S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

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louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

- Chapitre 47 -




Vendredi 20 décembre 2024, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Le gymnase n’était jamais aussi bruyant que lorsque s’y déroulaient des événements organisés par l’École. En ce vendredi d’avant-vacances, les élèves de dernière année du parcours S.U.I avaient été invités à faire le tour d’une dizaine de stands. Chacun présentait un département de S.UI, de la A.A, de l’armée de Terre, de l’Air ou des Marines. D’autres agences du réseau de la Ghost Society s’étaient déplacées pour repérer d’éventuels jeunes talents.
L’École octroyait cette après-midi aux 7ème année pour leur permettre d’affiner leur orientation. Chaque année, près de la moitié des étudiants partait travailler pour divers corps de l’armée, en sécurité privée ou entreprenait des études universitaires. Comme l’École diplômait plus d’élèves que S.U.I en recrutait, l’orientation des lycéens en était d’autant plus importante.
Ryusuke n’était pas très à l’aise alors qu’il remontait d’un pas lent les différents stands des cinq départements de la A.A. Il les connaissait bien à présent, d’autant plus que Dimitri travaillait à la section de traque et de neutralisation. Ce n’était pas tant ce rassemblement d’agents expérimentés et de camarades excités qui lui brouillait les pensées. C’étaient ses doutes, ses craintes. L’incertitude d’un avenir déchiré entre deux inspirations.
Son désir d’étudier, de se nourrir de nouveaux sujets, d’enrichir ses connaissances et sa culture personnelle.
Son devoir envers S.U.I, pour le système de Recrues dont il avait privilégié. Pour les frais de scolarité exonérés qu’un adolescent comme lui n’aurait jamais pu se payer.
— Ryu.
Jim le tira par le bras avant qu’il ne rentre dans une élève qui faisait la queue devant le stand de la section traque et neutralisation de la A.A. Ryusuke souffla aussitôt des excuses à l’adolescente avant de lever le nez vers la table qui faisait office de support de présentation. Derrière, un Dimitri à l’expression avenante discutait avec l’élève le plus proche. Pendant un court instant, Ryu ne sut plus vraiment comment se comporter, comment saluer ces adultes qu’il connaissait, mais qui jouaient un rôle bien différent à ce moment-là.
— Comment tu fais ? grinça-t-il en se tournant vers son ami.
— Hein ?
— Pour te comporter normalement avec les adultes que tu connais ? (Ryu fit un geste vague en direction de son père adoptif.) Dimi est juste là, mais j’ai l’impression que je peux pas me permettre d’être… comme d’habitude.
Les yeux rivés vers l’agent de la A.A, Jeremy ricana.
— Mon quotidien. Tu comprends pourquoi j’étais pas mécontent quand on avait Cross, finalement ? Appeler mon père « monsieur », c’est horrible.
Jim lorgna plus loin, vers le stand d’accueil général de la A.A, où son parrain jouait de la portée de sa voix pour attirer des élèves curieux.
— Je suis entouré de gens que je connais vraiment bien, reprit-il à voix basse. Et je dois pourtant être un inconnu pour eux. C’est pas toujours drôle.
Comme il saisissait parfaitement le ressenti mitigé de son ami, Ryu plissa les lèvres.
— Tu veux qu’on aille voir un stand en particulier ? le relança Jeremy en tournoyant sur lui-même. Perso, j’ai pas spécialement envie de voir quoi que ce soit. De toute façon, je finirai à S.U.I que je le veuille ou pas.
Le ton fataliste de Jim tira une moue perplexe à Ryu. Il s’empara à son tour de son bras pour l’entraîner sur un côté du gymnase qui n’était pas encombré de stands ou d’élèves en plein remplissage de leurs vœux d’orientation.
— T’en as discuté avec Alex ? embraya Ryusuke avant que Jim ait pu dire quoi que ce soit. De tes projets avec Wyatt.
— Non. Il va juste se foutre de moi et dire que je suis une feignasse.
— Jeremy, gronda Ryu en se penchant vers lui dans une attitude menaçante, tu recommences.
— Je recommence quoi ? Sérieux, Ryu, ouvre les yeux. Que Dimitri se renseigne pour voir si tu peux concilier boulot à S.U.I et université, c’est pas choquant. Mais tu crois qu’Alex va aller voir la direction parce que sa Recrue se prend pour un rocker ?
Avant que Ryusuke puisse le contredire, le visage de Jim se fit plus amer encore.
— Et puis, je rêve pas. J’ai beau cacher mon lien avec mon père et les Sybaris, ça finira par se savoir. Et je doute qu’on me laisse tranquille une fois que je serai agent de S.U.I.
— On en sait rien, contra Ryu avec véhémence. Peut-être qu’Alex se foutra de toi. Mais t’as envie d’avoir des regrets, Jimmy ? Parce que moi, non. Et je crois sincèrement que t’as pas non plus envie de passer à côté d’un truc dingue.
— Comme essayer de convaincre la A.A que mon petit groupe de musique, ça servira mes compétences d’agent ? grogna Jim en secouant la tête. Tes études serviront ta carrière, Ryu. Surtout si tu t’intéresses toujours au management et à la gestion de projet.
Dépité, Ryusuke affronta son ami du regard avant d’objecter avec ferveur :
— C’est pas que des compétences ! C’est de l’épanouissement. Je t’ai jamais vu aussi vivant que quand tu chantes ou que tu joues avec Wyatt. Oui, les études, ça m’intéresse et ça me fait vibrer. C’est pas ton cas. Et c’est pas un problème, ajouta-t-il comme les traits de son ami se crispaient. T’as besoin de nourrir ton corps et tes idées avant ton cerveau et personne t’en veut pour ça. Avec Alex, il faut que vous défendiez ton projet. Wyatt, c’est plus qu’un groupe de rock de lycée pour s’amuser. Trice et Jay veulent faire des albums. Aiden a déjà dit qu’il serait pas choqué de vivre de la musique. Tu veux rester à la traîne, Jeremy ? Parce que t’as peur que la A.A se moque de ton projet ?
Le monologue de Ryusuke le laissa pantelant. Jim profita de son silence pour asséner d’une voix glacée :
— À priori, je vais fréquenter S.U.I jusqu’à la retraite. Alors, ouais, j’aimerais autant pas passer pour un débile naïf dès mon recrutement.
Ryu leva les yeux au ciel, s’efforça de respirer profondément avant de reprendre :
— OK, Jim, on va prendre le problème dans un autre sens. Si Dimitri arrive à trouver un compromis pour moi entre S.U.I et l’université, je travaillerai pas toute l’année. Tu feras quoi toi, alors ? On forme un binôme, je te rappelle.
— Je sais pas. Bah, ils trouveront bien un truc à faire faire à un agent de bas étage comme moi.
Heurté par les propos, Ryu resta un moment silencieux. Après quoi, il croisa les bras sur sa poitrine, s’enquit d’une voix lasse :
— Pourquoi t’es en colère ?
— Je suis pas… (Le regard de l’adolescent se perdit par-dessus l’épaule de son ami, se fit plus dur qu’il ne l’était déjà.) À cause de tout ça, putain.
Il accompagna son juron d’un geste ample des bras pour désigner le gymnase. Ses yeux restèrent pourtant accrochés à un stand dans le dos de Ryu. L’adolescent se retourna, considéra les agents aux visages fermés qui accueillaient les étudiants suffisamment téméraires pour les approcher.
Un écriteau annonçait sobrement « Ghost Society » sur la table qu’on leur avait installée.
— Merde, souffla Ryu en observant avec soin les quatre personnes présentes. Y’a quelqu’un de ta famille ?
— Non, grogna Jeremy, les dents serrées. Manquerait plus que ça.
— Je suis étonné que ton oncle soit pas venu. Comme le projet Réseau va pas tarder à commencer.
— On a encore quelques mois de paix devant nous, soupira Jim en plissant les yeux.
Un homme au crâne rasé s’était avancé pour tendre une brochure à une élève. Un froid au goût d’acide lui descendit la gorge. C’était l’espèce de sosie d’Hitman avec ses lunettes à montures raffinées. Le Fantôme qui l’avait drogué alors qu’il partait rejoindre Edward par train. La façon dont il l’avait alors traité, tel un vulgaire objet, n’avait jamais quitté Jim. Pas plus que le rappel que cet homme avait malmené sa mère et sa sœur pour les kidnapper.
Nourri par une colère que Ryu avait décidément bien devinée, Jeremy quitta le coin où son ami l’avait entraîné. Ryusuke le héla, mais Jim traçait déjà son chemin vers le stand de la Ghost Society. Il doubla les quelques élèves hésitants qui n’osaient pas approcher pour s’emparer d’une brochure aux couleurs sobres.
Quand il releva le nez, le Fantôme chauve le dévisageait froidement.
— Agent McRoy, le salua Jeremy avec un sourire acide, ça fait un bail.
— Elias, lui retourna l’homme avec un rictus tout aussi venimeux. Comme tu as grandi. Tu ressembles encore plus à ton père.
— C’est ce qu’on me dit, oui. Mon oncle serait heureux de l’apprendre, hein ?
Le rictus du Fantôme tourna à la grimace irritée. Son regard brun n’émettait aucune chaleur alors qu’il balayait Jim de la tête aux pieds. Il finit par pousser un grognement dédaigneux. Le jean troué de Jim, ses rangers et les boucles d’oreilles qui paraient ses lobes ne devaient pas être à son goût. Après tout, le centre de formation de la Ghost avait toujours pris soin de lisser ses élèves.
— C’est navrant de voir que les investissements de M. Sybaris n’auront pas duré longtemps.
— Quel dommage, répliqua Jeremy d’une voix mielleuse en froissant la brochure entre ses mains. Passez ma non-sympathie à mon oncle.
Comme l’agent McRoy avait été missionné pour tenir le stand de la Ghost Society, il se força à rester planté derrière la table. Il ne manqua pas d’assassiner du regard le dos de l’adolescent alors qu’il s’éloignait à travers la foule d’élèves.
Jeremy lui adressa une dernière œillade sombre avant de disparaître dans un couloir latéral. Il fonça jusqu’aux toilettes les plus proches, où il s’aspergea le visage d’eau. La confrontation avec McRoy avait entretenu sa colère plutôt que de l’étouffer. Et tout son corps le brûlait.
De retour dans le couloir, Jeremy se laissa glisser contre le mur avant d’étendre les jambes devant lui. Il aurait aimé maîtriser ses accès de fureur comme Ryu. S’en servir de moteur bénéfique, comme l’avait incité Myrina des années plus tôt. La laisser couler hors de lui plutôt que de la maintenir au chaud dans son cœur ; conseil qu’Ethan lui répétait bien assez souvent.
Mais laisser la colère lui échapper, la libérer, c’était accepter qu’elle ne trouve pas de cible. Que toutes les personnes qui l’avaient blessé sortiraient indemnes de leurs actes.
Jeremy poussa un rire dépité en tripotant le bracelet en cuir qu’il portait. Dire qu’il s’était targué de ne pas vouloir passer pour un imbécile naïf face à Ryu. Son désir de jeter sa colère brute aux visages des autres était pourtant un signe d’ignorance.
Cela faisait bien des années que Jim aurait dû savoir qu’on obtenait rarement réparation.

— Eh.
Propulsé hors de ses pensées rouges et noires, Jim lorgna l’adolescente à l’allure sèche qui le surplombait. Fait improbable, les cheveux de Kaya étaient encore plus ébouriffés que les siens. Ses mèches d’un blond polaire formaient un halo irrégulier et acéré autour de son visage espiègle.
— T’as ta tête de déprime.
Kaya l’enjamba pour s’installer en face de lui et tendre les pieds à son tour. Comme elle n’était pas bien grande, elle dépassa tout juste les genoux de son ami.
— Ce truc d’orientation me casse les couilles.
— Mmh. J’imagine que ça doit pas être très passionnant, pour Ryu et toi, comme vous savez où vous finirez.
— Ouais. (Jeremy s’efforça d’afficher un air moins agacé.) Et toi, alors ? Vous avez fait le tour avec Jason ?
— On s’entend pas sur la section de la A.A où on aimerait bosser. Je veux être à la traque et neutralisation. Il veut être à la criminalité.
— Merde, grommela Jim en remontant un genou pour s’appuyer dessus. Pas moyen de faire un compromis ? Quelques années dans l’une, quelques années dans l’autre ?
— J’ai pas envie de faire de compromis.
Comme elle plantait ses yeux implacables dans les siens, Jim se contenta de ricaner.
— Je te juge pas. Je crois que j’ai du mal à faire des compromis, aussi. Même pour mon propre bien.
Le visage de son amie se détendit un chouïa. Comme il ne reprenait pas la parole, elle en profita pour ajouter :
— Avec Tess, t’es peut-être le seul à comprendre mon choix. J’ai l’impression de trahir Jason. Mais si je cède, j’aurai l’impression de me trahir moi.
Ces mots heurtèrent Jeremy plus durement qu’il ne s’y serait attendu. Il laissa quelques secondes glisser entre eux, le temps de trouver une réponse qui s’approchait un tant soit peu de ses ressentis.
— J’ai parfois aussi l’impression de devoir forcément écouter les autres. Je dis pas qu’on a raison ou qu’on a tort. Juste qu’on a envie de certains trucs, qu’on se voit aller à certains endroits, mais que nos proches veulent pas. Et je sais pas trop comment faire. Parce que je leur fais confiance. Et, en même temps, j’ai envie de me faire confiance et de m’écouter aussi.
Un sourire à la teinte doucement moqueuse courba les lèvres de Kaya.
— C’est à ça que tu pensais quand je suis arrivée ?
— Plus ou moins. Avec Ryu, on se prend aussi la tête sur l’avenir. Mais contrairement à lui, je sais pas gérer la colère. Alors j’ai tendance à faire des conneries.
— Bienvenue au club, soupira Kaya en grattant l’un de ses ongles. On est les têtes brûlées de nos duos. Ryu et Jay sont des grands sages, à côté.
Comme Jim acquiesçait d’un air maussade, elle le relança :
— Ça avance, le projet d’études-boulot de Ryu ? C’est sur ça que vous vous entendez pas ?
— Plus ou moins. Dimitri est toujours en négociation. Plusieurs universités de Californie ou des États à côté proposent des formations en alternance. Reste à voir si S.U.I accepterait que Ryu travaille pas toute l’année pour eux. (Jim marqua une pause avant d’ajouter avec hésitation : ) Ryu voudrait qu’Alex fasse pareil pour moi. Mais pas pour l’université. Pour Wyatt.
Un éclair de compréhension traversa le visage de l’adolescente. Elle pinça brièvement la bouche avant de répondre :
— Ouais, j’en ai parlé avec Jay aussi. Il ose pas demander à S.U.I s’il y aurait moyen d’alléger son emploi du temps. (Kaya ramena ses jambes contre elle, sembla rapetisser.) En fait, c’est un autre sujet de dispute. J’ai envie de le voir heureux. Mais s’il bosse pas à temps plein à S.U.I, moi je vais pas attendre non plus. J’ai besoin de me lancer à fond ou pas du tout.
Jim décolla la tête de son genou pour considérer son amie avec préoccupation.
— Si je comprends bien, votre binôme risque de sauter une fois qu’on sera sorti de l’École.
Comme Kaya crispait les poings de part et d’autre de ses cuisses, Jeremy comprit l’erreur de sa franchise un peu trop brutale. Alors qu’il ouvrait la bouche pour s’excuser, Kaya le devança :
— Retire pas ce que tu as dit, t’as raison. (Devant la moue gênée de l’adolescent, son sourire se fit plus incertain.) Jay et moi, on est plus sur la même longueur d’ondes. Ça me fait vraiment chier de m’en rendre compte maintenant. On est amis depuis des années. Mais c’est comme ça.
Sa résignation était froide et dure. Gravée dans la pierre. Même si Jim en éprouva une certaine douleur par empathie, il en fut aussi drôlement admiratif. Il n’aurait jamais eu la même rapidité d’acceptation. Rien que l’idée que Ryu s’éloigne de Modros pour ses études jetait de l’huile dans le feu de ses entrailles. Il avait déjà du mal à s’y faire pour Ivana, mais il y avait quelque chose de plus pernicieux dans l’absence de Ryusuke.
La crainte de le perdre, encore une fois. Une fois de trop.
— Tu crois que Jay en a conscience ?
— Nan. Il se voile la face. (Elle flasha un bref sourire de moquerie bienveillante à l’encontre de son ami.) Un idéaliste au cœur trop mou comme toi. Il est persuadé qu’on peut trouver un terrain d’entente.
— Et… en faisant des efforts tous les deux, tu crois pas que…
— Je finirai pas effacer qui je suis et ce que je veux. (Kaya enroula les bras autour de ses genoux, les yeux dans le vague.) C’est égoïste, mais réaliste. Et si je dois être la méchante de nous deux, je prends volontiers le rôle. Jay pourrait pas le supporter quoi qu’il en soit. Et je lui en veux pas. Il a trop morflé ces derniers temps.
La brûlure dans le ventre de Jeremy remonta jusqu’à sa gorge puis à ses yeux. Il serra les paupières pour que Kaya ne remarque pas son trouble et marmonna :
— Je crois pas que Jay t’en voudra de vivre ta vie. Il commence à prendre la sienne en mains. T’es sa meilleure amie… il sera heureux de te savoir heureuse.
Kaya considéra Jim un instant avant de ricaner. Il l’avait déstabilisée.
— Tu parles comme un poète, toi, maintenant ? C’est Ryu le poète de service.
— On se laisse influencer par les meilleurs.
La répliqua tira une moue amusée à l’adolescente, qui lâcha ses jambes pour se redresser. Comme elle lui tendait la main, Jim l’accepta. Une fois debout face à face, ils échangèrent un regard penaud.
— Tu devrais vraiment réfléchir à ce que tu veux, marmonna Kaya en observant le gymnase à l’autre bout du couloir. En plus, je suis sûre que Ryu ou ta famille te verront pas comme un égoïste. Tu passes déjà ton temps à essayer de faire au mieux pour eux.
À la fois touché et agacé, Jeremy hocha la tête avec un sourire crispé. L’idée de faire un choix pour lui et lui-même seulement le perturbait franchement. Ne pas prendre en compte les attentes de ses parents, les remarques de sa sœur, les conseils de Ryu, les espoirs de Mike ou d’Alex…
Un grand vide s’installa à la place du feu dans ses entrailles. Jeremy n’avait jamais vraiment agi pour lui-même. Il avait agi par lui-même, souvent à l’encontre des attentes de son entourage, mais rarement dans un but purement personnel. Soulager sa mère, rassurer sa sœur, accompagner son meilleur ami, protéger ses proches…
Alors que Kaya s’éloignait dans le couloir, Jim s’appuya contre le mur. Le vide s’étendait à ses pensées. Comment faisait-on pour se soulager, se rassurer, s’accompagner et se protéger soi-même ?
Un rire fébrile lui secoua la poitrine. Il n’avait pas la réponse. Pas encore.



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Dernière modification par louji le ven. 10 mai, 2024 8:01 pm, modifié 2 fois.
louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

- Chapitre 48 -



Vendredi 14 février 2025, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Les oreilles baignées par la musique, plongée dans l’ivresse intemporelle de l’écriture, Ivana faillit manquer les coups contre sa porte. Elle poussa son casque audio en arrière, son stylo figé au-dessus d’un cahier noirci de paragraphes.
— Jihane ?
Une voix s’éleva, étouffée par le battant. Une intonation et un accent similaires à ceux de sa mentor. Et même si son interlocuteur avait abaissé ses octaves, son timbre était encore trop grave.
Avec un sourire en coin, Iva se redressa sur son lit et lança à la cantonade :
— Entre, foutu imbécile.
Comme elle était retournée à son cahier, Ivana ne remarqua pas immédiatement le bouquet de fleurs dans la main de son copain. Elle en huma d’abord le contenu avant de redresser le cou, les yeux écarquillés. Jim n’avait pas lésiné sur le nombre. Une vingtaine de fleurs, d’au moins une dizaine d’espèces et tout autant de couleurs, avait été rassemblée dans une coupole de papier graphique.
— C’est ma mère qui l’a fait, souffla Jeremy en tendant le bouquet à la jeune femme. Je savais pas du tout quoi prendre comme fleurs. Je lui ai fait confiance.
— T’as bien fait, je sais même pas ce que j’aime comme fleurs. (Les yeux remplis de gratitude, Iva observa avec attention le jeu de formes et de nuances.) Mais c’est magnifique, merci. Ta mère est douée.
— Et passionnée. (Jim bascula les yeux vers le carnet rempli de lignes nettement tracées, s’en empara avant que sa copine puisse protester.) Comme toi. Alors, c’est quoi cette fois ? Quintuple meurtre ?
— Tu exagères, marmonna Ivana en quittant son lit. Je vais chercher un vase.
Tandis qu’elle disparaissait dans le couloir, Jeremy ôta ses chaussures, jeta sa veste aviateur sur la chaise de bureau et déposa ses affaires au pied du lit. Après s’être assis au bord du matelas, il prit le temps de lire quelques passages du carnet. C’était un récent, d’après le peu de pages remplies. Un nouveau roman ? Iva en avait déjà terminé deux.
Accaparé par la lecture de cette amorce de thriller, Jim ne remarqua pas tout de suite le retour de sa copine. Ivana profita de sa concentration pour humer les fleurs et chercher le meilleur endroit de sa chambre pour les exposer. Elle devait reconnaître que les élans romantiques de Jim n’étaient pas si déplaisants. Au cours des derniers mois, il avait eu plus d’une attention à son égard, de la simple lettre pleine d’affection glissée dans sa boîte à l’invitation dans un restaurant chic du centre-ville.
— Ça te plaît ?
Jeremy leva une moue coupable dans sa direction. Il savait très bien qu’Ivana détestait qu’on lise son travail avant qu’elle s’en estime satisfaite. Des deux polars qu’elle avait déjà écrits, il n’avait pu lire que la première moitié du plus ancien. Elle en était à l’étape de la réécriture, d’après ses dires.
— J’ai lu que quelques lignes, mais tu m’as putain de captiver, avoua-t-il en refermant le carnet. T’as un truc, ma chips la plus croustillante du paquet.
Ivana leva les yeux au ciel en s’approchant de lui. Comme Iva lui avait dégoté un surnom et toujours pas lui, Jeremy tentait une nouveauté à chacune de leurs retrouvailles. Bien entendu, le ridicule devait être au rendez-vous.
Comme elle poussait son cahier pour s’asseoir en tailleur à côté de lui, Jim se pencha pour l’embrasser. Après le froid de l’extérieur, la peau d’Iva lui semblait inhabituellement chaude.
— Je t’aime, chuchota-t-il sans trop s’éloigner de son visage.
— Je t’aime aussi, mon étincelle, murmura Ivana en reculant la tête. Mais tu sors des cours, là, non ? Va prendre une douche !
Son copain s’esclaffa, tira sur son haut pour le renifler.
— Je comprends pas, ça fait que trois jours que je le porte.
— Allez, va te laver. (Comme il se penchait sur son sac d’affaires pour récupérer des vêtements propres, Ivana s’enquit : ) Et t’as souhaité bon anniversaire à ta mère, au moins ? Pas que je sois mécontente de t’avoir pour la Saint Valentin, mais…
— Je lui ai souhaité, la coupa Jim avec une moue boudeuse. Mais elle passe la soirée avec mon père à l’appart. Thalia est avec Grace et Jason.
— Oh. (Avec un sourire jusqu’aux oreilles, Iva lança d’un ton moqueur : ) Donc tu penses toujours pas que tes parents…
— Comme dit mon parrain, ils sont adultes et font bien ce qu’ils veulent.
Avant que sa copine puisse insister, Jim afficha une grimace volontairement dégoûtée.
— Et je veux pas savoir ce qu’ils font.
— Tu sais très bien, se moqua Ivana alors qu’il poussait la porte de la salle de bains attenante. Qui sait, tu seras peut-être grand frère une deuxième fois ?
Jim rouvrit la porte qu’il venait de verrouiller. Son visage était orageux.
— C’est mort.
Il claqua le battant avant qu’Ivana puisse répondre. Amusée, elle récupéra son stylo et son cahier. Il était temps de retourner à son enquête, aux profusions de sang et aux nuits sans lune.

Installé à même le tapis à poils longs jeté aux pieds du lit, Jim observait Iva. À plat ventre, elle grattait son cahier avec une cadence et une précision qui étonnaient l’adolescent. À présent qu’ils se connaissaient bien, il n’aurait pas vraiment dû en être surpris. Ivana plongeait le cerveau grand ouvert dans tous ses projets. Elle emmagasinait les informations, les connaissances, les digérait pendant quelques jours avant de retranscrire le tout teinté de son intellect et de ses opinions.
Que ce soit dans ses activités d’association au lycée, ses cours d’arts martiaux avec Jihane, les réunions de préparation qu’elle tenait hebdomadairement avec son père, Ivana donnait tout. Jim en était fasciné, de cette énergie et de cette détermination. Il avait essayé de s’en inspirer au début, avant qu’Iva lui fasse remarquer qu’il ne faisait que s’épuiser dans une comparaison qui n’avait pas lieu d’être.
À quelques occasions, Jeremy avait craint qu’Iva le prenne pour un garçon trop simple, avec un déficit d’ambition et de curiosité intellectuelle. Mois après mois, discussion après discussion, Ivana avait rétabli la sérénité qui lui manquait. Elle ne voulait pas sortir avec un amas de matière grise, une liste d’objectifs de vie, un plan de carrière ou un critique artistique. Elle voulait aimer et partager avec un autre être humain, sur tous les plans de la vie.
Aimer ses sourires, ses chansons, ses petites attentions. Partager ses concerts, la chaleur de ses bras et les instants de doute.
— Jem, murmura Ivana relevant le cou, ça me fait bizarre quand tu me regardes comme ça.
L’adolescent s’agita sur le tapis, gêné d’avoir été pris sur le fait. Comme Ivana était toujours plongée dans une occupation, elle comprenait mal les minutes que pouvait passer son copain à observer les gens ou les événements.
— Ça me vide la tête quand je te regarde, expliqua-t-il, sûrement pour la dixième fois depuis leur rencontre. Et ça me fait du bien.
— Tu veux pas jouer ? lui proposa Iva avec un coup de menton en direction de la guitare sèche que Jeremy avait sorti de son étui sans y toucher. Me regarder, ça te fait du bien, tu dis ? Moi c’est t’entendre chanter.
Face à l’expression embarrassée de Jeremy, elle lui adressa un sourire mutin.
— C’est le deal. T’as le droit de me regarder écrire. Mais tu le fais en jouant.
— Marché conclus. (Comme il récupérait l’instrument pour le caler contre lui, Jim marmonna : ) J’espère que ton père n’a plus de doutes sur la reprise de l’entreprise familiale. Rarement connu une personne qui négociait aussi bien.
Ivana rit de bon cœur sans arrêter d’écrire. La scène qu’elle avait entamée l’inspirait particulièrement. Il y régnait une tension en parfaite opposition à celle de sa chambre. Et cet antagonisme lui plaisait.
— Allez, joue.
Les premières notes s’élevèrent quelques secondes plus tard. Ivana adorait Wyatt et la symbiose qui s’en dégageait. Simplement, leur répertoire n’était pas forcément à son goût. Alors quand Jim prêtait sa voix pour interpréter les balades qu’affectionnait Ivana, elle s’évadait.
La voix vibrante de Jeremy n’était pas assez mise en valeur par les compositions de son groupe. Iva en avait même discuté avec Jason et Trice, mais ils ne savaient pas forcément comment faire. Tant pis, elle avait pris les devants. Sélectionné des morceaux où les chanteurs présentaient des similitudes avec son copain. Une gamme de notes de même taille. Des timbres harmonieux.
Une fois sa liste de chansons constituée, Ivana l’avait confiée à Jim. Son copain ne s’était pas intéressé à tous les titres, mais une grosse dizaine avait retenu son attention. C’était bien assez pour Iva. Et les concerts privés qu’il lui dédiait enveloppaient son cœur d’une douceur qu’elle n’avait jamais connue sous cette forme-là. Un refuge de sérénité qu’ils ne partageaient qu’à deux.

Au bout de la quatrième chanson, Jeremy repoussa la guitare pour boire un coup. Ses cordes vocales le tiraillaient. La dernière répétition avec Wyatt avait été éreintante. Alors qu’il revissait la bouteille, le dos calé contre le lit, la respiration d’Iva effleura son cou. Jim se redressa, mais ne bougea pas lorsqu’elle déposa un baiser sur sa nuque.
— Et voilà, marmonna-t-il d’un ton bougon en levant les bras. J’ai des frissons partout.
— Oh mince.
L’absence totale de culpabilité dans la réponse lui tira un sourire. Jeremy se retourna pour faire face à l’adolescente. Elle avait fermé son cahier et dénoué ses cheveux. Le mode écriture était terminé. Il glissa les doigts entre ses mèches souples, en apprécia le soyeux.
Ivana en profita pour lui agripper le bras et le mitrailler de mini-bisous. Comme elle remontait vers son épaule, les effleurements se muèrent en chatouilles. Il se retint de rire, bondit sur ses talons pour échapper à l’emprise de sa copine.
Comme ils échangeaient un regard en silence, Iva roula sur le dos et tapota la place disponible à côté d’elle. Jeremy ne tarda pas à la rejoindre, les yeux rivés au plafond. Comme elle calait sa tête dans le creux de son épaule, il chuchota avec difficulté :
— Désolé, Iva.
— De quoi ?
— De ça, grinça-t-il en se tournant sur le flanc pour l’observer droit dans les yeux. De pas être… Enfin, je crois que je suis prêt. Mais je suis pas entreprenant.
— Jem, c’est pas grave. Je te l’ai déjà dit. On va à notre rythme, tu te rappelles ?
— Oui. Mais tu dois en avoir marre d’attendre. Surtout si tu l’as déjà fait avec ton ex.
— Parce que c’est une compétition maintenant ? le rabroua-t-elle sans méchanceté. Vous êtes deux personnes différentes, aux dernières nouvelles. Y’a rien de choquant à que les choses se passent pas de la même manière.
Jim tenta une ébauche de sourire qui ne convainquit ni sa copine ni lui-même. Ivana soupira, passa une main sur sa tempe. Elle caressa la cicatrice sur son arcade avant de glisser le long de sa mâchoire.
— Ce sont tes cicatrices qui te bloquent encore ? murmura-t-elle en poussant son bras jusqu’à l’épaule de Jim. Ton dos ?
— Oui. J’ai pas envie de te dégoûter.
— Tu me laisses pas en juger, mon étincelle. (Elle remonta les doigts pour réaliser des mouvements circulaires sur sa nuque.) Et, de toute manière, tu sais que je te jugerai jamais là-dessus.
— Je sais, Iva. Mais ça peut te repousser. Et je comprendrais. Ma peau… c’est différent. C’est pas la même texture ou la même couleur.
— Mmh, à priori, c’est pas ton dos que je verrai, tu sais.
Les pommettes de Jim se teintèrent de rose, mais il accueillit la remarque avec un sourire. Iva n’en laissa rien paraître, mais c’était une petite victoire. L’intimité était un sujet délicat entre eux. Ivana ne reprochait pas à Jeremy son manque d’expérience ou sa pudeur. Mais il marquait un point à propos d’entreprendre des gestes d’affection. En dehors des étreintes et des baisers, Jim ne lui accordait pas grand-chose. Et Ivana devait reconnaître que ça commençait à créer un manque de contact physique et intime.
— Sans parler de passer aux choses sérieuses, reprit Ivana pour l’apaiser, j’aimerais juste savoir si… si déjà tu accepterais de me laisser voir. Et toucher.
— Tu parles bien de mon dos, là ?
— Tu vois que tu peux être détendu sur le sujet, le nargua-t-elle en se redressant en position tailleur.
Il l’imita, mais son regard avait adopté une teinte incertaine. Avant qu’Iva puisse le rassurer de nouveau, Jeremy agrippa le bas de son t-shirt et le passa par-dessus sa tête. Le sourire penaud qu’il lui adressa retira un poids des épaules d’Iva. Le stress lui mordillait douloureusement les tripes, mais Jim se raccrochait à la confiance qu’ils avaient bâtie.
Reconnaissante, prudente et troublée, Ivana se rapprocha pour l’étreindre d’un bras. Elle avait déjà remarqué à quel point sa peau était chaude en toutes circonstances. Cet hiver, sa tiédeur constante avait été un refuge. Et la raison de quelques protestations quand elle infiltrait ses mains gelées sous la veste de son copain.
— Ça te va, comme ça ?
Elle avait remonté son autre bras sur la partie droite – la saine – du dos de Jim. Elle patienta jusqu’à ce qu’il donne son approbation par voie orale. Alors seulement elle glissa ses doigts sur sa peau. En sentant ses vertèbres, elle ralentit puis s’arrêta franchement.
— Toujours OK ?
— Oui.
Les bras tremblants, Iva ferma les yeux en posant le menton sur l’épaule de son copain. Son premier « je t’aime » l’avait profondément émue. Mais ce « oui » avait une puissance toute aussi déstabilisante. Confier l’intensité de ses sentiments était une étape-clé. Confier la vulnérabilité de son corps en était une autre.
Jeremy n’avait pas menti, à propos de la texture. Sous la pulpe de ses doigts, elle sentit nettement le début des brûlures. Les greffes de peau avaient été nombreuses, pour réparer ce dos ravagé par les flammes.
Ivana traça un schéma mental de ses cicatrices. La circonférence, la naissance près de l’omoplate et la fin à la chute des reins. La façon dont elles narguaient sa colonne vertébrale et ses côtes. Les creux et les bosses. Les aplats et les vallons. Les montagnes des opérations à répétions. Le champ de bataille de mois d’hospitalisation.
— Iva ? murmura Jim d’une voix inquiète. Ivana ?
Quand elle rouvrit les paupières, elle remarqua les sillons cramoisis qu’elle avait déposés sur l’épaule de Jeremy. Ses ongles plantés dans sa chair. La colère, la peine. En silence, elle pleura le jeune homme qui craignait de la dégoûter. Elle pleura aussi le jeune garçon qui avait dû subir tout ça. Ne garda que la rage pour s’exprimer.
— Qu’Alexia Sybaris aille se faire foutre, hein ? gronda-t-elle tout bas en passant ses deux bras autour des épaules de Jim.
Désemparé, Jeremy ne répondit pas dans l’instant.
— Elle a détruit ta famille, continua Ivana d’une voix rêche de colère. Elle a bousillé ton corps et ton esprit.
— Pas que moi, avoua Jeremy en baissant le cou. Mon père et ma mère aussi.
Ivana cassa l’étreinte pour sonder le visage de Jim. Elle remarqua la rage glacée au fond de ses yeux vairons, s’en sentit rassurée. Derrière sa tristesse se tenait toujours la hargne vengeresse. Prête à surgir. Quand l’occasion viendrait.
La poitrine comprimée par un mélange de soulagement, de tendresse et de reconnaissance, Ivana plaqua les lèvres contre celles de Jim. Il se crispa, avala de travers quelques pensées et goulées d’oxygène, avant de réussir à se recadrer. Alors Jeremy agrippa l’épaule d’Ivana pour la stabiliser avant qu’elle ne s’effondre sur lui et plaça son autre main au creux de sa taille.
Jim avait oublié les brûlures ancrées à sa chair quand ils roulèrent ensemble contre les oreillers. C’étaient les brûlures des baisers, des caresses et des soupirs, à présent. La brûlure dans son cœur avait éclipsé Alexia Sybaris et tout le reste.
Il ne se consumait plus que pour Ivana.



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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

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Aaaah si vous saviez comme j'ai pris plaisir à écrire ce chapitre ♥


- Chapitre 49 -



Lundi 3 mars 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Ce n’était que leur troisième cours d’histoire avec le remplaçant, mais Ryusuke l’appréciait déjà beaucoup. Il n’avait pas encore trente ans, ce qui facilitait l’échange avec les lycéens de dernière année, mais ce n’était pas tout. À chaque leçon, il avait prévu une partie plus ludique à base de quizz en ligne ou de débat entre élèves. Certes, ils sortaient avec un peu en retard de classe, mais c’était un mal pour un bien aux yeux de Ryu.
Quand la sonnerie retentit, M. Grace porta un regard déçu à l’horloge électronique avant d’abaisser l’écran de son ordinateur portable. Ryusuke rassembla lui aussi ses affaires avec dépit. Comme c’était le dernier cours de la journée, il en profita pour s’avancer jusqu’au bureau du professeur. M. Grace sourit en l’apercevant, le bleu glacé de ses yeux toujours contrebalancé par l’obligeance inscrite sur son visage.
— Pas de débat, cette fois ? se désola Ryu avec petit rire.
— Désolé, souffla le prof en lorgnant les rares élèves qui tardaient. Si tu trouves des camarades assez passionnés pour finir dix minutes plus tard, tu auras ton débat au prochain cours.
— Je suis sûr qu’Emily voudrait bien. (Ryu remarqua l’intéressée sur un côté de la salle, mais elle était occupée à ranger ses affaires.) Et même Jeremy.
Son ami l’attendait avachi sur son bureau. Au fil des ans, la manie de Ryu de discuter avec leurs professeurs ne s’était pas tarie. Jim avait fini par se résigner. Et ce n’était pas si mal, parfois. Touchés par la curiosité de Ryu, certains enseignants leur soufflaient des indices sur les chapitres à réviser pour les contrôles ou sur ce qui les attendait au programme.
— Dites, reprit Ryu d’une voix engourdie, vous allez rester jusqu’à la fin de l’année ? Je vous trouve beaucoup plus pédagogue que notre ancienne prof.
Les lèvres minces du professeur s’étirèrent. Il tripota à son poignet un bracelet tressé aux tissus ternis par les années avant de répondre :
— À priori, le congé maternité de votre prof d’histoire doit se poursuivre jusqu’à cet été. Alors j’imagine que oui. (Comme les traits de Ryu s’illuminaient, M. Grace ajouta avec empressement : ) Enfin, je suis prof depuis quelques années seulement. Je sais pas s’ils vont me laisser gérer une classe de dernière année, avec les examens qui vous attendent.
— Je croise les doigts, en tout cas, s’extasia Ryu en levant un index et un majeur qui se chevauchaient. Bonne soirée, M. Grace.
— Bonne soirée, Ryusuke.
Il venait d’atteindre le bureau de Jim pour lui secouer l’épaule quand leur prof remplaçant lança depuis l’estrade :
— Au fait, je viens du public à la base. Et on me laissait être beaucoup plus… proche avec les élèves. (Avec une moue gênée, il passa une main dans sa masse de cheveux noirs.) Je demandais à mes élèves de m’appeler Zach. Ça facilite le contact. Si ça ne vous dérange pas…
— On vient du public aussi, le rassura Ryu d’un air entendu. Alors, pas de soucis.
Après avoir baillé longuement, Jeremy s’extirpa de sa chaise et considéra le professeur.
— Vous êtes cool. (Sans plus de formalités, il tourna les talons.) Salut.
Ryu adressa un sourire d’excuse pour son ami et le rejoignit dans le couloir. Il baillait de nouveau, les yeux embués. Comme l’anniversaire de Jeremy tombait en semaine, ils s’étaient tous retrouvé pendant le week-end pour le fêter en avance. Mais il fallait croire que Jim récupérait moins bien que sa bande d’amis.
Trop ensommeillé pour faire attention à son chemin, Jim bouscula une élève qui traversait en perpendiculaire. Son sac-à-dos – qui tenait sur une seule épaule – glissa au sol tandis qu’il perdait l’équilibre à son tour. Ryu bondit pour agripper sa veste et l’empêcher de s’étaler au milieu du couloir.
— Mais t’es toujours un aussi gros naze, c’est pas vrai.
La voix rêche crispa Ryu, mais elle déclencha chez Jeremy un abrutissement inhabituel. Avant que Ryusuke ait pu s’interposer entre les deux pour calmer la tension, son ami sauta à moitié sur l’inconnue. Elle poussa un grognement excédé tandis que Jim émettait un étonnant bruit de gorge à mi-chemin entre le geignement et le cri de joie. Quant à Ryu, il resta coi d’incertitude.
— Becca, oh bordel, s’étrangla Jim d’une voix qui menaçait d’éclater. Oh putain j’y crois pas.
— Jeremy, tu m’écrases, contra l’intéressée avec fermeté. T’as grandi, abruti.
Ils finirent par se séparer ; Jim avec un sourire incrédule, Rebecca avec un rictus agacé. Ryu ne se détendit pas pendant qu’ils se toisaient en silence. Une tension électrisait le couloir vide de toutes discussions.
— Tu m’as manqué, grand gamin, souffla alors Rebecca en faisant tomber son masque de glace.
— Toi aussi, lui retourna Jeremy d’un ton aussi tremblant que ses jambes.
Les cousins échangèrent un sourire de connivence, leurs yeux remplis d’étincelles espiègles. Comme ils se faisaient face, Ryu n’apercevait pas complètement leurs visages, mais la ressemblance le bouscula. Il y avait dans la silhouette élancée de Rebecca un écho de celle de Jim. Dans son regard féroce la hargne qui pouvait habiter son ami. Les lignes de leur mâchoire, de leur nez, de leur front et de leurs pommettes étaient tracées selon un même code.
Consciente de la présence de Ryu, Rebecca Sybaris finit par se tourner vers lui. Bien qu’elle ait abaissé sa muraille de fer et de glace, il demeurait quelque chose d’inflexible chez elle. Si l’ambre de son regard lui était familière, elle avait un éclat acéré qu’il n’avait jamais vu chez Ethan ou son ami.
— Ryusuke, entama l’adolescent en se rappelant les fondamentaux de la politesse. Ravi de te rencontrer Rebecca.
— De même, répondit la jeune femme avec concision. Jeremy m’a pas mal parlé de toi.
— En bien, j’espère.
— Non, en mal, tu sais que c’est son genre.
Ryusuke accueillit l’humour pince-sans-rire d’un grand sourire. Même si Rebecca était loin d’afficher la sympathie des Wayne-Hunt, l’authenticité un peu brute qui se dégageait de ses mots et de son attitude le rassurait. Il préférait être rudoyé par une franchise sans malveillance qu’être choyé par une hypocrisie douce-amère.
— T’es là depuis quand ? intervint Jim qui s’était presque mis à tressauter d’excitation. Tu me cherchais ?
— Depuis quinze minutes à tout casser. Je te cherchais, oui, mais tu m’aies rentré dedans.
— Le destin, affirma Jeremy avec grand sérieux en ramassant son sac.
Sa cousine ricana, les bras croisés sur la poitrine. Même s’il se savait indélicat, Ryu ne pouvait s’empêcher de la dévisager. Ils se ressemblaient tellement. Il avait déjà vu des photos, mais la réalité le criait bien plus fort. Thalia aurait eu l’air d’une étrangère, à côté d’eux.
— Plus sérieusement, qu’est-ce que tu fais là ?
— Je suis venue avec mon père et d’autres personnes de la Ghost. On doit discuter des derniers préparatifs du projet Réseau. (Comme son cousin acquiesçait d’un air sombre, elle ajouta d’une voix plus tendre : ) Et bon anniversaire, gros naze. Bienvenue dans la majorité.
— Merci. (Il se tapota le visage avec une moue songeuse.) Pas senti de grand changement encore.
Alors que sa cousine levait les yeux au ciel, Jim se raidit.
— Attends, ton père ? Putain, il…
— Il est au Centre, le coupa Rebecca en devinant la nature de son inquiétude.
Les traits de Jeremy retrouvèrent une consistance. Emporté par la joie de retrouver sa cousine après trois ans de séparation, il en avait effacé ce que son arrivée signifiait vraiment. Le projet Réseau. La Ghost Society. Les Sybaris.
Avant de laisser une colère écœurante s’emparer de lui, Jim prit sa cousine par le bras.
— Je peux te présenter à ma famille ?

Rebecca serrait les dents alors que son cousin l’entraînait à travers les couloirs et escaliers de l’École. Tout cet espace était un peu renversant. Elle ne fréquentait plus le centre de formation de la Ghost depuis deux ans, mais ses années d’étude enfermée dans un lieu semi-enterré ne s’oubliaient pas aussi facilement.
L’École brillait. Sous le soleil californien, ses bâtiments aux façades claires, aux toits gris foncé et aux nombreuses fenêtres illuminaient la cour, les terrains d’entraînement et le gymnase. Elle s’était sentie petite en franchissant le poste de sécurité aux côtés de son père. Rassurée, en même temps. Il valait mieux que le projet Réseau se déroule ici. D’un point de vue logistique, il y avait plus de place, un internat prêt à accueillir des élèves et des terrains d’entraînement tout autour de la ville.
— Jeremy, entama-t-elle alors qu’ils grimpaient une volée d’escaliers, tu es sûr que…
Elle se tut lorsqu’il lui jeta un sourire enthousiaste par-dessus son épaule. Elle ne voulait pas effacer ça. Pas effacer ces étincelles dans ses yeux expressifs, ces fossettes étrangères dans ses joues. Les Sybaris et le centre de formation l’avaient bien assez fait pendant un an et demi. Il avait étouffé le feu de sa propre existence pour s’adapter. S’était réduit à l’état de cendres pour donner aux Sybaris les flammes maîtrisées dont ils avaient besoin.
Il brûlait, brillait, de nouveau. Rebecca ne voulait surtout pas souffler sur cette lumière. Alors elle se laissa mener, même si ses propres flammes vacillaient à cet instant. Elle n’était pas sûre d’être prête à rencontrer la famille de Jim. Ses parents. Sa sœur.
Lorsqu’Edward avec retenu Maria et sa fille captives, Rebecca n’avait jamais su ce qui se tramait tout près d’elle. Ainsi, même si elles avaient passé plusieurs semaines à proximité, elles ne s’étaient pas rencontrées. À vrai dire, Becca savait si peu de la famille de son oncle, en dehors des dires de Jeremy. Même cet oncle était un étranger. Elle avait vu des photos, jeté un œil discret sur des échanges de mails entre son père et lui. Mais, en vingt ans d’existence, Ethan ne s’était jamais trouvé dans la même pièce qu’elle.
Dans un geste de réconfort, elle voulut serrer le fourreau du poignard qu’elle portait habituellement à la ceinture. Sa main se referma sur du vide. Emplit son cœur du même abysse. Les vigiles au poste de contrôle l’avaient récupéré. Même en tant que Fantôme, Rebecca ne pouvait transporter ce genre d’armement dans l’enceinte de l’École.
Résignée, la jeune femme se contenta de se laisser mener par Jim. C’était un retournement de situation amusant. Trois ans en arrière, c’était elle qui jouait les grandes sœurs au sein du centre de formation pour le protéger. Elle examina ses épaules tandis qu’ils remontaient un couloir silencieux. Il avait grandi et pris en stature, bien entendu. Ce n’était pas tout. Il y avait toujours cette nervosité impulsive chez lui, mais elle était cadrée par un tempérament plus confiant.
Dans leur dos, Ryusuke suivait en silence. Rebecca lui adressa un coup d’œil, se détendit en remarquant la tendresse dans son regard sombre. Au fil des mois, Jim s’était confié à sa cousine à propos du désaccord qui l’avait opposé à son meilleur ami. Bien que Rebecca n’ait pas pu faire grand-chose à l’époque pour le soulager, elle était rassurée que ces deux-là se soient rabibochés.

Au bout de quelques mètres, Jeremy s’arrêta brutalement. Comme il n’avait pas prévenu, le nez de Rebecca rencontra désagréablement son dos. À peine conscient de sa maladresse, Jim pivota sur ses talons.
— C’est la salle des profs. (Il leva le poing, prêt à frapper, avant de stopper son geste.) Euh, t’es OK pour rencontrer mon père, au fait ?
— C’est maintenant que tu demandes, abruti ?
Il piqua un fard, se tassa sur place. Rebecca soupira avant de donner un coup de menton vers la porte.
— Ton père est là, tu es sûr ?
— Il reste toujours un moment en salle des profs à la fin de journée.
La jeune femme hocha la tête, croisa les bras sur sa poitrine pour se donner contenance. Elle avait évolué au milieu des Sybaris, affronté les tornades de leurs colères, le blizzard de leur mépris, les séismes de leurs disputes. Ethan était un tapis de feuilles mortes, elle le savait grâce à Jim. Un sol stable, souple, à la douceur nostalgique.
Elle avait pourtant le trac. Roulé en boule au creux de ses tripes. Logé confortablement en haut de sa gorge.
— Appelle-le.
Rebecca fut plutôt satisfaite de constater que sa voix portait toujours autant. Son cousin hocha la tête avec reconnaissance avant de frapper à la porte. Un homme chauve aux épaules larges leur ouvrit. Dévisagea les trois jeunes gens à tour de rôle.
Ses yeux bruns s’attardèrent sur Rebecca, se plissèrent avant de s’écarquiller. Sans commenter, il expédia un bref rire moqueur avant de se tourner à demi.
— Ethan, c’est pour toi.
Quelques éclats de voix. Jeremy recula, prêt à introduire sa cousine à son père, mais une femme apparut à la place d’Ethan. Il la reconnut une demi-seconde avant qu’elle ne lui saute au cou.
— Oh, Jeremy !
Le parfum de Myrina lui satura les narines et ses cheveux lui chatouillèrent le visage, mais il s’en moqua bien. Il referma les bras sur le dos de la femme, un geste dont il n’avait jamais eu l’audace au centre de formation.
— Myrina, s’étrangla-t-il une fois séparés l’un de l’autre. J’suis trop content de te revoir.
— Moi aussi.
Après avoir emprisonné son visage entre ses mains parées de bagues dorées, Myrina profita de ses talons pour lui embrasser le front. Elle se tourna ensuite vers une Rebecca médusée.
— Je croyais que tu étais au Centre avec papa.
— Je me suis éclipsée discrètement, souffla Myrina d’un air conspirateur. Ton père peut bien assumer pour moi la présentation de la Ghost.
Elle quitta des yeux Jim et Rebecca pour considérer l’homme qui s’était approché en silence.
— Et puis, il y avait plus important. (Myrina considéra Ethan avec un sourire doux-amer.) Je n’avais pas vu mon cousin depuis des années.
Jeremy n’associait tellement plus son père aux Sybaris qu’il en oubliait parfois les liens familiaux, tangibles, qui les unissaient malgré tout. Ethan remercia son collègue avant de refermer la porte derrière lui. Une fois tous les cinq dans le couloir, Ryu en spectateur hésitant à quelques mètres, les Sybaris se sondèrent pendant un moment.
Après avoir claqué des mains, Myrina prit les devants.
— Ethan, je te présente ta nièce, Rebecca.
— Enchanté, avança l’homme avec un petit sourire à l’adresse de la jeune femme. Je suis navré que nous n’ayons pas pu faire connaissance avant.
— Pas de soucis, répondit-elle par automatisme, plus troublée qu’elle ne voulait le reconnaître.
Était-ce ainsi que s’était senti Jim en rencontrant Edward pour la première fois ? Cette impression d’inconnu familier. De repères sans en être. D’image troublée. Un clone au regard moins acéré, au rictus moins dur, à l’expression plus pensive.
— On peut peut-être parler ailleurs ? suggéra Jeremy en profitant du silence qui s’installait. Faut qu’on retrouve Thalia, aussi.
— Tu sais où elle est ?
La pointe d’inquiétude qui perça dans la voix d’Ethan serra le cœur de Rebecca. C’était une intonation qu’elle n’avait entendue dans celle de son père qu’à quelques reprises. Mais ces occasions avaient été suffisantes pour la marquer. Pour qu’elle reconnaisse ensuite cette inflexion particulière.
— Sûrement au tutorat, répondit Jim avec un haussement d’épaules.
Ethan hocha la tête, salua d’un sourire Ryusuke qui attendait plus loin dans le couloir. Après avoir jeté un coup d’œil à sa cousine et à sa nièce, il proposa :
— On doit fêter l’anniversaire de Jem au restaurant ce soir. Ça vous dirait de venir avec nous ?
Désemparée par la proposition, Rebecca consulta Myrina. La femme lui accorda un léger mouvement du menton avant de répondre :
— Ton imbécile de frère va sûrement tirer la tronche, mais nous acceptons avec plaisir.
Les traits d’Ethan se crispèrent à la mention d’Edward, mais il eut la courtoisie de sourire.
— C’est un mal bien faible par rapport à ce qu’il a pu me faire. Je pense qu’il s’en relèvera.
Sans ajouter quoi que ce soit, il entreprit de mener la marche jusqu’à la sortie. Rebecca suivit le groupe sans être capable de quitter son oncle des yeux. Sa différence caractérielle avec Ed était aussi frappante que leur ressemblance physique.
Après quelques minutes, Rebecca fut toutefois amusée de constater que leur démarche avait quelque chose de similaire. Un peu prudente, sans manquer d’assurance pour autant.
Elle garda cette constatation pour elle. Une constatation qui remplaça sans mal la boule de malaise nichée dans son ventre et sa gorge. La sensation était beaucoup plus douce.



***

Si jamais, pour l'anecdote, le prof que l'on voit au début est le héros d'un autre de mes romans, The Debt. Je voulais faire un clin d'oeil et comme les histoires se déroulent aux États-Unis à quelques années près, je me suis dit que c'était l'occasion !


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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

Je ne crois pas l'avoir dit, mais je suis dans l'écriture de 2 recueils supplémentaires pour S.U.I. Un qui est directement la suite du recueil Love & Legacy, un autre qui servira de transition entre le T2 et le T3. Les deux seront postés quand le T2 sera intégralement publié par ici !


- Chapitre 50 -



Lundi 3 mars 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Entre une et trois fois par semaine, Thalia réalisait du tutorat pour ses camarades ou les élèves plus jeunes. Ses facilités dans plusieurs matières, notamment scientifiques, avaient attiré l’attention des professeurs responsables du projet. Depuis plus d’un an, Thalia était sollicitée après les cours pour aider les autres élèves. En contrepartie, elle obtenait des points bonus qui se cumulaient à ses résultats trimestriels et l’amenaient toujours plus haut dans le classement.
Si Thalia aimait sincèrement aider les autres, elle ne niait pas que les remarques et points positifs que cela accordait à son dossier étaient non négligeables. Elle n’était pas encore au lycée, mais l’idée de ne pas partir avec toutes les chances de son côté l’agaçait.
Alors, quand son père était retardé par des réunions entre profs et que son frère répétait avec son groupe, Thalia brûlait ses derniers neurones disponibles à accompagner ses camarades. Le rythme était intense, mais au moins se sentait-elle utile et active.
Il n’y avait pas grand-monde ce jour-là au tutorat. Elle dédia une quinzaine de minutes aux devoirs de maths d’une copine de classe, un peu moins pour un élève plus jeune d’un an qui ne comprenait pas grand-chose à sa biologie avant de réaliser qu’il n’y avait plus personne pour elle. Il ne restait que des étudiants plus âgés ou qui requerraient de l’aide dans des matières comme l’histoire ou l’économie, sujets que Thalia ne traitait pas.
Résignée, l’adolescente rassembla ses affaires et sortit de la salle du Centre dédiée au tutorat. Elle remonta le couloir en retrouvant quelque peu le sourire. Jeremy fêtait ses dix-huit ans. Même s’il l’avait célébré le week-end passé avec ses amis et sa copine, leur famille allait marquer le coup. Maria et Ethan avaient réservé un restaurant, invité plusieurs amis communs ainsi que les recruteurs de Ryu et Jim. Thalia avait hâte de les revoir ; Alex et Dimitri ne mettant quasiment plus les pieds à l’École comme leurs Recrues étaient en dernière année.
Thalia se guida aux échos de voix pour éviter les couloirs les plus bondés. Elle avait beau adorer passer du temps avec les autres, certains élèves de l’École la mettaient mal à l’aise. Notamment les internes du parcours S.U.I, qui prenaient un malin plaisir à bloquer les passages, à rouler des mécaniques et à flirter avec tout ce qui bougeait.
Et plus que jamais ces dernières années, Thalia avait conscience d’avoir quitté son corps d’enfant. À l’aube de ses quatorze ans, elle avait presque sa silhouette d’adulte. On la complimentait de plus en plus pour son charme ; on lui faisait remarquer à quel point elle se rapprochait d’une jolie jeune femme.
Thalia aurait adoré prendre goût à ce corps, à ses variations et à ses changements réguliers. Mais on lui avait ôté ce plaisir. Le regard des garçons de sa classe sur elle. Le regard des hommes dans la rue. Le regard des inconnus. Leur convoitise, leur terrain de chasse.
Son corps était un vaisseau, pas un trophée. Et comme Thalia n’avait pas encore trouvé les clés qui lui permettraient d’inverser la tendance, elle fuyait. Baissait les yeux en passant dans les couloirs du Centre, où les étudiants traînaient après les cours. Enfilait des salopettes ou des robes amples qui ne laissaient pas deviner les courbes de son corps. Elle qui s’était amusée à fouiller dans la trousse de maquillage de sa mère n’y trouvait goût que lors des occasions familiales.

