Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

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LectriceDeBouquin

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par LectriceDeBouquin »

vampiredelivres a écrit : dim. 19 nov., 2023 3:59 pm
LectriceDeBouquin a écrit : mar. 07 nov., 2023 4:27 pm Bonjour,

Désolé je n'ai pas de commentaire pour ce dernier tome en cours, mais je me demandais si un pdf du tome 2 existe ? J'ai adoré le premier, et je souhaiterais lire le second. Il est disponible sur le forum mais cela est moins confortable que la liseuse, et nécessite une connexion internet.

En tout cas, bravo pour ce travail et univers riche. Cette lecture était clairement ma favorite depuis pas mal de temps.

Merci :)
Hello !
Désolée pour le temps de réponse, mais la version PDF va arriver sous peu, juste le temps que je fasse un peu de formatage.
En tout cas, merci pour ta lecture, j'espère que la suite te plaira également.
Je te tiens au courant dès que je poste le PDF ^^
Merci pour la réponse, hâte de lire ça !
TcmA

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par TcmA »

Hiello,

Bwahaha, Drama Lily nous avait manqué !
Elle m'a bien fait rire (par contre Ekrest me tape sur le système, son ombre est assez étouffante :v)

Allez, "vecteur du chaos" (très stylé au passage), j'ai hâte de voir ce qu'elle va nous faire.

La bise~
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

Hopla ~

Petite annonce pour dire que LCDS 2 est dispo en PDF pour les lectures/relectures :)
Tout retour, que ce soit fond ou forme, est évidemment toujours le bienvenu ♡

Merci !
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

TcmA a écrit : dim. 26 nov., 2023 10:50 am Hiello,

Bwahaha, Drama Lily nous avait manqué !
Elle m'a bien fait rire (par contre Ekrest me tape sur le système, son ombre est assez étouffante :v)

Allez, "vecteur du chaos" (très stylé au passage), j'ai hâte de voir ce qu'elle va nous faire.

La bise~
Hiello ~
Drama-Lily is back, prête à créer des catastrophes :mrgreen:
Ouais, l'ombre d'Ekrest est un peu omniprésente. Elle l'a toujours été, mais c'est marrant que maintenant elle te paraisse étouffante… Quelques rancœurs je suppose ? :lol:
Merci de ton passage ♡
TcmA

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par TcmA »

vampiredelivres a écrit : mer. 29 nov., 2023 9:23 pm Hiello ~
Drama-Lily is back, prête à créer des catastrophes :mrgreen:
Ouais, l'ombre d'Ekrest est un peu omniprésente. Elle l'a toujours été, mais c'est marrant que maintenant elle te paraisse étouffante… Quelques rancœurs je suppose ? :lol:
Merci de ton passage ♡

Moi ? Des rancoeurs ? Bwarf, si peu...
Oui, son ombre a toujours été là, mais j'ai eu l'impression que Lily s'en détachait un peu, avec la fin du T2. C'est pour ça que l'avoir de nouveau dans la face à tendance à m'irriter hehehe.

La bise~
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 5


Durant quelques secondes, il ne répondit rien, se contentant de me dévisager et de me jauger de la tête aux pieds, et sa rage sembla graduellement décroître alors qu’il encaissait les chocs successifs. Lorsqu’il se redressa, il semblait soudain bien plus calme, bien plus disposé à collaborer. Encore une fois, le fait d’être une Thor – au moins partiellement – m’offrait des avantages que je n’aurais jamais escompté avoir.
— Je suppose que… grommela-t-il de mauvaise grâce, si c’est la volonté du grand Æsir lui-même…
— Je pense qu’il n’avait pas prévu que j’exerce du chantage sur un artisan émérite comme vous, admis-je avec un bref rire, mais il m’a donné lui-même les moyens d’appliquer des méthodes moins conventionnelles. Et je sais que vous n’appréciez pas un contrat aussi restrictif que celui-ci, mais j’essaierai au mieux de ne pas impacter votre travail dans cette ville. J’aurai juste besoin de quelques… informations, le temps de mon séjour ici.
Le souvenir d’Arshina me revint en tête, et je me permis un bref rictus.
— Mais avant même cela, Maître Veiri, souris-je en simulant une salutation moqueuse, je vous passe ma première commande. J’en aurai besoin dès que possible. Et, évidemment, elle requiert le plus grand des secrets.
— Bien sûr, princesse de foudre, grinça-t-il avec une intonation moqueuse. Surprenez-moi. Que puis-je donc faire pour vous ?
— Répéter l’enchantement des Järngreipr. C’est Thor qui me l’a recommandé lorsqu’il a fait de moi une sang-mêlée.
La mâchoire du nain se décrocha, et je fus stupéfaite qu’elle descende aussi bas. Je les avais pourtant vus ingurgiter des masses informes de nourriture au banquet, mais je m’étonnais toujours autant qu’ils soient capable d’ouvrir sur une telle hauteur. Il accusa le coup avec une violence que je n’aurais jamais imaginée, finit par s’ébrouer avec un frisson, une nouvelle flamme dans le regard. Sa haine était toujours là, sa rage de s’être fait piéger avait été ternie par la défaite, mais l’éclat du défi était comme un feu-follet dans sa prunelle couleur terre.
— Mais vous auriez pu commencer par là, espèce de sauvage ! Vous m’auriez acquis à votre cause sans même avoir à vous battre ! C’est le rêve de tout artisan que de refaire une pièce de maître !
Il recula, reprit la lame que je lui offrais, poignée en avant, et il l’utilisa comme miroir pour observer son visage défiguré.
— Mmhm… Je suppose qu’il faudra que je trouve une excuse pour expliquer ce petit… incident ?
— Et une bonne excuse même, insistai-je.
— Ça passera dans un accident de travail.
Ça existe ici aussi, ça ? relevai-je, surprise. Au moins, ça ne me dépaysait pas de Midgard.
— Je vous laisserai vous débrouiller pour être convaincant, finis-je par éluder.
— Bien sûr. Par contre, il y aura quelques conditions pour l’enchantement des Järngreipr.
Je lui adressai une œillade sévère, et il leva les mains vers le plafond en signe d’innocence.
— Promis, ce ne sont pas des contraintes que je vous inflige par simple mauvaise volonté, elles sont réellement nécessaires.
— Dites-moi, relevai-je, curieuse.
— Vous ne direz jamais qui vous les a forgés.
Je n’eus pas le temps de cacher ma surprise, elle transparut trop vite. Avais-je sur-interprété ? N’était-ce pas l’orgueil et la reconnaissance qui le guidaient ? Ou y avait-il autre chose, un désir plus profond, une blessure cachée ?
— Je… je ne m’y attendais pas… mais d’accord.
— À personne, et j’insiste. C’est un secret de famille. Les régulateurs de magie sont prohibés, d’autant plus lorsque, comme celui-ci, ils servent aussi d’amplificateur pour leur utilisateur.
La remarque fit émerger à la surface de mes souvenirs un fragment de conversation datant d’une période où j’étais encore en train de vadrouiller avec Åke, et je haussai un sourcil :
— Et si… si la puissance naturelle de l’utilisateur est amenée à évoluer ?
— Le taux de flux magique d’une personne est fixe.
— Oui mais…
À son tour, Veiri fronça les sourcils dans ma direction.
— Que sous-entendez-vous par là ?
Je me mordis les lèvres. D’après Åke, notre flux était lié à celui de Loki de part notre statut de Consacrés. Et étant donné que celui de notre père était bridé par son emprisonnement, le nôtre l’était aussi. Nous partagions sa puissance comme ses contraintes.
— Je… présuppose quelque chose qui pourrait arriver.
Veiri gratta le sommet de son crâne chevelu avec un rictus nerveux.
— Ce n’est pas censé être possible.
— Je sais.
À mon ton fermé, il sembla comprendre que je taisais des informations essentielles et que je savais au moins que ce que je disais n’était pas une totale absurdité. Et pour cause, j’avais déjà partagé la puissance de Loki. J’avais lié mon énergie à la sienne, appelé son esprit dans mon corps, offert mon enveloppe physique comme vaisseau pour sa magie. J’avais ressenti le lien.
Mais je ne pouvais pas me permettre d’invoquer mon père. Pas ici, pas avec tout ce qu’il pourrait faire comme dommages. Pas en mettant la ceinture de force de Thor à sa disposition. Si j’avais compris une chose en communiquant avec lui, en partageant mon esprit avec le sien, c’était qu’il ne reculerait devant rien pour amener le chaos, la mort et la destruction. Il était prêt à tout détruire et à tuer tout le monde. J’étais certainement la seule exception parce que je lui servais de point d’ancrage dans le monde libre où il ne pouvait pas se manifester habituellement.
Et dire que j’œuvre avec Levi à le libérer…
— Bon. Faisons avec ce que j’ai actuellement comme puissance, décidai-je. Vous m’avez parlé de conditions au pluriel ?
Le dvergr me lança le regard sceptique mais résigné de celui qui savait que je ne lui disais pas tout, mais reprit malgré tout :
— Il faudra que je teste votre puissance. Suivez-moi.
Sous mon œil vigilant, il reprit son laser, fit remonter le pan de mur qui nous avait complètement isolés du reste du monde, et me refit traverser l’intégralité de la salle, abandonnant la forge qui s’auto-entretenait et quelques traces de sang derrière lui. Nous retraversâmes ensemble les couloirs qui nous avaient amenés à l’atelier privé des fils d’Ivaldi.
— Vous voulez m’évaluer maintenant ? interrogeai-je soudain, comprenant vers quoi il m’amenait.
Il approuva d’un hochement de tête.
— Il faudrait que je me mette au travail au plus vite.
— Vous n’avez pas intérêt à me faire de coup foireux, prévins-je d’un ton imperceptiblement menaçant.
Levant la tête vers moi, il se fendit d’un sourire narquois.
— Je n’oserais pas, Ma Dame. C’est uniquement dans le cadre du processus d’évaluation. Par contre, je vais faire prévenir messire Hamershot que vous serez dans les vapes quelques temps après, pour qu’il ne s’inquiète pas.
Je fronçai un sourcil, et il compléta avec une grimace :
— Il faudra que vous vous vidiez de toute votre puissance pour que j’aie une idée de ce que je dois brider. Comme Draupnir, Skidbladnir ou Gullinbursti, les Järngreipr sont des objets uniques, ajustés à leur propriétaire. Je ne peux pas simplement les imiter, je dois les créer en ayant en tête la spécificité de votre magie. Combien de puissance je dois insuffler pour la brider. Donc où se situe votre limite.
Il s’arrêta devant un pan de mur aussi lisse que tous les autres, tapota dessus. La porte – car c’était évidemment une porte dissimulée – coulissa dans le silence le plus total, dévoilant une jolie pièce éclairée de flammes orangées. Elles dansaient dans de hauts braséros de bronze, leur éclat se mêlant à celui de l’havis qui veinait les murs, et qui par une étrange réaction chimique brillait ici en orange plutôt qu’en bleu, comme partout ailleurs. Une console de commandes avait été incrustée dans un plan de travail de pierre, juste en-dessous d’une vitre transparente qui donnait sur une salle attenante, nue et vide.
— Je vais vous demander de passer de l’autre côté, m’indiqua-t-il en ouvrant une autre porte.
Je m’exécutai sans broncher, tournai sur moi-même à la recherche d’une indication sur le rôle de cette pièce. Il y faisait un peu frais, par rapport à celle que je venais de quitter, et une légère odeur de détergent flottait dans l’air.
— Qu’y a-t-il ici ?
— C’est une salle de tests. Des senseurs incorporés dans les murs…
Il désigna les parois vierges et froides.
— … servent à mesurer la puissance magique émise par un objet. Ou par une personne, ajouta-t-il en me souriant.
D’un tapotement sur son stylet, il projeta devant lui un hologramme, et tapa un bref message qu’il expédia à une personne que j’identifiai comme Miri de par le nom de famille. Puis, il en écrivit un autre à Keirv, et se tourna à nouveau vers moi :
— J’ai prévenu sire Hamershot que nous allons procéder à des tests magiques et que vous serez fatiguée.
Je grimaçai, et il haussa un sourcil.
— C’est un problème, Ma Dame ?
— C’est à dire que… je ne m’attendais pas nécessairement à m’évanouir de surcharge magique dès ma première visite.
— Promis, je vous ferai visiter en long, en large et en travers quand vous reviendez pour vos Järngreipr… ou pour autre chose, grinça-t-il avec un peu plus d’amertume dans la voix. Je vous laisserai même vous promener pendant que je travaille si vous le souhaitez. Mais par contre…
Son nez se fronça, il gratta sa barbe, et je l’entendis marmonner.
— L’enchantement s’applique sur des objets… et je ne sais pas sur quoi vous voudriez les apposer. Je peux bien sûr vous créer des bracelets, un collier, une ceinture… n’importe. Mais si vous avez déjà des objets auxquels vous tenez…
Je réfléchis un moment. Avais-je des bijoux ou des vêtements que je porterais peut-être quotidiennement si c’était nécessaire ? C’était une mauvaise idée, d’un point de vue purement stratégique. Les objets de ce genre me rendaient repérable, et c’était dangereux pour un assassin comme moi.
Je voulus rabattre une mèche de cheveux derrière mon oreille, et au moment où je le faisais, le bracelet à mon poignet captura l’éclat doré des flammes d’un braséro non loin. Je m’immobilisai, songeuse.
— Est-ce que ceci ferait l’affaire ?
Je le décrochai lentement, le tendis au dvergr, qui l’examina d’un œil sévère et professionnel. Quelques secondes de silence s’écoulèrent, seulement troublées par les crépitements qui provenaient des braséros aux quatre coins de la pièce. Je regardais mon bracelet qui bougeait, comme animé d’une vie propre, entre les doigts agiles du forgeron qui le retournait dans tous les sens. Il sortit son stylet à nouveau, le passa dessus tel une sorte de scanner, observa sa surface polie en collant son œil au ras du bord, consulta sa tablette.
— C’est de l’or mélangé à de l’acier de Nidavellir, de bonne facture. Où avez-vous eu un tel bracelet ?
Je relevai ma manche pour montrer le second, dont je défis également la chaînette. Il était si parfaitement ajusté à mon poignet que j’eus un peu de mal à l’ouvrir pour le décrocher.
— J’en ai deux en vérité. Ma mère me les a laissés, mais elle n’en a jamais parlé.
— Hmmm.
Pur mensonge. Ces bracelets étaient en vérité d’anciennes menottes, celles que les Thor avaient utilisées pour m’enchaîner dans leurs prisons. Je les avais lavés de leurs propriétés magico-magnétiques qui leur permettaient de se coller l’un à l’autre comme des aimants pour entraver mes mouvements, supprimant au passage l’enchantement qui m’empêchait de me les retirer.
Mais je les avais gardés malgré les réminiscences de l’emprisonnement. Ils étaient un souvenir tangible de ce que j’avais subi chez les Thor, de la trahison de ma famille. J’avais pris l’habitude de les porter au quotidien depuis que j’étais sortie des prisons. C’étaient les cicatrices que j’acceptais d’afficher, les souvenirs que jamais je n’oublierais.
— L’alliage me paraît être de très bonne facture. Je ne sais pas d’où votre mère les a eus, mais c’est un beau travail. Ce sera très bien. En plus, l’or et l’acier de Nidavellir sont de très bons réceptacles à enchantements.
Il paraît, oui… songeai-je avec une certaine amertume. J’en avais fait les frais dans les prisons. Mais c’était de l’histoire ancienne.
Le dvergr accrocha les anneaux l’un à l’autre, puis les suspendit à une sorte de mousqueton qui pendait de sa ceinture, et son attention se focalisa à nouveau sur moi. L’espace d’un instant, je vis dans son regard les analystes de la Confrérie, sérieux, focalisés, investis dans leur travail au maximum de leurs capacités.
— Très bien. Je vais vous demander de vous placer au centre, juste là. Et enlevez chaussures et chaussettes s’il vous plaît.
Je fronçai un sourcil, mais m’exécutai sans protester, fis disparaître mes chaussures et me plantai droite sur la pierre lisse. Le froid s’infiltra à travers mes plantes de pieds quand mes chaussettes disparurent à leur tour, transperça mes os, et je serrai les dents. Me vider de mon énergie ? Ça n’allait pas être agréable.
Veiri claqua la porte, se planta derrière la vitre si claire que je doutai l’espace d’un instant qu’elle soit vraiment là. Il pianota une série d’instructions sur la console, et sa voix résonna autour de moi, portée par des haut-parleurs invisibles.
— Vous allez projeter toute votre puissance autour de vous, et la maintenir jusqu’à ce que vous n’en puissiez plus. Ne vous en faites pas, rien ne cassera, pas même le cristal de la vitre.
Je tendis les mains haut devant moi. Ça me rappelait les entraînements d’Ekrest, qui m’avait fait maintenir une flammèche aussi longtemps que je pouvais. Un peu plus intense, un peu plus court.
— Projetez aussi intensément que vous pouvez, aussi loin que vous pouvez. Attendez… Une minute…
Le dvergr était occupé avec son stylet holographique, il tapotait des instructions sur une sorte de tableau, déplaçait des cases. Puis, je l’entendis appuyer sur un bouton métallique, qui cliqueta contre la paroi, tirer un levier sorti de nulle part. Je laissai retomber mes mains le temps qu’il organise son expérience, songeant au fait que ce n’était absolument pas une bonne idée de faire ça sur un coup de tête. Surtout après l’avoir contraint à travailler pour mon compte.
— C’est bon. Bonne nuit, princesse de foudre.
Un peu tard pour reculer. Mais après tout, que pouvais-je risquer en m’évanouissant au milieu d’une ville dvargen, abandonnant le contrôle que j’exerçais sur ma double magie depuis deux bonnes semaines pour éviter de me faire démasquer ? Je tendis à nouveau les mains, me projetai en arrière, dans mes souvenirs.
L’onde de magie m’enveloppa, si brillante qu’elle en brûlait les rétines, si pure et intense que je sentis l’air chauffer autour de mes paumes. Je puisai dans toute ma puissance, toute mon énergie, et m’imaginai que j’étais à nouveau à Barcelone, face à un Svinfylkingar, un guerrier-sanglier, enfant d’Odin. Cette rencontre avait été ma première rencontre consciente avec ma propre mort, certainement la plus marquante. Je creusai dans la terreur, le doute, la colère que j’avais ressenties, je ramenai tout ça avec une violence brute, cherchant cet instinct de survie qui m’avait préservée, qui m’avait permis de dépasser les limites de ce que je pensais à l’époque possible. Comme au Q.G. des Thor, je me métamorphosai en étoile, irradiant de lumière et d’énergie.
Les premiers instants, absolument rien de spécial ne sembla se passer dans mon corps. Je maintins mes mains écartées, tendues, et la magie se déversa comme un flot ininterrompu, sauvage et tumultueux.
Puis, au bout de ce que j’estimai être une soixantaine de battements de cœur, soit bien deux à trois fois plus que ce que j’aurais tenu à Midgard, je sentis le flot faiblir. Je me raccrochai à cet instinct de survie que je tirais des tréfonds de mon expérience, visualisai une colonne de lumière inébranlable, sur laquelle je me concentrai. Le flux sur lequel je tirais se stabilisa à nouveau à la puissance où j’avais démarré, et je sentis mes battements de cœur s’accélérer.
La première douleur vint quelques secondes plus tard. Je commençai à trembler des doigts, et une douleur, vive et perçante, me frappa en plein thorax comme un coup de couteau dans les poumons. Je serrai les dents, essayai de maintenir ma respiration aussi régulière que possible. Refusant de brider le flux, je secouai la tête, poussai un grognement de douleur lorsque l’incertitude et la peur affleurèrent dans ma poitrine comme un étau d’acier qui me comprimait la gorge et le torse. Je pris une inspiration hachée, une seconde encore plus nerveuse. Les points noirs commençaient à danser devant mes yeux.
Je n’allais pas mourir. Je le refusais. C’était juste un exercice, comme avec Ekrest.
Lentement, avec la sensation d’être engluée dans une gelée épaisse, je ramenai mes bras contre ma poitrine, projetant toujours ma magie autour de moi comme un brasier de lumière incandescente. Une larme coula, s’évapora dans la chaleur.
Un premier os se rompit, et la douleur irradia le long de mon poignet jusqu’à mon coude. C’était une phalange. Un enfer à réparer. Un second craqua, puis un troisième, et bientôt, mes avant-bras se mirent à vibrer, leurs tremblements résonnant dans le reste de mon corps. J’essayai, dans une sorte de coma brumeux, de remuer un doigt, mais je ne sentis absolument rien. J’avais perdu le contact avec mon corps. Les quatre os de mes deux avant-bras se rompirent en même temps, les jambes suivirent. Je ne sentis même pas le choc avec le sol.
Ce fut finalement la cage thoracique qui donna le signal pour ma conscience.
Je m’éteignis comme une flammèche qu’on soufflait.

| † | † |


<=
Chapitre 6
(à la suite)
Dernière modification par vampiredelivres le lun. 18 déc., 2023 10:18 pm, modifié 1 fois.
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Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons

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CHAPITRE 6


Les voix étaient ténues, lointaines. Je m’y raccrochai, incapable de savoir combien de temps je serais capable de garder prise sur la réalité. L’une était masculine, l’autre féminine. Non, en fait, il y en avait deux masculines. L’une était rocailluse, bourrue et grinçante, tandis que l’autre était posée et ferme, quelque peu sévère. Celle de la femme, qui parlait actuellement, trahissait une colère qui la faisait dérailler dans les aigus en fin de phrase.
— Non mais vous n’allez pas bien ? Quand vous tentez vos… expériences de malade, vous devez me prévenir ! Vous savez que je passe la moitié de mon temps à rattraper vos catastrophes !
C’était une Eir, j’en étais plus ou moins certaine. J’avais beau avoir les yeux fermés et l’impression que mon esprit essayait désespérément de s’extirper d’une mare boueuse dans laquelle il aurait plongé, je connaissais ce ton, ces remontrances. Je reconnaissais les reproches qu’on m’avait mille fois fait, que j’allais trop loin, que je m’exposais trop. J’eus envie de rire, mais une seconde voix, celle qui était plus douce et chaude.
— J’aurais particulièrement apprécié de pouvoir être présent.
— Oh, vous n’allez pas en faire tout un plat ! ronchonna le dernier participant de la conversation. Cette demoiselle est une guerrière-née. J’ai jamais vu quelqu’un qui ne flanche pas quand les premiers os se brisent, et pourtant, elle n’a pas battu d’un cil.
Je n’étais pas une guerrière-née. Ekrest m’avait bâtie ainsi, façonnée, transformée.
— Et ce qu’elle risque ? pesta la fille d’Eir, exactement comme je l’escomptais. Elle est jeune, elle ne connaît pas encore ses limites. Vous auriez assumé d’avoir sa mort sur les épaules pour votre petit… défi personnel ?
— Elle n’est pas morte, n’est-ce pas ?
— Elle vous entend… marmottai-je d’une voix rauque.
— Oh ! Attends, ne bouge pas.
Une main douce se posa quelque part près de ma clavicule, un flux d’énergie me parcourut, laissant derrière lui un vide qui sonnait creux, comme un manque immédiat et douloureux. Je réalisai que j’avais faim. Mais, plus que cela, j’avais une terrible envie de replonger dans la brume cotonneuse du sommeil.
— Il ne t’a pas fait de mal j’espère ? m’interrogea la fille d’Eir.
— Non, j’ai… accepté…
Je me sentais dériver. L’appel du néant était trop fort, mon ancrage dans le réel s’effilochait comme une peau de chagrin. Je sentis tout juste le contact des bras qui me soulevaient presque sans effort du sol, le vide sous mes pieds, un instant avant que je ne décroche à nouveau et que le coma réparateur ne m’avale pour de bon.

