux nuages électrostatiques tournoyèrent en direction des Représentants et des Corbeaux encore debout. Sa vision brouillée, Jay crachota quelques paroles vaines. Il ne sentait plus le magnétisme de son grand-père. Est-ce que Charles avait…
Des tirs. Kyra gronda tout bas, se recroquevilla pour éviter les munitions qui pouvaient toujours le blesser au niveau des muqueuses. Sa trachée enfin libérée, Jayden se froissa les côtes à tousser violemment. Les détonations lui vrillaient le cerveau. S’il n’activait pas son magnétisme d’une seconde à l’autre, il finirait par être touché.
Même s’il savait parfaitement ce que ça signifiait pour Nour, Jayden se replia sur lui-même et repoussa tout autour de lui. Kyra hoqueta de surprise, garda le silence puis se mit à geindre de peur. Son électricité avait échappé à son contrôle. À moins d’aller au contact direct, il était temporairement impuissant.
L’opportunité que venait d’offrir Jayden n’échappa pas longtemps aux Mutabilis. Autour d’eux, les Corbeaux encore opérationnels s’agitèrent, dégainèrent leurs couteaux. Jayden se releva tandis qu’ils approchaient avec méfiance.
Une femme en tenue de combat le repoussa brusquement contre le mur, plongea sa lame en direction de l’assassin de l’UOM. Kyra croisa les bras devant sa tête en hurlant, asséna des coups de pied frénétiques à son assaillante.
La nausée grimpa la gorge de Jay, lui brûla la langue. Tout son corps l’élançait. Au nez de son impuissance, les coups répétés de la femme Corbeau finirent par porter leurs fruits : une estafilade cramoisie apparut sur les lèvres de Nour. Déstabilisée, l’enfant se figea, porta un regard terrifié vers son attaquante avant de basculer sur Jay. Puis la terreur vira à la renonciation.
Le prochain coup de couteau s’enfonça tendrement dans la jonction entre son cou et son épaule.



Suite
Dernière modification par louji le ven. 03 mai, 2024 10:07 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: KYRA [Fantastique / SF]

Message par louji »

Encore 2 chapitres d'action puis c'est la fin de la partie 3 💥
Et accessoirement y'a une surprise sous ce chapitre 👀



Chapitre 18
Désespérés et enragés


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Kassandra



Recroquevillée dans son angle de ruelle, Kassandra tergiversait. Son cerveau rempli de peur et d’incertitudes l'empêchait de prendre une décision. Tendues devant elle, ses mains semblaient parées de mitaines cramoisies. Le sang d’Ichika avait eu le temps de sécher en formant des plaques qui s’effritaient en paillettes sombres.
Quand la confusion de son cerveau mua en panique, Kass se leva. Sur des jambes tremblantes, un bassin qui n’arrivait pas à se stabiliser, des bras qui se balançaient sans savoir s’ils voulaient aller de l’avant ou fuir. Au moins tenait-elle debout.
Dans la rue déambulaient quelques badauds intrigués. Les coups de feu, même tirés en milieu de matinée en pleine semaine, avaient attiré l’attention. Alors qu’elle s’engageait dans la rue en surveillant où elle mettait les pieds - et, surtout, si ses pieds fonctionnaient correctement - Kassandra songea aux Mutabilis qui prendraient en charge cette curiosité Humaine.
Les manipulateurs de mémoire interviendraient, effleureraient un poignet au détour d’un magasin, plaqueraient une paume sur un avant-bras dénudé dans un bus ou serreraient une main lors d’une rencontre professionnelle. Les Corneilles étaient devenues expertes dans l’art de dissimuler. Jouaient les relations publiques, les cartes et communiqués de presse, les informateurs anonymes sur les standards téléphoniques. Envoyaient les Sapis dotés de facultés psioniques auprès de celles et ceux qui avaient trop vu, trop entendu, trop interprété.
De nos jours, l’information était poreuse, délicate, sujette à controverses. Les grands médias dédaignaient les événements étonnants ; les petits locaux étaient dédaignés. Quelques sites et détenteurs de réseaux sociaux s’amusaient à tracer des événements à priori inexpliqués, des témoignages ou des preuves audiovisuelles d’Humains dont les exploits n’étaient pas normaux.
Plus d’une fois, des Mutabilis en plein usage de leurs capacités ou les conséquences de celles-ci avaient été capturés. Si une part de ces contenus avait été traquée puis supprimée par les veilleurs informatiques des Corbeaux, il en restait toujours dans la multitude du web.
À la connaissance de Kass, les fuites problématiques sur l’existence de leur espèce étaient très peu nombreuses. Certains pays - du moins, certains politiques de certains pays - étaient au courant, qu’ils soient Mutabilis eux-mêmes ou pas. Des groupes de lobbies aussi, pour la simple et bonne raison que des membres de leur espèce en étaient les dirigeants. Globalement, l’Homo Mutabilis avait toujours su préserver la discrétion de ses particularités, que ce soit par instinct de survie ou par des processus réglementés.
Et les affres de l’affaire Kyra ne manqueraient pas d’être altérés, brouillés, effacés. Tout comme son existence, craignait Kass. Elle ignorait ce que Kyra deviendrait, une fois arrêté et capturé. Ce que Nour pouvait espérer pour son avenir.

