S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

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louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

- Chapitre 47 -




Vendredi 20 décembre 2024, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Le gymnase n’était jamais aussi bruyant que lorsque s’y déroulaient des événements organisés par l’École. En ce vendredi d’avant-vacances, les élèves de dernière année du parcours S.U.I avaient été invités à faire le tour d’une dizaine de stands. Chacun présentait un département de S.UI, de la A.A, de l’armée de Terre, de l’Air ou des Marines. D’autres agences du réseau de la Ghost Society s’étaient déplacées pour repérer d’éventuels jeunes talents.
L’École octroyait cette après-midi aux 7ème année pour leur permettre d’affiner leur orientation. Chaque année, près de la moitié des étudiants partait travailler pour divers corps de l’armée, en sécurité privée ou entreprenait des études universitaires. Comme l’École diplômait plus d’élèves que S.U.I en recrutait, l’orientation des lycéens en était d’autant plus importante.
Ryusuke n’était pas très à l’aise alors qu’il remontait d’un pas lent les différents stands des cinq départements de la A.A. Il les connaissait bien à présent, d’autant plus que Dimitri travaillait à la section de traque et de neutralisation. Ce n’était pas tant ce rassemblement d’agents expérimentés et de camarades excités qui lui brouillait les pensées. C’étaient ses doutes, ses craintes. L’incertitude d’un avenir déchiré entre deux inspirations.
Son désir d’étudier, de se nourrir de nouveaux sujets, d’enrichir ses connaissances et sa culture personnelle.
Son devoir envers S.U.I, pour le système de Recrues dont il avait privilégié. Pour les frais de scolarité exonérés qu’un adolescent comme lui n’aurait jamais pu se payer.
— Ryu.
Jim le tira par le bras avant qu’il ne rentre dans une élève qui faisait la queue devant le stand de la section traque et neutralisation de la A.A. Ryusuke souffla aussitôt des excuses à l’adolescente avant de lever le nez vers la table qui faisait office de support de présentation. Derrière, un Dimitri à l’expression avenante discutait avec l’élève le plus proche. Pendant un court instant, Ryu ne sut plus vraiment comment se comporter, comment saluer ces adultes qu’il connaissait, mais qui jouaient un rôle bien différent à ce moment-là.
— Comment tu fais ? grinça-t-il en se tournant vers son ami.
— Hein ?
— Pour te comporter normalement avec les adultes que tu connais ? (Ryu fit un geste vague en direction de son père adoptif.) Dimi est juste là, mais j’ai l’impression que je peux pas me permettre d’être… comme d’habitude.
Les yeux rivés vers l’agent de la A.A, Jeremy ricana.
— Mon quotidien. Tu comprends pourquoi j’étais pas mécontent quand on avait Cross, finalement ? Appeler mon père « monsieur », c’est horrible.
Jim lorgna plus loin, vers le stand d’accueil général de la A.A, où son parrain jouait de la portée de sa voix pour attirer des élèves curieux.
— Je suis entouré de gens que je connais vraiment bien, reprit-il à voix basse. Et je dois pourtant être un inconnu pour eux. C’est pas toujours drôle.
Comme il saisissait parfaitement le ressenti mitigé de son ami, Ryu plissa les lèvres.
— Tu veux qu’on aille voir un stand en particulier ? le relança Jeremy en tournoyant sur lui-même. Perso, j’ai pas spécialement envie de voir quoi que ce soit. De toute façon, je finirai à S.U.I que je le veuille ou pas.
Le ton fataliste de Jim tira une moue perplexe à Ryu. Il s’empara à son tour de son bras pour l’entraîner sur un côté du gymnase qui n’était pas encombré de stands ou d’élèves en plein remplissage de leurs vœux d’orientation.
— T’en as discuté avec Alex ? embraya Ryusuke avant que Jim ait pu dire quoi que ce soit. De tes projets avec Wyatt.
— Non. Il va juste se foutre de moi et dire que je suis une feignasse.
— Jeremy, gronda Ryu en se penchant vers lui dans une attitude menaçante, tu recommences.
— Je recommence quoi ? Sérieux, Ryu, ouvre les yeux. Que Dimitri se renseigne pour voir si tu peux concilier boulot à S.U.I et université, c’est pas choquant. Mais tu crois qu’Alex va aller voir la direction parce que sa Recrue se prend pour un rocker ?
Avant que Ryusuke puisse le contredire, le visage de Jim se fit plus amer encore.
— Et puis, je rêve pas. J’ai beau cacher mon lien avec mon père et les Sybaris, ça finira par se savoir. Et je doute qu’on me laisse tranquille une fois que je serai agent de S.U.I.
— On en sait rien, contra Ryu avec véhémence. Peut-être qu’Alex se foutra de toi. Mais t’as envie d’avoir des regrets, Jimmy ? Parce que moi, non. Et je crois sincèrement que t’as pas non plus envie de passer à côté d’un truc dingue.
— Comme essayer de convaincre la A.A que mon petit groupe de musique, ça servira mes compétences d’agent ? grogna Jim en secouant la tête. Tes études serviront ta carrière, Ryu. Surtout si tu t’intéresses toujours au management et à la gestion de projet.
Dépité, Ryusuke affronta son ami du regard avant d’objecter avec ferveur :