Je n’émergeai que près de vingt-quatre heures plus tard, lorsque le flux magique eût décidé que j’avais plus ou moins fini de récupérer. Les paupières papillonnantes, j’ouvris les yeux au milieu de ce qui me semblait être la journée. Notre chambre, à Kalyan et moi, était pour une fois étonnamment déserte. Kal semblait être sorti, sa moitié du lit parfaitement pliée, son coussin épais redressé ne portant même plus la marque de sa tête. Au jugé, j’estimai qu’il devait être entre onze et treize heures. Mon estomac hurlait famine malgré la perfusion sur laquelle une Eir m’avait branchée.
Patiemment, je fermai les yeux, comptai mes battements de cœur jusqu’à arriver à trois cents, le temps que mon esprit réintègre parfaitement mon corps, que celui-ci se rende compte qu’il était de nouveau opérationnel, et que les premiers accès de faim et de doute me quittent. Puis, je levai une main au-dessus de mon visage et, lentement, créai une nuée d’étincelles qui enveloppa ma main, crépitant au point de provoquer un petit nuage de fumée. Et alors seulement, lentement, je me redressai, et retirai l’aiguille logée dans mon bras, coupant l’afflux de nutriments, et regardai l’heure.
Il était quinze heures trente-sept. Kal était certainement perdu quelque part en ville, ou alors occupé avec les jeunes enfants de Thor qui le suppliaient toujours de les entraîner. L’absence de Keirv, en revanche, était bien plus étrange. D’habitude, et surtout dans une situation comme celle-ci, elle aurait été à mes côtés, veillant au grain pour qu’il ne m’arrive rien. Sa position sociale en dépendait plus ou moins ; la moindre remarque négative que je ferais à son sujet pourrait affecter ses chances de se trouver un bon parti. Or, c’était aussi important pour elle que pour la famille royale qu’elle ne soit pas mise de côté.
Grommelant dans ma barbe contre mon corps fatigué, je me relevai avec précaution, et cherchai du regard mes vêtements. On m’avait presque totalement déshabillée, certainement pour vérifier les éventuelles fractures que je pouvais avoir, et la Eir avait guéri mes bras et mes mains que l’afflux de magie avait réduit en morceaux.
Dans le miroir de la salle de bains, je découvris une Lyana fatiguée, quelque peu amincie. Mon corps, peu habitué contrairement à celui que j’utilisais d’habitude, avait pris un coup de l’abus de magie, et je ressentais réellement ma fatigue physique. L’esprit dans le vague, je m’habillai rapidement, choisissant l’une des tenues les moins complexes pour éviter de devoir dépendre de Keirv avec les attaches. Puis, je pris le chemin du palais, ne sachant trop quoi faire.
La frénésie des couloirs m’arracha à mon éveil monotone. Les sourcils froncés, le cœur soudain battant d’appréhension, j’observai un moment le ballet des serviteurs qui se pressaient dans tous les sens aux abords de ma suite dont, d’habitude, l’étage était presque totalement désert. Cinq petits groupes étaient en train de passer, certains discutant furieusement à mi-voix, d’autres fonçant droit devant sans se regarder comme si leurs vies en dépendaient. J’en attrapai un par l’épaule et, surpris par le mouvement, il faillit bien me donner un violent coup de coude dans le ventre. Je n’esquivai que par un réflexe absolu de mes années de combat. Il blêmit en apercevant mes iris électriques.
— Navré, Ma Dame. Que puis-je pour vous ?
Au ton pincé de sa voix, je compris qu’il posait la question par pure forme, et qu’il espérait que je le relâche au plus vite.
— Que se passe-t-il ? interrogeai-je.
Il haussa les sourcils, paraissant ne pas comprendre le sens de la question. Je précisai :
— Pourquoi toute cette agitation ?
— Oh vous ne…
Il jeta un bref coup d’œil à la porte de ma suite, juste derrière moi, et une lumière parut s’éclairer dans son esprit.
— Mille excuses, Ma Dame, vous étiez inconsciente, c’est bien ça ?
Je hochai la tête.
— Donc vous n’êtes pas au courant. Un enfant de Loki a été trouvé et capturé aux abords de l’entrée de la ville. Il voulait apparemment s’introduire dans la cité.
Ce fut à mon tour de me figer. Un Loki ? Levi n’aurait pas été stupide au point de se faire capturer, si ? Si, bien sûr que si. Cela avait bien été le cas chez Skadi… et j’avais d’ailleurs fait exactement la même erreur. Je soupirai, affectant un air exaspéré bien loin de ma soudaine inquiétude.
— Et tout ça pour un pauvre petit métamorphe ? demandai-je en indiquant le remue-ménage du menton.
— Oh ce n’est pas si simple, Ma Dame. Nous sommes en alerte rouge d’intrusion.
Je fronçai le nez. Tant de précautions pour un simple Loki…
— Mais ce n’est qu’un…
— Ma Dame, si vous le voulez bien, j’aimerais poursuivre mon chemin. Je vous invite à débattre avec un intendant pour les questions de protocole.
Ces dvergar et leur protocole allaient décidément réussir là où les Thor avaient échoué : réduire ma santé mentale à néant. J’approuvai malgré tout d’un signe de tête, le laissai partir en le remerciant pour les informations qu’il m’avait déjà fournies. Je laissai passer un peu de temps pour qu’il s’éloigne, puis me laissai aller contre la porte en réfléchissant.
Un Loki avait été capturé. Il y avait peu de chances que ce soit quelqu’un d’autre que Levi ou Åke, et je doutais qu’Åke se laisse aller au point de se faire attraper. C’était donc plausiblement Levi, et il avait tout aussi plausiblement besoin d’aide pour se sortir de là. Les habitants de Stronstall étaient quelque peu racistes dans leur ensemble, et je voyais mal Levi se défendre seul contre une assemblée qui ferait tout pour le décapiter sur-le-champ. Mais d’un autre côté, Levi était censé être loin, embarqué dans une quête impossible pour retrouver les trois clés manquantes qui lui permettraient de libérer Loki. Que pourrait-il bien faire ici ?
De toute façon, quelle que soit la réponse, un Loki ici, à quelques jours de la fête d’Arshina, amènerait le chaos et la méfiance. Un long soupir m’échappa, et je me mis en route pour la salle du trône en espérant que c’était là qu’ils auraient emmené l’intrus pour son jugement. Pour peu que jugement il y ait, évidemment.
Mon intuition se révéla exacte. Suivant le même chemin qu’à la soirée de l’avant-veille, je me retrouvai comme la fois précédente happée dans le flux de retardataires qui espéraient pouvoir assister de leurs yeux à la sentence. Les portes avaient été laissées grandes ouvertes, même si le roi Ankri était déjà assis sur son immense siège de fer, dominant la population de toute sa hauteur. Ses yeux sombres lançaient des éclairs – au figuré, heureusement – et sa main agrippait un peu trop fermement la large épée posée en travers des accoudoirs. À quelques pas de lui, au pied de l’estrade, était agenouillée une silhouette enchaînée. Même de loin, je reconnus les cheveux cendrés en bataille en un clin d’œil.
D’un seul coup, je me mis à jouer des coudes pour traverser la masse qui ne voulait pas s’écarter. Il y avait foule, autant de gens du peuple venus pour les audiences que de courtisans alléchés par l’odeur du sang, et tout le monde voulait voir le spectacle. Même les balcons étaient remplis pour une fois, ce qui n’était encore jamais arrivé depuis que j’étais là.
Finalement, lasse de devoir bousculer tout le monde, je déployai un champ d’électricité autour de moi. Le grésillement provoqua un soudain mouvement de recul, et d’un seul coup, tout le monde s’écarta, certains avec des couinements de douleur.
Je cherchai Kal du regard, doutant de sa présence, finis par le repérer aux premières loges, dans l’aile droite. Il avait l’air sombre de quelqu’un qui savait ce qui se passait mais ne voulait pas intervenir.
— Kal ! lançai-je, agitant la main.
Comprenant qui j’étais, la plupart des mondains s’agitèrent pour me laisser passer. Je jouai encore un peu des coudes pour réussir à fendre la foule, mais j’arrivai finalement près de lui.
— Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je, feignant l’innocence.
— Un… métamorphe… a été capturé, rôdant autour de la citadelle, me murmura un dvergr juste à côté.
Je voulus ravaler la remarque cinglante qui me montait aux lèvres, essayant qui lui aurait poliment expliqué que ce n’était pas à lui que je posais la question. Ce fut la voix tonnante d’Ankri qui me coupa l’herbe sous le pied encore plus efficacement :
— Et qu’as-tu à dire pour ta défense, enfant du démon ?
L’appellation me hérissa le poil. Je considérai le profil défait de Levi, ses lèvres fendues et ses pommettes bleuies. Ils n’y étaient pas allés de main morte, ces sauvages.
— Sire ! interpellai-je.
Kalyan saisit ma main et la pressa fort pour m’enjoindre d’arrêter, mais je dus l’ignorer. Je n’avais qu’une vague idée de l’approche que je choisissais, mais je n’allais pas laisser Levi mourir. Encore une fois, il fallait bien que je le rattrape. Je lui demanderais des comptes plus tard.
— Sire, qu’a-t-il fait ?
— Silence, mal élevée ! gronda un intendant, celui-là même qui nous avait placés au dîner. Le roi est en train de rendre verdict.
— Pardon pour mon impertinence, insistai-je, mais je ne comprends pas. Qu’a-t-il fait ?
Ankri poussa un long soupir, considéra un moment le fond de la salle, où les spectateurs s’amassaient, et finit par faire un signe de main à l’intention de l’intendant le plus proche de moi. Ce dernier poussa un gros soupir théâtral, et se décida à expliquer d’une voix forte, pour que tous les nouveaux venus puissent également profiter de l’explication :
— Il a essayé de s’introduire dans la cité.
— Comment ?
— Il rôdait autour des entrées.
— A-t-il essayé de contourner les détecteurs ? relevai-je en haussant un sourcil. A-t-il franchi le premier rempart ?
Un bref silence, et l’intendant pâlit quelque peu en comprenant où j’essayais de l’amener. Mais, n’ayant d’autre choix que de répondre à ma question, il fut bien obligé de secouer la tête en signe de dénégation.
— Non, répétai-je pour insister. Je ne vois pas en quoi il essayait de s’introduire dans la cité. De ce que je vois, c’est vous qui l’avez amené à l’intérieur, même.
Levi coula un bref coup d’œil dans ma direction, et je discernai le fin sourire nerveux qui vint flotter sur ses lèvres. Son regard m’interrogea un instant sur mon identité, glissa le long de ma main jointe à celle de Kalyan, et il parut deviner qui j’étais malgré ma métamorphose et mes yeux couleur ciel d’été.
— Il ne… il n’était pas invité sur le territoire de Stronstall.
Le dvergr avait essayé de se réfugier dans ses protocoles, ses beaux principes honorables. C’était là que je l’attendais, en vérité. Les premières questions n’étaient qu’un petit jeu.
— Et quelle est la peine pour ceux qui se présentent non-invités ?
— La mort, répondit-il, un peu plus ferme et serein, presque menaçant à l’intention de Levi.
Je croisai le regard de Kal, qui s’était fait désespéré. Il passa une main dans ses cheveux, recula d’un pas pour me laisser le champ libre. Il avait déjà compris où je cherchais à en venir.
Suivant son mouvement, les personnes les plus proches de moi s’écartèrent elles aussi sans trop savoir ce qui se passait. Je fis deux pas en direction de Levi, écartai les mains pour prendre un air résigné et sans défense. Un frisson d’expectative et d’appréhension courut le long de mon échine, je me plongeai à fond dans mon rôle.
— Tuez-moi aussi, alors, défiai-je avec un sourire.
J’appréciais la forme et l’attitude de Lyana. Elle avait une palette d’émotions que je ne manifestais pas toujours, allant de la provocation ouverte à l’ingénuité la plus totale. Je jouais moins la naïve la plupart du temps. Je ne me battais pas pour mes idéaux. Elle, contrairement à moi, avait le temps et les occasions de le faire.
— Je n’étais pas invitée non plus. À ce que je sache, jusqu’à aujourd’hui, vous n’avez étendu d’invitation officielle à entrer à Stronstall que pour Kalyan de la Maison de Thor.
Le nom provoqua un murmure dans la salle. Je poursuivis avec un sourire :
— Je n’ai jamais eu d’invitation officielle non plus. Pourtant je suis là, à partager vos banquets, à dormir dans votre suite. Qu’est-ce qui me différencie de lui ?
— Ton sang, ma chère fille, soupira Ankri en s’efforçant de paraître aussi paternel que possible.
Je vis la manière dont il essayait de tourner cela en une absurde discussion père-fille où j’étais l’adolescente rebelle et inconsciente. Je l’esquivai élégamment :
— Et si je vous disais que c’est son sang qui m’a sauvée, il n’y a pas si longtemps ?
— Je te demanderais de le prouver.
Je me tournai vers l’intendant, lui murmurai quelques mots à l’oreille, et il fronça le nez mais ne répondit rien, se contentant d’approuver. Je me redressai, me tournai à nouveau vers Levi :
— Tu voyageais avec deux autres demi-divins quand on t’a croisé dans les collines de Jorstrand. De quelles familles étaient-ils ?
Le regard de Levi s’assombrit dans la réflexion, puis s’éclaira d’un bref sourire, et je priai soudain qu’il réponde correctement. Il était capable de tout.
— Un Njörd et une Freyja, annonça-t-il bravement.
L’intendant ne put que hocher la tête à la question muette de son souverain, qui dut se tourner vers Kalyan.
— Tueur de Dragon, est-ce la vérité ?
Kal hocha sombrement la tête, n’appréciant probablement guère d’être mêlé à tout ça.
— Je le connais, repris-je dans le silence maussade qui s’installait. Enfin, non, probablement pas, parce qu’il ne m’a certainement pas dit son vrai nom. Mais… pourquoi aurait-il forcément de mauvaises intentions, s’il m’a aidée ?
— Le chaos qui aide la foudre ? releva Ankri. Ce serait bien la première fois en des siècles.
Je dus me retenir de laisser échapper un rire en songeant à Kalyan et moi, et me contentai de garder le menton levé, et de reculer d’un pas. J’avais fait le maximum que je pouvais faire sans agir directement. Je n’étais pas certaine que ça suffise, mais je ne pouvais pas non plus me permettre de tout compromettre sur un coup de tête.
J’aurais eu besoin de plus de temps pour me préparer. Maintenant, il ne restait plus qu’à attendre et espérer que le chahut de la salle serait suffisant pour influer sur l’humeur d’Ankri, qui s’était encore assombrie depuis mon intervention. Songeur, il sondait la foule du regard, les sourcils froncés, la main toujours refermée sur la garde de sa lame. Les intendants, dont celui que j’avais pris à parti, murmuraient entre eux, mais n’osaient pas influencer la décision. Dans la politique dvargen, il n’y avait pas de premier ministre, de main du roi, de décisionnaire secondaire, qui murmurerait à l’oreille du souverain. Ce dernier avait tout pouvoir, et sa voix pouvait élever au plus haut rang de la noblesse comme envoyer au fond des mines ou sous la lame du bourreau.
Alors que je désespérais d’obtenir une réponse, même si c’était la pire, il finit par se tourner à nouveau vers moi.
— Il t’importe tant que ça, cet étranger dont tu ne connais même pas le véritable nom ?
— Ce n’est qu’un nom. J’en ai changé des dizaines de fois aussi depuis que j’ai perdu ma mère.
— Vous les humains n’avez aucun honneur… grommela-t-il dans sa barbe.
— Je ne vais pas prétendre être moi quand on me pourchasse, tout de même… Ça s’appelle l’instinct de survie.
Ma remarque jeta un froid dans la pièce, comme si je venais d’insulter Ankri en face. Après un long – trop long – moment de flottement, il finit par éclater de son rire grave et rocailleux, et la masse suivit, incertaine. Je m’étonnais toujours de ce genre de mouvements de foule, au combien j’aimais les utiliser pour me sortir de situations délicates.
— Très bien. Te porteras-tu garante de lui ?
À nouveau, Kalyan me saisit le poignet, cette fois un peu plus fermement. Je fermai les yeux un instant, considérant la situation. C’était un risque absurde, quand on y réfléchissait sereinement.
— Que veux-tu faire ici ? interrogeai-je finalement Levi.
Le fait que je prenne le temps de considérer l’option sembla remonter ma cote de quelques points auprès de tout le monde.
— Honnêtement ? répondit Levi d’une voix enrouée. Me reposer. Et repartir. Ces plaines sont un enfer à traverser.
— Tu comprends que s’il arrive quoi que ce soit durant Arshina et qu’il est toujours présent, c’est à lui que ce sera imputé.
— Même sans preuves de sa culpabilité ?
— Surtout sans preuve de son innocence.
Parfait alors, songeai-je avec un bref sourire. C’était presque trop simple, trop beau pour être vrai. Mais les dvergar ne se méfiaient pas d’une fille de Thor. Le danger venait forcément du Loki. Le dieu m’avait offert le cheat code ultime de mon univers, la clé universelle d’entrée. J’opinai fermement pour signifier mon accord.
Précautionneux, Levi se redressa lentement, et cette fois-ci, les gardes ne l’en empêchèrent pas.
— Merci pour votre clémence, Votre Majesté, remercia-t-il haut et fort.
— Remercie-la, plutôt.
Levi se tourna vers moi.
— Qui dois-je remercier exactement ? interrogea-t-il.
Je fus quasiment certaine qu’il cherchait à confirmer ce qu’il savait déjà, qu’il était bien en train de s’adresser à moi.
— Lyana. Mais appelle-moi Lily.
— Alors merci, Lyana Thordóttir.
Il se fendit d’un salut purement traditionnel à la Confrérie, une marque de respect aussi inhabituelle qu’imprévue de sa part, et je cherchai dans la signification de son geste quelque signal que j’aurais manqué. Il n’y avait aucune rancœur ou colère dans son regard, même pas de la surprise quant à la couleur de mes yeux. Et pourtant, j’étais certaine qu’il avait très bien compris qui j’étais, malgré ma fausse identité.
La cour s’agitait désormais de murmures de confusion et d’incertitude. Je pivotai vers le souverain, consciente qu’il restait quelque chose à faire.
— Sire ?
Je m’inclinai, et la foule se tut pour me laisser parler.
— Veuillez accepter mes plus plates excuses pour avoir interrompu votre jugement. Je ne suis pas encore familière avec les traditions des Maisons, et je n’ai pas ce sens de la justice inné que vous semblez avoir… au combien ce ne soit pas une excuse pour être intervenue.
Ankri ricana, moqueur. Sa main avait fini par relâcher la garde de la lourde épée qui était posée sur son trône. Il ne paraissait pas en colère, mais plutôt amusé, comme si je l’avais distrait de la monotonie de son quotidien.
— Oh non, princesse de foudre, tu sais très bien ce que tu as fait. Mais tu n’as pas tort, et c’est pour ça que je t’ai écoutée.
— Merci, Sire.
Satisfaite, je reculai, et regardai avec un rire silencieux la masse s’écarter en murmurant quand Levi me rejoignit. Obliger les dvergar à accepter chez eux la présence d’un enfant de Loki, justifier son arrivée et retourner sur eux la faute de l’avoir amené ici en premier lieu… Fauteuse de troubles, oui, c’était une bonne définition pour moi désormais.
Faute de jugement sanglant, et Ankri en profitant pour lancer les audiences matinales un peu plus tard que prévu, la salle commença à se vider. L’intendant, celui que j’avais piégé, revint vers nous avec une grimace qu’il ne s’efforça même pas de dissimuler.
— Toi ! Viens avec moi, je dois m’occuper des registres. Ne t’en fais pas, Thordóttir, gronda-t-il à mon intention lorsque je fis mine de suivre le mouvement de Levi, le roi l’a autorisé à rester. Je te le ramènerai en un seul morceau.
Acceptant la remarque narquoise d’un signe de tête, je laissai Levi partir avec l’intendant, et me tournai vers Kal. Depuis qu’il était intervenu en public pour le défendre, il s’était figé et m’avait laissée gérer la fin des négociations. Il me fit un signe de tête pour m’indiquer l’une des alcôves creusées dans les murs de la salle d’audience, où nous pouvions nous isoler quelque peu, et je le suivis, l’estomac soudain quelque peu noué. Son expression orageuse n’était pas rassurante.
Parvenu au mur, Kalyan me fixa avec une grimace.
— C’était une mauvaise idée, grommela-t-il.
— Je sais. Mais que voulais-tu que je fasse ?
— Ça va te retomber dessus.
— Comme tout, comme toujours, rétorquai-je, essayant d’être aussi pacifique que possible.
Il soupira, exaspéré, voulut se détourner. Je le rappelai :
— Kal ?
Un silence. Il en revint à moi, l’œil sombre, la mine froissée.
— Je m’excuse de t’y avoir mêlé sans avoir pu au moins te consulter avant. Sincèrement.
Après un bref moment d’incertitude et de réflexion, il se fendit d’un éclat de rire et revint pour me serrer dans ses bras. Je me plongeai dans son étreinte, doutant d’avoir réellement passé le message que je voulais, mais il me rassura bien assez vite :
— Franchement, m’associer à un Loki ne me dérange pas plus que ça. Mais j’avoue que sans prévenir comme ça…
— C’est une question d’honneur dvargen, n’est-ce pas ?
Ce n’était pas vraiment une question, et il ne prit pas la peine de me répondre. Je n’en avais pas besoin. Le respect d’un dvergr était si difficilement acquis, et l’honneur primait avant tout. En l’état des choses, Kalyan était coincé par ses titres, qui lui apportaient autant d’honneur que de contraintes. L’associer à un Loki, surtout de cette manière, risquait d’entacher sa réputation.
— Merci, ceci dit, pour avoir répondu lorsqu’il fallait.
— Je n’allais pas le laisser mourir comme ça. Mais je ne pouvais pas intervenir moi-même, ça aurait soulevé trop de questions.
— C’est pour ça que je peux me permettre d’être le rouage perturbateur dans le mécanisme bien huilé, souris-je.
La réflexion sur mon rôle d’Élue lui fit lever les yeux au plafond, et il me prit la main.
— Tant que tu ne te fonds pas trop dans ton rôle de rouage…
Il pressa ses doigts contre les miens, et je l’attirai dans un baiser doux, reconnaissant. Il y avait des fois où nous ne serions pas d’accord sur la manière de faire, et aujourd’hui était l’un de ces évènements. Mais le naturel patient de Kalyan pouvait me sauver de mes propres pulsions trop nerveuses. Et le dialogue avec lui me semblait d’autant plus facile que la fracture de nos éducations nous obligeait à nous écouter si on voulait se comprendre.
— Je t’aime, souris-je en l’embrassant à nouveau, prise d’une impulsion d’honnêteté soudaine.
Il se figea, surpris.
— Lily, tu…
Il ne sembla pas savoir poursuivre, et je soupirai, mi-moqueuse mi-sérieuse.
— Je t’aime, Kal. C’est pas compliqué. Ce n’est pas une promesse. Je te détestais il y a trois mois, je t’aime aujourd’hui. Je te le dis juste parce que je le pense. Ne t’en fais pas, ce n’est pas une demande en mariage.
La confusion déforma ses traits, et j’eus soudain l’impression d’avoir fait une énorme erreur. Pour certaines personnes, dire « je t’aime » était significatif. De mon côté, je le considérais simplement comme une expression de mes sentiments, une transparence que je ne pouvais généralement pas me permettre.
— Désolée… finis-je par marmonner. C’était peut-être un peu brutal pour…
La soudaine pression de ses lèvres sur les miennes me fit oublier tout ce pour quoi j’aurais voulu m’excuser. Je me pressai contre lui, avide de ce contact brûlant, rassérénée par sa réponse muette.
— Alors je t’aime aussi, finit-il par murmurer à mon oreille lorsque notre nous reprîmes notre souffle. Et ça me suffit comme non-promesse.
Mon souffle s’apaisa dans ma poitrine, mes battements de cœur anxieux s’espacèrent. Je ne pouvais pas me permettre les promesses, pas avec les non-dits qui pesaient encore. Mais s’il était prêt à accepter cela, c’était toujours possible de continuer sur la voie qu’on avait commencé à tracer.

| † | † |


<= Entre le retour de notre tocard préféré et le Lilyan, je sais pas vous mais moi je suis heureuse dans ce chapitre ! ❤️
Dernière modification par vampiredelivres le ven. 26 janv., 2024 10:38 am, modifié 1 fois.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par louji »

Holaaaa

Je reviens enfin pour commenter les chapitres que j'avais pas lus :)

Chap 4 :

Hyper intéressant la partie sur le flux ! C'est vrai qu'on s'y était pas trop attardé héhé. C'est cool en tout cas que tu relèves que ça fait des bizarreries pour Lily. Peut-être une histoire de délai pendant lequel si elle n'utilise plus sa magie de Loki, elle arrête "d'émettre" ? Bref, juste des théories x)

"Il paraît que les responsables se sont fait intercepter par ton père en personne." :arrow: bordel pendant quelques secondes j'étais là "Hein mais pourquoi il parle de Loki avec tellement d'aisance ??" Puis je me suis rappelé 🥴

"Mais cela faisait plaisir à une obscure part de mon égo, qui adorait la reconnaissance." :arrow: J'aurais pas dit obscure, ça fait un moment qu'on connaît cette part de toi Lily :lol: Guuuurl tu vis à moitié pour ça, à moitié pour les défis suicidaires :D

Eh bah voilà :lol: Mais Lilyyyyyy :lol: Elle me détruit.