Sa poitrine compressée par la pagaille de ses émotions, Kass s’arrêta au milieu de la rue, se joignit aux badauds qui avaient repéré les impacts de balle. Certains avaient déjà appelé la police, d’autres se demandaient s’il fallait inviter les habitants du quartier à évacuer.
La grand-mère ronchonne qu’elles avaient croisée plus tôt avec Ichika était de retour. Derrière elle, son caddie plein à craquer menaçait de s’effondrer sur le côté. Par automatisme, Kassandra s’en approcha, redressa le chariot de courses de ses mains tremblantes.
Les yeux bleus laiteux de la vieille femme fusèrent vers elle. Elle mâchonnait inconsciemment sa lèvre en révélant un dentier aux dents trop blanches. En remarquant que les doigts de Kass restaient crispés autour de la poignée du caddie, elle lui agrippa le poignet.
Kassandra hoqueta quand les ongles de la grand-mère s’enfoncèrent vicieusement dans sa peau. Elle tira sur son bras, mais la vieille dame ne céda pas une miette de chair.
— E-Excusez-moi, bredouilla Kass, dont la honte barbouilla de rouge les joues.
— Ne t’excuse pas, mon enfant, gronda la vieille dame en affichant ce qui devait être un sourire, mais qui évoquait un sinistre rictus.
Avant que Kass ait pu tenter une nouvelle échappée, il y eut comme une vague de chaleur dans sa tête. Elle se raidit, curieuse de la sensation, intriguée, mais volontaire à laisser le nuage engourdir les pics de ses émotions. La sensation enfla, se propagea, nimba ses pensées d’une gaze de coton moelleux.
Le poids sur ses poumons s’envola, laissa un creux tiède qui ne demandait qu’à être comblé. Les oreillers bourdonnantes de cette éclaircie mentale, Kassandra inspira. L’air glissa le long de sa trachée, vint se loger dans le trou de sa poitrine. Repoussa le plomb et les ronces, l’anxiété et l’incertitude.
— Ça va mieux ?
Kass bascula vers la vieille femme, sentit ses lèvres se recourber sans qu’elle ait à forcer le geste.
— Beaucoup mieux. (Le nuage perdit en densité quand l’inconnue retira sa main de celle de Kass.) Vous…
Un nouveau sourire à l’émail superficiel. Une étincelle traversa le ciel laiteux de ses yeux, se diffusa au reste de son visage. Elle s’était transformée en gamine espiègle.
— Secret, mon enfant.
Clignant des yeux confus, Kassandra s’écarta pour la laisser reprendre son chemin. Même si l’apaisement mental n’était pas le même depuis que leurs peaux n’étaient plus en contact, Kass se sentait délestée.
Alors que la vieille dame avançait cahin-caha sur le trottoir, son caddie couinant dans le dos, Kassandra se laissa aller contre un lampadaire. Venait-elle d’expérimenter des facultés psioniques ? Pas du même genre de celles de Jayden, qui imposait des hallucinations. Ni comme Kamala Jagan, Shiva, qu’on soupçonnait d’exacerber les désirs et les craintes.
Une autre déclinaison encore. Du genre à apaiser la brûlure et l’étouffement des émotions. À domestiquer la férocité de la colère, de la peur et de l’impuissance.
Sa respiration tranquillisée, son corps de nouveau stable, Kassandra observa ses mains. Le sang d’Ichika y formait toujours des plaques à demi-effacées. Rassérénée, déterminée, la jeune femme se redressa, vérifia que personne ne lui prêtait attention, puis partit en sens inverse.
Elle ne voulait plus que sa petite-amie la mette de côté. L’idée qu’elle soit partie affronter le danger sans son soutien lui était insupportable.
Kassandra comptait bien mettre tout en œuvre pour la protéger.