— C’est pas que des compétences ! C’est de l’épanouissement. Je t’ai jamais vu aussi vivant que quand tu chantes ou que tu joues avec Wyatt. Oui, les études, ça m’intéresse et ça me fait vibrer. C’est pas ton cas. Et c’est pas un problème, ajouta-t-il comme les traits de son ami se crispaient. T’as besoin de nourrir ton corps et tes idées avant ton cerveau et personne t’en veut pour ça. Avec Alex, il faut que vous défendiez ton projet. Wyatt, c’est plus qu’un groupe de rock de lycée pour s’amuser. Trice et Jay veulent faire des albums. Aiden a déjà dit qu’il serait pas choqué de vivre de la musique. Tu veux rester à la traîne, Jeremy ? Parce que t’as peur que la A.A se moque de ton projet ?
Le monologue de Ryusuke le laissa pantelant. Jim profita de son silence pour asséner d’une voix glacée :
— À priori, je vais fréquenter S.U.I jusqu’à la retraite. Alors, ouais, j’aimerais autant pas passer pour un débile naïf dès mon recrutement.
Ryu leva les yeux au ciel, s’efforça de respirer profondément avant de reprendre :
— OK, Jim, on va prendre le problème dans un autre sens. Si Dimitri arrive à trouver un compromis pour moi entre S.U.I et l’université, je travaillerai pas toute l’année. Tu feras quoi toi, alors ? On forme un binôme, je te rappelle.
— Je sais pas. Bah, ils trouveront bien un truc à faire faire à un agent de bas étage comme moi.
Heurté par les propos, Ryu resta un moment silencieux. Après quoi, il croisa les bras sur sa poitrine, s’enquit d’une voix lasse :
— Pourquoi t’es en colère ?
— Je suis pas… (Le regard de l’adolescent se perdit par-dessus l’épaule de son ami, se fit plus dur qu’il ne l’était déjà.) À cause de tout ça, putain.
Il accompagna son juron d’un geste ample des bras pour désigner le gymnase. Ses yeux restèrent pourtant accrochés à un stand dans le dos de Ryu. L’adolescent se retourna, considéra les agents aux visages fermés qui accueillaient les étudiants suffisamment téméraires pour les approcher.
Un écriteau annonçait sobrement « Ghost Society » sur la table qu’on leur avait installée.
— Merde, souffla Ryu en observant avec soin les quatre personnes présentes. Y’a quelqu’un de ta famille ?
— Non, grogna Jeremy, les dents serrées. Manquerait plus que ça.
— Je suis étonné que ton oncle soit pas venu. Comme le projet Réseau va pas tarder à commencer.
— On a encore quelques mois de paix devant nous, soupira Jim en plissant les yeux.
Un homme au crâne rasé s’était avancé pour tendre une brochure à une élève. Un froid au goût d’acide lui descendit la gorge. C’était l’espèce de sosie d’Hitman avec ses lunettes à montures raffinées. Le Fantôme qui l’avait drogué alors qu’il partait rejoindre Edward par train. La façon dont il l’avait alors traité, tel un vulgaire objet, n’avait jamais quitté Jim. Pas plus que le rappel que cet homme avait malmené sa mère et sa sœur pour les kidnapper.
Nourri par une colère que Ryu avait décidément bien devinée, Jeremy quitta le coin où son ami l’avait entraîné. Ryusuke le héla, mais Jim traçait déjà son chemin vers le stand de la Ghost Society. Il doubla les quelques élèves hésitants qui n’osaient pas approcher pour s’emparer d’une brochure aux couleurs sobres.
Quand il releva le nez, le Fantôme chauve le dévisageait froidement.
— Agent McRoy, le salua Jeremy avec un sourire acide, ça fait un bail.
— Elias, lui retourna l’homme avec un rictus tout aussi venimeux. Comme tu as grandi. Tu ressembles encore plus à ton père.
— C’est ce qu’on me dit, oui. Mon oncle serait heureux de l’apprendre, hein ?
Le rictus du Fantôme tourna à la grimace irritée. Son regard brun n’émettait aucune chaleur alors qu’il balayait Jim de la tête aux pieds. Il finit par pousser un grognement dédaigneux. Le jean troué de Jim, ses rangers et les boucles d’oreilles qui paraient ses lobes ne devaient pas être à son goût. Après tout, le centre de formation de la Ghost avait toujours pris soin de lisser ses élèves.
— C’est navrant de voir que les investissements de M. Sybaris n’auront pas duré longtemps.
— Quel dommage, répliqua Jeremy d’une voix mielleuse en froissant la brochure entre ses mains. Passez ma non-sympathie à mon oncle.
Comme l’agent McRoy avait été missionné pour tenir le stand de la Ghost Society, il se força à rester planté derrière la table. Il ne manqua pas d’assassiner du regard le dos de l’adolescent alors qu’il s’éloignait à travers la foule d’élèves.
Jeremy lui adressa une dernière œillade sombre avant de disparaître dans un couloir latéral. Il fonça jusqu’aux toilettes les plus proches, où il s’aspergea le visage d’eau. La confrontation avec McRoy avait entretenu sa colère plutôt que de l’étouffer. Et tout son corps le brûlait.
De retour dans le couloir, Jeremy se laissa glisser contre le mur avant d’étendre les jambes devant lui. Il aurait aimé maîtriser ses accès de fureur comme Ryu. S’en servir de moteur bénéfique, comme l’avait incité Myrina des années plus tôt. La laisser couler hors de lui plutôt que de la maintenir au chaud dans son cœur ; conseil qu’Ethan lui répétait bien assez souvent.
Mais laisser la colère lui échapper, la libérer, c’était accepter qu’elle ne trouve pas de cible. Que toutes les personnes qui l’avaient blessé sortiraient indemnes de leurs actes.
Jeremy poussa un rire dépité en tripotant le bracelet en cuir qu’il portait. Dire qu’il s’était targué de ne pas vouloir passer pour un imbécile naïf face à Ryu. Son désir de jeter sa colère brute aux visages des autres était pourtant un signe d’ignorance.
Cela faisait bien des années que Jim aurait dû savoir qu’on obtenait rarement réparation.