Alors que Thalia approchait de la sortie secondaire à proximité du bureau du directeur, la voix de ce dernier s’éleva à une intersection :
— Nous rentrons dans la zone administrative, annonçait-il d’une voix claire, portante. Nous nous retrouverons sûrement tous ici pour discuter du projet. Les salles de réunion ne sont pas immenses, mais j’imagine que vous vous rendrez également à S.U.I dans la semaine ? Le siège social sera plus pratique pour vous.
— Rassurez-vous, M. Scott, nous sommes venus en équipe réduite. Un peu trop réduite, même. Je suis encore navré pour Myrina. Elle est partie à la découverte de l’École avant d’avoir pris le temps de vous saluer.
Le rire chaleureux de Ryan Scott traversa le couloir, remonta jusqu’à Thalia. Hésitante, elle ralentit le pas, guère ravie à l’idée de tomber sur son directeur en compagnie de collègues de travail.
— Je ne suis pas offensé pour un sou, répliqua M. Scott avec légèreté. Nous avons encore plusieurs jours pour faire plus ample connaissance.
Thalia s’arrêta, le cœur battant contre les tempes, quand les bruits de pas se rapprochèrent. En théorie, on ne lui interdisait pas de se trouver ici, mais les membres de l’administration n’appréciaient pas que les élèves traînent dans leur espace de travail.
— Je ne vais vous retenir plus longtemps, ajouta le directeur, dont elle aperçut l’ombre au niveau de l’intersection. Je vous souhaite une bonne soirée, M. Sybaris. Ainsi qu’à l’ensemble de votre équipe.
Le cœur de Thalia rata un battement avant de renvoyer un sang visqueux dans ses veines. Elle retint son souffle, se colla au mur dans l’espoir de s’y encastrer. Ils avaient parlé de projet. Ce M. Sybaris ne pouvait qu’être une seule personne.
Une partie d’elle bascula plus de quatre ans en arrière. Si le traumatisme avait effacé une partie des souvenirs, la Thalia de neuf ans se rappelait les mains impitoyables qui les avaient agrippées, sa mère et elle, dans leur petit appartement de Seludage. Des mains qui les avait ensuite forcées à rentrer dans une voiture anonyme. Puis des heures de transport sans une seule réponse à leurs interrogations.
Et, quand enfin Maria et Thalia étaient arrivées à destination, le sourire satisfait de cet homme. Sa mère avait fini par lui expliquer qui il était et Thalia en avait pleuré de dépit. Elle faisait la connaissance de son oncle avant celle de son propre père.
La vision trouble, coincée entre les brumes d’une captivité d’un mois et un couloir d’école où résonnait son angoisse, Thalia s’avança. Elle aperçut la silhouette de Ryan Scott, ne chercha pas à lui signaler sa présence quand il s’éloigna au loin pour rejoindre son bureau.
La poitrine glacée, Thalia accéléra et emprunta l’intersection que le directeur venait de quitter. Devant elle, un homme remontait le chemin en direction de la sortie que comptait prendre Thalia.
En se félicitant d’avoir opté pour des tennis à la semelle souple qui étouffait ses pas, l’adolescente le suivit à quelques mètres de distance. La chevelure brune de l’homme lui tombait sur la nuque. Ça aurait pu avoir l’air négligé si son costume n’était pas aussi bien ajusté et ses mocassins aussi bien cirés.
Quand il poussa la porte secondaire, Edward la maintint ouverte en se tournant avec un sourire avenant. Thalia se planta au milieu du couloir, foudroyée de peur.
— Il me semblait qu’on me suivait, lança-t-il d’une voix suave. Après vous, mademoiselle.
Un éclat de colère ranima le cœur gelé de Thalia. Elle avança d’un pas déterminé, s’assura que les spots éclairaient son visage. Et elle attendit patiemment que celui de son oncle se torde de surprise.
— Thalia ? souffla Ed avec ébahissement.
Les battements furieux de Thalia lui chauffaient les joues et secouaient ses membres de légers tremblements. Les mots ne venaient pas. Se mélangeaient et se bousculaient beaucoup trop pour qu’elle puisse en tirer quoi que ce soit de cohérent.
Elle avait tant de choses à dire à cet oncle. À reprocher, essentiellement.
— Tu es seule ? ajouta Edward d’un ton de nouveau maitrisé. Tu cherches ton père ?
— Non, siffla-t-elle en reculant d’un pas comme s’il l’avait menacée.
À vrai dire, c’était l’heure habituelle où elle retrouvait Jim et Ethan près du parking des profs. Mais elle ne voulait pas que son oncle ait le moindre indice sur leurs repères, leurs habitudes, leur vie.
Face à sa réponse et sa récalcitrance évidente, Ed esquissa un pâle sourire. Un sourire qui lui rappela Ethan, jeta Thalia dans un torrent de désarroi. C’était tellement injuste. Qu’ils se rassemblent tant, aient ces mimiques communes. Ça générait chez Thalia un inconfort teinté d’une empathie innée. Edward restait un membre de sa famille. Le frère jumeau de son père.
— J’imagine que tu ne veux pas spécialement me parler, reprit Ed avec prudence. Mais si tu…
— Je ne veux pas vous parler.
Thalia ne fut pas mécontente de la stabilité de sa voix. Tout son être tremblotait face à cet homme qui avait causé tant de mal autour de lui. Mais il y avait cette flamme de rébellion, de rancœur, de torts jamais réparés, qui alimentait la bravoure de Thalia.
Elle se demanda si c’était celle qui habitait son frère les nombreuses fois où il avait tenu tête à des proches ou à des inconnus quand l’injustice lui brûlait le cœur.
— Compris, répondit Ed en inclinant le menton. Eh bien, on risque de se revoir bien assez tôt, Thalia. Je te proposerais bien de retrouver ta famille en ma compagnie, puisque Myrina et Rebecca sont sûrement avec eux, mais…
Il laissa volontairement sa phrase en suspens. Thalia fut pourtant incapable de la finir pour lui. Rebecca, sa cousine, était donc aussi venue ? Elle ne doutait pas non plus qu’elle avait dû se lancer à la recherche de Jim après toutes ces années de séparation.
Une flèche d’irritation comprima son cœur. Malgré le temps passé, elle éprouvait toujours ce malaise à la mention de Rebecca. Cette jalousie qu’elle n’arrivait pas à rationnaliser. La jalousie pour la relation unique qu’elle avait tissée avec Jeremy. La jalousie pour la simplicité et la tendresse sans fard qui enveloppaient leur lien.
— Alors ? la relança Edward, qui maintenait la porte ouverte. Tu m’accompagnes ?
— Oui.
Pure provocation. Alors que Thalia s’avançait le cœur dans les talons, elle agrippa les brides de son sac-à-dos. Le parfum musqué de son oncle lui arracha une grimace quand elle le dépassa pour sortir.
— Tu me guides ? souffla Ed en la considérant d’un regard curieux, amusé.

Dans la cour de l’École, quelques élèves traînaient encore. Jeremy se tint volontairement en arrière des adultes, Ryu à ses côtés, pour éviter qu’on l’associe directement au groupe. L’arrivée de la délégation de la Ghost ne manquerait pas de faire le tour des ragots dès le lendemain. Il ne tenait pas à ce qu’on l’identifie comme traînant dans les pattes de Myrina et Rebecca Sybaris.
Il remarqua en premier les deux silhouettes qui sortaient du Centre par l’arrière. Si Jeremy reconnut aussitôt sa sœur, il lui fallut quelques secondes de plus pour comprendre qui était l’homme qui la suivait deux mètres en arrière.
Un sang gelé se déversa dans sa poitrine. Il hoqueta une respiration hachée alors qu’il se jetait vers Ethan pour lui agripper le bras. L’homme coupa court à sa discussion avec Myrina pour le considérer avec étonnement.
— C’est Ed.
Ethan se figea en suivant la direction que lui indiquait le regard craintif de son fils. Il posa une main rassurante sur celle de Jim avant de marmonner :
— On va chercher Thalia.
Myrina, qui venait de comprendre ce qui avait alerté les deux hommes, s’avança devant eux.
— Si vous le voulez bien, je peux jouer la médiatrice.
Face au sourire sincère de sa cousine, Ethan rendit les armes sans attendre. Tellement d’années depuis sa dernière rencontre avec Ed. Tellement de messages ignorés, d’appels coupés, d’accusations purulentes.
Quelque part, au loin, une petite étincelle d’affection rebelle, incompréhensible.
Rapidement dépassée par la colère, les regrets, les années perdues.
— Rebecca, lança Myrina en menant le groupe en direction d’Edward et de Thalia. Tu peux venir devant avec moi ?
La jeune femme hocha la tête avant de dépasser son oncle et son cousin. Son père avait tenu la promesse faite trois ans plus tôt. Indéniablement, la distance avait rendu les engagements plus faciles. À présent que les jumeaux étaient réunis, son père garderait-il la face ?
Rebecca jeta un œil à Jim tandis qu’ils approchaient du duo mal assorti. Son cousin alternait entre une surprise curieuse, une méfiance teintée de colère et une envie palpable de sauter à la gorge de son oncle.
Une fois suffisamment proches d’Ed et de l’adolescente, elle fit de même pour son père. Edward les avait considérés tour à tour avant de s’attarder sur son frère. Évidemment. Rebecca comprit à la façon dont il crispait les épaules qu’il était loin d’être aussi détendu que sa démarche le laissait penser.
— Edward, lança Myrina en arrêtant le groupe pour laisser les deux autres approcher. Thalia, enchantée.
L’adolescente considéra la femme au sourire rayonnant d’un air circonspect. Elle la reconnaissait aux photos que lui avait montrées son père. Et même si Jim n’avait dit que du bien de Myrina, qu’elle était la raison pour laquelle ils avaient réussir à arracher son frère des griffes de leur oncle, Thalia n’y arrivait pas. Elle n’arrivait pas à lui sourire en retour, à laisser tomber la muraille qu’elle avait brandie dès l’arrivée d’Edward dans son champ de vision. Thalia était incapable d’oublier la perfidie de cette famille, leurs machinations et leurs relations teintées de plans ambitieux.
Comme Myrina et Rebecca formaient un écran face à elle, Thalia baissa le nez et les contourna d’un pas rapide. Elle se positionna auprès de son père, qui n’attendit pas une seconde de plus pour enrouler un bras autour de ses épaules.
— Bonjour, j’imagine, finit par lâcher Edward sans quitter son frère des yeux. Ça faisait un bail, Ethan.
Comme l’intéressé ne répondait pas, son visage aussi fermé que celui de sa fille, Ed bascula au dernier membre de leur famille.
— Jeremy. (Alors que le jeune homme le fusillait du regard, les traits d’Edward se plissèrent d’une façon douce-amère.) Tu es adulte, maintenant, non ? Tu continues de te cacher derrière les autres ?
Jim leva les yeux au ciel avant de siffler avec humeur :
— Oh, allez vous faire voir.
Ethan et Rebecca écarquillèrent les yeux face à la pique, Myrina plaqua les doigts sur ses lèvres pour s’empêcher d’éclater de rire et Thalia se recroquevilla un peu plus. Les cris, les insultes et les disputes lui donnaient envie de disparaître.
Quant à Edward, il esquissa un large sourire. Décontenancé, Jim resta campé sur sa prudence, prêt à attaquer verbalement si nécessaire. Les sourires d’Edward n’auguraient rien de bon.
— Eh bien, voilà ton caractère. Il me semblait bien que tu étais docile avec moi.
— Pas trop le choix, siffla-t-il en retour. Et c’est le minimum que vous méritez après…
— Oui, je sais. (Perplexe, Jeremy préféra garder bouche close pour laisser poursuivre son oncle : ) Je suis sincèrement heureux de vous revoir.
L’annonce était si franche qu’elle plongea Ethan et ses enfants dans un silence ahuri. Franche, mais aussi sans fard. Sans moquerie. Authentique.
Edward s’amusa de leur réaction. Même en étant sentimental, il les prenait de court. Qu’aurait-il dû dire ? Montrer ? N’était-ce pas ce qu’ils attendaient de leurs retrouvailles ? Un peu plus de sérénité, un pont-levis abaissé entre leurs forteresses respectives ?
— C’est la première fois que notre famille est réunie comme ça, ajouta Edward en retirant les mains de ses poches. Ce n’est pas rien.
— J’aurais préféré que le contexte soit différent, Ed, répondit Ethan d’un ton rauque.
— Moi aussi, petit frère. Mais les années nous ont appris qu’on ne savait pas faire autrement.
Une ride se creusa entre les sourcils d’Ethan. L’attitude d’Edward tiraillait sur ses nerfs. Son assurance lui rappelait que, malgré le surnom moqueur, c’était bien lui le grand frère. Ça l’avait toujours été. Un peu trop.
Et qu’Ethan ne puisse pas contrer son affirmation était une frustration de plus. Il aurait aimé se mettre en colère, lui hurler la souffrance qu’Ed avait causée, le heurter de la même façon dont il avait fait basculer la vie d’Ethan cinq ans plus tôt.
La colère était bien là, braises sous la cendre de la résignation. Nuages lointains de son ciel personnel, chargés de foudre et d’orage. Éclat implacable dans l’ambre de ses yeux.
Mais, pour son propre bien, Ethan avait mis de côté la rage brûlante depuis des années. Il l’avait remplacée par une colère plus froide, plus maîtrisée, qu’il s’efforçait de ne pas montrer à son entourage.
Avec un soupir agacé, il serra plus fort sa fille contre lui et lorgna vers la sortie de l’École. Le regard d’Edward s’attardait sur lui, avide de la moindre de ses expressions, de la moindre émotion échappée. Mais Ethan se refusait à lui donner ça. Pas cette énième satisfaction de savoir que c’était toujours lui qui se laissait emporter par les émotions.
— On aura l’occasion de discuter lors des réunions de travail, annonça-t-il froidement sans regarder son frère. D’ici là, bonne soirée.
En emportant Thalia avec lui, Ethan mit tout le groupe en branle. Jim et Ryu leur emboîtèrent le pas sans hésiter. Myrina salua de la main son cousin avant de les rejoindre.
Seule resta Rebecca. Elle dévisagea ouvertement son père, troublée par sa mimique. Son sourire s’était crispé, son regard éteint, ses épaules abaissées. Ça en disait long sur l’attente qu’il avait eue pour ces retrouvailles. Pour le crédit et l’attente de considération qu’ils ne pouvaient s’empêcher d’éprouver envers son jumeau.
— Papa, lança-t-elle sans faire mine de l’approcher. Ils m’ont proposé de passer la soirée avec eux. Ils fêtent l’anniversaire de Jeremy. J’ai dit que j’y allais.
— Vas-y, approuva Edward après s’être reconstitué un masque neutre.
— Je n’y vais pas pour te rendre des comptes derrière, tu sais.
— Je sais.
Ils se toisèrent un instant. Rebecca essaya de deviner sous ce qui se tramait dans la tête de son père. Les habituels plans ? Ou était-il suffisamment désarçonné, empêtré par les fils qu’il avait lui-même tendus et le piégeaient à présent, pour échauffer une stratégie quelconque ?
— Passe un bon moment avec eux, finit par lui intimer Ed avec un sourire.
Rebecca hocha brièvement la tête, agrippa la ceinture de son jean. C’était un vrai sourire. Comme il l’avait fait quelques minutes plus tôt face aux autres. En réalité, sa propre fille en était déconcertée. Si elle connaissait la facette plus douce de son père, Rebecca ne savait pas comment réagir lorsqu’il la présentait à d’autres personnes.
— Bonne soirée, papa.
Ed ne répondit rien, se contenta de lui faire signer de filer. Une fois sa fille éloignée, il soupira, chassa en arrière les mèches trop longues qui lui tombaient sur le front.
Son petit frère avait l’air en forme. Ses enfants aussi.
Edward sourit de nouveau.
C’étaient des informations qui lui plaisaient. Une stabilité rassurante. Non plus des variables avec lesquelles jongler, mais des constantes sur lesquelles s’appuyer.



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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

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- Chapitre 51 -



Lundi 5 mai 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Manuel Cross n’aurait pas été contre l’idée d’être plus vieux de quelques années. Il aurait pu prendre sa retraite. Éviter le rassemblement bruyant et désordonné qui se déroulait sous son regard acéré. Pendant quelques minutes, il s’était estimé satisfait du comportement des 7ème année S.U.I. : rangés en ordre sous le préau du bâtiment ouest, ils avaient su se tenir sans se disperser ni discuter trop fort.
Puis les étudiants du projet Réseau étaient arrivés. Deux cars remplis d’une vingtaine de recrues-Fantômes et d’une dizaine de Mino, les apprenties de la société-fille des Amazones. Dès lors, les élèves de l’École s’étaient agités de curiosité, d’esprit de compétition et d’impatience fiévreuse. Ils voulaient faire connaissance. Évaluer leurs chances. En découdre.
Manuel et Ethan s’étaient efforcés de les calmer avant de finalement se résigner. La journée avait été banalisée pour permettre aux étudiants des trois promotions de se rencontrer et d’échanger. La première épreuve ne commençait que le lendemain. En attendant, Manuel, Ethan, les cadres du projet Réseau et les professeurs des autres centres de formation avaient un tas d’informations et de documents à distribuer.

Depuis le banc d’une table de pique-nique, Manuel s’assurait que cette première rencontre se déroulait sans encombre. Planté nerveusement à côté de lui, Ethan surveillait la cour où s’agitaient près de soixante-dix adolescents formés pour devenir les agents de surveillance, d’intervention armée ou paramilitaires de demain.
Si Manuel était plutôt mitigé à propos de ce projet, une fantaisie des Sybaris, il en était presque désolé pour son collègue. Le projet Réseau était un véritable casse-tête pour Ethan. C’était une charge de travail supplémentaire pour un professeur encore jeune, mais aussi un défi à titre personnel. Affronter des membres de la famille qu’il fuyait depuis des années n’était plus contournable.
Comme le regard de son collègue s’éternisait en direction de l’attroupement de la Ghost Society, Manuel se redressa à son tour. Les recrues-Fantômes se comportaient avec discipline, plus que leurs propres élèves ou que les Mino. Manuel reconnut deux professeurs encadrants à leur attitude, Edward à la façon dont Ethan le dévisageait.
Son ancien élève ne tarda pas à les remarquer, malgré la protection du préau et des étudiants agités autour d’eux. Manuel était trop loin – ou ses yeux trop usés par les années – pour distinguer l’expression de l’homme. Il étudia celle d’Ethan à la place. Ses traits tendus et ses yeux ombragés arrachèrent un soupir à Manuel. Il n’y avait que sa famille pour casser ainsi sa façade avenante. Même avec les élèves réfractaires, les contraintes administratives ou les imprévus agaçants, Ethan parvenait à garder un masque obligeant et une attitude médiatrice.
Il ne cherchait pas à tromper qui que ce soit concernant ses sentiments envers son frère.
— Ça va aller ?
La question, posée avec sincérité, tira son collègue de son observation.
— Il faut. (Ethan soupira puis se rassit à côté de Manuel sur le banc.) Ce ne sera pas comme en mars, où il n’est resté que quelques jours pour régler les derniers détails. Cette fois, c’est un mois. Au moins.
— Et tu vas y survivre ?
La légère moquerie dans la voix de Manuel arracha un froncement de sourcils à son cadet. Après l’avoir considéré un moment, Ethan secoua la tête avec un petit sourire.
— Je devrais y survivre, oui.
— Bien. (Manuel lui tapota l’épaule en se levant.) Allez, il faut qu’on rassemble nos élèves pour tout leur expliquer.

Kaya se serra contre Valentina quand Tess les rejoignit sur leur banc. Elle avait profité de la confusion de l’arrivée des autres écoles pour s’acheter un soda à un distributeur. En face, les garçons zieutaient nerveusement les étudiants étrangers qui avaient envahi la cour.
— Vous avez les chochottes ? les tança Kaya avec un sourire carnassier.
— Pas toi ? marmonna son coéquipier, les mains croisées devant lui.
Avant que Kaya ait pu répondre, Tess passa un bras autour de ses épaules. Ses cheveux frisés chatouillèrent l’oreille de l’adolescente, qui écarta la tête avec un grognement. Elle n’appréciait pas vraiment les contacts physiques – sauf si l’on parlait d’arts martiaux bien entendu.
— On a juste hâte de leur casser les dents, répondit Tess pour elles deux. Jim, toi aussi, je suis sûre.
L’intéressé leva les yeux de son téléphone en haussant les épaules.
— Bah quoi ? marmonna Tess en retirant son bras des épaules de Kaya pour se pencher vers lui. C’est ta copine qui t’a rendu docile ? Lâche ton tel, sérieux.
— La ferme, grogna Jeremy avec un sourire en coin. Je parle pas à ma copine. Et elle est pas du genre à ne pas inciter à la violence, en plus.
— Je me rappelle. J’ai vraiment cru qu’elles allaient se battre à ton anniversaire, avec Kaya.
À ces mots, Kaya roula des yeux, asséna d’une voix plate :
— On était juste pas d’accord sur les arts martiaux.
— Vous avez fait une démonstration dans mon salon, lui rappela Jim en écartant les bras.
Ryu esquiva la main de son ami, lui rabattit le bras sans qu’il s’en rende compte. Toujours animé par le souvenir de ses dix-huit ans, Jeremy ajouta :
— Vous avez pété le vase de la table basse.
— Il était pas très beau, intervint Tess avec un sourire pincé.
— Espèce de monstre, geignit Jim en secouant la tête. C’est ma sœur qui l’avait fait. Pour mon père. Vous avez failli briser leur relation.
Comme ses camarades levaient les yeux au ciel en réaction au ton dramatique, Jason souffla avec innocence :
— Jim, t’as jamais voulu faire de théâtre ?
— Pitié, non, s’étrangla Tess.
— Mais si ! rétorqua Valentina en claquant des mains. Tu fais déjà de la scène avec Wyatt.
— Rien à voir, affirma Jeremy, décontenancé par l’attention soudaine de ses amis. Je serais nul pour le théâtre.
Comme ses camarades se taisaient, guère désireux de débattre avec l’un des membres les plus bornés de leur groupe, Ryusuke intervint d’une voix pensive :
— Je suis sûr que tu serais très bon comédien, Jimmy. (Il adressa un regard étincelant au concerné, plus dubitatif.) Quand tu passes ton temps à faire des imitations de nos profs, à prendre des accents improbables, à te faire passer pour quelqu’un d’autre… T’as un truc, je te jure.
Sa déclaration arracha des pouces levés à Tina et Jason, des mimiques perplexes à Tess et Kaya, un silence désemparé à Jeremy. Avant qu’ils puissent poursuivre leur conversation, leur prof se glissa vers leur table.
— M’sieur, l’accueillit Tess avec un salut militaire, vous avez des bonnes nouvelles pour nous ?
— Bonnes, je ne sais pas, nuança Ethan avec un sourire pour les amis de son fils. Je vous donne le document qui récapitule les trois épreuves du projet Réseau. Pour rappel, ce sont les épreuves en lien avec l’EPSA et elles influencent cinquante-pour-cent de votre note finale.
Ils le savaient tous très bien, mais le rappel les ancra plus que jamais dans la réalité de leur fin d’année. Ethan les considéra tour à tour d’un air soucieux avant de disposer six plaquettes au centre de la table. Il se permit de serrer l’épaule de Jim avant de partir distribuer le document aux autres élèves.
Les six adolescents se penchèrent sur le fascicule, plus par formalité que réel besoin. On leur avait déjà présenté ce qui les attendait pour les examens pratiques de fin d’année. La plus grosse interrogation résidait dans le niveau des élèves des autres centres de formation.
— Je trouve ça quand même dommage qu’on ait qu’une seule épreuve en binôme, intervint Valentina en faisant glisser son index sur le papier plastifié. On a passé tous nos cours d’EPSA à être entraînés selon ce système. S.U.I repose entièrement dessus, en plus.
— C’est vrai, acquiesça Ryu d’un air songeur, mais en même temps ça nous avantage par rapport aux Mino ou aux recrues-Fantômes. Ils sont formés de façon individuelle.
— Et la troisième épreuve est en équipe, ajouta Tess pour rassurer sa coéquipière. Donc on pourra aussi être en binômes.
— On peut se mettre tous les six ensemble, suggéra Jason en levant le nez du document.
Ses amis acquiescèrent avec des sourires ou des grognements. Cette dernière épreuve, dont ils ne savaient rien en dehors du fait qu’elle se déroulait en équipe et à l’extérieur de l’École, n’aurait pas lieu avant deux semaines.
La première, un tournoi en individuel visant à noter leurs capacités en combat rapproché, commençait demain. L’épreuve s’étalait sur trois autres jours pour permettre à tous les élèves de passer au moins deux fois.
Quant à celle en binôme, elle aurait lieu la semaine suivante. Tout ce que le fascicule indiquait, c’est qu’il s’agissait d’un parcours d’épreuves sollicitant aussi bien leurs capacités physiques que le sens de l’orientation. Le tout basé sur le postulat qu’on ne pouvait s’en sortir seul.
— On va en baver, grommela Jeremy en lorgnant le document d’un air blasé. Je veux juste me coucher.
— Feignasse, le houspilla Tess avec un coup de pied inoffensif sous la table.
— J’assume, répliqua l’adolescent en étouffant un bâillement. Sérieux, j’ai juste envie que ça se termine. Puis je vais dormir trois jours d’affilée.
Alors que ses amis ricanaient, Ryu étudia le visage de son partenaire. Les cernes qu’ils arboraient tous depuis ce début de dernière année de lycée étaient complétés par des plis d’épuisement sous les yeux de Jim. Comme si les cours et son groupe de musique ne suffisaient pas, son ami s’était borné à conserver son travail à temps partiel au Farfalla. Sans compter qu’il s’efforçait de voir sa copine le plus possible avant qu’elle s’en aille à l’université…
— Tes parents t’engueulent toujours ? souffla-t-il en se penchant vers son ami. Pour ton emploi du temps chaotique ?
— À ton avis ? marmonna Jim en baissant la tête jusqu’à ce que son front touche la table. De toute façon, mon contrat au Farfalla est stoppé. Antonio a refusé que je travaille pendant les exams. J’y retourne pas avant juillet.
— Il a raison, soupira Ryu en tapotant son ami entre les omoplates. T’es épuisé, Jimmy. Et, quelque part, ça te correspond pas, tu sais. De faire tout ça.
— Mmh. Je sais pas. J’ai l’impression qu’on va m’en vouloir si je fais moins.
— Tu t’es conditionné à devoir travailler pour prouver aux autres que tu as du mérite ?
— Ryu, t’es beaucoup trop philosophe, là.
L’intéressé s’inclina jusqu’à ce que sa tête repose sur l’épaule de Jim. Sourire aux lèvres, il insista gentiment :
— Jim, je sais que t’es aussi très heureux à rester chez toi à jouer aux jeux vidéo ou à écouter de la musique. Y’a aucun mal à ça. Depuis ton boulot au Farfalla, t’as presque plus de temps pour toi. C’était censé être un job d’été pour te faire quelques sous.
— Je sais, soupira son ami en fermant les yeux, rassénéré par le contact de Ryu. Mais j’aime vraiment bien ce job. Archer et Antonio sont trop sympa. Et l’argent me permet d’acheter plein de trucs pour la musique. (La voix de Jeremy s’adoucit.) Puis j’ai rencontré Iva grâce au Farfalla.
Ryusuke resta quelques secondes de plus appuyé à l’épaule de son coéquipier, à écouter sa respiration, avant de se redresser. Il agrippa le menton de Jim pour le forcer à le regarder.
— Promets-moi de te reposer entre les épreuves. Jay m’a dit qu’aucune répèt’ avec Wyatt était prévue avant fin juin. Aiden et Trice ont leur propres exams. Alors tu joues pas aux musiciens solitaires entre temps, OK ? (Comme une moue bougonne gagnait les traits de Jeremy, Ryu ajouta d’une voix gentiment ferme : ) Et pour Iva, c’est pareil. Elle doit réviser ses derniers contrôles. Elle attend ses résultats de concours à l’université. Elle comme toi pouvez survivre à quelques jours sans vous voir.
— C’est moi le faudeur de droubles ou quwa ? geignit Jeremy, ses joues enfoncées par les doigts de Ryusuke.
— Depuis toujours, sourit Ryu.
Un éclat amusé ralluma la lueur dans les yeux dépareillés de son ami. Après avoir forcé à Ryu à lui lâcher le visage, il concéda :
— Je sais que j’abuse un peu, depuis l’année dernière. Mais mes parents me saoulent assez là-dessus pour que tu t’y mettes. Et, fais pas cette tête, c’est bon je promets. Je vais me reposer entre les épreuves.
Accoudé à la table, Ryu fouilla les traits de son ami à la recherche d’une crispation, d’une mimique un peu trop forcée. Mais Jeremy ne lui offrait que la sincérité d’un regard exténué, le fantôme d’un sourire las.
— OK, capitula finalement Ryusuke avec un soupir. Mais gaffe à tes fesses, je t’ai à l’œil.
— J’ai quand même le droit de fêter l’anniv de Thalia, ce soir ? (Comme Ryu levait les yeux au ciel avec un sourire en coin, Jim proposa : ) Tu voudras venir ? On fait soirée pancakes. Mon père cuisine. Y’aura même Mike, Grace et Jason.
— Et tu crois que je vais rater ça ? s’insurgea Ryu en portant une main à son cœur. T’aurais surtout dû m’inviter avant !
Jeremy s’esclaffa et le rire de Ryusuke en écho chassa toute fatigue de son visage.

Jim parvint à rassembler suffisamment de cents au fond de ses poches et de son sac-à-dos pour s’acheter une canette de soda. Planté devant le distributeur, il patienta le temps que deux adolescentes qu’il ne reconnaissait pas récupèrent leurs boissons. Toutes deux étaient affublées d’une tenue similaire : un pantalon et un maillot de corps moulants d’un gris sombre. Tandis que le haut avait l’air respirant, bien que renforcé au niveau des épaules, des coudes et du flanc, le bas était fabriqué dans une matière plus épaisse, quoique souple.
Comme Jim n’avait jamais eu connaissance d’une tenue réglementaire pour les recrues-Fantômes, il en déduit qu’elles faisaient partie des Mino arrivées plus tôt dans la journée. On ne leur avait pas dit grand-chose des apprenties des Amazones. Simplement qu’elles étaient toutes des filles, car cette agence se spécialisait dans la formation d’espionnes.
À peine avait-il récupéré sa cannette dans le bac qu’un coup de pied s’abattit sur sa main. Plus de surprise que de douleur, Jeremy laissa échapper une exclamation et recula avant que l’assaillant puisse réitérer le mouvement. Sa canette roula sur le lino, un sourire méprisant ourla les lèvres de Lazos Sybaris.
— Salut, Elias. (Comme Jim se recomposait une façade, l’adolescent s’appuya contre le distributeur avec un rictus sarcastique.) Enfin, c’est Jeremy, il paraît ?
— Qu’est-ce que tu fous là ? T’as pas l’âge pour passer les épreuves.
Les yeux déjà ténébreux de son petit cousin trouvèrent le moyen de s’assombrir encore. Qu’il soit plus jeune que Jim et Rebecca avait toujours été un fait difficile à avaler pour lui. Lazos était las d’être toujours en retard, toujours ramené aux années d’expérience qui lui manquaient, toujours mis de côté car il n’était qu’un gamin.
— J’ai accompagné la délégation de la Ghost, expliqua Lazos avec suffisance.
— Et tes cours ? sourcilla Jim en se baissant pour récupérer sa canette. Tu devras rattraper.
— J’ai de l’avance sur les autres. Et en quoi ça te concerne, abruti ? Aux dernières nouvelles, t’as quitté le centre de formation. (Lazos zieuta les environs, accentua son sourire moqueur.) Tu te plais bien ici ?
Bien décidé à ne pas rentrer pas dans son jeu de provocation, Jeremy décapsula le soda sans prendre la peine de réagir. Le mépris de Lazos tourna vite à l’agacement.
— Toujours aussi mal éduqué. Réponds quand on te parle.
— Lazos, va voir ailleurs, soupira Jim en s’engageant dans le couloir qui le ramenait dans la cour de l’École. J’ai pas de temps à perdre.
— Je comprends pas qu’Edward ait pu croire que t’avais la trempe.
L’irritation de Jeremy grimpa en intensité quand il perçut les pas de Lazos dans son dos. Décidément, pour quelqu’un qu’il méprisait, son cousin appréciait de le suivre à la trace.
— T’as aucune éducation, cracha l’adolescent. Aucun respect. Même pas de reconnaissance pour ta famille. Tout ce que les Sybaris ont fait pour…
Sa voix se transforma en gargouillis quand Jim plaqua son bras contre sa gorge. Il continua d’appuyer jusqu’à ce que le rouge monte aux joues de son cousin. Sans lâcher pour autant, Jeremy gronda à voix basse :
— Je m’en fous de ta famille de tarés, Lazos. Je leur ai jamais rien demandé. Les Sybaris m’ont rien donné sauf des couches de merde et de merde.
Comme les yeux de Lazos s’écarquillaient de plus en plus et que ses ongles lui griffaient la peau, Jim relâcha la pression. Il prit quand même soin de garder son bras contre la glotte de son cousin pour achever :
— Je sais pas pourquoi tu voulais absolument me voir, mais oublie-moi. Tu peux pas me blairer ? très bien. Je te retourne le sentiment. Maintenant, dégage.
Jeremy n’attendit pas de voir la réaction de l’adolescent une fois libéré de son emprise. Sa cannette de soda à la main, il remonta le couloir à grandes enjambées. Comme si le stress des épreuves à venir ne suffisait pas.
Il jura entre ses dents en déboulant dans la cour. S’il s’attendait à tomber sur Edward ou un autre membre de sa famille pour ce début du projet Réseau, il n’escomptait sûrement pas Lazos. Rebecca avait été un phare pour lui durant sa formation à la Ghost Society ; Lazos qu’un puits de mauvais présages. Sa jalousie, son arrogance et son mordant ne l’avaient pas quitté en dépit des années passées.
En retournant près du préau où sa classe avait pris ses marques, la brûlure de la colère, mêlée de cette peur ancrée à sa mémoire, lui traversa la gorge. Il avisa son père, qui discutait avec un trio d’élèves près d’une table de pique-nique. Pour l’une des rares fois depuis que Jeremy avait réintégré l’École, il regretta cette barrière de conventions et de secrets qui l’empêchait d’aller quémander son soutien.
Le pétillant de son soda n’affaiblit en rien l’amertume qui montait en lui. Sans y réfléchir deux fois, il se dirigea vers son groupe d’amis. Ryu s’était levé pour se dégourdir les jambes, riait à une blague de Valentina. Jeremy s’engouffra entre ses bras, serrant les dents pour repousser la brûlure, l’amertume et l’écho du rire de Lazos.
Stupéfait, Ryusuke referma son étreinte avec quelques secondes de latence. Leurs amis se levèrent, inquiets. Les rejoignirent. Sans que Jim ait besoin de s’expliquer, il sentit les bras de Valentina former une enveloppe tiède dans son dos. Jason ne tarda pas à les rejoindre. Et si Kaya et Tess ne s’engagèrent pas dans l’étreinte, Jeremy sentit leurs paumes réconfortantes sur ses épaules.
Ça lui suffisait amplement. Le nez dans l’épaule de Ryu, il laissa rouler quelques larmes de dépit et d’épuisement, de colère infinie envers sa famille et de reconnaissance éternelle envers ses amis.



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Helloooo 👋

Ça fait des mois (voire même plus d'un an) qu'ils sont prêts, mais j'attendais d'avoir progressé dans l'histoire avant de les poster par ici... Je vous présente les ✨ moodboards ✨
Et oui, j'ai perdu des heeeeeures dessus plutôt que d'écrire, mais c'est la ✨ passion ✨ c'est pas grave.

Les moodboards, c'est juste un collage d'images pour représenter un personnage à travers une ambiance, des hobbies, une apparence, un style, etc... Donc comme d'hab, c'est pas des représentations exactes, c'est plutôt pour transmettre l'énergie d'un personnage hehe.

Pour les images, j'ai utilisé le plus possible des photos libres de banques d'image, mais certaines viennent de Pinterest :/


Système de classement : les personnages principaux sont en haut, les personnages secondaires et tertiaires sont classés par ordre alphabétique de prénom.


- Personnages principaux -

Jeremy
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Ryusuke
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Thalia
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Ethan
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Maria
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- Personnages secondaires et tertiaires -

Aiden
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Alexander
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Archer
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Beatrice
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Dimitri
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Edward
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Emily
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Grace
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Hugo
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Ivana
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Jason
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Kaya
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Michael
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Myrina
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Rebecca
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Tess
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Valentina
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louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

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On attaque les épreuves finales avec ce chapitre, ça va nous occuper un moment 🫡


- Chapitre 52 -



Mardi 6 mai 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Ryusuke était déjà assis dans les gradins du gymnase quand son partenaire le rejoignit. Jim lui adressa un « bonjour » à peine audible en se laissant lourdement choir. Comme tous les élèves autour d’eux, il était vêtu de vêtements appropriés aux affrontements qui les attendaient. Il avait oublié de lacer l’une de ses baskets.
— Ben merde, lâcha Ryu en le considérant avec réelle inquiétude. T’as l’air encore plus fatigué qu’hier.
— Ouais. Quasi rien dormi. Me suis pris la tête avec mon père hier soir.
La bouts de phrase atones affaissèrent le visage de Ryu les uns après les autres. Il étudia les yeux rougis de son ami, sa bouche morne, ses épaules basses.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— On a rediscuté du boulot, des exams, de Wyatt. Il veut que je ralentisse cet été, même après la fin des contrôles. Il m’a interdit de bosser au Farfalla avant la rentrée. (Un muscle se crispa dans la joue du jeune homme.) Je suis majeur, bordel.
— Il s’inquiète pour toi, Jimmy, avança Ryu dans l’espoir de désamorcer la tension dans la voix et l’attitude de son partenaire. C’est pas pour t’emmerder, tu sais.
— Je sais. Mais ça m’emmerde quand même.
Le regard de Jeremy vaqua dans le gymnase, vers le mur d’escalade où il s’était perdu des heures durant à explorer les voies, vers le terrain où ses camarades et lui s’étaient vidés de leur sueur – parfois de leurs tripes – au fil des cours d’EPSA, vers les gradins où fourmillaient une cinquantaine d’élèves nerveux. Il n’arrivait pas à se faire à l’idée qu’il quittait tout ça définitivement dans moins d’un mois.
— Tu lui as dit, pour Lazos ? Ça t’a vachement secoué, hier.
— Nan, j’ai rien dit. Il se prend déjà la tête avec les Sybaris, surtout avec Edward. Je voulais pas en rajouter une couche.
Ryusuke porta un regard peiné dans sa direction, baissa le menton.
— Jim, t’aurais dû lui dire. (Comme son ami ne répondait pas, les lèvres boudeuses, Ryu ajouta d’un air conciliant : ) Et pour le boulot… dans la mesure où tu vis encore chez lui, ça me choque pas qu’il puisse décider de certaines choses pour toi. Tu en as parlé avec ta mère ?
— Oh, ils sont d’accord. (Jim tripota son collier, fit rouler les perles jumelles entre ses doigts.) Même Thalia y a mis son grain de sel. Elle trouve que j’en fais trop.
— Ils ont pas tort. (Comme son ami dardait un regard noir dans sa direction, Ryu se leva avec un soupir.) Bon, les combats vont commencer. T’as vu avec qui tu es tombé ?
— Une recrue-Fantôme. Et toi ?
Cette fois, Ryu ne chercha pas à masquer son désarroi.
— Emily.

Passer une presque nuit blanche n’aurait pas tant déstabilisé Jim s’il ne jouait pas une partie de son diplôme avec cette épreuve. Alors qu’il se rendait vers la zone où son affrontement devait avoir lieu, il se claqua les joues. Força son cerveau à sortir de sa brume d’abrutissement. À aiguiser ses réflexes, préparer ses muscles.
Il était le deuxième à passer dans la matinée. Dans moins d’une heure, il sortirait victorieux ou défaitiste de ce duel. Ensuite libéré pour la journée, Jeremy n’aurait plus qu’à patienter le lendemain pour le deuxième combat.
Une dizaine d’élèves s’étaient déjà rassemblés sous l’affichette « 3 ». Jeremy les évalua, reconnut plusieurs étudiants de sa classe ou de l’autre 7ème année S.U.I. Cinq autres ne lui disaient rien. Parmi eux, quatre filles. En étudiant leurs profils, il identifia l’une d’elles comme étant une recrue-Fantômes – après tout, les trois autres étaient vêtues comme les Mino qu’il avait croisées la veille.
L’affrontement précédent ne dura que cinq minutes. Un élève de sa classe en sortit perdant. Guère rassuré, Jeremy s’avança sur les tatamis avec la poitrine engourdie. En face de lui, une professeure au regard aussi sombre que sévère le héla :
— Wayne, j’imagine ? Qu’est-ce que tu choisis ? Mains nues, bâton, couteau, dague ?
Jim cligna bêtement des yeux en direction de la table qui soutenait une vingtaine d’armes variées. Des bandes protectrices pour les poings au bâton d’aïkido. Entre, de fausses lames fabriquées selon des modèles variés de dagues, couteaux ou poignards.
Absorbé par sa dispute avec Ethan la veille au soir, Jeremy en avait oublié de lire les consignes du duel, persuadé que tout se déroulerait comme il en avait l’habitude en EPSA.
— Euh…
Le visage chauffé par un mélange de honte et d’angoisse, il s’avança vers la table, étudia les armes proposées. Lors des duels en combat rapproché, on les avait essentiellement entraînés à combattre à mains nues. Les affrontements avec armes de poing avaient plutôt lieu lors des sessions en équipe ou en immersion.
Avant d’arrêter son choix sur une arme – ou de simples bandes de protection – il zieuta en direction de l’adversaire. La recrue-Fantôme patientait à l’autre bout des tatamis, immobile et grave. Au bout de son bras musculeux pendait un bâton long : un Bokken, d’un mètre environ.
Avec un sourire crispé, Jim s’empara de deux petits couteaux jumeaux. Bien entendu, il s’agissait de plastique dur. Aucun risque de blesser gravement son opposante. La professeure hocha la tête, inscrit son choix sur sa feuille de notation. Quand elle redressa le cou, Jeremy put enfin mettre les mots sur ce qui n’avait pas facilité sa concentration depuis qu’il foulait les tatamis :
— Mme Kairuij ?
— Tu me reconnais enfin, lâcha la femme d’un ton mi-satisfait mi-impatient. J’espère que tu as de bons souvenirs de moi, 33.
— Je préfère Wayne, grommela l’intéressé avant de se détendre face au sourire de la femme. Oh, je te reconnais aussi.
Il venait d’adresser ces mots à l’adolescente en face. Elle ne cilla pas, mais ses yeux se plissèrent. Curiosité et méfiance combinées.
— Jeremy. Elias. (Un rire dépité franchit les lèvres de l’adolescent.) Matricule 33. On a fait un bout de notre 14-15 ensemble. Tu es matricule 7, hein ?
Un éclair de compréhension traversa le visage de son adversaire. Ses lèvres frémirent enfin.
— Je me rappelle, oui. Tu es parti du jour au lendemain. (Elle inclina la tête, l’étudia sous toutes les coutures.) Tu étais pas excellent. J’espère que tu as progressé, depuis.
— Trêves de bavardages, intervint Mme Kairuij avec autorité. Rappel rapide des consignes.
Jim s’efforça de ne pas montrer son soulagement à ces mots. Tout en maîtrisant sa respiration de plus en plus tendue, il écouta en silence son ancienne professeure :
— Avec l’arme que vous avez choisie, vous devez mettre hors d’état de nuire l’adversaire. C’est moi qui vous indiquerai quand j’estimerai que cette consigne est respectée. Généralement, les élèves attendent d’avoir désarmé et immobilisé l’adversaire. La sortie de la zone vous oblige à vous repositionner au milieu. Tous les coups sont permis.
Comme le visage de Jeremy se plissait visiblement à ces mots, Mme Kairuij eut un sourire indolent.
— Eh oui, Wayne-33, cette épreuve est à la sauce Ghost Society. Mais pas d’inquiétudes : les armes ne peuvent pas faire de dégâts sérieux.
Alors qu’elle leur intimait de se mettre en position, Jim garda pour lui ses protestations. C’était trop tard. Et sa faute, accessoirement. Il aurait dû lire les consignes indiquées sur le fascicule que son père lui avait donné.
Les yeux rivés au Bokken de l’adversaire, Jeremy déglutit. Son cerveau envoyait des shots d’adrénaline dans son sang. Des sueurs froides le traversaient de la tête aux pieds. Il était bien réveillé, cette fois. Pleinement conscient des douleurs que pourrait inscrire le grand bâton de bois dans sa chair.

Dans le cercle d’élèves qui assistait à l’affrontement entre une Mino et une recrue-Fantôme, Ryu se tordait les doigts. Comme Jim, il aurait largement préféré passer dans la matinée. Le tirage au sort lui avait non seulement imposé Emily, mais aussi un créneau en début d’après-midi.
Les heures d’attente lui écrasaient déjà la poitrine de leur poids. Il aurait tout le temps de voir ses camarades se faire battre à plate couture – ou l’inverse. D’imaginer une stratégie contre Emily, tout en sachant que ce genre de duel ne flattait pas ses compétences – ni celles de sa camarade, à vrai dire. Emily et lui étaient bien meilleurs lors des sessions en immersion, surtout lorsqu’il fallait gérer une équipe. Ils s’emparaient spontanément de la casquette de leader stratégique, sans qu’aucun de leurs camarades ne le remette en question.
Lorsqu’une main lui agrippa le bras, Ryusuke manqua bondir dans les airs. Après une excuse soufflée à son voisin, qui avait sursauté presqu’autant en réaction, Ryu considéra le visage grimaçant qui lui faisait face.
La paupière droite de Jeremy était enflée et sa sclérotique injectée de sang. Il aurait un œil au beurre noir avant le soir, à en constater les couleurs qui fleurissaient autour de l’orbite. Une fois passée la stupeur, Ryu se pencha vers lui, tendit mécaniquement les doigts vers son visage.
— Jeremy, s’étrangla-t-il en retirant sa main à temps pour ne pas lui faire mal. Mais…
— Tu devrais voir l’autre fille, se gaussa son compagnon avec un rire sinistre.
Comme les traits de Ryu continuaient de se plisser, Jim soupira, esquissa un mince sourire.
— Je rigole, elle a pas de marque apparente. Je l’ai pas frappée à la tête. (Jeremy tapota sa tempe droite, grimaça de douleur.) Bon, elle, elle a pas eu de remords. Elle m’a même foutu un coup dans les couil…
— Mais t’as gagné ? l’interrompit Ryu en lui agrippant le bras de nervosité.
— Euh, ouais. (Comme le visage de son ami retrouvait une consistance solaire, Jim haussa les épaules.) C’était serré. Très serré. Notre examinatrice a failli prononcer sa victoire à un moment. Mais j’ai réussi à inverser le duel.
Comme il se doutait que Jim avait dû prendre d’autres coups, Ryu s’abstint de l’enlacer. Il lui serra le bras à la place, lui offrit un sourire aussi fier qu’enthousiaste.
— Bravo, Jimmy. C’est génial. Tu dois être moins stressé, déjà.
— Un peu, reconnut son ami du bout des lèvres. Et toi ? Comment tu le sens ?
— Franchement, je sais pas. Le combat rapproché, c’est pas mon fort. Pareil pour Emily, tu vas me dire.
Jeremy rendit à Ryu une pression sur le bras. Plongea des yeux sérieux dans les siens. Le cœur de Ryusuke gonfla dans sa poitrine. Ce n’était pas souvent que son partenaire lâchait toute sa nonchalance pour afficher ce genre d’expression déterminée. Ryu n’aurait jamais osé lui dire, mais il ressemblait à son oncle à cet instant.
— Tu vas y arriver, Ryu. Ça fait des années qu’on est dans la même classe qu’elle. Tu t’es déjà battu face à elle. Tu connais ses faiblesses. Elle manque de force et elle évite les chocs frontaux.
— Elle est plus rapide et plus souple, nuança Ryusuke d’un ton rauque.
— T’as plus de détente et d’instinct. Si y’a bien une personne dans la classe qui réfléchit encore plus que toi en combat, c’est elle. Prends le dessus en lâchant un peu ta tête.
Jim enfonça un doigt dans la poitrine de Ryusuke, au niveau du cœur, puis dans le creux de son abdomen.
— Sers-toi un peu plus de ça. (Jeremy ramena le doigt pour désigner sa propre personne avec un sourire mordant.) Prends un peu exemple sur ton punk préféré.
Une chaleur dans sa poitrine, dans son ventre. Ryusuke rit doucement, secoua la tête. Même si Jeremy teintait ses conseils d’une dimension comique, leur sens résonnait en Ryu. Depuis qu’il était arrivé à l’École, ses professeurs d’EPSA le félicitaient pour sa vision stratégique, sa capacité à réagir au changement et sa minutie lors du tir ou du travail d’équipe. Ils lui reprochaient aussi d’être trop cérébral au combat, de ne pas se laisser aller dans le courant.
Un reproche qu’Emily Hobs avait aussi dû entendre plus d’une fois au cours de sa formation. Rassénéré, Ryusuke étira doucement les lèvres.
— Je voudrais pas manger trop tard, pour éviter la digestion en début d’aprem, informa-t-il Jim en se dirigeant vers la sortie du gymnase. On se fait un casse-dalle sur le toit ?
— C’est interdit, lui rappela son ami pour la forme.
— C’est bien l’idée, non ?
Comme les yeux dépareillés de Jim débordaient d’étincelles, Ryusuke n’eut pas besoin de s’assurer qu’il le suivait. Jeremy était déjà à ses côtés, salivant sur les snacks qu’ils dévoreraient en secret sur le toit du Centre.

Les yeux bleu-vert d’Emily étaient glaciaux lorsque Ryu la retrouva sur les tatamis. Alors qu’elle le dévisageait, à la recherche de la moindre faille, du moindre doute, Ryusuke regretta cette situation. Leurs professeurs aimaient les comparer, rapprocher leurs points communs, relever leurs différences. L’une était première de la classe, l’autre deuxième – et les rôles s’inversaient parfois.
Tous deux reconnaissaient leur rôle de leader dans leur binôme respectif. De tête pensante. Mais Ryu réfléchissait avec le cœur tandis qu’elle menait avec la logique. Honnête envers lui-même, Ryusuke lui enviait cette capacité à diluer les émotions, à faire émerger les faits, les chiffres, les plans. Et il était persuadée qu’Emily se demandait parfois comment il s’attirait aussi facilement la sympathie des autres, leur confiance et leurs croyances.
Emily s’était munie d’une dague. Bien, elle jouerait de sa souplesse et de sa vitesse. Sous l’œil scrutateur de M. Cross – bien sûr, il fallait que ce soit leur examinateur – le jeune homme s’empara d’un bâton de la longueur de son avant-bras.
Ils s’avancèrent. Ryu expira, ferma les yeux jusqu’à ce que le professeur annonce le début imminent du duel. Quand le sifflet vrilla les tympans de Ryusuke, il rouvrit tranquillement les paupières. Emily n’avait pas bougé – même si elle adoptait à présent une posture défensive.
Ryu n’avait pu assister au combat de son coéquipier, alpagué par l’annonce de son horaire de passage. Mais des années d’entraînement côte à côte avaient inscrit dans la mémoire du jeune homme les mouvements et habitudes de son ami. Comme Jim lui avait expliqué avec ses mots, Ryu devait privilégier l’instinct.
Il se jeta sur Emily. Se servit de ses longues jambes pour réaliser un bond qui avala la moitié des tatamis. Tendit le bras, le bâton en extension de son épaule, pour atteindre l’adolescente. Emily réagit par peur. Après avoir reculé de justesse, elle se déporta sur le côté et contra le coup descendant que Ryu avait déjà prévu.
Sans lui laisser le moindre répit, il la pourchassa. Ce n’était pas son style. Ce mouvement constant, cette nervosité, cette recherche du contact, c’était Jeremy. Et Emily en était franchement déstabilisée.
Il ne lui laissa pas une seconde pour en tirer une nouvelle stratégie. La respiration presque coupée par la violence inhabituelle de Ryu, Emily contra et renvoya quelques attaques. Jusqu’à ce que l’acharnement de Ryu, sa force physique plus conséquente, prennent le dessus. Son bâton frappa l’épaule de la jeune femme, lui arracha un grognement.
Elle riposta aussitôt en dirigeant sa dague vers le flanc de Ryusuke. Il bascula ses appuis, sentit le plastique dur frotter son t-shirt sans faire plus de dégâts. Abattit son arme sur sa hanche, son bras, se rétracta au dernier moment pour planter son pied contre ses côtes.
Ryu l’envoya valdinguer sur les tatamis.
Même M. Cross affichait une moue étonnée.
Avec un geignement, Emily se redressa sur un coude. Puis sur un genou. Enfin, l’air hagard, elle se tint debout face à Ryu. Il devina l’expression confuse sur ses traits crispés. Une crainte fugace. Une méfiance bien ancrée.
Ryu resserra sa grippe sur le bâton, s’avança dans sa direction. Pas de temps mort. Emily l’accepta, déglutit, leva sa dague. Ils se jetèrent l’un sur l’autre. Frappe, parade, feinte. Ratée, réussie. Coup, engourdissement. Colère qui grimpait leur colonne vertébrale.
Grimpait, grimpa encore. Le souffle erratique, les muscles pulsant, le cœur en cacophonie interne. Emily planta sa dague entre ses côtes, où elle visait depuis le début. Après s’être plié de douleur, Ryusuke la repoussa d’un mouvement circulaire. Plongea pour enfoncer le bout du bâton dans le ventre de l’adversaire.
Emily cria, tomba, pour mieux frapper de son poing fermé autour de la garde. Le coup atteignit Ryu à la cuisse, le déséquilibra. Il appuya sa main libre sur les tatamis, s’en servit comme appui pour balayer les jambes tremblantes de l’adolescente.
Le jeu était au sol à présent.
Le poids plus léger d’Emily l’envoya rouler plus rapidement que Ryu. Elle lui frappa l’aine, cria en même temps que lui lorsqu’il lui envoya son poing dans la mâchoire en retour. Le sang gicla de la lèvre fendue de la jeune femme. Elle se stabilisa à moitié à quatre pattes, porta un regard écarquillé vers Ryu.
Son cœur serré, fermé, pincé, il récupéra son bâton, l’abattit sur la main armée de l’ennemie. Un nouveau cri. Elle recula, ramassée sur son poignet blessé comme un chat sauvage. Ryu lui poussa l’épaule du pied, l’obligea à s’allonger en se servant de son poids.
Après quoi, il se laissa tomber à genoux de part et d’autre de la jeune femme. Le visage rougi d’effort d’Emily blêmit quand Ryusuke captura sa gorge entre ses mains.
Il ne mit aucune pression dans la grippe. Rien que la sentence finale de ce duel. L’évidence de sa victoire. Un dernier lambeau d’innocence perdue. Une couche de roc autour du cœur.
— Hitori, fit la voix de M. Cross par-dessus le brouhaha des spectateurs, la victoire est à toi.
Quand Ryusuke se redressa, le corps parcouru de frissons d’adrénaline, il tira le col de son t-shirt pour essuyer la sueur de son front. Le souffle court, il trouva le regard de son ami dans la foule. Jim lui adressa un mince sourire, mais ses yeux criaient le contraire.
Et Ryu se rendit compte qu’il n’y avait pas que la sueur. Il frotta ses joues, libéra une respiration tremblante. Dans le secret des paumes qui recouvraient son visage, il goûta aux larmes qui perlaient sur sa peau moite.
En accepta la douceur amère.