Ichika



Avec le temps, Ichika s’était rodée à la douleur. Elle coulait sur elle, laissait des accrocs, mais finissait toujours par se diluer. Les années avaient rendu son passage de moins en moins marquant. Après tout, difficile de passer à côté de son baiser empoisonné quand on devait couper sa propre chair pour en tirer son héritage familial.
Quand la munition se logea à droite de son sternum, l’envoya rouler dans les gravillons et suffoquer dans la poussière, Ichika reconsidéra la notion de douleur. Un incendie aussi glacé que brûlant se répandit dans sa poitrine, atrophia ses poumons et gonfla son cœur.
Prostrée sur le ventre, la respiration coupée par ce feu de blizzard, les oreilles d’Ichika sifflaient. La détonation. Le tambourinement de son cœur. L’effroi.
Au-dessus du boucan, les cris de Freyja, les grognements de Girandeau. Une autre détonation. D’autres cris, d’autres crissements de chaussures, d’autres exclamations.
Avec un geignement, Ichika poussa sur ses coudes, roula sur le flanc puis sur le dos. Une nouvelle onde de souffrance lui cisailla la poitrine, libéra un souffle comprimé. Maintenant qu’elle avait retrouvé sa respiration, la douleur était encore plus forte.
Consciente du liquide tiède qui dégoulinait déjà sur ses vêtements, Ichika plaqua une paume au niveau de son sternum. Palpa avec fébrilité la zone pour trouver la plaie. Avec une inspiration nerveuse, elle coagula le sang, le renvoya au mieux dans la blessure puis le durcit. Comme elle l’avait fait pour Freyja, mais au moins cela allait-il tenir sur elle.
Dans l’attente de soins plus poussés, une compresse réalisée à partir de son propre liquide vital lui semblait la meilleure chose.

Ichika s’accorda quelques secondes de répit avant de se redresser en position assise. Elle eut le temps de remarquer que Freyja et leur cible s’étaient éloignés d’une dizaine de mètres, jouaient au chat et à la souris. Puis un vertige nauséeux lui frappa le crâne, l’envoya basculer en arrière.
De nouvelles respirations plus tard, Ichika recommença avec moins d’empressement. Malgré ses précautions, elle avait utilisé trop de sang. Et sollicité ses capacités comme elle le faisait rarement. En dehors de ces considérations, elle avait accessoirement une balle logée dans la poitrine.
L’état de choc se brouillait au pic d’adrénaline. Floutait sa vision, agitait ses membres de soubresauts.
En haletant, Ichika poussa l’audace jusqu’à se mettre à genoux. Puis debout.
Le monde vacilla, se troubla, gagna en netteté.
Inspiration incertaine, expiration fébrile. Elle tenait debout.
— Ichika !
Le cri de sa coéquipière provenait d’une Citroën break d’un gris bleuté. Ou, plutôt, de la jeune femme qui se cachait derrière son pare-choc. Le nuage parme et argenté que constituait la chevelure de Frey était comme un panneau de signalisation. Ichika ne le quitta pas des yeux alors qu’elle avançait accroupie à l’abri des voitures. La douleur s’était réduite à une pulsion qui battait au rythme de son cœur. Bien assez pour la faire chanceler entre deux foulées, une main sur la poitrine et une autre sur le capot des véhicules.
— J’arrive, grogna-t-elle tant bien que mal en traînant les pieds sur les graviers traîtres.
Freyja ouvrit la bouche pour lui répondre, mais une détonation couvrit ses paroles. L’expression furieuse qui suivit n’avait aucun mystère, en revanche. Dépitée que Girandeau ne soit toujours pas tombé à court de munitions, Ichika interpella Frey :
— Ça va ?
— Mieux que toi, je crois, gronda la Corneille avec un rictus.
Elles échangèrent un regard morgue puis un sourire amer. Deux jeunes femmes seulement armées de leurs capacités extraordinaires, d’un paquet d’audace et d’un instinct de survie débridé. Ichika aurait rêvé d’un pistolet, de cet objet de mort froid et lourd dans sa main. Rien que pour la satisfaction d’être à égalité, même si elle n’avait pas été formée à le manier.
— On y va ?
La question de Freyja tira un plissement de lèvres à Ichika. Quel choix avaient-elles d’autre ? Trop tard pour fuir. Elles y avaient laissé leur sang, leur chair. Et même s’ils ne restaient que la rage et le désespoir pour les animer, c’était déjà bien assez.