— Eh.
Propulsé hors de ses pensées rouges et noires, Jim lorgna l’adolescente à l’allure sèche qui le surplombait. Fait improbable, les cheveux de Kaya étaient encore plus ébouriffés que les siens. Ses mèches d’un blond polaire formaient un halo irrégulier et acéré autour de son visage espiègle.
— T’as ta tête de déprime.
Kaya l’enjamba pour s’installer en face de lui et tendre les pieds à son tour. Comme elle n’était pas bien grande, elle dépassa tout juste les genoux de son ami.
— Ce truc d’orientation me casse les couilles.
— Mmh. J’imagine que ça doit pas être très passionnant, pour Ryu et toi, comme vous savez où vous finirez.
— Ouais. (Jeremy s’efforça d’afficher un air moins agacé.) Et toi, alors ? Vous avez fait le tour avec Jason ?
— On s’entend pas sur la section de la A.A où on aimerait bosser. Je veux être à la traque et neutralisation. Il veut être à la criminalité.
— Merde, grommela Jim en remontant un genou pour s’appuyer dessus. Pas moyen de faire un compromis ? Quelques années dans l’une, quelques années dans l’autre ?
— J’ai pas envie de faire de compromis.
Comme elle plantait ses yeux implacables dans les siens, Jim se contenta de ricaner.
— Je te juge pas. Je crois que j’ai du mal à faire des compromis, aussi. Même pour mon propre bien.
Le visage de son amie se détendit un chouïa. Comme il ne reprenait pas la parole, elle en profita pour ajouter :
— Avec Tess, t’es peut-être le seul à comprendre mon choix. J’ai l’impression de trahir Jason. Mais si je cède, j’aurai l’impression de me trahir moi.
Ces mots heurtèrent Jeremy plus durement qu’il ne s’y serait attendu. Il laissa quelques secondes glisser entre eux, le temps de trouver une réponse qui s’approchait un tant soit peu de ses ressentis.
— J’ai parfois aussi l’impression de devoir forcément écouter les autres. Je dis pas qu’on a raison ou qu’on a tort. Juste qu’on a envie de certains trucs, qu’on se voit aller à certains endroits, mais que nos proches veulent pas. Et je sais pas trop comment faire. Parce que je leur fais confiance. Et, en même temps, j’ai envie de me faire confiance et de m’écouter aussi.
Un sourire à la teinte doucement moqueuse courba les lèvres de Kaya.
— C’est à ça que tu pensais quand je suis arrivée ?
— Plus ou moins. Avec Ryu, on se prend aussi la tête sur l’avenir. Mais contrairement à lui, je sais pas gérer la colère. Alors j’ai tendance à faire des conneries.
— Bienvenue au club, soupira Kaya en grattant l’un de ses ongles. On est les têtes brûlées de nos duos. Ryu et Jay sont des grands sages, à côté.
Comme Jim acquiesçait d’un air maussade, elle le relança :
— Ça avance, le projet d’études-boulot de Ryu ? C’est sur ça que vous vous entendez pas ?
— Plus ou moins. Dimitri est toujours en négociation. Plusieurs universités de Californie ou des États à côté proposent des formations en alternance. Reste à voir si S.U.I accepterait que Ryu travaille pas toute l’année pour eux. (Jim marqua une pause avant d’ajouter avec hésitation : ) Ryu voudrait qu’Alex fasse pareil pour moi. Mais pas pour l’université. Pour Wyatt.
Un éclair de compréhension traversa le visage de l’adolescente. Elle pinça brièvement la bouche avant de répondre :
— Ouais, j’en ai parlé avec Jay aussi. Il ose pas demander à S.U.I s’il y aurait moyen d’alléger son emploi du temps. (Kaya ramena ses jambes contre elle, sembla rapetisser.) En fait, c’est un autre sujet de dispute. J’ai envie de le voir heureux. Mais s’il bosse pas à temps plein à S.U.I, moi je vais pas attendre non plus. J’ai besoin de me lancer à fond ou pas du tout.
Jim décolla la tête de son genou pour considérer son amie avec préoccupation.
— Si je comprends bien, votre binôme risque de sauter une fois qu’on sera sorti de l’École.
Comme Kaya crispait les poings de part et d’autre de ses cuisses, Jeremy comprit l’erreur de sa franchise un peu trop brutale. Alors qu’il ouvrait la bouche pour s’excuser, Kaya le devança :
— Retire pas ce que tu as dit, t’as raison. (Devant la moue gênée de l’adolescent, son sourire se fit plus incertain.) Jay et moi, on est plus sur la même longueur d’ondes. Ça me fait vraiment chier de m’en rendre compte maintenant. On est amis depuis des années. Mais c’est comme ça.
Sa résignation était froide et dure. Gravée dans la pierre. Même si Jim en éprouva une certaine douleur par empathie, il en fut aussi drôlement admiratif. Il n’aurait jamais eu la même rapidité d’acceptation. Rien que l’idée que Ryu s’éloigne de Modros pour ses études jetait de l’huile dans le feu de ses entrailles. Il avait déjà du mal à s’y faire pour Ivana, mais il y avait quelque chose de plus pernicieux dans l’absence de Ryusuke.
La crainte de le perdre, encore une fois. Une fois de trop.
— Tu crois que Jay en a conscience ?
— Nan. Il se voile la face. (Elle flasha un bref sourire de moquerie bienveillante à l’encontre de son ami.) Un idéaliste au cœur trop mou comme toi. Il est persuadé qu’on peut trouver un terrain d’entente.
— Et… en faisant des efforts tous les deux, tu crois pas que…
— Je finirai pas effacer qui je suis et ce que je veux. (Kaya enroula les bras autour de ses genoux, les yeux dans le vague.) C’est égoïste, mais réaliste. Et si je dois être la méchante de nous deux, je prends volontiers le rôle. Jay pourrait pas le supporter quoi qu’il en soit. Et je lui en veux pas. Il a trop morflé ces derniers temps.
La brûlure dans le ventre de Jeremy remonta jusqu’à sa gorge puis à ses yeux. Il serra les paupières pour que Kaya ne remarque pas son trouble et marmonna :
— Je crois pas que Jay t’en voudra de vivre ta vie. Il commence à prendre la sienne en mains. T’es sa meilleure amie… il sera heureux de te savoir heureuse.
Kaya considéra Jim un instant avant de ricaner. Il l’avait déstabilisée.
— Tu parles comme un poète, toi, maintenant ? C’est Ryu le poète de service.
— On se laisse influencer par les meilleurs.
La répliqua tira une moue amusée à l’adolescente, qui lâcha ses jambes pour se redresser. Comme elle lui tendait la main, Jim l’accepta. Une fois debout face à face, ils échangèrent un regard penaud.
— Tu devrais vraiment réfléchir à ce que tu veux, marmonna Kaya en observant le gymnase à l’autre bout du couloir. En plus, je suis sûre que Ryu ou ta famille te verront pas comme un égoïste. Tu passes déjà ton temps à essayer de faire au mieux pour eux.
À la fois touché et agacé, Jeremy hocha la tête avec un sourire crispé. L’idée de faire un choix pour lui et lui-même seulement le perturbait franchement. Ne pas prendre en compte les attentes de ses parents, les remarques de sa sœur, les conseils de Ryu, les espoirs de Mike ou d’Alex…
Un grand vide s’installa à la place du feu dans ses entrailles. Jeremy n’avait jamais vraiment agi pour lui-même. Il avait agi par lui-même, souvent à l’encontre des attentes de son entourage, mais rarement dans un but purement personnel. Soulager sa mère, rassurer sa sœur, accompagner son meilleur ami, protéger ses proches…
Alors que Kaya s’éloignait dans le couloir, Jim s’appuya contre le mur. Le vide s’étendait à ses pensées. Comment faisait-on pour se soulager, se rassurer, s’accompagner et se protéger soi-même ?
Un rire fébrile lui secoua la poitrine. Il n’avait pas la réponse. Pas encore.