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Dernière modification par louji le ven. 14 juin, 2024 8:08 pm, modifié 1 fois.
louji

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- Chapitre 53 -



Lundi 12 mai 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Jeremy avait à peine eu le temps de descendre du car qui les avait emmenés, lui et les autres élèves, quand son père lui fit signe d’approcher. Tout en zieutant les alentours – un terrain d’immersion de plusieurs hectares à la lisière de la ville où se déroulait leur deuxième épreuve – il se dirigea vers Ethan.
Dès qu’il fut à sa portée, l’homme lui empoigna le bras et l’entraîna à l’arrière du car.
— Eh, fit Jim avec un mélange de surprise et d’agacement, qu’est-ce qu’il y a ?
Le visage de son père était si crispé que Jim fouilla sa mémoire à la recherche d’une bêtise qu’il aurait pu commettre. En dehors de s’être involontairement mis de la crème dans l’œil la veille pour traiter ses bleus, il ne voyait pas ce qui justifiait l’expression morose d’Ethan.
— Ça va ?
La question laissa Jeremy pantois. Avant de lui arracher un ricanement.
— C’est toi qui me tords le bras en faisant une tête de cent de pieds de long. Y’a un problème ?
Jim perdit toute trace d’amusement en constatant que les traits de son père se plissaient toujours plus. Il avisa la main d’Ethan enroulée autour de son bras, s’en dégagea sans brusquerie.
— P’pa, les autres sont juste à côté. Ils vont nous voir. Tu voulais me dire quoi ?
— Sois prudent, mon grand. Tout simplement, sois prudent.
Le jeune homme cligna des yeux confus, étudia l’éclat distant dans le regard de son père. La peur qui y luisait. La frustration qui suintait de sa silhouette figée.
— Y’a un truc avec l’épreuve ? chuchota Jeremy, dont la nervosité s’accrut brusquement.
— Je ne peux pas te dire. Tu sais bien. Promets-moi juste de… restez bien ensemble avec Ryu, d’accord ?
— Mais oui. C’est en binôme, de toute façon.
Ethan hocha la tête avec un rictus pincé. Comme des camarades entraient dans son champ de vision, Jeremy recula de plusieurs pas. Qu’un professeur prenne un élève à part juste avant une épreuve avait de quoi faire radoter. Il n’avait surtout pas envie qu’on l’accuse de tricher.
Comme Ethan restait silencieux, le visage fermé, Jim opéra un demi-tour. La mise en garde lui laissait un goût amer en gorge. Qu’avait-il appris pour être inquiet à ce point ?
Les mains de Jeremy tremblaient légèrement quand il retrouva ses amis près de l’entrée du site. Il préféra rester en arrière de leur cercle, à juguler l’anxiété qui lui tombait dessus comme un immense insecte nocturne. Après quelques profondes inspirations, Jim releva le nez. À gauche de leur groupe, les Intouchables discutaient entre eux. Comme lui, Emily était en retrait.
Elle lui coula un regard jaugeur, plissa les paupières. Puis, avec une lenteur volontaire, elle lorgna en direction de leur professeur. Avant de planter de nouveau son attention acérée sur lui.
La gorge de Jim se noua. Avait-elle remarqué son échange avec Ethan ?
Comme Emily se détournait enfin, Jeremy s’avança dans le groupe, agrippa le poignet de Ryu. Son ami se tourna aussitôt vers lui, afficha une moue soucieuse.
— On reste bien ensemble, hein ?
— Évidemment, Jimmy. (Ryu lui serra le bras, tapa son épaule contre la sienne.) L’intello et le punk ensemble.
Même si l’angoisse remplissait son esprit de brouillard et son cœur de vipères, Jeremy força un sourire sur ses lèvres. Il n’aurait pas donné cher de sa réussite en solitaire sur un terrain pareil. Avec Ryusuke, la perspective en était beaucoup moins effrayante.

Les soixante-dix participants étaient tous rassemblés en binômes. Une recrue-Fantôme avait dû s’associer avec une Mino, car les deux autres centres de formation étaient arrivés en nombre impair. Il y avait également eu un ajustement de dernière minute entre deux binômes de l’École, car la première épreuve avait fait deux blessés trop graves pour participer à la deuxième. Ils ne reviendraient que pour le dernier examen physique.
Devant le portail de la zone d’entraînement, cinq professeurs se tenaient en ligne. Chacun tenait des rubans colorés à la main. Rouge, bleu, vert, jaune et violet. Sept binômes par couleur.
— Nous avons élaboré cinq chemins à travers la zone, expliqua M. Cross de sa voix portante. Ces chemins sont délimités par des indices de couleur. Une trace de peinture, une fenêtre teintée, un tag, une flèche directionnelle ou même un tas de pierres. Il va falloir ouvrir l’œil pour surveiller que vous empruntez toujours la bonne voie. Ce ne sera pas toujours aussi évident qu’une flèche qui vous dit où aller. (M. Cross brandit ses rubans, d’une teinte bleu marine.) Nous allons vous donner à chacun un brassard, qu’il ne faudra surtout pas perdre. Ils vont nous permettre de vérifier que vous prenez bien l’itinéraire prévu à la base. Ils vont aussi permettre de vous identifier entre vous. À certains moments, vous allez croisez l’itinéraire des autres couleurs. Vous êtes autorisez à vous mettre des bâtons dans les roues, voire à forcer un échange de brassards si vous estimez leur itinéraire plus accessible.
Concentrés, les étudiants restèrent silencieux, plantés debout face à la ligne de professeurs. Visiblement satisfait par leur discipline, M. Cross reprit avec un rictus qui tendait au sourire :
— Bien entendu, la rapidité pour atteindre le point de sortie est le critère d’évaluation principal. Si vous prenez trop de temps pour ralentir les autres équipes, c’est votre propre binôme qui en pâtit. (M. Cross récupéra l’un des rubans bleus pour le séparer des autres.) D’ailleurs, vous n’êtes pas obligés de vous coller pendant cette épreuve. Si jamais vous êtes séparés pendant votre itinéraire, les points du binôme sont comptés par tête. Si l’un de vous arrive premier et l’autre dernier, vous aurez donc un score moyen au final.
— Nous vous conseillons quand même de rester groupés, intervint Mme Kairuij de sa voix rauque. Vous allez devoir vous entraider lors de certains passages. Si vous êtes seuls, vous serez plus exposés aux attaques des autres binômes.
Comme ses collègues hochaient la tête avec gravité, M. Cross s’éclaircit la gorge.
— Si vous avez des questions, c’est le moment. (Face au lourd silence qui lui répondit, son rictus se transforma en sourire narquois.) Bien, c’est le moment du tirage au sort.

Ryusuke finissait de nouer le ruban rouge autour du bras de Jim quand une voix s’éleva sèchement dans son dos :
— Bonne chance.
Il se tourna de concert avec son partenaire pour considérer la jeune femme au visage grave. Emily avait ramené ses cheveux auburn en chignon fonctionnel, ce qui lui conférait encore plus de sévérité. Comme Jeremy pinçait les lèvres d’un air circonspect, Ryu souffla :
— Merci, Emily. Bonne chance à toi aussi.
Il préféra ne pas inclure Hugo, qui les toisait quelques mètres plus loin. Des sept binômes sélectionnés pour le parcours rouge, deux provenaient de leur classe. Avec dépit, Jim et Ryu se tournèrent pour retrouver leurs amis.
Tess et Tina leur firent signe depuis le groupe violet. À l’opposée d’eux, au milieu des brassards verts, Kaya et Jason discutaient à l’écart de leurs adversaires. Les premières stratégies se mettaient en place.
Un coup de sifflet mit fin aux conversations. Après s’être assuré que tous les élèves s’étaient munis de leur ruban de couleur, M. Cross se tourna vers le portail. Il avait été ouvert pour révéler un bâtiment anonyme. Le début d’un terrain urbain de plusieurs hectares au service des entraînements de forces paramilitaires – ou d’activités de divertissement pour les particuliers.
L’École les avait amenés à quelques reprises sur ce terrain, mais pas suffisamment pour leur permettre de se repérer parmi la diversité de ses bâtiments, ponts, tunnels et routes. Surtout que les professeurs craignaient la vétusté des lieux et un accident similaire à celui d’une jeune élève qui était décédée lors d’un entraînement une vingtaine d’années plus tôt.
— Le bâtiment qui se trouve derrière moi ouvre sur les cinq chemins de couleurs. Vous allez tous vous rassembler devant votre point de départ respectif. Ne soyez pas étonnés : certains d’entre vous vont commencer par sortir par une fenêtre, par des escaliers de secours et le groupe bleu commence même sur le toit.
Comme les cinq professeurs faisaient signe à leurs groupes respectifs d’avancer, la masse d’élèves ne tarda pas à s’agglutiner à travers le portail. Jeremy et Ryusuke échangèrent un regard chargé d’appréhension alors qu’ils se faufilaient par la porte du bâtiment. Cette promiscuité avec leurs adversaires – des inconnus – n’apaisait pas tellement leur trac.
Et Jim ne pouvait plus s’enlever la mise en garde de son père de la tête. Il le chercha des yeux tandis que le mouvement de masse l’entraînait dans le vaste hall d’entrée. Au bout de quelques secondes, il le repéra à la tête du groupe bleu. Ethan faisait signe aux étudiants de grimper les escaliers en direction du toit.
Si les itinéraires changeaient d’une couleur à l’autre, Jeremy n’était pas certain d’être exposé au danger qu’Ethan craignait. Ou peut-être était-ce l’épreuve en elle-même, bien plus exigeante que la première, qui avait perturbé l’homme.
Sans être en mesure de trouver réponse à ses questions, Jim serra les poings, inspira entre ses dents serrées. Il se retint de trifouiller le col de son t-shirt moulant aux propriétés imperméables et respirantes – partie d’un ensemble que tous les élèves de l’École avaient été incités à porter. Il aurait bien fait rouler entre ses doigts les perles de son collier, mais il craignait de le déloger de son emplacement sécurisé et de le perdre au cours de l’épreuve. M. Cross le rabrouait déjà bien assez à propos de ses bijoux apparents qui risquaient de s’accrocher, voire de le blesser.
Jim s’était tout de même débarrassé de ses boucles d’oreille et de ses bagues pour ce mois d’examen. Il restait conscient des lambeaux de chair qu’elles pourraient arracher si elles se prenaient quelque part et qu’il se dégageait trop fort.
Ryusuke l’extirpa de ses pensées en le retenant par le bras. Leur groupe de brassards cramoisis venait de s’arrêter au premier étage du bâtiment, dont la façade nord était éventrée. Une brise tiède s’engouffrait par l’ouverture morcelée, soulevant l’odeur d’appréhension et d’excitation qui montait entre les compétiteurs.
Entre eux et la bâtisse en face étaient tendues des passerelles de planches espacées d’un demi-mètre. Sur les trois qui se côtoyaient, seulement deux étaient pourvues d’une corde de sécurité à laquelle se raccrocher. Toutefois, la passerelle non-sécurisée du milieu donnait un accès direct au bâtiment. Les deux autres impliquaient de grimper des échelles une fois arrivé sur la plateforme de réception.
— Je prends la passerelle du milieu, souffla Jeremy à son ami. J’ai de l’équilibre.
— Mais si quelqu’un te pousse ?
— Toi, tu passes par le chemin sécurisé. Si je tombe, je fais de mon mieux pour te rattraper.
Ryu poussa un geignement frustré – Jeremy avait pris un air buté qu’il n’avait pas le courage de défaire à quelques secondes du début de l’épreuve. Avant que le coup de sifflet soit donné, il planta un index dans le flanc de son coéquipier.
— Pas d’héroïsme ou d’arrogance, Jimmy. Promets-moi.
— Promis. (Jeremy lui serra le bras avec un sourire.) Vraiment.
M. Cross leur hurla de se mettre en place. Les deux amis se lâchèrent puis se campèrent sur leurs appuis. Ils étaient quatorze à se serrer au maximum au bord de l’ouverture béante. Autour d’eux, la bâtisse bruissait du souffle retenu de la cinquantaine d’autres élèves répartie aux quatre autres points de départ.
Après avoir consulté sa montre, M. Cross donna un coup de sifflet. Il retentit de façon simultanée dans tout le bâtiment. Soixante-dix élèves s’élancèrent.

La vision de Ryusuke se brouilla au milieu de la passerelle. Ayant accordé à Jim toute sa confiance, il en avait oublié ce que signifiait ce genre d’épreuves pour lui. Jeremy avait toujours aimé ces parcours idiots où il fallait grimper, se laisser tomber, basculer. Où le corps cherchait à prendre son envol.
Mais Ryu aimait avoir les pieds sur terre. Et même s’il n’était pas victime d’un véritable vertige, une sensation de malaise grossit à l’arrière de sa gorge tandis qu’il enjambait les planches, une main serrée autour de la corde. Le chanvre lui avait déjà irrité la paume, mais il se refusait à la lâcher. Surtout que des élèves le pressaient et le bousculaient pour l’obliger à avancer plus vite.
Il zieuta sur sa droite comme une silhouette était sur le point d’atteindre la plateforme de réception. Son cœur se souleva de joie en reconnaissant Jeremy. Parmi les quatorze élèves, ils n’avaient été que quatre à avoir tenté la passerelle du milieu. Jim posa pied le premier dans le bâtiment d’en face, se projeta par l’ouverture sans regarder en arrière.
Rassénéré, Ryusuke se concentra sur ses pas, sur la taille de ses enjambées. La main cramponnée autour de la corde, il se força à accélérer le rythme au détriment de son cœur apeuré. Un cri le figea en plein déplacement. Derrière lui, les étudiants stoppèrent leur progression, baissèrent le nez. Ryu les imita avec une respiration de retard. Trois mètres en-dessous, le quatrième élève qui avait emprunté la passerelle non sécurisée s’était écrasé. Heureusement sur des matelas de protection.
— Ryu !
Le cri l’arracha à la contemplation du jeune homme gémissant. Penché par l’ouverture, Jim lui faisait signe d’avancer. Ryusuke happa un brusque souffle dans ses poumons, reprit sa progression. Il se retrouva devant l’échelle en moins de temps qu’il ne l’avait prévu, entama l’ascension des barreaux avec des doigts rendus gourds par leur grippe sur la corde.
Une main agrippa sa cheville. Tira pour le déséquilibrer.
Il cria, donna un coup de pied instinctif. Un râle de douleur éclata sous ses talons, mais Ryusuke se focalisa sur le visage de Jeremy. La nuque déjà mouillée, il accepta la main que lui tendait son ami et se laissa basculer dans le bâtiment.
À l’intérieur, le chaos. Ils étaient trois groupes différents à s’être retrouvés dans cette bâtisse. Un binôme aux brassards jaunes les percuta. À travers les fenêtres, ils aperçurent les étudiants aux rubans bleus se laisser glisser par des tyroliennes depuis le toit.
— La marque rouge est là, lui indiqua Jim en pointant un trou dans le sol.
La gorge de Ryu se noua alors qu’ils trottinaient en direction du cercle percé dans le béton. Une barre métallique descendait dans l’obscurité. Avant que Ryusuke ait pu interroger son ami, Jim ramassa une pierre marquée de rouge parmi les débris qui les entouraient, la laissa tomber en tendant l’oreille. Elle percuta le sol dans un délai suffisamment court pour rassurer Ryu.
— Je passe devant, l’informa Jim en ajustant ses mitaines.
En le voyant faire, Ryusuke bafouilla quelques mots incompréhensibles, fouilla ses poches. Peu habitué à porter des gants pendant les entraînements, il en avait oublié les protections qu’on leur avait distribuées en même temps que les rubans.
Jeremy s’assit au bord du trou, agrippa la barre en enroulant les jambes autour. Se laissa glisser. Ryu patienta jusqu’à l’entendre atteindre le bas, d’où son coéquipier lui cria de le rejoindre. Ryusuke n’eut pas le temps de prendre autant de précautions. À peine avait-il agrippé la barre qu’une main le poussait dans le dos.
Son cœur remonta sa trachée tandis que son crâne frappait le métal et que son corps entamait une descente incontrôlable. Il parvint à garder les mains autour de la barre, ses mitaines l’empêchant d’écorcher ses paumes déjà sensibles.
Le sol le percuta. Ses jambes mal positionnées envoyèrent des ondes de douleur jusque dans ses épaules tandis qu’il s’effondrait sans grâce. Au-dessus de lui, des cris et des ricanements. Leurs adversaires de l’équipe rouge s’entassaient au niveau de l’ouverture, se disputaient l’ordre de passage.
Jeremy agrippa le t-shirt de Ryu, l’obligea à se relever et l’entraîna dans son sillage. Haletant, son front et ses chevilles pulsant de douleur, Ryusuke plongea dans une sorte de transe. Autour d’eux, les murs humides n’étaient pas bien larges. Pas bien éclairés non plus. Une ampoule tous les cinq mètres. Ses repères fondus, sa cadence désynchronisée, Ryu confia leur progression à Jeremy. Sa main toujours agrippée au niveau de son épaule, Jim courait en le traînant.
— Je vois le bout, lui annonça-t-il au bout de quelques secondes.
Leurs camarades, dans leur dos, également. Ils criaient, donnaient des ordres, s’encourageaient. Pour l’instant, leur binôme avait pris les devants. Ryusuke avait pourtant conscience d’être un poids mort, de ralentir les foulées énergiques de Jim. En temps normal, il était plus rapide, plus vif que son ami.
Mais Jeremy avait toujours été plus endurant, plus résilient. Et il porta pour eux deux, le long de ce tunnel mal éclairé au relent de moisi, la force et le courage de leur binôme.

La respiration de Ryusuke se cala sur un rythme plus apaisé lorsqu’ils atteignirent la troisième étape. Après avoir franchi une volée d’escaliers en métal glissant à l’embouchure du tunnel, ils débarquèrent sur une route déserte. Haletants, ils s’écartèrent de quelques mètres pour éviter qu’on les attaque dans le dos et cherchèrent l’indice cramoisi qui leur indiquerait la suite.
Ryu le repéra une vingtaine de mètres sur la droite. Dans une rue perpendiculaire, une fenêtre au cadre peint en rouge les narguait de sa vitre relevée. Entre elle et le sol, rien. Rien d’autre que la façade de brique du bâtiment.
— Merde, jura Ryusuke en zieutant les environs à la recherche d’escaliers, d’une échelle, d’une poubelle, de n’importe quoi pour les aider à monter.
— C’est parti pour la grimpette, ricana Jeremy en approchant du mur.
Dépité, Ryu préféra sonder le périmètre. Il partit en courant dans la rue, sentit son courage s’émietter mètre après mètre. Sur la route principale, les autres étudiants aux brassards rouges avaient émergé du tunnel. Ils ne tarderaient pas à trouver la fenêtre à leur tour.
— Ryu ! l’appela Jim. Les briques sont mal incrustées exprès ! Faut qu’on grimpe.
Le concerné stoppa sa course, ferma brièvement les paupières en s’essuyant le front. Il détestait l’escalade. Comment cette voie pouvait-elle tourner autant à son désavantage ? À côté, Jeremy devait presque s’amuser.
Résigné, Ryusuke galopa pour retrouver son compagnon avant leurs adversaires. Comme Jeremy avait déjà effectué un repérage mental des prises, il proposa à Ryu qu’ils escaladent côte à côte afin de le guider. Guère rassuré – il n’était pas question de baudrier, de mousqueton ou de sécurité avec ce mur – Ryu cala ses orteils et ses doigts sur les briques proéminentes que Jim lui indiqua.
Dizaine de centimètres par dizaine de centimètres, Ryusuke rampa le long de la façade. Jim restait toujours à sa hauteur, lâchant sans sourciller un appui pour indiquer à son ami une meilleure prise.
Et tandis qu’ils franchissaient les deux mètres de hauteur, le cœur de Ryu s’emballa. Les autres binômes avaient fini par les repérer, par deviner que la suite se déroulait ici. Jim les observa avec une grimace excédée, considéra le cadre rouge qui se situait encore un demi-mètre au-dessus. Il y avait de bons grimpeurs parmi leurs adversaires, s’ils devaient croire l’assurance avec laquelle certains d’entre eux se jetèrent sur le mur.
— Ryu, regarde en haut. Là, juste là.
La main de Jim vint se positionner au-dessus de la sienne, le guida à la prochaine prise. Ryu força sur ses jambes, coinça son pied plus haut, sentit son corps échapper un peu plus à la gravité. À sa droite, Jeremy accéléra brusquement. Il atteignit la fenêtre, passa son corps à travers avec une souplesse qui titilla le moral de Ryu. Quand son visage réapparut, il était rayonnant. Ryusuke n’en comprit la raison que lorsqu’il avait arma un lance-pierre dans sa direction. Du moins, dans la direction de l’élève le plus proche de lui. Une petite balle en caoutchouc fusa. Une exclamation déroutée sous ses pieds, un grognement excédé au-dessus de sa tête. Jim avait raté sa cible.
Le deuxième projectile fit mouche. Alors que Ryu avait pressenti l’ombre du grimpeur le plus rapide à sa gauche, il perçut un infime mouvement d’air, un cri désemparé puis un bruit sec. Jim tira encore quelques balles avant de jeter le lance-pierres pour aider Ryusuke à enjamber la fenêtre. Ils ne s’accordèrent pas une seconde de repos. Comme Ryu avait plus de facilités à repérer les signes dans l’espace, il prit les devants et les guida.
Cette fois, des flèches directionnelles les firent traverser, descendre et monter à travers une série de maisons mitoyennes dont on avait cassé les murs communs. Au bout de deux minutes de course effrénée, Ryusuke stoppa net. Jim se déporta pour l’éviter, se rattrapa à la balustrade d’un escalier. Les joues roses, il interrogea son ami d’un regard scrutateur, impatient.
— On tourne en rond, grommela Ryusuke en rougissant aussi bien de ses efforts que de sa stupidité.
Un éclair de compréhension traversa Jeremy. Un grognement monta depuis le fond de sa gorge.
— On fait quoi ? gronda-t-il en observant la cage d’escaliers dans laquelle ils s’étaient figés. On revient au début ?
— Je sais pas. Laisse-moi réfléchir.
Les mâchoires et les jambes tremblantes, Ryu se laissa choir sur une marche d’escalier, observa la flèche tagguée à la peinture rouge qui les incitait à prendre ensuite à droite au deuxième étage. Ryu finit par se redresser, grimpa les dernières marches pour atteindre l’étage. Ici, une autre flèche leur indiquait de redescendre.
— Les flèches, geignit Ryu en se prenant la tête entre les mains. Certaines ont la base carrée. D’autres rondes.
— T’es sûr que ça compte ?
— Je sais pas. On essaie de continuer à droite et pas de descendre ? Pour voir si les bases carrées sont celles à suivre ?
— Pas trop le choix, de toute façon, grinça Jim en reprenant sa course.
Ils ignorèrent la flèche qui pointait les escaliers et poursuivirent sur la coursive. Après avoir franchi une nouvelle cloison effondrée, ils aperçurent une flèche qui indiquait de monter les escaliers.
— Base ronde, nota Ryu avant de secouer la tête. On continue.
Jim lui emboîta le pas, s’efforça d’observer les environs à la recherche d’un indice. Quand une flèche rouge apparut brièvement dans son champ de vision, il poussa un cri. Ryu tourna les talons, fonça dans la pièce que pointait Jim.
Ils se retrouvèrent de l’autre côté, à zieuter en contrebas d’une route qu’ils ne connaissaient pas. Au milieu de celle-ci, une immense flèche peinte en rouge pointait vers l’est. Base carrée.
— Ryu, t’es un génie. (Un rire sauvage roula sur les lèvres de Jeremy, qui se retint de sauter au cou de son ami.) Mon intello préféré !
Pendant que Ryusuke s’esclaffait, il observa les environs à la recherche d’un moyen de descendre. Pas d’escalade cette fois : un escalier de secours miroitait contre la façade de la maison à côté. Ils rebroussèrent chemin pour rejoindre la pièce attenante et échangèrent un sourire soulagé comme la porte de sortie s’ouvrait sans résistance.
Ils dévalèrent les marches grinçantes à toute allure. Sprintèrent en direction de la flèche une fois le bitume atteint. Remarquèrent alors les deux silhouettes qui les précédaient. En percevant leurs pas, l’une d’elle se retourna.
Les tripes de Ryu se nouèrent. Emily. Elle avait compris plus vite que lui, pour les flèches. Une rage nouvelle lui enflamma le sang. Il sollicita davantage ses muscles, accéléra la cadence. Jim grogna d’effort pour se maintenir à son allure. Face aux longues jambes de son coéquipier, il devait compenser par des foulées plus rapides.
L’avantage d’être passés deuxièmes, c’est qu’ils purent compter sur Hugo et Emily pour leur indiquer la suite. Leurs adversaires s’engouffrèrent dans le rez-de-chaussée d’un immeuble de deux étages. Un drapeau rouge flottait sur sa façade.
Obnubilé par l’envie de rattraper le binôme de tête, Ryu manqua le reniflement et la grimace de son ami. Jeremy ralentit le pas, observa le ciel à la recherche de fumée. Ça sentait le brûlé. De plus en plus.
Ses poumons assaillis par le fumet acide, Jim appela Ryusuke tandis qu’ils fonçaient dans l’immeuble. Une guirlande de Noël rouge enroulée autour de la rambarde d’escaliers leur dévoila la suite.
— Ryu !
L’intéressé se dévissa le cou, fronça les sourcils. Le visage de son ami avait pris une teinte cendreuse.
— Ryu, y’a un truc qui crame !
Ryusuke haussa les épaules, entama l’ascension des escaliers. Il n’était pas étonné que l’organisation ait incendié une partie de la zone. Après tout, les autres voies devaient avoir leur lot de mauvaises surprises.
L’odeur de brûlé frappa soudain Ryu à la poitrine. Son cœur descendit dans ses talons alors que la guirlande l’incitait à grimper toujours plus haut, toujours plus proche des relents de fumée.
— Merde.
Au-dessus d’eux, Emily et Hugo s’étaient arrêtés. Face à une ouverture béante au deuxième étage. Du rouge. Du rouge partout. Un chemin au milieu des flammes.



Suite
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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

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- Chapitre 54 -



Lundi 12 mai 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Le rouge dévorait. Calcinait, effaçait. Gonflait, hurlait, provoquait.
Emily et Hugo n’avaient pas osé s’engager à travers le chemin ondulant de chaleur et de fumée. Ryusuke ne tarda pas à les rejoindre, tout aussi ébahi. Franchir des passerelles sans sécurité, courir à travers des tunnels sombres et escalader un mur n’était pas franchement une mince affaire.
Mais traverser un bâtiment en feu relevait de la mission-suicide.
— C’est quoi ce bordel ? cracha Hugo en se tournant vers sa partenaire. T’es sûre de toi, Emy ? T’es sûre qu’on s’est pas trompé avec les flèches ?
Elle serra les dents, fusilla du regard son coéquipier avant de considérer Ryu. Ses joues rougies par l’effort et les flammes à proximité blanchirent. Son assurance s’effilochait seconde après seconde.
— Toi aussi, tu as deviné que les flèches à base carrée étaient les bonnes ?
— Oui, répondit Ryusuke avec une grimace. Celles à base ronde nous faisaient tourner en rond.
Comme la jeune femme acquiesçait avec raideur, Jim finit par les rejoindre au deuxième étage. Ignorant ses camarades, il darda un regard vide en direction des flammes. Ce n’était qu’une ligne droite. Un couloir. Vingt mètres de long.
Ses mains rendues moites par les efforts fournis ces dernières minutes trouvèrent le moyen de coller ses mitaines à ses paumes sous l’assaut de la sueur. Sous son t-shirt, les frissons gagnèrent ses flancs, son dos. Remontèrent jusque sur sa nuque.
— T’as froid ? s’étrangla Hugo en avisant les avant-bras du jeune homme qui se couvraient de chair de poule.
Toujours captivé par les flammes qui dansaient langoureusement au-delà de l’ouverture, Jeremy ne prit pas la peine de répliquer. Ryu le considéra, retint son souffle. Son ami n’avait pas froid.
Il était terrorisé.
Ryusuke fut à ses côtés dans la seconde qui suivit. Il se planta entre le chemin de feu et la silhouette de son compagnon, lui prit le visage entre les mains. Il n’y avait que du néant dans le regard de Jim. Une peur si viscérale qu’elle avait avalé tout le reste.
— Jeremy, geignit Ryu en sentant son propre corps trembler en réponse. Laisse tomber. Demande à être évacué. C’est pas grave.
Son ami entrouvrit les lèvres, sembla sur le point de s’effondrer purement et simplement. Puis, étincelle après étincelle, la lumière refit surface au fond de ses yeux.
— Nan, crossa-t-il après avoir dégluti. Non.
Il repoussa les bras de Ryu puis le dépassa. Sans se soucier de la présence de ses adversaires, il siffla pour Ryusuke, pour lui-même :
— J’ai été suivi pour ça. Pour cette foutue phobie. Je vais pas reculer maintenant.
Jim relâcha un souffle nerveux, déglutit de nouveau. Le mélange d’effroi et de fumée ne faisaient pas un grand bien à sa gorge. Il avança d’un pas en direction de l’ouverture, puis d’un autre. Se retrouva à hauteur d’Emily.
— T’as peur à ce point ?
La question sarcastique de Hugo ne tira qu’un froncement de nez à Jeremy. Il dévisagea son camarade, étira les lèvres en sourire acide.
— Après toi, Hugo. Puisque t’as l’air de prendre ton pied.
Le jeune homme aboya un rire sauvage avant de se pencher par l’ouverture. Emily leva les yeux au plafond, aussi sidérée qu’agacée par la facilité avec laquelle son partenaire avait répondu à la provocation.
L’acide du sourire de Jim lui dévala la trachée quand Hugo s’engagea dans le chemin. Les deux mètres de large exposaient à la cruelle morsure des flammes si on ne prêtait pas assez attention à son positionnement.
— On y va ensemble, lui proposa Ryu tandis qu’Emily posait un pied prudent dans le couloir de l’enfer.
Une fois la silhouette de la jeune femme pleinement engagée, les deux amis s’approchèrent de l’ouverture. Le feu devait être maîtrisé d’une façon ou d’une autre ; il n’atteignait pas l’immeuble par lequel ils étaient arrivés et, de l’autre côté du couloir, la sortie était clairement visible et vierge de toutes flammes.
Ryusuke prit le poignet de son ami en enjambant le rebord. Les murs dévorés par le feu les enfermèrent dans une rôtisserie géante. Même s’il ne faisait sûrement pas aussi chaud que dans une véritable habitation envahie par les flammes, la sueur ne tarda pas à couvrir les jeunes hommes de la tête aux pieds. Ils se baissèrent pour chercher l’air pur près du sol, toujours liés par la main de Ryu autour de poignet de Jim.
Deux mètres. Puis cinq. Progression assourdissante. Jim avait souvent remarqué à quel point on oubliait le boucan généré par un incendie. La rage dévorante des flammes. Qui happait l’air, se régalait du bois, craquait le placo, glissait le long du métal. Une rage qui ne trouvait la satiété qu’après avoir avalé les dernières molécules d’oxygène.
Et toute la chair sur son passage.

Ce n’était peut-être pas si mal que ce soit Ryu qui le tienne par le poignet et non l’inverse. Jeremy aurait craint de lui percer la peau tant l’anxiété rendait ses mouvements secs et incontrôlés. Ses genoux tremblaient si fort que ses chevilles manquaient se tordre à chaque pas.
Ses trapèzes crispés envoyaient des ondes douloureuses dans ses cervicales. Ses yeux larmoyaient et sa gorge se rétractait à cause de la fumée. Elle devenait de plus en plus dense. Étouffante. Un piège toxique, inévitable.
— Allez, encore un peu, l’encouragea Ryu en tirant sur son bras.
Jeremy s’était arrêté sans s’en rendre compte, le front dégoulinant de sueur. Le voile opaque, rejeton des flammes, ne tarderait pas à empoisonner complètement ses poumons. D’une seconde à l’autre, Jim s’attendait à perdre connaissance. À sentir cette odeur âcre arracher la conscience à son être.
Pour se réveiller avec la pire douleur qu’il n’ait jamais expérimentée. Quitter le noir de l’incendie pour le blanc de l’hôpital avec une vision fragmentée par la violence, un corps déchiré, un esprit calciné.
— Je peux pas, geignit-il en se laissant tomber à genoux. Je peux pas.
Sans la protection des côtes, Jim n’aurait pas été surpris de voir son cœur s’échapper de son sternum. Ses poumons rapetissaient sous l’assaut de son palpitant. Et la douleur glissait le long de sa cage thoracique, gagnait son abdomen, lui écrasait les tripes.
Sa vision se troubla lorsqu’il se pencha vers le sol, sans savoir s’il voulait vomir, hurler ou pleurer. Il le faisait déjà un peu, à vrai dire. Des sillons lui raclaient les joues.
Ryusuke se pencha au-dessus de lui, passa un bras autour de son torse comme pour le relever.
— Jeremy. Jeremy, redresse-toi ! S’il te plait.
La demande virait à la supplique. Jim la considéra un instant avant de la balayer. Même si son esprit en avait dicté l’ordre, jamais son corps n’aurait obéi. Entre le noir de l’inconscience et le blanc du réveil, il n’y avait pas de choix dénué de souffrance.
Ryusuke força sur ses jambes pour l’aider à se relever. Il avait beau être plus grand, il n’était pas forcément plus fort. Et rien n’avait jamais paru aussi lourd à Ryu que le corps en pantin de son ami.
— Jeremy, gémit Ryu en les laissant retomber tous les deux. Jimmy.
Le sol n’était plus qu’une flaque grise informe. Un sol à peine tangible sur lequel Jim rampait. La présence de Ryu lui était tout juste palpable. La chaleur de son corps ne parvenait même pas à son cerveau tant le feu accaparait tout son être.
Puis un éclat de lucidité, d’oxygène. Jim se redressa sur un coude, avança un genou puis un autre avec l’aide de Ryu. Emporté par les bras de son ami et par un zeste d’instinct de survie, il se remit debout.
Une caresse sur l’épaule. Une bouffée de chaleur si intense qu’elle lui gela l’épiderme. Puis le blanc incandescent de la souffrance.
Jeremy se jeta de nouveau en sol en hurlant. En apercevant les flammes qui avaient gagné l’épaule droite de son coéquipier, Ryusuke cria à son tour. De tout son poids, il se jeta sur Jeremy, le força à passer sur le dos.
— Roule ! l’exhorta Ryu en se cassant la voix. Roule sur ton épaule !
Guidé par les gestes de son ami, Jim s’exécuta. Sa poitrine se soulevait de façon convulsive, malmenée par une respiration inégalée et un cœur qui menaçait de céder. La douleur enveloppait son épaule droite du coude jusqu’au cou. Mais il n’y avait plus de flammes. Leur morsure avait cessé. Pour ne laisser qu’un néant de nerfs surchargés, d’épiderme meurtri.
Ryusuke le força de nouveau à rouler sur le ventre. Il devait inspecter la blessure. Il grimaça en apercevant la peau anormalement rougie, cloquée sur certaines zones. Mais, à son immense soulagement, le t-shirt n’avait pas cédé face aux flammes. Fabriqué dans un matériau ignifuge, le haut qu’on leur avait fourni avait protégé une grande partie de l’épaule.
— Ça va, Jimmy, lâcha-t-il en laissant tomber son front sur l’omoplate valide de son ami. Ça va.
Jeremy n’avait rien à lui répondre, rien d’autre qu’un gargouillis d’effroi, de douleur et d’épuisement. La sortie était à moins de dix mètres. Mais il aurait préféré passer de nouveau un an et demi aux côtés de son oncle que d’affronter ça.
— J’peux pas.
Ryu ne l’avait pas entendu. Son souffle près de son oreille, il l’encourageait à se relever, à franchir les derniers mètres qui leur offriraient la délivrance. Puis d’autres voix se joignirent à celle de Ryusuke. Derrière eux. Le reste des élèves du parcours rouge, qui avait fini par comprendre la mascarade. Des voix devant eux. Jeremy dressa le nez, la vue toujours trouble. Il n’y avait pourtant qu’une paire d’yeux de ce turquoise étonnant qui pouvait dédaigner aussi efficacement.
— Tu retardes ton équipe, fit remarquer Emily d’une voix portante, plantée au-dessus du binôme sidéré.
Ryusuke se redressa, alterna entre la silhouette autoritaire de la jeune femme et celle effondrée de son ami. Il finit par se concentrer sur sa camarade de classe.
— Pourquoi tu es revenue en arrière ?
— J’ai envoyé Hugo finir le parcours. (Elle se baissa pour attraper Jim par le bras et ne sourcilla pas quand il siffla de douleur.) On va le sortir de là.
Comme Emily avait réussi à redresser Jeremy en partie, Ryusuke sauta sur l’occasion. À eux deux, ils parvinrent à remettre leur camarade debout. La tête de Jim dodelinait, son attention incapable de se fixer sur quoi que ce soit. Autour des épaules d’Emily, son bras droit palpitait douloureusement.
— Allez, du nerf, gronda la jeune femme au bout de deux mètres. Tu nous aides pas, Wayne.
Jim tourna vaguement la tête vers elle, n’émit qu’un grognement à peine audible à travers le rugissement des flammes. Qu’est-ce qu’elle fabriquait ? Pourquoi avait-elle fait demi-tour pour aider leur binôme ? Alors que leur duo avec Hugo était en tête ?
— Courage, Jimmy, ajouta Ryu en supportant la majorité de son poids.
Cahin-caha, ils poussèrent la progression sur quelques mètres encore. Emily finit par se rétracter en couinant. Des flammèches avaient atteint sa cuisse. Elle tapa aussitôt dessus et ne relâcha son souffle qu’une fois le feu disparu du tissu. Après quoi, elle poussa un juron que Ryu entendait pour la première fois dans sa bouche.
Ses yeux jetaient des éclairs quand elle se tourna vers Jeremy. Elle l’empoigna par le col, l’admonesta à quelques centimètres de son visage :
— On va pas faire le reste pour toi ! Tu dois t’en sortir tout seul !
Frappé par la colère de la jeune femme et par la porte de sortie qui ne se trouvait qu’à trois mètres – quand avaient-ils progressé autant ? – Jim déglutit, cligna plusieurs fois des paupières.
Avec un grognement sourd, il repoussa la jeune femme, s’appuya sur Ryu. Son ami grinça des dents pour contrebalancer ce poids mort. Il ne faillit pourtant pas alors que Jim avançait à petits pas en direction de la sortie.
Emily les devança pour sortir. Ryusuke accéléra la cadence, ne se départit pas de ses encouragements malgré ses cordes vocales irritées. Quand ils franchirent finalement l’ouverture pour trouver un balcon extérieur, ils se laissèrent tomber à genoux.
Ryusuke haletait, les muscles tremblant d’effort. Quant à Jim, il se tenait l’épaule en respirant par à-coups, les joues encore mouillées de sa détresse. Même si l’air autour de lui était pur, la vue dégagée, son esprit était encore capturé par le feu dans son dos.
Prisonnier d’un cauchemar sans fin, d’une peur enfantine devenue tourment.

Quand Jeremy fut capable de tenir debout sans aide, il s’adossa à la balustrade du balcon. Était-ce contre cette étape que son père avait essayé de le mettre en garde ? Contre ce couloir où résonnaient impitoyablement les échos d’un traumatisme indélébile ?
À sa gauche, une échelle donnait accès au toit, où des tyroliennes les emmenaient sur le rempart qui délimitait la zone. Un drapeau rouge dansait dans le vent pour indiquer la fin du parcours. La silhouette de Hugo y était déjà dressée, visiblement arrogante malgré les dizaines de mètres qui les séparaient.
Sans attendre plus longtemps, Jeremy vira vers Emily.
— Pourquoi ? grogna-t-il d’une voix rendue rauque par la fumée.
— Parce que, répliqua la jeune femme d’un air laconique.
Son regard acéré hurlait qu’il y avait une raison. Jim comprit que ce n’était simplement pas le bon endroit. Leurs adversaires s’étaient déjà engagés dans le couloir de feu et ne tarderaient pas à les rejoindre.
Vidé de toutes ressources, Jim lorgna l’échelle avec appréhension. Ça ne lui aurait demandé aucun effort en temps normal. De simples barreaux à escalader. Un toit à traverser en courant. Une tyrolienne à intercepter et à ajuster pour rejoindre un mur de l’autre côté. Un jeu d’enfant après ce qu’ils venaient de traverser.
Un parcours du combattant pour un corps qui tremblotait encore, pour un esprit qui basculait entre présent et passé sous un ciel commun de feu et de fumée.
L’ayant remarqué aussi bien que Ryu, Emily se tourna vers celui-ci et décréta :
— Pars devant. Je reste avec lui. Jusqu’à ce qu’il soit capable de finir le parcours.
Son ton sans appel les laissa tous deux bouche bée. Ryu réintégra ses pensées en premier.
— Quoi ? Mais… Hugo t’attend.
— Hugo a fini premier du parcours rouge. Ce qui veut dire, qu’au pire, notre équipe a la moitié des points. Et, pour l’instant, aucun de vous deux n’a fini. Donc vas-y.
Comme Ryu ne réagissait pas, son visage pâlissant à mesure que les secondes s’égrenaient, les traits d’Emily se durcirent.
— Vas-y, je te dis ! Je reste avec lui pour que tu puisses finir le parcours. Pour que votre binôme ait la note que vous méritez. (Ryu ouvrit la bouche, mais elle le devança : ) Vas-y, Ryusuke.
Ce fut le déclencheur. Ryu tressaillit, observa Emily avec une surprise mêlée d’admiration et de respect. Des qualitatifs qu’il avait éprouvés plus d’une fois pour sa camarade. Mais elle se teinta d’une once d’affect alors qu’il s’élançait vers l’échelle sans se retourner.
En cinq ans d’étude commune, c’était la première fois qu’elle l’appelait par son prénom.

Emily patienta jusqu’à ce que l’adversaire le plus proche soit à quelques mètres de la sortie. Alors elle empoigna un Jim encore vacillant par le bras, le poussa jusqu’à l’échelle.
— Grimpe. On doit parler.
Jeremy poussa un grognement de vaine réplique à défaut de pouvoir parler correctement. Comme il craignait autant Emily que les bribes de son angoisse, il parvint à rejoindre le toit après quelques dérapages sur les barreaux.
Une fois qu’elle l’eut rattrapé, elle le poussa de nouveau. Ils traversèrent le toit en trottinant. Comme Jim s’approchait des tyroliennes, Emily le retint par le bras. Son visage s’était fait grave.
— Tu es le petit-fils d’Alexia Sybaris, n’est-ce pas ? Le fils d’Ethan Sybaris. Ethan Hunt. Notre prof. Le neveu d’Edward Sybaris, qui gère le projet Réseau. (Comme il restait silencieux, devenu blême malgré les rayons du soleil qui les frappaient, elle poursuivit sans répit : ) J’ai fait le lien entre vous tous. Je me sens tellement bête. D’être passée à côté de l’évidence tout ce temps. Mais c’est la ressemblance entre ton père et ton oncle qui m’a mise sur la voie. À partir de là, j’ai tout remonté. Ton dossier, celui de Ryusuke, la façon dont vous êtes devenus Recrues, pourquoi tu ne vivais pas avec ton père à ce moment-là. Pourquoi tu connaissais Michael Lohan, qui t’a sauvé la mise quand tu m’as agressée en 3ème année.
Emily s’approcha d’un pas, plongea les yeux dans les siens. Jim eut la désagréable impression d’être mis à nu, fouillé au plus profond de son esprit, dépouillé de ses secrets de protection.
— Jeremy Wayne Sybaris Hunt ? reprit-elle d’une voix claire. Comment je dois t’appeler ? Quelle est la vérité, dans tout ça ? Tu étais bien un menteur, en fin de compte.
— La ferme, cracha Jeremy, dont les pommettes s’étaient mises à rougir. Tu sais rien, Emily.
— Oh, je sais tout, rétorqua la jeune femme avec sérénité. Maintenant, je sais tout. Je te l’ai déjà dit : je suis déléguée. J’ai accès à de nombreux dossiers. Aux archives. Ma famille m’a même donné accès aux dossiers de la A.A.
Jim perdit à nouveau toutes ses couleurs. Sa colère envolée, il ne resta que la brume de son angoisse. De son passé ressurgi à travers le feu, déterré par la voix d’Emily.
— Ta sœur et toi êtes des fantômes, avança-t-elle d’un ton moins sévère. Du moins, aux yeux de S.U.I. La société vous a protégés. Des Sybaris eux-mêmes, n’est-ce pas ? Il y a un rapport d’incident datant du six mai deux-mille-douze. Qui est à la base d’un long arrêt de travail de l’agent Ethan Sybaris. L’incendie de votre maison. Comme ta famille s’est séparée du reste des Sybaris, je me doute qu’il y a eu discorde. (Elle haussa les épaules, zieuta sur le côté où Ryusuke venait de rejoindre Hugo.) Le rapport précise qu’il y a eu deux décès, ceux des enfants de Maria Wayne et d’Ethan Sybaris.
Trop sonné pour l’empêcher d’asséner ces vérités qu’il ne connaissait que trop bien, Jim se contenta de la dévisager. Depuis quand creusait-elle autant à la recherche de ces secrets de famille qui n’auraient dû appartenir qu’à eux ? Jusqu’où ses recherches l’avaient-elles menée ?
— Alors tu étais un fantôme, tout ce temps, conclut la jeune femme en lui réaccordant son attention. D’où ton parcours si étonnant. Quand tu as disparu pendant un an et demi, tu étais où ?
— Puisque tu parles de fantômes, grinça-t-il d’un ton mordant, j’étais avec eux. À la Ghost Society avec mon oncle. Satisfaite de tout savoir de ma vie, Emily ?
La surprise lui fit brièvement écarquiller les yeux. Elle se recomposa, plissa la bouche.
— Je ne comprends pas. Pourquoi tu as caché ton identité après ton retour à l’École ? À priori, les Sybaris ne vous voulaient plus de mal.
— Parce qu’il y a des gens comme toi.
La réponse eut le même effet qu’un uppercut dans la poitrine d’Emily. Elle recula d’un pas, mal à l’aise. Conscient de sa vulnérabilité temporaire, Jeremy reprit avec véhémence :
— Parce que j’étais déjà votre cible préférée. Parce que si on avait su que j’étais le fils du prof, on m’aurait fait vivre la misère. On m’aurait accusé d’avoir été favorisé par l’École. Par les profs.
— Tu aurais été Intouchable, susurra Emily en ignorant ses propos. Littéralement le plus intouchable d’entre nous. L’héritier d’Alexia Sybaris elle-même.
— Je suis l’héritier d’une famille de merde, Emily ! cria Jim qui arrivait à bout de patience. Tu as peut-être fouillé les dossiers, mais tu sais rien de ma famille !
Comme il s’était avancé pour enfoncer au plus profond ses convictions dans le crâne d’Emily, elle recula de nouveau. Tressaillit quand le parapet lui pressa les mollets. Dressé face à elle, une rage collante de peur en aura, Jeremy ne paraissait plus aussi vulnérable.
— Merci de m’avoir aidé, cracha Jim en reculant. Mais va te faire foutre pour avoir fouillé dans ma vie et celle de mes proches.
Emily encaissa l’insulte sans réagir. La réaction était prévisible, cohérente avec la susceptibilité méfiante que Jim lui avait toujours témoignée. Et elle ne lui en voulait pas d’être aussi agressif. Elle avait fait voler en éclats la surface de mensonges que sa famille avait construit – même si c’était par sécurité.
Quand il s’éloigna en direction des tyroliennes, elle ne chercha pas à le retenir. Emily lui emboîta le pas, car il fallait bien qu’elle termine le parcours à son tour. Ils agrippèrent les tyroliennes en même temps. Jeremy lui adressa un regard noir avant de s’élancer.
— Si tu dis ça à qui que ce…
— Même mes parents ne savent rien de ce que j’ai trouvé, l’interrompit Emily d’une voix cassante. Ni Hugo. Personne. Et je ne dirai rien. Je te le jure.
La déclaration, brutalement solennelle, laissa Jim décontenancé un instant. Pourquoi chaque situation, chaque dialogue, devait prendre cet aspect cérémoniel avec cette fille ?
— Je ne te trahirai pas, insista Emily en lorgnant le drapeau rouge de l’autre côté du fil. Et je suis désolée pour ce qui est arrivé à ta famille. Pour ta phobie du feu à cause de l’incendie.
— Par pitié, tais-toi, gronda Jeremy sans grande conviction – il était trop épuisé pour se mettre de nouveau en colère.
— Très bien. (Elle jeta un coup d’œil étincelant de raillerie dans sa direction.) C’est pas parce que tu es le petit héritier de S.U.I que je vais te laisser gagner.
Elle s’élança sans attendre de réponse. Jeremy serra les dents pour se retenir de hurler qu’il n’avait rien du petit héritier de S.U.I et déclencha la tyrolienne à son tour.



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Dernière modification par louji le ven. 28 juin, 2024 8:32 pm, modifié 1 fois.
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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

Hello, instant de devoir citoyen : pour les personnes concernées, allez voter dimanche !! Je rappelle qu'on peut trouver les candidats de sa circonscription ici et les programmes des partis ici. Et je pense que mes écrits traduisent assez bien mes valeurs et ce que je prône, mais ici ça va voter NFP bien entendu !! Et si vous hésitez, lisez les programmes au calme en essayant de vous projeter + loin que votre prochaine feuille d'imposition les amis. Et si vraiment vous hésitez encore, ouvrez un livre d'Histoire européenne du XXe siècle ou regardez chez nos voisins les droits Humains qui s'évaporent mystérieusement 🤡


- Chapitre 55 -



Lundi 19 mai 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Sous le soleil de midi, Jeremy, Ryusuke et leurs amis déjeunaient sur un grand plaid déployé sur la partie en pelouse du stade d’athlétisme. La journée avait été banalisée pour leur accorder du repos avant la dernière épreuve. Le groupe d’amis en avait profité pour organiser un pique-nique à l’École et s’encourager mutuellement.
— Elle en met du temps, marmonna Valentina en zieutant les environs à la recherche de sa partenaire.
Tess avait disparu depuis quelques minutes déjà. Partie chercher une canette de soda fraîche au Centre, d’après ses dires. Peut-être la pause de midi avait-elle rallongé la file d’attente devant les distributeurs.
— Au pire, on attaque ? proposa Kaya en lorgnant les plats que chacun avait apporté.
— J’ai la dalle, acquiesça Jim en s’emparant de plusieurs assiettes en carton. Allez, je fais le service, dans ma grande galanterie.
Tandis qu’il répartissait un peu de chaque salade et accompagnement dans les assiettes, Jason se pencha sur les plats qu’avait spécifiquement ramené Jeremy.
— Je rêve ou t’as mis de l’huile d’olive absolument partout ?
En tendant l’assiette à son ami, Jim ricana. Il avait préparé deux salades ainsi que des feuilletés à la feta, des tyropita.
— Jay, ma mère est à moitié italienne. Mon père d’origine grecque. J’avalais déjà des litres d’huile d’olive que j’étais même pas né.
Ses amis s’esclaffèrent tandis qu’il distribuait les assiettes. Jim laissa de côté celle de Tess et chacun attaqua son repas.

Cinq bonnes minutes plus tard, Tess les rejoignit en trottinant. Elle se laissa tomber sur le plaid, sa canette entre les mains et les joues rouges.
— OK, les gars, je crois que j’ai eu un coup de foudre.
Une série de « ooooh » s’éleva du groupe. Tina fut la première à reposer son assiette pour se pencher vers sa coéquipière. Les yeux pétillants, elle réclama :
— Dis-nous tout !
— Je sais pas si c’est une Mino ou une recrue-Fantôme, mais j’ai croisé une fille en allant chercher ma canette. En tout cas, elle est pas de l’École. Sinon, je l’aurais repérée depuis longtemps. Et… ouais. J’ai senti un truc, là.
Alors qu’ils riaient déjà de bon cœur, ses compagnons craquèrent quand leur amie bondit soudainement. Yeux écarquillés, elle tendit l’index en direction du Centre, où un groupe de six personnes marchaient en observant les environs.
— Putain, mais c’est elle. La fille avec la queue-de-cheval et les jambes interminables.
Les cinq autres adolescents cessèrent leurs moqueries pour considérer la jeune femme en question. Jim fut le premier à réagir :
— Tess, mais t’es sérieuse ?
Son ton sidéré – et teinté d’un soupçon d’irritation – arracha une grimace à Tess. Elle se rassit, dévisagea Jeremy qui serrait les dents.
— Y’a trois ans, tu flashes sur mon père. Et là, sur ma cousine ? T’es sérieuse ?
Un silence dispersé par le vent et les rires des élèves au loin fila entre eux. Kaya, Jason et Valentina les observèrent tour à tour, tout aussi décontenancés par la situation. Quant à Ryu, il garda les lèvres closes pour s’empêcher de rire. Il avait reconnu Rebecca à l’instant où Tess l’avait pointée du doigt.
— Attends quoi ? s’étrangla Tess en ouvrant grand les bras. T’as une cousine ? Qu’est-ce qu’elle fout là ? Pourquoi tu me l’as jamais présentée avant ?
— C’est la fille d’Edward ! Elle est là parce que c’est un Fantôme, Tess. Rebecca encadre le projet Réseau.
— Pourquoi elle est pas venue avant ? Si j’avais su !
Conscient qu’ils n’abordaient pas le problème de la même manière, Jeremy leva les yeux au ciel. Il tendit les jambes sur le côté en respirant profondément. Il n’aurait pas dû être étonné de vivre une situation aussi loufoque avec Tess. Et pourtant…
— Elle est venue en mars. Mais juste pour quelques jours et elle s’est fait discrète. Là, elle va aider à surveiller les épreuves qui arrivent.
— OK, OK. (Tess se pencha vers lui en esquissant un sourire implorant.) Jim, tu me donnes son numéro ?
— Hein ? Dans tes rêves.
— Quoi ? Mais sois pas comme ça. Tu peux partager un peu.
— C’est ma cousine, merde.
Tess balaya la répliqua d’un geste de la main. Elle se déplaça sur le plaid jusqu’à se trouver sous le nez de Jim.
— Je te trouve un peu protecteur. Elle est plus âgée que toi, en plus. C’est quoi le problème ?
— C’est comme ma sœur, Tess.
— Eh, je te signale que je te laisse passer du bon temps avec ma propre cousine. Tu pourrais me rendre la pareille.
— Ça a rien à voir, s’étrangla Jeremy en rougissant. Avec Trice, on joue dans le même groupe. On sort pas ensemble. Et elle est déjà en couple en plus.
— Et elle est en couple, Rebecca ?
L’air renfrogné de Jim ne perturba en rien la détermination de Tess. Elle s’empara du téléphone de Jeremy et composa le code que tous ses amis connaissaient à force de le voir faire. 0505. En poussant une exclamation indignée, il tendit le bras pour récupérer son bien, mais Tess s’était déjà éloignée dans la pelouse.
— Rebecca, Rebecca… Ah, voilà son numéro. Elle a Instagram ?
Tess poussa un cri déçu quand Jim récupéra son téléphone. Cette fois, ses yeux envoyaient des éclairs.
— Tess, tu la laisses tranquille. Elle a assez d’emmerdes comme ça.
— Mmh. De toute manière, je me doute que y’a peu de chances que le moindre truc puisse se conclure entre elle et moi.
Son expression amère adoucit l’orage qui planait sur Jim. Avec un soupir, il marmonna :
— Elle est lesbienne, Tess. Mais personne le sait dans notre famille à part moi. (Face à l’expression hébétée de sa camarade, il ajouta sombrement : ) C’est aussi pour ça que j’ai pas envie que tu déconnes. Si tu lui plais et que vous sortez ensemble, je m’en fous. Par contre, je veux pas la trahir auprès de notre famille.
— Tu pouvais pas me dire ça dès le début, abruti ? soupira Tess sans méchanceté.
Jeremy haussa les épaules, le regard accroché à la silhouette lointaine de sa cousine. Il grimaça de plus belle en remarquant que son grand-oncle, Akos, était également de la partie. Avait-il accompagné Edward et sa fille pour se rendre compte de l’ampleur du projet ?
Trop las pour songer aux machinations des Sybaris, Jim se détourna du groupe de visiteurs au loin. Rebecca lui avait envoyé un SMS pour le prévenir de sa venue le matin-même. Mais ils n’auraient pas l’occasion de se parler. Pas en public. Et peut-être pas avant la fin des épreuves. Surtout que depuis qu’Emily avait découvert les liens qui rattachaient Jim aux Sybaris, il se montrait plus méfiant que jamais.
— Je peux toujours vous mettre en contact sur Insta, soupira Jeremy après coup. Elle est en privé. Mais je te préviens, tu fais pas la bourrine. Si tu la blesses…
Il afficha une expression volontairement meurtrière. Tess explosa de rire en retour, lui tapota l’épaule. Jim ne lui faisait pas vraiment peur. Ils étaient devenus trop bons amis ces trois dernières années pour qu’il veule sincèrement la menacer.
— Promis, je fais attention. (Tess coula un regard amusé dans sa direction alors qu’ils rejoignaient les autres.) Y’a du bon cru dans ta famille, quand même.
Un simple majeur levé fit office de réponse. Tess l’accepta de bon cœur et se rassit à côté de Tina. La faim lui rongeait les entrailles à présent. Quelques secondes après sa première bouchée, une notification se déroula sur son téléphone. Jim lui avait envoyé le profil Instagram de Rebecca.
Elle leva le pouce dans sa direction. Jeremy roula de nouveau des yeux, mais elle aperçut l’ombre d’un sourire sur ses lèvres.

