Même après avoir pris quelques jours pour réfléchir à la rédaction de mon commentaire, mon ressenti final face à ce livre n’est toujours pas vraiment clair. Son thème original et intrigant, son ambiance particulière dans laquelle l’autrice nous plonge sans problème, ainsi que ses enjeux et manigances à démêler en font une assez bonne lecture ; toutefois, les problèmes rencontrés par le récit, l’incohérence de certaines décisions ainsi que le caractère souvent imbuvable de l’héroïne font grandement baisser l’intérêt soulevé par cette histoire, et par conséquent sa note.
Après des débuts un peu timides, l’autrice nous présente un concept de magie vraiment intéressant en la personne d’Isda, qui possède la rarissime capacité d’observer et modeler les souvenirs de toute personne chantant à proximité. Rarissime car tout individu présentant les particularités physiques intrinsèquement liées à ce don est condamné à mort dès sa venue au monde. Notre héroïne vit et exerce donc ses pouvoirs à l’abri des regards, dans le secret le plus total depuis sa naissance.
Si cette magie reste originale à découvrir, elle perd légèrement en nouveauté si l’on a précédemment lu « A Forgery of Roses », son fonctionnement rappelant assez celui du pouvoir de Myra, dans le sens où elles ont toutes deux la capacité de modifier quelque chose de profondément ancré chez leur interlocuteur en faisant appel à leur art (l’une modifie les souvenirs grâce à la musique, tandis que l’autre modifiait l’apparence physique grâce à la peinture). Pour ma part, cette similitude, qui ne se creuse pas plus que ça, n’a en rien entaché mon intérêt à découvrir la mécanique du don d’Isda et son évolution.
Malgré ma curiosité, j’ai au départ eu un peu de mal à entièrement rentrer dans le récit et à me laisser emporter, car le début nous noie un peu sous les informations sans les expliciter suffisamment pour nous accrocher. En quelques dizaines de pages on a déjà plusieurs concepts d’introduits, avec la présentation du monde dans lequel l’héroïne évolue, la légende des Trois, les fendoirs, les gravoirs… Tout ceci n’est qu’évoqué, nous faisant comprendre que ce sont des éléments importants au développement de notre histoire mais en restant encore très flous à ce stade car emmêlés dans une vague d’informations, ce qui nous laisse un goût de frustration car on a du mal à réellement saisir qui sont ces êtres et ce dont ils sont capables, et donc à bien s’immerger dans l’histoire.
Fort heureusement, avec l’évolution des relations entre les protagonistes, l’intrigue reprend vite le dessus et finit par nous emporter dans les profondeurs de l’opéra et par nous intéresser au sort que l’avenir réserve à notre héroïne et son entourage.
Malgré un personnage principal discutable – on y reviendra -, l’histoire elle-même est vraiment captivante et pose des enjeux qui diffèrent et revêtent un caractère plus obscur à mesure qu’avance notre connaissance des personnages qui gravitent autour d’Isda, de leur passé, et de leurs motivations profondes. On évolue dans un monde qui a connu un drame historique lié aux personnes douées de certains pouvoirs, et dont la société opprime aujourd’hui les héritiers de ces dernières ; on y découvre secrets, manipulation, torture physique et psychologique, mensonges complots… mais également amitiés improbables, voire plus… On y vit des retournements de situations, parfois prévisibles sur le fond mais pas sur la forme ni les détails qui les entourent.
On s’attendrit devant les liens qui se tissent entre Isda et Emeric (enfin, surtout devant Emeric en toute franchise), on se tend face aux confrontations, on se plonge avec intérêt dans les rubans dorés des mémoires explorées, on s’exaspère aussi beaucoup devant des prises de décisions incohérentes ou tout simplement très bêtes. Bref, on se laisse portée par la musique jouée au cœur de cet opéra ; l’autrice capte notre attention et sait la garder.
En revanche, la fin m’a quelque peu frustrée. Je comprends tout à fait le pourquoi de cette décision finale, qui est à vrai dire logique et sensée, et qui, je pense, participe également à redonner un peu de « noblesse » à une héroïne imparfaite. Mais elle m’a tout de même laissé un arrière-gout de « tout ça pour ça ». Qui plus est, même si ce n’est certainement pas l’intention de l’autrice et que cet acte est
un sacrifice
pour Isda, ce dernier me donne l’impression qu’elle baisse juste les bras, accepte qu’il n’y ait pas d’autre alternative et donc ne cherche (et ne cherchera) pas à travailler sur elle-même, à apprendre à se contrôler, préférant continuer à
vivre seule et dans l’ombre
. C’est peut-être une interprétation pessimiste de la fin, mais c’est en tout cas l’impression qu’elle m’a laissée.