Bruno Girandeau se cachait derrière un SUV à la propreté impeccable. Lui avait perdu en prestance. Son costume était déchiré à plusieurs endroits, sombre à d’autres, là où son sang avait coulé. Ses cheveux s’étaient ébouriffés dans leur course-poursuite et le maquillage qui avait changé la structure de son visage commençait à apparaître grossièrement.
En attendant, il n’avait pas besoin de prestance pour brandir son arme.
— On fait comme tout à l’heure ? proposa Freyja en glissant entre deux rangées de voiture. On arrive chacune de notre côté ?
— J’ai pas de meilleur plan.
Ichika contourna le Citroën break et commença à remonter son allée de voitures. La position accroupie ne soulageait pas la douleur à sa poitrine, loin de là. Elle s’efforça de juguler sa respiration en approchant de Girandeau. Elle devait tenir encore quelques minutes. Forcer ses poumons, même perforés, à approvisionner son sang en oxygène. Son cœur à battre avec régularité pour le diffuser dans son corps.
Entre deux voitures, elle jeta un œil à Freyja. Sa partenaire hocha la tête d’un petit mouvement, lui fit signe qu’elles se répartissent dans les allées. Ichika obéit, serra les dents.
Dans quelques minutes, tout serait fini. Elle ne pourrait pas tenir plus longtemps, Frey non plus. Et le chargeur de Girandeau finirait par être à sec. Restait à savoir qui céderait en premier.




Freyja



L’épaule de Freyja ne s’arrêtait pas de palpiter de douleur. Ses mouvements incessants depuis qu’elle avait été touchée n’aidaient pas franchement à faire refluer les pulsations. Plus tard, une fois ce foutu Girandeau mis hors d’état de nuire, Frey se fit la promesse de prendre des congés.
De vrais congés. Loin de sa mère, des Corbeaux et des Corneilles, du Conseil, des enfants assassins et des adultes qui les utilisaient comme de vulgaires pions. Peut-être pas trop loin de Jay, en revanche. Elle aurait besoin de son tempérament digne de la météo britannique pour sourire ou râler un peu. Quand il serait solaire, elle le pousserait hors de ses retranchements. Quand il serait orageux, elle le taquinerait sans merci pour lui tirer autre chose qu’une moue boudeuse.
Elle pourrait l’entraîner quelque part, loin d’ici. Quitter l’Europe, lui faire découvrir son pays de naissance. Ou partir au Japon. Kass et Ichika accepteraient peut-être d’être leurs guides.
Freyja voulait que leur relation dépasse le cadre du travail, des Corneilles et de leurs missions périlleuses. Elle était curieuse de le connaître sous un jour plus apaisé. Impatiente de l’entendre résumer les pages Wikipédia qu’il parcourait en visitant de nouveaux lieux. Fébrile à l’idée de la personne que, elle, elle serait en sa présence. Et en l’absence d’un cadre pour les restreindre tous deux.
Jayden disparut complètement. Ses rêves de cocktails dans un bar dansant, d’avion à la destination inconnue et de séances de selfcare interminables avec. L’expression pleine de détresse et de rage de Bruno Girandeau l’envahit. Son épaule blessée envoya une décharge de douleur dans tout son buste.
— Frey !
L’appel d’Ichika la stoppa avant qu’une balle l’atteigne au bras. Le projectile rafla la carrosserie de la voiture derrière laquelle Frey s’abritait. Son cœur s’arrêta avant de pousser à l’agonie. Elle avait vécu plus d’une mission sous tension depuis son contrat avec les Corbeaux puis avec les Corneilles.
Mais rien qui l’avait menée à une situation si désespérée.