Aaaah la fin du chapitre était très stylée. Je m'attendais pas à ce qu'elle prenne le défi à bras-le-corps comme ça, mais en fin de compte c'est ce qui est le plus logique vu les mesures de sécurité (et son caractère). Et puis, c'est vrai que le Leiptr rend ce genre de situation plus simple à gérer :roll:
Vectrice du chaos, c'est le moins qu'on puisse dire btw


Chap 5 :

Le détail sur la capacité d'ouverture de mâchoire des nains, c'est pour me faire caner.

"Et dire que j’œuvre avec Levi à le libérer…" :arrow: Disons qu'il faudrait se demander que faire après ? Genre pendant le Ragnarök :lol: Enfin, c'est Lily, elle improvisera bien une façon de sauver les mondes :D

Mais madame :lol: Madame, il a dit jusqu'à l'inconscience, pas jusqu'au coma en réanimation :roll: Lily, jamais dans la démesure évidemment (though, en train de penser au fait que même en ayant tout donné, ça reste une partie de la puissance qu'elle atteindra d'ici le T4... huuuuh)


Chap 6 :

Aaaaah Levi. Petit Levi, notre tocard de service ♥

"— Et qu’as-tu à dire pour ta défense, enfant du démon ?" :arrow: Mais Loki c'est Satan en fait FR :lol:

"Je ne me battais pas pour mes idéaux." :arrow: wait, what ? Pour moi, c'est une forme d'idéal la Confrérie :D (mais je vois ce qu'elle veut dire par rapport aux actions que se permet Lyana)

"— Surtout sans preuve de son innocence." :arrow: La présomption d'innocence, ce concept tellement midgardien :roll:

"Et pourtant, j’étais certaine qu’il avait très bien compris qui j’étais, malgré ma fausse identité." :arrow: ok j'ai dû me mélanger les pinceaux, j'étais persuadée que Levi avait assisté au moment où Thor donne son sang à Lily (ou du moins qu'il l'avait su). Il s'est échappé au cours du combat avant ça du coup, j'imagine ?

Bordel, Levi. Je sais pas ce qu'il fout là, mais je suis contente de le revoir :) Ca va être drôle je sens maintenant qu'il est de passage.

"Fauteuse de troubles, oui, c’était une bonne définition pour moi désormais." :arrow: désormais ??? BRUH :lol: You are born for this. T'étais pas dans mirador des Kaiser pour rien.

"L’associer à un Loki, surtout de cette manière, risquait d’entacher sa réputation." :arrow: sa... réputation... oui oui 👀 elle est déjà un peu bafouée bibiche

Mooh la fin 🥹 C'est très bien les je t'aime. Et comme Lily le dit bien, c'est cool de le dire, à défaut de promettre de trop grandes choses. Ils restent sur un fil pas bien large et c'est pas plus mal de se dire les choses avant qu'il y ait des regrets (ou des drames 💀)


Remarques ortho-typo en vrac :
- "Ekrest m’avait inculqué un certain rythme de vie, qui m’avait apporté beaucoup de bien, ce n’était pas maintenant qu’il n’était pas là que j’allais me relâcher" :arrow: j'ai trouvé la phrase bizarre / un peu lourde
- "Et, bien que je ne doute pas de tes aptitudes physiques, je doute que tu m’aurais suivie." :arrow: répétition doute
- "et je me dirigeai vers les larges vantaux de fermés à l’autre bout de la petite" :arrow: de fermés ?

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par LectriceDeBouquin »

Hello, je me demandais si tu avais eu des retours de la maison d'édition à qui tu avais envoyé ton script ? Est-ce qu'une publication est prévue ?
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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : lun. 08 janv., 2024 7:44 pm Holaaaa

Je reviens enfin pour commenter les chapitres que j'avais pas lus :)

Chap 4 :

Hyper intéressant la partie sur le flux ! C'est vrai qu'on s'y était pas trop attardé héhé. C'est cool en tout cas que tu relèves que ça fait des bizarreries pour Lily. Peut-être une histoire de délai pendant lequel si elle n'utilise plus sa magie de Loki, elle arrête "d'émettre" ? Bref, juste des théories x)

"Il paraît que les responsables se sont fait intercepter par ton père en personne." :arrow: bordel pendant quelques secondes j'étais là "Hein mais pourquoi il parle de Loki avec tellement d'aisance ??" Puis je me suis rappelé 🥴

"Mais cela faisait plaisir à une obscure part de mon égo, qui adorait la reconnaissance." :arrow: J'aurais pas dit obscure, ça fait un moment qu'on connaît cette part de toi Lily :lol: Guuuurl tu vis à moitié pour ça, à moitié pour les défis suicidaires :D

Eh bah voilà :lol: Mais Lilyyyyyy :lol: Elle me détruit.

Aaaah la fin du chapitre était très stylée. Je m'attendais pas à ce qu'elle prenne le défi à bras-le-corps comme ça, mais en fin de compte c'est ce qui est le plus logique vu les mesures de sécurité (et son caractère). Et puis, c'est vrai que le Leiptr rend ce genre de situation plus simple à gérer :roll:
Vectrice du chaos, c'est le moins qu'on puisse dire btw


Chap 5 :

Le détail sur la capacité d'ouverture de mâchoire des nains, c'est pour me faire caner.

"Et dire que j’œuvre avec Levi à le libérer…" :arrow: Disons qu'il faudrait se demander que faire après ? Genre pendant le Ragnarök :lol: Enfin, c'est Lily, elle improvisera bien une façon de sauver les mondes :D

Mais madame :lol: Madame, il a dit jusqu'à l'inconscience, pas jusqu'au coma en réanimation :roll: Lily, jamais dans la démesure évidemment (though, en train de penser au fait que même en ayant tout donné, ça reste une partie de la puissance qu'elle atteindra d'ici le T4... huuuuh)


Chap 6 :

Aaaaah Levi. Petit Levi, notre tocard de service ♥

"— Et qu’as-tu à dire pour ta défense, enfant du démon ?" :arrow: Mais Loki c'est Satan en fait FR :lol:

"Je ne me battais pas pour mes idéaux." :arrow: wait, what ? Pour moi, c'est une forme d'idéal la Confrérie :D (mais je vois ce qu'elle veut dire par rapport aux actions que se permet Lyana)

"— Surtout sans preuve de son innocence." :arrow: La présomption d'innocence, ce concept tellement midgardien :roll:

"Et pourtant, j’étais certaine qu’il avait très bien compris qui j’étais, malgré ma fausse identité." :arrow: ok j'ai dû me mélanger les pinceaux, j'étais persuadée que Levi avait assisté au moment où Thor donne son sang à Lily (ou du moins qu'il l'avait su). Il s'est échappé au cours du combat avant ça du coup, j'imagine ?

Bordel, Levi. Je sais pas ce qu'il fout là, mais je suis contente de le revoir :) Ca va être drôle je sens maintenant qu'il est de passage.

"Fauteuse de troubles, oui, c’était une bonne définition pour moi désormais." :arrow: désormais ??? BRUH :lol: You are born for this. T'étais pas dans mirador des Kaiser pour rien.

"L’associer à un Loki, surtout de cette manière, risquait d’entacher sa réputation." :arrow: sa... réputation... oui oui 👀 elle est déjà un peu bafouée bibiche

Mooh la fin 🥹 C'est très bien les je t'aime. Et comme Lily le dit bien, c'est cool de le dire, à défaut de promettre de trop grandes choses. Ils restent sur un fil pas bien large et c'est pas plus mal de se dire les choses avant qu'il y ait des regrets (ou des drames 💀)


Remarques ortho-typo en vrac :
- "Ekrest m’avait inculqué un certain rythme de vie, qui m’avait apporté beaucoup de bien, ce n’était pas maintenant qu’il n’était pas là que j’allais me relâcher" :arrow: j'ai trouvé la phrase bizarre / un peu lourde
- "Et, bien que je ne doute pas de tes aptitudes physiques, je doute que tu m’aurais suivie." :arrow: répétition doute
- "et je me dirigeai vers les larges vantaux de fermés à l’autre bout de la petite" :arrow: de fermés ?
Holààà ~

Bon retour :) J'ai pas été hyper présente non plus, c'est fou comment même à l'EPFL j'arrivais mieux à gérer mon rythme de publications. T-T

Chap 4
Le flux fait partie des trucs induits généralement dans le scénario, mais jamais vraiment expliqués, donc c'est bien qu'au bout du troisième tome on ait enfin une vraie explication sur comment c'est censé marcher. Censé parce qu'évidemment Lily casse les codes. Des théories intéressantes de ton côté, mais tu verras bien !

Ouais, elle se fait passer pour une miss-Thor.

C'est vrai qu'elle vit littéralement pour le défi… mais comme beaucoup de gens, elle ne le voit pas comme ça, juste comme une conséquence de ce qu'elle fait.

Ouais, en fait pareil, j'avais prévu qu'elle revienne, mieux préparée… Et puis je me suis mise un instant dans ses baskets et j'ai fait "Atta mais c'est pas logique, là elle a tous les éléments qu'il lui faut… AGGRO !"

Chap 5
C'est une p'tite ref délicate à Artemis Fowl aussi ;)

Ça c'est des questions pour la Lily du futur, voyons. Pour le moment, elle gère les évènements comme ils arrivent. Loki pas content d'être emprisonné ? => on va le libérer. Loki libéré va mettre le foutoir ? => on gèrera ça plus tard.

Hehehe, on est sur une courbe d'augmentation de puissance assez exponentielle.

Chap 6

Le retour du tocard ♥

Oui, totalement, c'est le diable en personne dans beaucoup de textes, et nommé comme tel d'ailleurs ("le malin" je l'ai vu passer quelques fois :lol: )

Idéaux moraux dans ce cas précis. La Confrérie est un "idéal" tangible, mais c'est juste une différence de perspectives oui.

Coupable jusqu'à preuve du contraire hein :)

Nan, il était pas là, il s'était tiré avec la clef d'éther dès qu'il avait pu la récupérer justement pour la mettre en sécurité. Au moment où Thor a filé son sang à Lily, il n'y avait plus que Kal (inconscient) dans la zone, tous les autres avaient fui.

Nan mais pareil, elle se considère comme quelqu'un qui ne faisait que jouer avec les règles du jeu, mais qui restait foncièrement dans le rang.

Oui mais la réputation à Midgard et la réputation chez les nains c'est deux choses totalement différentes.

C'est un je t'aime simple, sans promesses ni grandes prétentions, dans la marge de manœuvre qu'ils ont actuellement. (Tu me suggèrerais des drames ? :o )

Merci pour les corrections, et merci pour ton passage ! On va pouvoir reprendre avec notre tocard préféré maintenant ♥

La bise ~

vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

LectriceDeBouquin a écrit : mar. 23 janv., 2024 11:17 pm Hello, je me demandais si tu avais eu des retours de la maison d'édition à qui tu avais envoyé ton script ? Est-ce qu'une publication est prévue ?
Hello ! Quelques refus et quelques mises en liste d'attente, mais aucune nouvelle de publication à ce jour (à ma grande tristesse d'ailleurs :roll: ). Mais merci de le demander :)
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons

Message par vampiredelivres »

Heyo ~
Bon j'en parlais un peu dans ma réponse à Coline, mais l'école a réussi à me faire saturer comme rarement auparavant. Donc le rythme de publications est parti en vrille alors que les chapitres sont écrits. :roll:
Mais bon, on s'accroche et on reprend !
Bonne lecture et bonne reprise avec notre tocard préféré :)