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Dernière modification par louji le ven. 10 mai, 2024 8:01 pm, modifié 2 fois.
louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

- Chapitre 48 -



Vendredi 14 février 2025, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Les oreilles baignées par la musique, plongée dans l’ivresse intemporelle de l’écriture, Ivana faillit manquer les coups contre sa porte. Elle poussa son casque audio en arrière, son stylo figé au-dessus d’un cahier noirci de paragraphes.
— Jihane ?
Une voix s’éleva, étouffée par le battant. Une intonation et un accent similaires à ceux de sa mentor. Et même si son interlocuteur avait abaissé ses octaves, son timbre était encore trop grave.
Avec un sourire en coin, Iva se redressa sur son lit et lança à la cantonade :
— Entre, foutu imbécile.
Comme elle était retournée à son cahier, Ivana ne remarqua pas immédiatement le bouquet de fleurs dans la main de son copain. Elle en huma d’abord le contenu avant de redresser le cou, les yeux écarquillés. Jim n’avait pas lésiné sur le nombre. Une vingtaine de fleurs, d’au moins une dizaine d’espèces et tout autant de couleurs, avait été rassemblée dans une coupole de papier graphique.
— C’est ma mère qui l’a fait, souffla Jeremy en tendant le bouquet à la jeune femme. Je savais pas du tout quoi prendre comme fleurs. Je lui ai fait confiance.
— T’as bien fait, je sais même pas ce que j’aime comme fleurs. (Les yeux remplis de gratitude, Iva observa avec attention le jeu de formes et de nuances.) Mais c’est magnifique, merci. Ta mère est douée.
— Et passionnée. (Jim bascula les yeux vers le carnet rempli de lignes nettement tracées, s’en empara avant que sa copine puisse protester.) Comme toi. Alors, c’est quoi cette fois ? Quintuple meurtre ?
— Tu exagères, marmonna Ivana en quittant son lit. Je vais chercher un vase.
Tandis qu’elle disparaissait dans le couloir, Jeremy ôta ses chaussures, jeta sa veste aviateur sur la chaise de bureau et déposa ses affaires au pied du lit. Après s’être assis au bord du matelas, il prit le temps de lire quelques passages du carnet. C’était un récent, d’après le peu de pages remplies. Un nouveau roman ? Iva en avait déjà terminé deux.
Accaparé par la lecture de cette amorce de thriller, Jim ne remarqua pas tout de suite le retour de sa copine. Ivana profita de sa concentration pour humer les fleurs et chercher le meilleur endroit de sa chambre pour les exposer. Elle devait reconnaître que les élans romantiques de Jim n’étaient pas si déplaisants. Au cours des derniers mois, il avait eu plus d’une attention à son égard, de la simple lettre pleine d’affection glissée dans sa boîte à l’invitation dans un restaurant chic du centre-ville.
— Ça te plaît ?
Jeremy leva une moue coupable dans sa direction. Il savait très bien qu’Ivana détestait qu’on lise son travail avant qu’elle s’en estime satisfaite. Des deux polars qu’elle avait déjà écrits, il n’avait pu lire que la première moitié du plus ancien. Elle en était à l’étape de la réécriture, d’après ses dires.
— J’ai lu que quelques lignes, mais tu m’as putain de captiver, avoua-t-il en refermant le carnet. T’as un truc, ma chips la plus croustillante du paquet.
Ivana leva les yeux au ciel en s’approchant de lui. Comme Iva lui avait dégoté un surnom et toujours pas lui, Jeremy tentait une nouveauté à chacune de leurs retrouvailles. Bien entendu, le ridicule devait être au rendez-vous.
Comme elle poussait son cahier pour s’asseoir en tailleur à côté de lui, Jim se pencha pour l’embrasser. Après le froid de l’extérieur, la peau d’Iva lui semblait inhabituellement chaude.
— Je t’aime, chuchota-t-il sans trop s’éloigner de son visage.
— Je t’aime aussi, mon étincelle, murmura Ivana en reculant la tête. Mais tu sors des cours, là, non ? Va prendre une douche !
Son copain s’esclaffa, tira sur son haut pour le renifler.
— Je comprends pas, ça fait que trois jours que je le porte.
— Allez, va te laver. (Comme il se penchait sur son sac d’affaires pour récupérer des vêtements propres, Ivana s’enquit : ) Et t’as souhaité bon anniversaire à ta mère, au moins ? Pas que je sois mécontente de t’avoir pour la Saint Valentin, mais…
— Je lui ai souhaité, la coupa Jim avec une moue boudeuse. Mais elle passe la soirée avec mon père à l’appart. Thalia est avec Grace et Jason.
— Oh. (Avec un sourire jusqu’aux oreilles, Iva lança d’un ton moqueur : ) Donc tu penses toujours pas que tes parents…
— Comme dit mon parrain, ils sont adultes et font bien ce qu’ils veulent.
Avant que sa copine puisse insister, Jim afficha une grimace volontairement dégoûtée.
— Et je veux pas savoir ce qu’ils font.
— Tu sais très bien, se moqua Ivana alors qu’il poussait la porte de la salle de bains attenante. Qui sait, tu seras peut-être grand frère une deuxième fois ?
Jim rouvrit la porte qu’il venait de verrouiller. Son visage était orageux.
— C’est mort.
Il claqua le battant avant qu’Ivana puisse répondre. Amusée, elle récupéra son stylo et son cahier. Il était temps de retourner à son enquête, aux profusions de sang et aux nuits sans lune.

Installé à même le tapis à poils longs jeté aux pieds du lit, Jim observait Iva. À plat ventre, elle grattait son cahier avec une cadence et une précision qui étonnaient l’adolescent. À présent qu’ils se connaissaient bien, il n’aurait pas vraiment dû en être surpris. Ivana plongeait le cerveau grand ouvert dans tous ses projets. Elle emmagasinait les informations, les connaissances, les digérait pendant quelques jours avant de retranscrire le tout teinté de son intellect et de ses opinions.
Que ce soit dans ses activités d’association au lycée, ses cours d’arts martiaux avec Jihane, les réunions de préparation qu’elle tenait hebdomadairement avec son père, Ivana donnait tout. Jim en était fasciné, de cette énergie et de cette détermination. Il avait essayé de s’en inspirer au début, avant qu’Iva lui fasse remarquer qu’il ne faisait que s’épuiser dans une comparaison qui n’avait pas lieu d’être.
À quelques occasions, Jeremy avait craint qu’Iva le prenne pour un garçon trop simple, avec un déficit d’ambition et de curiosité intellectuelle. Mois après mois, discussion après discussion, Ivana avait rétabli la sérénité qui lui manquait. Elle ne voulait pas sortir avec un amas de matière grise, une liste d’objectifs de vie, un plan de carrière ou un critique artistique. Elle voulait aimer et partager avec un autre être humain, sur tous les plans de la vie.
Aimer ses sourires, ses chansons, ses petites attentions. Partager ses concerts, la chaleur de ses bras et les instants de doute.
— Jem, murmura Ivana relevant le cou, ça me fait bizarre quand tu me regardes comme ça.
L’adolescent s’agita sur le tapis, gêné d’avoir été pris sur le fait. Comme Ivana était toujours plongée dans une occupation, elle comprenait mal les minutes que pouvait passer son copain à observer les gens ou les événements.
— Ça me vide la tête quand je te regarde, expliqua-t-il, sûrement pour la dixième fois depuis leur rencontre. Et ça me fait du bien.
— Tu veux pas jouer ? lui proposa Iva avec un coup de menton en direction de la guitare sèche que Jeremy avait sorti de son étui sans y toucher. Me regarder, ça te fait du bien, tu dis ? Moi c’est t’entendre chanter.
Face à l’expression embarrassée de Jeremy, elle lui adressa un sourire mutin.
— C’est le deal. T’as le droit de me regarder écrire. Mais tu le fais en jouant.
— Marché conclus. (Comme il récupérait l’instrument pour le caler contre lui, Jim marmonna : ) J’espère que ton père n’a plus de doutes sur la reprise de l’entreprise familiale. Rarement connu une personne qui négociait aussi bien.
Ivana rit de bon cœur sans arrêter d’écrire. La scène qu’elle avait entamée l’inspirait particulièrement. Il y régnait une tension en parfaite opposition à celle de sa chambre. Et cet antagonisme lui plaisait.
— Allez, joue.
Les premières notes s’élevèrent quelques secondes plus tard. Ivana adorait Wyatt et la symbiose qui s’en dégageait. Simplement, leur répertoire n’était pas forcément à son goût. Alors quand Jim prêtait sa voix pour interpréter les balades qu’affectionnait Ivana, elle s’évadait.
La voix vibrante de Jeremy n’était pas assez mise en valeur par les compositions de son groupe. Iva en avait même discuté avec Jason et Trice, mais ils ne savaient pas forcément comment faire. Tant pis, elle avait pris les devants. Sélectionné des morceaux où les chanteurs présentaient des similitudes avec son copain. Une gamme de notes de même taille. Des timbres harmonieux.
Une fois sa liste de chansons constituée, Ivana l’avait confiée à Jim. Son copain ne s’était pas intéressé à tous les titres, mais une grosse dizaine avait retenu son attention. C’était bien assez pour Iva. Et les concerts privés qu’il lui dédiait enveloppaient son cœur d’une douceur qu’elle n’avait jamais connue sous cette forme-là. Un refuge de sérénité qu’ils ne partageaient qu’à deux.