Quand elle s’assura que la voie était libre pour traverser une nouvelle rangée de voitures, Frey bondit. Ichika s’était éloignée de son côté en attirant l’attention de Girandeau. Les boots de Freyja dérapèrent à plusieurs reprises dans les gravillons, lui arrachèrent des grognements excédés.
Une fois la limite de la rangée atteinte, elle contourna un 4x4 pour zieuter en direction de Girandeau. Il se tenait au milieu d’une allée, son cou se tordant dans tous les sens pour les retrouver. Dans ce jeu du chat et de la souris, Frey n’était plus certaine de savoir qui était le prédateur.
Elle s’était sentie puissante en s’élançant à sa poursuite, accompagnée d’Ichika. Mais cette puissance de surface s’était écrasée face à la hargne de l’homme, l’avantage de son arme et la souffrance des blessures.
Le courage la fuyait, suintait des fissures de sa muraille interne. Profitant qu’Ichika détournait l’attention de Girandeau, Frey se redressa. Avança avec l’envie qui lui brûlait les talons de faire demi-tour.
Freyja ne s’arrêta pourtant pas. Esquiva avec une grâce surprenante, malgré l’handicap de son bras, le mouvement circulaire que Girandeau propulsa dans son dos. Recula d’un demi-pas pour rétablir son équilibre, sourit quand la lame de sang de sa partenaire entailla l’avant-bras de l’homme.
Girandeau perdit son sang-froid. C’était un homme de bureaux, d’analyses et de stratégie. Frey lui reconnaissait l’aptitude avec laquelle il s’en était sorti dans cet affrontement, mais son manque d’expérience finit par rejaillir. Sa respiration dérailla alors qu’il s’agitait pour repousser les assauts acharnés d’Ichika et les tentatives de Frey de détruite son arme.
Un coup particulièrement bien placé d’Ichika l’atteignit au poignet, l’obligea à lâcher son pistolet. Frey se jeta aussitôt dessus, enserra le canon légèrement tiède entre ses doigts. Sa désintégration moléculaire ne tarda pas à faire ses dégâts : l’acier s’effrita sous ses doigts, l’aluminium s’envola en paillettes brillantes. Quand le bout de l’arme fut suffisamment déformée, complètement inutilisable, Freyja la relâcha.
La combustion d’énergie qu’elle venait de fournir la jeta à genoux. La vue trouble, le souffle court, Frey s’efforça de ne pas vomir sur les pieds de Girandeau. L’homme agrippait son poignet blessé, tenu en respect par la lame cramoisie d’Ichika.
— Ça su-suffit maintenant, crachota Freyja, la poitrine parcourue par une douleur aiguë.
Les artifices qui modifiaient la structure faciale de Bruno Girandeau s’étaient affaissés, déformés, au cours de l’affrontement. Ici, un sourcil plus bas que l’autre, là une ombre suspecte sur l’arête de son nez. À présent proche de lui, Frey distinguait de discrètes racines blondes sous le brun de sa chevelure. Cet effet grossissant sur les iris quand on portait des lentilles.
Le fantôme Bruno Girandeau, Zakka, mentor de Kyra et investigateur de nombre de ses meurtres, la dévisageait en retour. Projeté sur les fesses, l’homme n’avait pas l’air en meilleure forme que Frey, qui haletait toujours à quatre pattes. Le petit sac-à-dos qu’il avait récupéré dans le coffre de sa voiture était tombé de son épaule.
En retenant un haut-le-cœur, Frey se redressa, se hissa difficilement sur un genou. De son regard indéchiffrable, Girandeau suivit le moindre ses gestes. Bien qu’elles l’aient mis hors d’état de nuire, Freyja avait toujours cette impression d’être la proie.
Après tout, rien n’assurait que Girandeau ait agi seul. En quittant l’immeuble du Conseil, Freyja avait accepté de laisser le reste à ses collègues. Et même si elle faisait confiance à Jayden - un peu, en tout cas - pour intervenir si besoin, l’incertitude restait entière.
— Tendez les mains devant vous, siffla Frey d’un ton sec. Pas de petite surprise, Girand…
Freyja dut soudainement choisir entre vomir la suite de la phrase ou l’interrompre prématurément. Tout en serrant les dents, elle opta pour la seconde option et se détourna. Elle tituba sur deux mètres, s’appuya au capot d’une voiture anonyme et vida ses tripes entre deux portières. Pourquoi avait-elle hérité d’une capacité aussi éreintante ? Jay dormait peut-être pendant des heures après l’usage combiné du magnétisme et des facultés psioniques, mais au moins ne vomissait-il pas de partout.
Un crissement de gravier dans son dos. Frey se redressa pendant que la voix d’Ichika claquait dans le silence du parking. Le japonais qui glissa de ses lèvres échappa complètement à Freyja, mais pas le canon noir dirigé vers elle.
Freyja ouvrit la bouche, comme pour demander comment l’homme s’était retrouvé en possession d’une deuxième arme à feu. N’émit qu’un gargouillement quand il tira.
Deux fois.
Trois fois. Légèrement dévié par un coup d’Ichika.
Pas assez.
Le quatrième coup de feu se perdit entre les voitures, fit éclater un pneu au loin.
Pendant que Frey partait en arrière, elle avisa la lame d’Ichika enfoncée dans le bras armé de Girandeau. L’homme qui hurlait, sa chair entaillée jusqu’à l’os.
Freyja conserva un silence éloquent en s’affaissant contre la voiture. Baissa le nez alors que l’air ne passait plus dans sa trachée. Sur son torse, une cascade de sang, dévalant son t-shirt en trois sources abondantes.