En milieu d’après-midi, Ryusuke et Jim quittèrent leurs amis pour rejoindre le parking. Leurs recruteurs respectifs les avaient invités au Farfalla pour quelques encouragements avant leurs derniers jours d’épreuves physiques.
Comme ils se dirigeaient vers les voitures stationnées sous le soleil éblouissant sans prendre la peine d’attendre, Jim fronça les sourcils et s’enquit :
— Dimi est déjà arrivé ?
— Il nous attend au Farfalla avec Alex.
— Hein ? Mais on y va comment ? J’ai pas pris mon vélo ou quoi, ma mère m’a déposé.
— T’inquiète, Jimmy.
Perplexe, l’intéressé accéléra pour rattraper la cadence énergique de son ami. Quand Ryusuke finit par ralentir à hauteur d’une voiture, Jeremy croisa les bras. Il reconnaissait le véhicule.
— La voiture de Dimi. Sans Dimi.
Comme il coulait un regard interrogatif en direction de Ryu, celui-ci secoua un trousseau de clés avec un sourire amusé. Les yeux de Jim menacèrent de sortir de leurs orbites.
— Hein ? HEIN ? T’as eu le permis ? J’y crois pas !
Ryu éclata de rire en réponse. Il prenait des leçons de conduite depuis plusieurs mois déjà. Mais il avait préféré attendre de faire un trajet avec son ami pour lui annoncer l’obtention de sa licence. L’expression – mélange d’outrage, de surprise et d’enthousiasme – de Jim en valait l’attente.
— Donc t’as conduit depuis chez Dimi ? Et là tu m’emmènes au Farfalla ?
En contournant le véhicule pour ouvrir la portière, Ryusuke rit de plus belle. Une fois tous les deux installés à l’avant de la voiture, ils échangèrent un regard. Au milieu de leurs sourires flottait un nuage d’incertitude.
— C’est pas drôle, soupira Jeremy en attachant sa ceinture. On devient tous adultes et responsables.
Ryu l’imita avant de se pencher pour taper son épaule contre la sienne.
— On comptera toujours sur toi pour faire des conneries et être irresponsable, Jimmy.
— Mmh, grommela le jeune homme en maintenant son sac sur ses cuisses tandis que Ryu manœuvrait pour sortir du parking. J’ai pas le permis, pas d’admission à l’université, pas commencé à rechercher d’appart…
— T’as pas dit que tu restais chez tes parents, la première année ? s’étonna Ryu sans quitter la route des yeux. Pour la coloc, tu sais que ça me tient à cœur. Mais comme je vais pas pouvoir faire de stage avant ma deuxième année de fac et donc pas être à Modros, je…
Ryusuke laissa mourir sa phrase, secoué entre culpabilité et impatiente. Tout son entourage avait été ravi quand il avait reçu sa lettre d’admission pour l’université de Stanford. Et, malgré les négociations réussies avec S.U.I pour qu’il intègre l’entreprise à temps plein seulement à la fin de sa licence, ses premiers stages de longue durée n’auraient pas lieu avant un an. C’était le programme de l’université qui était construit ainsi.
— T’inquiète, reprit doucement Jeremy. Je suis juste de mauvais poil. Mon père est super content que je reste une année de plus chez lui. Et vu ce qui se passe avec ma mère… ‘serais pas étonné qu’on se retrouve tous les quatre à la rentrée dans le même appart.
— Ce serait génial, Jimmy, souffla Ryusuke d’un ton enjoué. Vous avez pas pu vivre ensemble depuis…
— Treize ans. Mais je sais pas ? j’appréhende un peu. J’ai peur que ce soit juste bizarre.
Comme Ryusuke déviait brièvement le regard pour le considérer avec peine, Jim le rassura d’un large sourire.
— Mais on y est pas encore. (Il tendit les doigts vers l’autoradio.) Bon, on se met un peu de musique ? Faut qu’on inaugure cette première virée.

Il restait plusieurs places disponibles devant le Farfalla. L’heure était creuse, le bar-restaurant officiellement fermé jusqu’en début de soirée. Antonio ne l’avait gardé ouvert que pour le rendez-vous de son petit-neveu.
L’homme était d’ailleurs accoudé à son comptoir, un magazine étalé sous le nez, quand les jeunes hommes poussèrent la porte. Il leur adressa un généreux sourire à fossettes, secoua la main.
— Bonjour messieurs. Vous êtes attendus, je crois.
Antonio indiqua le fond du restaurant, où bruissaient des échos de voix. Ryu le remercia en passant, mais Jim prit soin d’aller le saluer en déposant deux bises sur ses joues. Son grand-oncle le chassa ensuite d’une tape sur l’épaule.
En contournant le bar central pour rejoindre la salle de restauration à l’arrière, Jeremy aperçut d’abord Dimitri et Ryu, qui terminaient de s’étreindre. Derrière eux patientait un Alexander à la moue narquoise.
Jim n’eut pas le temps de s’approcher que Maria jaillissait d’un box pour le serrer dans ses bras. Passée la frayeur, le jeune homme lui rendit la pareille en riant tout bas.
— M’man, qu’est-ce que tu fais là ?
— Venue t’encourager, expliqua sa mère en reculant. Et pas seule.
Une deuxième silhouette sortit du box où Maria s’était cachée. Un sourire tranquille flottait sur les lèvres d’Ivana. Ils se pressèrent l’un contre l’autre, échangèrent un baiser rapide avant de se considérer mutuellement.
— Ton épaule, ça va ? s’enquit Ivana en frôlant le t-shirt de Jim à l’endroit où il s’était brûlé une semaine auparavant.
— Ça tire un peu, selon les mouvements, marmonna Jeremy en faisant rouler son épaule droite. Mais le tissu ignifugé a pris le gros des dégâts. Je m’en sors bien.
À ces mots, Maria lui serra le bras, une ombre dans le regard. Quand elle était venue récupérer ses enfants à l’École ce fameux jour, Ethan lui avait amené un Jim blessé et sincèrement perturbé. Maria avait été aux petits soins, mais son attention et sa bienveillance maternelles ne pouvaient pas tout réparer.
— Ton travail, réalisa Jim en se tournant vers sa mère.
— J’ai pris mon après-midi. J’ai fait des heures supplémentaires le mois dernier, alors on s’est arrangées comme ça avec la patronne.
La patronne ; l’adorable soixantenaire qui tançait Maria pour qu’elle reprenne sa boutique de fleurs une fois à la retraite. Jeremy secoua la tête en souriant avant de serrer à son tour le bras de Maria.
— Merci, maman. Ça me fait plaisir.
— Je t’en prie, mon chéri. (Maria lorgna vers Alexander, qui les observait de ses yeux félins quelques mètres plus loin.) Même si Alex est là, papa et Thalia sont à l’École, alors je voulais rejoindre la brigade de soutien.
Comme Jeremy prenait la main d’Ivana pour se rapprocher des autres, il murmura :
— J’espère que la fille modèle rate pas des cours à cause de sa mauvaise fréquentation romantique.
— Non, j’avais activité de club cette après-midi, mais c’est annulé parce que la salle est prise pour des examens. (Ivana leva un regard mutin dans sa direction.) Mais j’ai promis à Jihane de m’entraîner cette après-midi. Si elle apprend que j’ai fini au Farfalla à boire des citronnades avec ma mauvaise fréquentation romantique…
Ses sourcils haussés laissèrent sous-entendre un tas de remontrances supplées de mises en garde teintées de leçons de moral. Jim ricana, carra les épaules.
— T’inquiète, je te défendrai contre ta cruelle chaperonne.
Un rire franc échappa à Ivana, se répercuta entre les murs de brique du Farfalla. Avec une moue penaude, Jim haussa les épaules.
— Bah quoi ?
— Bah tu sais très bien, le railla Iva en lui serrant plus fort les doigts. Elle va te mettre une raclée.
— C’est vrai.
Ils échangèrent un regard de connivence où résonnaient des souvenirs communs de remontrances. Jihane avait retrouvé plus d’une fois Ivana en compagnie de Jim alors qu’elle aurait dû s’entraîner ou réviser ses cours. À quelques reprises, Jihane avait elle-même tiré le jeune homme par le col pour le mettre à la porte.
— Ça t’a pas empêchée de finir dans une grande université, souffla Jeremy en déposant un baiser sur sa tempe. Toi à l’université de Californie à Los Angeles, Ryu à Stanford… Mes petits génies.
— Bosseurs avec facilités, rectifia Ivana d’un ton amusé.
— Personnes nées avec une intelligence innée à rendre jaloux, répliqua Jeremy sans se laisser démonter.
— Intelligence stimulée dès le plus jeune âge pour une aisance plus tard, rétorqua encore Iva en plissant les yeux.
— Ça va, on vous dérange pas, les tourtereaux ?
La voix narquoise d’Alex les incita à se tourner. Bras croisés, Alexander les considérait avec un mélange d’amusement et d’écœurement. Il secoua la main, grogna :
— Pas la peine de me présenter, p’tit punk, on s’est déjà occupé de faire connaissance.
— Toujours aussi aimable, Alex, grinça Jim en s’installant en face de lui.
Ivana prit la chaise d’à côté, Maria s’assit à sa gauche, Ryu et de Dimi en face. Quelques verres traînaient sur table, mais Maria commanda une citronnade, une limonade au sirop et du thé glacé à son oncle. Son fils, Ryusuke et Iva la considérèrent un instant avec surprise.
— Je commence à bien vous connaître, sourit-elle, ses yeux verts pétillant au-dessus de son café à moitié entamé.
Ivana la remercia, bientôt suivie des deux garçons. Après quoi, Alex se redressa, planta un regard jaugeur dans celui de sa Recrue.
— Alors ? Tu t’es préparé à la dernière épreuve ?
Comme il affichait une expression sévère, Dimitri soupira et posa une main apaisante sur le bras de son partenaire.
— Alex, ce sont des encouragements qu’on est venu leur donner. On est pas là pour leur mettre la pression.
L’homme conserva son air dur quelques secondes avant de laisser un sourire moqueur s’épanouir sur ses lèvres. Il ricana face à l’expression crispée de sa Recrue puis se pencha au pied de la table.
Il jeta son sac à dos devant lui, l’ouvrit et en fit tomber une demi-douzaine de paquets de bonbons. Jim se mit aussitôt à pouffer.
— Bordel, Alex, tu me feras le coup à chaque fois ?
— C’est la dernière fois, lui assura l’homme avec un écho mélancolique dans la voix. Après, t’as intérêt à être diplômé et à m’apporter des bonbons à mon bureau une fois à S.U.I. Et, attention, j’ai mes préférences.
Jeremy leva les yeux au ciel, mais ne se fit pas prier pour ouvrir un premier sachet. Alexander poussa les autres vers le reste des convives, appuya son menton sur sa paume. Il ne savait pas faire autrement. Malgré sa bonne volonté, les mots ne seraient jamais son fort.
Pendant que chacun piochait dans les paquets, il bascula vers sa Recrue. Regretta, l’espace d’une seconde, l’adolescent perdu qui le cherchait des yeux en quête d’approbation, d’acceptation, de soutien. À l’époque, Alex n’avait pas été capable de lui répondre.
Mais ce qu’ils avaient développé depuis son retour lui convenait mieux. Leur relation était plus distante, mais teintée d’une franchise et d’une bienveillance qui les aidait à évoluer chacun de leur côté. Jeremy avait bien assez de famille de sang et de cœur pour qu’Alex cherche à occuper une place similaire. Au fil des mois, tous deux s’étaient contentés de ce lien professionnel qui les réunissait fréquemment pour échanger autour de la scolarité, des difficultés et des progrès de Jim.
Et, à quelques semaines de la fin des études de sa Recrue, Alex se sentait serein. Il avait laissé d’autres personnes plus patientes et compétentes que lui prendre soin de l’adolescent. N’était intervenu que lorsqu’on lui demandait spécifiquement. Avec le recul des années, cette démarche se révélait avoir été la bonne. Jeremy lui avait accordé de la confiance. Alex du temps. Les remords passés avaient été complètement effacés, pour ne garder que ces instants de partage, de cohésion et de quelques rires. Souvent avec des bonbons.
— Alex ?
Jeremy avait fini par noter l’insistance de son regard. Alexander se redressa, eut envie de l’envoyer paître pour la forme. Il serra pourtant les dents, força quelques mots maladroits à travers ses lèvres :
— Je suis fier de toi, Jim. Pour tout ton boulot. Pour avoir réussi malgré tout ce qui s’est passé pour toi. Alors, vraiment, bravo.
Décontenancée, sa Recrue le dévisagea pendant de longues secondes. Alex ne put s’empêcher de grommeler dans sa barbe quand les yeux de Jim se mouillèrent.
— Tu vas quand même pas chialer ?
— A-Alex, bredouilla Jim, m-merci.
Aussi embarrassé qu’agacé, Alex grommela de plus belle, mais Dimitri lui tapota le bras pour le féliciter. En face, Jeremy engouffrait des poignées de bonbons en s’essuyant les joues. Certaines choses n’avaient pas changé, au moins.



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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

Petit rappel amical ♥ Dimanche, aux urnes, on fait barrage au RN 🫡
Sinon, on attaque avec ce chapitre l'épreuve finale ! Elle va durer plusieurs chapitres et être pleine de rebondissements ✨



- Chapitre 56 -



Mardi 20 mai 2025, au nord de Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Emily observait le reste des équipes en apportant les derniers ajustements à sa tenue. Hugo discutait à voix basse avec le binôme de Réguliers avec qui ils avaient établi une alliance. Emily resserra les sangles de l’épais gilet sans manches pourvus de poches qu’on avait distribué à tous les candidats. À quelques mètres d’elle, les deux autres duos de Réguliers de leur classe ne se lâchaient pas d’une semelle. Emily avait empêché Hugo de leur proposer de rejoindre leur groupe. L’une des filles était bien trop froussarde. Quant au garçon de l’autre binôme, son arrogance lui avait valu de nombreuses défaites et erreurs stupides en EPSA ces dernières années.
L’autre classe de dernière année S.U.I s’était scindée en trois groupes. Emily tira sur les manches longues du t-shirt thermorégulant dont ils étaient tous vêtus. Certains groupes comportaient huit élèves ; il valait mieux les éviter comme la peste. Même si Emily, Hugo et leurs coéquipiers étaient bien coordonnées, ils seraient à un contre deux.
Son regard dévia vers la droite, où six élèves s’aidaient mutuellement à ajuster leur tenue. De l’École, c’était le groupe qu’elle craignait le plus. Le seul à mélanger Réguliers, Boursiers et Recrues, d’ailleurs. Une solide entente s’était établie entre les six jeunes adultes au fil des années passées à suer et à saigner ensemble.
Ryusuke, Jeremy, Tess, Valentina, Jason et Kaya formaient un cercle au centre duquel reposait un tas des dernières affaires à répartir. Si le même nombre de rations, de briquets, de filtres à eau, d’affaires de camping et de fusées de signalisation avait été distribué à chaque élève, les groupes étaient libres de redispatcher selon leur bon vouloir.
Il n’y avait qu’un équipement que ne pouvait s’échanger les élèves : la montre connectée qu’ils arboraient au poignet. Nominatives, géolocalisées, elles suivaient leurs constantes vitales ainsi que le nombre de balises qu’ils connecteraient au cours des quarante-huit heures à venir.
Un micro grésilla. Emily vérifia une nouvelle fois les lanières de son sac-à-dos, si ses couteaux jumeaux étaient bien attachés à sa ceinture et accessibles d’un seul mouvement, puis s’avança vers l’entrée du parc.
Le terme parc était à la fois si juste et si inoffensif. La zone naturelle de plusieurs hectares qui accueillait la dernière épreuve commune du projet Réseau était essentiellement composée de parties boisées. Leur montre, pourvue d’une carte, indiquait toutefois quelques reliefs – des collines à en juger le faible niveau de dénivelé – une rivière et des clairières. Si l’endroit était un simple parc national au nord de Modros, il avait été transformé en terrain d’exploration pour la soixantaine d’étudiants qui trépignaient.
Les professeurs ne s’attardèrent pas sur les explications. Elles avaient été données en long et en large durant les deux heures de bus qui les avaient amenés de l’École au parc. À vrai dire, l’exercice était plutôt simple : récupérer un maximum des centaines de balises qui avaient été cachées dans la zone et les connecter à leurs montres.
Le principal défi consistait à conserver les balises avant que ne sonne la fin de l’épreuve, dans deux jours. Même s’il y avait au moins une balise par étudiant, plus on en connectait à la montre, meilleur serait le résultat final. Les affrontements entre les divers groupes des trois établissements ne tarderaient donc pas à advenir.

L’entrée dans le parc se faisait au compte-gouttes. Les professeurs vérifiaient l’équipement des élèves avant de leur autoriser l’accès. L’initiative consistait aussi bien à vérifier que la montre – qui servait de signal d’urgence au besoin – était fonctionnelle qu’à s’assurer que les étudiants n’avaient pas amené de matériel personnel en plus ou d’armes à feu.
Seules des armes contendantes, à lames ou à projectiles avaient été autorisées. Jim vérifia nerveusement les deux lames de la longueur de son avant-bras qui étaient fixées dans des fourreaux à sa ceinture. Contrairement à la première épreuve du projet Réseau, leur tranchant était bien réel, bien affuté.
Ryu le devança dans la file des élèves, présenta sa montre à M. Cross. Le prof resserra une bride que Jeremy avait oublié de raccourcir sur le gilet de son coéquipier, tapota l’épaule du jeune homme.
— Sois vaillant, Hitori.
Ryu lui adressa un mince sourire gêné avant d’avancer. Jeremy tendit son poignet droit au prof, qui lui flasha un sourire moqueur en lorgnant son équipement.
— Des lames jumelles ? Tu es déjà pas bien adroit de ta main gauche, alors là… (Comme le visage de Jim se crispait, M. Cross s’esclaffa.) Je plaisante, Wayne. Détends-toi.
Sans plus de formes, il lui asséna une claque entre les omoplates pour l’obliger à avancer. Jeremy referma la main droite sur le manche de l’une des lames. Qu’il soit gaucher ne l’avait pas forcément avantagé durant sa formation. Par gain de temps, les professeurs apprenaient à manier de la main droite dans la plupart des cas. Jim s’était donc résigné à devenir plus ou moins ambidextre, même si sa main gauche restait toujours plus puissante et précise.
Quand Tina, Kaya, Tess et Jason les rejoignirent, ils se placèrent dans un coin opposé de l’entrée. Le départ ne serait autorisé que lorsque l’ensemble des étudiants aurait passé le contrôle des professeurs.
En attendant, ils se consultèrent tous une dernière fois. Ryu, Tina et Tess vérifièrent que leurs cheveux étaient bien attachés, Kaya tripota ses poings américains, Jason inspecta pour la cinquième fois le contenu de son sac et Jim mâchonna son angoisse. Comme son dossier médical le stipulait, il avait été autorisé à emporter un flacon d’anxiolytiques dans l’une petites poches de son gilet. Il regrettait à présent de ne pas avoir avalé l’une des pilules en préparation à l’anxiété qui lui grignotait les tripes seconde après seconde.
Jim consulta sa montre, lorgna le « WAYNE » indiqué en haut, sa fréquence cardiaque un peu trop rapide en bas. Le bouton central clignotait en affichant « CONNECTER » en préparation des premières balises. Un panneau triangulaire sur le côté de l’écran permettait d’envoyer un signal de détresse. Presser ce bouton revenait à abandonner l’épreuve et être évacué de la zone avant que les quarante-huit heures soient écoulées.
Jeremy abaissa le bras, leva le nez. Chercha une silhouette familière parmi les professeurs qui inspectaient l’équipement des étudiants. Son père s’occupait d’un groupe de Mino aux visages fermés. Malgré l’austérité volontairement affiché par les jeunes femmes, Ethan souriait d’un air avenant à chacune d’entre elles.
Ce sourire lui tordit le cœur. Il l’avait vu sur le visage de sa sœur le matin-même, alors qu’elle lui souhaitait bonne chance pour sa dernière épreuve. Avec une pensée pour Thalia, il glissa la main sous le col de son t-shirt serré, trouva un réconfort idiot dans le cuir usé de son collier. Sous ses doigts, les perles jumelles roulèrent, refroidirent le sang qui bouillonnait dans ses veines.
Avec un soupir, Jim rentra le collier dans son col pour le protéger, s’avança aux côtés de Ryusuke qui observait la forêt avec une appréhension mêlée d’impatience. Sans brusquerie, il tapa son épaule contre la sienne.
— On va assurer, l’intello.
— J’espère bien, le punk.
Ryu lui confia un sourire complice, replaça sa montre à son poignet. Dans quelques minutes, le décompte des quarante-huit heures commençait.

Adossée à un tronc, le souffle court, Kaya vérifia que la balise s’était bien connectée à sa montre. Le voyant « 3 » clignota brièvement sur l’écran avant de s’éteindre au profit du « CONNECTER » qui s’affichait en permanence.
Satisfaite, elle épongea la sueur sur son front, expulsa un long souffle en fermant les yeux. Même si la fraîcheur de la soirée tombait sur le parc, ces dernières minutes avaient été intenses. Son t-shirt aspirait une grande partie de sa transpiration, mais elle dégoulinait sur sa nuque.
— Kaya ?
Jason venait de pousser des branchages, lui aussi en nage. Ses courts cheveux blonds étaient plaqués sur ses tempes, les dernières lueurs du jour reflétaient le brillant de la sueur sur son cou.
— Les autres ?
— Jim et Ryu aident Tina à atteindre la balise qu’elle a repérée dans l’arbre. Tess est en pause pipi.
Kaya hocha la tête, quitta son arbre. Ils n’avaient pas chômé depuis le départ de l’épreuve le matin-même. Leur rythme intense leur avait permis d’obtenir au moins deux balises chacun. Avant même le début de l’épreuve, ils s’étaient tous mis d’accord pour se serrer les coudes et se partager toutes les balises qu’ils trouveraient.
Quand la montre de l’un bipait pour signaliser la présence d’une balise dans un rayon de six mètres, les cinq autres se rapprochaient pour chercher conjointement. Si Kaya avait connecté sa troisième balise seule, c’était uniquement parce que les autres étaient occupés à prêter main forte à Valentina.
— Tu en as le plus, maintenant, sourit Jason en zieutant le compteur sur la montre de sa partenaire. Tu auras clairement tout raflé pour les épreuves d’EPSA.
Gênée par le compliment – même si elle le savait véridique – Kaya haussa les épaules. Elle n’avait pas d’autre choix que de tout donner pour ces épreuves. Les matières de l’enseignement général ne la passionnaient pas ; ses notes étaient passables dans le meilleur des cas. Si elle souhaitait se démarquer rapidement une fois intégrée aux unités spéciales d’intervention, il lui fallait contrebalancer sur les examens physiques.
Surtout si la conclusion à laquelle Jay et elle étaient arrivés se confirmait une fois leur diplôme en poche. Incapables de s’entendre sur les efforts à fournir et sur la direction à prendre à S.U.I, les deux amis se préparaient depuis des semaines à faire chemin séparé.

Cinq minutes plus tard, les quatre autres membres du groupe les rejoignirent. Valentina s’était éraflé la joue en grimpant dans l’arbre et Tess lui retirait des feuilles des cheveux en la talonnant. Derrière elles, Jeremy et Ryu discutaient en comparant leurs montres respectives.
— Deuxième balise pour Tina validée, lança Tess avec un large sourire.
— Championne, la félicita Kaya en levant le pouce. On reprend la route ?
— Ryu a regardé la carte, intervint Jim en tapotant sa propre montre. La rivière est pas super loin. On pourrait camper par là-bas ?
Comme tout le monde acquiesçait, Kaya garda pour elle son amorce de protestation. Il faisait encore jour et il n’avait pas croisé d’autres élèves depuis une heure ; en définitive, ils auraient pu poursuivre la recherche des balises. Kaya était persuadée que d’autres étudiants ne se gêneraient pas pour parcourir la zone de nuit afin de prendre de l’avance, voler éventuellement des balises à des ennemis endormis ou tendre des pièges.
Ryusuke entraîna le groupe. Kaya l’observa de biais, soupira. Elle ne se leurrait pas : au jeu du leader, il l’emporterait haut la main. Il était si plein de ce calme inspirant, de ce bon sens bienveillant. À côté de lui, Jeremy zieutait les environs dans l’espoir de repérer au loin les cadrans métalliques des balises ou d’éventuels opposants cachés.
Kaya accéléra le pas pour le rejoindre, se glissa à sa droite.
— Tu crois pas qu’on pourrait chercher d’autres balises ? Il reste bien une heure avant le coucher de soleil.
— Le temps de rejoindre la rivière et de monter le camp, il fera nuit, contra Jeremy en haussant les épaules.
— Certains groupes vont continuer de chercher. On a des lampes, une montre connectée avec une carte… Qu’est-ce qui nous empêche de faire pareil ?
— Le fait qu’on risque d’être des zombies demain si on dort pas ? maugréa Jim en faisant la moue. J’ai besoin de sommeil, moi.
Kaya roula des yeux, mais ne s’avoua pas encore vaincue. Elle connaissait Jim ; les solutions de facilité et l’effort minimum avaient tendances à être ses meilleurs amis. Mais on parlait de leur dernière épreuve du projet Réseau. De l’une des notes capitales de leur diplôme.
Si Jeremy avait tendance à ne pas chercher ses propres limites, Kaya était aussi consciente de la corde sensible de son sens du défi. Elle laissa couler quelques secondes de marche silencieuse avant de relancer :
— On peut faire des tours de garde ? Scinder le groupe en deux ? Pendant que trois se reposent, les trois autres explorent la zone à la recherche de balises ? On se les redistribue ensuite au matin ?
— Kaya… marmonna Jim en baissant le nez vers elle, les sourcils froncés. On s’est tous mis d’accord.
— « D’accord » d’après les ordres d’une seule personne.
Un éclair de surprise et d’agacement traversa le visage de Jim. Il ralentit son pas pour que Kaya et lui se retrouvent à l’arrière du groupe. Tess leur adressa un coup d’œil étonné, mais Kaya lui fit signe de poursuivre sa route.
— Y’a un problème avec Ryu ? entama Jeremy sans détour.
— Non. Mais qu’il décide pour tout le groupe, oui. On a chacun nos stratégies.
— OK, Kaya, mais on s’est tous mis d’accord pour faire un groupe et bosser ensemble. Fallait nous le dire si tu voulais y aller en binôme ou même en solo.
Agacée qu’il interprète ses paroles de façon aussi extrapolée, Kaya leva les yeux au ciel rougeoyant. Elle comptait sur Jim pour se joindre à elle par esprit de compétition, mais aussi de contestation. Il était toujours l’un des premiers à objecter durant les cours quand les consignes lui semblaient absurdes, injustes ou inatteignables.
Mais elle ne pouvait visiblement par compter sur lui pour réfuter les ordres de Ryusuke s’il était lui-même convaincu qu’ils suivaient la bonne stratégie.
— On va se faire dépasser par les autres groupes, soupira Kaya avec frustration. Tout ça pour faire dodo à la belle étoile.
Ce fut au tour de Jim de rouler des yeux. Ils ne pipèrent plus mot le reste du trajet, conscients qu’ils ne pouvaient s’aligner sur les mêmes ondes pour cette fois.

Son cerveau complètement alerte maintenait Kaya dans un état d’éveil enrageant. Décidée à se plier aux ordres pour éviter la discorde, l’adolescente avait tout de même fait une ronde après leur dîner sur le pouce et pris un premier tour de garde. Tess s’était proposée pour le deuxième et Jim après elle.
Kaya les avait vus défiler tous les deux sans parvenir à s’endormir. C’était au tour de Jason à présent. Son partenaire était entouré du faible halo de sa lampe torche, installé sur une grosse roche à l’avant de leur campement. Son souffle formait une buée opaque dans l’air nocturne.
Une froide résignation finit par s’emparer d’elle. Le sommeil la fuyait. La rejetait et l’accusait. Tout son esprit était focalisé sur le désir d’action, pas sur le besoin de repos. Avec un grognement excédé, Kaya se tira de son duvet, enfila la veste que l’École leur avait fournie en plus du reste et rejoignit Jason sur le rocher.
— Tu dors pas ? s’étonna-t-il en se décalant.
— Impossible. J’ai envie de bouger.
Jason ne prit pas la peine de répondre, mais une ombre peinée glissa sur ses traits. L’obscurité adoucissait les angles de son visage, donnait au bleu vif de ses yeux une teinte de crépuscule.
— Tu peux aller te recoucher, si tu veux, proposa Kaya en sondant le noir qui les emmaillottait de froid et de mystères. Tina prend son tour dans une heure.
— À deux, on surveille mieux.
Kaya ne répondit pas, mais un léger sourire lui tira les lèvres. C’était tout Jason. À la fois touchée et rassurée, elle alluma sa propre lampe et la braqua dans la direction opposée à celle de son coéquipier.
Une silhouette se tenait de l’autre côté de la rivière, immobile et silencieuse. Une inspiration gelée figea la poitrine de Kaya, qui écrasa la main de Jason par pur réflexe.
— Jay, y’a quelqu’un.
La silhouette leva le bras, pointa quelque chose dans leur direction. Alors que Jason dirigeait son propre faisceau vers l’inconnu, une détonation éclata dans le calme des sous-bois.
Kaya comprit que c’était une balle quand elle traversa sa poitrine.



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Dernière modification par louji le ven. 12 juil., 2024 8:58 pm, modifié 1 fois.
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- Chapitre 57 -



Mercredi 21 mai 2025, au nord de Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Edward sirotait un café bien trop matinal quand la porte grinça dans son dos. Étonné de croiser une âme réveillée alors qu’il n’était pas cinq heures du matin, il tournoya sur sa chaise à roulettes. Le sourire de politesse qu’il avait machinalement esquissé s’affaissa quelque peu ; sans avoir l’air contrarié pour autant. Son interlocuteur en revanche ne masquait pas une moue désapprobatrice.
— Pourquoi tu es déjà debout ?
— Sommeil difficile, grommela Ethan en plissant les yeux.
Sans donner plus d’explications, Ethan s’avança vers le tableau de bord. L’École avait réquisitionné un poste de garde forestier pour installer le système informatique qui suivait les données et les constantes des montres connectées. Entre les professeurs des trois établissements et les responsables du projet Réseau, il y avait toujours du monde pour se relayer et surveiller qu’aucun élève n’était grièvement blessé.
Edward avait presque terminé son café quand son frère daigna reprendre la parole, avec encore plus de rancœur dans la voix :
— Pourquoi il a fallu que tu les ramènes ?
— Qui ça ?
— Akos. Lazos. Ils n’ont rien à faire ici. Notre oncle ne fait pas partie du projet Réseau et Lazos est trop jeune. J’étais très étonné qu’ils soient présents pour cette dernière épreuve.
— Parce que tu t’imagines que j’ai eu voix au chapitre ? ricana Edward avec une aigreur qu’il laissa volontairement paraître. Écoute, Akos voulait assister à la dernière épreuve des recrues-Fantômes. Il est directeur-adjoint, je comprends qu’il veule savoir à quel point nos futurs agents sont compétents.
Ethan coula un regard suspicieux dans sa direction, plissa les lèvres.
— Je t’ai connu plus ferme dans tes prises de position.
— Disons que j’ai perdu de mon grade depuis… (Ed reposa sa tasse de café avec une lenteur délibérée.) Depuis que ton fils s’est amusé à mettre en l’air mes plans.
— Jeremy était ton pion, Edward. Il n’a fait que reprendre sa liberté.
— Il n’empêche, est-ce qu’il en serait là si je n’étais pas intervenu dans sa vie il y a cinq ans ?
Le regard d’Edward s’était tourné vers un indicatif à l’écran qui affichait « WAYNE ». Ethan serra les dents pour retenir l’insulte mesquine qui lui chatouillait la langue. Ce n’était pas lui. Ed réveillait le pire de lui-même, celui qu’il avait été pour échapper à son emprise lorsqu’ils étaient plus jeunes. Et Ethan ne se retrouvait pas en cette personne égoïste, lâche, qui ne pensait qu’à enchaîner les divertissements et les plans faciles pour oublier les chaînes qui avaient toujours entravé sa vie.
Tant de personnes et d’événements l’avaient guidé vers un chemin plus apaisé, plus responsable. Ce n’était pour redevenir bêtement méfiant, irascible et provocateur en présence de son frère. Il avait trop souffert de ce changement de direction pour se complaire dans les émotions bouillonnantes que provoquait Edward chez lui.

— Il y a un problème.
L’annonce d’Edward ramena Ethan à la salle de contrôles, aux multiples écrans qui affichaient les constantes de la soixantaine de montres. Ethan ne tarda pas à remarquer ledit problème. L’ensemble des montres, sans exception, affichaient les mêmes données. Ce n’était absolument pas normal. À moins que les soixante cœurs des participants aient décidé de battre en simultané, il n’y avait aucune raison pour que ça se produise.
— Qu’est-ce qui se passe ? Les données ne passent plus ?
— Aucune idée, marmonna Edward en déplaçant sa chaise pour accéder à l’ordinateur de contrôle. Les montres fonctionnaient il y a encore deux minutes.
— J’ai pas fait attention, grommela Ethan en fouillant les écrans à la recherche d’une montre qui indiquait autre chose que les nombres invariables qui lui brouillaient la vue.
Ed ne prit pas la peine de répondre, concentré sur sa tâche. Il ouvrit l’historique, remonta les données cinq minutes en arrière. Le pli qui barrait son front glissa sur l’ensemble de son visage.
— L’historique est faussé, annonça-t-il d’une voix blanche. Toutes les données des soixante montres sont les mêmes. L’erreur a remplacé les vraies données enregistrées depuis le début de l’épreuve.
Perplexe, Ethan se pencha par-dessus l’épaule de son frère, observa la même ligne se répéter à l’écran quelle que soit l’heure que demandait Edward à la base de données. Quand il se redressa, un froid piquant s’était logé entre ses poumons.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Ça veut dire qu’on ne peut plus suivre les élèves. Qu’on ne sait pas si l’un d’entre eux a ses constantes vitales en état critique. Leur nombre personnel de balises associées à la montre a aussi été effacé.
— Le service informatique ?
— Je suis sur le coup.
Edward s’était effectivement emparé de son portable. Ethan ne le quitta pas des yeux tandis qu’Ed élevait la voix au téléphone pour faire pression sur l’informaticien qui avait installé le système. Au bout d’un moment, l’intonation d’Edward s’abaissa brutalement, s’enroula d’incertitude.
— Des ordres d’en haut ? répéta-t-il sans vraiment y croire. Lawrence, je suis le responsable du projet Réseau. Personne ne donne d’ordres plus importants que les miens !
Le froid dans la poitrine d’Ethan grignota petit à petit son estomac puis l’ensemble de ses organes. Edward était sous-directeur, en charge du centre de formation de la Ghost Society. Le projet Réseau était de son initiative et il en avait effectivement la gestion complète.
— Lawrence, bon sang, tu te rends compte de ce que tu me dis ? cracha Edward en haussant de nouveau la voix. Dépêche-toi de venir ! Les montres sont notre seul moyen de suivre les élèves. Elles sont géolocalisées, elles nous assurent qu’ils sont encore vivants. Tu ne peux pas juste me dire qu’on t’a interdit de réparer l’erreur.
Il y eut comme une note sidérée sur la fin de sa phrase. Tandis que l’informaticien de la Ghost Society répondait, Ethan s’approcha des moniteurs. Les chiffres invariables le narguaient, enfonçaient seconde après seconde des bribes d’angoisse dans son être. L’ampleur de ce que ça signifiait l’écrasait, lui coupait le souffle.
— J’y crois pas, gronda Edward dans son dos. Lawrence, tu… Ne me dis pas que tu t’es contenté d’obéir aux ordres ! Pas quand ils sont aussi absurdes !
Alors qu’Ethan se tournait vers lui, Edward raccrocha sans attendre que son interlocuteur termine. Les traits défigurés par la rage, il planta les yeux dans ceux de son jumeau, siffla d’une voix étranglée :
— C’est Akos. Il a ordonné que les montres soient coupées pendant la nuit.
— Quoi ? Pourquoi ?
— C’est ce que je voudrais comprendre.
Sans un mot de plus, Edward enfonça son portable dans la poche de son jeans, ouvrit la porte pour s’engouffrer dans le couloir. Après une seconde d’hésitation, Ethan lui emboîta le pas. La nuit était fraîche quand ils sortirent du poste de garde. À une cinquantaine de mètres, un pâté de préfabriqués vacillait dans la lumière des halogènes. Les cinq bâtiments, plus ou moins spacieux, trônaient à la limite du parc depuis quelques années déjà.
Le projet Réseau les avait investis pour installer une infirmerie et des zones de vie communes pour les professeurs et le personnel qui séjournaient sur place pendant l’épreuve. Ed s’engouffra dans l’un des plus longs, qui accueillait les chambres réservées aux affiliés de la Ghost Society. Ethan le suivit en régulant au mieux la tension qui durcissait ses trapèzes. Il ne s’arrêta que lorsqu’Edward se mit à tambouriner à l’une des portes qui égrenaient le couloir du préfabriqué.
Ils patientèrent deux minutes, pendant lesquelles Edward réitéra ses coups. Si la colère de ses gestes ne fit pas bouger la porte, elle ouvrit l’un des battants voisins. Un visage ensommeillé à moitié caché par de longs cheveux bruns en émergea.
— Papa ?
Rebecca se traîna dans le couloir, en pyjama, puis dévisagea les deux hommes à la colère palpable. En quelques secondes, son regard vitreux s’éclaira d’inquiétude.
— Qu’est-ce qui se passe ? (Elle remarqua le poing de son père pressé contre le battant voisin.) Tu cherches Akos ? Je l’ai entendu partir il y a une demi-heure.
— Merde, gronda Ed tout bas avant d’adoucir sa voix. Becky, tu peux te préparer et me retrouver dans la salle commune ? On va avoir besoin de ton aide.
On.
Ethan n’y réfléchit pas deux fois quand Ed tourna les talons pour rejoindre un autre préfabriqué. Après avoir adressé un hochement de tête à Rebecca, il la laissa seule dans le couloir à demi-éclairé. Son frère l’attendait au bout pour lui tenir la porte.
La salle commune, qui occupait un préfabriqué à elle toute seule, était éclairée quand ils en poussèrent la porte. Plusieurs silhouettes se mouvaient à l’intérieur, discutant près de la machine à café ou sur les sofas disposés en U au centre de la pièce.
Un voile de rage glacée brouilla vue d’Ethan quand il aperçut son oncle installé à une table haute pour prendre le café. Il secouait un sachet de sucre d’un air distrait, le sommeil encore accroché à son visage. Comme Alexia, il avait hérité de la peau d’un beige mat, des yeux et des cheveux sombres de leur mère égyptienne. De Thanos Sybaris, il possédait la stature : des épaules larges et carrées, des traits sévères, des mains épaisses qui maniaient aussi bien les rapports de mission que les fusils à pompe.
— Akos.
Le prénom fusa tel une insulte de la bouche d’Edward. Comme son jumeau traversait la salle sans s’attarder sur les regards étonnés qui flottaient sur eux, Ethan déverrouilla ses jambes cotonneuses. Faire face à son frère était une chose. Il prenait sur lui depuis trois semaines déjà pour assurer son job de professeur. Et Edward conservait une distance professionnelle qui lui convenait amplement.
Mais Ethan savait déjà quelle serait la réaction des autres membres de sa famille. Et l’expression méprisante qui ne tarda pas à plisser le visage de son oncle confirma ses craintes. Éveilla également un soupçon de surprise et de peine pour son frère. Il n’aurait pas cru qu’Edward essuie le même genre de regard mêlant pitié et désintérêt, de sourire condescendant à la courbe narquoise.
Tout en Akos hurlait petits garçons.
Edward s’arrêta juste avant de bousculer la table à laquelle s’accoudait Akos. Leur oncle les considéra tour à tour, versa le sucre dans son café odorant. Leva de nouveau les yeux. Sourit.
— Je pensais que vous seriez plus rapides à comprendre. Surtout toi, Edward.
— Pourquoi ? susurra l’intéressé d’un ton glacial. Tu es en train de ruiner l’épreuve, Akos. De ruiner mon travail.
— Tu es dramatique, soupira l’homme en portant la boisson chaude à ses lèvres. Je comprends pourquoi Alexia a encore besoin de te tenir par la main.
Edward laissa couler la remarque provocatrice, même si elle crispa Ethan un peu plus. Akos le remarqua, accentua son sourire tranquille pour s’adresser à son neveu :
— Ethan, tu devrais être en train de te reposer.
— Pas si mes élèves sont en danger.
Le tension qui habitait Ethan finit par tirer un rire bref, sec, à l’homme. Edward fit un pas de plus, enroula les doigts sur le bord de la table pour s’empêcher d’agripper son oncle au col.
— Akos, explique-nous.
— Que vous êtes impatients, tous les deux. (L’homme récupéra son gobelet de café, se dirigea d’un pas indolent vers l’un des canapés.) J’ai voulu augmenter un peu la difficulté de l’épreuve.
— En coupant les montres ? s’étonna Edward d’un air circonspect.
Akos sourit dans sa barbe en s’asseyant, souffla sur son café. Ethan le considéra avec lassitude, ravala la remarque irritée qui lui brûlait le palais. Dire qu’il avait reproché à Edward d’être dramatique… Ethan avait rarement vu quelqu’un savourer aussi longtemps un effet d’annonce.
— Un peu plus que cela, souffla Akos en tournant la tête vers eux. J’ai confié une mission à quelques Fantômes.
— Tu… (Le visage d’Edward blêmit, s’affaissa puis se durcit tour à tour.) Tu as envoyé des Fantômes dans la zone ?
— Oui. Je leur ai donné une mission : récupérer le plus de montres possibles. Par tous les moyens.
— Tous les moyens, répéta Edward d’une voix si rauque qu’elle sembla lui écorcher les cordes vocales. Tu les as armés ?
— Bien entendu.
— Les élèves n’ont pas de gilet pare-balles. Les armes à feu ont été interdites.
— L’une des tes nombreuses erreurs, acquiesça Akos avant d’avaler quelques gorgées.
Ethan était si sonné qu’il ne trouva rien à répondre, rien à faire. Mais son frère se mouva à toute vitesse. Une seconde, il était planté à côté de lui, agacé, perplexe et crispé. Celle d’après, il se trouvait face à leur oncle, un éclat de rage au fond des yeux.
— Espèce de sale ordure, rugit Ed en envoyant valser le gobelet de café des mains de l’homme. Des élèves vont mourir !
— Possible, consentit Akos en observant froidement sa boisson se déverser sur le sol. Comme il se devrait dans une épreuve aussi importante que celle-ci.
Jeremy.
Ethan n’eut plus qu’une pensée et elle effaça toute la colère de son frère, le mépris de son oncle. Ses mains se retrouvèrent secouées de soubresauts, son cerveau emprisonné dans un film en noir et rouge.
— Tu es complètement inconscient, gronda Edward en tendant les doigts vers la chemise de son oncle pour le forcer à se relever.
Maintenu debout contre son gré, Akos n’eut qu’un sourire pernicieux pour son neveu. Dans la salle, plusieurs personnes parmi les silhouettes silencieuses qui les entouraient avaient porté la main à leurs armes de service.
Edward se maudit de ne pas avoir remarqué avant les agents personnels qu’Akos avait placés parmi le personnel de la Ghost. L’envie de cracher sur l’expression satisfaite de son oncle était tentante, mais Edward n’était pas de ce genre.
Il relâcha Akos, recula d’un pas. Par-dessus l’épaule de son oncle, il vit la porte s’ouvrir en silence, sa fille s’engouffrer dans la salle en plissant les yeux.
— Tu as donc délibérément mis en danger des recrues-Fantômes, mais aussi des Mino et des élèves de S.U.I parce que l’épreuve n’est pas assez sanglante à ton goût ?
— À mon goût et à celui d’autres personnes à la Ghost Society. Nous nous sommes dit que c’était le meilleur moment pour écrémer nos futurs agents.
— Ce n’était pas la peine d’impliquer les autres centres de formation, siffla Edward en retour, les yeux écarquillés. Tu es en train de pourrir nos relations avec S.U.I et les Amazones.
— Des incompétents d’un côté, des marginales de l’autre. Il est temps que les sociétés-filles se rappellent de qui elles dépendent.
Dépité, Ed poussa un grognement en se détournant de l’homme. Il avait perdu assez de temps à lui tirer les vers du nez. En ce moment-même, des Fantômes armés et plus qu’expérimentés arpentaient le parc pour traquer et neutraliser des élèves à peine adultes.
— Ne te mets plus en travers de mon chemin, susurra-t-il à l’adresse de son oncle.
Akos se contenta d’un sourire vaguement amusé. Pourtant, il ne chercha pas à stopper Edward ou à ordonner à ses hommes d’agir quand son neveu rejoignit son frère et sa fille.
— Il faut qu’on prévienne tous les profs et les encadrants, décréta Edward en s’emparant de son téléphone. On a quelques véhicules d’intervention. On s’arme, on récupère le maximum de matériel et on part évacuer les élèves.
Son masque glacé de Fantôme sur le visage, Rebecca hocha sèchement la tête.
— Je m’occupe de préparer le matériel.
Edward la remercia avant de se tourner vers Ethan pour le sommer de prévenir ses collègues. Son jumeau fixait le vide, ses yeux ambrés voilés d’angoisse et d’impuissance. Ed l’attrapa par le bras, l’entraîna avec lui jusqu’à l’extérieur.
La brise fraîche ramena quelque peu Ethan. Les doigts d’Edward douloureusement enfoncés dans sa chair achevèrent le reste.
— J’ai besoin de toi, Ethan. Tous les élèves ont besoin de nous. (Comme la compréhension des événements le bousculait plus que jamais, Ed l’agrippa par les épaules.) Je sais que tu penses à Jeremy. Mais tant qu’on est pas dans ce foutu parc en train de les extraire, on ne sait rien. Alors ne pense pas au pire.
Ethan déglutit, enroula une main autour du poignet de son frère pour lui faire lâcher prise.
— J’ai les clés de l’entrepôt des armes, ajouta Ed d’un air sombre. On a plus de temps à perdre.
— Je te suis, acquiesça Ethan d’un ton rauque après quelques secondes.

Un corps pouvait perdre si vite son liquide vital. Tess ne quittait pas Kaya des yeux. C’était son tour de la veiller. Même si elle ne voyait pas trop ce qu’il y avait à surveiller dans ce visage blafard impassible, dans ces membres raides et figés, dans cette blessure trop grave qui ne pouvait s’améliorer. Ils avaient suturé la plaie, appliqué des gazes avec du désinfectant. En attendant, le projectile avait déchiré muscles, chair, tendons et peut-être même poumons. La respiration de leur amie était laborieuse, pleine de gargouillis et de sifflements inquiétants.
Tess quitta brièvement Kaya pour observer le reste du groupe. Jason fouillait leurs affaires médicales, à la recherche d’un miracle qui n’existait pas. Valentina tournait en rond dans la grotte, ses yeux constamment écarquillés lui mangeant le visage. À l’entrée, Jeremy et Ryusuke se disputaient à voix basse. Un bandage enserrait le bras de Ryu, mais ça ne l’empêchait pas de faire de grands gestes. Il devait être à court de mots face à son coéquipier.
Ils s’en étaient sortis de justesse. La détonation du tir les avait tous tirés du sommeil en sursaut. Les cris de Jason avaient achevé de les inciter à quitter leurs duvets et à s’armer. Seule face à cinq, la silhouette s’était rapidement repliée, même si son pistolet avait blessé superficiellement Ryusuke au bras.
— Il faut qu’on bouge !
La voix agacée de Jim finit par se répercuter jusqu’à Tess. La jeune femme conserva le silence, même si elle approuvait les paroles. Valentina cessa ses rondes qui auraient dû juguler son anxiété, mais ne faisaient que l’empirer. D’un pas volontaire, elle traversa la grotte pour retrouver leurs coéquipiers. Bouscula Jeremy avec une violence qui laissa l’intéressé et les autres stupéfaits.
— C’est ça, ta super idée ? Bouger ? Alors que Kaya est mourante ?
— On va se faire piéger si on reste ici ! siffla Jim en écartant des bras impuissants. La personne qui nous a attaqués est peut-être pas la seule à avoir un flingue. Et puis, merde, y’a un truc qui va pas. Elle a tiré au pif sur Kaya et Jason puis sur Ryu. Elle voulait juste faire des dégâts. Elle a pas cherché à prendre nos balises.
— Je suis d’accord pour dire que c’est bizarre, intervint Ryusuke d’un ton nerveux. Mais on doit pas se précipiter. Kaya est blessée, alors se déplacer est compliqué.
— Raison de plus, soupira Jeremy en roulant des yeux. On va être lent. Faut qu’on se casse maintenant.
— Pour aller où ? intervint Tess, qui avait fini par quitter le chevet de Kaya.
— On peut retourner à l’entrée de parc, suggéra Jim en pinçant les lèvres. Toujours mieux qu’une grotte où on peut se faire coincer en deux-deux.
Ryu et Tess baissèrent le nez sans avoir de meilleure idée à proposer. Pendant des heures, ils avaient essayé d’appeler à l’aide avec les montres, de déclencher l’évacuation de leur amie. Rien ne s’était passé. Les montres étaient déconnectées depuis l’attaque nocturne.
— On va se faire choper, si on retourne à l’entrée, marmonna Tina, les bras croisés autour d’elle comme pour se protéger. S’il y a des élèves avec des armes à feu, ils vont juste nous tuer.
— Je crois pas que c’était un élève, marmonna Jeremy en haussant les épaules.
— Peu importe, grommela Tess en observant la forêt qui les entourait avec appréhension. L’épreuve se passe pas comme elle le devrait.
Comme ses camarades acquiesçaient, elle soupira lourdement. Se tourna vers l’intérieur de la grotte, où Jason s’était penché sur son amie. Tess serra les dents.
— Je le préviens qu’on bouge.
Il leur fallut dix minutes pour récupérer leurs affaires, installer Kaya sur le dos de Jason, le plus costaud d’entre eux, et effacer au minimum les traces de leur passage. Jim passa devant en compagnie de Tess, Ryu et Tina fermèrent la marche.
Le jour s’était levé depuis deux heures déjà et promettait un ciel clair. Quelques nuages paresseux apparaissaient par intermittence entre les branchages. Le groupe avançait au meilleur rythme possible, même si Jason était contraint par le poids de sa partenaire.
Comme les montres n’affichaient plus de carte, Jeremy s’était fié à la position du soleil pour estimer le nord et partir en sens inverse. L’entrée par laquelle on les avait fait entrer la veille se trouvait au sud du parc national.

Ils venaient de s’arrêter pour une pause de cinq minutes quand des bruits de craquements et des voix s’élevèrent dans le sous-bois. Alertes, ils dégainèrent tous à l’exception de Jason, qui resserra sa prise sur les jambes de Kaya.
Bientôt, deux adultes apparurent entre les troncs. Ils les remarquèrent, agrandirent leurs sourires. Ils ne se souciaient ni d’être vus ni d’être fuis. Après tout, des pistolets pendaient à leur ceinture, assurance qu’ils pouvaient faire mouche à distance.
Jim brandit ses lames jumelles devant lui. Se sentit aussitôt stupide. Du fer contre le feu. Des lames contre des balles. Il savait depuis toujours combien le feu était plus destructeur.
Il échangea un regard avec Ryu, parvint à la même conclusion. Ils rangèrent leurs armes de concert, agrippèrent les bras de leurs amis à portée de main.
— On fuit. MAINTENANT.



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danielpages

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par danielpages »

J'ai perdu complètement le fil... Mais je suis toujours là si t'as besoin. Continue !
louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

danielpages a écrit : sam. 13 juil., 2024 11:26 am J'ai perdu complètement le fil... Mais je suis toujours là si t'as besoin. Continue !
Hello Danou !

Pas de soucis :)

S.U.I c'est un projet plaisir, j'ai aucune ambition éditoriale avec ou que sais-je.

Si jamais je rêve plus grand un jour, je n'hésiterai pas à te solliciter ;)

Bisouilles et courage pour tes propres projets !
louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

Je me suis choquée moi-même en relisant 🫡


- Chapitre 58 -



Mercredi 21 mai 2025, au nord de Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Le poids de Kaya avait disparu. Sous le flot de l’adrénaline et de la peur absolue de mourir, ici, maintenant, avec sa meilleur amie sur le dos, Jason fonçait. Derrière lui, Jeremy et Ryu faisaient barrage de leur corps. Pendant un moment, il avait eu Tess et Tina dans son champ de vision, mais elles avaient fini par se confondre avec le troncs. Avant de tout bonnement disparaître.
L’esprit de Jason était bien trop concentré sur l’instinct de survie animal qui animait ses muscles et gonflait ses poumons pour se demander si elles allaient bien. Quelques mètres derrière eux, le prédateur bondissait. Il avait tiré à plusieurs reprises, avait raté à chaque fois. Les adolescents couraient trop vite ; les arbres bloquaient le champ de tir.
Jason s’en fichait pas mal. Il voulait juste sortir de là. De ce foutu parc. De ce piège absurde où son amie risquait d’y laisser la vie. Sa poitrine le brûlait, ses muscles aussi, même ses yeux. Si le feu était douloureux, il était aussi moteur. Jason avait rarement couru aussi vite. Avec un être humain sur le dos, il avait craint de ralentir ses amis et d’être un boulet.
Un nouveau tir. Un bruit de craquement éclata à la gauche de Jason, qui se projeta sur la droite par réflexe. En se prenant la cheville sur une racine, il remarqua le tronc dont la balle avait creusé une estafilade sur l’écorce. Se maudit de sa réaction impulsive alors que la gravité l’envoyait rouler sur un lit de feuilles, de terre et de mousse.
Jason serra les jambes de Kaya de toutes ses forces, mais son amie bascula de son dos, roula sur le côté. Sur l’instant, il fut soulagé qu’elle soit inconsciente. Une chute pareille n’aurait pas manqué de la faire souffrir avec sa blessure à la poitrine.
— Jay !
Le cri de Ryu le précéda d’une seconde à peine. La poigne de Ryusuke le redressa sur ses genoux, ramena un peu d’espoir dans son cœur. En quelques mouvements efficaces, Ryu replaça Kaya sur le dos de son ami, noua les liens qui maintenaient les poignets de la jeune femme serrés entre eux, passés autour du cou de Jason.
— Debout, lui intima Ryusuke en le tirant par l’épaule. Jim fait diversion, mais…
Un coup de feu l’interrompit. Une vague de culpabilité ébranla Jason quand il aperçut l’éclat horrifié dans les yeux sombres de son coéquipier. Même s’il regardait derrière eux, en direction de leur poursuivant, Ryusuke serra les dents et força Jason à avancer.
— Jim, s’étrangla Jason dont les pas s’emmêlaient de contradiction.
— Avance, gronda Ryu en le poussant. Il fait diversion. Et il nous rejoint. Il a promis.
Une dizaine de mètres derrière, Jeremy se glissa derrière un arbre pour éviter un nouveau coup de feu. Il n’y avait plus que la femme sur leurs traces ; son collègue avait disparu en même temps que Tess et Valentina pour se lancer à leur poursuite. Le souffle court, Jim se baissa avec hâte pour récupérer une pierre avant de l’envoyer grossièrement en direction de l’assaillante. Après avoir reculé d’un pas pour éviter l’attaque, la femme visa de nouveau. Jim envoya plusieurs gros cailloux en retour. Se jeta au sol en écarquillant les yeux quand il remarqua qu’elle préférait essuyer des pierres qu’abaisser son arme.
Le tir siffla au-dessus de sa tête, creusa un sillon dans le tronc de l’arbre qui l’avait abrité quelques secondes auparavant. Jeremy roula sur le flanc alors que l’écho résonnait encore sous la canopée. Bondit sur ses talons puis en direction de la femme.
Il jeta l’une de ses lames jumelles vers le bras qui le menaçait d’une balle dans la poitrine. Cette fois, le tranchant mordit le poignet de l’assaillante, la força à dévier son pistolet – un Glock, devina Jeremy. Après avoir poussé un juron, elle dégaina le couteau suspendu à sa ceinture et contra l’attaque de Jim. Sa main gauche serrée sur la poignée de sa deuxième lame, il se servit de son autre bras pour frapper violemment le coude de l’ennemie par en-dessous. Le couteau de la femme s’éleva vers le haut, exposa son abdomen. Jeremy rétracta le bras, bascula son poids d’un appui à l’autre. Puis frappa d’un coup de pied droit. Vue l’épaisseur de la veste de l’assaillante, il doutait que sa dague puisse en franchir les couches protectrices.
Des craquements s’élevèrent autour d’eux. Étonné, Jim lorgna les environs, n’aperçut rien d’autre que les troncs sombres des arbres. Était-ce la course de Ryu qui fuyait en compagnie de Jason et Kaya ? Il devait se dépêcher, ses amis ne pouvaient pas l’attendre éternellement.
Profitant de sa déconcentration, son opposante avait reculé, le souffle coupé par le coup de Jim. Quand Jeremy revint à elle, la femme brandissait de nouveau son arme à feu. Elle inspira, visa, tira.
Rien ne se passa. Médusé, Jim manqua trébucher sur place. Il se reprit juste à temps pour empêcher l’ennemie de recharger son pistolet. Elle grogna entre ses dents comprimées quand la lame orpheline de Jeremy traça une ligne écarlate sur son bras.
Focalisé sur l’arme à feu, sur le couteau de boucher, sur le souffle de la mort qui lui chatouillait la nuque, Jeremy asséna coup sur coup. S’il la laissait reprendre ne serait-ce qu’une expiration plus longue que la précédente, il était foutu.
Après avoir esquivé un coup descendant du couteau – qui n’aurait pas manqué lui amputer une oreille – Jim enfonça sévèrement sa dague dans l’épaule de la femme. Poussa en criant, en ignorant le voile de douleur et de fureur qui couvrit les pupilles de l’ennemie. Poussa jusqu’à la planter dans un arbre.
Un geignement échappa à l’inconnue, qui lâcha couteau et pistolet pour serrer la lame qui l’aiguillonnait au tronc. Le cœur en feu, comprimé dans un étau de glace, Jim lui cloua son poing dans l’estomac. Une fois, deux fois, trois fois. Frappa ensuite son nez, le cassa d’un coup net. Le sang jaillit, éclaboussa les jointures de Jeremy quand il les enfonça dans la joue droite.
Puis dans la gauche. Os contre os, chair contre chair.
Crac.
Les bras de la femme retombèrent. Ceux de Jim également. Elle avait perdu connaissance, maintenue debout par la lame en travers de son épaule. Jeremy resta figé face à elle, la respiration erratique, les mains en sang, le souffle de la mort ricanant à son oreille.