CHAPITRE 7


Je finis par retrouver Levi dans la petite antichambre de notre suite. Il s’était affalé sur le fauteuil confortable qu’on lui avait fourni, construit dans un étrange mélange de style royaliste midgardien et de futurisme dvargen. Lignes épurées et coussins rembourrés, une forme esthétique agrémentée d’ornements discrets, creusés dans les profondeurs du bois plutôt que dépassant sur les extrémités. C’était dans la veine de tout ce qui était construit ici : tous les meubles avaient un aspect dystopique, se fondaient dans le décor intérieur de la chambre, disparaissaient presque à la vue. Mais, si on prêtait un peu attention, on remarquait les délicates gravures, les dorures élégantes qui n’apparaissaient qu’avec un certain angle de réfraction de la lumière.
— Salut.
— Salut.
Nous nous fixâmes un moment en chiens de faïence, conscients que nous ne pouvions pas parler librement ici.
— Merci de m’avoir sorti de là.
— C’était ta tête qui était en jeu, éludai-je avec un haussement d’épaules.
— Et on sait comment Loki et ses enfants finissent lorsque leur tête est en jeu chez les nains, rétorqua-t-il avec un fin sourire.
Je pouffai. Loki avait parié sa tête aux fils d’Ivaldi pour créer une nouvelle chevelure d’or à Sif, qu’il avait tondue à ras, et s’était retrouvé avec les lèvres cousues en perdant son pari. Néanmoins, notre père étant notre père, il s’en était sorti en gardant au moins la tête sur les épaules, ce qui semblait au départ compromis.
— Ils finissent mal, ricanai-je.
Un silence gênant tomba quelques instants, puis Levi reprit :
— Je pensais qu’on vous avait tous les deux perdus après… la dernière fois.
— J’y ai cru aussi, admis-je.
Au simple souvenir du combat contre Thor, une nuée de frissons remonta dans mes épaules,
— Et pourtant…
— C’est…
— Compliqué. Oui, je sais. Il m’a expliqué.
Je fronçai un sourcil. Il ? Qui était avec lui quand il s’était enfui, qui avait pu le retrouver et lui expliquer une partie de ce qui s’était passé ? Åke ? finis-je par formuler du bout des lèvres, prise d’un doute soudain.
Levi se contenta d’un bref hochement de tête. Je le fixai, stupéfaite, cherchant la rancœur, l’amertume, la haine et le déni. C’était trop simple qu’il l’accepte aussi facilement, sans protester, sans se demander si c’était la vérité.
— Je ne…
— Ouais.
Aucun de nous ne savait réellement quoi dire. Après une grimace, je finis par lui proposer :
— Je te fais visiter ?
— Avec plaisir. À moins que mon repos ne soit uniquement confiné au périmètre de ce fauteuil… pas très confortable, d’ailleurs.
Je lui tendis la main pour l’aider à se redresser, et en se relevant, il s’arrêta pour m’observer de haut en bas. L’habituelle pointe de moquerie qui illuminait son regard en permanence était étouffée, tamisée par un calme que je ne lui connaissais pas.
— Ça te va bien. Tu as l’air bien.
Et pourtant… réalisai-je avec une grimace intérieure. Dans mon esprit, c’était perpétuellement le chaos. J’étais aussi confuse sur mon rôle, mon titre et ma puissance que mes objectifs. Je chassai les pensées obscures qui me happaient quand j’étais seule et que je prenais le temps de considérer ma position actuelle, et fis un signe de tête à Levi.
Nous commençâmes par le tour du propriétaire, une balade autour des quartiers principaux de la suite que j’occupais, et il m’indiqua qu’on l’avait placé dans une plus petite chambre, quelques dizaines d’étages plus haut dans la même tour. Évidemment, il n’avait absolument aucune vue sur la cité, sa fenêtre donnant sur des murs de pierre, aussi fut-il impressionné que même depuis notre antichambre, nous ayons une baie vitrée plongeante sur le lac étale au fond de la grotte.
— Je suppose que je dois m’estimer heureux d’être logé tout court…
Je ne répondis pas, car il n’y avait rien à répondre. Si son corps n’était pas déjà en train de pourrir à la surface, ou d’être carbonisé dans les incinérateurs à détritus, c’était déjà de la chance en vérité, et je pouvais m’estimer heureuse de ne pas être logée à la même enseigne. Une étrange vague de gratitude envers Thor me submergea lorsque je songeai au nombre de choses qu’il m’avait facilitées. Et, en vérité, pour le moment, le prix à payer me paraissait si lointain que je doutais de devoir un jour rembourser ma dette.
— Dame Lyana ? appela une voix féminine depuis la chambre principale.
— Oui Keirv ?
— Voulez-vous que je vienne avec vous ?
Son formalisme policé ne me surprit pas au vu du fait que Levi était un étranger. Je me calquai dessus pour répondre :
— Ça ira, je vais lui montrer les beaux quartiers. Peux-tu par contre nous faire préparer une navette d’ici deux heures environ ?
— Pour aller où, Ma Dame ?
— Dans les plaines, nous déposer pour une heure, nous laisser nous promener et revenir nous chercher ensuite.
Je perçus sa confusion sans même qu’elle ait à passer sa tête à travers la porte.
— Mais…
— Oui, je sais que ce sera mal perçu, mais je pense qu’à partir d’aujourd’hui, les perceptions à mon sujet vont s’infléchir.
Et malheureusement pour les dvergar, je n’étais pas assez stupide pour croire que j’étais libre de parler dans leur petite cité souterraine bardée de capteurs qui détectaient jusqu’au moindre mouvement d’une mouche. Et en outre, j’avais besoin d’expérimenter certaines choses, et la présence de Levi était une aubaine.
— En plus, je suppose qu’au moindre flux magique lokien, la moitié des alarmes du palais vont se déclencher ?
— C’est plausible… marmonna Keirv avec une grimace dans la voix.
Elle n’eut pas besoin de plus pour comprendre que je voulais réellement m’isoler, et qu’elle n’aurait guère le choix.
— Sire Hamershot viendra-t-il avec vous ? éluda-t-elle.
— Je ne pense pas.
— Très bien, je ferai le nécessaire.
— À tout à l’heure !
Elle n’avait même pas pointé le bout d’un cheveu, planquée dans la suite. Les Loki étaient-ils décrits comme des monstres, ici ? Ce n’était pas impossible. J’aurais peut-être le temps de lui faire reconsidérer l’idée dans les dix prochains jours, mais pour le moment, ce n’était pas ma priorité. Je me dirigeai vers la porte, Levi sur mes talons, et l’emmenait en direction du centre-ville.
Côte à côte, nous franchîmes les interminables rampes, ponts et marches qui nous éloignaient du palais central. Je l’amenai dans les marchés, les forums les petites boutiques, lui montrai les mêmes bâtiments principaux qu’on m’avait montrés quand j’étais arrivée moi aussi. Il y avait des ambassades d’autres cites-États dvargen, des musées, des ateliers historiques. L’un d’entre eux était celui de Veiri, mais je l’esquivai soigneusement, peu encline à parler pour le moment de mon accord avec le forgeron.
Sur notre passage, les conversations se taisaient et les regards se détournaient, ou alors se faisaient particulièrement insistants. Le mot avait évidemment circulé depuis cette après-midi, et les discussions reprenaient en chuchotements furieux quand nous nous éloignions de quelques pas. La sensation était étrangement familière, un écho lointain du Manoir où les choses se déroulaient exactement de la même manière. J’en étais presque reconnaissante à Levi pour avoir apporté une touche de normalité lokienne à mon quotidien bizarre de fille de Thor révérée.
La visite du centre nous prit deux bonnes heures durant lesquelles nous n’échangeâmes que quelques phrases lapidaires, quelques commentaires dénués de sens profond. Puis, lorsque le petit tour du propriétaire s’acheva sur la remontée en direction du palais, je l’entraînait vers l’embarcadère.
Comme prévu, la navette nous attendait déjà à l’emplacement où j’avais l’habitude de la prendre, un petit quai un peu à l’écart, destiné aux transports exceptionnels. Le moteur était coupé, mais le pilote l’alluma aussitôt qu’il me vit jouer des coudes pour m’extraire de la masse des dvergar qui circulaient sur les passerelles de pierre. Nous embarquâmes d’un saut dans la navette ouverte, parée au décollage, attachâmes nos harnais de sécurité et le pilote décrocha brusquement les amarres. Le vide vertigineux nous happa durant une seconde et demie de chute libre, avant que les moteurs ne nous stabilisent.
Préparée à tout, depuis le temps que je faisais ce genre d’expérience, je ne bronchai pas, mais Levi laissa échapper un couinement de stupeur qui tira un rictus satisfait au dvergr aux commandes. Un sourire aux lèvres, je pouffai aussi en silence, certaine que ce soir, il raconterait comment il avait fait une frayeur au sale Loki qui avait réussi à s’introduire dans leur belle ville.
Le ronronnement discret des moteurs nous enveloppa dans une bulle sonore qui ne se rompit que lorsque nous jaillîmes du conduit qui permettait de sortir de la citadelle souterraine. Le soleil couchant frappa la coque ovoïde, réfractant ses rayons dans toutes les directions, et je m’enfonçai encore davantage dans mon siège avec l’impression d’être un lézard qui aurait été dans l’obscurité durant trop longtemps.
Le pilote esquiva deux ou trois autres navettes qui croisaient notre chemin, dont l’une avec une belle parabole que j’aurais escompté voir finir en looping, mais il s’en abstint, doutât peut-être de mon contrôle sur ma magie qui l’aurait éjecté du ciel d’un éclair incontrôlé. Puis, il plongea vers le sol, rasa les plaines désertiques sur une bonne vingtaine de kilomètres à l’allure d’un jet de combat, et finit par freiner au ras une colline rocailleuse avec le sourire d’un enfant qui s’amusait bien. Il nous libéra dans la cambrousse en ronchonnant contre le fait que nous allions partir seuls et non accompagnés, jusqu’à ce que je lui promette de rallumer le transmetteur qu’il m’avait donné dix minutes avant que nous ne soyons prêts à repartir, de manière à ce qu’il vienne nous chercher. Il opina en marmonnant dans sa barbe, et ferma son cockpit avant de redécoller dans un vrombissement bien plus audible depuis l’extérieur que depuis l’intérieur.
Je me tournai vers Levi, lui fis un bref signe de tête interrogateur, et en guise de réponse il se prit en marche.
— Bon, raconte, me lança-t-il alors que nous nous engagions dans le vide des plaines volcaniques.
Le sable rocheux, aride et rougeâtre, glissait sous mes pas. Je haussai les épaules, ne sachant trop où commencer.
— Il n’y a pas grand-chose à raconter… il a fait de moi une sang-mêlée.
— Mais tout le combat, toutes les tentatives de nous tuer…
— C’était un test. Pour me forcer à me révéler. Je pense qu’il savait que j’étais dans le secteur, et qu’il me traquait.
Je ne lui raconterais certainement pas tout. Pas l’accord que j’avais passé avec Thor pour survivre et faire vivre Kalyan. La voix grondante, orageuse, résonna dans mon esprit comme si le dieu se tenait juste à côté de moi. Une vie pour une vie.
Levi s’était figé. Je pivotai, avisai la haine dévorante dans son regard.
— Tu veux dire que Selvigia est morte pour un putain de test ?
J’eus l’impression de me prendre un coup de dague en pleine poitrine. C’était la seule raison pour laquelle je ne pouvais pas pardonner, ni Levi ni Thor.
— Tu déconnes là, gronda-t-il, la voix sifflante.
— Elle est morte parce qu’elle s’est interposée entre toi et lui, assénai-je sans réfléchir.
Mon coup porta tout aussi violemment que le sien. Levi se décomposa d’un seul coup, et je réalisai que, si j’avais eu le temps et l’occasion de me faire à l’absence de ma sœur, ce n’était pas son cas. Parfois j’oubliais qu’elle était morte. Dans ces moments-là, j’avais l’impression d’être à nouveau en vadrouille avec Kalyan, pendant que Selvigia et Åke réglaient les affaires de Loki de leur côté, préparaient les armées du Ragnarök, faisaient monter le chaos là où ils le pouvaient. Dans ces moments-là, j’allais bien.
Et puis, parfois, sa mort me revenait à l’esprit comme un aiguillon venimeux, une piqûre de serpent au mollet. Dans ces moments-là, je m’effondrais. Ça me revenait occasionnellement quand j’utilisais les éclairs, quand l’image de son corps s’interposant entre ma magie et ma cible me paralysait. Sinon, c’était juste une pensée, une réflexion, un souvenir que j’associais à elle et qui me faisait soudain émerger dans la réalité. C’était souvent quand, intuitivement, j’allais chercher ma magie de feu au plus profond de mes réflexes, quand je me sentais agressée.
— Merde, finit par gronder Levi.
— D’ailleurs ça avance tes recherches ?
La pique était mesquine, mais Levi préféra suivre le flot de la discussion plutôt que de s’appesantir sur Selvigia. À la manière dont il marchait, légèrement voûté, je sentais qu’il avait pris un coup au moral, et ce n’était pas que le décès de ma sœur. Il avait porté sa croix longtemps avant qu’elle ne se sacrifie. Il lui avait demandé de l’aider, et Selvigia s’était interposée entre Thor et lui pour lui permettre de récupérer la clé d’éther. Mais déjà chez Skadi, il était quasiment détruit par les morts qu’ils n’avait pas pu empêcher de retenir, celles de l’équipe qu’il avait emmenée avec lui pour l’accompagner dans son périple.
La culpabilité se lisait dans sa démarche, la cruelle réalité avait marqué ses traits.
— Ça progresse, répondit-il d’une voix contrôlée. Les traces de la clef d’ambre m’amènent dans le secteur, mais je ne sais pas où chercher.
— J’ai un scoop alors.
Il me questionna du regard.
— Elle est probablement à Stronstall. Ankri a parlé d’un « joyau de sa collection » qu’ils auraient volé à Skadi il y a un moment déjà.
— Tu me fais marcher... grommela-t-il, blasé.
Je haussai les épaules.
— C’est moi ou tu es toujours au bon endroit ?
— Honnêtement, je pensais être dans une période creuse de mon chaos habituel, je croyais que j’allais pouvoir me poser. Quand il a parlé de Skadi...
— J’hallucine.
Il secoua la tête de gauche à droite, un rictus grinçant aux lèvres.
— Je vais finir par te suivre partout, et tu vas juste m’amener aux clefs en te promenant dans les Neuf Mondes si ça continue.
— En principe, les trouver n’est pas un problème, non ? C’est plutôt les récupérer ?
— C’est vrai... marmonna-t-il.
La clef d’éther, il avait dû l’arracher à Thor, qui la portait sur lui en permanence. La clef d’ambre aurait été en possession de Skadi si les dvergar ne l’avaient pas volée et enfermée à quadruple tour dans leurs coffres. La dernière, celle de sang, était certainement en possession d’Odin, son propriétaire originel. Il ne s’agissait pas tellement de la trouver, car le dieu quittait rarement sa demeure ces dernières décennies. Il fallait plutôt trouver un moyen de la lui arracher, ou de la négocier.
— Par contre... ça faisait combien de temps que tu savais pour... toi ?
Il n’eut pas besoin de dire le titre, je le lus dans la rancœur étouffée de son ton. L’Élue.
— Åke me l’a annoncé... avant qu’on aille voir Mímir.
— Et t’aurais pas voulu me le dire ?
— Genre avant ? Quand on s’est retrouvés ?
— Ouais.
Je le regardai en biais, sceptique, et il finit par ricaner.
— Ouais, ok. Mais ça aurait été sympa que je ne l’apprenne pas par l’autre psycho. D’ailleurs, comment… enfin, pourquoi… pourquoi il est comme ça ?
— Åke ? relevai-je. Honnêtement, je ne sais pas. La taule ça te détruit, mais je pense qu’il était déjà totalement fou avant.
— Il a l’air… explosif.
— Tu n’as pas vu ce que j’ai vu.
— Ah ?
Les souvenirs du massacre au pied du Bifröst affleurèrent, et je secouai la tête pour chasser l’image des cadavres transpercés. C’étaient mes demi-frères qu’il avait massacrés. Les siens aussi. Mais ça ne semblait pas lui importer.
— Ne… ne te bats pas contre lui. C’est tout ce que j’ai à dire.
— Tu veux dire que tu n’oserais pas le faire toi-même ? releva-t-il, percevant les nuances cachées dans l’horreur contenue de ma voix.
— Je craindrais sérieusement pour ma vie.
— Ah ouais.
Je laissai la remarque flotter, réfléchissant en silence. La plaine était morne et rocailleuse. Les coulées de lave avaient creusé des sillons dans le sol, et ces sillons s’étaient progressivement fendus et craquelés sous l’action de la pression, du temps et de l’érosion. Les dvergar avaient préservé leur environnement, aussi seuls de vagues sentiers de marche se dessinaient entre les vallons de la lave séchée, et le reste de la roche avait été laissée intacte. Heureusement que j’avais de bonnes chaussures de marche, sinon mes chevilles se seraient déjà tordues plus d’une fois dans les creux des fissures.
— Il est parti où ? relevai-je après un moment.
— Euh… il a parlé de chaos, de lever une armée… et il a disparu un matin sans laisser de traces…
Je secouai lentement la tête de gauche à droite, blasée. C’était bien le genre d’Åke, ça : soulever un million de questions au cours d’une brève conversation, et s’évaporer le lendemain. On pouvait logiquement supposer qu’il était parti rallier d’autres troupes des environs à la cause du Ragnarök qui détruirait le monde. En sachant que nous étions dans les plaines de l’est de Nidavellir, où la population naine n’était pas très prône à accepter les enfants de Loki, j’estimais qu’il était parti plus loin. Peut-être retourné à Jötunheim ? Mais ils en avaient plus ou moins fait le tour avec Selvigia, de ce que j’avais compris. Vanaheim alors ?
— Et comment tu t’es retrouvé à Stronstall du coup ? demandai-je pour maintenir la conversation à flot, l’esprit ailleurs.
Il se gratta la nuque, gêné.
— Je… j’ai erré, j’avoue. Je n’avais pas de GPS. J’ai marché plus ou moins tout droit vers l’ouest en espérant retomber sur une route fréquentée, et puis le temps que je comprenne ce qui se passe…
Son expression me raconta le reste de l’histoire sans paroles. Je me rappelais de la dernière fois que les nains m’avaient attrapée par mégarde. Ce n’était pas à Stronstall, c’était dans une ville dvargen un peu moins barbare et raciste, mais c’était resté plutôt désagréable. Ici, ils l’avaient probablement enchaîné comme un animal, traîné devant le roi, et l’avaient libéré de ses entraves seulement en lui expliquant qu’au moindre geste menaçant ou à la moindre suspicion, il se ferait incinérer par une quelconque torpille calibrée pour suivre des Loki à la trace par leur flux magique.
— C’est tout ? relevai-je.
— Parfois, il n’y a pas besoin de chercher compliqué pour se retrouver dans la mouise, rétorqua-t-il, sentencieux.
La tournure me fit rire.
— Celle-là, je la garde.
— T’as cru ouais.
— Oh tiens, tant que tu es là…
Je fis apparaître mon détecteur magique de mon inventaire de Loki, et la sensation de mon flux magique de naissance dans mes mains me donna des frissons. Cela faisait si longtemps que je ne l’avais pas utilisé...
— Wahhh ! C’est impressionnant en vrai, admit Levi avec une expression d’admiration que je ne lui connaissais pas. J’avais jamais vu de sang-mêlé en vrai.
La remarque me réchauffa de l’intérieur comme un compliment incongru, inattendue mais bienvenue. Je devinai que mes yeux avaient repris leur couleur turquoise d’origine. Il faudrait que je pense à effacer ma trace magique avant de rentrer, même si je pouvais argumenter que c’était Levi qui avait utilisé ses pouvoirs. Mais en principe, une large utilisation de mon énergie de Thor devrait suffire pour camoufler la magie du chaos, comme les dvergar l’appelaient.
— Qu’est-ce que tu fais ? s’enquit Levi d’un ton sincèrement curieux.
— J’ai besoin de voir à quel point j’arrive à camoufler mes propres traces. Et étant donné que je n’ai personne pour m’expliquer ce qui est possible ou non avec ma dualité, il faut que j’expérimente par moi-même.
— Comme par exemple ?
— Voir si je peux utiliser les deux en même temps en accentuant l’un pour tromper les détecteurs.
— À peine dotée de nouveaux pouvoirs qu’elle cherche déjà à arnaquer les gens...
— N’est-ce pas notre travail ? relevai-je avec un haussement de sourcils suggestif.
Il pouffa. Je lui lançai le détecteur, et il l’alluma.
— Tu profites que je sois là pour qu’ils ne se posent pas de questions sur l’énergie magique lokienne qui émane de leur territoire protégé ?
Je hochai la tête en guise de réponse, et il m’indiqua :
— Tu dégages du L pour le moment.
Guère étonnant, songeai-je. Je basculai aux étincelles de foudre, et le détecteur émit un bip sonore - je l’avais à l’origine paramètre pour détecter la présence d’enfants de Thor dans les parages.
—T, renchérit Levi en coupant le son pour ne pas me donner d’indices.
C’était là que ça se corsait. J’étais curieuse de savoir si je pouvais maintenir par exemple une illusion, tout en couvrant les émanations avec un champ magnétique de Thor.
Je commençai par étapes, comme j’avais l’habitude de le faire lorsqu’Ekrest m’apprenait une nouvelle technique. Je tissai d’abord mon illusion, un simple miroitement autour de mon corps qui mimait une couverture d’invisibilité. Puis, tout en gardant l’illusion dans un coin de mon esprit, je tentai d’invoquer mes étincelles.
Je n’avais jamais joué d’un instrument, mais c’était comme ça que j’imaginais apprendre à séparer ma main gauche de ma main droite. C’était comme essayer de battre deux pulsations différentes en même temps, tirer sur une corde des deux directions opposées. Mon esprit avait du mal à appréhender le concept de la fragmentation.
Pourtant, dès les premières tentatives, je perçus que c’était possible. C’était difficile, ça requérait mon attention totale et permanente, mais je ne sentais aucun conflit direct entre les flux. Quelque part, c’était similaire aux métamorphoses partielles que m’avait enseignées Åke : il fallait réussir à joindre deux systèmes diamétralement opposés, mais ils n’étaient pas incompatibles.
Les premiers essais sous le regard perplexe et quelque peu empli d’incompréhension de Levi se soldèrent par des échecs absolus, mais je ne désespérai pas. Je connaissais ma magie d’illusions et je commençais à maîtriser mon électrokinésie. Je les visualisai dans mon esprit comme des fils reliés à mes mains, sur lesquels je devais tirer comme sur des fils de marionnettes. Je l’avais déjà fait plusieurs fois lorsque j’avais appris à jouer avec mes différents pouvoirs, il n’y avait aucune raison pour que ce soit plus difficile ici.
Patiemment, je reconstruisis mon illusion qui s’effilochait sous la tension que je mettais dans ma magie de Thor, la stabilisation, jusqu’à ne presque pas devoir faire d’effort de volonté pour la maintenir. Puis, par petites touches, j’essayai de tirer sur mes pouvoirs électriques pour faire apparaître de minuscules étincelles. L’effort était intense, au point que je sentis une première goutte de transpiration couler le long de ma tempe, dévaler ma joue. Je grinçais des dents, acharnée. Je ne déployais quasiment aucune puissance magique à proprement parler ; individuellement, c’étaient des exercices de bas niveau. Mais ensemble...
— Oh ! Vas-y, ressaie ce que tu faisais ! lança Levi avec une pointe d’excitation dans la voix.
Je fronçai le nez, incertaine de savoir ce que j’avais fait en particulier, décidai de refocaliser sur la double manipulation. Je tirai d’un côté, essayai de maintenir l’autre au même niveau qu’auparavant, jusqu’à sentir comme une sorte de déclencheur. Une nuée d’étincelles apparut autour de ma main, tandis que l’illusion se maintenait en place. Levi poussa un petit cri de victoire.
— T ! Non, L. T. L ! T’alternes.
Je pris une longue inspiration, stabilisait mon souffle, fis l’effort conscient de faire redescendre la tension qui habitait mes épaules. J’approchais, je le sentais. La maîtrise des deux commençait à se faire facile. Maintenant, restait à déployer suffisamment d’énergie d’une part, et moins de l’autre, pour tromper les détecteurs. Celui que j’avais donné à Levi avait été fabriqué par les dvergar, il avait de fortes chances que ceux de la cité soient similaires. Je pouvais aller vérifier ça avec mon nouvel allié empli de mauvaise volonté, Veiri.
— Toujours L… annonça Levi.
Je tirai lentement, précautionneusement, sur les étincelles, pour les amener au premier plan. Elles résistèrent, dépassées par la puissance de l’illusion que je maintenais, et je réinjectai doucement de l’énergie jusqu’à sentir un frisson électrique courir le long de ma peau comme un filet d’eau.
— T ! T’es stable.
Je souris, modulai mon illusion avec méfiance pour ne plus en faire seulement un voile translucide, mais me rendre parfaitement invisible. Durant le processus, je dus recalibrer l’énergie que je mettais dans mes étincelles, car je sentis mon côté Thor vaciller et perdre pied face au côté Loki, mais je parvins finalement, avec la lenteur d’un escargot, à modifier mes actions. Puis, je fis la même chose avec les étincelles, les transformai doucement en un champ magnétique puissant mais invisible qui m’entourait pour m’envelopper d’une zone d’énergie purement Thor.
Quand je parvins à maintenir les deux en même temps sans trop d’efforts et que je relevai la tête, Levi me regardait – ou du moins, regardait l’endroit où je m’étais tenue – comme si j’étais un alien tout droit sorti d’un film de science-fiction.
— Mes yeux ? interrogeai-je dans le silence total rompu uniquement par les sifflements du vent.
Après une brève hésitation, Levi incanta un sort de clairvoyance sur lui-même pour voir au travers de l’illusion d’invisibilité, et répondit :
— Bleus.
J’esquissai un sourire triomphal. C’était un exercice éreintant en termes de concentration, mais je pouvais le faire. Avec un peu d’exercice, cela deviendrait de plus en plus facile.
Je soufflai longuement, coupai d’abord ma magie lokienne et ensuite le champ magnétique qui m’environnait, et m’assis par terre, l’esprit en vrac.
— Ok. Donc le flux et les yeux sont uniquement liés au pouvoir dominant sur le moment.
— Ça a l’air si simple quand tu le fais… grommela Levi. T’imagines pas le temps qu’il m’a fallu pour apprendre à faire deux types de magie lokienne en même temps. Et toi tu…
Je discernai la pointe d’envie dans sa voix, la rancœur refoulée qu’il luttait certainement pour contenir. Je plissai les lèvres, lui adressai un regard perçant, sous lequel il sembla se recroqueviller.
— Pas moi je. C’est Ekrest m’a appris à. Je t’invite à aller le voir pour t’entraîner de la même manière, mais je dois te prévenir, ce n’est pas les années les plus agréables que tu passeras.
Il esquissa une grimace à la fois cynique et amusée.
— Mouais, pas convaincu du coup. Et pour la suite ? demanda-t-il. Long terme, j’entends.
Je soupirai, levai la tête vers le ciel gris. Les nuages étaient si épais qu’ils formaient une voûte lisse et opaque, par laquelle la lumière du soleil couchant filtrait à peine. J’étirai mes bras dans mon dos, songeuse, finis par grommeler :
— Je suppose que je ne peux pas rester en cavale éternellement.
— T’es trop justicière pour ça.
— Tu trouves ? relevai-je après un moment de réflexion.
Il pivota franchement face à moi, un sourire narquois aux lèvres.
— Lilith, c’est pas pour me moquer de toi… mais la plupart des fois où Adam et moi on t’attendait au tournant pour te mettre la misère, c’était toujours en comptant sur le fait que tu viendrais te venger, ou venger l’un de tes hommes. Sauf que, souvent, tu es allée tellement plus loin que ce à quoi on s’attendait…
Je fronçai le nez, songeuse. Je ne me voyais pas comme une justicière. En même temps, c’était compliqué de chercher la justice quand mon travail était d’assassiner des gens que je ne connaissais pas, de faire chanter, de kidnapper et de voler.
— Comme par exemple ?
— Ben… rien que Barcelone. Tu te rappelles comment tu nous as piqué toutes les opérations majeures par la suite ?
La réflexion me tira un sourire. Il était vrai que, après le scandale de Barcelone, où Sam ne s’était pas gêné pour raconter au Manoir comment Levi l’avait délibérément abandonné face à un berserk, leurs taux de mission avaient quelque peu… chuté. Je n’y étais certainement pas pour rien, et même s’il y avait un côté revanchard très plaisant à leur arracher leurs contrats sous le nez grâce à ma mainmise de seconde Élite, c’était surtout un problème de position. Nouvellement arrivée dans le top-trois, j’avais dû batailler pour me faire un nom et consolider mes appuis parmi les anciens, qui n’appréciaient pas tous de voir Adam évincé. J’avais dû déployer des trésors de diplomatie pour pacifier certains Loki un peu trop belliqueux, alternant entre carotte et bâton, promesses de contrats rémunérés et menaces de rétrogradation à un poste d’archives.
— Ce n’était pas que personnel, finis-je par répondre.
— Mais ça l’était suffisamment. Ce n’est pas une critique, hein, ajouta-t-il à toute vitesse en levant les mains en signe de paix, mais c’était… agressif. Et particulièrement efficace.
— Fallait pas me larguer face à un svinfylkingar.
— Oui mais…
— Non mais ce n’est pas une critique non plus, l’interrompis-je avec un rictus et une œillade provocante. Je m’en suis sortie.
La simplicité de la répartie lui fit accuser le coup. Il me fixa de ses yeux turquoise, une nuance familière que je n’avais plus vue depuis une éternité, et marmonna :
— C’est tout ?
— Maintenant, oui, finis-je par soupirer après réflexion. J’ai revu mes échelles de trahison à la hausse depuis Kaiser.
Le nom de la commandante jeta un froid perceptible entre nous. Je me rappelai que Levi n’avait personnellement rien contre elle, sur elle l’avait toujours bien traité, souvent même favorisé par rapport à moi.
— C’est moche... marmonna-t-il finalement. Ce qu’elle vous a fait. Je ne la pensais vraiment pas comme ça.
— Le pire, c’est que moi non plus, soupirai-je. Même pendant les semaines d’emprisonnement, je n’ai même pas considéré l’idée qu’elle m’abandonne. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir appris que n’importe qui peut te trahir...
Le mantra d’Ekrest était gravé dans ma mémoire en lettres de feu, mais ça ne m’avait pas empêchée de me faire avoir par la seule personne dont j’aurais réellement pensé qu’elle avait mon intérêt à cœur vu comment je bossais pour elle. Apparemment, les choses n’étaient pas aussi simples que ça.
Pourtant, avec le temps qui s’était écoulé, mais rage primaire s’était calmée. Ce n’était plus de la haine aussi pure qui me guidait, contrairement aux autres Élites. J’avançais encore parce que j’avais décidé de me chercher ailleurs qu’au sein de la Confrérie, de trouver une identité qui m’était propre et pas celle que d’autres comme Ekrest ou Kaiser essaieraient de créer pour moi.
— Et toi, long terme ? Asgard ?
Il soupira.
— Probablement... même si je n’ai aucune idée de comment je vais m’en sortir là-bas.
— Ça, souris-je, je te laisse faire. Je veux bien t’aider ici, mais je ne t’accompagnerai pas partout.
— Ça te flinguerait, hein ?
Je haussai les épaules.
— Non, c’est juste que c’est à toi que Père a demandé de le libérer. J’ai déjà traité avec lui de mon côté, je ne suis pas prête à le refaire tant que je n’y suis pas obligée.
J’avais essayé de la réprimer, mais je n’étais pas totalement parvenue à chasser la rage amère de mon ton, et il ne fallut pas plus à Levi pour venir creuser :
— Il t’est arrivé quoi ?
Je claquai de la langue, pivotait vers lui, et il se crispa comme s’il s’attendait à un coup au visage.
— Tu veux peut-être me raconter ton expérience avec Mímir ?
Levi blêmit, ses traits se déformèrent pour laisser la place à une obscure douleur mêlée de fureur.
— J’ai compris, soupira-t-il. Mais… à ce point ?
— Disons que Mímir et lui ont tous les deux des manières drastiques de te faire payer tes décisions. On n’est pas une famille de kidnappeurs et de tortionnaires pour rien.
Je savais que Levi n’aurait pas de mal à déchiffrer ce que je venais de dire à mots à peine couverts. Il fronça le nez, faillit se prendre les pieds dans une roche qui dépassait et qu’il n’avait pas vue. Il se rétablit avec un grognement, fit quelques pas sans rien dire, songeur, puis finit par lancer :
— Tu rentres à Midgard je suppose ?
J’acquiesçai, ne doutant pas de ce que je comptais faire, au moins jusqu’à cette étape-là. Après en revanche, ça se compliquait drastiquement.
— Tu vas reprendre la Confrérie, hasarda-t-il. N’est-ce pas ?
— Moi ? Non, il y a d’autres gens bien plus compétents que moi pour ça. Par contre je compte bien faire dégager Kaiser.
Il pouffa.
— Tu vois toujours pas ton côté justicière ?
Je voulus argumenter, me ravisai. Vu comme ça, c’était compliqué de l’éluder ou de le nier. Pourtant, je n’avais pas l’impression que j’étais animée par l’envie de réparer une injustice. Je refusais seulement de laisser le système se perpétuer. Kaiser ne détruirait pas une autre vie, ne causerait pas la mort d’une autre fillette comme Vanessa. Ce n’était pas à propos de moi, ni à propos des Élites déchus. Ce que nous avions perdu, nous ne pouvions pas le retrouver. Ni le temps, ni l’énergie, ni les êtres chers. Certains avaient vu disparaître des années, d’autres des gens. Le mentor de Kirstin, James Dasher, ne reviendrait pas. La santé mentale de Kirstin ne reviendrait peut-être même pas.
Pourtant, il fallait bien que nous continuions à avancer.