Jayden



Un bruit étranglé échappa à Jayden. À Nour. La femme Corbeau retira son couteau, resserra sa grippe sur le manche. Près du cou de l’assassin de l’UOM, le sang émergea de l’épiderme devenu vulnérable. Dégoulina le long de son épaule et de sa poitrine, arracha une exclamation satisfaite aux Corbeaux à proximité.
Quand l’assaillante de Nour brandit de nouveau son couteau, Jay bondit. Il projeta une brusque vague de magnétisme qui fit valser l’arme. Agrippa le bras désarmé jusqu’à sentir leurs peaux se frôler. Envoya un nuage de confusion mentale qui la fit instantanément tomber à genoux.
Une fois la femme hors d’état de nuire, il se jeta sur Nour. La fillette poussa un cri perçant avant de se recroqueviller sur le flanc. Jayden la récupéra au creux de ses bras, les poussa tous deux à l’abri de la table. Quelques coups de feu éclatèrent le bois ciré, arracha de nouveaux hoquets de stupeur à Nour.
— Ne bouge pas, lui intima Jayden sans cesser de repousser autour de lui par vagues de magnétisme.
Les chaises qui les entouraient ne tardèrent pas à glisser sur le sol, emportées par leurs pieds et les boulons. Quelques Corbeaux les repoussèrent avec agacement, pour être mieux projetés en arrière à leur tour. Boucles de ceinture, fermetures éclair, bijoux, œillets de chaussures… La précision du magnétisme de Jay n’épargnait rien.
Leurs attaquants finirent par comprendre le stratagème. Du coin de l’œil, Jayden les vit retirer chaussures, vestes et, parfois, pantalons. En chaussettes et sous-vêtements, trois Corbeaux s’élancèrent. L’un d’eux, noir de peau, força l’arrêt un mètre devant la table, tendit une main vers Jayden.
— Arrête ton magnétisme. On ne tire plus, Jayden.
Les coups assourdissants avaient en effet cessé. Il fallait dire que le magnétisme de Jayden rendait les munitions aussi dangereuses pour les cibles que pour les tireurs. L’homme fut bientôt rejoint par ses deux camarades à moitié dénudés. La femme du trio considéra sa partenaire, qui se tortillait au sol sous l’emprise d’une hallucination.
— Pourquoi tu as fait ça ? cracha-t-elle en s’accroupissant pour secouer sa coéquipière.
— Elle allait tuer Kyra, répondit Jay sans relâcher son étreinte sur l’intéressé.
— On doit neutraliser le gamin, siffla le deuxième homme, un couteau à la main. C’est pas un petit coup qui allait…
— Un petit coup ? gronda Jay en écartant le bras pour qu’ils puissent se rendre compte du sang tiède qui coulait toujours de la blessure.
L’homme armé déglutit, mais ne bougea pas d’un pouce. Son partenaire, celui qui s’était avancé vers Jayden les mains vides, ajouta d’une voix apaisante :
— C’est bon, nous allons simplement neutraliser ses pouvoirs. Tu t’es occupé du reste. Bravo.
Sa partenaire, toujours accroupie, ne semblait pas partager ses encouragements. Son regard d’un brun foncé fusillait Jay. L’accusait.
Elle n’avait pas tort. Pas vraiment raison non plus. Le corps tremblant de Nour contre lui était une protection, une assurance, un piège.
— Écartez-vous, leur ordonna Jay d’un ton sec. Je le maintiens sous mon emprise mentale. Je ne peux pas le lâcher.
— Il n’est pas en état d’attaquer, contra l’homme au couteau, le nez froncé. Lâche-le, Jayden. Laisse-nous faire.
Le jeune homme secoua la tête. Nour émettait de petites expirations saccadées contre son cou. Hachées par la douleur. Par la terreur. Et si leurs épidermes étaient bel et bien en contact, Jay n’avait envoyé aucune image intrusive dans son cerveau. Au besoin, il voulait que Kyra soit en pleine possession de ses moyens.
Avec douceur, Jayden relâcha son magnétisme. Des soupirs et des geignements soulagés s’élevèrent dans la salle, hors de sa vision. Le plateau de la table au-dessus de sa tête constituait la majeure partie de son champ de vue. En face de lui, la porte qu’il avait poussée quelques minutes plus tôt. Le couloir jonché de corps. Une échappatoire.