Jeremy ne s’était éloigné que de quelques mètres quand une détonation lui vrilla les tympans. Stupéfait, il fit demi-tour, prêt à mettre la femme hors d’état de nuire pour de bon. Mais elle n’avait pas bougé d’un centimètre, drôle de pantin accroché à l’arbre de sa condamnation.
Nouveau tir. Jeremy se réfugia derrière un tronc, en chercha l’origine. Au loin, il ne voyait plus la silhouette de Ryu. Il s’obligea à plisser les lèvres pour se retenir de l’appeler. Ce serait le meilleur moyen de trahir sa position. Il ne pouvait qu’espérer que Ryusuke ait mis Jason et Kaya en sûreté.
Des pas firent craquer la nature. Écrasèrent les brindilles, poussèrent les branchages, raclèrent les cailloux. Jim se raidit. Le tireur devait se sentir invincible. Avancer avec suffisamment d’arrogance pour ignorer une discrétion aussi basique…
Une voix désagréablement familière s’éleva quelque part dans son dos :
— Je sais que tu es là, Elias.
Confus, Jim cligna rapidement des yeux pour en chasser le trouble et la poussière. Déglutit pour dégager l’angoisse et le goût de fer.
Il avait ramassé la lame qu’il avait jetée sur la femme au début de leur affrontement, mais tout ceci lui semblait bien dérisoire. Jeremy aurait dû récupérer le Glock de l’inconnue en priorité. Les regrets l’assaillaient alors qu’il faisait le compte de ses atouts. Il n’était vêtu que d’un t-shirt thermorégulateur et d’un gilet sans manches à poches. Rien qui puisse le protéger d’une balle.
Rien qui puisse le protéger de l’envie de sang de sa propre famille.
— Lazos.
Il répondit à son petit cousin sans prendre la peine de bouger. Lazos avait tiré dans le vague pour l’obliger à se trahir dans les sous-bois. Jim n’était pas prêt à l’affronter de face sans un meilleur plan.
Un plan. Comme s’il était doué pour ça.
Jeremy considéra sa lame, le sang sur ses paumes et ses doigts, la douleur qui pulsait dans ses jointures. Quelque chose s’effrita en lui, l’incita à se recroqueviller au pied de l’arbre et à hurler, à pleurer, à maudire ces rouages qui l’avaient mené jusqu’ici.
— Elias ? le relança Lazos d’un ton narquois. Tu te caches, gros lâche ? Est-ce que c’est Elias ou Jeremy, le plus lâche, au final ?
Les provocations de Lazos coulaient depuis longtemps sur Jim. Pour autant, il ne pouvait ignorer l’arme que son cousin transportait. L’avantage désastreux que ça lui accordait.
— Tu veux venir vérifier par toi-même ? répondit Jeremy en essuyant le sang de sa main gauche sur son pantalon.
Il logea son unique lame dans le creux de sa paume, plia les genoux. Cala sa respiration sur la brise qui sifflait entre les feuilles, agitait les cheveux sur sa nuque. Son seul atout résidait dans le fait que Lazos était assoiffé. De cet affrontement, de verser son sang. Il finirait donc pas venir à lui, par laisser l’avidité prendre le pas sur la rationalité.
— Je t’attends, cousin, le défia Jim en haussant la voix pour que Lazos puisse s’orienter.
De nouveau des pas lourds, assurés. La confiance gluante de l’adolescent allait le faire déraper. Ç’avait toujours été le cas au centre de formation de la Ghost.
— Pourquoi tu sors pas de derrière cet arbre ? ricana Lazos et son rire sonna creux dans le calme de la forêt.
— Parce que tu as un putain de flingue, Lazos. Et que j’ai qu’un pauvre bâton.
Un nouveau rire. Jim prit sur lui pour maintenir le rythme de sa respiration. Ce petit con arrogant avait le don de titiller ses nerfs. Comment Rebecca s’était-elle retenue de ne pas l’étrangler tout au long de leur enfance ?
— Papi a eu une excellente idée, roucoula l’adolescent en s’approchant toujours plus près de l’arbre. Les Fantômes ont déjà dû faire de sacrés dégâts.
Jeremy fronça les sourcils, rata quelques inspirations. Akos était responsable de ça ? Les hommes et les femmes qui les poursuivaient depuis des heures étaient de foutus Fantômes ?
Écœuré, Jim ravala les insultes et les accusations, la colère et l’effroi. Akos avait outrepassé les règles du jeu. Écrasé celles de son propre neveu pour asseoir sa domination sur l’échiquier. Jeremy n’aurait pas dû être surpris de ces manigances familiales, mais elles le dégoûtaient toujours autant.
— Et quand je vais lui que je me suis occupé de toi…
Jim conserva le silence, se prépara. Zieuta la pointe de sa chaussure, se félicita d’avoir une amorce de plan. Il coinça la poignée de la lame entre ses dents pour libérer ses mains et se défaire de l’une de ses rangers. Après quoi, il la plaça à la limite du tronc puis se redressa avec prudence.
Quand les chaussures de Lazos produisirent de nouveaux craquements, il poussa la sienne du bout du pied. Une exclamation sauvage. Un coup de feu. Jeremy contourna l’arbre dans la direction opposée à celle de sa ranger. Le dos de Lazos s’ouvrait à lui, exposé comme un chat qui offre son ventre. Jim bondit sur son petit cousin, lui frappa le coude avec la poignée de sa lame. Lazos émit un couinement étranglé quand le nerf de son coude se paralysa, puis l’obligea à lâcher son pistolet devenu trop lourd.
Le couinement finit en gargouillement quand Jim le plaqua contre l’arbre. Ce n’était pas le mur d’un couloir de l’École, mais la scène se déroulait de nouveau. Le bras de Jeremy contre la gorge de Lazos. Et, cette fois, la pointe de sa lame légèrement enfoncée à la lisière de son gilet pare-balles.
— Tends les mains devant toi, susurra Jim en relâchant la pression sur la gorge de l’adolescent.
Pendant que Lazos s’exécutait, les traits déformés par une rage impuissante, Jim fouilla l’une des poches de son gilet à la recherche des liens en plastique cranté qui avaient été distribués à tous les élèves. Après quoi, il se glissa dans le dos de Lazos.
— Tu me fais perdre mon temps, cracha Jeremy en titillant les reins du jeune homme de la pointe de son poignard.
Lazos ne se retint pas de l’insulter alors que son cousin le poussait en direction d’un jeune arbre au tronc guère large. Jeremy le força à passer les bras de chaque côté avant de nouer ses poignets à l’aide des liens. Il venait de serrer les crans quand une brûlure lui perça la jambe.
Jeremy s’affaissa d’un côté, trop ébahi pour songer à crier. Lazos, lui, ne se retint pas. En apercevant la silhouette derrière eux, il cessa aussitôt. Lazos n’avait plus de raison d’avoir peur – même s’il était encore plus terrifié maintenant.
— Lazos, que tu es incompétent, le gourmanda la silhouette d’une voix doucereuse.
Malgré la douleur qui s’était mise à lui lacérer la cuisse, Jim se redressa, braqua le pistolet de Lazos en direction du Fantôme. Son cousin lui asséna un coup de pied avant que Jeremy ait pu atteindre le double d’Hitman à lunettes.
— Peut-être un chouïa utile, s’esclaffa l’agent McRoy sans arrêter sa progression en direction des jeunes hommes.
Le sang battant contre ses tempes, Jeremy s’appuya sur son genou valide puis se leva. Sa jambe blessée le trahit aussitôt, le fit basculer contre le tronc le plus proche. Haletant, il lorgna son pantalon, retint un geignement. Une auréole sombre fleurissait sur sa cuisse ; son épicentre un trou d’à peine deux centimètres dans sa chair.
— Oups. Première blessure par balle, j’imagine ? (McRoy élargit son sourire en réponse au regard sidéré du jeune homme.) Ce n’est pas très agréable, je reconnais.
La confusion puis la douleur désertèrent Jeremy alors que le Fantôme approchait. Elles ouvrèrent grand les portes à la terreur, qui l’envoya dans un clair-obscur d’impuissance. Les muscles de ses bras saisirent tout de même sa lame, la placèrent comme un bouclier entre lui et l’homme qui le méprisait depuis des années.
Un nouveau rire. Avec des gestes tranquilles, l’agent McRoy rangea son arme de service. Ouvrit ses bras comme pour étreindre Jim.
— Ta dernière épreuve avant le diplôme, sourit le Fantôme avec des yeux luisants. Tu dois être fier de toi, Elias.
Les bras de Jim étaient tout aussi secoués que le feuillage des arbres alentours. Des os et de la chair transformés en brindilles, tout juste bons à être emportés par le vent. Un engourdissement avalait sa cuisse centimètre après centimètre. Un séisme agitait sa cage thoracique, compressait son cœur et malmenait sa respiration.
Il se retrouva nez-à-nez avec l’agent McRoy. Et, de nouveau, il était ce garçon de treize ans qu’on avait drogué pour l’apporter à son oncle. Cette fois-ci, Jim ne put retenir la secousse qui escalada sa gorge, se transformant en geignement à la lisière de ses lèvres.
L’une d’elles éclata quand McRoy y abattit son poing. Le sang aspergea sa langue, son menton. Fit glisser les jointures de l’homme quand il asséna la pareille sur une pommette. McRoy gronda un rire sinistre en rétablissant son équilibre. Ses doigts puissants clouèrent Jim au tronc, le maintinrent debout.
Le silence qui suivit terrifia Lazos. Il fit la belle part aux grognements rauques de McRoy qui frappait, frappait, frappait. Les coups sur le visage, sourds. Ceux dans le ventre, mats. Le pied qui enfonça la cuisse blessée produisit un gémissement, extirpé de la gorge compressée de Jeremy.
Puis il y eut un cri. Si guttural qu’il arracha un sursaut à Lazos. McRoy avait reculé d’une large enjambée, ses joues rougies par l’effort teintées de blanc. La poignée d’une lame dépassait de sa propre cuisse.
Enfin, un rire. Déchaîné, déconcerté. L’agent McRoy baissa des yeux sauvages en direction de Jim, qui l’observait à travers des paupières à demi-closes.
— Petite merde ambulante, grogna le Fantôme en se penchant sur le jeune homme. Sale vermine. Tu es vraiment de la même engeance que ton père.
— Lequel ? Si je suis Elias, alors Edward est mon pèr…
Une gifle l’interrompit. Jeremy crachota un filet de salive ensanglanté. Il craignait d’avoir des os du visage cassés après tous les coups qu’il avait encaissés.
— T’étais vraiment qu’une perte de temps.
Jeremy s’érafla la main en essayant de se redresser grâce au tronc. McRoy lui administra une nouvelle claque, assez forte pour le sonner. Après quoi, il referma les deux mains autour de son crâne, le tira vers lui.
Jim se demanda s’il allait lui abattre son genou dans le visage. Le Fantôme préféra le repousser brutalement en direction de l’arbre. Le choc illumina brièvement la vision de Jeremy. L’envoya ensuite dans le noir. Un deuxième aller-retour, encore plus fort cette fois-ci.
Un trajet de rouge. Un bout d’écorce lui entailla le cuir chevelu. Un autre balancement. Le choc résonna de longues secondes dans le crâne de Jim. Brouilla son sens du haut et du bas, précipita la nausée dans sa gorge.
Entre deux flashs tricolores, Jeremy agrippa la poignée qui pointait toujours de la cuisse de l’homme. Tira dessus de ses maigres forces restantes. La poigne sur ses cheveux faiblit. En insufflant un mouvement de balancier, il parvint à ouvrir la jambe de McRoy du milieu de la cuisse jusqu’à la cheville.
Le Fantôme lui écrasa la main. Récupéra la dague entre ses doigts gourds pour la balancer au loin. Lui prit le poignet, tira son bras en arrière. Jim grogna, tenta de diminuer la pression en tournant sur lui-même. L’agent McRoy posa un pied sur son omoplate pour l’empêcher de bouger.
Lazos se détourna quand il vit l’épaule de son cousin se déboîter. Il savait que ce n’était pas si grave, mais le bruit de claquement et le cri éraillé de Jeremy lui collèrent la chair de poule.
— Agent McRoy…
Son intervention ne tira pas un sourcillement à l’homme. Il avait retourné Jim sur le dos et le considérait en plissant les lèvres. Encore conscient, le jeune homme haletait. Il rampa faiblement quand le Fantôme l’agrippa par le col. Mais son bras et sa jambes blessés ne l’emmenèrent pas très loin. Le rendirent incapable de protéger son trésor quand les doigts du Fantôme glissèrent sous le collier en cuir.
La matière, usée par les années et les tripotages anxieux de Jim, céda sans tarder. Un gargouillement désemparé franchit les lèvres ensanglantées de Jeremy lorsque le Fantôme se tourna vers Lazos, sourire aux lèvres. Avec nonchalance, il s’éloigna de sa victime pour fourrer le collier entre les mains encore liées de Lazos.
— Tu donneras ça à ton grand-père, ça devrait lui plaire. (Une étincelle illumina le regard brun de l’homme.) Ou à ta grand-tante. Elle en dormira mieux la nuit.
Mortifié, les genoux de Lazos se mirent à trembler. Il tressaillit quand le Fantôme flanqua un coup de pied dans les côtes de Jim en passant à côté de lui pour récupérer sa dague. Se détourna de nouveau quand McRoy planta la main de son cousin avec.
Jeremy avait encore la force de gémir de douleur. Mais il n’y eut bientôt plus que des grognements et des gargouillements étouffés de sa part. Des mouvements saccadés des membres qui acceptaient encore de lui répondre.
Ses yeux s’emplirent de larmes involontaires tandis que son monde se résumait à l’expression satisfaite de McRoy au-dessus de lui. Les détails des feuilles ondulant dans le vent s’effacèrent. Le brouillard enfla sur les côtés de sa vision alors que les doigts du Fantôme gagnaient en consistance sur sa gorge.
L’oxygène manquait. Le sang manquait. Le corps de Jim finit par capituler. Son bras luxé ne lui servait plus à rien. Son autre main n’était qu’une mine de douleur. Sa jambe valide était écrasée par le poids de l’homme.
Pendant quelques secondes, il perçut la voix terrorisée, suppliante, de son cousin. Et même Lazos finit par se faire engouffrer par le néant.



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Dernière modification par louji le ven. 26 juil., 2024 5:41 pm, modifié 1 fois.
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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

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Pour rappel, il y a un sommaire accessible en 1ère page du sujet qui vous ramène sur les tomes/recueils, qui ont leur propre sommaire pour accéder directement aux chapitres ou contenus bonus !


- Chapitre 59 -



Mercredi 21 mai 2025, au nord de Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Le rictus d’Akos Sybaris avait pris une saveur amère.
Dès que ses neveux avaient déguerpi pour secourir les étudiants, un enchaînement de désagréments avait suivi. Qu’Edward ait remarqué aussi rapidement la mascarade était une première frustration. L’objectif d’envoyer les Fantômes durant la nuit était bien de prendre à revers les élèves comme leurs encadrants. Mais Ethan et son frère ne s’étaient pas contentés de saboter la nouvelle épreuve : ils avaient contacté le responsable de l’école de S.U.I et la dirigeante des Amazones pour faire pression sur la mainmise de la Ghost Society. Et la succession de coups de fil qui en avait résulté était parvenue jusqu’à Akos : le directeur de la Ghost lui imposait de cesser immédiatement son expérimentation.
Même si le résultat était prévisible – après tout, Akos n’avait pas attendu l’accord de son supérieur pour agir – il n’en restait pas moins frustrant. Quand la direction de la Ghost allait-elle comprendre que l’adoucissement de leur programme de formation et l’assouplissement des critères de sélection desserviraient la qualité de leurs interventions à l’avenir ?
Suite aux nouvelles directives de la Ghost Society, le service informatique avait réactivé le suivi des montres. Entre temps, de nombreuses données avaient été perdues et la géolocalisation des montres ne fonctionnait toujours pas en milieu de matinée. Les spécialistes s’affairaient, quoique perturbés par les ordres contradictoires qu’ils avaient reçus en moins de vingt-quatre heures.
Les déconvenues ne s’étaient pas arrêtées par la remise en service bancale des montres. De retour dans sa chambre, Akos s’était aperçu de la disparition de son petit-fils – et de l’un de ses Beretta 92 personnels. Après avoir poussé un juron, l’homme s’était résolu : puisque Lazos voulait faire ses preuves, qu’il en assume tous les tenants et aboutissants.

Le 4x4 cahotait sur le terrain inégal du parc. Au volant, Edward s’efforçait d’éviter les buissons, les cailloux trop gros et les dénivelés qui faisaient claquer leurs dents. Un autre véhicule, mené par deux professeures des Amazones, sillonnait le parc avec le même objectif : distribuer gilets pare-balles, rations, médicaments et instructions aux élèves confus ou blessés.
Un message général devait s’afficher sur leurs montres : épreuve annulée, retour à l’entrée du parc de toute urgence. Avec seulement deux voitures tout terrain à disposition, Edward, Ethan et les autres intervenants du projet Réseau étaient restreints dans leurs actions. En deux heures trente, ils avaient croisé la route d’une dizaine d’élèves. Le parc était bien trop grand pour qu’ils espèrent faire mieux. Au moins le ronronnement du moteur attirait l’attention à travers le silence relatif de la nature sauvage.
Les Fantômes avaient reçu l’ordre de cessez-le-feu. En attendant, Ed comme son frère préféraient jouer la prudence et estimer que certains d’entre eux continuaient de s’amuser avec des étudiants à peine armés. Sans compter que la géolocalisation des montres n’était pas encore revenue. Ils ne pouvaient tracer les élèves un par un sur le plan du parc.
Concentré sur la route qui n’en était pas une, Edward ne remarqua pas le groupe d’étudiants qui venait de surgir de l’orée des sous-bois. Bien qu’il ait un œil sur la carte qui s’affichait sur sa tablette, Ethan aperçut leurs grands gestes dans le coin de son champ de vision.
— Ed ! Stop.
Avec des réflexes bien rodés, Edward pilla avant de chercher la source de leur arrêt. Émit un bruit indistinct en remarquant les six élèves qui couraient dans leur direction à travers la clairière. Il n’y avait que l’une d’entre eux qui se tenait en arrière, hésitant à quitter la protection des arbres.
— Ils sont inconscients de se mettre à découvert comme ça, marmonna Edward en orientant le 4x4 dans leur direction.
Ethan l’écouta d’une oreille distraite, occupé à dénombrer les étudiants. Les six étaient de S.U.I. De sa classe. Valentina et Hugo avaient pris le devant de la course, Tess et deux autres Réguliers dans leur dos. Quant à Emily, elle avait opté pour la sécurité en restant à l’orée des bois.
Ed ralentit et enclencha le frein à mains quand les premiers étudiants furent à leur hauteur. Sans attendre, Ethan poussa la portière, s’enquit d’une voix portante :
— Des blessés ?
— Non, répondit Tina d’un ton pincé. Pas nous, en tout cas.
— Vous êtes suivis ? enchaîna Edward en se penchant du côté d’Ethan pour se faire entendre.
— Je crois pas, grogna Hugo en zieutant par-dessus son épaule. Emily ?
Il venait seulement de remarquer que sa binôme ne les avait pas suivis dans la course. Il lui fit signe de les rejoindre, mais Edward l’interrompit :
— On ne peut pas vous ramener à l’entrée du parc. Vous devez y aller par vous-mêmes. (Comme Tess et les deux autres étudiants venaient d’arriver, il ajouta pour le groupe : ) On va vous donner des gilets pare-balles, mais on en a pas assez pour tout le monde. Pareil avec les pistolets et les fusils.
Comme les visages s’affaissaient d’incompréhension, Ethan intervint :
— Il y a des Fantômes armés qui circulent dans le parc. On fait le tour pour donner les nouvelles consignes et escorter les blessés graves. Dépêchez-vous de retourner à l’entrée, mais soyez prudents. On a à boire et à manger, si besoin. (Une fois sa diatribe lâchée, Ethan croisa le regard de Tina.) Où sont les autres ?
Comme les yeux de Valentina se mettaient à briller, Tess la dépassa pour considérer leur professeur avec gravité.
— On a été séparées de Jay, Kaya, Jim et Ryu ce matin. On a été poursuivies par des Fantômes et on a pas pris la même direction.
— Elles sont tombées sur nous, ajouta Hugo en haussant les épaules. Elles nous ont expliqué ce qui se passait. On a arrêté de chercher des balises, mais on savait pas trop quoi faire.
— Arrêtez tout et retournez en sécurité, voilà ce que vous avez à faire, leur dicta Ed d’un ton péremptoire. Vous avez dû voir que les Fantômes ne plaisantaient pas. Vous êtes en danger.
Ces mots creusèrent les visages des élèves. Hugo tritura la lanière de son gilet, s’enquit d’une voix rendue gourde par l’appréhension :
— Il y a d’autres blessés ?
— Quelques-uns, acquiesça Ethan d’un air sombre. On a ramené une Mino avec une blessure par balle à la hanche.
— En parlant de ça, reprit Tess d’une voix rauque, Kaya aussi a été blessée par balle.
L’annonce conféra un ton cireux à la peau d’Ethan. Comme il ne reprenait pas la parole dans l’immédiat, Ed s’enquit :
— À quand ça remonte ? Vous avez traité la blessure comme il faut ? Où est-ce que vous vous êtes séparés ? On peut essayer de retrouver le reste de votre groupe.
— Cette nuit. On a fait ce qu’on a pu pour la plaie, on a désinfecté et recousu. Mais elle a été touchée à la poitrine, au niveau des poumons.
La froideur professionnaliste d’Edward s’effrita. Avec un regard désolé pour Tess, il se détourna pour observer la clairière environnante. Les brins d’herbe haute ondulaient savamment dans la brise douce. Les insectes chantaient en concert avec les oiseaux.
Et leurs élèves mouraient.
— Je sais pas trop où on était quand on a été séparés, reprit Tess après un silence lourd de sens. On a campé près de la rivière cette nuit, où on a été attaqués. Après, on s’est caché dans une grotte. On repartait vers le sud quand les Fantômes sont tombés sur nous.
— C’est noté, souffla Ed avant de considérer son jumeau. Tu leurs donnes le matos ?
Avec des gestes machinaux, Ethan quitta le siège passager pour contourner le véhicule. Les élèves se rapprochèrent pour inspecter le coffre ouvert. Des caisses remplies de bouteilles d’eau ou de sandwichs côtoyaient des tas de gilets pare-balles et des caissons d’armes à feu préchargées.
— Je peux vous en donner que trois, marmonna Ethan en tendant des gilets et des pistolets. Sinon, on en aura pas assez pour les autres groupes.
— On va se débrouiller, le rassura Tess en récupérant les armes.
Hugo s’était déjà emparé d’un gilet pour l’enfiler. Tess le fusilla du regard, tendit un automatique à l’un de ses camarades et fit signe à Emily que le dernier lui était destiné.
— Et moi ? grinça Hugo en faisant un geste vers le pistolet dont Tess vérifiait le chargeur.
— Je suis meilleure tireuse que toi. Emily aussi. Fin du débat. Et chaque binôme devrait avoir un gilet et un flingue.
Sur ce, Tess arracha l’un des gilets des bras de Hugo pour le tendre à sa partenaire. Après avoir dégluti avec peine, Valentina le noua autour de son buste. Ethan approuva la démarche de Tess d’un hochement de tête avant de refermer le coffre. Il avait déposé six sandwichs et trois bouteilles au sol.
— Je vous laisse ça aussi. Tess, je peux voir ta montre ? (Comme elle s’exécutait, Ethan fit apparaître la carte à l’écran.) L’entrée est ici. Le reste des professeurs et des responsables du projet Réseau vous y attendent. Ne tardez pas… même si les Fantômes ont reçu l’ordre de tout arrêter, il vaut mieux rester prudents.
Valentina, Tess, Hugo et les autres acquiescèrent. Ils récupérèrent les vivres qu’on leur avait laissé avant de saluer leur prof. Tandis qu’Ethan s’installait sur le siège passager, Tina lança :
— Retrouvez les autres, par pitié.
Comme les larmes qu’elle retenait depuis quelques minutes se mettaient finalement à couler, Tess passa un bras autour de ses épaules. Ethan n’osa lui faire aucune promesse, pas même un sourire réconfortant.
Il était lui-même bien trop chamboulé pour y penser.

L’après-midi déployait sa langueur sur la forêt. Les oiseaux s’étaient tus au profit des grillons de plus en plus bruyants. La chaleur montait, même si la canopée des arbres rendait l’atmosphère plus respirable.
Rebecca consultait sa montre régulièrement. On l’avait dotée d’un modèle similaire à celui des étudiants, mais la sienne l’aidait essentiellement à s’orienter. Dotée de sa tenue de Fantôme et de son Glock 17, son fidèle poignard accroché à sa ceinture, elle parcourait le parc à la recherche d’élèves perdus, blessés ou pire encore.
Sa queue-de-cheval lui battait les omoplates dans un mouvement familier. Sa solide paire de rangers écrasait les brindilles, accrochait les passages instables, repoussaient les cailloux pointus. La mission qu’on lui avait confiée n’avait rien d’une partie de plaisir, mais au moins était-elle bien équipée. Et puis, la forêt était son élément. Elle s’y était perdue des heures durant en solitaire, avec de rares amis ou sa jument. Avait exploré la nature qui entourait le siège de la Ghost Society pour en capturer les secrets et les merveilles, défié son corps et son courage lors de randonnées ou de bivouacs.
S’il y avait une solitude que Rebecca chérissait, c’était celle offerte par les arbres impérieux qui la dominaient. Les branches ne cherchaient pas à la dévier de sa voie, les feuilles ne conspiraient pas pour l’inclure dans leur réseau, les troncs ne barraient pas le passage à ses idées et ses envies. Il n’y avait aucune pression en dehors de celle de s’harmoniser à la nature.
Rebecca buta sur une racine, se rattrapa de justesse. Elle s’autorisa plusieurs longues respirations. Ce n’était pas son genre de se laisser aller aux rêveries.
Quand elle releva le nez, Lazos la dévisageait quelques mètres plus loin. Adossé à un tronc d’arbre, un air mortifié qu’elle ne lui connaissait pas collé au visage, son cousin ne pipait mot. Passée la stupeur, Rebecca s’avança jusqu’à lui, zieuta les mouchetures de sang sur ses bras et ses vêtements, les marques rougeâtres autour de ses poignets, l’écho d’horreur dans l’océan d’encre de ses iris.
— Qu’est-ce que tu fous là ? gronda-t-elle en fronçant les sourcils. Tu devrais être avec Akos !
— Je suis parti cette nuit, murmura son cousin d’un air distant, comme s’il n’avait pas pleinement conscience qu’il lui parlait.
— Hein ? (Devant l’air hanté de Lazos, Becca durcit le ton : ) Me dis pas que t’as suivi les Fantômes.
Rebecca eut pourtant confirmation en reconnaissant le Beretta 92 abandonné à côté de l’adolescent. Il appartenait à Akos, elle en aurait mis sa main à couper. Rebecca le poussa de la pointe de sa chaussure avec un goût de bile au fond de la gorge.
— Pourquoi t’es parti avec eux ?
— Je… je voulais montrer à papi que…
— Espèce de sale abruti, l’interrompit sèchement Rebecca en reculant d’un pas comme s’il dégageait la même odeur qu’un tas de crottin frais. Il sait que tu es là, au moins ?
Après quelques secondes d’hésitation, il secoua la tête. Rebecca leva les yeux au ciel, grommela pour elle-même autant que pour l’adolescent recroquevillé :
— Dire que tu aurais pu te faire attaquer par les Fantômes. Ton grand-père aurait été ravi, tiens.
Rebecca se retint d’asséner que ça aurait fait une bonne leçon à Akos que Lazos finisse par être blessé. Elle avait beau mépriser son petit-cousin pour son comportement, elle en voulait surtout à son père et à son grand-père d’entretenir ses idéaux. Nikos et Akos n’avaient jamais restreint Lazos dans ses ambitions et ses remarques déplacées.
— Tu devrais rentrer, finit par soupirer Rebecca en lorgnant le jeune homme. Les Fantômes n’ont plus le droit d’agir. Les élèves se rassemblent à l’entrée du parc.
Comme Lazos ne réagissait pas, penché sur ses mains fébrilement serrées l’une contre l’autre, le cœur de Rebecca s’emballa. Elle n’avait pas pris la peine de vérifier s’il était blessé en l’abordant.
— Tu as mal quelque part ?
Comme il secouait de nouveau la tête, la jeune femme s’accroupit à sa hauteur. Ses yeux étaient rouges, les muscles de son cou visiblement contractés. Elle lui tapota l’épaule.
— Eh, Lazos, je rigole pas. Faut vraiment que tu y ailles.
Il finit par couler un regard éteint dans sa direction. Avec ce qui ressemblait à un geignement, il relâcha l’étau de ses mains. Entre ses doigts devenus blancs par la compression reposait un collier que Rebecca connaissait bien. Elle l’avait raccroché plus d’une fois autour du cou de Jim quand il le perdait au centre de formation.
Un raz-de-marée glacé s’engouffra dans sa poitrine.

La nuit était tombée. Ou ses yeux étaient trop enflés pour distinguer le jour. Jeremy ne pouvait être certain de rien : aucun de ses bras de lui répondait pour vérifier l’état de son visage. Et quelque chose d’humide lui glaçait le bas du corps, ankylosait ses muscles.
Ah oui, la blessure par balle. Mais ce n’était pas tout.
Le son revint, à défaut de la lumière. Un glougloutement. Un fredonnement. L’eau, le vent.
La rivière.
Les sens firent leur retour. Le froid percuta Jim jusqu’au plus profond des os, lui aurait arraché un hoquet si sa gorge ne lui avait pas fait si mal.
Il avait été traîné jusqu’au lit de la rivière. Ses jambes et une partie de son bassin étaient immergés. Conscient de ce qu’une eau à une dizaine de degrés à peine pouvait causer comme dégâts, Jeremy voulut reculer.
Ses bras restèrent figés. Deux extrémités lourdes, inutiles, terminaisons de douleur sans autre fonction. Il força sur ses yeux, parvint à attraper quelques éclats de lumière. L’alignement de son bras gauche avec le reste de son corps n’avait rien de naturel.
Jeremy se rabattit sur sa main droite. Il se contenta d’en agiter les doigts, quitte à s’en étouffer de douleur. Il devait faire quelque chose pour le trou dans sa jambe. Il se viderait de son sang en quelques heures en laissant la plaie à vif. Avec des geignements, Jim força son bras encore mobile à fouiller la poche pectorale gauche de son gilet. Ils avaient tous été équipés de quelques compresses stériles en cas de coupures ou lésions superficielles.
Une blessure par balle n’avait rien de superficiel, mais Jeremy n’avait pas grand-chose d’autre pour agir. Sa main droite, déchirée et ensanglantée par le coup que lui avait infligé McRoy, resta suspendue au-dessus de sa cuisse. Il avait une vague idée de la douleur qui l’attendait malgré l’engourdissement de l’eau froide. Avec des doigts malhabiles, il plia les compresses et les enfonça dans la plaie.
Sa gorge parvint à crier. Ses yeux à expulser quelques larmes désespérées. Comment était-il possible que ça le brûle autant malgré l’eau froide dans laquelle il baignait ?
En respirant par à-coups, Jim laissa le blanc incandescent de la souffrance l’envahir. Puis ne demeura que le noir de l’inconscience.



Suite
Dernière modification par louji le sam. 03 août, 2024 2:43 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

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- Chapitre 60 -



Mercredi 21 mai 2025, au nord de Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Ryusuke était incapable de se concentrer. Accroupi au pied d’un arbre, sa gourde à la main, il observait le passage d’un peloton de fourmis devant lui. Dans le calme de la forêt et à présent qu’ils ne fuyaient plus pour leur vie, il aurait dû être capable de réfléchir. D’établir un plan, une stratégie. Quelque chose de factuel qui leur permettrait, à Jason, Kaya et lui, de se sortir de ce bourbier.
Mais rien dans ses calculs ne prévoyait qu’ils se retrouvent dispatchés ainsi. S’ils avaient aussi bien entamé l’épreuve, c’était grâce à leur dynamique de groupe, où chacun connaissait sa place. Et Ryu ne se sentait plus l’âme d’un leader. Quand les deux assaillants leur étaient tombés dessus, le matin-même, il aurait dû faire attention à ce que Tess et Tina ne s’éloignent pas. La dernière fois qu’il les avait aperçues, elles fuyaient l’un des adultes armés.
Il avait ensuite laissé son binôme servir d’appât. Et même s’il lui avait promis de les rejoindre dès que possible, Jeremy ne les avait jamais rattrapés. Ryu avait fini par ralentir la cadence une fois certain que personne ne les traçait. Rebroussé chemin sur une centaine de mètres, Jason dans son sillon. Sans oser crier trop fort de peur d’être repéré, Ryusuke avait appelé son ami. En vain.
Par sa faute, ils avaient aussi perdu Jim.
— Tu veux manger un bout ?
La proposition de Jason força Ryu à quitter les fourmis qui déambulaient sous son nez et celles qui lui démangeaient l’esprit. Il glissa une main distraite sur sa nuque, où il libéra quelques cheveux collés à sa peau par la sueur qui avait séché. Debout devant lui, Jay lui tendait une tranche de pain agrémentée de ce qui devait être de la viande séchée.
L’estomac de Ryu était terriblement noué, mais son cerveau encore capable d’arriver à des conclusions évidentes. Avec un faible « merci », il récupéra le sandwich improvisé pour croquer dedans.
Le visage aussi défait que le sien, Jason posa le bout des fesses sur un rocher à proximité. Dans leur fuite, il s’était éraflé le visage et les bras. Ryu se demanda si son camarade en avait conscience ; des traînées de sang mouchetaient sa peau à une dizaine d’endroits.
— Kaya ? souffla Ryu en tournant le cou en direction de leur amie.
La jeune femme, toujours inconsciente, reposait sur un tapis de mousse et d’aiguilles. Jason avait calé son sac sous sa nuque et couvert sa silhouette svelte d’un de leurs duvets.
— Sa respiration s’améliore pas, murmura Jason en contemplant son sandwich d’un regard de néant. Ça saigne plus grâce aux points, mais… je crois que ça commence à s’infecter. En-dessous.
Ryusuke ne put s’empêcher de grimacer. Malgré leurs précautions, aucun d’entre eux n’avait été formé en dehors des soins de premier secours et de quelques fondamentaux comme suturer une plaie ou confectionner une atèle de fortune. Sans compter qu’ils avaient laissé la balle à l’intérieur de la blessure en l’absence d’instruments adéquats pour la retirer. Si l’on pouvait tout à fait survivre avec une munition dans le corps, les impuretés qu’elle amenait dans la chair conduisaient facilement à une infection en l’absence de traitement. Par-dessus ça, ils craignaient que la balle l’ait atteinte aux poumons.
— On va tout faire pour qu’elle s’en sorte, affirma Ryusuke en se forçant à avaler une nouvelle bouchée de sandwich.
Même s’il n’arrivait plus à rassembler ses idées pour en extirper un plan concret, Ryu était toujours capable de soutenir et de motiver. Tant qu’il essayait d’y croire un minimum lui-même.
— Oui, chuchota Jason en retour.
Mais il ne regardait pas Ryu. Pas même son amie.

Ryusuke ne proposa pas meilleur plan à Jason que de remonter leur chemin. Après tout, leurs montres affichaient à présent un message unanime : annulation de l’épreuve, retour au point de départ. En fuyant, ils avaient pris la direction de l’est, mais la sortie du parc était bien au sud. Quant au reste de leur groupe, le plus simple restait de les attendre là-bas. Jason et Ryu ne pouvaient pas se permettre de partir à leur recherche au vu de l’état de Kaya.
En marchant aux côtés de Jason, qui portait toujours la blessée, Ryu luttait contre l’envie de s’effondrer. L’idée de pleurer alors que Jason transportait son amie mourante le mortifiait. Son cœur envoyait des ondes terrifiées dans son corps quand il songeait à Jim, mais au moins ne le tenait-il pas dans ses bras avec une blessure à la poitrine. D’un autre côté, il n’avait aucune idée de son état. La femme dont il avait détourné l’attention avait pu l’abattre depuis longtemps. À cet instant, son corps pouvait déjà être en train de refroidir dans un fourré.
L’élan de terreur qui le submergea à cette idée lui fit mal. Il profita que Jason le devançait d’un mètre pour se détourner, la gorge serrée. Ryu pressa les doigts contre ses paupières, inspira longuement à plusieurs reprises avant de laisser tomber ses bras. Imaginer ne lui rendait aucunement service. Mais Ryusuke savait ce qu’aurait fait Jim à sa place : il aurait remonté toute la zone où ils s’étaient quittés pour le retrouver.
Cette pensée ne lui fit aucun bien.

En milieu d’après-midi, leur progression devint laborieuse. Le message général avait provoqué un afflux d’élèves dans une zone concentrée du parc. Tandis qu’une partie des groupes se contentait de progresser sans détours, d’autres profitaient de la vulnérabilité de leurs camarades pour voler leurs balises.
Depuis que les messages s’étaient affichés sur les montres, les compteurs avaient retrouvé leur statut initial. En théorie, les étudiants pouvaient donc partir à la chasse aux balises. Ryusuke et son ami avaient assisté à plusieurs attaques avant de s’accorder pour éviter ces concurrents avides. Ils n’étaient pas en mesure de se défendre ni de mettre en jeu la vie de Kaya.
Ces attaques éclairs de la part de certains groupes, généralement plus nombreux qu’eux, les avaient forcés à se cacher, à prendre des contournements et à se faire aussi discrets que possible. Dans le dos de Jason, la respiration de Kaya s’était aggravée d’heure en heure. Et l’expression de Jay avait suivi cette dégradation.
Ryusuke craignait de ne plus pouvoir sauver qui que ce soit. Ses appels désespérés sur le bouton d’évacuation de la montre n’avaient abouti à rien. Toutes les fonctionnalités n’étaient pas de retour. Et même sa stratégie d’évitement finit par s’effondrer.
Le groupe de cinq élèves les trouva alors qu’ils prenaient une pause pour verser un peu d’eau sur les lèvres blêmes de Kaya. Leur abri de fourrés denses n’avait pas suffi pas à les masquer de la traque. Comme le groupe mélangeait des filles et garçons dont aucun visage ne lui était familier, Ryu les identifia aussitôt comme des recrues-Fantômes.
— Vous savez pourquoi on est là, avança l’une des jeunes femmes en jouant avec un couteau cranté incrusté de sang séché.
— On a une blessée, gronda Ryu en désignant Kaya. On doit repartir au point d’entrée. Elle a besoin de soins urgents.
— Oh, on vous laissera repartir, roucoula l’un de ses camarades en haussant les épaules. Mais on va prendre vos balises avant ça.
D’instinct, Ryusuke eut un mouvement de recul. Dans son dos, Jason serra Kaya contre lui comme pour empêcher les étudiants de l’atteindre. En réponse à cette attitude passive, la fille au couteau bondit vers Ryu. Il détourna son bras in extremis, mais elle parvint tout de même à lui frapper la pommette en tournant le manche de l’arme.
Avec un grognement de douleur, Ryu perdit l’équilibre et s’effondra au milieu des fourrés. Un nuage de pollen s’éleva autour de lui, de minuscules épines lui mitraillant le dos et les bras. Son assaillante ne tarda pas à faire appui sur ses jambes pour l’empêcher de se relever. En renfort, l’un de ses camarades s’approcha pour immobiliser son buste.
Quand il entreprit de défaire sa montre, Ryusuke gesticula de plus belle.
— Vous avez pas besoin de prendre la montre ! Connectez-la pour récupérer mes balises, mais laissez-la moi, implora-t-il d’une voix de plus en plus tendue.
— Vous avez pas l’air d’être à la chasse aux balises, intervint la fille en lui assénant un coup de pommeau dans l’aine. Alors pas besoin de vos montres.
Ryu passa outre la souffrance qui l’enflamma du buste jusqu’aux orteils pour contrer d’un ton rauque, mélange de douleur et de peur :
— On en a besoin pour la carte.
— Oups, trop tard.
Une fois la montre de Ryu entre leurs mains, les deux recrues-Fantômes s’éloignèrent. Du côté de Jason, le constat était le même : le jeune homme arraché à son amie, la montre arrachée à son poignet.
— C’est qu’ils ont pas mal de balises, les cachottiers, ricana la deuxième fille du groupe en inspectant les compteurs. Récupérez la troisième montre.
Ryusuke se rua en même temps que Jason en direction de Kaya. Elle expira un souffle haché quand son partenaire se jeta en travers de son torse. En vérité, ils pouvaient bien prendre la montre. Il craignait surtout qu’ils la malmènent.
— Eh, tout doux, siffla la recrue-Fantôme qui avait arraché la montre de Ryu.
Il faucha les jambes de celui-ci quand Ryusuke se précipita vers ses coéquipiers. Alors qu’il se redressait en toute hâte, un poids le cloua durement au sol. Le jeune homme s’était assis sur son dos. Un autre garçon le rejoignit pour bloquer les membres de Ryu.
— Laissez-la tranquille, supplia-t-il d’une voix comprimée. On a besoin d’une montre. On a…
Un coup à l’arrière du crâne l’envoya goûter la poussière. Il crachota terre et minuscules cailloux, se tortilla en toussant. Les recrues-Fantômes faisaient preuve de mesquinerie en leur volant les montres. Dommage que Jim n’ait pas prévenu Ryu que ses anciens camarades étaient éduqués à la perfidie. À l’époque de son retour de la Ghost, il s’était concentré sur les mésaventures liées à sa famille.
Quand les trois autres élèves s’approchèrent de Kaya et Jason, celui-ci s’anima. Mû par les puissants muscles de ses jambes, il bondit tête la première. La mâchoire de la fille au couteau cranté émit un craquement de mauvais augure. Tandis qu’elle basculait en arrière, le sang giclant de ses lèvres explosées, Jason asséna un puissant crochet dans la pommette du garçon le plus proche. Ses jointures s’écrasèrent contre l’os, mais Jay était sous l’emprise de l’adrénaline. Il encaissa un coup de pied du dernier adversaire debout puis un coup de poing. Un vague goût de fer envahit sa bouche, mais déjà son front percutait le nez de l’assaillant.
Il eut vaguement conscience de dents qui lui entaillaient la peau. S’en moqua quand il tourna les talons pour frapper du bout du pied la fille au visage ensanglanté. La respiration lourde, le corps secoué par la vague de violence euphorique et terrifiante qui le traversait, Jason contempla les corps sonnés à ses pieds.
— Bouge plus, connard.
Avec un sursaut, Jason tourna le bassin. À deux mètres, Ryu mordait toujours la poussière en criant de frustration. Mais ce qui intéressait Jason se trouvait à quelques centimètres de l’œil de son amie. Une dague. Luisante, affutée. Dans la main de la recrue-Fantôme dont il avait cogné la joue.
— Elle peut survivre sans un œil, cracha le jeune homme en essuyant de sa main libre un filet de sang qui coulait de sa narine droite. Mais vu son état, pas sûr que ça se termine bien pour elle.
Des émotions brutales jaillirent en Jason, repoussèrent la violence machinale et le désir ardent de tous les terrasser. Un geignement coula en dehors de ses lèvres en même temps qu’un peu de salive ensanglantée.
Kaya avait l’air si petite, si pâle, si inhabituellement inoffensive entre les bras de l’ennemi.
— Lui faites pas de mal, s’entendit-il conjurer en tombant à genoux.
La lame du jeune homme s’éloigna du visage crispé de Kaya. Même séparés de quelques mètres, Jason perçut le son de raclement que produisait sa respiration. L’état de ses poumons avait empiré. Jason ne prêta attention qu’à sa poitrine qui se soulevait péniblement tandis que la recrue-Fantôme dépouillait son amie de sa montre.
Une fois son butin en poche, il se redressa sans cesser de menacer Kaya de son arme. Sur le côté, Ryu poussa un rugissement furieux. Plus aucun d’entre eux n’avait de quoi s’orienter, à présent. Comme il menaçait de les envoyer rouler à leur tour dans la poussière, les deux opposants de Ryusuke le bloquèrent de leur mieux.
Le troisième élève s’occupa de secouer les épaules de ses camarades à moitié évanouis. Jason en profita pour ramper jusqu’à son amie puis passa une main fébrile au-dessus de sa bouche. Le souffle qu’elle expirait était tout juste perceptible.
— Allez, les gars, debout.
Jason contourna sa coéquipière tandis que les recrues-Fantômes reprenaient leurs esprits. Après avoir logé Kaya entre ses bras, tant pour la protéger que pour se rassurer lui-même, Jason zieuta la dague dont le menaçait son adversaire. Il ne l’abaissa qu’après avoir vérifié que ses camarades tenaient debout et pouvaient repartir. Il fit ensuite signe aux deux autres de relâcher Ryusuke.
Quelques coups bien placés ne furent pas de trop pour empêcher Ryu de leur sauter dessus. Alors qu’il avalait de travers un mélange de sang et de poussière, Ryusuke pressa ses poings contre ses orbites. Et, cette fois, il ne retint ni les larmes ni les cris.

Ethan avait pris le relai derrière le volant. Les phares illuminaient une clairière où virevoltaient des milliers d’insectes et papillons de nuit. Sur le siège passager, Edward parcourait la carte pour étudier les zones qu’ils n’avaient pas encore quadrillées. Des surfaces immenses, en somme. Des collines, des ravines ou des sous-bois inaccessibles en véhicule.
L’équipe informatique de la Ghost Society était enfin parvenue à réactiver la géolocalisation des montres. Edward comparait sa carte du parc avec celle où clignotaient une vingtaine de points rouges. Près d’un tiers des participants n’avait toujours pas rejoint le point de retrouvailles.
Les conclusions à en tirer n’étaient pas très positives : certains marqueurs ne bougeaient plus depuis des heures. Soit les montres avaient été abandonnés, soit elles encerclaient des poignets où ne battait plus aucun pouls. Quant aux points en mouvement, les élèves ne prenaient pas forcément la bonne direction. C’étaient ceux-là qu’Ethan et son frère visaient en priorité. Au moins pouvaient-ils orienter des étudiants en mesure de se déplacer.
Les indicateurs figés depuis des heures venaient en second plan. Ed et Ethan iraient les inspecter une fois le reste des élèves rassemblés et sécurisés. Une bonne partie d’entre eux se situait dans des parties inaccessibles avec leur 4x4.
Et Ethan s’efforçait de ne plus y penser. Ou de ne pas paniquer en y pensant. Parce que, parmi la liste des élèves dont les montres s’étaient figées depuis des heures, il y avait son fils.

Vingt-et-une heures approchaient quand le portable d’Edward sonna. L’homme quitta sa tablette et son plan pour y jeter un coup d’œil. Une photo de sa fille en train de sourire doucement occupait l’écran.
— Becky ? Ça va ? J’ai pas eu de nouvelles pendant des heures.
— Désolée, grinça la jeune femme avec un accent de colère mal refoulée. Je captais pas dans le parc. J’ai dû retourner à l’entrée avec Lazos pour avoir du réseau. J’aurais aimé t’appeler avant.
— Lazos ? Pourquoi tu es avec lui ? Il va bien ?
— Il survivra, grogna la jeune femme avec humeur. Il a accompagné les Fantômes, la nuit dernière. Je l’ai retrouvé tout à l’heure en explorant le parc. Et… (Elle hésita un instant avant de souffler plus bas : ) Ethan est avec toi ?
— Oui. Dis-moi, ajouta Ed sans modifier son intonation de voix.
— Lazos avait le collier de Jeremy avec lui.
Edward fronça les sourcils, s’obligea à assembler quelques pièces de puzzle avant de s’exprimer. Quelque chose de froid, brûlant, gluant, grimpait sa trachée. Pour ne pas alerter son jumeau, il affermit sa voix et s’enquit :
— Et comment ça se fait ?
— Je crois que Lazos a attaqué Jeremy avec un autre Fantôme. Et s’ils ont récupéré son collier…
— Il t’a dit quelque chose de plus ?
Ed n’avait pas osé demander « est-ce qu’il a dit qu’il était vivant ? ». Ethan et lui avaient encore une mission à effectuer. Il préférait cacher pour l’instant cette nouvelle information. La vie d’une dizaine d’élèves pesait plus que celle d’un seul jeune homme. Même si c’était son propre neveu.
Même si Edward n’éprouvait aucun réconfort dans cette pensée logique, pragmatique.
— Non, rien. Il est incohérent. En état de choc, je crois. Il est pas blessé, mais y’a du sang sur ses vêtements. Je lui ai demandé pour Jeremy. Il a été incapable de me dire s’il était vivant ou non. Il m’a pas dit non plus avec quel Fantôme il était parti.
Edward plissa les paupières, soupira longuement. Il avait toujours eu conscience de la toxicité de sa mère. Des compromis malsains qu’il avait acceptés pour retourner dans sa toile de connaissances et d’opportunités. Mais la branche familiale de son oncle lui paraissait bien sinistre et sanglante à côté de la leur. Comment Akos avait-il pu accepter que son petit-fils inexpérimenté s’aventure dans un jeu aussi dangereux ?
— Je te remercie pour les infos, Becca, finit par répondre Ed d’un ton exténué qu’il n’eut pas à feindre. Si tu as du nouveau, envoie-moi un message. Je te tiens au courant.
Quand elle raccrocha, Ethan coula un regard aussi curieux qu’inquiet à son frère.
— Elle a trouvé Lazos dans le parc, expliqua Edward avant qu’on lui pose la question. Apparemment, il s’est faufilé avec les Fantômes. Elle l’a raccompagné à l’entrée.
— Quelle inconscience, marmonna Ethan en secouant la tête. Pas de blessures ?
— Pas physiques, en tout cas.
Comme Ethan appuyait un regard soucieux sur son jumeau, il manqua la personne qui jaillit dans la clairière, silhouette fantomatique capturée par leurs feux. Les yeux d’Ed manquèrent sortir de leurs orbites. Il écrasa par réflexe le tapis de voiture à ses pieds, hurla :
— Ethan, attention !
Son frère freina et braqua le volant en même temps. Les herbes hautes envahirent le pare-brise quand ils quittèrent la partie moins sauvage sur laquelle ils roulaient. Une fois le véhicule stoppé, les deux hommes reprirent leur souffle, les mains d’Ethan en étau autour du volant, celles d’Edward crispées sur sa ceinture.
— Quelqu’un a surgi devant nous, expliqua Ed en portant la main à son holster. Fantôme ou élève, je ne sais pas. On doit vérifier.
Ethan attendit que le sang cesse de lui résonner entre les tempes pour défaire sa ceinture. Il s’empara du pistolet automatique qu’il avait récupéré à l’armurerie, laissa le moteur allumé par précaution et rejoignit son frère. Ed remontait d’un pas prudent les sillons qu’avaient tracé les pneus dans la terre. Au milieu des hautes herbes, une silhouette ne tarda pas à s’avancer, murmure teinté par l’éclat de la lune et des étoiles.
Ses appels, eux, étaient pourtant bien bruyants.
— À l’aide ! S’il vous plaît ! Par ici !
Ethan abaissa son arme et cala le cran de sécurité en reconnaissant la voix derrière l’intonation paniquée. Edward poussa un juron de surprise quand son frère le dépassa en courant.
— Ryu ! C’est moi.
L’adolescent se jeta dans ses bras, s’accrocha à son dos en expulsant un mélange de cri terrifié et de sanglot désespéré. Ethan raffermit l’étreinte de peur de le laisser glisser contre lui. Il passa une main à l’arrière de sa tête, grimaça en y sentant la chair de poule.
— Tu es blessé ?
Ryusuke renifla dans son cou avant de croasser :
— Non.
Après avoir inspiré dans un tremblement, Ryusuke se sépara de l’homme. Il remarqua alors la deuxième silhouette en retrait, eut une sorte de coup au cœur. À quel point la situation était grave pour qu’Edward Sybaris lui-même intervienne ?
— Je…
Ryusuke se rendit compte qu’il ne savait même pas comment expliquer ce dont il avait besoin. Après tout, Ethan et son frère arrivaient trop tard. Plusieurs minutes qu’il était déjà trop tard.
— Jason, Kaya, chuchota Ryu en tirant sur le bras d’Ethan. Il faut que tu viennes avec moi.
Ethan adressa un hochement de tête entendu à son frère pendant que Ryusuke l’entraînait vers l’orée de la forêt. Ed le regarda s’éloigner avec un mauvais pressentiment. Il savait qui était Ryu – Jeremy lui avait vaguement parlé de son ami d’enfance à l’époque du centre de formation. Quant à ce Jason, il devait s’agir du fils de Grace. Des élèves d’Ethan. Proches de lui par bien des manières.
Pour autant… Edward entreprit de les suivre sans lâcher son Glock 23. Le poids de l’arme était réconfortant au creux de sa paume. Il garda sa respiration lente et régulière pendant qu’ils s’enfonçaient dans les fourrés. Bientôt, une lueur s’éleva entre les troncs. Un campement de fortune apparut : trois duvets, dont deux étaient inoccupés, un feu mourant en repère central.
Sur l’un des duvets, deux adolescents enlacés. Edward les contempla un moment avant qu’Ethan finisse par se précipiter à leur chevet. Les flammes éclairaient l’expression mortifiée de son frère, celle ravagée de Ryu, celle complètement éteinte du jeune homme aux courts cheveux blonds.
Les ombres de la danse du feu étaient les seuls mouvements sur le visage de la dernière élève. L’inquiétude d’Edward se confirma quand Ethan prit le poignet de la jeune femme, les traits défaits. Après quelques secondes d’un terrible silence, un sanglot échappa à Ryusuke.
— Ça fait… ça fait déjà…
Le chagrin avala le reste de sa phrase. Ethan lâcha le bras de Kaya sans la quitter des yeux. La peau froide sous ses doigts traduisait les mots qui avaient fui Ryu. Sonné, son cœur en train d’imploser dans sa poitrine, Ethan bascula vers Jason.
Sa bouche était un pli blême. Ses yeux, deux lacs de néant à peine éclairés par les flammes.
— Elle est morte, chuchota Jason en contemplant le corps de son ami entre ses bras.