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Interlude
(à la suite)
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Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons

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INTERLUDE


Les dieux ne rêvent pas, ou en tout cas, ne se font pas emprisonner dans leurs rêves. D’habitude, ils préfèrent intervenir dans les songes des humains, les guider ou les tourmenter, en fonction de leur humeur. Mais pourtant, cette fois, c’est Thor qui s’est fait piéger. Projeté au pied d’Urdabrunnr par les monstres qui maîtrisent sa destinée et à qui il essaie de se soustraire, il se débat dans un filet de racines qui l’ont emprisonné dans une cage aussi solide que l’acier. Les trois mégères lui font face, debout côte à côte dans l’ordre croissant. Cette fois, la plus jeune a l’allure d’une petite fille au regard sévère, au visage fermé. Elle a une voix haut perchée, mais malgré le ton enfantin, la puissance qui se cache derrière se réverbère jusque dans les plus petits brins d’herbe.
— Tu étais censé la tuer.
— J’ai échoué… murmure-t-il en suppliant en silence l’Yggdrasil que le mensonge passe.
En principe, elles ne sont pas capables de voir les trames qui leur échappent, là où l’Élue intervient. Il prie pour que la vérité soit étouffée dans les fils entrecroisés, ceux qu’elles ne peuvent pas lire.
— Comment ?
— Elle a appelé Loki.
Son expression se trouble à la mention du nom. Il joue sur ce trouble, force son hésitation pour la transformer en une pointe de peur.
— Elle a fait une invocation. Il a pris possession de son corps…
Les trois Nornes primaires s’entre-regardent, soudain incertaines. La plus âgée, une vieille mégère qui répond au nom d’Urd frémit presque en murmurant :
— Le second rituel interdit…?
Thor se crispe dans ses liens, gigote pour essayer de s’en défaire. Les Nornes sont capables de l’amener là où il ne possède pas ses pouvoirs, dans un univers où sa force ne vaut que celle d’un homme comme un autre. Un monde où il se sent totalement démuni. Et elles peuvent le faire quand elles le veulent.
Cette pensée l’emplit d’une rage dévorante qui chasse un instant la question qui avait affleuré. Un jour, même si ce sera le dernier de sa vie, il écrasera ces géantes. Il les aplatira avec Mjöllnir, écrasera leur mainmise sur le destin. Un jour, il ne sera pas le « héros » qui tuera Jörmungandr, le meurtrier sanguinaire qui a assassiné des milliers d’innocents, mais plutôt celui qui évincera les folles psychotiques qui jouent avec les vies de tous ceux qu’il côtoie.
Le temps qu’il se rappelle qu’il avait une question sur le bout de la langue, il se réveille brusquement. Évidemment, la question lui échappe. Il se redresse de son lit de fortune, un canapé certes luxueux mais malgré tout inconfortable. Au cours de sa dernière scène de ménage, Sif a fait verrouiller toutes les portes de la demeure par sa fille Syn. Depuis, impossible d’accéder à l’une des dizaines de chambres de l’immense palais dans lequel il vit. Il a hésité à se réfugier temporairement chez Heimdall, mais les monts du bout du monde sont particulièrement hostiles, et il n’aime guère la neige. Alors il subit, attendant l’éclaircie après l’orage.
Parfois, les colères de Sif sont mémorables. L’une des premières a été celle où Loki lui a rasé les cheveux. La terre a tremblé, les volcans ont explosé. Thor lui-même a juré de ne pas remettre un pied dans sa demeure avant d’avoir trouvé une solution tant elle était furieuse. C’était la pire qu’il ait vécues. Aujourd’hui, elles sont moins intenses, mais bien plus fréquentes : des scènes de ménage qui n’en finissent plus, qui lassent tout le monde, y compris eux-mêmes. La vie de couple ne leur sied plus depuis des siècles, même s’ils s’aimaient au départ.
Au fond, il sait qu’elle se sent aussi prisonnière que lui. Ils n’en parlent jamais, car même lorsqu’ils voudraient aborder le sujet, les mots s’étouffent dans leurs gorges, leurs mains restent suspendues au-dessus du papier comme si la plume était figée dans l’espace-temps. Ils n’ont pas le droit d’en débattre entre eux. Ils ne devraient peut-être même pas être capables d’y songer, mais ça, les Nornes n’ont pas pu le leur retirer.
Alors ils ruminent et ils étouffent, chacun à leur façon. Ils tirent sur leurs chaînes immatérielles, ils haïssent le monde et ce qu’ils sont eux-mêmes devenus, bien loin de ce qu’ils voudraient être. Ils enragent en silence à défaut de pouvoir hurler, impuissants, prisonniers de leur propre pièce de théâtre. Ils attendent le Ragnarök, la libération, avec un espoir tordu que leurs entraves se brisent enfin, qu’ils puissent laisser libre cours à leur rage et à leur haine.
Le souvenir de la petite fille de Loki qu’il a croisée dans les plaines de Jötunnheim transperce les pensées moroses et frustrantes du dieu. Il se fend d’un sourire au moment où la porte s’ouvre brusquement sur sa femme, qui a les poings sur les hanches et une expression qui hurle qu’elle a envie d’en découdre.
— Ça t’amuse de dormir ici ? gronde-t-elle d’emblée.
— Non, je pensais à cette gamine, répond-il en essayant de se recomposer une façade contrite.
— Laquelle ? Ta dernière midgardienne ?
— Non, l’Élue.
L’expression de Sif se crispe, puis se transforme en un rictus incertain, et encore une fois Thor se fait la réflexion que la simple mention de cette fille change décidément la donne. D’un seul coup, le poids qui leur oppressait la poitrine s’allège quelque peu, leurs langues se délient, certains mots qui n’arrivaient pas à sortir se libèrent.
— Comment est-elle ?
— Libre.
C’est le premier mot qui lui est venu, mais il enchaîne rapidement :
— Féroce. Intraitable. Prête à tout pour ceux à qui elle tient.
Le rictus de Sif se transforme en un mince sourire, et Thor ajoute avec une pointe d’affection :
— Elle tient beaucoup de son père et de sa sœur. Je pense sincèrement que tu l’apprécieras.

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Chapitre 8
(à la suite)
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CHAPITRE 8


— Un autre.
Sans ciller, le barman, un petit dvergr à l’air grincheux et à l’expression fermée, me resservit. Sa bouteille était déjà prête, posée sur le comptoir, juste devant moi. Il se contenta de remplir mon verre, puis du même mouvement celui de Levi, qui se tourna vers moi, les lèvres froissées par une grimace de profonde tristesse impossible à feindre.
— Aux disparus.
— Aux disparus, répétai-je, entrechoquant mon shooter avec le sien.
Nous avalâmes cul sec pour la cinquième fois de la soirée. C’était la première fois que nous portions un toast, et il me laissa un goût acide dans la gorge, comme une rancœur mal digérée. Les mots charriaient encore avec eux l’odeur de l’ozone et le bruit sourd des os qui craquaient.
— Elle paraissait si fatiguée, récemment… triste, presque…
Je tournai la tête vers Levi. La souffrance silencieuse que j’entrevoyais au fond de ses iris paraissait le dévorer de l’intérieur. Malgré son apparence jeune, il semblait avoir vieilli de deux cents ans. Je me mordillai un ongle, avec l’impression soudaine de n’être qu’une gamine. Levi avait des dizaines d’années de plus que moi, et pourtant, cette vulnérabilité apparente face à la mort d’un amour perdu le rendait, d’une certaine manière, encore plus humain. Presque sympathique.
— Elle me haïssait… souffla-t-il pour lui-même. J’ai tué son frère.
Le barman nous jeta un regard en coin, partagé entre curiosité et étonnement. Je le notai sans vraiment le vouloir, par habitude.
— Et j’ai tué sa fille. J’ai l’impression de ne jamais l’avoir connue, au fond… murmurai-je.
— Ce n’est pas qu’une impression.
La rancœur était palpable. Et, plus douloureux encore, la phrase était véridique. Je ne connaissais pas réellement Selvigia. Je n’avais toujours vu que ce qu’elle m’avait autorisé à voir. En quelques semaines de voyage avec elle, j’en avais appris au moins autant sur elle qu’en quinze ans, et pourtant, maintenant qu’elle était partie, j’avais l’impression d’avoir à peine effleuré la surface de sa carapace. Combien de temps avait-elle passé avec Adam ? Pourquoi avait-elle refusé de quitter la Confrérie à la mort de son frère ? Qui avait-elle été en-dehors de la Confrérie ?
— Personne ne la connaissait vraiment, soupira Levi, l’air absent. Elle a toujours été distante avec tout le monde. Au fond, tu aurais très bien pu la connaître mieux que nous, même… Vous étiez déjà plus proches qu’elle ne l’était avec tous les autres.
Il leva son verre à nouveau rempli vers moi, l’air interrogateur. J’esquissai une grimace, levai une main. Le barman ne cilla pas, me resservit aussi sec. L’alcool commençait doucement à embrouiller mes sens. Après notre promenade expérimentale dans les plaines, Levi et moi nous étions réfugiés dans ce bar des bas-fonds de Stronstall, sous prétexte de prendre un verre, mais les souvenirs s’étaient rapidement interposés entre lui et moi. Pour lui, c’était Selvigia, Iomi, et toute l’escouade qui l’avait accompagné dans son voyage depuis Mímirsbrunn. Pour ma part, c’était Vanessa, Blade et Selvigia, et les cadavres que j’avais laissés au pied du Bifröst.
Je rejetai la tête en arrière en buvant, songeai à m’arrêter là. C’était le plus raisonnable. Nous avions déjà tous les deux avalé de quoi nous faire tourner la tête d’ici une vingtaine de minutes, même si les effets ne s’en faisaient pas encore tant ressentir. Mais je connaissais cette sensation de flottement qui commençait doucement à engourdir mes membres. Combien de soirées similaires avais-je passées ainsi avec Sam, chacun perdu dans son enfer intérieur, essayant de digérer les récents évènements. Sauf que, contrairement à moi, Sam s’était laissé couler. Il avait choisi se noyer régulièrement, de se forcer à s’oublier plutôt que de laisser le temps adoucir les souvenirs. Et, d’une certaine manière, je le comprenais. C’était plus facile de se laisser emporter, d’occulter les erreurs du passé, les morts, les disparus. Même si ce n’était que temporaire.
C’était finalement ce qui nous avait séparés. J’avais prétexté mon train de vie, mes priorités qui ne me permettaient pas de dégager du temps pour lui, mais en vérité, on le savait tous les deux : j’avais préféré me couper de mes attaches sentimentales envers lui pour m’éviter de plonger avec lui. Je ne l’avais pas totalement abandonné, cependant, gardant une attache occasionnelle.
— Il vaut mieux qu’on s’arrête là, soufflai-je en déposant une pièce supplémentaire sur le comptoir pour payer l’addition finale.
— Nah… je veux me mettre minable… je veux…
Je posai un coude sur le bar, vrillai mon regard dans celui du Loki, et il s’interrompit.
— Mmhm. Je te connais, t’es un danger public, et tu ne tiens pas ton alcool. Tu vas me suivre, ok ?
— C’est tellement bizarre, ces yeux… marmonna-t-il, l’air de vouloir rechigner.
— Je sais. Passe ta main.
Il m’offrit une grimace de ronchon, mais ne sembla pas vouloir lutter davantage contre mon insistance à le faire sortir du bar. Le tabouret tangua quand il se leva, et je le rattrapai par précaution tout de suite, le sentant dériver. Il vacilla un instant, puis s’affala sur moi de tout son poids, et esquissa un rictus niais qui me donna l’impression qu’il le faisait exprès. Mais je ne relevai pas. Je me contentai de passer son bras par-dessus mes épaules et de le tirer hors de la salle malgré le fait qu’il traîne des pieds. Le souvenir d’une soirée lointaine, qui remontait à avant ma capture par les Thor, affleurait au ras de mes souvenirs. Je me souvenais d’un autre Levi, plus éméché, plus joyeux, moins rompu par la réalité.
— Lilith ? grogna-t-il.
— Appelle-moi Lily, ou Lyana, lui soufflai-je à l’oreille, priant pour que personne autour de nous ne relève son lapsus.
— Mmhm. Tu lui fais confiance ?
L’air frais de la caverne s’immisca dans l’interstice de la porte que j’ouvrais d’une main, soutenant toujours Levi de l’autre côté. Je pris soin de le sortir d’abord, de refermer derrière nous et de faire quelques pas en vérifiant les environs avant de lui répondre. Décidément, bourré, il perdait tout sens des précautions.
— À qui ? Kalyan ?
— Ouais. Tu sais qu’à Midgard… ça va mal se passer pour vous…
Je soupirai, l’amenai près d’une balustrade qui penchait dangereusement sur le vide, et un autre souvenir de cette précédente soirée m’effleura. Rongée par la haine et l’amertume de sa nomination d’Élu, je l’avais menacé de le jeter par la fenêtre du Manoir. C’était l’époque où je ne savais pas encore tout ce qui se tramait en arrière-plan, à quelques couloirs de notre lieu de fête.
Cela semblait si lointain, en ce moment.
— Qu’est-ce que tu racontes encore ? soupirai-je d’un ton las, songeant que peut-être que précipiter sa mort m’aurait épargné d’avoir à le ramener jusqu’au palais dans cet état, aujourd’hui.
— J’avais… j’avais une amie… qui sortait avec un Njörd.
Le nom provoqua un frisson le long de mon échine. On n’énonçait pas impunément les noms des dieux lorsqu’on n’était pas protégés par les Cils d’Ymir. Les nommer, c’était les appeler, solliciter leur divine attention. Et parfois, ils avaient les oreilles fines, ou tendaient à rappliquer trop vite.
Puis, l’écho de sa voix, le regret de son ton, me frappèrent, recentrant mon attention.
— Tu avais, relevai-je doucement, l’incitant à poursuivre.
— Ils s’étaient rencontrés au Festival de Yule, quelques mois plus tôt. Un jour, elle a décidé de quitter la Confrérie pour vivre avec lui.
Mauvaise idée. On ne quittait pas la Confrérie, même contre son plein gré, c’était une leçon que Selvigia m’avait apprise à mots couverts. Dans le pire des cas – ou peut-être était-ce le meilleur ? – elle nous abandonnait elle-même. Mais elle ne nous laissait pas la quitter.
— Trois semaines plus tard, ils nous ont rapporté son corps. C’est le temps qu’il leur a fallu pour les traquer et les descendre.
Le goût amer de l’alcool fort remonta dans ma gorge, je fermai les yeux, me penchai imperceptiblement au-dessus du vide pour chercher un courant d’air plus frais.
— C’est le mode de vie qu’on a choisi… finis-je par murmurer. De gré ou de force.
— Mais tu ne…
— J’apprécie que tu t’inquiètes pour moi. Mais je ferai ce qu’il faut. Ou du moins, j’essaierai. Parce que je ne peux pas faire mieux.
Un long silence succéda à ma remarque, ponctué par le souffle du vent souterrain sur mon visage.
— Je déteste ton fatalisme, soupira-t-il.
Il n’y avait cependant aucune méchanceté dan son ton, simplement une amertume acide, celle d’une perte. Et, dans le silence qu’il laissa enfin s’installer définitivement, je me demandai combien de personnes il avait perdues ainsi, lui. Je l’avais souvent cru niais et inconscient, mais peut-être n’était-ce qu’une illusion ? Plus je lui parlais – plus régulièrement et plus intimement qu’au Manoir, bien sûr – plus j’entendais des échos de pertes et de défaites. Pour quelqu’un que j’aurais auparavant pris pour un petit arriviste arrogant et incapable d’admettre une défaite, je lui découvrais progressivement une profondeur d’âme insoupçonnée.
Mais après tout, il avait près de quatre-vingts-ans là où j’en avais le quart. Il devait en avoir vu passer d’autres, des cas comme ça. Combien de morts, de disparus, d’oubliés, pour en arriver à prétendre au quotidien qu’ils n’avaient jamais existé ?
C’étaient des questions auxquelles je n’avais pas particulièrement envie de répondre. Pas ce soir. Demain, je me demanderais le pourquoi du comment. Ce soir, je faisais une partie de mon deuil en silence, aux côtés de l’une des personnes que j’aurais le moins suspecté de pouvoir m’accompagner dans ce genre de descente. Et pourtant, au combien cela puisse paraître surprenant, il était là. Je songeai aux verres que nous avions pris, au silence dans lequel nous nous étions murés. Je me rappelai la vague mention de Mímir, les ténèbres dans son regard et celles qui devaient hanter le mien.
C’était ironique de voir que nos cicatrices nous rapprochaient autant. Il y avait un côté sombrement poétique dans cette idée, et je n’étais pas encore certaine de l’apprécier. Je n’aimais pas l’idée de partager le poids de mes secrets, des morts et des responsabilités terrifiantes.
Mais après tout, qui d’autre pouvait peut-être mieux comprendre la véritable Élue que celui qui prétendait l’être ?