Au bout de la quatrième chanson, Jeremy repoussa la guitare pour boire un coup. Ses cordes vocales le tiraillaient. La dernière répétition avec Wyatt avait été éreintante. Alors qu’il revissait la bouteille, le dos calé contre le lit, la respiration d’Iva effleura son cou. Jim se redressa, mais ne bougea pas lorsqu’elle déposa un baiser sur sa nuque.
— Et voilà, marmonna-t-il d’un ton bougon en levant les bras. J’ai des frissons partout.
— Oh mince.
L’absence totale de culpabilité dans la réponse lui tira un sourire. Jeremy se retourna pour faire face à l’adolescente. Elle avait fermé son cahier et dénoué ses cheveux. Le mode écriture était terminé. Il glissa les doigts entre ses mèches souples, en apprécia le soyeux.
Ivana en profita pour lui agripper le bras et le mitrailler de mini-bisous. Comme elle remontait vers son épaule, les effleurements se muèrent en chatouilles. Il se retint de rire, bondit sur ses talons pour échapper à l’emprise de sa copine.
Comme ils échangeaient un regard en silence, Iva roula sur le dos et tapota la place disponible à côté d’elle. Jeremy ne tarda pas à la rejoindre, les yeux rivés au plafond. Comme elle calait sa tête dans le creux de son épaule, il chuchota avec difficulté :
— Désolé, Iva.
— De quoi ?
— De ça, grinça-t-il en se tournant sur le flanc pour l’observer droit dans les yeux. De pas être… Enfin, je crois que je suis prêt. Mais je suis pas entreprenant.
— Jem, c’est pas grave. Je te l’ai déjà dit. On va à notre rythme, tu te rappelles ?
— Oui. Mais tu dois en avoir marre d’attendre. Surtout si tu l’as déjà fait avec ton ex.
— Parce que c’est une compétition maintenant ? le rabroua-t-elle sans méchanceté. Vous êtes deux personnes différentes, aux dernières nouvelles. Y’a rien de choquant à que les choses se passent pas de la même manière.
Jim tenta une ébauche de sourire qui ne convainquit ni sa copine ni lui-même. Ivana soupira, passa une main sur sa tempe. Elle caressa la cicatrice sur son arcade avant de glisser le long de sa mâchoire.
— Ce sont tes cicatrices qui te bloquent encore ? murmura-t-elle en poussant son bras jusqu’à l’épaule de Jim. Ton dos ?
— Oui. J’ai pas envie de te dégoûter.
— Tu me laisses pas en juger, mon étincelle. (Elle remonta les doigts pour réaliser des mouvements circulaires sur sa nuque.) Et, de toute manière, tu sais que je te jugerai jamais là-dessus.
— Je sais, Iva. Mais ça peut te repousser. Et je comprendrais. Ma peau… c’est différent. C’est pas la même texture ou la même couleur.
— Mmh, à priori, c’est pas ton dos que je verrai, tu sais.
Les pommettes de Jim se teintèrent de rose, mais il accueillit la remarque avec un sourire. Iva n’en laissa rien paraître, mais c’était une petite victoire. L’intimité était un sujet délicat entre eux. Ivana ne reprochait pas à Jeremy son manque d’expérience ou sa pudeur. Mais il marquait un point à propos d’entreprendre des gestes d’affection. En dehors des étreintes et des baisers, Jim ne lui accordait pas grand-chose. Et Ivana devait reconnaître que ça commençait à créer un manque de contact physique et intime.
— Sans parler de passer aux choses sérieuses, reprit Ivana pour l’apaiser, j’aimerais juste savoir si… si déjà tu accepterais de me laisser voir. Et toucher.
— Tu parles bien de mon dos, là ?
— Tu vois que tu peux être détendu sur le sujet, le nargua-t-elle en se redressant en position tailleur.
Il l’imita, mais son regard avait adopté une teinte incertaine. Avant qu’Iva puisse le rassurer de nouveau, Jeremy agrippa le bas de son t-shirt et le passa par-dessus sa tête. Le sourire penaud qu’il lui adressa retira un poids des épaules d’Iva. Le stress lui mordillait douloureusement les tripes, mais Jim se raccrochait à la confiance qu’ils avaient bâtie.
Reconnaissante, prudente et troublée, Ivana se rapprocha pour l’étreindre d’un bras. Elle avait déjà remarqué à quel point sa peau était chaude en toutes circonstances. Cet hiver, sa tiédeur constante avait été un refuge. Et la raison de quelques protestations quand elle infiltrait ses mains gelées sous la veste de son copain.
— Ça te va, comme ça ?
Elle avait remonté son autre bras sur la partie droite – la saine – du dos de Jim. Elle patienta jusqu’à ce qu’il donne son approbation par voie orale. Alors seulement elle glissa ses doigts sur sa peau. En sentant ses vertèbres, elle ralentit puis s’arrêta franchement.
— Toujours OK ?
— Oui.
Les bras tremblants, Iva ferma les yeux en posant le menton sur l’épaule de son copain. Son premier « je t’aime » l’avait profondément émue. Mais ce « oui » avait une puissance toute aussi déstabilisante. Confier l’intensité de ses sentiments était une étape-clé. Confier la vulnérabilité de son corps en était une autre.
Jeremy n’avait pas menti, à propos de la texture. Sous la pulpe de ses doigts, elle sentit nettement le début des brûlures. Les greffes de peau avaient été nombreuses, pour réparer ce dos ravagé par les flammes.
Ivana traça un schéma mental de ses cicatrices. La circonférence, la naissance près de l’omoplate et la fin à la chute des reins. La façon dont elles narguaient sa colonne vertébrale et ses côtes. Les creux et les bosses. Les aplats et les vallons. Les montagnes des opérations à répétions. Le champ de bataille de mois d’hospitalisation.
— Iva ? murmura Jim d’une voix inquiète. Ivana ?
Quand elle rouvrit les paupières, elle remarqua les sillons cramoisis qu’elle avait déposés sur l’épaule de Jeremy. Ses ongles plantés dans sa chair. La colère, la peine. En silence, elle pleura le jeune homme qui craignait de la dégoûter. Elle pleura aussi le jeune garçon qui avait dû subir tout ça. Ne garda que la rage pour s’exprimer.
— Qu’Alexia Sybaris aille se faire foutre, hein ? gronda-t-elle tout bas en passant ses deux bras autour des épaules de Jim.
Désemparé, Jeremy ne répondit pas dans l’instant.
— Elle a détruit ta famille, continua Ivana d’une voix rêche de colère. Elle a bousillé ton corps et ton esprit.
— Pas que moi, avoua Jeremy en baissant le cou. Mon père et ma mère aussi.
Ivana cassa l’étreinte pour sonder le visage de Jim. Elle remarqua la rage glacée au fond de ses yeux vairons, s’en sentit rassurée. Derrière sa tristesse se tenait toujours la hargne vengeresse. Prête à surgir. Quand l’occasion viendrait.
La poitrine comprimée par un mélange de soulagement, de tendresse et de reconnaissance, Ivana plaqua les lèvres contre celles de Jim. Il se crispa, avala de travers quelques pensées et goulées d’oxygène, avant de réussir à se recadrer. Alors Jeremy agrippa l’épaule d’Ivana pour la stabiliser avant qu’elle ne s’effondre sur lui et plaça son autre main au creux de sa taille.
Jim avait oublié les brûlures ancrées à sa chair quand ils roulèrent ensemble contre les oreillers. C’étaient les brûlures des baisers, des caresses et des soupirs, à présent. La brûlure dans son cœur avait éclipsé Alexia Sybaris et tout le reste.
Il ne se consumait plus que pour Ivana.