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- Chapitre 61 -



Mercredi 21 mai 2025, au nord de Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Comme Ethan n’était pas en état de conduire, Edward avait pris le relai. Surveiller la route, maintenir le cap, gérer la vitesse. Des tâches qu’il estimait bien plus aisées que ce que son frère affrontait en ce moment-même.
Le dénommé Ryusuke était installé sur le siège passager. À quelques reprises, il avait signalé un obstacle sur le côté qu’Ed ne pouvait voir. En dehors de ces rares mots, il conservait un mutisme morose. C’était à l’arrière qu’il y avait à la fois le plus de bruits et de silence. Jason s’était assis au milieu, le corps de son amie serré contre lui. À côté, Ethan s’efforçait de soutenir le jeune homme. Régulièrement, Edward vérifiait par le rétroviseur intérieur comment ces deux-là s’en sortaient. Pas très bien, pour Jason, qui sanglotait sans discontinuer depuis dix minutes. Ses pleurs, faibles, discrets, avaient quelque chose de pernicieux. Un point de non-retour. Comme un début des funérailles, dans un 4x4 qui vrombissait dans la nuit infinie du parc.
Quand Ethan ne murmurait pas des paroles vaines à l’oreille du jeune homme, il observait les environs obscurs par la vitre. En quelques heures, il avait pris des années.
Une vingtaine de minutes plus tard, l’entrée du parc se devina dans les faisceaux de leur véhicule. Edward ralentit et privilégia une courbe plutôt qu’une ligne droite comme des élèves retardataires progressaient en direction des bâtisses.
— Je vous laisse y aller sans moi, annonça Edward en coupant le moteur à proximité de l’infirmerie de fortune. Je dois refaire le plein de vivres et de matériel au cas où.
— Merci.
C’était un murmure, mais la voix de son jumeau porta jusqu’à lui. Ed lui adressa un regard désolé pendant qu’il aidait Jason à sortir la dépouille de la jeune femme de l’habitacle. Comme Ryu venait de pousser la portière, Ed l’accapara :
— Quand est-ce que tu as vu Jeremy pour la dernière fois ? Où est-ce que vous étiez ? Il était blessé ?
Ryusuke pâlit un peu plus à chaque question. Ses lèvres tremblèrent quand il entama une réponse incertaine :
— Ce matin. On a été séparé.
— En même temps que vos amies ? Tess et…
— Valentina. Oui, en même temps. Jim nous a suivis, mais il est parti faire diversion. Il nous a jamais rejoints.
Edward acquiesça d’un air sombre. Si le Fantôme qui avait poursuivi leur groupe avait pris le dessus sur Jeremy, ça expliquait que sa montre ne bouge plus depuis des heures.
— Combien de personnes étaient après vous ? embraya Edward, profitant que le jeune homme était en mesure de lui répondre.
— Deux.
— Est-ce que l’un d’eux avait l’air plus jeune ? Moins expérimenté ?
— Je-je sais pas, bredouilla Ryu en se frottant les yeux. Mais ils se sont séparés pour nous poursuivre. Jim a fait l’appât pour une femme Fantôme.
— Très bien. (Edward grimaça en apercevant les larmes que le jeune homme s’efforçait de sécher au plus vite.) Merci, Ryusuke. Va rejoindre les autres.
Pendant qu’il s’exécutait sans tarder, Ed quitta le 4x4. Une femme ? Lazos n’avait rien dit de spécial, d’après Rebecca, donc il ne pouvait faire de lien direct entre les deux. Toutefois, si Lazos s’était retrouvé en possession du collier de Jim, il l’avait forcément croisé. Était-il tombé sur son corps inconscient ? Ou Jeremy s’était-il débarrassé de la femme pour tomber sur d’autres ennemis, dont Lazos ?
Edward s’obligea à chasser son neveu de ses pensées. Son propre frère était en train de transporter le corps d’une de ses élèves. Si Ethan était capable de se retenir de partir à la recherche de son fils, Ed aussi.
Même s’il craignait, minute après minute, de ne plus jamais entendre la voix de Jeremy.

L’infirmerie était moins agitée que Ryu ne s’y était attendu. Ethan et Jason l’avaient précédé, mais il les retrouva sans mal au milieu des élèves installés sur des matelas de fortune. Ils avaient allongé Kaya sur l’un de ses tapis épais de quelques centimètres. Quand Ryusuke s’approcha, ses jambes plus lourdes à chaque pas, Jason tirait une couverture sur son amie.
La rationalité de Ryu lui fit remarquer qu’il n’y avait plus rien à réchauffer. Ses sentiments répliquèrent aussitôt, s’attardèrent sur le soulagement – ou de ce qui s’en rapprochait – que ce geste pouvait procurer à Jason. Ryu resta un moment planté au-dessus de ses amis, l’une morte par arrêt respiratoire, l’autre mort dans l’âme. Il décrocha ensuite ses yeux larmoyants de cette vision pour considérer son environnement. Une trentaine d’élèves avait été pris en charge. Il aperçut des étudiants des trois établissements, même si la majorité lui semblait venir des Mino et de sa propre école.
Des adultes démunis tournoyaient entre les étudiants. Des professeurs encadrants dont les connaissances en médecine étaient limitées. Des agents administratifs qui apportaient de quoi se sustenter à défaut de soigner les blessés.
La gravité des blessures était variable. Ici, une fille qui tenait sa jambe en serrant les mâchoires, son pied dans un angle impossible. Là, un garçon de sa classe inconscient, son crâne entouré de bandages tachés de sang. Un bon nombre d’étudiants dormaient – ou avaient perdu connaissance. D’où le silence relatif du préfabriqué. Comme Ryusuke avait perdu la notion du temps, il chercha une horloge, une montre, un téléphone… N’importe quoi qui aurait pu lui redonner un repère fondamental.
Il trouva sa réponse dans la silhouette qui s’approchait de lui. Ethan n’avait plus de regard encourageant à lui offrir, pas plus qu’un sourire de sollicitude.
— Il est quelle heure ?
La question le prit au dépourvu. Ethan remonta sa manche pour consulter sa montre – une classique, au système mécanique et non électronique.
— Vingt-trois heures dix-sept.
Ryu hocha la tête, bizarrement conforté par cette information. Ça ne faisait même pas vingt-quatre heures que leur groupe avait été attaqué en pleine nuit. Une demi-journée depuis qu’ils avaient été séparés des autres. Une heure et demie que Kaya avait cessé de respirer, poussée à la limite de ses ressources par une balle dans le poumon.
— Ryu ? (La main d’Ethan, chaude malgré la soirée bien avancée, s’enroula autour de son épaule.) Tu as besoin de quelque chose ?
D’oublier. De dormir. De pleurer. De Dimi. De Jimmy. De remonter le temps, de changer les choses, d’empêcher l’inévitable.
Au lieu de quoi, il secoua la tête, accepta les larmes qui montaient de nouveau. Comme ses jambes menaçaient de céder, il s’appuya à Ethan. L’homme referma les bras autour de son dos et Ryusuke perçut toute sa peine dans le soupir qui lui affaissa la poitrine. Ryu venait de perdre son amie, Ethan son élève, mais tous deux dégoulinaient d’angoisse pour Jim. Ni l’un ni l’autre n’avait abordé le sujet, comme si énoncer la situation l’aurait rendu plus lourde, plus terrifiante.
Une vingtaine de secondes s’écoula avant que le père de son ami le repousse sans brusquerie. Sous la barrière de leurs cils noirs, les yeux d’Ethan étaient aussi mouillés que les siens.
— Je dois y retourner, Ryu. Edward m’attend pour reprendre la recherche des élèves manquants.
Le jeune homme acquiesça sans trouver assez d’air pour parler. Chacune de ses fonctions essentielles s’éteignaient les unes après les autres. Bientôt, il craignait de rejoindre les ténèbres, ses dernières forces avalées par cette journée interminable.
— Va demander à l’accueil de te rendre ton téléphone, lui intima Ethan à voix basse. Je te tiens au courant si j’ai des nouvelles de Jeremy.
Un sursaut d’air dans les poumons de Ryu lui arracha un hoquet. Le dernier souffle de Kaya avait écrasé la poitrine de Ryusuke d’une peine indescriptible. Imaginer le sourire de son ami – plutôt que son corps immobile et son visage sans vie – était la seule façon de soulager ce poids.
Ryusuke ne remarqua qu’Ethan était parti que lorsqu’il lui vint à l’esprit de le remercier pour son soutien. Pendant quelques secondes, la gêne lui torpilla le cœur. Mais la gêne n’était pas grand-chose face à la terreur de l’inconnu, la tempête de la mort.
Alors le jeune homme se recroquevilla sur un matelas libre, à proximité de Jason. Adossé à la paroi du préfabriqué à l’odeur de nettoyant aux agrumes, les bras autour de ses jambes, Ryu observa. Les poitrines qui se soulevaient à peine, celles qui s’ébrouaient de sanglots étouffés. Les bras qu’on serrait contre soi dans une attitude protectrice, ceux qui pendaient dans le vide. Les regards errants, les fuyants, les vides et les soulagés. Les sourires timides, rassurés, les rictus effrayés, attristés.
La porte coulissante grinça désagréablement à quelques mètres de Ryu. Deux femmes portant bras-dessus bras-dessous une élève à peine consciente s’engouffrèrent dans la salle. Des relents de gaz et de bois humide les accompagnèrent, ainsi que plusieurs papillons de nuit suffisamment téméraires. Comme personne ne prenait la peine de refermer, Ryusuke quitta son refuge. Après avoir fait coulisser la porte en sens inverse, il considéra les trois nouvelles venues. Une Mino et sûrement deux Amazones. La fille, dont les cheveux cuivrés étaient poissés de sang, geignait entre leurs bras.
— Je peux vous aider ?
Ryusuke avait recouvré un filet de voix. Juste assez pour couvrir les plaintes de douleur de l’élève et les lourdes respirations de ses encadrantes. L’une des deux femmes donna un coup de menton sec en direction d’un bac plastique dans lequel reposaient des bouteilles de désinfectants, des tas de compresses, des kits de suture et autres instruments médicaux.
— Désinfectant, compresse, s’il te plaît.
C’était discret, mais Ryu repéra une trace d’accent dans la voix autoritaire de l’Amazone à la tresse blonde grisonnante. Des origines slaves, peut-être. Après avoir récupéré le matériel demandé, il déposa le tout à côté de l’adolescente. Elle se tortillait de douleur, maintenue en place par la deuxième Amazone. Si Ryu avait repéré sa plaie au crâne, il n’avait pas aperçu celle qui béait sur son flanc. La vision de l’entaille propulsa un haut-le-cœur jusqu’au bord de ses lèvres.
— Merci, jeune homme, souffla la femme aux cheveux blonds en s’emparant de plusieurs gazes. Tu peux nous laisser.
Ryu croisa son regard bleu-gris, s’inclina face à l’assurance tranquille de son visage. Même si ses tripes brûlaient de se montrer utile, il reconnaissait volontiers sa propre impuissance. Alors qu’il se redressait, il jeta un dernier coup d’œil à la femme. Une drôle de sensation lui agrippa la gorge lorsqu’il rejoignit son matelas. Il avait l’impression de l’avoir déjà vue. Sûrement à l’École, quand les Mino étaient arrivées. Ryu n’avait simplement jamais eu l’occasion de parler avec leurs accompagnatrices.
Quand il se laissa choir sur sa paillasse, Jason n’avait toujours pas bougé. Il s’était roulé en boule à côté de Kaya. Pas de couverture pour lui. Et, face aux paupières closes de son amie, ses pupilles azur étaient grandes ouvertes. Ryusuke n’y décela rien d’autre que l’éclat des néons froids.
Ecœuré, exténué, écrémé de tout courage, Ryu enfouit la tête au creux de ses bras. Il ne trouva ni la léthargie de Jason, ni l’énergie pleine d’appréhension d’Ethan. Il ne trouva que l’attente infernale, la douleur cuisante de ses ongles enfoncés dans sa chair, le poids qui rendait sa respiration difficile.

Edward ne se trouvait pas à l’armurerie. Agacé de perdre du temps à chercher son frère à travers les préfabriqués, Ethan accéléra son pas. Le 4x4 patientait, moteur coupé, prêt à les transporter de nouveau dans les méandres du parc plongé dans une nuit sanglante.
À court d’idées, Ethan poussa la porte du bâtiment principal. À l’intérieur, les silhouettes s’agitaient, appelaient des renforts, des soignants, du matériel. Ethan resta stupéfait de cette constatation : les appels avaient-ils dont duré toute la journée sans que l’on puisse se fournir suffisamment en matériel et personnel médicaux ?
Un goût d’acide dans la gorge, il se détourna des hommes et des femmes happés par leurs téléphones. Au milieu de la dizaine d’âmes qui s’affairaient, il repéra une queue-de-cheval brune familière. Rebecca venait de s’engouffrer dans une petite salle attenante. Ethan la suivit sans attendre, aperçut une rangée de distributeurs qui ronronnaient puis deux canapés installés face à face. Sur l’un d’entre eux, un adolescent à la tignasse brune et au regard vacillant serrait les mains autour d’un gobelet de chocolat chaud. Edward s’était assis de l’autre côté, jambes croisées et visage fermé.
Rebecca coula un regard surpris vers son oncle, mais conserva le silence. Malgré sa discrétion, Lazos remarqua Ethan, accusa le coup. Il manqua lâcher son chocolat, posa le gobelet dans un geste nerveux sur la table basse qui le séparait d’Ed.
Ethan s’apprêtait à lui souffler de ne pas s’inquiéter quand il discerna quelque chose sur la petite table en bois peint. Un lien de cuir, cassé. Deux petites perles grises, ternies par les années. Il y eut comme un coup de poignard entre les côtes d’Ethan. Il rata quelques respirations. Finit par inspirer entre ses dents, la vue floue.
— Lazos, gronda Edward sans prendre la peine de se tourner vers son jumeau, tu vas parler oui ou non ?
L’adolescent baissa le cou, tassé au bord du sofa. Ethan serait intervenu pour rabrouer son frère de sa sécheresse s’il n’y avait pas eu ce collier entre eux. Cette preuve.
— Je-je sais pas, bégaya Lazos en oser relever les yeux. L’agent McRoy l’a emmené jusqu’à la rivière.
Edward jeta quelque chose sur la table. Une carte papier du parc. Il y avait pré-entouré une zone au feutre noir.
— C’est ici que la montre de Jeremy est géolocalisée. Ça correspond à l’endroit où vous l’avez abandonné ?
L’acide dans la gorge d’Ethan s’épaissit. Comme il tanguait, il s’appuya au dossier du canapé. Depuis quand Lazos était-il en possession de ce collier ? Rebecca l’avait-elle remarqué en téléphonant à son père plus tôt dans la journée ?
Ethan baissa le nez vers son frère, lui agrippa brutalement l’épaule. Ed se tordit le cou pour le dévisager.
— Edward, tu savais ? Tu savais que Lazos avait le collier de Jeremy ? Tu me l’as caché ?
Son jumeau eut le respect de ne pas nier. Les traits fermés, il acquiesça en silence avant de retourner à l’interrogatoire de l’adolescent. Traversé par des vagues de froid brûlant, Ethan le lâcha et s’éloigna de quelques pas.
Des heures. Ils avaient circulé dans le parc pendant des heures en ignorant volontairement les cas comme celui de Jim. Mais Ed avait obtenu des infos. Des éléments qui n’auguraient rien de bon pour Jeremy.
— Espèce d’enfoiré, siffla-t-il en se nourrissant de la colère jamais vraiment éteinte qui grouillait au fond de son cœur.
Ethan contourna le canapé, ignora le regard las de son frère. Il s’empara du collier, le tendit sous le nez de Lazos. Le jeune homme se recroquevilla un peu plus, son teint du même gris que le gobelet de chocolat laissé intact.
— Tu lui as pris ça quand ? Il était inconscient ? Blessé ? Mort ?
Il cracha le dernier mot, sa prévenance s’envolant à l’idée de son fils lâchement abandonné au bord d’une rivière. Comme le menton de Lazos se mettait à trembler, signe que des larmes ne tarderaient pas à suivre, Edward se leva. Il força son frère à reculer, lui susurra à l’oreille :
— J’ai déjà commencé à lui extirper la vérité. Tu fais que me gêner, Ethan.
— Va te faire foutre, Edward.
Sans se soucier de l’air désemparé du concerné, Ethan fourra le collier de son fils dans sa poche et quitta la salle. Dans son dos s’élevèrent des pas précipités puis un appel de son jumeau :
— Ethan, attends !
Ethan poussa la porte sans ralentir. La brise qui s’engouffra dans son col et à travers les pans de sa veste ne lui fit aucun bien. Ses doigts frais et humides ne pouvaient apaiser la brûlure qui avait envahi tout son corps.
Quand il atteignit le 4x4, une main l’empêcha de refermer la portière. Le souffle court, Edward gronda :
— Laisse-moi t’accompagner.
Son jumeau le cingla d’un regard aussi furieux que déçu, enfonça la clé dans le contact.
— Dépêche-toi alors, parce que je ne perdrai pas une seconde de plus.
Edward n’attendit pas la fin de la phrase pour se précipiter du côté passager.



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- Chapitre 62 -



Jeudi 22 mai 2025, au nord de Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


— On ne peut pas aller plus loin.
L’annonce d’Ethan confirma ce qu’Edward avait déjà compris en suivant la carte sur sa tablette. Le point rouge, celui associé à Jeremy, n’avait pas bougé d’un chouïa depuis qu’ils avaient escorté les deux adolescents et leur amie décédée. À vrai dire, Ed l’avait surveillé du coin de l’œil dès que la géolocalisation avait été réactivée. Et la montre n’avait pas parcourue un seul mètre depuis des heures. Quant à son emplacement, il confirmait les dires de Lazos : le marqueur se situait au bord de la rivière qui traversait le parc d’ouest en est.
— Prends ça, souffla Ed en se penchant pour récupérer une lampe-torche à ses pieds.
Alors que son frère quittait le véhicule, Edward se félicita d’être passé à l’armurerie avant d’interroger Lazos. En plus de lampes et d’armes à feu, il avait récupéré plus de vivres et de matériel de secours. Jeremy restait leur objectif, mais peut-être croiseraient-ils des élèves retardataires sur leur route.
L’orée des sous-bois, trop dense pour que le 4x4 s’y aventure, ouvrait sa gueule aux troncs pâles et à la gorge insondable. Ethan s’y enfonça en premier, balayant les fourrés de l’éclat de sa lampe. Edward se positionna un mètre derrière lui, son Glock et sa propre lampe-torche en main. L’agent McRoy n’avait pas encore signalé son retour au camp. S’il rôdait dans les parages, Ed voulait être certain d’avoir de quoi se défendre. Même si l’homme avait été sous ses ordres pendant quelques temps, Edward ne lui portait plus aucune estime. Il s’était montré infaillible dans la mission de capture de son neveu, des années auparavant. Tout comme il s’était montré infaillible pour l’attaquer et terroriser Lazos au passage.
La respiration d’Ethan ne tarda pas à gagner en vitesse et en lourdeur. Même s’il s’obligeait à conserver un souffle tranquille, son pas hâtif et l’angoisse qui chauffait son sang rendaient ses expirations fébriles. L’humidité ambiante s’attardait en sueur glacée sur sa peau exposée, dégoulinait sur la ligne de son front et de ses tempes. Il avait téléchargé sur son téléphone la carte numérisée du parc. Mais il ne pouvait accéder à la position de la montre comme Edward. Alors, régulièrement, il laissa son frère rectifier leur trajectoire à travers les bois avalés par les ombres.
L’écho de la rivière ne tarda pas à s’élever à travers la canopée. Son glougloutement lointain les incita à accélérer. Alors qu’Ethan fonçait à moitié entre les troncs, Ed lança :
— Ethan, attention ! La carte indique un dénivelé.
L’intéressé ne prit la peine de ralentir que lorsque sa cheville s’emmêla dans des ronces. Les épines percèrent le tissu de sa chaussette, mordirent la peau fine. Comme Ethan se dégageait à grands coups de pied rageurs, Ed ne tarda pas à le rejoindre. Il lui enserra fermement l’épaule.
— Arrête ça, tu empires juste les choses.
Les gestes amples d’Ethan avaient permis aux ronces de s’attaquer à sa jambe jusqu’au-dessus du genou. Avec une minutie qui titilla les nerfs d’Ethan, Ed se pencha sur les filaments épineux. Éclairé par la lampe-torche de son frère, il dégagea brin par brin la jambe tremblante d’une colère mal contenue.
— Tu n’es pas blessé ?
— Je peux marcher, siffla Ethan en reprenant la route.
Les épines avaient laissé une myriade de petites plaies qui piquaient. Mais ce n’était rien, tellement rien, face à ce qui lui écrasait les entrailles. Edward soupira, toujours accroupi, avant de se lever à son tour.
— On est dans la zone de la montre, lui apprit Edward au bout d’une cinquantaine de mètres. Je ne sais pas si l’agent McRoy l’a laissée sur Jeremy en le traînant, alors…
— Je vais par-là, l’interrompit Ethan en indiquant le dénivelé du faisceau de sa lampe.
— Très bien. Je continue un peu et je descends vers la rivière. Garde ton téléphone à portée.
Son jumeau avait commencé à descendre avant qu’il ne termine. Sa précipitation était compréhensible, même si elle laissait Ed désemparé. Son frère s’était tellement apaisé depuis qu’il avait quitté l’École. En entamant sa vie de jeune adulte, il avait délaissé l’adolescent turbulent, provocateur et hargneux qu’Edward avait connu. L’éloignement qui avait suivi leur diplôme n’en avait été que plus frustrant : Ed était persuadé qu’il aurait pu mieux s’entendre avec ce frère plus attentionné, plus tempéré.
Les années qui avaient filé ne les avaient pourtant jamais rapprochés. Jusqu’à ce qu’Edward force leur destinée à tous.

La cheville d’Ed se tordit dans la descente de la butte. La terre friable sous son pied lui épargna l’entorse en l’envoyant glisser sur les fesses. Une fois relevé, son coccyx et sa cheville palpitant de douleur, Edward acheva son parcours entre les buissons robustes et les pierres saillantes.
Le glougloutement de l’eau avait mué en ronflement au cours de sa descente. Edward s’en servit pour se repérer, sa lampe orientée vers le sol pour s’épargner une autre chute. Il progressa ainsi jusqu’à atteindre les abords de la rivière. À son soulagement, le courant était plutôt tranquille. À moins que la montre se soit détachée du poignet de son neveu, le corps de Jeremy devait toujours reposer dans le coin. Les flots ne l’avaient pas emporté au loin.
Ed mordit la poignée de sa lampe pour basculer le petit sac-à-dos accroché à son épaule. Dedans, il récupéra la tablette et vérifia sa position. La balise de Jeremy pulsait à quelques mètres à peine. La gorge nouée, Edward rangea la tablette puis récupéra sa lampe. Il braqua le faisceau d’un côté puis de l’autre. Des fourrés, des morceaux de bois flotté échoués jusqu’à la prochaine crue, des buissons téméraires qui poussaient au milieu des cailloux grossiers qui constituaient les abords de la rivière. Des aplats d’ombres dans l’obscurité qui ne révélaient rien d’autre qu’une nature endormie.
Frustré de ne rien voir de particulier, Edward parcourut quelques mètres en aval, balaya la berge à la recherche d’un corps, d’un abri, de n’importe quoi. Quelques secondes plus tard, le faisceau accrocha un reflet métallique en passant à travers un buisson. Ed ramena l’éclat de la lampe dans le droit chemin, contourna l’arbuste en retenant son souffle.
Il l’avait trouvé. C’étaient les boucles de fermeture du gilet qui luisaient dans la pénombre.
Alors qu’Ed ouvrait la bouche – pour reprendre sa respiration, pour appeler Ethan – il s’obligea à serrer les dents. Pas tout de suite. Pas comme ça. Quelque part, c’était une chance qu’Ed le trouve en premier.
Il garda son Glock dressé devant lui en progressant vers Jeremy. Ignora volontairement l’angle anormal de son bras gauche, les taches sombres sur sa main droite. Ed déposa la lampe à proximité, grimaça en apercevant les ecchymoses sur son cou, les cheveux poissés de sang, la chair contusionnée du visage. Avec un goût de fer et de bile dans la bouche, il enfonça deux doigts sous l’angle de la mâchoire de Jim. La peau froide et humide lui arracha une expiration dépitée.
Puis une inspiration de délivrance quand un pouls misérable résonna dans la pulpe de ses doigts. Edward glissa la main sur le visage de son neveu, s’accrocha au souffle tiède qui effleurait sa peau.
McRoy l’avait défiguré. Edward mit de côté les pulsions enragées qui le saisirent à l’idée ce que le Fantôme, un adulte plus qu’expérimenté, avait infligé à son neveu à peine sorti de l’adolescence. Avec des mains qui s’étaient mises à trembler, il s’empara de son téléphone et fouilla ses contacts. Ethan prit l’appel moins de trois secondes plus tard.
— Tu l’as trouvé ? s’étrangla Ethan sans lui laisser le temps d’expliquer.
— Oui. Il est vivant.
Un silence. Puis un sanglot. Enfin libéré. Ed ferma les yeux, maîtrisa sa respiration. Ethan hoqueta encore quelques fois avant d’être en mesure de reprendre la parole :
— Tu peux me décrire l’endroit où tu es ?
— Attends, j’identifie ma position et je te l’envoie.
Son jumeau le remercia avant de raccrocher. Alors, seulement à ce moment-là, Ed s’autorisa à pousser un long soupir fébrile.

Courir sur des galets fragilisa plus d’une fois les chevilles d’Ethan, mais il s’en moquait bien. Chaque seconde de passée était une seconde d’angoisse en plus. L’appel d’Edward avait retiré un certain poids de son âme, mais pas l’entièreté. Jim était vivant, mais Ethan ne savait pas à combien de doigts de la mort.
Il aperçut au loin l’éclat de la lampe d’Ed, accéléra de plus belle. Il se rattrapa in extremis à un buisson, s’écorcha les doigts. La douleur physique ne signifiait plus grand-chose depuis quelques heures. Rien qu’une sensation fugace, avalée par le néant de ses peurs.
Le faisceau de la lampe éclaira d’abord la tête de son fils. Un premier uppercut dans sa poitrine, à la vue de l’entaille dont le sang avait séché en croûte épaisse et en filaments disparates dans sa chevelure. Ethan se cogna les genoux en se laissant tomber à côté de Jeremy. Pendant qu’il prenait l’entière mesure des blessures, Edward ne pipa mot. La plaie au crâne n’était pas très grave, avec le recul.
Des traces rouges, jaunes, bleues, violettes dessinaient un collier de pétales sordides autour du cou de Jim. Des filets de sang séché formaient des tiges irrégulières, dont les racines remontaient à la bouche et au nez éclatés du jeune homme. Ses paupières avaient enflé, tout comme ses joues et son front, contusionnés.
— C’est pas le plus grave, Ethan, finit par murmurer Ed en remarquant l’effroi dans les traits de son frère.
Alors qu’il redressait le cou, Ethan aperçut le bras gauche de Jeremy, à la position dérangeante.
— Son épaule a juste l’air déboîtée, j’ai regardé, l’informa aussitôt Ed avant de donner un coup de menton vers le bas du corps. Il a été blessé par balle à la cuisse.
Comme les yeux d’Ethan descendaient vers la direction indiquée, il s’attarda sur la main droite. Une plaie en ligne droite en déchirait le dessus. Un coup de couteau ? Un uppercut, un autre, dans sa poitrine.
La main tremblante, il bascula le rayon de la lampe vers les jambes de Jim. Ed avait dû le tirer hors de l’eau, car son pantalon était encore mouillé. Ethan remarqua la boursouflure sur la cuisse droite, se pencha dessus.
— Il a fait de son mieux, ajouta Edward d’une voix rauque. Il a coincé des compresses pour limiter l’hémorragie. Simplement, il a pas fait attention que la balle a traversé.
Pour joindre la parole aux actes, Ed glissa une main sous la hanche du jeune homme pour le soulever avec douceur. Ethan l’aida en s’emparant du genou droit. Comme Edward l’avait remarqué, un trou déchirait le tissu à cet endroit. Un filet rosâtre s’en écoulait.
— Il a perdu beaucoup de sang, souffla Ed d’un ton pincé. Et il est en hypothermie. On doit se dépêcher.
— On lui remet l’épaule en place, ordonna Ethan d’une voix qu’il ne reconnut pas, aussi froide que l’eau qui bourdonnait à ses oreilles. Puis on l’emmène.

Jeremy était de nouveau dans le noir et le froid. La rivière murmurait à proximité, ainsi que des voix. Son cœur fit une embardée à l’idée que McRoy soit revenu pour lui. Pour achever le travail.
Un étau se resserra autour de son ventre puis sous ses aisselles. Il se crispa, prêt à se débattre, mais d’autres mains s’emparèrent de son bras gauche. Il dodelina de la tête, incapable de comprendre dans quelle position il se trouvait. Puis on se mit à tirer sur son poignet.
Avant que Jeremy ait pu hurler de douleur, l’os roula dans son emplacement initial. En déferla une explosion de lumière et de chaleur. Qui l’envoya sombrer de nouveau dans les ténèbres.

Il leur fallut deux fois plus de temps pour retourner à la voiture. Ils avaient délesté Jim de son gilet et de sa ranger restante pour alléger la charge, mais il pesait encore lourd au bout de leurs bras. La sueur s’attardait en gouttes froides sur leurs nuques quand les jumeaux atteignirent le 4x4. L’installer sur la banquette arrière ne fut pas non plus une mince affaire.
— Qu’est-ce que tu fais ?
La voix d’Ethan porta à peine tant il était exténué. En face de lui, de l’autre côté du véhicule, Ed avait entrepris de couper le t-shirt de son neveu. Il ne leva pas les yeux de sa tâche pour répondre :
— Faut qu’on lui enlève tout ce qui est mouillé. J’ai des couvertures de survie à l’arrière, si tu peux aller les chercher. Récupère la trousse médicale, un kit de suture et des bandages. On va s’occuper de sa cuisse avant de partir.
Après avoir essuyé son front, Ethan s’exécuta. Il s’empara du matériel demandé puis le déposa sur l’espace restant de la banquette. Comme Edward avait déjà débarrassé Jeremy de son t-shirt à manches longues et de ses chaussettes détrempées, Ethan l’aida à retirer le pantalon. Ed avait prédécoupé la partie autour de la cuisse droite pour éviter de frotter le tissu mouillé contre les plaies.
— Mets-lui une des couvertures sur le torse, lança Ed en contournant le 4x4. Je peux faire les points, si tu veux.
Il y avait quelque chose de rassurant à laisser Edward mener les opérations. Une certaine frustration, aussi. C’était son fils qui était allongé inconscient, à demi-nu, sur la banquette. Ethan aurait dû être en mesure de s’occuper de lui. Mais ses mains tremblaient tellement qu’il se sentait incapable de quoi que ce soit. Pas même de suturer une plaie, un geste qu’il avait pourtant réalisé plus d’une fois.
Ethan enveloppa du mieux possible le buste de Jim à l’aide de la couverture de survie pendant qu’Ed coinçait une lampe-torche sous le repose-tête du siège conducteur. Une fois le faisceau braqué sur la jambe blessée, Edward pivota son neveu sur le flanc.
— Tu le tiens ?
Son frère acquiesça, la gorge trop nouée pour parler. Il voulut détourner les yeux quand Edward enfonça l’aiguille dans la peau sanguinolente. Ethan se força à regarder les bords se rapprocher croisement après croisement malgré la nausée qui montait.
— On est bon, chuchota Ed en coupant le fil pour réaliser le nœud final. Je désinfecte, je bande et on y va.
De nouveau un simple hochement de tête. Ethan ne parvenait pas à chasser l’écœurement. La vision du corps déformé, tailladé, ensanglanté de son fils lui enfonçait l’estomac. Quel genre d’esprit perverti prenait plaisir à torturer ainsi un élève ? La pensée que l’homme qui était responsable des blessures de son fils était le Fantôme qui avait enlevé Maria et Thalia cinq ans auparavant le révolta d’autant plus.
Pendant qu’Edward enroulait la cuisse de Jeremy dans des bandages propres, Ethan pressa une gaze imbibée de désinfectant sur l’entaille qui lui barrait le cuir chevelu. De cinq centimètres environ, elle n’était pas très profonde, mais juste assez pour suinter encore. Ethan épongea le sang frais, gratta le plus ancien pour avoir un meilleur aperçu de la plaie.
— Je te laisse t’occuper du reste ? Je prends le volant.
Comme Ethan conservait le silence, ses mains figées au-dessus de la tête de son fils, Ed se pencha en avant. La petite tape inoffensive qu’il asséna sur la joue de son frère eut le mérite de le faire sursauter.
— Ethan, il va s’en sortir. Allez, arrête de trembler.
Il y avait comme une gêne dans la voix d’Edward, ses yeux ombragés posés sur les doigts fébriles de son jumeau. Doigts qui se crispèrent aussitôt sous l’assaut de la colère.
— C’est pas ton gamin, Ed. C’est pas Rebecca que tu as tirée de la rivière. Qui a perdu son sang pendant des heures, qu’on a étranglée, frappée et assommée. Alors, épargne-mo…
— Ferme-la, cracha Edward en se redressant. C’est pas en geignant que tu vas sauver Jeremy. Et t’es pas le seul à avoir failli perdre ton enfant un jour.
Les yeux ambrés d’Ed avaient l’éclat froid et distant des étoiles. Un voile opaque en troublait la lumière, plongeait dans un passé qu’Ethan ne connaissait pas. Il y avait tellement de choses qu’il ne connaissait pas à propos de son frère.
— Excuse-moi, soupira Edward après coup en se détournant.
Il claqua la portière avant qu’Ethan puisse lui répondre. Comme le moteur se mettait à ronfler dans le silence de la forêt, Ethan referma de son côté. La tête de Jeremy reposait toujours sur sa cuisse, le reste de son corps recroquevillé sous les couvertures de survie.
Ethan termina de nettoyer la coupure sur le crâne de Jim et d’y fixer un pansement. Après quoi, il s’enquit doucement :
— Quand ?
Les mains d’Edward se crispèrent sur le volant. Après avoir soupiré de mécontentement – l’histoire n’était pas facile à partager, pas quand elle lui remuait encore l’estomac – il entama :
— Becky avait douze ans. On venait de déménager au siège de la Ghost, comme elle entrait au centre de formation. (Ed haussa les épaules, comme pour compenser les mots qui le fuyaient.) On a eu une dispute, un truc stupide. Maman a…
Il s’interrompit brusquement. Pendant un instant, Ethan crut avoir mal entendu. Le reflet du visage blême de son frère dans le rétro confirma pourtant ses doutes. La bile lui piqua la gorge.
— Alexia, siffla Ed après coup. Alexia lui a dit d’aller prendre l’air. Rebecca est partie avec l’un des chevaux dont la sécurité se sert pour patrouiller. Au bout d’un moment, le cheval est rentré sans elle.
Pendant qu’il narrait son récit, Ethan gardait une main posée sur la clavicule de son fils, à la jonction entre son cou et son épaule. Les battements de son cœur, faibles quoique réguliers, formaient un baume sur ses tripes en feu.
— Elle n’avait pas encore l’implant géolocalisé des recrues-Fantômes, alors on a passé deux jours à la chercher, précisa Ed d’une voix plus basse, plus rauque. Elle était tombée dans un talus et elle est restée inconsciente quasiment tout ce temps. Commotion cérébrale, multiples fractures des côtes, de la clavicule et du bras.
Ethan pressa les paupières, l’image de sa nièce, plus jeune, blessée, s’imposant à son esprit.
— Elle est restée dans le coma pendant deux mois et demi. Et il lui a fallu six autres mois pour s’en remettre.
Comme son frère ne disait rien, la tête basse, Edward crut bon d’ajouter :
— Je sais que c’est pas comparable à ce qui vous est arrivé à cause de l’incendie. Que ma fille est pas restée hospitalisée pendant deux ans, qu’elle…
— Non, Ed, c’est pas ce à quoi je pensais, l’interrompit Ethan d’un ton peiné. Je suis juste désolé que tu aies eu à vivre ça. Surtout après Brooke.
Le visage d’Edward devint un peu plus crayeux dans le rétroviseur. Ethan l’entendit déglutir avant qu’il ne marmonne d’un air bougon :
— Pardon, je ne voulais pas être agressif.
— Je te dois mes excuses aussi, répondit Ethan en se passant une main sur le visage. Pour tout à l’heure.
Edward hocha la tête avec raideur, signe que les excuses étaient déjà acceptées. Après avoir retrouvé tout son calme, il jeta un œil à Ethan par le biais du rétro. L’expression de son jumeau lui pétrit le cœur.
— Eh, p’tit frère, ça va aller.
— Arrête, on a plus dix ans, soupira Ethan en croisant son regard. Tu n’as pas besoin d’essayer de me rassurer.
Edward se contenta de hocher la tête en retour, de nouveau concentré sur la route. Il roulait bien trop vite au vu de l’état – ou de l’absence, surtout – de chemin délimité. Tant pis pour le pare-chocs, la carrosserie ou les pneus. Son neveu restait la priorité.

Concentré sur le visage de son fils, Ethan ne remarqua pas tout de suite qu’ils avaient dépassé le camp sans ralentir. Il dressa aussitôt le cou, se pencha vers les sièges avant.
— Edward ? Pourquoi tu t’arrêtes pas ?
— L’infirmerie peut rien faire pour Jeremy, expliqua Ed en accélérant encore plus à présent que les pneus glissaient sur de l’asphalte. Ils ont pas le matos pour le prendre en charge.
— Alors on va où ? souffla Ethan d’un ton défait. Les urgences les plus proches sont…
— À Modros, oui, compléta pour lui Edward.
— On en a pour deux heures. Au minimum. En roulant bien plus vite que…
— C’est ce que je fais, acquiesça Ed en jetant un œil au compteur de vitesse.
Mortifié, Ethan se réinstalla au fond de la banquette, une main serrée sur l’épaule de Jim pour le maintenir en place. Encore plusieurs heures comme ça ?
Sous ses doigts, la peau de Jim s’était réchauffée, mais pas assez à son goût. Edward avait mis le chauffage à fond dans le 4x4 et Ethan s’était délesté de sa veste pour l’ajouter aux couvertures de survie. S’ils pouvaient réguler l’hypothermie avec les moyens du bord, l’anémie et le risque de septicémie nécessitaient une infrastructure spécialisée.
Ethan garda les yeux rivés aux abords de la route. La vitesse et la nuit en gommaient les contours. Minute après minute, les douleurs diverses qu’il avait ignorées au cours de la journée s’éveillèrent. Sa jambe mordue par les ronces. Ses chevilles tordues sur les cailloux, ses genoux malmenés par sa chute abrupte auprès de son fils. Les minuscules coupures qui parsemaient ses mains.
Et cette souffrance lourde, diffuse, qui lui comprimait les organes. Une terreur qui le bouffait de l’intérieur, ne laissait que des perspectives écrasantes.
Valentina. Ses yeux écarquillés, qui ne parvenaient pas à se fermer sur autre chose que la peur de mourir.
Tess. La hargne de la survie et, tapie bien au fond, l’incertitude des heures à venir.
Ryusuke. Ses sanglots étouffés, son étreinte déjà désespérée.
Jason. L’abandon au bord de l’âme, trop anéanti pour pleurer.
Kaya. Ses paupières doucement closes, son visage assoupi. Sa blancheur de mort.
La route s’effaça par la fenêtre. Fut avalée par une nouvelle forêt. Un frisson remonta le dos d’Ethan, enfonça ses infimes griffes dans sa chair. Le ronronnement du moteur renvoyait l’écho de la rivière. Le ramenait au corps inanimé, glacé, ensanglanté.
Ethan se recroquevilla, plissa les paupières. Il ne pourrait pas le supporter. Pas ça.
— Ed, croassa-t-il sans oser rouvrir les yeux, incertain de ce qu’il s’en échapperait s’il le faisait. Si… s’il s’en sort pas, me laisse pas seul.
L’estomac d’Edward se compressa sous sa ceinture de sécurité. Une douleur lui traversa le torse, affaiblit sa pression sur la pédale d’accélération, lui engourdit le bras. La dernière fois qu’il avait entendu un tel effroi dans la voix de son frère, ils avaient dix ans. Tentaient désespérément de fuir Alexia, de s’offrir autre chose que la mutilation sans fin de leur enfance.
— Tu n’es pas seul, Eth’, lui assura Edward en affermissant sa voix effritée. Et je te promets qu’il va s’en sortir.
Au bout de quelques secondes, quand Ethan desserra les paupières, quelques larmes amères dévalèrent son visage pour chuter sur celui de Jim. Le trou noir qui buvait les vestiges de sa résilience et de ses espoirs le laissa pantois.
La promesse d’Ed n’y changea rien. Après tout, c’était la première fois que son frère lui mentait.

Ryusuke s’était assoupi quand son portable vibra contre son bras. Il émergea en sursaut, sa respiration bloquée le temps de quelques secondes. Quand ses poumons daignèrent se gonfler, il consulta le message en provenance d’Ethan.
Le contenu était bref, inhabituellement froid de la part de l’homme. Mot après mot, les traits de Ryu s’affaissèrent. Quand il atteignit le point final, ses yeux étaient déjà mouillés.
Il prit plusieurs inspirations rapprochés, sa poitrine douloureusement comprimée. Après quoi, il enfouit son visage dans sa manche, se blottit sous la maigre couverture qu’il avait récupérée dans l’infirmerie. Pour ne pas réveiller Jason à côté, pour ne pas gêner les élèves blessés, Ryu étouffa ses sanglots dans le tissu de son vêtement.
Quand les hoquets cessèrent de malmener sa cage thoracique, Ryu se promit de ne pas fermer l’œil du reste de la nuit. Il craignait que, dans la profondeur de son sommeil, Jeremy s’en aille définitivement.



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Dernière modification par louji le ven. 23 août, 2024 7:52 pm, modifié 1 fois.
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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

Je sais pas trop s'il y a vraiment des gens qui lisent cette histoire par ici mais on va aller jusqu'à la fin du tome I guess 🥲


- Chapitre 63 -



Dimanche 25 mai 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Quand Maria poussa la porte de la chambre d’hôpital, sa fille avait disparu.
— Thalia est aux toilettes ?
Ethan leva le nez de son téléphone puis quitta l’une des deux chaises en plastique qui meublaient la pièce.
— Non, elle est partie prendre l’air. Ça commençait à lui peser.
Maria soupira en confiant à Ethan le gobelet de thé qu’elle lui avait pris en même temps que son café. Quant au chocolat chaud de Thalia, il était bon pour refroidir.
— Je lui ai pourtant dit qu’elle pouvait rester à la maison. Elle est déjà venue tous les jours à l’hôpital avec nous.
Comme Maria se laissait tomber sur une chaise, Ethan finit par la rejoindre. Il avait les jambes engourdies à force de rester assis pendant des heures, sans trop savoir que faire de cette attente.
Maria lui glissa un regard, un pli au milieu du front. Ethan, quand il n’avait pas été occupé à gérer la situation avec l’École, la Ghost Society et sa propre famille, avait passé la majorité de son temps libre à veiller sur leur fils. Hospitalisé depuis trois jours en unité de soins intensifs à la clinique de S.U.I, Jeremy était toujours inconscient.
— J’ai fait pareil que toi, au début, souffla Maria au bout d’un moment. Quand il a été hospitalisé après l’incendie. Venir le voir tous les jours. Rester pendant des heures. J’ai fini par me rendre compte que c’était inutile. Il était trop médicamenté pour se réveiller. Et puis, il y avait tout le reste. Toi. Thalia. Trouver un logement, penser à la suite.
Ethan s’arracha à la silhouette immobile de Jim pour la considérer avec peine. Maria lui adressa un sourire attristé dans la buée de son expresso.
— Je sais ce que tu ressens, Ethan. L’impuissance, la culpabilité, la colère. L’envie de massacrer toutes les personnes qui ont mené à cette situation. (Elle décolla l’une de ses mains du gobelet chaud pour serrer les doigts de l’homme.) Ce que je vais te dire est pas très sympa, mais Jeremy ne s’en remettra pas plus vite si tu restes scotché à son chevet. Et puis, t’es en train de te tuer à petit feu. Tu sors plus, tu vois plus tes amis, tu prends plus soin de toi…
Elle lâcha sa main pour lui caresser la nuque. Ethan ferma les yeux en expirant un souffle fébrile. Les doigts tièdes de Maria sur sa peau étaient aussi convaincants que les mots, même déplaisants, qui coulaient de ses lèvres.
— Je lui ai fait défaut tellement de fois, murmura-t-il en récupérant la main de Maria dans la sienne. Ça soulage ma conscience d’être auprès de lui.
— Et que dit ta conscience à propos de ta fille ? De tes élèves ? De ton frère ?
Maria avait visé douloureusement juste. Une flot acide de culpabilité lui noua la gorge, envoya des pulsations nerveuses dans sa cage thoracique. Ethan observa leurs mains liées, enroula son autre paume par-dessus.
— Comment tu fais, Maria ? J’ai envie de pleurer à chaque fois que je le vois dans ce lit, branché à ces machines, avec tous ces bandages et ces cicatrices…
— Je pleure, répondit-elle sans détour. Quand ça devient trop dur. J’en parle. À Grace, à Mike, à ma mère, à toi. Et puis, c’est pas comme si c’était la première fois.
Avec un sourire, Maria tendit le bras pour serrer le pied de Jim qui pointait sous la mince couverture.
— Et c’est une tête-de-mule celui-là. Alors, notre petit montre, toi et moi, on va s’en sortir, Ethan.
Il esquissa un mince sourire, porta la main de Maria à ses lèvres. Comme elle lui adressait un sourire réconfortant en retour, il se pencha pour l’embrasser. La porte grinça de l’autre côté du lit, mit fin à leur échange.
— Mon cœur, lança Maria sans se retourner, ça va mieux ?
Comme quelqu’un s’éclaircissait la gorge dans l’entrée minuscule de la chambre, Maria dressa le cou. Une fois passée la surprise, elle se leva en se pressant la poitrine d’une main.
— Maman, tu m’as fait peur. J’ai cru que c’était Thalia.
— Je l’ai croisée dehors, acquiesça Caterina en embrassant sa fille. Elle m’a dit qu’elle voulait prendre l’air encore un peu.
Maria hocha la tête avant d’inviter sa mère à approcher du lit. C’était la première fois qu’elle passait à l’hôpital depuis que Jim y était entré en urgence. Ethan quitta sa chaise avec raideur, lui tendit la main.
— Bonjour, Mme Amati.
— Tu peux m’appeler Caterina, soupira l’intéressée en lui rendant le salut. Depuis le temps.
— Comme vous voulez, souffla l’homme du bout des lèvres, perturbé qu’elle ne lui témoigne pas sa glaciale attention habituelle.
Caterina considéra la chambre, la fenêtre entrouverte pour laisser libre cours aux brises printanières, les bouquets de fleurs sur la table de chevet, le pêle-mêle de photos, messages et dessins qu’avaient accroché les amis de Jeremy sur le mur, le petit ours en peluche poussé au bout du lit.
— J’ai bien fait de ne pas prendre de fleurs, remarqua Caterina en approchant de la table d’appoint. Tu l’as déjà bien gâté.
Comme un sourire contrit étirait les lèvres de Maria, sa mère déposa le sachet qu’elle transportait. Elle en sortit un paquet des bonbons préférés de Jeremy et un autre de caramels mous.
— Oh, tu vas faire un heureux, s’esclaffa Maria en se penchant par-dessus le lit. Je suis sûre que les médecins vont adorer quand ils vont le voir s’empiffrer dès le réveil.
— Ce n’est pas tout. (Caterina fouilla le fond du sachet pour en tirer une petite pochette en papier de soie.) J’ai essayé de réparer le cordon en cuir, mais il était trop abîmé. Je l’ai remplacé par un nouveau, de la même couleur. Je n’ai pas touché aux perles, en revanche.
Maria récupéra le collier de son fils sans un mot, silencée par l’émotion. Quand Ethan l’avait retrouvé au fond de sa poche, cassé et taché de gouttelettes de sang, Maria s’était spontanément tournée vers sa mère. Caterina n’était pas responsable des équipements textiles de S.U.I pour rien.
— J’ai juste appliqué un produit nettoyant sur les perles pour qu’elles brillent un peu plus, précisa Caterina tandis que sa fille nouait le collier autour du cou de Jim. Quelle bande de barbares, tout de même. Ces Fantômes sont donc des sauvages et des meurtriers en puissance ?
La mère de Maria avait approché ses doigts du cou de son petit-fils, constellé d’ecchymoses roses, violettes et jaunâtres. Maria passa une main dans les cheveux de Jim, qui avaient été rasés en partie pour nettoyer et suturer sa plaie au cuir chevelu.
— S’il n’y avait que ça, grinça Maria en lorgnant la main bandée de son fils, qui avait déjà subi une opération de microchirurgie. Les Fantômes sont pas tous aussi violents que celui qui s’en est pris à Jem. Il n’empêche que ça me sidère qu’ils aient accepté des ordres pareils.
Caterina acquiesça d’un air sombre, bascula vers Ethan. L’homme était resté en retrait, mais le voile crispé sur son visage en disait long.
— Tu as des nouvelles de ton frère ? Est-ce que des sanctions vont être prises contre les Fantômes responsables des morts et des blessés ? Et contre celui qui a attaqué Jeremy ?
— J’en ai, oui, confirma Ethan en se rapprochant de Maria. Pas très positives. Dans la mesure où les ordres venaient d’un supérieur d’Edward, les sanctions sont caduques. Il risque juste d’y avoir une mise au point en interne, quelques éclats de voix entre les Sybaris, mais… mon frère n’aura pas gain de cause. Quant à l’agent McRoy, Edward m’a quand même promis de tout faire pour obtenir une mise à pied ou une mutation loin de l’ouest américain.
Pendant que Caterina jurait en italien entre ses dents, Maria serra le poignet d’Ethan avec douceur. Les liens entre les jumeaux s’étaient brutalement resserrés au cours de cette épreuve désastreuse. Bien qu’il règne toujours une espèce de tension entre eux, comme s’ils n’avaient pas quitté l’habitacle du 4x4 où Ethan avait cru perdre son fils, ils s’autorisaient plus de spontanéité.
Depuis l’hospitalisation de Jeremy, ils échangeaient au moins une fois par jour pour se donner des nouvelles. Et c’était un soulagement de ne plus entendre cette colère suintante entre eux quand ils se téléphonaient. Maria elle-même s’était adoucie en présence d’Edward. Son pardon n’était pas acquis – il ne le serait sûrement jamais – mais elle était aussi capable de reconnaissance.
— Alors, si je comprends bien, reprit Caterina avec humeur, ton oncle est aussi sain d’esprit que ta mère ? Je suis curieuse de savoir à quoi tes grands-parents les ont biberonnés.
— Aucune idée, grinça Ethan en posant une main nerveuse sur le bras de son fils. Je n’ai pas bien connu mes grands-parents. Je sais que Thanos a travaillé pour les services de renseignement américains depuis l’Europe, a épousé une diplomate égyptienne et s’est ensuite installé aux États-Unis avec ses enfants. À partir de là, ils ont tous baigné dans l’univers de la Ghost Society.
— Un lavage de cerveau dès l’enfance, grommela Caterina en observant les constantes qui bipaient sur deux écrans. Et voilà où on arrive. À vouloir la destruction de sa propre famille.
Maria releva un nez étonné vers sa mère. Elle avait toujours été critique envers elle, notamment sur ses fréquentations. Quand Maria et Ethan avaient commencé à sortir ensemble, elle n’avait pas été tendre. Loin de là. Et les choses avaient empiré avec la naissance de Jeremy.
Si Maria était surprise du ton compatissant de sa mère, Ethan en resta stupéfait. Depuis presque trente ans qu’il connaissait la femme, c’était bien la première fois qu’elle témoignait d’empathie à son égard. Elle lui avait toujours réservé un accueil froid et cassant, méfiante de l’héritage des Sybaris qui l’accompagnait inévitablement.
— Je suis navré que vos petits-enfants aient souffert à cause de cette famille, ajouta Ethan d’une voix solennelle.
— Arrête, soupira Caterina en plongeant des yeux qui n’avaient pas perdu en dureté dans les siens. Maria a toujours été honnête avec son entourage quand elle a fondé une famille avec toi. On savait tous dans quoi vous vous embarquiez, tous les deux. Je n’ai jamais approuvé votre union, alors je n’ai pas été très conciliante ni très présente pour Maria. Alors ce n’est pas à toi d’être désolé, Ethan. Encore moins pour des actes que tu n’as jamais commis. Je sais que tu aimes tes enfants plus que tout, que tu sais leur montrer et être présent pour eux, et tu as mon respect pour ça. Je ne connais pas beaucoup d’hommes qui savent en faire autant.
Sur ces derniers mots, le regard qu’elle glissa vers sa fille était univoque. Maria ne chercha pas à masquer l’amertume qui teintait son sourire. Même si elle portait son nom, Andrew Wayne n’avait pas été présent longtemps dans sa vie. Son père était parti avant qu’elle entre au collège, aspiré par la nostalgie de son île de naissance et par une possible idylle.
— Je vais vous laisser, annonça Caterina en repliant soigneusement son sachet vide. Si tu as du nouveau, tu me tiens au courant, Maria.
— Bien sûr.
Comme Maria contournait le lit pour déposer une bise sur sa joue, Caterina indiqua l’ours en peluche au fond du lit. Elle l’avait vu sans y faire vraiment attention.
— D’où ça sort ?
— Oh, fais pas gaffe. C’est Mike, évidemment. Je crois qu’il s’est jamais remis que le nounours qu’il avait acheté à Jem pour sa naissance ait brûlé dans l’incendie.
Caterina leva les yeux au ciel, mais il y avait un soupçon de sourire sur ses lèvres. Après avoir salué Ethan d’un hochement de tête, elle tira sa fille par le bras pour l’emmener jusque dans le couloir.
— Il y a un problème, maman ?
— Non. Oui ? À toi de me dire. Tu es sûre de vouloir te remettre avec lui ?
— Ne me dis pas qu’on est si faciles à griller ? grommela Maria en se frottant l’arête du nez. Si ? Merda.
La joue de Caterina se plissa face au juron, mais elle se retint de commenter. Elle-même s’était laissé aller aux interjections grossières en apprenant ce qui était arrivé à son petit-fils.
— Il y a beaucoup de gens qui savent ?
— Pas vraiment. Ou peut-être tout le monde ? On se doute juste qu’ils… savent.
Caterina haussa un sourcil, ricana. Elle tapota la main de sa fille avant de réajuster sa veste.
— Tu fais bien comme tu veux, ma fille. J’ai fini par comprendre que c’était la seule chose qui fonctionnait avec toi. Je suis simplement d’avis que vous en parliez avec vos enfants. Ça risque de les perturber.
Caterina se tut brusquement alors que la silhouette d’une adolescente remontait le couloir dans leur direction. Les tresses brunes de Thalia tressautaient sur ses épaules au rythme de sa démarche volontaire.
— Reste forte, chuchota Caterina avec un regard grave. Jeremy va finir par se réveiller. Il tient bien trop de sa mère pour ne pas avoir envie de se rebeller.
Maria accueillit la remarque, mi-encouragement, mi-critique, avec un rire sincère. Thalia les rejoignit à ce moment, jeta un œil curieux aux deux femmes.
— J’y vais, tesoruccia, lança Caterina en caressant l’une des tresses de sa petite-fille. Pense à te reposer aussi.
Thalia haussa les épaules avec un sourire pensif avant d’étreindre sa grand-mère.
— Rentre bien, nonna.
Quand Caterina eut disparu à l’angle du couloir, Maria déposa un baiser sur la joue de sa fille.
— Ça va mieux ? Je t’ai pris un chocolat, mais je crois qu’il est plus très chaud.
— Pas grave, maman. Merci quand même. Et oui, ça va mieux.
Ethan était retourné s’asseoir quand elles entrèrent dans la chambre. Il esquissa un bref sourire à les voir côte à côte, si ressemblantes avec leur visage ovale, leurs traits doux et leur démarche énergique. Thalia dépassait Maria depuis peu, ce qu’Ethan ne manquait pas de rappeler à sa compagne pour la taquiner.
— Toujours pas réveillé, feignasse ? gronda Thalia en enfonçant un doigt dans le bras de son frère. Tu me dois deux tours de vaisselle. Un d’aspirateur et de serpillère. Et trois nuits quasiment blanches, stupido.
Une fois sa colère retombée, Thalia se laissa choir sur la deuxième chaise et posa la tête contre l’épaule de son père. Ses bras croisés sur sa poitrine et sa moue boudeuse rappelaient tellement Jim que Maria ne put s’empêcher de s’esclaffer.
— Je t’autorise à lui faire tout plein de misères quand il sera réveillé, sourit Maria avec des étincelles dans les yeux.
Sa fille lui retourna un regard de connivence, un sourire narquois ourlant ses lèvres. Elle bondit hors de sa chaise et contourna le lit en courant à moitié. Parmi le tas de cadeaux, lettres et bibelots abandonnés sur la table de chevet par les proches de Jeremy, l’adolescente en extirpa un marqueur. Ryusuke s’en était servi la veille pour annoter les photos et les dessins du pêle-mêle.
— Vous allez pas me gronder si je commence avant ? minauda-t-elle en débouchant le stylo.
L’air désemparé d’Ethan arracha un brusque rire à Maria. Même s’il s’était assagi avec les années, elle était certaine de pouvoir réveiller son esprit blagueur et indiscipliné.
— Oh, mon amour, c’est juste quelques dessins.
Thalia, qui avait commencé à dessiner un smiley en colère sur la joue de son frère, suspendit son geste. Elle coula un regard en direction de sa mère, ricana tout bas.
— C’est bon, c’est officiel ?
— De quoi ?
Mon amour, répéta leur fille d’une voix affreusement mielleuse.
Si Ethan se décomposa, Maria rit de plus belle. Elle rejoignit sa fille, asséna une série de guilis impitoyables le long de son flanc et profita qu’elle se tortillait pour récupérer le feutre. Elle traça ensuite deux courbes sur le front de Thalia en repoussant sa frange.
— Maman, s’indigna l’adolescente en se précipitant dans la salle d’eau attenante.
Dans le petit miroir au-dessus du lavabo, Thalia souleva ses cheveux et sourit. Un cœur aux contours maladroits lui ceignait le front.