| † | † |


Une frénésie à m’en donner la migraine s’était emparée de la ville, telle que même le Manoir en période de crise ne pouvait pas rivaliser. Cela faisait plus d’une semaine que je découvrais les préparatifs intenses qui précédaient Arshina, mais aujourd’hui, la veille de la première célébration, je découvrais une folie qui me dépassait absolument. Il manquait apparemment encore une dizaine de milliers de pierres précieuses sur le million, et les invités étaient arrivés en masse dans les deux derniers jours. Il y avait des représentants dvargen et elfes à tous les angles de couloir, et on présageait même l’arrivée de vanir et d’æsir dans la soirée. Les intendants ne savaient pas où se donner de la tête pour placer tout ce beau monde.
Pour ma part, réfugiée dans ma belle suite premium au sommet – inversé – de la cité, j’essayais de me tenir aussi loin que possible de la folie des préparatifs. J’avais passé les deux nuits précédentes à récupérer de ma vidange d’énergie magique avec Veiri, et à anticiper en toute discrétion le vol de la clef d’ambre de Skadi. J’étais encore loin d’un plan viable, et je ne pouvais pas beaucoup communiquer avec Levi à cause de la surveillance permanente à laquelle il était soumis, contrairement à moi. Mais, de ce que j’avais compris en furetant à droite et à gauche et en explorant la ville autant que possible, le joyau de la collection du roi serait dévoilé au troisième jour des célébrations, à l’apogée de la fête. Et ensuite, il disparaîtrait à nouveau dans les coffres-forts impénétrables auxquels même moi je ne pouvais accéder.
Là-dessus, Ekrest avait été plus clair et intraitable que jamais : voler un objet dans un coffre nain, c’était mission impossible. Littéralement. Ou alors, il fallait solliciter un autre nain, mais jamais aucun n’accepterait parce que cela impliquerait de dévoiler les secrets des coffres magiques à un non-dvergr.
Soudain, je me figeai, une pensée m’effleurant.
J’avais un dvergr à mon service. Et je pouvais lui demander ce que je voulais, y compris ce que son code de l’honneur lui aurait autrement interdit. En outre, mes bracelets devaient être prêts. Il était donc temps que je lui rende une visite qui, je l’espérais tant pour lui que pour moi, serait plus agréable que la dernière fois. J’appelai Keirv, qui ronchonna longuement sur ma tenue « simpliste » alors que tant de grandes personnalités commençaient à affluer dans la cité, mais elle me guida malgré tout dans les profondeurs de la cité en direction de la forge du dvergr. Et il suffit qu’elle m’annonce à l’interphone pour que quelqu’un de l’autre côté bredouille à toute vitesse :
— J’appelle le maître forgeron tout de suite.
Deux minutes plus tard, les loquets cliquetaient.
— Ah, c’est ma visiteuse !
Veiri m’ouvrit les portes en grand, et j’eus le temps d’entr’apercevoir les autres artisans de son atelier – que je voyais pour la première fois – qui se carapataient pour disparaître dans les profondeurs de la forge. Quelques uns me jetèrent cependant des regards insistants, à tel point que Veiri dut m’expliquer :
— Vous avez un peu saturé mes appareils, la dernière fois. Ça a soulevé des questions.
— Et ça aussi, je suppose, fis-je en désignant le cache-œil alors qu’il refermait précautionneusement derrière moi.
— Effectivement.
Il le souleva d’un geste négligent, dévoilant une orbite cautérisée, un amas de chairs brunies et noircies.
— Vous m’en voyez navrée, maître forgeron.
— Mmhm. J’espère que vous n’avez pas amené votre… nouvel ami ? interrogea-t-il en me guidant vers une porte dérobée que, comme souvent, je ne repérai que lorsqu’il l’ouvrit d’un simple pointage de son laser de poche.
Je secouai la tête.
— Non, malheureusement, il est occupé à essayer de ne pas se faire passer pour un voleur et un criminel, donc je ne l’amène pas dans des lieux où on pourrait le suspecter de cambriolage.
— Astucieux ! ricana le dvergr.
Il referma derrière moi, jeta deux brefs coups d’œil autour de lui, et je fus immédiatement sur mes gardes.
— Que me cachez-vous ? interrogeai-je à brûle-pourpoint, consciente que j’avais un avantage inconsidérable sur lui grâce au serment qu’il avait prêté.
— Je… J’ai votre commande. Seulement…
— Qu’avez-vous fait ?
Je me penchai sur lui, menaçante, et son expression se fit livide. Il recula d’un pas, nerveux, se tordant les mains comme s’il essayait d’attraper une anguille.
— Rien, je vous jure que…
— Que m’avez-vous pris ?
— Rien, je…
Je pris une inspiration pour l’interrompre d’une autre question, et il se tut avant même que je ne l’aie posée. Je soupirai.
— Dites-moi ce qui vous arrive, finis-je par exiger.
— C’est que… je me suis permis d’expérimenter et d’apporter quelques améliorations à l’enchantement de mon aïeul.
Dit comme ça, il paraissait presque contrit de l’avoir fait, comme s’il craignait que je le réprimande. Mais, surprenant ses attentes, je me fendis d’un large sourire.
— De quel genre ? Montrez-moi.
— Eh bien…
Il fouilla dans la besace qui était accrochée à l’arrière de sa ceinture, en sortit les deux bracelets, qu’il me tendit avec une précaution qui frisait la révérence.
— Avant que vous ne tentiez des expériences étranges, allons dans mon atelier, lança-t-il de son ton habituel, plus bourru, alors que je les passais à mes poignets.
Un sourire aux lèvres, je le suivis dans les couloirs, mais préférai néanmoins l’interroger pour m’en assurer :
— Vous n’avez rien fait à ces bracelets qui puisse se retourner contre moi j’espère ?
— Non ! se récria-t-il, l’air outré. Je suis avant tout un artisan, gente dame, pas un vulgaire escroc.
Contrairement à vous, entendis-je dans son ton, ce qui m’arracha un léger rire.
Nous passâmes quelques portes, auxquelles je fis moins attention que la première fois, et en moins de temps qu’il ne me le fallait pour le dire, nous arrivions à la dernière, celle de l’immense salle bardée de capteurs. Il referma soigneusement derrière nous, et ajouta :
— Mais, en vue de vos capacités, je me suis dit que de petites améliorations vous feraient plaisir. J’ai trouvé le secret pour qu’ils s’adaptent à des flux… évolutifs, si on peut le dire. Comme cela avait l’air de vous tenir à cœur.
Je haussai un sourcil, perplexe.
— Je ne vous paie pas, je vous oblige même à travailler pour moi, je vous ai crevé un œil. Et vous m’offrez des cadeaux de bon cœur ?
— Connaissez-vous la malédiction des fils d’Ivaldi ? m’interrogea-t-il en retour. Nous sommes les héritiers d’un savoir ancien, si ancien qu’on raconte que les Nornes elles-mêmes ont un jour eu peur de nous.
La mention de ces vieilles mégères me hérissa le poil, mais je tâchai de n’en rien laisser paraître.
— Chacun d’entre nous, poursuivit-il, au moment où il met le pied dans une forge pour la première fois, doit jurer sur le Leiptr que jamais il ne forgera ni n’enchantera certains objets à moins qu’un étranger à sa famille ne les lui demande explicitement. Et il n’a le droit de révéler les types de ces objets et sorts à personne à part sa propre famille.
Je pris le temps de décomposer la malédiction, d’essayer d’en trouver les tenants et aboutissants. Je ne m’y connaissais pas assez en sorts pour trouver toutes les failles, mais du peu que j’en entendais déjà, c’était difficile à contourner. En supposant que ces fameux objets soient du même type que ceux pour lesquels sa famille était célèbre – soit Draupnir, Skidbladnir ou Gullinbursti et des dizaines d’autres – je pouvais comprendre la frustration.
— Donc vous cherchiez… une opportunité ? hasardai-je.
— En quelque sorte.
— Et le dernier qui a forgé un objet de ce genre était votre père, si je ne m’abuse ?
Veiri blêmit, comme frappé en pleine poitrine.
— Comment…?
C’était donc de là que venait sa hargne et sa rancœur. J’ignorai sa question inachevée, enchaînai :
— Et vous pouvez me dire quel objet a forgé votre père ?
— Non. Il ne me l’a pas dit lui-même. Il a seulement dit qu’il avait eu l’occasion de forger en dépit de la malédiction.
Muette, je jonglai un moment avec les potentielles implications de ce genre de révélation à demi-mot. Cela signifiait qu’un objet d’une puissance inconnue, interdit par des conventions qui dataient du temps des Nornes, était quelque part dans la nature.
— Votre père est décédé il y a combien de temps ? Il avait quel âge ?
— Il avait trois cents soixante-huit, et c’était il y a… un peu plus d’un siècle.
Cela faisait bien trop longtemps donc pour que j’aie une idée de ce que pouvait être cet objet en circulation quelque part dans les Neuf Mondes.
— Mais donc, si vous ne pouvez forger que sur demande…
— C’est là que réside toute la subtilité, sourit-il en anticipant ma question. Rien ne m’interdit d’ajouter des fonctionnalités à ma commande. Une fois que j’ai la demande officielle pour l’un de ces objets, je peux laisser libre cours à mon art. Et…
Son expression se tordit en un savant mélange de triomphe et de dépit.
— C’est une expérience indescriptible. Je savais que j’étais bridé par la malédiction, mais je n’avais pas idée…
Il ferma la dernière porte de son atelier derrière lui et tomba à genoux devant moi, les yeux embués.
— Par pitié, permettez-moi de forger à nouveau pour vous !
Un moment, j’en restai sans voix. Figée, stupéfaite. Puis, ma surprise se mua en un fou rire imprévisible qui m’obligea à m’appuyer contre le battant qui venait de se fermer, hilare.
J’avais l’habitude d’extorquer des actes, des promesses, des objets. Je négociais pour avoir ce que je voulais, je marchandais, je promettais et je mentais.
Mais qu’on vienne me supplier de continuer était une première dans toute ma carrière. Je n’étais même pas certaine que ce soit déjà arrivé à Ekrest.
— Pardon, soufflai-je en retrouvant ma respiration et en chassant une larme dûe à mon fou rire.
Veiri me fixait, mi-perplexe mi-renfrogné par ma réaction, ce que je comprenais.
— Je n’ai… pas l’habitude qu’on en redemande après que j’aie fait du mal à quelqu’un.
— Si vous pouvez éviter de me crever un œil à chaque commande, ce serait appréciable. Je n’en ai plus qu’un, et les bioniques coûtent une fortune.
Les bioniques ? relevai-je intérieurement. Pour moi, ça relevait davantage du domaine de la science-fiction… mais après tout, les dvergr étaient certainement la population qui s’en approchait le plus d’un point de vue technologique. Je décidai de ne pas relever, préférai me concentrer sur le cœur de la discussion. Une nouvelle commande.
— Je suis loin d’avoir les fonds pour vous payer une série de commandes comme celle-ci, maître forgeron, éludai-je en cherchant à déterminer jusqu’à où il était prêt à aller.
Il recula d’un pas, les sourcils haussés et les lèvres étirées en une moue de perplexité qui lui donna un instant un air de personnage de dessin animé.
— Une fille du chaos qui veut me payer ? Ce serait bien la première fois.
Je secouai la tête, réprimant un nouveau rire.
— J’essaie de compenser pour les clichés mais vous ne me facilitez pas la tâche, pouffai-je.
Veiri se fendit à son tour d’un sourire :
— Je n’en aurais pas tant attendu.
Un silence passa, guère désagréable, que je ne pouvais pas laisser s’attarder trop longtemps. Mais je réfléchissais.
— Je suppose que pour forger, vous avez besoin de matériaux rares ?
— Ça dépend de la demande. Mais ce que je n’ai pas, je pourrai me le procurer.
— Passons un accord, alors. Si vous ne voulez pas que je vous paye, je vous finance au moins les matières premières.
Il sourcilla, puis hocha lentement la tête avec un sourire.
— Très bien, jeune demoiselle. Si vous insistez tant pour rattraper la réputation de votre fratrie…
Je souris, laissai aller ma tête en arrière en réfléchissant à la proposition.
— Que voudrais-je ? Quelque chose qui dépasse l’imagination, qui ne se trouve pas aux quatre coins des mondes…
Souvent, j’aimais la simplicité. Surtout quand je n’avais pas d’idée. C’était une demande qui était trop immédiate, qui ne me laissait aucune préparation. Alors, je me réfugiai dans ce que je connaissais bien. Les armes.
— Une arme… une arme comme vous n’en avez encore jamais forgée, et comme personne n’en a forgée avant vous.
Veiri haussa un sourcil, l’air à la fois perplexe et légèrement dépité :
— D’autres spécifications ?
— Puis-je en ajouter ? Est-ce que ça ne va pas bloquer votre créativité ? relevai-je.
— En fait…
Il hésita un moment, puis osa à son tour :
— Si vous pourriez me demander quelque chose de plus… grand… qui requiert plus de travail… je vous en serais reconnaissant.
Je levai les yeux vers le plafond, réfléchissant. Il voulait un vrai défi. Un preuve de son talent, pour lui-même comme pour son père décédé. Je fis le compte rapidement, souris.
— Sept armes. Toutes différentes, toutes magiques, uniques dans leur fonctionnement, qui se complètent entre elles. Faites pour être utilisées ensemble.
Les yeux du dvergr brillèrent comme si une pluie d’étincelles de la forge se reflétait soudainement dedans.
— Fabuleux. On me demande rarement de créer des éléments composites.
— Elles doivent pouvoir être utilisées individuellement.
— Bien évidemment, sourit-il. Mais leur puissance ensemble sera décuplée. Parfait, c’est une commande… vraiment parfaite. Par contre il va me falloir beaucoup de temps pour m’y préparer et rassembler les bons matériaux. Je ne peux pas vous garantir de l’avoir avant au moins…
Il réfléchit un moment.
— Trois mois je dirais.
— Pas de problème, répondis-je, souriant en voyant sa surprise. Je ne compte pas rester longtemps, j’ai un évènement qui nécessitera que je reparte juste après Arshina.
— Oh ?
Un instant, j’hésitai sur la manière de répondre à sa question en lui faisant comprendre mes intentions. Puis, je décidai, comme pour la commande, d’y aller frontalement.
— En fait, je ne venais pas vous voir seulement pour récupérer mes bracelets. J’ai besoin d’informations sur le joyau de la collection d’Ankri.
Les yeux de Veiri s’agrandirent, il frotta sa longue barbe noire.
— Vous êtes…
— Je pense savoir ce que c’est, tranchai-je, j’ai besoin de m’en assurer. Il s’agit bien de l’artefact d’ambre utilisé pour emprisonner le fils de Fárabauti ? Celui que Skadi détenait depuis la mort de Kvasir ?
Le dvergr pinça les lèvres, et je devinai un peu de sa loyauté résiduelle à son peuple qui subsistait. Je soupirai, réticente à l’idée de le forcer à avouer alors que je venais de passer un accord particulièrement avantageux avec lui. Mais face à son silence, je finis par m’y résigner, et fis appel au serment sur le Leiptr qui me liait à lui :
— Répondez.
— Oui, lâcha-t-il d’un souffle retenu.
Je laissai à mon tour échapper une longue inspiration hachée. Jusqu’au bout, j’avais espéré que ce ne soit pas le cas. J’avais espéré que je n’aurais pas à tenter une telle folie, que ce ne soit pas l’un des artefacts dont nous avions besoin.
— Pourrais-je le marchander ? osai-je avec un vain espoir.
— Avec Ankri ?!
Veiri s’esclaffa de bon cœur.
— Il préfèrerait s’arracher les viscères lui-même plutôt que de céder son joyau. Non, si vous voulez la pierre, jeune fille, vous devrez la lui prendre et l’empêcher de vous tuer pour l’avoir fait.
Je haussai les épaules, pris un moment pour changer de perspective sur cette opération. Je n’avais pas envie de m’engager dans un cambriolage à haut risque comme celui-ci. Mais j’entendais encore la voix de mon mentor, malgré les années qui s’étaient écoulées. Les premières erreurs arrivent par manque d’investissement.
D’un terrible effort de volonté, je me forçai à changer mon point de vue, à puiser dans la pointe de folie enthousiaste, d’appréhension excitante qui précédait la préparation d’une telle entreprise. Je n’avais pas le choix de le faire, Loki viendrait me hanter à la minute où il apprendrait que j’avais ignoré une telle opportunité.
Veiri avait voulu un défi.
Il était temps que j’en relève un, moi aussi.
— Très bien, souris-je, me projetant dans la préparation. Expliquez-moi comment faire.
Le dvergr soupira.
— Vous allez vraiment me demander ça ?
— Bien sûr, souris-je, qu’est-ce que vous pensiez ?
Il esquissa à son tour un mince rictus, mi-moqueur et mi-grinçant.
— Avant tout, sachez que c’est une opération suicidaire.
Ça me changera de d’habitude, tiens. Je m’abstins de le faire remarquer, mais mon haussement de sourcils transmit aisément mon message, car Veiri poussa un soupir.
— Oui, je me doute. Je me rappelle encore à qui je parle, grommela-t-il en portant une main à son œil massacré. Le coffre est protégé par un enchantement puissant qu’on appelle un skenet.
Je gardai le silence, l’invitant à poursuivre, fouillant dans ma mémoire – relativement limitée – d’enchantements pour essayer de me souvenir si j’avais déjà croisé le terme un jour. Il ne me semblait pas.
— Il s’agit d’un verrou de sang.
Mais c’est…
— Et avant que vous ne me disiez qu’il suffit de faire une prise de sang au propriétaire, non, ce n’est pas si simple. Le sang n’est que la première clef de la serrure.
Un sourire m’effleura tandis que l’écho d’une ironie plutôt bancale formulée par mon subconscient affleurait : le sang était une clef pour déverrouiller l’accès à l’une des quatre clefs qui permettaient de libérer Loki. En sachant que l’un des deux autres artefacts de la libération de Loki était une clef de sang…
— Quelles sont les autres ? demandai-je, gardant le silence sur mon amusement solitaire.
Le forgeront me considéra une seconde d’une œillade songeuse, puis décida de ne pas relever ma mimique, et poursuivit :
— Au moment de son ouverture, la serrure capte le flux magique et la signature de la trame de l’être qui la déverrouille.
Je haussai un sourcil.
— La signature de la trame ?
— Nous avons tous une trame de vie tissée par les Nornes, jeune ignare, me tança-t-il.
Je me figeai, absolument pas préparée à voir les Nornes revenir dans la conversation à cet endroit.
— Et chaque trame a une signature magique qui lui est propre, un peu comme chaque être a un flux magique qui lui est propre. L’art d’un verrou de sang est de parvenir à capter cette signature, individuelle à chacun, à partir du sang de la personne, et de l’utiliser comme identificateur.
— Oh par L… l’Alfadr, corrigeai-je avant de fourcher sur le nom de mon père.
Veiri se raidit malgré tout, sachant très bien ce que j’allais dire à la place.
— Mais… vous n’êtes pas censés ne pas avoir de flux magique ?
— Ce n’est pas parce que nous ne pratiquons pas de magie comme vous, rétorqua-t-il, que nous ne pouvons pas la canaliser, que nous n’avons pas de flux pour autant. Sinon tous les objets alimentés par leur porteur seraient inutiles sur nous.
Je haussai un sourcil, puis je me rappelai avoir vu des dvergr utiliser des boucliers électromagnétiques contre Kalyan dans l’arène d’entraînement. Je décidai donc d’accepter le fait. De toute manière, je n’avais jamais vraiment compris le flux.
— Donc, pour résumer, le flux et la trame identifient un être vivant. Le flux ne suffisait pas ?
— Ce coffre était… une expérience, on va dire, pour faire progresser la recherche. Et la trame permet d’assurer que l’être est bien vivant, comme nous avons pu l’expérimenter. Tandis que la trace du flux peut subsister quelques minutes ou même quelques heures en fonction de la puissance de l’individu.
— Et vous en produisez d’autres ? tentai-je en sachant très bien quelle serait la réponse.
— Uniquement sur ordre royal.
À son ton définitif, je me résignai à ne pas l’y forcer, et préférai me concentrer sur mon problème immédiat. La clef d’ambre détenue par Ankri. Dans un coffre qui avec un verrou qui scannait flux et trame de vie.
Pour moi qui n’avais pas de trame, la logistique risquait d’être quelque peu compliquée.
Je jurai intérieurement en parvenant à la seule conclusion viable. L’unique moment où je pourrais me saisir de la clef serait lorsqu’Ankri ouvrirait le coffre. Or il l’ouvrirait très certainement sur le piédestal, à la vue de tous, et je n’avais aucune idée de comment le socle s’ouvrait.
— Comment s’ouvre le socle ?
— Je ne sais pas, avoua Veiri. C’est un collègue, Lifi, qui s’en occupe. Le père de votre guide, Keirv.
— Et…
— Il ne me le dira pas, parce qu’il pensera que je cherche à lui voler ses secrets de fabrication.
J’opinai. Je connaissais les rivalités légendaires qui opposaient les familles de forgerons de Nidavellir. C’était une guerre sempiternelle de familles hautement influentes, qui parvenait parfois à influencer la politique du monde des nains tout entier.
— Et je suppose que je ne pourrai pas juste me saisir de la pierre au vol…
— Les gardes sont équipés de détecteurs d’illusions de dernière génération qui fonctionnent dans un rayon d’une cinquantaine de mètres. Les portes entre la salle des coffres et sont sur le même modèle que la mienne, soit bardées de capteurs de magie lokienne, et les salles et couloirs par lesquels les artefacts transitent sont entre autres également sur-équipés de détecteurs. Le but étant de prévenir la défaillance de l’un des éléments en le compensant par tous les autres.
— Dit comme ça, on dirait que vous pensez votre système impénétrable.
Le nain sembla se vexer, car il croisa les bras et esquissa une grimace.
— C’était le but, je vous avoue.
Et c’était mon but de leur démontrer qu’ils avaient tort. Pas seulement pour mon père, et parce que j’étais en train de récupérer les artefacts qui permettraient de le libérer, mais aussi parce que je sentais poindre dans ma poitrine le picotement nerveux de l’adrénaline, le frisson du défi. C’était un vol à une échelle comme je n’en avais jamais tenté, seule.
Enfin, presque seule.
L’idée m’effleura, et un semblant de plan pointa dans mon esprit. Je laissai mes pensées tourbillonner autour des rouages principaux, déléguant à mon subconscient le soin de commencer à les agencer.
— Je vais avoir besoin que vous me laissiez expérimenter avec vos détecteurs, finis-je par décréter. Et que vous ne disiez absolument rien à personne sur les capacités que je vais vous montrer.

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Dernière modification par vampiredelivres le lun. 11 mars, 2024 9:57 am, modifié 2 fois.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : ven. 26 janv., 2024 9:58 am Holààà ~

Bon retour :) J'ai pas été hyper présente non plus, c'est fou comment même à l'EPFL j'arrivais mieux à gérer mon rythme de publications. T-T

Chap 4
Le flux fait partie des trucs induits généralement dans le scénario, mais jamais vraiment expliqués, donc c'est bien qu'au bout du troisième tome on ait enfin une vraie explication sur comment c'est censé marcher. Censé parce qu'évidemment Lily casse les codes. Des théories intéressantes de ton côté, mais tu verras bien !

Ouais, elle se fait passer pour une miss-Thor.

C'est vrai qu'elle vit littéralement pour le défi… mais comme beaucoup de gens, elle ne le voit pas comme ça, juste comme une conséquence de ce qu'elle fait.

Ouais, en fait pareil, j'avais prévu qu'elle revienne, mieux préparée… Et puis je me suis mise un instant dans ses baskets et j'ai fait "Atta mais c'est pas logique, là elle a tous les éléments qu'il lui faut… AGGRO !"

Chap 5
C'est une p'tite ref délicate à Artemis Fowl aussi ;)

Ça c'est des questions pour la Lily du futur, voyons. Pour le moment, elle gère les évènements comme ils arrivent. Loki pas content d'être emprisonné ? => on va le libérer. Loki libéré va mettre le foutoir ? => on gèrera ça plus tard.

Hehehe, on est sur une courbe d'augmentation de puissance assez exponentielle.

Chap 6

Le retour du tocard ♥

Oui, totalement, c'est le diable en personne dans beaucoup de textes, et nommé comme tel d'ailleurs ("le malin" je l'ai vu passer quelques fois :lol: )

Idéaux moraux dans ce cas précis. La Confrérie est un "idéal" tangible, mais c'est juste une différence de perspectives oui.

Coupable jusqu'à preuve du contraire hein :)

Nan, il était pas là, il s'était tiré avec la clef d'éther dès qu'il avait pu la récupérer justement pour la mettre en sécurité. Au moment où Thor a filé son sang à Lily, il n'y avait plus que Kal (inconscient) dans la zone, tous les autres avaient fui.

Nan mais pareil, elle se considère comme quelqu'un qui ne faisait que jouer avec les règles du jeu, mais qui restait foncièrement dans le rang.

Oui mais la réputation à Midgard et la réputation chez les nains c'est deux choses totalement différentes.

C'est un je t'aime simple, sans promesses ni grandes prétentions, dans la marge de manœuvre qu'ils ont actuellement. (Tu me suggèrerais des drames ? :o )

Merci pour les corrections, et merci pour ton passage ! On va pouvoir reprendre avec notre tocard préféré maintenant ♥

La bise ~

Hey !

AGGRO :lol: Ouais, ça lui va bien

Wah j'avais pas Artemis Fowl sur le coup, mais maintenant que tu le mentionnes, oui j'ai des souvenirs !

D'acc pour Levi, il a quelques infos à rattraper effectivement :roll:

Allez, j'attaque ce qu'il me reste à lire ;)

Chap 7 :

Bon, il a l'air au jus de certaines choses finalement, le tocard.

"un lézard qui aurait été dans l’obscurité durant trop longtemps." :arrow: c'est le cas madame :lol:

"et en guise de réponse il se prit en marche." :arrow: j'ai pas compris 😶

"— À peine dotée de nouveaux pouvoirs qu’elle cherche déjà à arnaquer les gens...
— N’est-ce pas notre travail ? relevai-je avec un haussement de sourcils suggestif." :arrow: :mrgreen: :mrgreen:

Ha-ha, intéressant cette histoire de double flux. J'aime bien la façon dont tu l'as amené et expliqué.

"J’ai revu mes échelles de trahison à la hausse depuis Kaiser." :arrow: tu m'étonnes 🥲

"J’avançais encore parce que j’avais décidé de me chercher ailleurs qu’au sein de la Confrérie, de trouver une identité qui m’était propre et pas celle que d’autres comme Ekrest ou Kaiser essaieraient de créer pour moi." :arrow: waaah je félicite autant Lily que Sarah derrière cette phrase :lol:

"James Dasher" :arrow: j'ai sûrement déjà fait la blague ou relever ça mais... à une lettre près, il serait pas perdu dans un Labyrinthe lui 👀

Interlude :

Ooooh stylé d'être du pdv d'un dieu !
mdr la scène de ménage divine, j'attendais que ça
Wow, ok, j'avais capté que Thor était pas mécontent du rôle de Lily dans les 9 mondes et compagnie. Mais pas à ce point :o Et je trouve que tu as très bien amené les raisons de cela... Même les dieux sont bloqués. Alors ça me fait de la peine pour eux quelque part, qu'ils attendent la fin des mondes pour éprouver un semblant de liberté et d'autodétermination. Mais ça ajoute carrément de la nuance à ces personnages lointains.
La fin de l'interlude :lol: Tu parles de Syn, j'imagine ?

Chap 8 :

Bon la mention de Selvie... Tu veux qu'on souffre.
Et bim un coup de Sam :roll:

ptdr vraiment la Confrérie, un grand plaisir 🤡 En vrai c'était déjà un indice assez flagrant d'une direction fucked up de tuer les membres qui choisissent une autre vie (en plus pour vivre avec un membre d'une Maison ennemie).

Je vais pas mytho, ce rapprochement entre Lily et Levi m'a fait vraiment plaisir ! Je me suis toujours dit que c'était plus qu'un tocard et il le prouve hehe

Mais :lol: :lol: :lol: 7 armes ??? Toujours plus :lol: Elle va pas être cheatée du tout

"— Nous avons tous une trame de vie tissée par les Nornes, jeune ignare, me tança-t-il." :arrow: oui oui bien sûr 👀

Bon on est de retour avec ce plan de vol de joyau royal en public :lol: Je me demande si les petites expérimentations de Lily avec son double flux auraient pas un lien :roll:

(j'ai hâte de voir le bordel)


Corrections ortho-typo en vrac :
- "Levi sur mes talons, et l’emmenait en direction du centre-ville." :arrow: l'emmenai
- "Je l’amenai dans les marchés, les forums les petites boutiques, " :arrow: manque une virgule
- " je l’entraînait vers l’embarcadère." :arrow: entraînai
- ", doutât peut-être" :arrow: douta
- "il était quasiment détruit par les morts qu’ils n’avait pas pu empêcher de retenir" :arrow: il / j'ai pas compris "pu empêcher de retenir". retenir quoi ?
-" stabilisait mon souffle," :arrow: stabilisai
- "sur elle l’avait toujours bien traité," :arrow: manque quelque chose
- "Je claquai de la langue, pivotait vers lui," :arrow: pivotai
- "une larme dûe à mon fou rire." :arrow: due
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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : dim. 03 mars, 2024 7:15 pm Hey !