Suite
Dernière modification par louji le ven. 17 mai, 2024 8:39 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

Aaaah si vous saviez comme j'ai pris plaisir à écrire ce chapitre ♥


- Chapitre 49 -



Lundi 3 mars 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Ce n’était que leur troisième cours d’histoire avec le remplaçant, mais Ryusuke l’appréciait déjà beaucoup. Il n’avait pas encore trente ans, ce qui facilitait l’échange avec les lycéens de dernière année, mais ce n’était pas tout. À chaque leçon, il avait prévu une partie plus ludique à base de quizz en ligne ou de débat entre élèves. Certes, ils sortaient avec un peu en retard de classe, mais c’était un mal pour un bien aux yeux de Ryu.
Quand la sonnerie retentit, M. Grace porta un regard déçu à l’horloge électronique avant d’abaisser l’écran de son ordinateur portable. Ryusuke rassembla lui aussi ses affaires avec dépit. Comme c’était le dernier cours de la journée, il en profita pour s’avancer jusqu’au bureau du professeur. M. Grace sourit en l’apercevant, le bleu glacé de ses yeux toujours contrebalancé par l’obligeance inscrite sur son visage.
— Pas de débat, cette fois ? se désola Ryu avec petit rire.
— Désolé, souffla le prof en lorgnant les rares élèves qui tardaient. Si tu trouves des camarades assez passionnés pour finir dix minutes plus tard, tu auras ton débat au prochain cours.
— Je suis sûr qu’Emily voudrait bien. (Ryu remarqua l’intéressée sur un côté de la salle, mais elle était occupée à ranger ses affaires.) Et même Jeremy.
Son ami l’attendait avachi sur son bureau. Au fil des ans, la manie de Ryu de discuter avec leurs professeurs ne s’était pas tarie. Jim avait fini par se résigner. Et ce n’était pas si mal, parfois. Touchés par la curiosité de Ryu, certains enseignants leur soufflaient des indices sur les chapitres à réviser pour les contrôles ou sur ce qui les attendait au programme.
— Dites, reprit Ryu d’une voix engourdie, vous allez rester jusqu’à la fin de l’année ? Je vous trouve beaucoup plus pédagogue que notre ancienne prof.
Les lèvres minces du professeur s’étirèrent. Il tripota à son poignet un bracelet tressé aux tissus ternis par les années avant de répondre :
— À priori, le congé maternité de votre prof d’histoire doit se poursuivre jusqu’à cet été. Alors j’imagine que oui. (Comme les traits de Ryu s’illuminaient, M. Grace ajouta avec empressement : ) Enfin, je suis prof depuis quelques années seulement. Je sais pas s’ils vont me laisser gérer une classe de dernière année, avec les examens qui vous attendent.
— Je croise les doigts, en tout cas, s’extasia Ryu en levant un index et un majeur qui se chevauchaient. Bonne soirée, M. Grace.
— Bonne soirée, Ryusuke.
Il venait d’atteindre le bureau de Jim pour lui secouer l’épaule quand leur prof remplaçant lança depuis l’estrade :
— Au fait, je viens du public à la base. Et on me laissait être beaucoup plus… proche avec les élèves. (Avec une moue gênée, il passa une main dans sa masse de cheveux noirs.) Je demandais à mes élèves de m’appeler Zach. Ça facilite le contact. Si ça ne vous dérange pas…
— On vient du public aussi, le rassura Ryu d’un air entendu. Alors, pas de soucis.
Après avoir baillé longuement, Jeremy s’extirpa de sa chaise et considéra le professeur.
— Vous êtes cool. (Sans plus de formalités, il tourna les talons.) Salut.
Ryu adressa un sourire d’excuse pour son ami et le rejoignit dans le couloir. Il baillait de nouveau, les yeux embués. Comme l’anniversaire de Jeremy tombait en semaine, ils s’étaient tous retrouvé pendant le week-end pour le fêter en avance. Mais il fallait croire que Jim récupérait moins bien que sa bande d’amis.
Trop ensommeillé pour faire attention à son chemin, Jim bouscula une élève qui traversait en perpendiculaire. Son sac-à-dos – qui tenait sur une seule épaule – glissa au sol tandis qu’il perdait l’équilibre à son tour. Ryu bondit pour agripper sa veste et l’empêcher de s’étaler au milieu du couloir.
— Mais t’es toujours un aussi gros naze, c’est pas vrai.
La voix rêche crispa Ryu, mais elle déclencha chez Jeremy un abrutissement inhabituel. Avant que Ryusuke ait pu s’interposer entre les deux pour calmer la tension, son ami sauta à moitié sur l’inconnue. Elle poussa un grognement excédé tandis que Jim émettait un étonnant bruit de gorge à mi-chemin entre le geignement et le cri de joie. Quant à Ryu, il resta coi d’incertitude.
— Becca, oh bordel, s’étrangla Jim d’une voix qui menaçait d’éclater. Oh putain j’y crois pas.
— Jeremy, tu m’écrases, contra l’intéressée avec fermeté. T’as grandi, abruti.
Ils finirent par se séparer ; Jim avec un sourire incrédule, Rebecca avec un rictus agacé. Ryu ne se détendit pas pendant qu’ils se toisaient en silence. Une tension électrisait le couloir vide de toutes discussions.
— Tu m’as manqué, grand gamin, souffla alors Rebecca en faisant tomber son masque de glace.
— Toi aussi, lui retourna Jeremy d’un ton aussi tremblant que ses jambes.
Les cousins échangèrent un sourire de connivence, leurs yeux remplis d’étincelles espiègles. Comme ils se faisaient face, Ryu n’apercevait pas complètement leurs visages, mais la ressemblance le bouscula. Il y avait dans la silhouette élancée de Rebecca un écho de celle de Jim. Dans son regard féroce la hargne qui pouvait habiter son ami. Les lignes de leur mâchoire, de leur nez, de leur front et de leurs pommettes étaient tracées selon un même code.
Consciente de la présence de Ryu, Rebecca Sybaris finit par se tourner vers lui. Bien qu’elle ait abaissé sa muraille de fer et de glace, il demeurait quelque chose d’inflexible chez elle. Si l’ambre de son regard lui était familière, elle avait un éclat acéré qu’il n’avait jamais vu chez Ethan ou son ami.
— Ryusuke, entama l’adolescent en se rappelant les fondamentaux de la politesse. Ravi de te rencontrer Rebecca.
— De même, répondit la jeune femme avec concision. Jeremy m’a pas mal parlé de toi.
— En bien, j’espère.
— Non, en mal, tu sais que c’est son genre.
Ryusuke accueillit l’humour pince-sans-rire d’un grand sourire. Même si Rebecca était loin d’afficher la sympathie des Wayne-Hunt, l’authenticité un peu brute qui se dégageait de ses mots et de son attitude le rassurait. Il préférait être rudoyé par une franchise sans malveillance qu’être choyé par une hypocrisie douce-amère.
— T’es là depuis quand ? intervint Jim qui s’était presque mis à tressauter d’excitation. Tu me cherchais ?
— Depuis quinze minutes à tout casser. Je te cherchais, oui, mais tu m’aies rentré dedans.
— Le destin, affirma Jeremy avec grand sérieux en ramassant son sac.
Sa cousine ricana, les bras croisés sur la poitrine. Même s’il se savait indélicat, Ryu ne pouvait s’empêcher de la dévisager. Ils se ressemblaient tellement. Il avait déjà vu des photos, mais la réalité le criait bien plus fort. Thalia aurait eu l’air d’une étrangère, à côté d’eux.
— Plus sérieusement, qu’est-ce que tu fais là ?
— Je suis venue avec mon père et d’autres personnes de la Ghost. On doit discuter des derniers préparatifs du projet Réseau. (Comme son cousin acquiesçait d’un air sombre, elle ajouta d’une voix plus tendre : ) Et bon anniversaire, gros naze. Bienvenue dans la majorité.
— Merci. (Il se tapota le visage avec une moue songeuse.) Pas senti de grand changement encore.
Alors que sa cousine levait les yeux au ciel, Jim se raidit.
— Attends, ton père ? Putain, il…
— Il est au Centre, le coupa Rebecca en devinant la nature de son inquiétude.
Les traits de Jeremy retrouvèrent une consistance. Emporté par la joie de retrouver sa cousine après trois ans de séparation, il en avait effacé ce que son arrivée signifiait vraiment. Le projet Réseau. La Ghost Society. Les Sybaris.
Avant de laisser une colère écœurante s’emparer de lui, Jim prit sa cousine par le bras.
— Je peux te présenter à ma famille ?