Terminons en en revenant à nos personnages, peu nombreux mais très variés dans leurs caractères, leurs motivations, leur évolution.
Emeric est tout simplement une crème (au caramel – haha), sans jamais non plus se laisser marcher sur les pieds sans rien dire ; il est à la fois tendre, déterminé, réfléchi, attentionné, ferme et droit dans ses bottes. Son histoire est déchirante, pourtant il n’a jamais rien perdu de son sourire, de sa douce exubérance ou de son courage. Plus on apprend à le connaître, plus on s’attache à ce personnage entier et dévoué. Et ce d’autant plus à mesure que le caractère négatif d’Isda se dévoile en face.
Pourtant notre héroïne commençait plutôt bien. Elle qui a démarré les premières heures de sa vie de la manière la plus horrible qui soit et qui est contrainte de grandir dans l’obscurité et le silence, parvient toutefois à trouver des sources d’épanouissement dans son quotidien secret, et est farouchement dévouée à l’homme qui l’a sauvée et élevée ; elle nous montre à plusieurs reprises qu’elle ferait tout pour lui, pour l’aider à gravir les échelons et le protéger de la moindre menace. À mesure que l’histoire avance, elle va toutefois avoir des réactions de plus en plus incompréhensibles, voire répréhensibles, et devenir de moins en moins attachante, au point de régulièrement nous faire grincer des dents sur la fin.
Si certaines de ses actions et pensées peuvent nous faire tiquer, on ne peut cependant pas lui en vouloir de développer une rancœur envers le monde et de voir poindre une envie de vengeance ; de même, ses actes sont de plus en plus discutables (les scènes des enfants oubliés font vraiment mal au cœur), mais elle agit en pensant bien faire pour aider quelqu’un qu’elle aime et admire, pensant également que cela pourra aboutir à lui offrir une vie plus libre sur le long terme. Je peux comprendre tout son ressentiment suite à cette vie d’enfermement, de solitude et de peur des autres. Toutefois, elle se comporte ensuite de façon vraiment abjecte envers la seule autre personne qui lui manifeste un intérêt sincère, de la douceur et surtout de l’honnêteté. Sa manière d’agresser ainsi Emeric et à plusieurs reprises finit par la rendre ingrate et relativement détestable. Quant à tout ce qu’elle accomplit dans les derniers chapitres, il s’agit tout simplement
d’un massacre
sans aucun remords. Elle dont la motivation était de donner tort à la société, c’est complètement raté - le contexte et la « légitime défense » ne font pas tout.
Parallèlement à ses agissements, je voulais aussi revenir sur certaines de ses décisions, soit assez incohérentes, soit parfois même plutôt débiles, surtout à la fin du récit, lorsque la tension et les enjeux sont au plus haut. Elle se retrouve à plusieurs reprises dans des situations où un début de solution lui est offert sur un plateau d’argent, il lui suffit juste d’un geste très simple et évident pour faciliter sa cavale et l’approcher du dénouement qu’elle recherche ; pourtant elle va littéralement piétiner ses chances et soit juste être aveugle, soit cracher sur la solution. Je passe en spoil pour plus de précisions.
Dans le chapitre 29, après avoir été contrainte d’arracher à Emeric tous ses souvenirs, elle est déterminée à tout faire pour les lui rendre, et pour ça elle a besoin d’élixir ; elle-même, à bout de force et blessée en a bien besoin pour retrouver de l’énergie mener à bien ce qu’elle veut accomplir. Pourtant, lorsqu’elle se retrouve dans une pièce pleine de fioles de ce précieux élixir, qu’est-ce qu’elle fait ? Eh bien elle détruit tout… Logique ! Et littéralement deux pages plus loin : « J’ai mal à la tête, à la main, et je tremble […]. Ils vont m’attraper. À moins que je trouve de l’élixir. » SANS DÉCONNER !!
Un peu plus loin dans le chapitre suivant, elle en trouve de nouveau tout un stock, mais n’a même pas l’idée d’en récupérer sur elle pour être sûre d’en avoir plus tard pour Emeric… Et au moment de repartir elle pourrait prendre le masque du fendoir pour se faire un peu moins remarquer qu’avec son masque inhabituel, mais non, elle préfère ramasser le sien et continuer à être pointée du doigt…
Ces moments là m’ont vraiment fait râler contre notre héroïne, qui a possiblement été insultée de grosse greluche au passage…
Cette nouvelle lecture me laisse dont assez chagrinée car ce n’était pas mauvais, il y avait vraiment de très bons éléments, une base très prometteuse et un univers franchement prenant. J’ai vraiment aimé découvrir le monde dépeint par l’autrice et cette intrigante forme de magie. Malheureusement on y rencontre trop de couacs qui entachent l’intérêt et les enjeux que nous offrent ces pages, et c’est vraiment très dommage.