AGGRO :lol: Ouais, ça lui va bien

Wah j'avais pas Artemis Fowl sur le coup, mais maintenant que tu le mentionnes, oui j'ai des souvenirs !

D'acc pour Levi, il a quelques infos à rattraper effectivement :roll:

Allez, j'attaque ce qu'il me reste à lire ;)

Chap 7 :

Bon, il a l'air au jus de certaines choses finalement, le tocard.

"un lézard qui aurait été dans l’obscurité durant trop longtemps." :arrow: c'est le cas madame :lol:

"et en guise de réponse il se prit en marche." :arrow: j'ai pas compris 😶

"— À peine dotée de nouveaux pouvoirs qu’elle cherche déjà à arnaquer les gens...
— N’est-ce pas notre travail ? relevai-je avec un haussement de sourcils suggestif." :arrow: :mrgreen: :mrgreen:

Ha-ha, intéressant cette histoire de double flux. J'aime bien la façon dont tu l'as amené et expliqué.

"J’ai revu mes échelles de trahison à la hausse depuis Kaiser." :arrow: tu m'étonnes 🥲

"J’avançais encore parce que j’avais décidé de me chercher ailleurs qu’au sein de la Confrérie, de trouver une identité qui m’était propre et pas celle que d’autres comme Ekrest ou Kaiser essaieraient de créer pour moi." :arrow: waaah je félicite autant Lily que Sarah derrière cette phrase :lol:

"James Dasher" :arrow: j'ai sûrement déjà fait la blague ou relever ça mais... à une lettre près, il serait pas perdu dans un Labyrinthe lui 👀

Interlude :

Ooooh stylé d'être du pdv d'un dieu !
mdr la scène de ménage divine, j'attendais que ça
Wow, ok, j'avais capté que Thor était pas mécontent du rôle de Lily dans les 9 mondes et compagnie. Mais pas à ce point :o Et je trouve que tu as très bien amené les raisons de cela... Même les dieux sont bloqués. Alors ça me fait de la peine pour eux quelque part, qu'ils attendent la fin des mondes pour éprouver un semblant de liberté et d'autodétermination. Mais ça ajoute carrément de la nuance à ces personnages lointains.
La fin de l'interlude :lol: Tu parles de Syn, j'imagine ?

Chap 8 :

Bon la mention de Selvie... Tu veux qu'on souffre.
Et bim un coup de Sam :roll:

ptdr vraiment la Confrérie, un grand plaisir 🤡 En vrai c'était déjà un indice assez flagrant d'une direction fucked up de tuer les membres qui choisissent une autre vie (en plus pour vivre avec un membre d'une Maison ennemie).

Je vais pas mytho, ce rapprochement entre Lily et Levi m'a fait vraiment plaisir ! Je me suis toujours dit que c'était plus qu'un tocard et il le prouve hehe

Mais :lol: :lol: :lol: 7 armes ??? Toujours plus :lol: Elle va pas être cheatée du tout

"— Nous avons tous une trame de vie tissée par les Nornes, jeune ignare, me tança-t-il." :arrow: oui oui bien sûr 👀

Bon on est de retour avec ce plan de vol de joyau royal en public :lol: Je me demande si les petites expérimentations de Lily avec son double flux auraient pas un lien :roll:

(j'ai hâte de voir le bordel)


Corrections ortho-typo en vrac :
- "Levi sur mes talons, et l’emmenait en direction du centre-ville." :arrow: l'emmenai
- "Je l’amenai dans les marchés, les forums les petites boutiques, " :arrow: manque une virgule
- " je l’entraînait vers l’embarcadère." :arrow: entraînai
- ", doutât peut-être" :arrow: douta
- "il était quasiment détruit par les morts qu’ils n’avait pas pu empêcher de retenir" :arrow: il / j'ai pas compris "pu empêcher de retenir". retenir quoi ?
-" stabilisait mon souffle," :arrow: stabilisai
- "sur elle l’avait toujours bien traité," :arrow: manque quelque chose
- "Je claquai de la langue, pivotait vers lui," :arrow: pivotai
- "une larme dûe à mon fou rire." :arrow: due
Hey ~

Lily-Aggro, la définition de l'efficacité. x)

Chap 7
Il est au fait de certaines choses… pas toutes, mais certaines.
J'aime bien l'image du lézard ✨
Ah ouais nan "il se mit en marche" c'est mieux ^-^
Le double flux c'était le gros défi pour la suite du tome, parce que c'est pas le truc le plus intuitif dans la tête de Lily (déjà que le flux et elle ça fait quatre dans le sens où elle a jamais totalement capté comment c'est censé fonctionner). Mais si c'est clair, tant mieux !
Heheh, merci pour les félicitations, cette phrase était personnelle 😁
Oui tu l'as déjà faite la blague, mais elle ne fait jamais de mal à relever à nouveau x)

Interlude
Ça doit être mon interlude préféré, sincèrement, ça fait longtemps que j'attendais de pouvoir le poster et franchement. C'est marrant parce que Thor passe de brute sanglante à galérien coincé dans sa galère en deux temps trois mouvements, et ici ça commence à expliquer pourquoi il lui a donné son sang d'un coup. Et ça m'évite d'avoir à gérer des dieux surpuissants, inhumains et totalement déconnectés de la réalité.
Enfin, si, ils sont déconnectés. Mais à leur manière.

Chapitre 8
Nan mais en écrivant ce chapitre j'étais la définition de "she woke up and chose violence". :lol:
Après on parle de la Confrérie ici, mais c'est relativement semblable dans les autres Maisons, thou shall not diverge du chemin qu'on t'a tracé. Les Maisons sont fucked up globalement, mais c'est un problème purement militaire et stratégique. L'un des tiens se barre pour aller vivre avec un ennemi, dont tu ne sauras jamais vraiment s'il reste toujours rattaché au fond à sa Maison, et donc s'il continue de transmettre les infos qu'il gratte au compte-goutte. Liability = suppression.
(Je le précise pas, hein, mais les Njörd ont bizarrement fermé les yeux aussi quand l'un des leurs, qui les avait quittés pour la miss de la Confrérie, s'est fait dézinguer au passage. 🙄)
Mais c'est cool de voir le tocard et Lily se rapprocher ♥
Tu vois les 7 armes c'est mon côté jardinière qui plante des graines et qui ne sait pas encore à quoi elles vont servir x)
Une quoi, une trame ? Keskecé ? À quoi ça sert ? ^-^
Mmhm, on se demande si ça n'aurait pas un lien 🙃

Merci pour les corrections et pour ton passage !

J'attaque SUI cette semaine, ça me saoule de ne pas être à jour surtout que je VOIS passer du drama x)

La bise ~
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons

Message par vampiredelivres »

CHAPITRE 9


Il m’avait fallu une bonne heure et des dizaines de questions supplémentaires pour avoir finalement une esquisse de plan. Mon idée en tête, je pris congé du nain qui m’avait donné toutes les clefs – au sens figuré du terme malheureusement – pour réussir mon cambriolage, mais il m’arrêta d’une dernière question.
— Est-ce que…
Il hésita, et je sentis son incertitude dans la crispation de ses épaules, ses mains soudain serrées l’une contre l’autre alors qu’elles avaient passé leur temps à jouer paresseusement avec les outils qui pendaient à sa ceinture.
— En supposant que vous y arriviez… Est-ce que vous pourriez me le montrer, avant de partir ? L’artefact d’ambre ?
— Je…
Je voulus répondre, me ravisai, réfléchis. Veiri était un atout encore incertain. Il était lié à moi par serment d’allégeance, et n’avait pas le droit d’aller à l’encontre de mes intérêts, mais il avait aussi son propre agenda, surtout lorsque je n’étais pas là. Il fallait que je trouve la meilleure réponse.
— Je vous dirai ça d’ici quelques jours, une fois que j’aurai trouvé comment l’évacuer d’ici. Mais je ne pense pas.
Il hocha la tête et n’insista pas, et je crus voir une lueur de culpabilité dans son regard. Était-ce encore une marque de mon passage d’Élue sans trame de vie ? Étais-je en train de l’éloigner du chemin que les Nornes avaient à l’origine tracé pour lui ?
Alors même que ces questions fusaient dans mon esprit, une affirmation s’imposa : je ne devais pas davantage impliquer Kalyan dans ce chaos. Ce que je faisais pour mon père, je le faisais au péril de ma vie. Mais je ne pouvais pas lui demander de faire partie d’une telle folie. C’était un secret de plus à garder malgré la promesse que nous nous étions faite, mais cela valait mieux.
Je lui adressai un bref salut de la main et quittai les lieux, l’esprit préoccupé, jouant avec mes nouveaux bracelets, une moue songeuse étirant mes lèvres. La finesse de la modulation de flux que Veiri avait réussi à mettre en place était impressionnante. Comme pour les Järngreipr de Thor, en glissant ma main le long des bracelets, je pouvais réduire mon flux magique ou l’augmenter. Et tout comme la ceinture de force, les bracelets eux-mêmes me permettaient de gagner encore en puissance. Je n’avais pas encore osé tenter les combiner ensemble, mais j’étais certaine que si je les mettais tous les deux et à pleine puissance, je commençais à friser l’équivalent d’une divinité mineure. Mais je ne tenais pas à attirer les soupçons ni les questions indiscrètes, donc pour le moment, je gardais donc soigneusement ma ceinture de force dans mon inventaire magique et mes gantelets calibrés à ma puissance moyenne.
Mon ébauche de plan en tête, je partis à la recherche de Levi alors que le soir tombait, et l’emmenai vers le terrain d’entraînement. L’avantage des soirées était qu’il n’y avait personne dans l’arène, tout le monde voulant profiter du grand banquet. Même Arnlari, mon entraîneur préféré, n’était quasiment jamais là.
Ainsi, dans le calme d’une arène sablonneuse déserte, tout en échangeant des passes à l’épée, j’annonçai à l’Élu mes intentions de cambrioler l’artefact d’ambre.
— De quoi tu as besoin ? demanda-t-il quand j’eus posé les bases de l’idée.
Je guettai de la rancœur dans son regard, une étincelle de défi, quelque chose. Mais il paraissait si honnête, si transparent que cela en devenait encore plus suspect.
— Tu seras la cible principale. C’est toi qu’ils vont surveiller. J’ai besoin que tu sois totalement irréprochable.
— Donc ?
Je lui exposai l’idée. Il fronça les sourcils au début puis, au fur et à mesure qu’il comprenait où je voulais en venir, son expression s’éclaira, et un mince sourire vint même flotter sur ses lèvres vers la fin.
— C’est démoniaque. J’adore.
Je me fendis d’un rire.
— Merci… je suppose ?
— Nan mais il faut l’admettre à un moment donné, bosser avec toi ça a du bon.
— Hmm.
Haussant un sourcil perplexe, je le considérai de haut en bas, à la recherche d’une arnaque ou d’une trace d’ironie. Il se contenta de rester aussi souriant et paisible qu’avant, et finit par tendre sa main libre à son cou pour en détacher la lanière de cuir que j’avais repérée.
— Tu auras besoin de ceci par contre. Ou du moins, je préfère que ce soit toi qui l’aies.
Je récupérai la bourse d’une main hésitante, et pinçai du bout des doigts la cordelette qui la refermait.
— Je peux ?
Levi se contenta d’un rire. J’entrouvris légèrement la sacoche, et une onde d’énergie s’en échappa, me frappa au visage comme un coup de poing. Sonnée, je la refermai sèchement.
— Il n’y en a qu’une là, c’est ça ?
Mon demi-frère approuva d’un hochement de tête.
— Éther. Celle d’ambre est apparemment ici… et celle de sang, il faudra la trouver. Je doute que le Père-de-tout la garde sur lui.
— J’en doute, oui.
— Tu te sens prête pour cambrioler des dvergar ?
Je haussai les sourcils, le détaillai à la volée. Son attitude nonchalante, ses cheveux blonds en bataille, son allure légèrement arrogante. Son petit sourire en coin qui frémissait légèrement, trahissant une pointe d’inquiétude. L’idée qu’il soit inquiet pour moi me tira un sourire.
— Non. Mais j’ai pu faire des expériences avec mes pouvoirs, et je vais encore continuer les prochains jours. Il va falloir que je sois au point sur ma gestion des flux combinés.
Levi hocha la tête, l’air songeur, .
— Donc si je récapitule : moi, je sers de distraction. Pour prouver ma bonne foi je demande à me faire mettre un bloqueur de magie et je reste à la vue de tous durant tout le festival. Je feins la stupeur absolue quand les alarmes se déclenchent et j’accepte de me faire très probablement enfermer et menacer de mort par décapitation pour avoir eu le malheur d’être à Stronstall pendant l’incident.
Coupable jusqu’à preuve du contraire. Surtout sans preuves de son innocence, avait dit le roi Ankri à son arrivée. Mais s’ils voulaient des preuves, nous allions leur en donner une belle. Et une bonne leçon sans qu’ils le sachent.
— Ta bonne volonté te rendra suspect puisqu’il y aura eu un incident. Mais ce sera la preuve absolue qu’ils ont demandée.
Un fin sourire s’étira sur le visage de mon demi-frère, et il me fixa longuement.
— Oui, je confirme, ça a ses avantages de travailler avec toi.
Il laissa passer un temps, puis ajouta avec une grimace un peu moins enthousiaste :
— En parlant de ça, il faudra qu’on parle de… ce qu’on fera quand on aura les trois artefacts. Pour libérer Mère.
Je baissai ma lame, sentant le long frisson glacial descendre le long de mon échine à l’évocation de Loki. Les souvenirs des rêves dans lesquels il m’avait emprisonnée, son sourire froid et cruel, fendu par les cicatrices qui zébraient ses lèvres. Ses menaces, son regard empli de flammes, promesse d’une terrible agonie si je décidais de m’opposer à lui.
J’opinai, choisissant d’occulter la situation.
— Il faudra. Mais pour le moment, ce n’est pas d’actualité.

| † | † |


Je me faufilai dans le corridor, invisible, veillant à maintenir un mince champ électromagnétique autour de mon illusion. La double magie me donnait la nausée. C’était comme essayer de faire un travail de précision d’une main tout en sautillant à cloche-pied. J’avais soudain l’impression d’être retombée en enfance, à lutter pour maintenir mes illusions, alors qu’en vérité je me battais seulement pour la maintenir aussi stable et discrète que possible. Les conseils de Veiri me trottaient dans la tête, embrouillant mes réflexions sur la manipulation de ma magie. J’essayais de m’empêcher de regarder mes pieds pour vérifier que j’étais toujours invisible, et luttais pour garder les yeux rivés sur le petit groupe qui avançait devant moi.
Ils progressaient à une allure régulière, deux dvergar à l’arrière, deux autour du coffre, deux devant. Chacun avait au moins une main posée sur son arme favorite, dague, pistolet à impulsion magique ou lance-matraque. Ceux de derrière se retournaient régulièrement pour vérifier leurs angles morts. Apparemment, le fait que Levi se soit spontanément rendu inapte à agir aujourd’hui les rendait suspicieux… à juste titre.
Je les suivis longtemps, jusqu’à débouler à leur suite dans l’immense salle de réception que j’avais déjà découverte quelques jours plus tôt. Comme la veille et l’avant-veille, elle débordait de joyaux et de pierres, tant bien que les lumières pourtant stratégiquement placées étaient elles-mêmes éclipsées par l’éclat des roches. D’immenses estrades avaient été dressées pour la révélation du clou du spectacle pour former un large amphithéâtre, au centre duquel le trône et un présentoir se dressaient. Je reconnus le présentoir que Veiri m’avait décrit, me focalisai dessus, mais mon attention fut vite distraite.
Ankri avait convié la totalité de la ville à assister à la révélation, en plus des invités venus en masse, ce qui faisait une trentaine de milliers de personnes dans le demi-cercle bondé. Les déesses avaient des sièges VIP évidemment sur une estrade à part, en face du roi. Au moment où la procession de gardes entrait dans la salle, ils firent glisser leurs archets sur leurs étranges instruments, et entonnèrent une mélodie à la fois inconnue et familière, qui fit vibrer mon cœur et résonna jusque dans mes os. Je tournai la tête, interpellée par la langoureuse rythmique à trois temps qui semblait se fondre dans les pulsations de mon flux magique, rivai mon regard sur les musiciens, fascinée. Il y avait quelque chose de magique dans cette mélopée, quelque chose qui résonnait profondément avec mon for intérieur.
J’étais si accaparée par la musique que je faillis rater le moment où le couvercle de verre du présentoir fut levé pour y déposer le coffre. Ankri se leva, s’approcha, et je fis quelques pas sur le côté pour me mettre hors de son chemin, observant attentivement. Tandis qu’un garde maintenait le couvercle soulevé, le souverain posa une main ensanglantée sur l’avant du petit coffre, ferma les yeux. J’évaluai rapidement la situation, jaugeai qu’il y avait bien trop de monde autour du coffre. J’avais beau être invisible, ma présence pouvait être perçue par les mouvements de l’air que je déplaçais et par le champ magnétique si je ne le maintenais pas collé à moi.
Il ne restait plus qu’à prier pour qu’Ankri s’écarte lorsque le coffre serait refermé.
La musique augmenta en intensité, le coffre s’ouvrit dans un chuintement, et un soupir généralisé monta de l’audience tandis que le public admirait le joyau. Moi-même, j’émis un léger souffle qui aurait pu passer pour un sifflottement si j’y avais mis un peu plus d’entrain.
La pierre était une pièce d’ambre poli en forme de larme, parfaitement translucide, sans aucune impureté. Autant l’artefact d’éther, que j’avais vaguement regardé dans sa sacoche, avait un côté brut, tout en arêtes nettes et en veinures bleues et blanches vibrantes, autant celui-ci trahissait une finesse élégante que j’associai naturellement à Kvasir, son propriétaire d’origine. Chacune des pierres semblait avoir recueilli au moment de sa conception un peu de l’âme de son créateur. Thor, Odin et Kvasir, trois des dieux les plus puissants du panthéon.
Les doigts fourmillants, je pris mon mal en patience, observant la pièce sous toutes ses coutures, surveillant discrètement mon environnement. Les murmures et les commentaires s’étaient élevés après qu’Ankri ait expliqué comment ils l’avaient prise à Skadi durant une attaque particulièrement audacieuse de son palais. J’écoutais distraitement, mais je me focalisais surtout sur le moment où j’agirais, développant la scène dans mon esprit pour m’y préparer. Tant que le coffre était posé là, je ne pouvais rien faire. Il fallait que j’attende que le présentoir se rouvre, et que je crée ensuite ma plus belle, ma plus précise et ma plus incroyable illusion. Celle qui tromperait tout le monde, mais qui jamais n’alerterait les détecteurs de magie.
Un frisson courut le long de mon échine, je tendis les mains en avant, puisai au plus profond de moi-même pour percevoir mes deux flux différents. Les semaines que j’avais passées en-dehors de Midgard avaient commencé à affiner mes perceptions. Je ressentais ma propre magie plus facilement, même au repos. J’avais la sensation d’être environnée en permanence d’un champ énergétique puissant, et je percevais de plus en plus aisément les flux des autres personnes autour de moi. Les dvergr par exemple n’en dégageaient absolument aucun à proprement parler, en revanche leurs bijoux et leurs armes, comme la lance de l’un des gardes à mes côtés, vibraient.
Déséquilibrant le rapport de forces entre les puissances que je manifestais, j’allai chercher dans la puissance de Thor, et je renforçai le champ magnétique qui m’environnait, au point qu’il commence à chuinter légèrement, comme une ligne sous tension. Le garde à mes côtés fronça un sourcil, tourna la tête de gauche à droite, puis, perplexe, consulta une sorte de montre à son poignet que j’associai à un détecteur de flux lokien. Je fis un effort pour contenir le bruissement, anxieuse, le laissai reprendre sa veille vigilante.
— Cette pièce étant d’une valeur absolument inestimable, elle va bientôt retourner à la sécurité de son coffre fort, annonça Ankri après un long moment de contemplation.
Le souverain fit un signe de main, et je réalisai que j’avais une poignée de secondes à peine. Alors, dédaignant les précautions, je me contournai furtivement le présentoir et me plaçai sur le côté, effleurant presque le dvergr le plus proche, qui observait son environnement d’un air attentif. Je plaquai ma main sur le verre, guettant le moment où elles serait soulevée, surveillant le moindre mouvement de mon voisin pour qu’il ne me percute pas.
— Allez-y, rangez-la.
Celui qui était à côté de moi s’approcha, et je dus me contorsionner et m’accroupir imperceptiblement pour rester hors de son champ de mouvement. Lentement, à deux, ils saisirent la cloche et la soulevèrent, tandis que le troisième tendait les mains pour refermer immédiatement le coffre. Je projetai mon illusion sur le contenu du coffre, lançai une main en avant telle un grappin pour me saisir de mon objectif.
Le claquement sec des deux parois métalliques du coffre m’érafla une phalange, manquant de m’arracher un couinement de douleur, mais je serrai les dents et le poing, les doigts recourbés autour de ma prise. Au vu du silence religieux qui régnait, l’illusion avait tenu, car personne n’avait poussé de cri scandalisé ou hurlé au voleur. Je laissai la douleur se dissiper, la mâchoire crispée et la langue collée contre mon palais, focalisée sur la sensation de mes mains serrées sur la pierre.
Le dvergr en charge du coffre le retira du présentoir, le maintenant fermement serré contre lui sans se douter qu’il était déjà vide, puis s’approcha du souverain, et une pierre tomba dans mon estomac. Esquivant souplement les deux autres gardes, je me faufilai derrière lui, le contournai pour me placer entre Ankri et le coffre. Un silence pesant régnait. S’il décidait de le rouvrir, de vouloir prendre la pierre dans ses mains, j’allais mal finir.
Mais, à mon grand soulagement, il se contenta de presser l’entaille qu’il s’était fait précédemment, et de poser ses doigts sanglants sur le verrou du coffre, qui cliqueta audiblement.
— Ramenez-la.
Le dvergr s’inclina, les autres l’encadrèrent, me percutant presque au passage. Je les esquivai d’une souple torsion du buste, me glissai dans leur sillage lorsqu’ils prirent la direction des souterrains en calant le rythme de mes pas sur le dernier du groupe, et bifurquai à la première intersection, le poing toujours fermement serré sur le caillou qui irradiait d’une puissance à peine contenable.
Lorsque les nains s’éloignèrent suffisamment, je me mis à courir, veillant à garder mon illusion et mon flux de Thor à flot, bataillant avec ma conscience pour ne pas me laisser distraire par la morsure glacée de la clef sur ma paume. Sa puissance dans ma peau était effarante, un froid glacial qui engourdissait mes doigts comme s’ils étaient plongés dans un bac de glace carbonique. J’avais mal juste en la touchant, sans même parler de la manipuler. Était-ce le vestige de la période où elle avait été détenue par Skadi, ou était-ce une propriété de l’artefact lui-même que d’être si froid ? Je ne pris pas le temps de m’attarder sur la question, m’éloignant jusqu’à sortir des cavernes où Arshina avait été organisé.
Je finis par m’arrêter au bord du tunnel qui débouchait sur la ville, m’appuyai contre le mur pour reprendre mon souffle, contemplai l’artefact un moment avant de me décider à le cacher aussi vite que possible. La petite pierre disparut dans la sacoche, et sa puissance s’atténua immédiatement, devenant un bourdonnement magique encore perceptible, mais moins flagrant, autour de moi.
— Oh, une voleuse… lança une voix féminine sarcastique à ma gauche.
Je me figeai, tournai lentement la tête vers la silhouette qui venait de se manifester de l’autre côté du couloir. La lumière de la caverne ne pénétrait pas aussi loin dans les ténèbres du tunnel, m’empêchait de distinguer clairement ses traits, mais je percevais son aura, que je n’avais pas ressentie jusque là à cause d’énergie de la clef d'ambre. Je fronçai le nez, glissai la sacoche sous mes vêtements et entrouvris légèrement les mains, laissant l’électricité affleurer, vibrante mais invisible. L’autre se contenta d’un rire rauque et lança :
— On m’avait dit que tu ressembles à ton père, mais je te trouve plus combative que lui. Et davantage prête à prendre des risques inconsidérés. C’est très dangereux, ce que tu as fait là.
— Cette phrase résume l’essentiel de mon existence, narguai-je en retour, essayant de deviner à qui je faisais face.
En fonction de sa puissance, je pouvais déjà déterminer que j’étais face à une divinité, peut-être même une divinité majeure. Ce n’était pas particulièrement rassurant, d’autant que d’aussi loin, je n’arrivais pas à discerner la couleur de ses yeux. Elle devait porter un cache sur les yeux qui camouflait leur brillance.
Je reculai, un pas puis un autre, tout doucement, faisant le moins de bruit possible. Je ne connaissais pas Stronstall sur le bout des doigts, malgré le temps que j’avais déjà pu y passer, mais j’avais déjà une bonne idée de la configuration de la ville.
— Tu sais que je peux sentir tes pulsations magiques à des kilomètres à la ronde ? nargua-t-elle. Et je ne vais même pas parler des radiations de ces cailloux. Ça m’étonne que personne d’autre ne l’ait senti, d’ailleurs, mais ces dvergar sont aussi sensibles que les roches au-dessus de leurs têtes.
Je reculai encore, cherchant à me réfugier dans les ténèbres. Une sourde appréhension tambourinait dans ma poitrine, un battement nerveux, celui d’une poursuite qui s’annonçait. Je la reconnaissais. Je savais que j’étais acculée, qu’il ne fallait d’un rien, un cri, pour que la silhouette en face de moi me mette les gardes aux trousses.
D’une main anxieuse, j’évaluai l’énergie des cailloux dont elle me parlait, et je grimaçai en constatant qu’elle avait raison. Dans la sacoche qui servait à les contenir, ils émettaient encore trop fort. J’avais été négligente. Je me fustigeai en silence, évaluant mes options, essayant de ne pas perdre le fil ou de prendre une décision trop hâtive.
— Qu’est-ce que vous voulez ? L’artefact ?
— Oh, non, je me moque bien de ce petit caillou. Je suis juste curieuse de voir si j’arrive à coincer l’une des voleuses les plus téméraires que j’aie connues… Et amusée de voir que certains dvergar n’ont jamais appris de leurs erreurs malgré les siècles.
Coincer.
C’était donc un défi, comme je l’avais pressenti.
— Et si je me fais coincer ? relevai-je.
Je devinai son sourire dans le ton de sa voix, chargée d’une insidieuse provocation.
— Je suppose qu’il y a des conséquences à voler le joyau d’Ankri. La prunelle de ses yeux, comme il dit parfois. Surtout au nez et à la barbe de tous.
C’était donc la course ou la mort. Je pris en compte le fait que cette déesse, qui qu’elle soit, devait connaître elle aussi Stronstall. Mieux que moi, même. Je n’avais pas le droit d’estimer que j’avais un avantage sur le terrain. En fait, c’était comme si j’étais en plein territoire ennemi, et je devais rejoindre un refuge. Sauf que je ne savais même pas où était mon refuge. Ma suite ? L’atelier de Veiri ? Le dvergr n’y était pas, je l’avais entr’aperçu dans les rangs des spectateurs venus admirer le joyau.
L’idée qu’il soit venu essayer de me voir le cambrioler me fit sourire.
À force de reculer, j’avais quasiment atteint le bout du tunnel lorsque je pris ma décision, fondée sur toutes les variables que j’avais. Je pris une longue inspiration, essayai de calmer mon souffle, cherchai mes appuis.
Et je détalai.