Rebecca serrait les dents alors que son cousin l’entraînait à travers les couloirs et escaliers de l’École. Tout cet espace était un peu renversant. Elle ne fréquentait plus le centre de formation de la Ghost depuis deux ans, mais ses années d’étude enfermée dans un lieu semi-enterré ne s’oubliaient pas aussi facilement.
L’École brillait. Sous le soleil californien, ses bâtiments aux façades claires, aux toits gris foncé et aux nombreuses fenêtres illuminaient la cour, les terrains d’entraînement et le gymnase. Elle s’était sentie petite en franchissant le poste de sécurité aux côtés de son père. Rassurée, en même temps. Il valait mieux que le projet Réseau se déroule ici. D’un point de vue logistique, il y avait plus de place, un internat prêt à accueillir des élèves et des terrains d’entraînement tout autour de la ville.
— Jeremy, entama-t-elle alors qu’ils grimpaient une volée d’escaliers, tu es sûr que…
Elle se tut lorsqu’il lui jeta un sourire enthousiaste par-dessus son épaule. Elle ne voulait pas effacer ça. Pas effacer ces étincelles dans ses yeux expressifs, ces fossettes étrangères dans ses joues. Les Sybaris et le centre de formation l’avaient bien assez fait pendant un an et demi. Il avait étouffé le feu de sa propre existence pour s’adapter. S’était réduit à l’état de cendres pour donner aux Sybaris les flammes maîtrisées dont ils avaient besoin.
Il brûlait, brillait, de nouveau. Rebecca ne voulait surtout pas souffler sur cette lumière. Alors elle se laissa mener, même si ses propres flammes vacillaient à cet instant. Elle n’était pas sûre d’être prête à rencontrer la famille de Jim. Ses parents. Sa sœur.
Lorsqu’Edward avec retenu Maria et sa fille captives, Rebecca n’avait jamais su ce qui se tramait tout près d’elle. Ainsi, même si elles avaient passé plusieurs semaines à proximité, elles ne s’étaient pas rencontrées. À vrai dire, Becca savait si peu de la famille de son oncle, en dehors des dires de Jeremy. Même cet oncle était un étranger. Elle avait vu des photos, jeté un œil discret sur des échanges de mails entre son père et lui. Mais, en vingt ans d’existence, Ethan ne s’était jamais trouvé dans la même pièce qu’elle.
Dans un geste de réconfort, elle voulut serrer le fourreau du poignard qu’elle portait habituellement à la ceinture. Sa main se referma sur du vide. Emplit son cœur du même abysse. Les vigiles au poste de contrôle l’avaient récupéré. Même en tant que Fantôme, Rebecca ne pouvait transporter ce genre d’armement dans l’enceinte de l’École.
Résignée, la jeune femme se contenta de se laisser mener par Jim. C’était un retournement de situation amusant. Trois ans en arrière, c’était elle qui jouait les grandes sœurs au sein du centre de formation pour le protéger. Elle examina ses épaules tandis qu’ils remontaient un couloir silencieux. Il avait grandi et pris en stature, bien entendu. Ce n’était pas tout. Il y avait toujours cette nervosité impulsive chez lui, mais elle était cadrée par un tempérament plus confiant.
Dans leur dos, Ryusuke suivait en silence. Rebecca lui adressa un coup d’œil, se détendit en remarquant la tendresse dans son regard sombre. Au fil des mois, Jim s’était confié à sa cousine à propos du désaccord qui l’avait opposé à son meilleur ami. Bien que Rebecca n’ait pas pu faire grand-chose à l’époque pour le soulager, elle était rassurée que ces deux-là se soient rabibochés.