Suite
Dernière modification par louji le ven. 30 août, 2024 6:10 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

Y'a un joli truc qui vous attend sous ce chapitre 🥹


- Chapitre 64 -



Mercredi 28 mai 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Ryusuke se laissa mener par la foule. Même s’il dépassait la plupart de ses camarades de 7ème année, il se sentait protégé par leur proximité, par la masse qui gommait son identité, ses pensées. Autour de lui, personne ne parlait vraiment. L’heure n’était pas aux discussions. On chuchotait, on ragotait, on accusait, on espérait, on se questionnait. Le tout dans des murmures, des regards, des coups de menton.
Les élèves de dernière année de S.U.I, du moins ceux qui n’étaient pas grièvement blessés, avaient été conviés à un discours du directeur. Avant que les étudiants puissent débattre sur ce qui s’était passé, Ryan Scott serait le premier à lancer le ton.
Le cœur de Ryu s’emballa alors qu’ils avançaient serrés vers la salle de conférence du Centre. La dernière fois qu’on les avait rassemblés ici, le directeur leur avait donné les dernières précisions sur le projet Réseau. Et ils n’auraient pas dû s’y retrouver avant leur remise de diplôme.
Comme Ryusuke et ses camarades savaient bien pourquoi on les avait convoqués, personne ne souriait. Quelques rires s’échappaient parfois, envolées solaires et spontanées au milieu de l’orage en attente. Si Ryu était incapable de rire, il n’en voulait pas à celles et ceux qui en avaient l’envie et le courage. Depuis qu’il était né, le jeune homme avait été confronté à un cycle perpétuel : à l’implacabilité de la mort, à la hargne de la vie. À la chappe étouffante de la première, aux ailes légères de la seconde.
Alors, à l’orée de son chagrin et de sa peur dévorantes, l’attendait la tiédeur des jours meilleurs. Ryu l’avait assez vécu pour le savoir. Et, par une certaine lâcheté, il n’attendait que ça. La douceur apaisante des jours qui défilent. La morsure faiblissante de la tristesse, du désespoir. La façon dont les crocs lâchaient morceau par morceau sa chair jusqu’à ce que, soudain, il prenne conscience du bonheur simple qui l’animait chaque jour. D’un cœur qui battait sans lui faire mal, de ses poumons qui se remplissaient sans que la culpabilité l’étouffe.
Ryusuke était passé outre la disparition de ses parents. Il avait surmonté la mort foudroyante de son oncle Akira. Affronté aux côtés de Jim la disparition de sa famille. Dépassé l’ébahissement de douleur qui avait suivi le départ de ce dernier à la Ghost Society. Oublié Lily et les autres, leurs sourires et leurs promesses.
La mort de Kaya lui faisait l’impression d’une brique de plus sur son mur de traumatismes. C’était plus lourd, plus dense, plus étouffant. Et, en même temps, le mur qui s’était déjà formé lui assurait de rester stable. De ne pas s’effondrer sous cette tempête.
— Ryu.
La main de Valentina s’éleva vers son épaule en même temps que sa voix. Les deux le guidèrent à travers la foule jusqu’à rejoindre la rangée de sièges sur lesquels s’étaient déjà installés Tess et Jason. Spontanément, Ryusuke se décala de deux sièges pour laisser de la place aux deux retardataires habituels. Quand il se rappela que ni Kaya ni Jeremy ne les rejoindraient aujourd’hui, Ryu se laissa tomber en expirant brusquement.
Ses camarades ne firent aucune remarque à propos des deux sièges vides au bout de leur rangée. À vrai dire, Valentina était trop occupée à le veiller du coin de l’œil, Jason à retenir ses larmes et Tess à ronger ses ongles.
Un mouvement sur sa droite arracha Ryu à la contemplation de la moquette d’un gris anthracite. Quand il reconnut la jeune femme qui s’était assise à côté de lui, Ryusuke déglutit péniblement. Il se sentait capable d’afficher sa détresse face à ses amis.
Il en était autrement avec celle qu’il considérait comme une rivale et un modèle.
— Salut, murmura Emily en regardant devant elle. Je voulais juste te dire que je suis désolée pour Jeremy. Et… mes condoléances pour Kaya.
La formalité qu’elle ne pouvait s’empêcher d’insuffler à son ton rendait le tout habituellement froid. Aujourd’hui, pourtant, cette formalité masquait difficilement une gêne et une peine manifestes.
— Merci, souffla Ryu en retour d’une voix chevrotante. Les funérailles sont ce samedi.
Emily hocha brièvement la tête avant de croiser les jambes. Bien que Ryu soit surpris qu’elle reste assise à côté de lui malgré la fin de leur discussion, il passa outre. La présence d’Emily formait comme une muraille entre lui et l’absence de deux de ses amis.
Quand le directeur se présenta sur scène, vêtu d’un costume sombre qui jurait avec les couleurs claires qu’il arborait en temps normal, le silence se fit. Les murmures, les ragots, les accusations, les interrogations. Tout s’éteignit au profit des quelques paroles que M. Scott retenait au creux de sa poitrine.
Plongé entre une salle de conférence, une chambre d’hôpital et une morgue, Ryu prêta à peine attention au discours du directeur. Il aurait dû être en train d’écouter, d’emmagasiner des connaissances pour préparer la suite, de formuler les questions qu’il poserait à la fin de l’intervention pour que tout soit clair dans sa tête.
Mais rien n’était clair. La salle de conférence suintait d’appréhension et d’incompréhension. D’élèves blessés, bousculés, qui cherchaient des réponses. Les écrans noirs dans la chambre d’hôpital de Jeremy n’apportaient aucune couleur sur son visage. Ni le rose de ses joues quand il était embarrassé, ni l’ambre et le vert de ses yeux. Quant à la morgue, Ryu n’avait aucun mal à se figurer les casiers métalliques, les housses mortuaires d’un noir délavé.
Ryusuke n’avait d’yeux que pour la moquette grise. Il n’était pas complètement déconnecté, quelques bribes essentielles lui étaient parvenues, mais tout lui semblait superflu. Il se fichait bien que la troisième épreuve du projet Réseau soit comptabilisée que sur le premier jour, avant l’arrivée des Fantômes dans le parc. Il se moquait amplement que les relations entre l’École, les Amazones et la Ghost Society se soient tendues. Il ignora avec dédain l’annonce des examens théoriques en juin.
Ce n’était pas complètement vrai. Chaque information s’imbriqua cruellement dans son cerveau, dans cette partie éternellement raisonnable. Apporta avec elle des idées, des scénarios, des anticipations.
Puis, bientôt, au milieu de la salle de conférence à la moquette grise, de la chambre d’hôpital aux écrans noirs et de la morgue aux casiers métalliques, il y eut un millier d’autres images. Les visages épuisés, apeurés, des Amazones qui sauvaient leurs étudiantes. Le sang sur ses doigts quand ils s’étaient relayés pour changer le pansement de Kaya. Puis les larmes sur les joues de Jason.
Celles dans les yeux d’Ethan, de Thalia, de Maria, de Valentina, de Grace. Celles dans le miroir, que Ryu fuyait sans y parvenir.
— Excuse-moi, murmura-t-il d’une voix étranglée en se tournant vers Emily, faut que je sorte.
Sa camarade poussa ses jambes de côté sans discuter, même si ses yeux s’attardèrent sur lui. Elle ne replia les genoux qu’après avoir laissé passer Valentina, qui s’était élancée à la suite de Ryu. Emily le regarda sortir de la salle de conférence, courbé, blême, puis reporta son attention sur le reste du groupe.
Tess observait le directeur avec attention, les poings serrés sur ses cuisses. La colère contractait ses trapèzes, marquait les creux à ses tempes. Quant à Jason, il avait le nez baissé, les yeux clos. Toujours pas complètement revenu sur Terre.

Ryusuke ne remarqua pas tout de suite que Valentina l’avait suivi. Elle respirait un peu fort quand elle s’arrêta derrière lui de l’autre côté de la cour. Avec ses grandes foulées, Ryu n’était pas facile à suivre, mais Valentina pratiquait l’athlétisme depuis des années.
— Ryu, ça va ?
Tina savait la question idiote, mais elle n’avait pas trouvé d’autre amorce pour libérer le trouble qui affaissait son ami. Ryusuke la considéra en retour, se tassa un peu plus. Ses traits tombaient, aspirés par ses émotions, son corps penchait en avant comme pour disparaître.
— Pas vraiment, avoua-t-il en se laissant aller contre le mur de la bâtisse ouest. Désolé, je voulais pas que tu te sentes obligée de m’accompagner.
— T’inquiète pas pour ça. Je demanderai à Tess de nous dire ce qu’on a raté.
Valentina laissa couler quelques secondes avant de venir s’adosser au mur à côté de son ami. Les bras croisés derrière elle, Tina bascula sur ses talons jusqu’à trouver quelques mots qu’elle espéra réconfortants :
— C’est OK de craquer, Ryu. Tout ce qui s’est passé pendant cette épreuve… Tess et moi, on a été épargnées. Jay, Jim et toi, c’est autre chose.
— Mais j’ai pas perdu mon ami, moi, marmotta Ryusuke, les yeux dans le vague. Et j’ai pas été blessé gravement. Alors, je devrais être content et…
— Ce que tu ressens est normal, insista Valentina en décroisant les bras pour lui saisir la main. Ryu, tu étais avec Jason quand Kaya est… quand elle est morte. Et tu as passé toute une nuit à imaginer le pire pour Jim. Alors t’as le droit d’être dépassé par tout ça.
Ryusuke baissa les yeux vers l’expression soucieuse de son amie. Dans le dessin de ses iris marron-gris-vert, il n’y avait ni réserve ni jugement. Ryu s’y engouffra aussitôt.
— Je me sens triste, évidemment, enchaîna-t-il en serrant la main de Tina en retour. Mais je me sens tellement coupable… C’est pire que tout, je crois.
— Pourquoi ? Si tu te sens coupable vis-à-vis de Jason parce qu’il a perdu sa meilleure amie et pas toi, c’est… ça reflète ta gentillesse Ryu, mais c’est stupide de ressentir ça.
Comme elle avait cerné une partie du problème, Ryusuke étouffa un rire nerveux et pressa sa main libre sur son visage. Depuis que Jeremy était revenu de la Ghost Society, il avait passé moins de temps à discuter avec Tina. La complicité qui les avait rapprochés pendant l’année et demie où Jim avait été retenu captif lui évoquait comme un souvenir lointain.
Mais cette confiance, cette connivence, lui revinrent de plein fouet tandis que Valentina pressait plus fort ses doigts. Tess et Kaya n’avaient jamais été très enclines à partager leurs états d’âme, Jason et Jeremy ne parvenaient pas forcément à les exprimer. Valentina était bien la seule de leur groupe à égaler Ryu sur ce point.
— Il y a de ça, confessa Ryusuke en lâchant sa main pour croiser les bras sur sa poitrine. Mais c’est surtout par rapport à Jim. C’est ma faute s’il est dans le coma. C’est moi qui lui ai demandé de faire diversion. Et je l’ai pas attendu pour fuir.
Maintenant que cette boule de plomb qui écrasait ses poumons s’était diluée sous la confession, Ryu eut un peu moins de mal à respirer. L’air concentré, Valentina observa deux élèves plus jeunes qui traversaient la cour bétonnée en courant. L’École paraissait vide, silencieuse, depuis le départ des Mino et des recrues-Fantômes pour leurs établissements respectifs. Valentina soupira, verrouilla les mains sur ses hanches pour se donner contenance.
— Je me sentirais coupable aussi, Ryu. Mais de toi à moi : tu crois vraiment que Jim t’en voudra quand il va se réveiller ? Tu pouvais pas savoir sur qui il allait tomber. Et tu as fait des choix dans l’urgence. Quand on y pense, Jeremy est le meilleur d’entre nous pour ce genre de combat. Tess et moi, on commençait à s’éloigner, on pouvait pas vous aider… C’est logique que tu l’aies choisi pour gagner du temps pour Jason et Kaya.
— Mais est-ce que c’était à moi de faire ce choix dans un premier temps ? grogna Ryu, le front barré par des lignes de préoccupation.
— À qui d’autre ? sourit son amie en le couvant d’un regard débordant d’admiration. On t’a toujours considéré comme le leader de notre groupe.
Un nouveau rire fébrile lui échappa. Ryu oscillait entre l’envie spontanée de réfuter et la reconnaissance que cette vérité lui apportait. Avant qu’il ait pu remercier Tina pour son soutien, son portable vibra dans sa poche. Tess les prévenait-elle qu’ils avaient manqué une information essentielle ? Le large sourire de Maria apparut à l’écran, chassa les interrogations de Ryusuke. Pendant une seconde, le cœur de Ryu se pressa contre ses côtes. Cette photo de Maria lui rappelait tant son ami : les joues creusées par les fossettes, les yeux plissés qui débordaient d’étincelles, l’air mutin comme s’ils se retenaient d’éclater de rire.
— Allô, Maria ?
— Bonjour Ryu, j’espère que je te dérange pas ? (Comme il démentait du bout des lèvres, la mère de son ami souffla dans un mélange d’impatience et de soulagement : ) Jimmy s’est réveillé, mon grand. On attend le passage du médecin, mais c’est plutôt positif.
Sans lui laisser le temps d’encaisser les mots, projectiles sur son mur intérieur, Maria enchaîna d’un ton pressé :
— Dès que j’en sais plus, je t’envoie un message. J’espère que tu pourras venir le voir avant ce soir.
— P-Pour de vrai ?
C’est tout ce que Ryu trouva d’intelligent à dire. S’il n’avait pas eu cette relation particulière avec Maria, il aurait rougi de honte. Cette réaction enfantine, cette voix ahurie… ça ne lui ressemblait pas. Mais il y avait des choses plus fortes que lui, plus fortes que son mur de briques, qui débordaient, escaladaient, envahissaient.
— Oui, reprit Maria après quelques secondes. Je dois te laisser, mais je te promets que tu seras le premier informé si les visites en dehors de la famille sont autorisées.
Comme il était trop sonné pour réagir, la femme ajouta d’une voix douce-amère :
— Même s’il y a longtemps que tu fais partie de notre famille, mon grand.
Maria connaissait si bien les failles de son mur intérieur. Ryusuke éloigna le téléphone de son visage pour retenir le hoquet qui lui comprimait la poitrine. Il aurait voulu fondre en larmes.
— M-Merci, bredouilla le jeune homme après avoir récupéré un semblant de souffle. Serre-le dans tes bras de ma part.
Un rire espiègle résonna dans le téléphone, rapidement suivi d’une réponse plus adéquate :
— Compte sur moi, Ryu. Et prends soin de toi.
Ils échangèrent quelques mots de politesse avant que Ryusuke ne raccroche. Dans un geste mal assuré, il rangea son portable puis se tourna vers Valentina. Elle n’avait pas pipé mot pendant l’échange téléphonique pour ne pas le déranger, mais ses yeux brillaient.
Elle le prit dans ses bras sans que Ryu ait le temps d’en exprimer le besoin. Il referma les siens sur le dos de son amie, courbé pour que leurs têtes soient au même niveau. Au creux de l’épaule de Tina, Ryusuke relâcha enfin le flot qui faisait vaciller ses fondations.

Thalia avait occulté les fins rideaux qui oscillaient dans le courant d’air, les murmures de ses parents, le charabia médical – qui aurait dû la passionner en temps normal – et les bourdonnements des machines. Le petit ours en peluche serré contre son ventre, mis de côté par le médecin qui avait grommelé en apercevant le bazar qui entourait le lit, elle ne se concentrait plus que sur son frère.
Ses yeux étaient voilés comme si la fièvre de l’infection, pourtant retombée depuis un moment, était de retour. Il n’avait pas beaucoup bougé depuis son réveil et encore moins parlé. Le personnel médical avait forcé plus d’une fois Ethan et Maria à sortir de la chambre depuis qu’ils avaient récupéré Thalia à l’École après sa demi-journée de cours.
Il y eut bientôt deux autres personnes dans la petite chambre d’hôpital, écrasant le parfum des fleurs par celui du désinfectant. Thalia recula dans un coin de la pièce en serrant les dents. Ce n’était pas tant l’univers hospitalier qui la gênait que l’envahissement d’un espace qui lui était devenu personnel. La chambre qu’on avait attribuée à Jeremy avait été d’une neutralité protocolaire : murs pastel, carrelage clair et seulement des plans d’évacuation et des consignes de sécurité en guise de décorations murales. Puis, visite après visite, la table de chevet s’était remplie de fleurs, de friandises, de messages. Le mur au-dessus du lit, encadré par les machines, couvert de photos et de petits mots.
Le personnel médical n’avait d’yeux que pour les courbes, les chiffres, les réactions musculaires et cognitives de son frère. Thalia songea à l’avenir qu’elle s’efforçait de se construire, à la personne qu’elle deviendrait après plus de dix ans à étudier la médecine. Elle n’était pas sûre de vouloir adopter cette froide formalité avec la patientèle, de dresser ce mur entre son devoir médical et son empathie humaine, de se focaliser sur les métriques plutôt que sur les témoignages.
En même temps, les hommes et les femmes qui avaient envahi son espace continuaient de sourire, d’être polis, de parler d’une voix tranquille. De sauver des vies chaque jour.
— Nous allons vous demander de sortir, annonça une infirmière en se tournant vers les parents de Thalia. Nous vous rendons votre fils dès que possible.
Comme pour échapper au faisceau de son regard bleu, Thalia se fit plus petite encore dans l’angle du mur. L’infirmière la considéra un instant avant de se fondre d’un sourire aussi doux que la fourrure de la peluche.
— Toi aussi, ma grande.
Avec un regard désolé pour la silhouette à moitié masquée de son frère, Thalia s’extirpa de la chambre. Dans le couloir, ses parents discutaient à voix basse. Leurs traits se brouillaient sous un mélange d’inquiétude et de joie délivrée.
— Viens là, ma chérie, souffla Maria en lui tendant la main.
L’adolescente libéra l’un de ses bras pour serrer les doigts de sa mère. Pendant qu’elle calait la tête sur l’épaule de Maria, Ethan lui caressa les cheveux avec un sourire tendre. L’espace de quelques secondes, où personne ne traversa le couloir, où les bruits incessants de l’hôpital se dispersèrent, Thalia oublia. S’oublia, elle et l’ours en peluche contre son ventre. La morosité de ses parents, l’immobilité de son frère, les va-et-vient des proches aux cadeaux chargés d’espoir et de crainte.
La bulle se craquela. Quelque part derrière eux, la voix d’un infirmier traversa le couloir depuis une chambre pour appeler un collègue. Thalia rouvrit les yeux, considéra les lignes du carrelage, l’épaule de son père qui occupait le coin de sa vision.
Maria n’avait pas bougé d’un cil, sa main en train de dessiner des cercles dans le dos de sa fille. Elle suspendit son geste quand Thalia redressa le cou et recula.
— Je vais m’asseoir.
Ses parents hochèrent la tête et se détournèrent de leur fille pour se rapprocher de la porte qu’on avait clos à leur nez. Une fois installée, Thalia serra plus fort l’ours en peluche et en huma l’odeur. Il ne sentait rien d’autre que le produit d’entretien, vague rappel synthétique d’agrumes.
Il ne s’était écoulé que cinq minutes quand la porte se rouvrit. Thalia s’était trop éloignée pour entendre ce que confia le médecin à ses parents. Alors qu’il leur faisait signe de les suivre, Maria se tourna vers sa fille, articula en silence « On revient » et emboîta le pas à Ethan.
Troublée, Thalia resta un moment sans bouger. Puis, quand le personnel médical quitta la chambre au compte-gouttes, l’adolescente se faufila jusqu’à la porte. Elle s’assura qu’elle ne percevait aucun son avant de se glisser de l’autre côté du battant.
On avait redressé Jim contre ses oreillers, mais il dodelinait de la tête. Thalia hésita dans la petite entrée de la chambre, se tordit les doigts. Elle n’avait rien à faire ici. Même ses parents n’avaient pas encore eu l’occasion de discuter avec leur fils. Thalia s’avança donc dans la pièce, une brûlure dans l’œsophage. Son amour pour ses proches n’avait jamais été altéré, mais ces dernières années lui rappelaient bien à quel point on la considérait comme la petite dernière, en la mettant de côté et en l’ignorant trop souvent. Pour une fois, elle comptait bien les prendre de revers.
Conscient de sa présence, Jeremy finit par dresser la tête en papillonnant. Il avait une mine encore plus affreuse. Le sang qui avait afflué à ses joues teintait ses pommettes de rose, mais le reste conservait une teinte cireuse de maladie. Ses cheveux commençaient à fourcher ; du moins ceux qui n’étaient pas rasés d’un côté ou aplatis à l’arrière.
— Jimmy, murmura Thalia en approchant d’un pas prudent.
Il fronça les sourcils en la dévisageant, pinça les lèvres. Son expression confuse froissa les scénarios que s’était imaginés Thalia au réveil de son frère. Elle pouvait dire adieu aux échanges plein d’embrassades et de larmes qu’elle élaborait depuis une semaine.
— Jim, reprit-elle en s’arrêtant à côté de lui. Tu sais ce qui s’est passé ?
— Euh, commença-t-il d’une voix qui crissa comme du papier de verre, je sais pas trop.
Il leva sa main droite, considéra le gros pansement qui en couvrait le dessus. Les fils et perfusions qui le reliaient aux machines de contrôle ou aux poches de nutriments. Après quoi, il zieuta Thalia avec une moue perplexe.
— Je me suis fait rouler dessus ? J’ai mal à la jambe.
— On t’a tiré dessus, rectifia Thalia en haussant les épaules.
Jeremy baissa le nez sur l’ours en peluche dans les bras de sa sœur, émit un rire dépité.
— Et tu es qui ?
Le sang de Thalia se figea. Elle ouvrit la bouche, consciente des battements que ratait son cœur, de l’air qui ne circulait plus dans ses poumons. Alors qu’une dose d’angoisse pure embrouillait ses pensées, Jeremy se tordit le cou pour récupérer le nounours de sa main gauche. Il tira sur le bras de la peluche et s’en servit pour faire coucou à sa sœur.
— Oh, bonjour Thallie, fit Jim d’une voix aiguë, je suis l’ourson que Mike a sûrement dû ramener, parce que personne d’autre aurait eu l’idée. Ton adorable grand frère a voulu te faire une blague. Il se rappelle de tout, t’inqui…
Jeremy n’avait pas eu le temps de terminer que Thalia lui arrachait la peluche des mains. Ses yeux gorgés de larmes le découpèrent mentalement en petits morceaux.
— Abruti, cracha sa sœur en reculant d’un pas pour ne pas nourrir l’envie d’ajouter quelques ecchymoses sur son cou. Tu trouves ça drôle ? Une semaine qu’on se demande si tu vas te réveiller un jour et tu joues aux amnésiques ?
— Thallie, murmura son frère en levant les mains, ça va.
— Ben non ! Regarde-toi !
— Mmh, va falloir que tu me décrives.
Furieuse, Thalia jeta l’ourson sur le lit, pointa du doigt le visage de son frère.
— Tu ressembles à rien ! On dirait que t’es resté un an sans voir le soleil, t’as le cou multicolore, une coupe de cheveux affreuse et une… une espèce de barbe qui est pas une barbe, c’est juste des plaques de poils à droite à gauche.
— Oui, bon, ça va, grommela Jeremy en faisant la moue.
Pendant que sa sœur inspirait pour calmer le besoin de lui en coller une, Jim tâtonna le bas de son visage. Il sentait effectivement les zones de son menton et de sa mâchoire où quelques poils avaient parfois le courage de pousser. Ethan affirmait qu’il lui faudrait bien quelques années avant de se faire pousser une barbe digne de ce nom.
— Et l’odeur, ajouta Thalia d’une voix mordante, une douche ça te ferait pas de mal.
— Excuse-moi, soupira Jim d’un air théâtral, de pas m’être réveillé dix minutes plus tôt pour sentir bon la rose après…
Il s’interrompit en clignant des yeux. Et l’air perdu qui gagna ses traits chassa toute véhémence de sa sœur. Avec délicatesse, elle glissa ses doigts entre ceux de Jeremy.
— Presque une semaine, expliqua Thalia d’un ton adouci.
— C’est beaucoup, s’étrangla Jeremy en se détournant. Et pas grand-chose, en même temps.
Hésitante, Thalia préféra conserver le silence. Serrer la main de son frère et sentir sa force en retour était déjà plus qu’elle avait espéré pour cette journée.
— Papa et maman ?
— Ils vont revenir, ils discutent avec le médecin.
Jim hocha vaguement la tête, se replia contre les oreillers. Les cervicales qui affleurèrent sur sa nuque enfoncèrent un poing dans l’estomac de Thalia. Sans autres apports nutritifs que des perfusions, son frère avait déjà perdu plusieurs kilos en quelques jours. Et Thalia l’avait vu maigrir brusquement de trop nombreuses fois pour ne pas s’en inquiéter.
En espérant qu’elle n’agripperait pas de perfusions ou n’écraserait pas d’hématome caché, Thalia passa les bras autour du cou de Jim. Il émit un petit rire qui mêlait grognement et geignement, pressa la tête contre celle de sa sœur. Le lien en cuir neuf autour de son cou les chatouilla tous les deux.
— Qui a réparé mon collier ? chuchota Jeremy en puisant dans ses maigres forces pour étreindre sa sœur.
— Mamie. Elle a pris un nouveau lacet en cuir, mais les perles sont les mêmes.
Jeremy hocha la tête avec reconnaissance, même s’il se promit de transmettre ses remerciements en direct. Il était agréablement surpris que sa grand-mère ait fait ça pour lui.
Pendant qu’il percevait la respiration un peu saccadée de Thalia, les tremblements discrets de ses bras, la conscience de Jim se brouillait. L’appel de son lit, même s’il ne l’avait pas quitté depuis une semaine, le tiraillait seconde après seconde.
— Tu sais que je t’aime fort, mon p’tit clown ? murmura Jeremy avant qu’il n’en ait plus la force.
— O-Oui, bégaya Thalia en l’étreignant plus fort. Moi aussi.
Elle le lâcha quand elle sentit sa grippe faiblir. Et son aide pour le rallonger ne fut pas de trop.
Alors que Thalia récupérait l’ours en peluche, la porte grinça. Les joues brûlantes, elle enfonça la tête dans les épaules dans l’attente des remontrances. Mais il n’y eut qu’un « ma puce ? » étonné de son père. Dans le couloir, la voix de sa mère s’élevait en plein échange avec le médecin.
— Il vient de se rendormir, indiqua Thalia en donnant un coup de tête vers son frère. On a eu le temps de parler un peu.
Ethan la rejoignit près du lit, passa un bras dans son dos.
— Oui, il va rester sous observation encore un moment. Mais ils vont le changer de service, déjà, comme il va beaucoup mieux. (Ethan fouilla le visage de sa fille, s’enquit d’un ton prudent : ) Il t’a dit quelque chose de spécial ?
Un premier vrai sourire pointa sur les lèvres de Thalia.
— Il a dit des bêtises. Et qu’il m’aimait. (Comme quelques larmes finalement libérées dévalaient ses joues, elle les essuya en soupirant.) Jim, quoi. Je pense qu’il va pas si mal.
Son père rit tout bas, déposa un baiser sur le sommet de son crâne. Une onde de chaleur dévala Thalia de la tête aux pieds, soulagea ses yeux brûlants et ses tripes en vrac.
— On va prendre le relai, ma puce. Maman et moi, on va expliquer à Jeremy tout ce qui s’est passé pendant l’épreuve. (Ethan s’éclaircit la gorge avec difficulté, la poussa doucement vers Maria.) On a des choses graves à lui annoncer et tu as déjà beaucoup encaissé ces derniers jours, alors on aimerait que tu rentres à la maison.
— J’ai demandé à mamie de venir te chercher, ajouta Maria en lui frottant le bras. Tu as été hyper courageuse, mon cœur. Je suis très fière de toi. Mais tu as le droit et le devoir de te reposer et de prendre du temps pour toi, maintenant.
Il y eut à nouveau du feu et de l’eau au bord de ses paupières. Un relâchement brutal des épaules, une expiration qui lui vida complètement la poitrine. Sa conscience soulagée de plusieurs jours d’angoisse et d’incertitude. Ses pieds lui paraissaient plus ancrés au sol.
— Et quand ton frère ira mieux et qu’il aura plus besoin de nous, conclut son père en pressant l’épaule de Jim, on prendra du temps tous les trois. Pour faire ce dont tu as envie.
— C’est… c’est pas la peine, bredouilla Thalia, qui hésitait entre être mortifiée et enthousiasmée par l’annonce.
— Si, je t’assure, rétorqua sa mère en lui embrassant la tempe. Allez, va attendre mamie devant l’entrée de l’hôpital. Je lui ai dit que tu la rejoignais là-bas.
Comme ses parents la poussaient doucement, mais sûrement, vers la sortie, Thalia obéit sans broncher. Elle remonta les couloirs en écoutant le silence de ses pensées, en les savourant. C’était si agréable de ne plus être constamment traversée de cauchemars et d’appréhensions. D’imaginer une suite, un repas de famille, une soirée film et pop-corn.
Thalia souriait quand elle atteignit le parvis de l’hôpital, ceinturé par d’imposants bacs de fleurs rectangulaires. Les couleurs lui évoquèrent les ecchymoses sur le cou de son frère, mais elle chassa cette pensée. Ces nuances lui rappelaient aussi la boutique de fleurs de sa mère, l’étagère à épices de son père. Et mille autre images de bonheur simple qu’elle échafauda dans l’attente de partager ces instants avec ses parents.



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louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

- Illustration des Chadorables -



Récemment, c'était mon anniversaire et je me suis offert un cadeau juste trop génial 🥹
Depuis quelques années, je suis une grande fan du travail d'une illustratrice et autrice française (que vous pouvez retrouver ici sur Instagram) et elle a ouvert ses commissions. J'ai sauté sur l'occasion parce que c'était l'un de mes rêves d'écrivaine de voir certains de mes personnages illustrés sous sa patte graphique.
J'ai opté pour l'illustration du golden trio de S.U.I, des protagonistes de la "jeune" génération, de la fratrie d'amour, des Chadorables, peu importe le nom... J'ai nommé Jimmy l'embrouille, Ryu-choupinou et Thallie "smoll but mighty".
REGARDEZ COMME ILS SONT ADORABLES 💖
Je suis tellement contente d'avoir cette illustration bordel 🥰 Ils sont trop choupis, ils sont comme je les imagine (et c'est OK si vous les imaginez différemment !), ils sont BG, ils sont wholesome, ce sont mes enfants fictifs quoi ✨

Disclaimer : comme cette illustration m'accompagnera toute ma vie, j'ai choisi de les représenter tels qu'ils sont à la moitié/fin du T3. Ils sont donc plus âgés qu'à l'heure où je poste les chapitres en cours (fin T2) : Jeremy et Ryusuke ont 21/22 ans et Thalia 17/18 ans. Certains détails de l'illustration ne prendront leur sens qu'au T3 d'ailleurs.


Les Chadorables - BN.jpg
Les Chadorables - BN.jpg (249.05 Kio) Consulté 1454 fois
(de gauche à droite : Ryusuke - Jeremy - Thalia)


Crédits : @merwildandco sur Instagram
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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

- Quelques infos pour la suite -



Et rebonjour.
Je sais pas trop si ce message s'adresse à de vrais lecteurs ou à des bots, mais dans le doute... 🤔
Je voulais juste donner quelques infos pour les mois/années à venir à propos de S.U.I. En effet, la mise en ligne du T2 sera terminée d'ici 3 semaines (puisqu'il reste 3 chapitres) et, même si j'ai pas encore commencé le T3, je suis pas restée inactive depuis que j'ai fini le T2 l'automne dernier.

Ainsi donc 👇

1. Il y aura des chapitres bonus du T2 (nombre définitif pas encore déterminé, mais moins de 10) qui seront mis en ligne 1x/semaine après la fin du T2.
2. Deux recueils sont en cours d'écriture et seront postés courant 2025 : Ashes & Dreams et Loss & Bond.
3. Parmi ces recueils, l'un est la suite directe du 1er recueil déjà posté Love & Legacy et il s'agit de A&D (c'était pas prévu mais écrire ce qui s'est passé entre la fin de L&L et le début du T1 était trop tentant, j'ai craqué).
4. Loss & Bond de son côté s'attarde sur 4 personnages secondaires du T2 : Rebecca / Archer / Ivana / Jason. Ces personnages ont pas mal de casseroles et de background, mais je pouvais clairement pas tout mettre dans le T2.
5. J'ai le synopsis (résumé complet) du T3, mais en bonne architecte que je suis, je vais avoir besoin de structurer ça un peu mieux avant de me lancer. Je pense commencer l'écriture en 2025, donc pas de publication du T3 avant 2026 je le crains.
6. Et, accessoirement, j'ai déjà prévu 2 recueils post-T3 🫣

Et voilà, je pense avoir donné l'essentiel des infos ! Bien entendu, je donnerai des news au fur et à mesure, mais il y aura sûrement une période plus calme entre fin 2024 / début 2025 (c'est pas plus mal, j'ai l'impression de monopoliser ce pauvre forum ^^).

D'ici là, si vous avez des questions / remarques / conseils je serais totalement ravie d'échanger avec... des bots ou s'il y a de vrais lecteurs derrière les chiffres qui montent, avec de vraies personnes 🥹 Je me sens un peu seule par ici mais c'est le jeu de la publication en ligne, j'en suis consciente.

Prenez soin de vous !
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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

Je crois qu'on tient le chapitre le plus long du T2 là, navrée :lol:


- Chapitre 65 -



Lundi 9 juin 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Le parking de l’École n’était pas encore très rempli. Ils étaient arrivés tôt pour être certains d’avoir une place et de ne pas avoir à courir jusqu’à leur salle d’examen. Après avoir coupé le moteur, Ryusuke coula un regard vers ses amis. Sur le siège passager, Jim tripotait les lanières de son sac. Sur la banquette arrière, Jason serrait le sien contre son ventre. À sa gauche et à sa droite, Valentina et Tess observaient le jour naissant à travers les vitres.
Ryu les avait récupérés tous deux chez les Empkin. Quant à Tess et Tina, les garçons étaient passés les chercher dans le pâté de maisons de Dourney où elles logeaient. Se retrouver à cinq dans la voiture de Dimitri aurait dû amener rires, blagues et disputes à propos de la musique. Il n’y avait eu que des formules de politesse, des regards gênés et des silences étouffants.
Ils avaient enterré Kaya une semaine plus tôt. Et, à voir les cernes qui plombaient le regard de ses compagnons, Ryu se doutait qu’ils avaient aussi peu dormi que lui. Quelques jours étaient loin d’être suffisants pour oublier les pleurs hachés de la famille, le mutisme insupportable de Jason, les fleurs et les mots, tout ce cérémoniel qui s’accordait mal avec leur défunte amie.
Pendant que Ryusuke s’enfonçait durement ses dernières révisions dans le crâne, oscillant entre l’arithmétique et la géopolitique, il avait songé à Kaya. À son fin visage espiègle, son sourire mutin, le halo de ses cheveux ébouriffés. Ses petits poings serrés, qui terrifiaient tous leurs camarades. À sa voix assurée, portante, à la façon dont elle distribuait des conseils précis et concis. À la hargne de son regard, le voile de détermination qui tombait sur ses iris noisette avant d’entrer dans un combat.
— Ryu.
De nouveau, Ryusuke était sur le parking de son école, les mains posées sur le volant usé par les années, une vague odeur d’essence lui chatouillant le nez. La banquette arrière était vide. C’était Jeremy qui avait attendu patiemment que passe la rêverie avant de le ramener à l’habitacle tiède du véhicule.
— Les autres sont partis devant, ajouta Jim avant qu’il ne pose la question.
Ryu hocha la tête, récupéra la clé puis le sac-à-dos que lui tendait Jim. Une fois dehors, il attendit que son ami ait contourné la voiture pour lui serrer l’épaule.
— Ça va aller ?
— Mais oui, t’inquiète, soupira Jeremy en lui adressant un mince sourire.
— Tu es sorti de l’hôpital y’a une semaine et t’es encore en rééducation. L’École a aménagé des créneaux d’examen spéciaux pour les élèves blessés pendant les épreuves. Pourquoi tu as pas…
— Ryu, le coupa Jeremy sans brusquerie, sérieux, je veux juste en finir le plus vite possible. Me reposer pour de vrai. Passer du temps avec ma famille. Avec Iva avant qu’elle parte. Avec toi aussi.
Même s’il comprenait les motivations de son partenaire, Ryusuke ne put s’empêcher de soupirer. Il aurait préféré que Jim s’accorde une véritable période de repos plutôt que d’enchaîner les séances de rééducation avec celles de révision. Sans compter qu’il avait eu moins de temps pour revoir l’ensemble de leurs cours théoriques à cause de son hospitalisation.
— Et tu le sens bien, les exams ? insista Ryu alors qu’ils approchaient du poste de contrôle.
— Mouais, je pense.
Ryusuke le considéra d’un air soucieux tandis qu’ils présentaient leurs cartes d’étudiants au vigile. À l’autre bout de la cour, près du bâtiment nord aux façades vitrées, Valentina leur fit signe de se dépêcher. Tess et Jason étaient déjà rentrés, secondés par une dizaine d’élèves de 7ème année.
— J’espère que ça va aller, alors, souffla Ryusuke en lui serrant le bras une dernière fois.
— Pour toi aussi, l’intello.
Si le cœur de lui rendre la réplique n’y était pas vraiment, Ryusuke esquissa un petit sourire.
Près de l’entrée, Valentina leur souhaita bonne chance avant de filer en direction de sa salle d’examen. Alors que Jim s’apprêtait à la suivre, il remarqua qu’Emily s’était glissée près d’eux. Après des semaines à la voir en tenue sportive, son chemiser blanc au liseré de la même couleur que sa jupe plissée bleu marine détonnait.
Son regard jaugeur alterna entre les deux jeunes hommes avant qu’elle n’élève la voix d’un air grave :
— Bon courage pour vos examens.
Malgré la tension qui s’était plus ou moins désamorcée entre eux, Jeremy fronça le nez. Quant à Ryu, il hocha brièvement la tête avant de lui retourner la pareil.
— Vous venez au bal de fin d’année ?
Comme Jim se mettait à ricaner en détournant la tête, Ryusuke prit les devants. Après avoir grimacé, il expliqua d’un air distant :
— Notre groupe va pas y aller. On va tous aller chez Jason pour célébrer ça en petit comité. Par rapport à Kaya, on arrivait pas à se dire que… enfin, c’était pas trop son délire. Même… vivante, je crois qu’elle aurait préféré qu’on se fasse un truc tous les six ensemble.
— Je comprends. Je me doutais que ce serait pas votre truc. Vous n’êtes pas les seuls à avoir refusé l’invitation, en fait.
— Ah oui ?
Emily pinça les lèvres avant de répondre d’un ton froid :
— Il y a pas mal d’élèves qui veulent protester avec ce qui s’est passé pendant la dernière épreuve. Beaucoup reprochent à l’École de ne pas avoir su nous protéger correctement. Il y a une espèce de perte de confiance envers S.U.I.
Jim, qui suivait la conversation de loin dans les escaliers, grimaça à ces mots. Même des années après avoir réintégré l’univers de S.U.I et des autres agences, l’idée que des membres de sa famille soient à l’origine de cette situation l’embarrassait. Il doutait qu’un jour les Sybaris soient capables de construire sans volonté parallèle de destruction.
— C’est compréhensible, lança-t-il d’une voix rauque en se laissant tomber sur une marche. On est censé partir bosser pour S.U.I pour une partie d’entre nous. D’autres visent même la Ghost. Ça donne envie à personne d’aller bosser pour ceux qui nous ont entubés en pleine épreuve.
— Et il serait intéressant de ne pas faire d’amalgame entre la décision d’une seule personne et les agences, répliqua Emily sans sourciller.
— Ah, c’est toi qui parles d’amalgames ? ricana Jeremy en la toisant durement.
Comme sa camarade l’ignorait, Jim roula des yeux et grimpa les escaliers.
— Je te laisse, Ryu, on est pas dans la même salle. Merde à toi.
— Merde à toi aussi ! lança l’intéressé avant de retourner à sa camarade. C’est vrai que tu sais tout ? Sur Jeremy et sa famille ?
Un éclair de surprise traversa les yeux turquoise d’Emily. Vite remplacé par une gêne passagère.
— Euh, en partie. Il t’en a parlé ?
— Oui, au bout d’un moment. Il a surtout peur que tu caftes auprès des mauvaises personnes. Tu as une partie de sa sécurité personnelle entre les mains.
Cette annonce crispa un peu plus le visage d’Emily. L’été bien installé avait quelque peu bronzé l’épiderme de la jeune femme, mais elle avait l’air plus pâle que jamais dans le hall du bâtiment.
— Je lui ai promis de ne pas en parler sans son accord. J’ai conscience de ce que ça signifie, pour lui.
— Vraiment ? (Face au regard agacé d’Emily, Ryu haussa les épaules.) Jimmy n’a pas du tout envie de cet héritage familial, tu sais. Il le subit. Sa sœur et lui essaient de gérer leur famille paternelle comme ils peuvent. Et ça doit vraiment le faire flipper que tu saches autant de choses sur les Sybaris. Il ne te voit pas franchement comme une amie.
— Ça fait un moment que je ne cherche plus à être son ennemie, rétorqua Emily avec irritation.
Troublé, Ryusuke ne répondit pas dans l’immédiat. Emily en profita pour asséner :
— Bon courage pour tes examens. Même si c’est plus une formalité qu’autre chose comme tu as été admis à Stanford.
— Bon courage à toi aussi, finit par soupirer Ryu en se tournant vers les escaliers.
Emily le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse sur la coursive qui menait aux salles de classe. Un goût amer lui restait en gorge. L’impression de passer à côté de quelque chose. Peut-être la jalousie de ne pas intégrer d’université, comme Ryusuke. Emily ne savait même pas que ce genre d’arrangement avec S.U.I. était possible avant qu’elle l’apprenne de la bouche de son camarade. Persuadée depuis toujours de suivre les traces des attentes familiales et d’intégrer S.U.I pour évoluer vers la A.A, Emily ne s’était jamais interrogée.
Elle ne pouvait nier à présent les regrets qui la tailladaient. Les bonnes notes ne constituaient pas le simple résultat d’une pression parentale et d’une fierté personnelle. Emily aimait ça. Apprendre. S’enrichir, se cultiver, élargir ses compétences. La perspective d’intégrer une université, d’y suivre un cursus de son choix, constituait un lointain rêve naïf. Ce n’était pas une question de niveau – elle l’avait – ni d’argent – elle le possédait, par extension de ses parents – mais une question de chemin.
Et le chemin qu’avait emprunté Emily depuis son arrivée à l’École n’avait jamais mené vers l’université. Vers S.U.I uniquement. Vers l’agence de sa future carrière. Vers la société dans laquelle sa famille avait misé.
Emily n’avait plus qu’à ravaler sa rancœur.

Cinq jours d’examen plus tard, Jason ouvrait les portes de sa maison familiale dans le quartier de Mona. Sa mère s’était réfugiée chez les parents de Jim pour laisser son fils et ses amis en paix. Elle l’avait aidé à préparer le repas et les boissons pour la soirée, à installer quelques décorations dans le séjour et le jardin, à vérifier l’état de la chaîne hifi et à aménager une zone de danse en écartant les fauteuils du salon. Après quoi, elle était montée avec Maria dans la voiture pour partir en centre-ville. Ethan et Thalia les attendaient pour passer une soirée plus calme avec des pizzas commandées au restaurant italien du coin.
Les compagnons de Jason connaissaient déjà sa maison, mais ils ne l’avaient jamais vue avec des ballons de baudruche dans les coins, des bannières murales colorées et même un projecteur qui mettait en avant l’espace dégagé dans le séjour. Dans le jardin, des guirlandes lumineuses enroulées autour des pots de fleurs et des bougies sous des coupoles en verre éclairaient chaleureusement les lieux.
Le père de Tess déposa sa fille, sa nièce accompagnée de son copain et Valentina en début de soirée. Trice et Aiden avaient également refusé le bal de l’École, en soutien à Jason et à son souhait de célébrer la mémoire de sa meilleure amie. Quand ils s’avancèrent en direction du porche éclairé, la porte s’ouvrit sur un Ryu éclatant. Ses cheveux remontés en chignon dégageaient sa nuque gracile, encadrée par le col d’une chemise en soie noire. Le sourire qui lui barrait le visage effaçait la semaine de morosité et de stress qui les avait tous plombés.
— Vous êtes déjà là ? lança Beatrice en bondissant sur les marches pour atterrir directement sur le porche. Je pensais qu’on serait les premiers.
— On est arrivé y’a dix minutes, expliqua Ryu en se décalant pour laisser passer le quatuor.
Une fois la porte refermée derrière eux, Ryu échangea des checks avec Trice, Aiden et Tess. Avec Valentina, ils s’étreignirent quelques secondes avant de se lâcher en souriant.
— T’es tout beau, comme ça, souffla Tina en reculant pour mieux apprécier la tenue de son ami. On est raccord pour les couleurs, en tout cas.
Pour appuyer ses propos, Valentina fit tournoyer les pans de la robe noire légère qu’elle avait enfilée avec une paire de tennis blanches. Dans le séjour, Trice avait à moitié sauté sur Jason pour le saluer et lui tendre la boîte de desserts qu’Aiden transportait depuis le début du voyage.
Plus loin, Tess se glissa jusqu’à l’îlot central qui marquait la séparation entre la cuisine ouverte et le salon. Jim y était occupé à rassembler les boissons avec des piles de gobelets. Derrière lui, Tess eut la surprise de reconnaître Ivana, les doigts pleins de farine.
— Salut, tête-de-nœud, grinça Tess avant d’adresser un geste de la main enthousiaste à Iva. Bonsoir, championne, Jim m’a pas dit que tu venais !
— J’étais pas encore certaine de pouvoir venir, souffla Ivana en s’essuyant les paumes sur son tablier de cuisine. Mon père avait prévu une espèce de soirée familiale, mais ma grand-mère m’a sauvé la mise.
— Merci mamie Giulia, souffla Jeremy en déposant un baiser sur la tempe de sa copine.
Iva attendit sagement qu’il se soit redressé pour lui asséner sa main couverte de farine sur le torse. Jeremy poussa une plainte aigüe, considéra son vêtement à présent bicolore.
— Mon t-shirt, geignit-il en affichant une moue déconfite.
— Tous tes potes ont fait un effort vestimentaire, le gourmanda Ivana en retournant à la préparation de sa pâte. Et toi, rien du tout. Comme d’hab.
— C’est juste entre nous, marmonna Jim en se passant une main dans les cheveux.
Il la retira en sentant la zone plus courte, où on l’avait rasé pour suturer une plaie. Il s’était fait couper les cheveux entre temps pour amoindrir les dégâts, mais la différence était encore notable. C’était toujours moins désagréable que la sensation de pincement constante dans sa cuisse. Ou la douleur vague qui se réveillait parfois dans sa main droite. Même si la blessure par balle et celle sur sa main avaient guéri sans complication, les muscles abîmés avaient besoin de repos et de rééducation avant de retrouver leur état originel.
— Ça me ferait plaisir, tu sais, murmura Iva en lui coulant un regard, que tu fasses quelques efforts de temps en temps.
Gêné, Jeremy la considéra un moment en faisant la moue. Ryusuke lui avait fait la remarque, quand il était passé le chercher chez son père. Son jeans troué, son t-shirt ample à l’effigie des Red Hot Chili Peppers et ses baskets au noir délavé ne changeaient en rien de ses tenues quotidiennes.
Avant que Jim puisse relancer le sujet, Trice, Aiden et Tina les avaient rejoints dans la cuisine. Il étreignit brièvement les filles avant d’échanger un sourire avec le batteur de Wyatt.
— Salut, la bassiste la plus cool du monde, lança Ivana avec une mimique enjouée pour Trice.
— Salut, la meuf la plus cool du monde, lui retourna Beatrice en s’accoudant au plan de travail à côté d’elle. Tu nous prépares quoi de beau ?
— Tarte aux pommes caramélisées, ma spécialité.
— Les meilleurs apportent toujours les desserts, pouffa Trice en brandissant la boîte de gâteaux qu’elle avait préparée.
Ivana s’esclaffa à son tour, essuya une trace de farine sur sa joue avant de se pencher vers la jeune femme. Avide de confidences, Trice se baissa à son tour, plissa les paupières pendant qu’Iva murmurait à son oreille. Quand elle se redressa, les yeux bruns de Trice pétillaient encore plus que son maquillage argenté.
Une onde d’appréhension traversa Jim quand il nota que toute l’attention de Beatrice s’était tournée vers lui. Il plissa les paupières en dévisageant sa copine, mais Ivana l’ignora délibérément.
— On a du pain sur la planche, mon p’tit Jimmy, susurra Trice en déposant sa boîte sur le comptoir. Tu me montres ta chambre ? T’as des affaires potables ici ou c’est tout chez ton père ?
— Oh, bordel, gronda Jeremy en croisant les bras. Tu vas pas t’y mettre ?
— Oh que si ! T’as un potentiel et tu l’exploites pas. Comme avec ta voix avant que tu rejoignes Wyatt. On va remédier à ça, espèce de tocard.
Sans lui laisser l’opportunité de se rebeller, et sous le regard pétillant de sa petite-amie, Jim se fit entraîner par le bras jusqu’aux escaliers. Comme Ryu le regardait passer d’un air ahuri, Jeremy lui envoya un regard désespéré. L’appel à l’aide fit pouffer Trice, qui en profita pour héler Ryusuke.
— Ryu, viens ! Toi, t’as le sens du style. Tu vas pouvoir m’aider.
Ryu n’eut pas besoin d’un mot de plus pour se laisser convaincre.

Grace leur avait laissé plusieurs packs de bière en échange de la promesse d’être raisonnables. Soucieux de respecter cet engagement, Jason avait lui-même distribué les canettes et surveillait l’état de chacun au fil de la soirée.
Aiden s’était réfugié dans un angle du séjour pour siroter l’alcool de son côté. Les cousines Baker s’étaient emparées de la piste de danse improvisée pour se déhancher et réaliser des mouvements de hip-hop qui donnaient la chair de poule à Jason. Les pots de fleur, les bougies et les vases tremblaient à chacun de leurs pas. Ryu et Valentina les applaudissaient depuis le canapé, chacun une canette coincée entre les cuisses. Quant à Jim et Iva, ils étaient partis prendre l’air après avoir descendu un peu trop rapidement leurs bières.
Une fois certain que ses convives n’étaient pas sur le point de détruire quelque chose ou de vomir, Jason s’installa sur le canapé. Il avala quelques gorgées de bière sans trop y penser, s’imaginant la façon dont Kaya se serait imbriquée à cette soirée. Elle se serait installée sur l’un des fauteuils, assurée que personne ne vienne la coller de trop près. Elle aurait bu une bière, peut-être même que la moitié, car elle n’aimait pas la sensation de légèreté qui suivait. En voyant Tess et Trice, elle aurait sûrement ricané, un peu amère au fond d’elle de ne pas réussir à mobiliser son corps pour autre chose que le combat.
Ivana aurait constitué un nouveau défi pour prouver que sa boxe thaïlandaise était plus qu’efficace contre son karaté. Jeremy aurait essuyé quelques piques de Kaya, qu’il aurait retournées sans une hésitation.
Jason soupira, avala de nouveau plusieurs gorgées. Si Kaya n’avait jamais vraiment partagé ses passions ou même sa façon de voir le monde, elle avait été le pilier le plus stable de sa vie. Un roc contre la tempête qui s’était levée après le divorce de ses parents. Un mur entre les rafales et les peurs de Jason. Un bâton pour l’aider à braver l’orage.
Ces derniers mois, c’était entre eux que s’étaient levés les vents. Entre leurs inspirations personnelles, leurs cheminements de vie. Sur l’absence de compromis, sur la fatalité de leurs ambitions divergentes. Alors qu’ils passaient leurs examens physiques, Kaya et Jay n’étaient toujours pas parvenus à une forme d’entente.
Il y avait quelque chose de profondément soulageant et culpabilisant dans le fait que Jason n’ait plus à chercher d’accord. Il était libre. Libre de suivre son chemin, d’intégrer S.U.I sans avoir à viser la section de la A.A que Kaya ambitionnait de rejoindre. Libre de tout laisser tomber, d’embrasser son amour des mots et de la musique.
— Jay.
Valentina venait de se laisser tomber à ses côtés. Avec un sourire plus doux qu’à l’accoutumé, elle lui pressa la main. Ses doigts tièdes contrastèrent violemment avec le métal froid de la canette, amenèrent des frissons dans le dos de Jason.
— Tu… tu as décidé, pour la suite ?
Pendant un instant, Jason regretta de s’être ouvert à son amie à propos de ses doutes. Après les funérailles, quand ses autres amis étaient partis et qu’il ne restait plus que Tina et Ryu, il s’était confié. L’avenir avec Kaya était un brouillard d’incertitudes. L’avenir sans Kaya lui était impensable. Pas le genre d’avenir qu’il s’était imaginé pendant des années, en tout cas.
Jason devait se reconstruire des perspectives. Un chemin de vie qui ne serait peut-être pas lié à S.U.I. Qui décevrait peut-être sa mère et ses proches, mais emplirait son cœur de certitude.
— Je crois que je vais laisser tomber S.U.I, souffla-t-il au bout de quelques secondes. Pour de vrai.
— C’est le minimum que tu puisses t’accorder, de réfléchir à d’autres projets, répondit Tina avec douceur. Tu en as besoin.
Il hocha la tête, l’amertume de la bière au fond de la gorge. Même si sa décision était prise, la mettre en œuvre restait le principal défi. Jason avait des idées, bien entendu, quelques pistes potentielles pour échapper au sang et aux chaînes de S.U.I. La musique lui semblait être la seule éclaircie possible, mais il ne savait pas encore comment l’aborder. Comme Trice et Aiden intégraient l’université à la rentrée, Wyatt était en hiatus. Et même si Jason se débrouillait avec Jim pour animer quelques concerts, ça ne remplirait pas ses journées.
— Je vais sûrement tâtonner l’année prochaine, avoua Jason sans oser regarder son amie. Comme je me suis pas inscrit à la fac, c’est trop tard. Je… me sentirais même pas prêt à passer les tests. Mais je vais voir pour l’année d’après pour me former en cursus musical.
— Ce serait génial, approuva Tina en reposant sa canette pour lui serrer les mains. C’est là où tu seras le plus épanoui, Jay.
— Je l’espère.
Il rendit à Tina la pression sur ses mains. Un timide sourire venait de pointer sur ses lèvres.