Jayden ferma brièvement les paupières, inspira. Il baissa le nez, rencontra le regard embué de Nour. L’incompréhension mêlée à la souffrance de sa blessure en voilait le brun de velours.
— Nour, chuchota-t-il en la haussant contre son épaule, tu dois t’enfuir. Le Conseil ne te veut pas du bien.
La fillette tressaillit. L’assassin acquiesça vaguement d’un gémissement craintif. Jayden resserra sa prise sur son dos, rampa en direction des Corbeaux qui surveillaient le moindre de ses gestes.
— J’arrive, marmonna le jeune homme en échangeant un regard irrité avec chacun d’entre eux.
Quand Jayden fut certain qu’il ne s’assommerait pas sur le rebord de la table en se redressant, il saisit le mollet du Corbeau à la peau noire. L’homme n’avait pas eu le temps de s’effondrer que Jay bloquait le bras que tendait la femme vers Kyra. S’être dévêtus leur avait apporté un avantage considérable face à son magnétisme, mais leur peau exposée était un terrain de jeu pour les facultés psioniques de Jayden.
Le couteau du troisième homme atteignit Jay à la cuisse. Il retint en vain un cri, projeta Nour sur le côté de crainte que le prochain coup soit pour elle. Comme le Corbeau rétractait le bras en arrière, quelques gouttes vermeilles dans sa trajectoire, Jayden lui frappa le genou du talon.
Il grogna, perdit l’équilibre. Son bras jaillit en arc-de-cercle, passa à un cheveu de l’oreille de Jayden alors qu’il lui tombait dessus. Haletant, Jay le sentit devenir inerte sur son torse. Ses doigts enfoncés dans son avant-bras avaient tracé une route entre leurs systèmes nerveux.
En sifflant de douleur à cause de sa cuisse, Jayden repoussa sa victime. Il compressa sa plaie d’une main, tendit l’autre vers Nour. La fillette rampa vers lui, s’agrippa à son cou en ahanant. Autour d’eux s’étaient rassemblés plusieurs Mutabilis. Jayden s’aida du rebord de la table pour se relever, les toisa tour à tour. Ici, un homme dont les muscles en train de gonfler anormalement déformaient la chemise. Là, une femme qui approchait d’un pas confiant, les mains tendues. Si elle venait au contact, c’est qu’elle était en mesure de les anéantir de son toucher, d’une façon ou d’une autre.
Jay aurait pleuré de douleur s’il l’avait pu quand il trébucha en direction de la porte. Nour tenait debout par elle-même, mais sa grippe fiévreuse sur les vêtements de Jayden l’empêchait d’avancer correctement. Sans compter cette foutue blessure et…
Il esquiva les doigts tendus de la femme. Aperçut, au détour de son mouvement rotatif, le corps de son grand-père. Effondré sur le côté, Charles avait les yeux révulsés. Il y eut comme un deuxième coup de couteau en Jay, entre son sternum et ses tripes.
Écœuré, incertain de la voie qu’il empruntait, de sa destination, Jayden s’empara du poignet de la femme. Sa conscience se brouilla brièvement, assaillie par les facultés psioniques de l’ennemie. Quand Jay rouvrit les yeux, il s’était affaissé contre le mur. La Mutabilis aux mêmes pouvoirs que les siens hoquetait à ses pieds. Elle avait perdu la bataille de vitesse.
Kyra le prit par la main. L’obligea à avancer. Ils trébuchèrent sur les corps des Corbeaux anéantis par les vagues électriques de l’assassin. Dérapèrent dans le couloir encombré. Derrière eux, de plus en plus d’exclamations. Les Mutabilis qui n’étaient pas morts ou inconscients réalisaient la trahison.
L’homme à la masse musculaire sur-développée venait de les rattraper. Le cœur de Jay battait si fort d’adrénaline, de douleur et de terreur que sa vue en était floue. Il s’appuya à la rambarde, repoussa Nour derrière lui.
— Prends les escaliers et sors par derrière, lui dicta Jayden sans quitter des yeux leur adversaire. Disparais, Nour !
L’ordre arracha un geignement à la petite fille. Geignement qui mua en cri lorsque le Mutabilis se jeta sur eux. Jayden parvint à éviter le coup essentiellement en perdant l’appui de sa jambe blessée. Le poing de l’homme s’écrasa sur la rampe en produisant un son mat. Sans même gronder de douleur, il se tourna vers sa proie.