Au bout de quelques mètres, Jeremy s’arrêta brutalement. Comme il n’avait pas prévenu, le nez de Rebecca rencontra désagréablement son dos. À peine conscient de sa maladresse, Jim pivota sur ses talons.
— C’est la salle des profs. (Il leva le poing, prêt à frapper, avant de stopper son geste.) Euh, t’es OK pour rencontrer mon père, au fait ?
— C’est maintenant que tu demandes, abruti ?
Il piqua un fard, se tassa sur place. Rebecca soupira avant de donner un coup de menton vers la porte.
— Ton père est là, tu es sûr ?
— Il reste toujours un moment en salle des profs à la fin de journée.
La jeune femme hocha la tête, croisa les bras sur sa poitrine pour se donner contenance. Elle avait évolué au milieu des Sybaris, affronté les tornades de leurs colères, le blizzard de leur mépris, les séismes de leurs disputes. Ethan était un tapis de feuilles mortes, elle le savait grâce à Jim. Un sol stable, souple, à la douceur nostalgique.
Elle avait pourtant le trac. Roulé en boule au creux de ses tripes. Logé confortablement en haut de sa gorge.
— Appelle-le.
Rebecca fut plutôt satisfaite de constater que sa voix portait toujours autant. Son cousin hocha la tête avec reconnaissance avant de frapper à la porte. Un homme chauve aux épaules larges leur ouvrit. Dévisagea les trois jeunes gens à tour de rôle.
Ses yeux bruns s’attardèrent sur Rebecca, se plissèrent avant de s’écarquiller. Sans commenter, il expédia un bref rire moqueur avant de se tourner à demi.
— Ethan, c’est pour toi.
Quelques éclats de voix. Jeremy recula, prêt à introduire sa cousine à son père, mais une femme apparut à la place d’Ethan. Il la reconnut une demi-seconde avant qu’elle ne lui saute au cou.
— Oh, Jeremy !
Le parfum de Myrina lui satura les narines et ses cheveux lui chatouillèrent le visage, mais il s’en moqua bien. Il referma les bras sur le dos de la femme, un geste dont il n’avait jamais eu l’audace au centre de formation.
— Myrina, s’étrangla-t-il une fois séparés l’un de l’autre. J’suis trop content de te revoir.
— Moi aussi.
Après avoir emprisonné son visage entre ses mains parées de bagues dorées, Myrina profita de ses talons pour lui embrasser le front. Elle se tourna ensuite vers une Rebecca médusée.
— Je croyais que tu étais au Centre avec papa.
— Je me suis éclipsée discrètement, souffla Myrina d’un air conspirateur. Ton père peut bien assumer pour moi la présentation de la Ghost.
Elle quitta des yeux Jim et Rebecca pour considérer l’homme qui s’était approché en silence.
— Et puis, il y avait plus important. (Myrina considéra Ethan avec un sourire doux-amer.) Je n’avais pas vu mon cousin depuis des années.
Jeremy n’associait tellement plus son père aux Sybaris qu’il en oubliait parfois les liens familiaux, tangibles, qui les unissaient malgré tout. Ethan remercia son collègue avant de refermer la porte derrière lui. Une fois tous les cinq dans le couloir, Ryu en spectateur hésitant à quelques mètres, les Sybaris se sondèrent pendant un moment.
Après avoir claqué des mains, Myrina prit les devants.
— Ethan, je te présente ta nièce, Rebecca.
— Enchanté, avança l’homme avec un petit sourire à l’adresse de la jeune femme. Je suis navré que nous n’ayons pas pu faire connaissance avant.
— Pas de soucis, répondit-elle par automatisme, plus troublée qu’elle ne voulait le reconnaître.
Était-ce ainsi que s’était senti Jim en rencontrant Edward pour la première fois ? Cette impression d’inconnu familier. De repères sans en être. D’image troublée. Un clone au regard moins acéré, au rictus moins dur, à l’expression plus pensive.
— On peut peut-être parler ailleurs ? suggéra Jeremy en profitant du silence qui s’installait. Faut qu’on retrouve Thalia, aussi.
— Tu sais où elle est ?
La pointe d’inquiétude qui perça dans la voix d’Ethan serra le cœur de Rebecca. C’était une intonation qu’elle n’avait entendue dans celle de son père qu’à quelques reprises. Mais ces occasions avaient été suffisantes pour la marquer. Pour qu’elle reconnaisse ensuite cette inflexion particulière.
— Sûrement au tutorat, répondit Jim avec un haussement d’épaules.
Ethan hocha la tête, salua d’un sourire Ryusuke qui attendait plus loin dans le couloir. Après avoir jeté un coup d’œil à sa cousine et à sa nièce, il proposa :
— On doit fêter l’anniversaire de Jem au restaurant ce soir. Ça vous dirait de venir avec nous ?
Désemparée par la proposition, Rebecca consulta Myrina. La femme lui accorda un léger mouvement du menton avant de répondre :
— Ton imbécile de frère va sûrement tirer la tronche, mais nous acceptons avec plaisir.
Les traits d’Ethan se crispèrent à la mention d’Edward, mais il eut la courtoisie de sourire.
— C’est un mal bien faible par rapport à ce qu’il a pu me faire. Je pense qu’il s’en relèvera.
Sans ajouter quoi que ce soit, il entreprit de mener la marche jusqu’à la sortie. Rebecca suivit le groupe sans être capable de quitter son oncle des yeux. Sa différence caractérielle avec Ed était aussi frappante que leur ressemblance physique.
Après quelques minutes, Rebecca fut toutefois amusée de constater que leur démarche avait quelque chose de similaire. Un peu prudente, sans manquer d’assurance pour autant.
Elle garda cette constatation pour elle. Une constatation qui remplaça sans mal la boule de malaise nichée dans son ventre et sa gorge. La sensation était beaucoup plus douce.



***

Si jamais, pour l'anecdote, le prof que l'on voit au début est le héros d'un autre de mes romans, The Debt. Je voulais faire un clin d'oeil et comme les histoires se déroulent aux États-Unis à quelques années près, je me suis dit que c'était l'occasion !
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