Dans le jardin, Ivana et Jim s’étaient blottis sur un gros pouf d’extérieur. Le courant d’air qui glissait sur la terrasse apaisait la brûlure de l’alcool. Même s’il n’aimait pas ça, Jeremy avait bu deux bières. Ryusuke l’avait réprimandé, parce qu’il estimait ridicule de se forcer pour s’intégrer aux autres. Iva avait ensuite entraîné son copain à l’extérieur pour lui asséner un sermon identique puis quelques bisous sur ses joues réchauffées par l’alcool.
À présent, ils n’arrivaient plus à quitter le confort moelleux du pouf. Les yeux perdus vers le ciel, Jim écoutait le chant des grillons et l’écho insistant des papillons de nuit qui se cognaient aux appliques murales. Nichée au creux de son cou, Ivana ne décrochait plus ses lèvres de sa peau.
Quand son épiderme commença à le chauffer sérieusement, Jeremy se redressa.
— Eh, Iva, tu me fais pas un suçon, là ?
La jeune femme lui présenta un sourire innocent en rabattant le col de Jim sur son cou.
— Voilà à quoi ça sert la chemise.
— Oh non, sérieux, soupira Jeremy en se renfonçant dans le pouf. Ma mère et ma sœur vont se foutre de ma gueule.
Ivana pouffa en passant les bras autour de lui.
— T’auras qu’à mettre du maquillage. Trice t’a montré comment faire, non ?
— M’en parle pas, grogna Jim en faisant la moue.
Pendant que Ryu inspectait la maigre garde-robe de son ami, Trice s’était permise de fouiller les trousses à maquillage dans la salle de bains. Elle en était revenue avec un fard doré à paillettes, qu’elle avait appliqué sans remord sur les pommettes de Jeremy. Ryusuke avait été plus compatissant, au moins, en ne lui imposant qu’une chemise blanche ajustée avec un sobre pantalon noir.
— Ça te va très bien, tu sais, lui fit remarquer Ivana en posant une main sur sa joue. C’est assorti à ton teint de peau. Et ça fait ressortir tes yeux. Dommage que tu aies fui avant que Trice te maquille complètement.
— C’est ridicule, siffla Jim en repoussant le bras de sa copine.
Avec une moue agacée, Ivana se redressa, emprisonna le visage de son copain entre ses mains.
— Qu’est-ce qui est ridicule ? Que tu te maquilles alors que t’es un mec ? Alors tu trouves ridicule que Ryu se soit mis du crayon noir ?
— C’est pas pareil, répliqua faiblement Jeremy, sa locution gênée par la pression d’Iva. Lui, ça lui va bien. Et ça rentre plus dans son délire.
— Je pense que c’est exactement pareil. C’est juste que…
Avec un sourire, Ivana lui tapota les joues une dizaine de fois avant de lever les bras au ciel. Face à l’expression sidérée de son copain, elle se contenta d’un rire.
— Et voilà, tes idées préconçues sur la masculinité se sont envolées.
Comme Jeremy fronçait les sourcils, elle le fit taire d’un baiser appuyé. Il finit par capituler et entoura la taille d’Ivana d’un bras. Quand ils se relâchèrent, les joues d’Ivana étaient aussi roses que celles de Jim.
— C’est chiant que tu sois aussi convaincante, marmonna Jeremy en fouillant le regard pétillant de sa petite-amie. Je vais faire comment, sans toi ?
— Comme un grand garçon qui a pas besoin d’une maman bis, soupira Iva en lui enfonçant un doigt dans la joue.
Le petit rire qui s’extirpa des lèvres de Jeremy était fébrile.
— Je pensais plutôt à la fac, tu sais. La moitié de mes potes de lycée se barrent.
— Je sais que c’est pas drôle. Mais ça va pas durer dix ans. Et puis, on reviendra pendant les vacances.
— Peut-être pas dix, mais au moins quatre ans. (Jim replaça une mèche de cheveux blonds derrière l’oreille d’Iva, continua d’une voix étranglée : ) Se voir tous les trois mois, c’est pas très drôle.
Comme les yeux de Jim s’emplissaient de larmes, Ivana lui caressa le visage.
— Mon étincelle, on va voir comment ça se passe. Si ça se trouve, on va très bien s’en sortir.
— Oui, désolé, bredouilla Jeremy en s’essuyant les joues. Je crois que j’ai l’alcool triste.
Avec un sourire réconfortant, Ivana se hissa sur le pouf pour inverser leur place. La tête de Jim contre son cou, elle lui caressa les cheveux et le laissa s’endormir contre elle.
Une vingtaine de minutes plus tard, quand Ryu les rejoignit sur la terrasse, il esquissa un sourire aussi amusé qu’attendri devant la scène. Ivana lui adressa un clin d’œil, l’invita à s’asseoir sur le coussin de sol qui côtoyait le pouf.
— Tu sauras que ton meilleur ami a l’alcool triste, souffla Iva, dont le bras entourait toujours les épaules de Jeremy.
— Je suis franchement pas étonné, murmura Ryusuke en retour, un rire au bord des lèvres. J’imagine qu’il a fait le gros bébé.
— Évidemment qu’il a fait le gros bébé. Mais il a pas besoin de boire pour ça.
Comme ils se retenaient de rire, ils se contentèrent d’une œillade complice. Ivana donna un coup de menton en direction du visage de Ryu.
— Ça te va trop bien, le crayon. J’ai essayé de convaincre Jem que ça lui allait bien, ce que Trice a fait, mais il a du mal.
— M’étonne pas. Il a du mal avec son image, de toute façon. Il fait pas beaucoup d’efforts pour prendre soin de lui. Mais j’essaie de lui inculquer quelques bases.
— On est deux, sourit Iva en observant le visage endormi de son copain.
Quand Ivana redressa le nez vers Ryu, la façon dont il les observait lui serra le cœur. Sans détour, elle demanda à voix basse :
— Ryu, t’es sûr d’être au clair avec ce que tu as pu ressentir pour lui ?
Un fard rouge se dispersa sur le visage de Ryusuke. Il se retint de parler trop vite sous le coup de la gêne, déglutit péniblement, puis avança :
— Oui. Pardon, j’ai dû vous regarder bizarrement. C’est juste que… vous êtes adorables, tous les deux. Vous êtes des personnes qui détestent être vulnérables, mais vous l’êtes sans souci ensemble. (Ryusuke haussa vaguement les épaules, embarrassé.) J’ai jamais réussi à être comme ça dans mes relations. Je peux être hyper ouvert avec mes amis ou mon père, mais… je sais pas, en amour, j’ai peur de tout.
— C’est sûrement lié à plein de choses, Ryu, murmura Ivana d’un ton soucieux. Et, à même pas dix-huit ans, t’as le droit de pas savoir gérer une relation. T’as encore toute ta vie pour découvrir ce qui te va et te va pas.
Comme il se contenait de hocher la tête, la gorge trop nouée pour parler, Ivana lui tendit la main. Après un moment d’hésitation, Ryu s’avança pour la serrer. Le regard d’un marron chaud d’Ivana le couvrit d’une chappe d’assurance bienveillante, son sourire serein fit couler quelques peurs au fond de sa gorge. Il comprenait sans mal pourquoi Jim lui avait ouvert son cœur. Son magnétisme l’enveloppait d’une aura tiède et réconfortante, la certitude qui apaisait son visage incitait Ryusuke à ressentir de même.
— Merci, Iva, chuchota-t-il en lâchant sa main. Merci d’être aussi géniale.
— Je peux l’être seulement parce que vous êtes en phase avec moi, souffla Ivana avec un sourire rayonnant. Et merci à toi d’être aussi doué pour cerner les autres, Ryu. Tu t’en rends pas compte, mais t’as vachement facilité notre relation avec Jem. Tu l’as aidé à mûrir sur beaucoup de choses.
Comme il sentait que ses yeux le piquaient, Ryusuke se détourna en riant. Il ramena les genoux contre sa poitrine, ferma les paupières et se laissa bercer par le chant des insectes. Comme ça, Ryu pouvait presque oublier tout le reste.



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Dernière modification par louji le ven. 13 sept., 2024 5:54 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

Message par louji »

Et c'est l'avant-dernier chapitre ! Avec des p'tits chats devenus grands 🐈🥹


- Chapitre 66 -



Mercredi 2 juillet 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


Dans l’arrière-salle, Ethan prenait de profondes inspirations. Il n’avait pas tenu beaucoup de discours au cours de sa carrière et celui qui s’annonçait lui liquéfiait les tripes. Ce n’était pas tant de parler face à ses élèves – il le faisait au quotidien depuis quelques années. Ni de s’ouvrir sur un sujet grave sous le regard de ses collègues et de sa direction ; après tout, ils l’avaient accompagné dans la rédaction du texte. Ce n’étaient pas non plus les parents qu’on avait installés sur des chaises pliables sur les côtés de la salle de conférence du Centre.
C’était de devoir faire face à toutes ces émotions. Celles des élèves, des collègues et des parents. Ce nuage d’anxiété, de colère, de tristesse, de révolte. Absorber leurs peines dans un espoir de rédemption personnelle. Et Ethan n’était pas certain d’en avoir les épaules, même si l’idée venait de lui.
À travers la cloison qui le séparait de la scène, Ethan percevait la voix de Ryan Scott. Le directeur de l’École était plus enjoué que lors de son dernier discours. Après tout, il célébrait les diplômés, les lycéens qui avaient officiellement validé leurs examens physiques et théoriques. Les quatre-vingts élèves, moitié du cursus général, moitié du cursus S.U.I, lançaient parfois des exclamations enthousiastes en réponse à une remarque de M. Scott.
Après le discours cérémoniel de la direction et des professeurs était prévue une après-midi de détente et de festivités, aussi bien pour les parents que pour les élèves. Pendant que tout le monde était réuni dans le Centre, quelques collègues d’Ethan avaient investi la cour pour installer des buffets et des tables chargées de boissons sous l’abri du préau. Une petite estrade avait été montée pour les étudiants à la fibre musicale ou humoristique, des zones d’activités parsemaient le reste des lieux pour divertir les élèves une dernière fois. On leur avait également ouvert le stade d’athlétisme ainsi que le gymnase pour ceux qui n’étaient pas assez rassasiés d’activités sportives.

Ethan recracha à moitié la gorgée d’eau qu’il venait d’avaler lorsqu’une main s’abattit lourdement sur son épaule.
— J’allais te demander si tu n’es pas trop stressé, mais j’ai ma réponse, marmonna Manuel en zieutant les taches que venait de se faire Ethan.
— Vous ne pouviez pas me dire bonjour normalement ? soupira Ethan en agitant le col de son polo dans un vague espoir de le sécher à temps.
Bonjour, Ethan. Comment vas-tu ? Ta vessie n’est pas trop fébrile en ce pré-discours ?
Comme son cadet lui adressait un regard mauvais, Manuel Cross ricana. Il s’empara de la bouteille d’eau de son collègue et la déposa sur une caisse de rangement à proximité.
— Bois pas trop, tu vas vraiment te remplir la vessie. (Comme Ethan lorgnait par l’ouverture qui donnait sur l’estrade, Manuel ajouta d’une voix plus sobre : ) Tu es très courageux de faire ça. Ce n’est pas ta responsabilité et pourtant, tu…
— C’est ma responsabilité, l’interrompit Ethan avec un regard grave dans sa direction. J’étais l’un des profs encadrants du projet Réseau. J’ai failli à mes élèves. Ma propre famille a provoqué le décès de certains de leurs camarades, de Mino ou de recrues-Fantômes.
— Dans ce cas, je suis responsable aussi, Ethan. J’étais un autre prof encadrant. Et si tu commences à t’attribuer tous les torts des Sybaris… Tu n’es pas près de revoir la lueur du jour, mon ami.
Même sa bienveillance, rarement exprimée ouvertement, ne dérida pas son collègue. Ethan secoua la tête, convaincu de la nécessité de son intervention. Il en rêvait la nuit depuis des semaines. Redoutait et attendait cette confrontation. Avant d’espérer revoir la lueur du jour, il devait déjà calmer l’orage qui hurlait dans son cœur.
La brûlure dans l’estomac d’Ethan se transforma en bille magmatique quand le directeur l’appela sur scène. En plissant les yeux pour se protéger des projecteurs, Ethan traversa l’estrade en bois jusqu’au micro, où Ryan lui adressa un sourire amical. Il y avait un encouragement teinté de respect dans le ciel de ses yeux bleus.
— Je laisse ma place à M. Hunt, professeur d’EPSA de la 7ème A. Il tenait à intervenir pour ce discours de fin d’année à propos des événements dramatiques qui ont eu lieu lors de la dernière épreuve du projet Réseau.
La salle bruissa de murmures et d’éclaircissements de gorge tandis que le directeur cédait sa place au micro et reculait jusqu’au mur où patientaient d’autres professeurs. Avec une inspiration tremblante, Ethan se plaça face au public, le fouilla nerveusement. Les premiers rangs restaient distincts grâce aux projecteurs, mais le fond de la salle était plongé dans l’obscurité. Ethan y focalisa toute son attention pour entamer son discours.
— Bonjour à toutes et à tous, parents et élèves. (Ethan balaya le public sans trouver de visage familier dans la masse indistincte.) Comme M. Scott l’a déjà précisé, je suis l’un des profs d’EPSA des 7ème année de cette année. Plus pour longtemps, d’ailleurs. Avant tout, je tenais à féliciter mes élèves. Pour la résilience, l’esprit d’équipe et le courage dont ils tous fait preuve.
Comme Ethan ne se sentait pas très à l’aise, planté près du micro, il le décrocha du pied.
— Comme mes collègues attendent que j’en ai terminé pour vous adresser des messages de félicitations sûrement mieux réussis, je vais aller droit au but. (Ethan attendit que les quelques rires qui s’étaient élevés se dissipent pour continuer : ) Aujourd’hui, je suis l’un des profs de l’École, mais j’ai également été agent de la A.A à la section criminalité. Je portais alors le nom des Sybaris.
Comme il se déplaçait le long de l’estrade, il aperçut un visage surpris en premier rang. Passa outre la brûlure qui grimpait de son estomac jusqu’à sa gorge.
— Comme vous l’avez deviné pour les personnes qui connaissent les origines de S.U.I, je suis le fils d’Alexia Sybaris, qui a fondé la société. (Il stoppa son déplacement nerveux au bout de l’estrade, déglutit péniblement à cause de sa trachée piquante.) Le lien entre cette histoire et vous, c’est ma responsabilité et celle de ma famille qui ont été engagées dans le projet Réseau.
En regardant les lattes du plancher qui constituaient l’estrade, Ethan opéra un demi-tour.
— Mon propre frère est à l’origine du projet. Et, en toute transparence, le début du projet Réseau s’est déroulé bien mieux que je m’y attendais. Les deux premières épreuves avec la Ghost Society et les Amazones n’ont rencontré aucun obstacle.
Ethan avait eu le temps d’atteindre l’autre bout de la scène. Il releva enfin le nez, considéra l’ensemble du public. Son œsophage rempli d’acide ne facilitait pas sa locution, mais il enchaîna d’une voix stable :
— La dernière épreuve a été une catastrophe. Deux recrues-Fantômes, une Mino et trois élèves de notre école sont décédés. Il y a eu une dizaine de blessés graves qui ont eu besoin d’entrer en réanimation. Une trentaine d’étudiants, tous établissements confondus, ont subi des blessures modérées à sérieuses. Alors, en tant que professeur encadrant pour l’École et membre de la famille qui est à l’origine des drames qui ont eu lieu pendant cette épreuve, je tenais à vous présenter mes plus sincères excuses.
La formule de politesse aurait pu sembler anodine, mais elle prit un accent d’une gravité désagréable dans la bouche d’Ethan. La salle ne pipa mot pendant quelques secondes. Puis, de nouveau, ces bruissements. Ces chuchotements.
Pâle sous le halo des projecteurs, Ethan se plaça au milieu de l’estrade.
— Mes excuses ne rapporteront pas les élèves qui sont morts au cours de cette épreuve ou dans les jours qui ont suivi. (Ethan hésita un instant avant de réciter les noms des adolescents qui avait péri avec une langue de plomb : ) Justin, Paula, Amira, Benjamin, Vane et Kaya ne pourront plus jamais serrer leurs amis, parents, leurs frères et sœurs dans leurs bras.
Les doigts tremblants, Ethan replaça le micro sur son pied, conclut sobrement :
— Je m’adresse à vous en tant que prof, en tant que membre de la famille qui a déclenché tout ça, mais aussi en tant que père. J’ai failli perdre mon fils pendant cette épreuve, alors je sais à quel point on ne pourra jamais compenser ce qu’ont perdu les parents de ces jeunes gens.
Avec la sensation que l’acide lui avait atteint les yeux, Ethan inclina légèrement la tête face à l’audience. Il se félicita d’avoir reposé le micro en constatant à quel point ses mains étaient moites.
— Chers élèves, j’espère de tout cœur que l’avenir que vous vous êtes choisi sera brillant. Et n’oubliez pas les camarades qui n’ont plus cette chance. Parents, je vous prie d’accepter les excuses que je réalise au nom de l’École et de la famille Sybaris. (Ethan planta un dernier regard solennel sur son public, sans trop savoir qui il regardait.) Je ne vous demande pas de pardonner pour autant.
Ses collègues et le directeur furent les premiers à applaudir. Ensuite, des grappes d’élèves dispersées dans la pièce, qu’il reconnut comme étant ceux de sa 7ème A. Puis ce fut l’ensemble de la salle de conférence. Ethan les remercia d’un hochement de tête, incertain du mérite qu’il devait en tirer. En quittant le bord de la scène, il adressa un sourire reconnaissant au directeur puis se retira dans l’arrière-salle.
M. Cross l’attendait les bras croisés sur son imposante poitrine. Ses yeux caverneux et sa bouche plissée n’auguraient rien de bon. Avant qu’Ethan puisse lui demander si son discours avait été à ce point médiocre, Manuel gronda :
— C’était pas à toi de courber l’échine, Ethan. Pas à toi d’assumer pour l’École, pour S.U.I, pour la Ghost Society et pour les foutus Sybaris. Ta responsabilité a peut-être été celle d’un prof qui a été pris de court par ce qui s’est passé, mais c’est tout. Tu n’es pas celui qui a envoyé des Fantômes expérimentés massacrer des adolescents. Tu n’es pas celui qui a organisé le projet Réseau dans un premier temps. Tu n’es pas la société qui essaie de masquer l’affaire depuis.
Trop stupéfait pour répondre, Ethan ne réagit pas lorsque son collègue traversa les mètres qui les séparaient. Fort de ses quelques centimètres supplémentaires, Manuel le saisit durement par les épaules.
— Combien de temps tu vas t’écraser pour eux, Ethan ? Tu es trop gentil, merde ! C’est ton frère qui aurait dû être là. Au minimum. Les codirigeants de S.U.I aussi. Même le directeur aurait dû présenter ses excuses au nom de l’École.
— J’y tenais, contra son collègue d’une voix douce. En mon âme et conscience.
Atterré, M. Cross le considéra avec une moue méprisante. Après quoi, il le lâcha en secouant la tête. Le dépit accumulait des rides soucieuses sur son front.
— Même des années après, tu laisses les mêmes te bouffer. Ils t’ont inculqué la culpabilité, Ethan. Et tu fais exactement ce qu’ils attendent de toi. Le loyal clébard qui secoue la queue pour se faire pardonner. Tu vas continuer de leur lécher les pieds encore longtemps ?
— Arrêtez, siffla Ethan en haussant la voix. Je n’ai pas fait ça pour les Sybaris ou pour S.U.I. Je l’ai fait pour les élèves et leurs parents. Pour moi. C’était égoïste.
— Même dans ton égoïsme, tu es adorable.
La colère obstrua la vision déjà limitée d’Ethan dans la pénombre de l’arrière-salle. Il contourna son collègue avec raideur, récupéra la bouteille abandonnée sur la caisse de rangement et s’éloigna.
— Je suis sérieux, Ethan, lança M. Cross d’un ton las, il faut que tu te dresses contre eux. Les Sybaris t’écraseront le reste de ta vie, sinon. Toi et ta famille.
— Je vous laisse, répondit son collègue d’une voix qui manquait de sa maîtrise habituelle. Donnez-moi vos leçons de moral un autre jour.
M. Cross le regarda partir sans un mot de plus. Croisa à nouveau les bras de frustration. Sous l’agacement de s’être fait clouer le bec montait l’inquiétude. Manuel n’exagérait pas en affirmant qu’Ethan avait endossé des responsabilités qui ne lui appartenaient pas. Et il craignait que ça n’ouvre qu’un chemin vers une flagellation dans laquelle s’engouffreraient des âmes moins bienveillantes qu’Ethan.

Maria patienta jusqu’à ce que l’homme qui accaparait le stand de Grace s’en aille. Son café à la main, elle lorgna les divers plats du traiteur de l’École sans grande conviction. Les émotions se bousculaient en elle. Son estomac était trop noué pour qu’elle sache si elle avait vraiment envie de ce feuilleté au fromage.
— Maria, souffla Grace en la reconnaissant sous sa casquette et ses lunettes noires. Je te sers quelque chose ?
— Un peu d’optimisme, grommela Maria en se décalant, à présent certaine qu’elle ne pouvait rien avaler. Et une bonne raison de ne pas étriper la moitié des personnes présentes.
Grace étouffa le rire qui lui chatouillait les lèvres quand des convives se présentèrent à son stand. Lorsque l’École avait lancé un appel à bénévoles quelques mois plus tôt pour l’organisation de la remise des diplômes, elle n’avait pas hésité. Sans penser qu’elle aurait alors le cœur aussi lourd. Sans se douter un instant que les épreuves physiques se termineraient aussi mal. Sans s’imaginer que son fils déclinerait l’offre d’emploi émise par S.U.I.
— Où sont les garçons ? s’étonna Grace après avoir servi un couple. On les attend depuis tout à l’heure.
— Je me demande aussi, soupira Maria avant de se tourner vers l’entrée du Centre. Je vais les chercher.
Alors qu’elle louvoyait entre des femmes aux robes colorées et des hommes aux polos de marque, Maria redressa les lunettes de soleil sur son nez. Plus par commodité avec la chaleur que par esprit esthétique, elle avait enfilé une robe crème légère. Elle se fondait plus facilement parmi les convives, même si elle doutait de partager leur gaieté. La conférence de remise des diplômes ne s’était pas déroulée comme Maria l’envisageait. Bien entendu, elle avait été émue aux larmes quand son fils avait grimpé l’estrade à la suite de ses camarades pour recevoir son diplôme et les félicitations du directeur. Évidemment, comme la plupart des parents installés à ses côtés, Maria avait filmé l’instant et pris beaucoup trop de photos.
Le discours d’Ethan lui restait malheureusement en travers de la gorge. Comme la légèreté globale qui se dégageait de cet événement. M. Scott avait eu quelques mots pour les six étudiants décédés, dont trois de son propre établissement. Mais l’École avait rapidement balayé sa poussière ensanglantée sous le tapis de la diplomatie. Et ces instructions avaient beau venir de plus haut, de l’administration de S.U.I, voire de celle de la Ghost, Maria en voulait à son compagnon d’avoir servi leurs intérêts. En étant le seul professeur à dédier son discours pour les blessés et les morts, il avait pris pour lui bien trop de responsabilités.
En découlait une reconnaissance de certains parents, mais aussi du mépris. Maria avait entendu les murmures scandalisés, vu les rictus irrités. Ethan s’était réapproprié son héritage pour justifier ses excuses et sa position. Ce faisant, il s’associait aux actes des Sybaris, à l’outrepassement qu’ils s’étaient permis lors de l’épreuve finale.
Maria savait parfaitement que ce n’était pas son intention, mais tout le monde n’avait pas la même connaissance de leur histoire familiale. Alors, au milieu des larmes de fierté pour son fils, quelques-unes avaient roulé pour l’injustice de la situation.

À quelques mètres du Centre, Maria pila avant de percuter Jim. Sans lui laisser le temps de l’interroger sur son retard, il lança d’un ton amusé :
— Maman, t’as l’air d’une espèce de faucheuse hippie qui a bu trop de café.
— Ça correspond à l’humeur, acquiesça Maria avec un rictus volontairement sinistre.
Même s’il sourit de sa réponse, sa mère devina sans mal le trouble sur son visage. L’éclat distant de son regard, l’absence des fossettes sur ses joues. De sa main libre, Maria le prit par le bras et l’entraîna à l’écart du flot des passants.
— D’abord, le câlin de félicitations.
Son fils se laissa volontiers étreindre et rendit à sa mère le baiser qu’elle déposa sur sa joue.
— Ensuite, j’ai pris à peu près deux cents photos de toi. Mais ça sera jamais assez pour te dire à quel point je suis fière. Et heureuse de te voir heureux.
Comme Jeremy esquissait un sourire gêné, Maria lui serra une main, s’enquit avec douceur :
— Et comment tu te sens, mon chéri ?
— Euh, bien. Un peu perdu. J’arrive pas à me dire que, ça y est, c’est fini. (Jeremy considéra la casquette et les lunettes, le café noir au fond du gobelet.) Mais je crois qu’on ressent la même chose, m’man. Y’a un truc qui me saoule.
— Ton père ?
Jim tressaillit avant de hocher la tête en grimaçant. Au milieu de ses camarades, invisible dans le public de la salle de conférence, le jeune homme avait pris sur lui pendant qu’Ethan expliquait son lien avec le drame de la troisième épreuve. Qu’il se serve de Jim pour appuyer ses propos l’avait plongé dans un embarras qu’il n’arrivait pas à situer entre la colère et la gratitude.
— Si j’avais su qu’il raconterait tout ça, soupira Maria en retirant ses lunettes de soleil, je l’aurais retenu par la peau des fesses.
En ricanant, Jeremy se passa une main sur le visage. À la sortie de la salle de conférence, il avait perdu quelques minutes à prendre des photos avec son groupe d’amis et à échanger des politesses avec leurs parents. Une perte de temps qui avait repoussé le moment de se positionner sur les paroles de son père.
Jim ne savait toujours pas s’il était fier de lui ou consterné.
— Tu sais où il est ? finit-il par demander à sa mère. Je crois que j’ai vu Mike passer y’a cinq minutes, mais j’étais à l’intérieur donc il m’a pas vu.
— Je ne sais pas. Et j’ai pas vu Mike non plus, s’étonna Maria en fouillant la cour à la recherche d’une tête qui dépasserait sans mal de la foule. Et toi, tu sais où je pourrais trouver Ryu ? Je tiens à féliciter mon deuxième fils.
En s’esclaffant, Jeremy lui indiqua l’entrée du Centre avant de préciser qu’il l’avait aperçu récemment avec Dimitri près des distributeurs. Pendant que sa mère s’éloignait, il lança :
— Je vais chercher Mike et papa. Je t’envoie un message si je les trouve.
Jeremy attendit que Maria lève un pouce d’approbation avant de se lancer à l’assaut de la cour. En traversant l’espace bétonné sous un soleil de plomb et au milieu d’une masse de convives, Jim regretta de ne pas avoir piqué la casquette de sa mère. Ses cheveux coiffés au gel rendaient la transpiration particulièrement désagréable.
Il repéra Michael en premier. Dressé du haut de ses presque deux mètres, il tournoyait entre les divers stands de nourriture. Il maintenait en équilibre une assiette en carton qui menaçait de déborder. Jeremy se faufila entre les parents et les élèves fraîchement diplômés qui patientaient, s’attirant quelques regards agacés.
Avec un mot d’excuse pour les personnes qu’il avait doublées, Jeremy passa un bras autour du coude de son parrain et l’entraîna à l’écart. Mike lui coula un regard dépité pendant qu’ils s’éloignaient de la zone de restauration.
— Sale gosse, t’as pas honte de traiter tes aînés comme ça ?
Sur ces paroles, Mike engouffra un petit-four croustillant. Jim lui piqua l’une des multiples bouchées qu’il avait empilées sur son assiette et fit remarquer en mâchant :
— Gomment d’as réussi à endrer, d’abord ? (Jim avala avant de poursuivre : ) Ils ont envoyé des invitations qu’aux familles.
Avec son habituel sourire mutin, Mike passa un bras autour de ses épaules et lui souffla à l’oreille :
— Mais on te l’a toujours pas dit, Jemmy ? Je suis ton père. (Comme son filleul levait les yeux au ciel, guère convaincu par l’imitation de Darth Vader, Michael soupira.) Bon, tu ressembles bizarrement à ce gars là, Ethan, mais…
— Tu sais où il est ? le coupa Jeremy en zieutant les environs malgré le bras de Mike qui lui cachait une partie de la vue.
Comme Mike secouait la tête, Jim soupira, s’extirpa de son étreinte et grimpa sur le banc le plus proche. Il dépassait Michael ainsi, ce qu’il ne manqua pas de faire remarquer en tapotant ses cheveux d’un châtain sombre.
— Si tu le trouves, lâcha Mike en grignotant un autre feuilleté, dis-lui que je dois lui parler.
Jeremy lorgna vers son parrain, émit un petit rire étranglé.
— Euh, va falloir te mettre en liste d’attente. Maman a aussi deux-trois mots à lui dire.
Perplexe, Michael lâcha son repas pour dévisager le jeune homme. Son visage se crispa.
— Jeremy, si ta mère et toi comptez lui en mettre plein la tête pour son discours, laissez tomber. Il en bave assez depuis des semaines, OK ? Je veux pas lui parler pour ça, moi.
— Oh. (Les joues du jeune homme rougirent face aux remontrances.) Je… je sais même pas ce que je veux lui dire, Mike.
L’intéressé observa son filleul avec une préoccupation teintée de peine.
— Dis-lui des choses gentilles, pour une fois, tu veux ? Tu lui as à nouveau fait prendre dix ans, Jem. Pas que toi, bien sûr. Ces fous de Sybaris, aussi. Son boulot. Il est jamais en paix. Alors, s’il te plaît, ne l’enfonce pas.
L’embarras de Jim revint au grand galop. De nouveau, ce méli-mélo de frustration, d’impuissance, de reconnaissance, de tendresse. Alors que Jeremy démêlait le sac-de-nœud qui lui alourdissait la poitrine, son parrain claqua la langue.
— Tiens, tiens, voilà mon p’tit vieux.
— Petit ? releva Ethan en les rejoignant, un vague sourire aux lèvres. C’est nouveau, ça.
— C’est factuel, souffla Mike en tapotant la tête de son ami comme Jim lui avait fait plus tôt. Même si t’es un petit grand.
Perplexe, Ethan lui adressa un regard d’incompréhension amusée. Des années qu’il n’essayait plus de tout comprendre à ce qui sortait de la bouche de Michael.
Comme Jeremy venait de descendre du banc, les traits fermés, Ethan l’interrogea :
— Ça va, mon grand ?
Le jeune homme serra les dents pour s’empêcher d’asséner que tout allait bien. C’était le raz-de-marée dans sa poitrine. La culpabilité, la colère, la confusion. Jim zieuta vers son parrain, qui hocha brièvement la tête en retour. Ses yeux argentés débordaient d’encouragement, mais aussi d’une mise en garde.
Comme Jim s’imaginait déjà en train de fuir, de mentir, il déverrouilla ses jambes et progressa d’un pas volontaire en direction de son père. Ethan haussa des sourcils surpris quand Jeremy le prit dans ses bras. Il ne tarda pourtant pas à lui rendre la pareille.
— Tu es sûr que ça va ?
Jeremy ignora la question, pressa plus fort ses bras dans le dos d’Ethan. L’idée que ce soit la première fois qu’il initie ce geste en cinq ans le mortifia. Une partie de la culpabilité venait de là. L’autre partie prenait naissance dans ce qu’il s’était imaginé asséner à son père. La hargne de le voir se rabaisser pour excuser des torts familiaux. La brûlure de l’injustice, du poids qu’il s’imposait pour préserver son éthique et ses engagements.
— Non, grogna Jim d’un ton étouffé. C’est encore à cause des Sybaris. Ils t’obligent à assumer des choses qui sont pas ta faute. Et je suis dégoûté pour toi. Tu mérites pas ça, papa. T’as été génial comme prof, t’as fait tout ton possible pour nous aider à devenir meilleurs et à réussir nos exams. T’as essayé de rattraper au mieux les conneries de la Ghost et…
— Jem, l’interrompit Ethan en levant un bras jusqu’à l’arrière de son crâne. Ne t’inquiète pas pour ça. J’ai conscience de ce que j’ai fait avec ce discours. Je sais que j’ai mis ma propre carrière en danger. Que certains parents vont sûrement faire pression sur l’École pour qu’un membre de la famille qui a provoqué cette tragédie ne reste pas prof. Je sais que j’ai joué avec ton anonymat et j’en suis désolé. Mais, maintenant que tu es diplômé, je me suis dit que ce serait moins dangereux.
Emporté par la peine, Jeremy ne trouva pas les mots. Sans le laisser échapper à son étreinte, Ethan embraya avec assurance :
— Je ne regrette pas mon discours. Et, comme je l’ai déjà dit à d’autres personnes, c’était nécessaire pour que je me sente moins coupable. Peut-être que les Sybaris m’ont incité à ressentir une culpabilité qui n’est pas la mienne, mais, au moins, elle est moins lourde maintenant.
— C’est dégueulasse, siffla Jim d’une voix de plus en plus fébrile. T’es le meilleur prof que j’ai jamais eu. J’suis fier d’être ton fils. Je veux pas que les gens s’imaginent des trucs sur toi.
Stupéfait, Ethan accueillit les paroles en pleine poitrine, où elles firent fondre les restes de doutes, des remords et de honte. Alors qu’il glissait les mains sur les épaules de son fils, Jeremy ajouta avec difficulté :
— Je t’aime, papa. J’ai juste peur pour toi.
Peu de mots lui avaient été aussi compliqués à extirper de sa gorge. Jim resta un moment figé, terrifié, mais un bruit étranglé de son père lui assura qu’il avait bien entendu. Et qu’il en était touché, à en croire la façon dont il l’étouffa à moitié contre lui.
— Je t’aime aussi, Jemmy.
Quand son père le lâcha, Jeremy inspira un grand coup. Autant pour remplir ses poumons comprimés par l’étreinte que pour juguler la vague qui montait jusqu’à son visage. Ethan le considéra avec tendresse, esquissa un sourire plus large qu’à l’accoutumée.
— Et je n’ai pas encore eu l’occasion de te le dire : félicitations pour ton diplôme. Tu peux être très fier de toi. Surtout avec tous les obstacles qu’il y a eu.
Gêné, pour d’autres raisons cette fois, Jim hocha la tête. Dans son dos, Mike vint lui asséner une claque entre les omoplates avant d’ébouriffer les cheveux que Jeremy avait vaillamment coiffés le matin même.
Comme Jim tentait vaguement de le repousser malgré la différence de carrure, son rire tonitrua dans la cour. Un bruit claquant qui finit par guider les pas de Maria jusqu’au trio. La femme considéra la scène pendant quelques secondes, soupira en souriant. Après avoir félicité Ryu, elle était retournée à la recherche de son fils.
Ethan l’aperçut en premier, lui fit signe d’approcher. Les velléités de Maria s’envolèrent alors qu’elle réduisait la distance avec lui. Des semaines qu’elle ne l’avait pas vu sourire ainsi, ses yeux ambrés remplis par la lumière de midi. Elle vint glisser la main dans la sienne, lui murmura :
— Ton discours était très courageux. Mais il m’a fait beaucoup de peine pour toi.
— Tu es la deuxième à le dire, fit remarquer Ethan d’un air las. Mais ne t’en fais pas.
— Si je mets la main sur ton abruti de frère, sur ta tarée de mère ou ton psychopathe d’oncle, tu m’en voudras pas si je leur en colle une quand même, pour la forme ?
Un rire franc s’échappa de ses lèvres pendant que Mike et Jim se chamaillaient toujours. Ethan haussa les épaules sans quitter son ami et son fils des yeux. Dans les coins de son sourire tranquille reposait un soupçon de satisfaction.
— Si ça peut te soulager… et je ne pense pas que je m’y opposerai quoi qu’il en soit.
— Bon, tu me rassures. (Elle cala la tête contre son épaule, sourit de la scène qui se déroulait sous leurs nez.) J’ai dit à Jem que j’étais très fière de lui, mais c’est aussi valable pour toi. Tu étais déjà un homme drôlement touchant quand on se fréquentait plus jeunes, mais tu es devenu quelqu’un de vraiment bien, Ethan. Je suis heureuse que tu sois le père de mes enfants. Et que tu m’aies laissé une deuxième chance.
— Tu m’en as laissé une aussi, souffla Ethan en pressant le front contre sa tempe. Alors la reconnaissance est à double sens.
Pendant que leurs visages se rapprochaient pour échanger un baiser, une imitation de quelqu’un en train de vomir ne tarda pas à les séparer. Jim leur adressa après coup un sourire très satisfait.
— Je sais que vous êtes officiellement de nouveau ensemble, mais ça reste franchement dégueux.
— Bon sang, Jim, grogna Maria sans s’éloigner de son compagnon, tu as dix-huit ans.
Sans prendre la peine de répondre, Jeremy leur tourna le dos pour rattraper Michael qui s’éloignait avec son assiette vide de mets. Ethan et Maria en profitèrent pour reprendre ce qu’ils avaient laissé en suspens.



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Dernière modification par louji le ven. 20 sept., 2024 2:09 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: S.U.I - Special Units of Intervention [Young Adult / Contemporain / Action]

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Et voilà officiellement la fin du T2 ✨ Je vais pas en dire trop ici, j'ai prévu un post juste après pour poser quelques questions comme j'avais pu le faire avec le T1. En attendant, j'espère que ce T2 vous aura plu =)


- Chapitre 67 -



Samedi 16 août 2025, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.


La chambre presque vide de Ryusuke créait une drôle d’atmosphère. Calé contre le chambranle, Jim observait son ami tourner en rond dans la pièce. Ryu vérifiait qu’il n’avait rien oublié d’important. Les chargeurs, les livres de poche, quelques polaroids que lui avait laissé Thalia, des souvenirs du lycée. Ses vêtements et ses affaires de toilette étaient déjà prêts depuis la veille, soigneusement rangés dans une imposante valise et quelques sacs de sport.
Ryu partait le lendemain pour San Francisco, où son père l’aiderait à prendre possession de son appartement étudiant en colocation. Comme Dimitri était à peu près aussi stressé que le jeune homme, il avait préféré quitter l’appartement le temps que Ryusuke finalise les préparatifs en compagnie de Jim.
Mais quand Jeremy était arrivé, la chambre était quasiment vide, bien rangée et nettoyée. Le besoin d’anticipation de Ryusuke l’avait fait travailler des jours auparavant pour préparer au mieux son départ. La présence de Jim relevait plus du soutien moral que de l’aide pratique.
— Ryu, souffla son ami en se décollant de l’encadrement de porte, tu veux boire un truc ?
— Ouais, pourquoi pas. (Ryusuke fit un geste vague vers la cuisine.) Y’a des canettes de soda au frigo.
Soulagé à l’idée d’une boisson fraîche pour contrer la chaleur étouffante qui s’était abattue sur Modros, Jim traversa le séjour d’un pas rapide. Il décapsula sa canette, en avala plusieurs gorgées puis apporta la sienne à Ryusuke. Son ami se laissa tomber au bord du matelas nu, passa la canette froide sur sa nuque. Il avait beau avoir relevé ses cheveux pour avoir moins chaud, sa peau était déjà moite de sueur. Les allers-retours nerveux qu’il enchaînait dans l’appartement n’y étaient pas non plus étrangers.
Jim finit par le rejoindre au bord du lit. L’image d’eux deux assis dans une chambre à peine meublée, suspendus entre deux étapes de vie, le projeta cinq ans en arrière. Au mois de septembre 2020, quand Edward avait fait enlever sa mère et sa sœur, que l’oncle de Ryu venait de mourir, et que les garçons avaient intégré le programme de recrutement de S.U.I.
— Je me sens tellement bizarre, se confia Ryusuke après quelques secondes. J’arrive pas trop à y croire. Demain soir, je dors dans une chambre près du campus de Stanford, avec des coloc’ que je connais pas encore.
— Sûrement beaucoup moins cools que moi, en plus.
Ryu ricana, se redressa en vidant la moitié de sa canette d’une traite. Même si Jeremy s’était montré compréhensif et conciliant à l’annonce du départ de son ami, Ryu se doutait de sa déception latente. Pendant des mois, ils avaient échafaudé des plans pour vivre en colocation après l’École, s’imaginant déjà la répartition des tâches et de l’intendance.
— Je te ferai un topo demain soir, souffla Ryu en coulant un regard amusé vers son ami. Je te dirai s’ils sont aussi bordéliques que toi.
— Eh, je me soigne, protesta Jeremy en faisant la moue. En plus, pas la choix, on va être quatre à l’appart bientôt. Je pourrais plus laisser traîner mes affaires.
— T’es content, d’ailleurs ?
— Je sais pas trop... Oui, j’imagine. J’ai juste peur que ce soit gênant.
— Ton père et ta mère ensemble, c’est sûr que c’est très gênant.
Jim lui adressa une grimace avant de grimper sur le matelas pour s’adosser à la tête de lit.
— C’est pas de les voir ensemble, même si ça reste un chouïa répugnant. (Comme Ryusuke levait les yeux au plafond, Jeremy ajouta : ) C’est surtout l’idée d’être quatre… tous ensemble. J’entendrai plus mes parents dire « Tu demanderas à ton père, slash, à ta mère ».
Avec un sourire, Ryu monta une jambe sur le lit pour se positionner en face de son ami.
— Vous avez eu un aperçu cet été, de toute façon. Vous avez passé deux semaines ensemble à voyager.
Jeremy acquiesça en tapotant ses genoux avec ses doigts. Sur une suggestion de Maria, ils étaient partis en famille en Italie. Pour Ethan et ses enfants, c’était leur première fois en Europe. Fière de ses origines et de ses connaissances, Maria avait été intenable pendant qu’ils traversaient l’Italie des lacs du Nord au Vatican à Rome. Si Thalia et Jim n’avaient pas été trop perturbés par la culture, baignés dedans par le biais de leur mère, Ethan s’était confronté à la barrière de la langue et aux tendres moqueries de ses proches sur les différences de mœurs.
— C’était super cool, reconnut-il après coup. Mais on était en vacances, l’esprit est pas le même.
Ryusuke hocha la tête et, face à la moue soucieuse de son ami, il se pencha pour lui presser le genou. La lueur de reconnaissance dans les yeux dépareillés de Jim ne le lassait jamais.
— Ça va le faire, Jimmy. Et puis si t’en peux plus, tu m’appelles.
— Ça vaut pour toi aussi, assura son ami avant de bondir hors du lit. Oh merde, j’ai failli oublier.
Sans une explication, Jim se précipita dans le séjour. Il en revint quelques secondes plus tard avec un sachet en velours dans la main. Ryu hésita un instant quand Jeremy le tendit vers lui.
— Un cadeau ? En quel honneur ?
— En ton honneur.
L’explication faiblarde tira un rire moqueur à Ryu, qui accepta malgré tout le présent. Sous le regard d’appréhension de Jim, il tira sur les liens qui fermaient la pochette et en fit tomber un rectangle de papier de soie rouge.
— C’est pas moi qui ai fait l’emballage, crut bon de préciser Jeremy avec embarras.
— Je m’en suis douté, le punk.
Jim se renfrogna pendant que les doigts graciles de son ami dépliaient soigneusement la protection. Du cœur de soie cramoisie, il tira un bracelet de cuir noir qui ceignait un dragon stylisé d’inspiration asiatique. Sa couleur argentée mettait en valeur l’œil rubis et les reflets orangés sur ses écailles.
— Bordel, lâcha Ryusuke dans une familiarité inhabituelle. C’est trop beau, merci. Mais, Jim, espèce de dingue, combien t’as pay…
— « Ryū » c’est le kanji du dragon, hein ? le coupa son ami avec un large sourire. J’espère que tu trouves pas ça cliché.
Son ami soupira, passa le pouce sur les détails du pendentif. La boule qui lui obstruait la gorge ne trouvait pas ça cliché. Elle grossissait de reconnaissance et d’affection.
— Donc t’écoutais bien en cours de japonais ? se contenta de marmonner Ryusuke en déverrouillant le fermoir. Tu veux bien me l’attacher ?
— Évidemment que j’écoutais, grommela Jeremy en s’exécutant. J’arrive presque à discuter avec toi, maintenant.
Ryusuke l’enveloppa d’un regard tendre avant de retourner à la contemplation du bracelet. Le noir et les couleurs chaudes ressortaient particulièrement sur sa carnation pâle.
— Au moins, t’as un souvenir de moi, souffla Jim en repliant les mains contre son ventre.
— Je risquais pas de t’oublier quoi qu’il en soit, répliqua Ryu d’une voix légère. Mais je vais jamais l’enlever, maintenant.
Comme Jeremy souriait de plus belle, Ryu passa un bras à l’arrière de ses épaules et l’attira contre lui. Jim rouvrit les bras pour lui rendre l’étreinte. Le dragon de métal mordit la peau dénudée par les manches courtes de son t-shirt. Il grava cette sensation dans un coin de son esprit, tout comme le bruit de la respiration paisible de Ryu, et la promesse que la distance n’effriterait pas leur relation.
— Je t’aime, imbécile de punk, murmura Ryusuke, comme s’il craignait que le silence de l’appartement avale ses paroles.
— Moi aussi, sale intello. (Jim cassa l’étreinte pour considérer son ami avec un rictus dépité.) Tu vas me manquer.
— Toi aussi. Beaucoup. (En tournant le poignet, la lumière étincela sur le bracelet-dragon de Ryu.) Et merci encore.
Cette fois, ce sont dans les yeux de Ryusuke que les larmes se présentèrent en premier. Jeremy ne put s’empêcher de rire, tendit le bras vers la boîte à mouchoirs qui trônait sur la table de chevet et la tendit à son ami. Ils finirent par se moucher de concert.

Rebecca touillait nerveusement son cocktail à base de limonade et de jus de fruits exotiques. Seule dans l’un des boxes du Farfalla, le bar-restaurant où son cousin lui avait donné rendez-vous, elle observait les va-et-vient de la clientèle et des serveurs. L’un d’eux avait flirté ouvertement avec elle avant que Rebecca lui annonce sans détour qu’elle n’était pas de son bord.
Par les larges fenêtres qui donnaient sur le parking du restaurant, la nuit était piquetée d’un millier de lumières. Cette absence perpétuelle d’obscurité perturbait Rebecca. Elle avait grandi dans un plain-pied au milieu des champs puis dans le siège social de la Ghost, planté dans la nature d’un parc national. L’idée que les habitants de Modros ne connaissent pas la voie lactée, les constellations et le halo blafard d’une pleine lune la peinait.
Lasse du retard de Jeremy, elle était à deux doigts de l’inonder de messages quand un homme d’une soixantaine d’années se pencha sur sa table. Avant qu’il ait pu se présenter, les fossettes qui creusèrent ses joues indiquèrent à Rebecca un lien familial indéniable.
— Bonsoir, Rebecca, je présume ? (Comme elle hochait la tête, il lui tendit la main.) Antonio Amati, je suis le grand-oncle de Jeremy. Il m’a dit que vous aviez rendez-vous.
— Enchantée, avança Rebecca en lui rendait la poignée de main. Vous avez le même sourire.
— Et vous avez à peu près tout le reste en commun, riposta Antonio avant de rire de l’expression désemparée de Becca. C’est comme ça que je vous ai repérée. J’ai eu l’impression de le voir en fille avec des cheveux bruns.
Un sourire ne tarda pas à ourler les lèvres de la jeune femme. Plus les années passaient, plus on lui faisait remarquer sa ressemblance avec son cousin.
— La boisson vous plaît ? (Comme elle acquiesçait en faisant tournoyer la paille dedans, Antonio ajouta plus bas : ) Désolé pour Archer. C’est un gros lourd.
— Vous inquiétez pas. Je lui ai dit que je m’intéressais pas aux hommes, de toute façon.
— Oh, vous aussi ? (Comme Rebecca le lorgnait d’un air perplexe, il rit.) Enfin, je veux dire, je ne m’intéresse pas du tout aux femmes pour ma part.
La compréhension éclaira le regard de la jeune femme. Avant d’avoir pu répondre, une tornade à l’apparence de son cousin s’échoua sur la table. Il avait dû arriver à pied ou à vélo, car ses cheveux partaient en tous sens et ses joues avaient rougi de l’effort.
— Salut, Becca, amorça-t-il avec un large sourire. Salut, Antonio.
— Bonsoir, Jeremy. Ta mère ne t’a pas appris la galanterie ? Tu fais attendre les femmes ?
Un masque vexé se peignit sur son visage alors qu’il déposait son sac-à-dos sur la table. En fuyant le regard réprobateur de son grand-oncle, il marmonna :
— Désolé, Becca, j’ai pris plus de temps que prévu pour venir.
— C’est pas grave, je discutais juste de la façon de t’assassiner avec M. Amati.
Antonio partit d’un grand éclat de rire, déstabilisé par le ton pince-sans-rire de la jeune femme. Il tapota l’épaule de son petit-neveu dans un geste compatissant avant de retourner à son travail.
— Je te cherchais un cadeau, marmonna Jim en se laissant tomber face à elle. C’est pour ça que j’ai tardé.
— Je t’embêtais, t’inquiète pas.
Avec des étincelles dans les yeux, Jeremy dézippa son sac et en extirpa une boîte rectangulaire au papier décoratif couvert de chats.
— J’ai pas pris le temps de faire ton cadeau d’anniversaire, expliqua le jeune homme en poussant le présent vers sa cousine. Alors bon anniversaire en retard de quatre mois.
— On avait d’autres chats à fouetter, le rassura Rebecca en considérant la boîte. Ou… à déchirer.
Elle craqua le papier cadeau sans une once de remords. À l’intérieur de la boîte reposaient des pinceaux et des tubes de peinture pour l’aquarelle, accompagnés d’un livret explicatif à destination des débutants.
— Tu m’as dit que t’avais encore jamais essayé l’aquarelle, j’espère que c’est toujours le cas ?
— Oui, confirma Rebecca en extirpant le guide avec un sourire satisfait. En plus, avec le boulot, je peins presque plus. Merci beaucoup, ça va me remotiver.
Soulagé que son cadeau fasse mouche, Jim s’accouda à la table, le menton posé dans sa paume, pendant que sa cousine inspectait chaque objet avec minutie. Une fois qu’elle eut tout remis en place, Rebecca s’éclaircit la gorge et annonça :
— J’ai dit à mon père que je levais le pied pour le boulot. Déjà deux ans que je bosse comme Fantôme, j’ai mis pas mal de côté. J’ai commencé à regarder des formations dans l’art-thérapie et l’équithérapie. Y’a des trucs intéressants en Californie.
— C’est génial, s’exclama Jeremy avant de s’enquérir avec autant de hâte : tu quittes le Nevada, du coup ?
— Eh bien… oui, je pense. Ça va me faire du bien d’être loin de la famille.
— C’est clair, pouffa Jim avant de taper du plat de la main sur la table. Oh, Becca, si tu trouves une formation dans le coin, tu passes me voir le plus souvent possible, hein ?
— Mais oui, gros naze, soupira Rebecca avec une lueur amusée dans ses yeux ambrés. Au fait, la prochaine fois que tu donnes mon contact à l’une de tes amies, tu me préviens.
Le visage de Jeremy vira au rouge sous le halo doré des suspensions industrielles. Il se tordit les doigts, bafouilla plusieurs débuts de phrase sans être capable d’en former une seule de correct. Rebecca ricana tout bas avant de compléter sans brusquerie :
— Je sais que tu pensais pas à mal et ton amie Tess est super. Mais je veux pas m’engager dans une relation maintenant. Je suis pas encore assez stable pour ça.
— Je comprends, souffla Jeremy avec une grimace coupable. Désolé. Encore une fois.
— Ça va, t’es facile à pardonner, répondit sa cousine avec un sourire moins narquois.
Son sourire se dissipa alors que son regard se perdait dans la salle du restaurant, au-dessus de l’épaule de Jim. Intrigué, Jeremy se retourna, fouilla la clientèle à la recherche de ce qui avait pu crisper sa cousine.
— La blonde là-bas, lui indiqua Rebecca d’un coup de menton. Au bar, avec la fille aux cheveux violets.
Jim conserva le silence jusqu’à trouver les deux jeunes femmes en question. Installées au comptoir du Farfalla, elles patientaient le temps qu’Archer termine sa commande auprès d’autres clients.
— Je crois que je la reconnais, ajouta Rebecca d’un air sombre. Ivana Costello. Je l’ai vue y’a quelques années… bah, à la soirée où tu t’es échappé.
Comme Jeremy plaquait une main sur ses lèvres, Becca fronça les sourcils.
— Il y a un problème ? Nos relations avec la Costello Corporation sont plutôt stables. Pour la Ghost, en tout cas. Ça a empiré du côté de S.U.I. ?
— N-Non, bafouilla Jim, qui hésitait entre piquer un fou rire et se cacher sous la table.
Archer finit par se rapprocher des jeunes femmes. Jim ne quitta pas le trio des yeux et manqua hoqueter quand son collègue pointa les doigts dans sa direction. Ivana, accompagnée de son amie Gwen, vira vers eux. De loin, Jeremy reconnut la façon dont sa bouche et ses sourcils s’arquaient sous le coup de la surprise.
— Oups, fit Rebecca sans avoir l’air inquiète pour un sou. Le barman qui m’a dragué comme un gros lourd trouve en plus le moyen de nous exposer comme ça ?
— Archie ? s’étrangla Jeremy en se tournant de nouveau vers sa cousine. Il t’a draguée ? Oh, le sale con.
Rebecca balaya d’un geste de la main le sujet avant de froncer le nez. Son regard avait retrouvé son habituel éclat acéré.
— La petite prodige des Costello arrive. Tu crois qu’elle nous a reconnus ?
Tout le corps de Jim se figea alors que les talons d’Ivana claquaient dans son dos. Il n’aurait jamais imaginé que sa petite-amie se rende ce soir-là au Farfalla pour une soirée entre copines. Il avait déjà mentionné Rebecca à Iva, surtout pour raconter son séjour à la Ghost, sans vraiment s’attarder sur la relation qu’ils avaient pérennisée.
— Bonsoir, lança Ivana en s’arrêtant à leur hauteur. Rebecca Sybaris, enchantée de te revoir après tout ce temps.
L’intéressée haussa les sourcils, mais ne fit pas mine de répondre à la main qu’elle lui tendait. Comme Jim gardait le nez baissé, Becca plissa les yeux, les considéra tour à tour. Après quoi, tandis qu’Iva laissait retomber son bras, elle marmonna :
— Jeremy, tu m’expliques ?
— Plus maligne que toi, souffla Ivana en se retenant de rire, les yeux baissés vers son copain.
— Roh, ça va, grommela Jim d’un ton bougon. Bon, Iva, je pensais pas te voir là ce soir. Sinon, je t’aurais invitée, bien entendu.
— Oh, t’en fais pas, je suis entre copines, je voulais pas de ton petit nez par ici, répliqua Ivana en lui posant une main sur l’épaule dans un geste tendre.
— Et, Becca, ajouta Jeremy en confrontant le regard consterné de la jeune femme, euh… eh bien… avec Iva, on…
— On sort ensemble, compléta Ivana, de crainte que Jim ne parvienne jamais à la conclusion.
Rebecca ne sembla y croire que lorsqu’ils pressèrent leurs mains l’une dans l’autre. Ses traits affichèrent tour à tour stupéfaction, scepticisme puis perplexité.
— Euh… félicitations ? (Becca dévisagea son cousin avant de faire remarquer d’un ton dubitatif : ) Y’a des milliers de filles qui vivent à Modros et tu as vraiment craqué pour la petite-fille de l’ancienne rivale de notre grand-mère ?
Pendant que le visage de Jeremy grimaçait, Iva s’esclaffa. Il lui avait fallu quelques mois pour que la méfiance instinctive qui la prenait à la mention des Sybaris s’apaise. Jeremy lui avait fait un topo de sa situation familiale et, surtout, des personnes à qui il faisait confiance. Bien que Rebecca en ait fait tout de suite partie, Ivana ne comprenait l’ampleur de cette affection mutuelle qu’à l’instant.
Elle fit signe à Gwen de patienter encore quelques instants.
— Ça vous dérange, si on s’assoit avec vous ? (Comme Rebecca et Jim niaient de la tête, un sourire rayonna sur le visage d’Ivana.) J’ai super envie de faire connaissance.
— Je dois reconnaître que je suis curieuse aussi, souffla Becca en refermant les doigts sur son cocktail. Ton gros naze de copain m’a caché ça tout le long. Pourtant, il pas très doué pour ça, d’habitude.
Gêné, Jeremy préféra garder le silence. La crainte qu’un mauvais courant s’installe entre les jeunes femmes se dilua alors qu’Iva et son amie tiraient des chaises vers leur table. Le masque froid dont se parait habituellement Becca était tombé. Les yeux vifs d’Ivana ne la disséquaient pas à la recherche de la moindre faille à enfoncer.
Elles se dévoraient mutuellement de curiosité, de respect pour la position de chacune. Alors, accoudé à un coin de la table, Jeremy les observa faire connaissance avec l’ombre d’un sourire.



Si vous vous demandiez d'où vient le bracelet de Ryu sur cette illustration, maintenant vous savez 🥹
louji

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Message par louji »

- Mot de la fin et petites questions -



Nous y voilà 🥹
Je suis à la fois excitée et un peu intimidée à chaque fois que je rédige un mot de la fin par ici. C'est pas le 1er, ce sera sûrement pas le dernier, mais pour peu qu'il y ait au moins une personne qui lise ceci, je me dis que ça vaut le coup !

Je vais pas trop m'éterniser, en réalité cette publication du T2 sur le forum a été assez calme. Je remercie tout de même Sasa et Sarah pour leurs retours sur cette histoire et les autres personnes qui ont pu intervenir de près ou de loin. Et encore merci Sasa pour le nom du groupe Wyatt ✨
L'écriture a pas été simple, ça m'a bien pris 2 ans à pondre les 200k mots du T2 et à jongler entre les différentes phases de ce tome. Il a été très différent du T1 et le T3 sera dans une autre veine encore. C'est à la fois la force et le danger avec un récit aussi initiatique je pense ! Surtout qu'il s'écoule quand même 3 ans dans ce tome, donc fallait amener la progression des personnages avec subtilité sans y passer 1 million de mots quoi... M'enfin, je vous ai réservé un questionnaire juste après pour recueillir vos impressions justement !
Brefouille, j'espère que ce T2 vous a plu dans sa globalité (sinon tant pis :lol: ), peut-être que des personnes viendront lire la suite plus tard (en 🤞 pour que le forum existe toujours mdr). La fin est hyper différente de celle du T1, on pourrait presque croire à une conclusion, mais, promis, le T3 sera sympa (j'espère 🫠). Mais comme ce T3 rattaque 3 ans après la fin du T2, je pouvais pas jouer sur les mêmes codes :roll:

Et, maintenant, si vous êtes arrivés jusqu'ici et que vous avez 5 min à me consacrer, j'ai quelques questions pour vous 🫡
Pour le T1, j'avais posé plusieurs questions pour recueillir les impressions après lecture et pour savoir quelles étaient les attentes pour la suite. Et bien là, c'est tout pareil, mais à remplir sur une questionnaire en ligne anonyme : lien du questionnaire.
Comme j'ai remarqué qu'il y a beaucoup d'invités sur le forum (dont certains lisent peut-être cette histoire), mais que les invités ne peuvent pas commenter, je me permets de contourner le problème avec cette solution. Et c'est tout à fait anonyme au cas où !
Vos retours me feront hyper plaisir 🥰

Pour rappel, je reviens sous peu avec les chapitres bonus du T2 ! D'ici là, la bisouille.
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