Ses jointures fusèrent vers le visage de Jay. L’os de sa pommette encaissa durement le choc, envoya une onde de douleur dans tout son crâne. Des dizaines d’étoiles fugaces lui brouillèrent la vision alors que sa tête rebondissait sur le sol.
Pendant que Jay crachotait un filet de salive ensanglanté, il aperçut un bras bien trop fin pour appartenir à un adulte se dresser au-dessus de lui. Entre deux accès de toux, Jayden tenta de dissuader Nour, de lui crier de déguerpir. Sa mâchoire malmenée par le coup, il n’expulsa qu’un gargouillement bien pathétique face au mastodonte qui les surplombait.
Il ne fallut pourtant qu’un frôlement entre les doigts de Nour et le bras de l’homme pour anéantir sa rage vengeresse. Rien que deux épidermes qui se rencontrent, frémissent puis éclatent sous l’assaut d’une vague électrique.
Jayden crachota une nouvelle fois, fit jouer sa mâchoire avant de se redresser. Le couloir était envahi de deux nouveaux Corbeaux, reconnaissables à leurs uniformes plus militaires que formels. Joseph Anderson et Nweka Agou, en revanche, détonnaient avec leurs tenues soignées. Le premier toisait Jayden en retroussant la lèvre supérieure, manifestation d’une colère prête à irradier.
La présidente du Conseil était adsorbée par Kyra. Par l’assassin réduit à l’impuissance. Fascinée par Nour, l’enfant Mutabilis la plus douée de sa génération.
— Jayden, siffla Joseph en avançant d’un pas, tu peux m’expliquer ce que tu fabriques ?
— C’est pourtant clair, non ? répondit le jeune homme sans masquer son dépit.
Si l’expression de l’homme demeura fermement pincée, les traits de Nweka s’affaissèrent. Elle ne chercha pas à masquer le tourbillon d’émotions que lui inspirait la vue d’une Corneille rebelle désespérément en train de défendre un enfant-assassin déchu.
Peine, résignation, embarras, frustration.
— Joseph, souffla Nweka en se détournant de Jay et Nour, arrêtez-les et isolez-les des autres Mutabilis.
— Mme Agou, si je puis me permettre…
Le coup d’œil qu’elle lui accorda incita le responsable de la sécurité à continuer d’un ton froid :
— Kyra est un Tri-Pourvu. Je n’ai jamais eu l’occasion de tester mes capacités sur un Mutabilis de son gabarit. J’ignore si je serai en mesure d’annihiler complètement ses capacités.
— Faites de votre mieux. Nous avons des seringues de blocage, au besoin.
Avant que l’échange ait pu se conclure entre Joseph et Nweka, Jayden poussa Nour vers la cage d’escaliers. Son regard portait mille âmes quand elle interrogea son protecteur en silence.
— Je t’en prie, va-t’en, Nour.
Les lèvres de la fillette, qui avaient été tailladées au couteau et dégoulinaient sur son menton, tremblaient. Jay la poussa encore avant de se dresser au milieu du couloir. Deux Corbeaux s’étaient déjà élancés pour rattraper Nour.
Jayden ne comptait pas leur faciliter la tâche.
louji

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Re: KYRA [Fantastique / SF]

Message par louji »

Illustration des personnages


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Hello, j'ai à nouveau réalisé un petit rêve d'écrivain(e), j'ai fait illustrer les 4 narrateurs de Kyra en commission à une artiste, lawrage 🥺 (son profil insta par ici)
C'est d'ailleurs la même illustratrice que j'avais commissionnée pour les illus de SUI.

Il y a un petit fil conducteur entre les 2 illustrations et j'ai bien sûr opté pour faire les deux duos chacun de leur côté, pour mettre en exergue leur relation. Les dessins ont été réalisés à quelques mois d'intervalle, donc le style de l'illustratrice a un peu évolué entre temps, mais ça reste dans la même veine ✨

Je suis trop contente, ils sont adorables 🥰

Ichika & Kassandra.jpg
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Jayden & Freyja.jpg
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Crédits : Lawrage Art
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