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Dernière modification par vampiredelivres le mar. 02 avr., 2024 8:13 am, modifié 1 fois.
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons

Message par vampiredelivres »

Un petit chapitre court, un peu sportif, pour changer un peu :)

CHAPITRE 10


Elle me talonnait de près.
Elle n’avait pas ma vitesse, mais elle avait mon endurance, et une meilleure connaissance du terrain dans lequel nous zigzaguions comme des forcenées depuis une dizaine de minutes. Heureusement, la quasi-totalité de la population de Stronstall était occupée à participer au festival d’Arshina, et les quelques rares personnes qui nous virent passer étaient trop préoccupées par l’organisation du festival, pour lequel la ville entière s’était mise en pause. Et, par précaution, je m’étais métamorphosée avant le cambriolage.
Je pris appui sur un balcon, me propulsai en avant fis un vol plané d’une bonne seconde et demi – suffisamment pour que mon cerveau enregistre la sensation de chute libre et que mon estomac commence à remonter vers ma gorge – puis j’atterris en roulé-boulé sur le chemin juste en-dessous, que le balcon surplombait. Je jaugeai un instant l’intersection qui s’offrait à moi quelques mètres plus loin, filai à gauche, vers les hauteurs. C’était risqué de redescendre vers les quartiers nobles.
J’avais entraîné ma poursuivante dans la direction des bas-fonds de la ville – enfin, les hauts-fonds au vu de la structure socio-géographique de Stronstall – ce qui rendait la course en pente ardue. Je n’avais pas osé me retourner pour essayer de deviner qui elle était, trop occupée à ne pas perdre de temps et à essayer de mettre le maximum de distance entre elle – ses pouvoirs surtout – et moi. Je profitais de tous les angles de rue pour rester à couvert le plus possible au cas où un jet d’énergie fuserait, mais elle semblait surtout vouloir profiter d’une belle course-poursuite sans trop attirer l’attention. Cela devait être un jeu pour elle, le premier depuis une éternité au vu du plaisir qu’elle y prenait. Je ne comprenais pas vraiment le concept, mais je traçais droit devant moi, consciente que si je m’arrêtais, jeu ou non, je finirais décapitée. Autant pour elle, c’était un divertissement, autant pour Ankri, cela le serait nettement moins quand il verrait que j’étais en possession de son artefact.
D’autant plus que, comme Levi me l’avait signalé, je ne pouvais pas simplement faire disparaître l’artefact dans mon inventaire magique. La sacoche atténuait considérablement son rayonnement, mais pas assez pour le rendre imperceptible aux perceptions trop aigues d’une déesse qui ressentait les flux avec bien plus de précision que moi.
Heureusement, l’un des rares avantages que j’avais était que, contrairement à leur intérieur, l’extérieur des bâtiments et des cavernes n’était pas bardé de caméras et de micros. Il y en avait quelques uns à certains endroits stratégiques que j’évitais soigneusement dans ma fuite. Personne ne savait que nous étions là, et je m’appliquais à rester loin de toutes les grandes artères de circulation, où les regards seraient plus nombreux et risqueraient davantage de nous suivre et de se souvenir de nous.
Tout en courant, j’essayais de trouver une solution avant de m’épuiser. Je pouvais tracer encore un moment à ce rythme, mais le terrain accidenté et les obstacles m’épuisaient plus rapidement qu’une simple course-poursuite à Midgard. D’autant que je n’avais pas de refuge ici, pas d’endroit où me cacher d’elle. Je ne pouvais que la distancer ou l’affronter. Ou me faire coincer. Elle percevait ma trace magique, elle me traquerait à la magie, comme une Frigg, d’autant que j’étais la seule Loki du coin avec des pouvoirs actifs.
Soudain, une idée flasha dans mon esprit, et je souris. La semer en faisant disparaître ma trace. Si cela marchait, c’était du génie. Mais il fallait que je le fasse intelligemment. Il fallait que j’arrive à trouver un moyen de creuser la distance qui me séparait de ma poursuivante. Un obstacle qu’elle ne pouvait franchir.
Je détestai aussitôt les conséquences de la réflexion qui s’ensuivit, mais je pris le temps d’analyser l’idée. C’était la seule solution viable que j’avais. Si je me ratais, je m’aplatissais comme une crêpe. Si je ne gérais pas assez rapidement mon flux magique, je me faisais incinérer par les lasers anti-Loki dont Veiri m’avait parlé.
C’était certainement ma meilleure chance de la semer.
Une touche d’imprévu dans chaque plan. Les mots d’Ekrest, qui m’accompagnaient toujours dans ce genre de moment. J’accélérai, perfectionnai le plan dans ma tête en me souvenant des quelques petites améliorations que Veiri avait apportées à mes bracelets. Ce n’étaient pas seulement des régulateurs de flux, ils pouvaient le couper totalement… et ce faisant, faire disparaître ma trace magique. Des quelques expériences que j’avais pu faire avec les détecteurs du dvergr, une fois que je coupais mon flux, ils ne me localisaient plus, même si j’étais sous leur nez. Ma trace s’évanouissait dans la nature, faisant de ces bracelets le plus parfait des camouflages. Si je gérais bien mon timing, les lasers calibrés pour suivre une trace de Loki ne me retrouveraient jamais.
Au loin, la balustrade la plus basse et la plus éloignée du secteur se profila. Je gardai mon rythme, perçus à la manière dont le rythme de l’écho changeait que ma poursuivante ralentissait imperceptiblement. Je calculai mes foulées, serrai la main sur la sacoche que j’avais tenue tout le long de la course. Il était temps de faire une folie.
Au bord du vide, je lançai la sacoche droit devant moi, aussi loin que possible, posai mon pied sur la balustrade de pierre, pris une impulsion puissante. Le salto avant me permit, très brièvement, d’entrevoir une masse de cheveux d’un blond doré flottant au vent de la course de ma poursuivante, le choc sur son visage alors qu’elle réalisait que je sautais, puis le vide m’enveloppa. Je cherchai du regard la sacoche qui tombait quelques mètres plus loin. Je ramenai mes bras tendus devant moi, infléchis ma course vers le lac pour tomber plus vite en gardant mon regard rivé sur ma cible, glissai mes doigts sur mes bracelets pour réduire ma puissance à un minimum syndical.
À une dizaine de mètres de l’eau, je me métamorphosai en faucon, déployai mes ailes, et rattrapai la sacoche en chute libre avant de plonger vers le bord du lac tout proche. Les alarmes de la cité rugirent, déchirant mes oreilles trop sensibles. Je fis un looping au ras du sol en lâchant la sacoche, repris forme humaine, la rattrapai à nouveau au vol. Puis je fis crépiter une petite étincelle pour retrouver mon regard de Thor, coupai totalement mon flux magique via mes bracelets, et détalai.
Deux secondes plus tard, un laser d’une puissance inouie faisait voler la roche en éclats là où je m’étais tenue un instant plus tôt. Une seconde volée claqua contre le mur juste à côté, et l’onde de choc me fit vaciller une seconde dans ma course. Puis plus rien.
Je m’enfonçai dans les ruelles avoisinantes, ralentis le pas pour marcher comme si rien ne s’était passé, souriant en silence. Il n’y avait plus personne derrière moi, à part un cratère fumant là et les hurlements des alarmes. C’était un pari risqué, mais ça avait marché.
Les lasers anti-Loki, comme Veiri me l’avait expliqué, étaient configurés pour suivre le Loki intrus à la trace de son flux magique. Mais les bracelets qu’il m’avait enchantés coupaient totalement mon flux magique, y compris ma trace résiduelle, je l’avais testé avec ses détecteurs.
Quelques dizaines de pas plus loin, je m’appuyai contre le mur pour souffler, vérifiai d’un regard s’il y avait des caméras aux alentours. J’avais passé la semaine précédent le festival d’Arshina à me promener dans tous les coins de la ville, je savais qu’il n’y en avait que peu en extérieur. Mais il valait mieux que je n’apparaisse pas dessus pour éviter les questions, surtout dans le secteur de l’incident. Déjà, j’entendais les premiers vrombissements des navettes des forces de l’ordre locales qui résonnaient sous la voûte de la chambre magmatique, ajoutant une basse profonde aux sirènes stridentes des alarmes. Elles ne tarderaient pas à débouler sur les lieux dont je m’éloignais.
Une main posée sur mon bracelet gauche, je remontai doucement mon flux pour ne pas me faire surprendre sans pouvoirs et repris ma route, l’œil vigilant mais le sourire toujours aux lèvres.
Parfois, les cambriolages n’avaient pas besoin d’échouer ou de réussir dans d’immenses explosions. Souvent, la marque d’un cambriolage parfait était qu’il n’y avait aucune trace dudit cambriolage, et que les propriétaires ne s’en rendraient compte que des jours, voire même des années plus tard. Je n’en étais pas à ce stade-là, les alarmes tout autour en témoignaient, mais j’étais loin d’être le suspect principal. C’était frustrant, parce que je n’avais personne, pas même mon mentor, à qui m’en vanter, mais d’un autre côté cela valait mieux. En parler à Kalyan équivalait à l’incriminer également, en parler à Veiri revenait à lui laisser des informations qu’il valait mieux qu’il ne possède pas.
Que Levi sache suffirait, songeai-je avec un sourire.

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Évidemment, l’alarme avait provoqué la panique totale dans la caverne de Stronstall. Levi fut immédiatement arrêté et inculpé malgré les bloqueurs de magie qu’il avait acceptés de porter ; l’endroit où j’avais atterri près du lac fut passé au crible avec un million de capteurs. L’incohérence de la situation laissa les dvergar dans l’incompréhension la plus totale, et le fait que la trace magique s’évanouisse sans aucune raison les plongea quelques heures plus tard dans une frénésie folle. Levi restant malgré tout leur principal suspect, ils le fouillèrent de la tête aux pieds, profitant du fait qu’il n’avait toujours pas fait retirer ses suppresseurs de magie. Ils ne trouvèrent rien sur lui. Ils passèrent le stock de joyaux au crible sans noter de pierre absente, mais n’investiguèrent pas l’artefact de Skadi, qu’ils pensaient en sécurité au moment de l’incident;
L’enquête dura près de deux semaines, tous les visiteurs étant cordialement invités à rester dans leurs quartiers au maximum. Les Asynes venues pour l’occasion – Freyja, Sif et Fulla, qui représentait Frigg – firent un scandale et quittèrent les lieux en claquant les portes derrière elles, refusant de se mêler à l’investigation. Ankri, désespéré à l’idée de se mettre Asgard à dos, les libéra sans protester en leur offrant en prime des chariots entiers de pierres précieuses en guise de dédommagement pour les failles de sécurité.
Quant à Levi, il passa les deux semaines de l’enquête dans une cellule ultra-sécurisée qui aurait fait pâlir les prisons des Thor en comparaison. Puis, en l’absence de preuve et sur mon insistante intransigeance, il ne fut pas décapité sur le champ, seulement renvoyé de Stronstall avec l’interdiction absolue d’y revenir. Le festival d’Arshina, mis en pause le temps que l’enquête se résolve, reprit là où il s’était arrêté, se termina sur trois jours de festivités excessivement ostentatoires.
Remise de ma légère maladie, je contemplai les multitudes de pierres précieuses accumulées en une décennie, les joyaux de la collection, portant sans que personne ne le sache le joyau de la collection presque au vu et au su de tous. Je ne revis pas Veiri en privé, celui-ci étant occupé à essayer de détecter la faille de sécurité qui m’avait permis d’esquiver les lasers. Je me doutais que, sachant ce qu’il savait même s’il ne pouvait le dire à personne, il essaierait de faire en sorte que je ne puisse pas recommencer.
Puis, comme tous les autres, Kalyan et moi fîmes nos adieux. Lui trouvait que nous avions abusé de leur hospitalité et moi, j’étais secrètement heureuse de pouvoir m’en-aller officiellement et mettre de la distance entre les nains et moi. Les adieux furent publics, ne laissant guère de place à des salutations plus personnelles avec Keirv ou Veiri, et bientôt, nous quittions la cité construite tête en bas dans une navette qui nous déposa au milieu de la plaine vide de Stronstall, loin des capteurs dvargen et des oreilles indiscrètes.
— Est-ce qu’il est temps ? me demanda Kal.
Je notai son regard qui s’attardait sur le cordon autour de mon cou. Depuis le cambriolage, je portais les artefacts au creux de ma poitrine en permanence, même en dormant. Je me doutais qu’il l’avait remarqué, mais il ne l’avait jamais relevé.
— Il faut juste que je retrouve Levi pour lui donner un truc, éludai-je.
Je sortis mon transmetteur, scannai la zone, et ne tardai pas à le localiser. Lorsqu’il avait été jeté hors de Stronstall, je lui avais donné mon ancien transmetteur, et lui avais discrètement signifié de rester dans les parages en gardant une ligne de communication ouverte.
Il arriva une demi-heure plus tard par le ciel, sous forme de corbeau, se re-métamorphosa au ras du sol, juste en face de moi.
— Tu t’es fait chasser comme un voleur comme un voleur, souris-je en retirant de mon cou la sacoche dans laquelle je conservais les pierres depuis deux semaines.
— Alors que ce n’est pas moi, pour une fois…
Il soupesa la sacoche en la récupérant, l’entrouvrit par curiosité. L’énergie déferla à travers la mince fente, saturant mes perceptions pourtant peu sensibles. J’avais passé les deux dernières semaines avec ma puissance magique réduite de deux tiers, camouflant le flux des pierres comme si c’était le mien, ne me servant que du strict minimum pour vaquer à mes occupations. J’avais troqué la plupart des entraînements de maniement de la foudre contre des exercices physiques basés sur l’endurance et la vitesse, arguant que ma foudre ne me servait à rien si je me faisais coincer dans une zone où le flux magique était coupé. Mon entraîneur dvergr préféré, Arnlari, avait ronchonné mais il avait consenti que c’était un cas beaucoup plus fréquent à Midgard qu’ici.
— Tu feras attention, elles émettent quand même beaucoup. Tu vas te transformer en cible vivante.
— Pour changer, grinça-t-il. Mais toi, tu… tu n’as pas l’air d’avoir beaucoup changé de flux, non ?
— Ça, c’est classé secret défense, souris-je.
— Si je peux te demander…
Par principe, non, répondis-je silencieusement.
— Comment t’as fait ? Pour qu’ils ne remontent pas la trace jusqu’à toi ?
— Ça fait partie des mystères de mes pouvoirs, souris-je. Sache seulement que c’est lié au flux.
— Ça m’avance.
— Un jour peut-être. Mais… non, pas tout de suite.
Je marquai un bref temps, lui souris.
— Merci pour ton aide.
Ce fut à son tour de se figer et de réfléchir un moment.
— Merci à toi. C’est… étonnant de t’avoir pour alliée. Maintenant. Parce que quand t’étais petite, t’étais juste une gamine trop explosive et insupportable.
La remarque me fit rire, j’opinai. Il était loin d’avoir tort. J’avais fait brûler tout un pan du Labyrinthe qui entourait le Manoir quand j’avais six ans, simplement à cause d’une colère mal maîtrisée.
— Åke a un transmetteur, si jamais tu as besoin de le contacter. Il m’a demandé de te le dire si tu avais besoin de lui.
— Tu ne remets jamais en question pourquoi tu fais tout ça ? demandai-je soudain.
La question me brûla les lèvres comme les flammes dans lesquelles mon père m’avait torturée, mais je ne la regrettai pas lorsque je vis le visage de Levi s’assombrir d’un seul coup. Depuis des semaines, depuis que le combat avec Thor s’était achevé et que les souvenirs des cauchemars de mon père s’étaient espacés, les doutes s’amoncelaient. Le calme de mon voyage avec Kalyan me permettait de les tenir à distance la plupart du temps, de les empêcher de me polluer l’esprit mais, une fois de temps en temps, ils revenaient à la charge et m’étouffaient sous leurs poids.
J’avais gagné l’élektrokinésie, mais j’avais perdu ma pyromagie, et même si l’échange semblait équitable, une part de moi semblait manquer à l’appel lorsque j’utilisais mes pouvoirs de naissance. En ce moment, c’était rare donc ce n’était pas flagrant, mais je me sentais comme amputée d’un membre : la douleur fantôme allait et venait, mais le souvenir de ce qu’on aurait pu faire par le passé demeurait.
— Tu te fous de moi ?
Levi avait les lèvres serrées, une ligne si fine qu’on aurait dit une fissure qui morcelait son visage en deux. Un instant, je ne compris pas ce qu’il voulait dire, pourquoi il était si agressif. Puis, je captai le sens réel de ma question, je vis à quel point j’étais partie le chercher dans ses plus profonds retranchements.
— Pardon, m’excusai-je. Je n’ai été indélicate.
Il ricana.
— Le tact n’a jamais été ton point fort.
— Ni le tien, rétorquai-je avec une grimace.
— C’est vrai.
Un silence se posa sur nous comme une fine couche de neige, légère et volatile, et je songeai combien la situation avait évolué. Nous avions peut-être enfin trouvé un équilibre, lui et moi, un équilibre qui ne se fondait pas sur notre destruction mutuelle.
Je poussai un long soupir en fixant le ciel bleu, qui tirait vers l’orangé à l’horizon. Sol infléchissait lentement sa course vers la terre pour aller se réfugier dans les profondeurs de l’obscurité et céder la place à son frère, Máni. Quelques mètres plus loin, Kalyan sourit doucement en me regardant inspirer l’air pur des landes. Je tournai la tête pour chercher Levi des yeux, réalisai qu’il s’éloignait déjà.
— Attends-moi deux secondes, soufflai-je au Thor.
Il hocha la tête, et je piquai un sprint pour rejoindre mon frère, qui avait déjà pris dix bons mètres d’avance.
— Levi !
Il ne s’arrêta pas.
— Levi, bordel !
J’accélérai, l’agrippai par l’épaule, et faillis me casser la figure en freinant brusquement pour me mettre à sa hauteur. Un léger rictus narquois étira un instant ses lèvres, mais il le gomma bien vite et se contenta de me fixer d’un regard vide. J’hésitai, bataillant pour faire le pas. Les doutes que j’avais, que j’avais soulevés, semblaient l’avoir retourné.
— Je… je voulais te dire. Je te crois quand tu dis que tu as changé.
Il battit des paupières, haussa les sourcils, l’air sceptique.
— Je ne saurais pas dire pourquoi, justifiai-je, mais je le sens. Et… c’est sympa.
Cette fois-ci, ses commissures remontèrent en une esquisse de sourire hésitant.
— Merci. C’est… étonnant de ta part, mais ça veut dire que tu as évolué aussi.
J’acquiesçai sans hésiter, consciente de ma transformation.
— Ça ne veut pas dire que je t’apprécie, ajouta-t-il à brûle-pourpoint, nous arrachant à tous les deux un éclat de rire, mais au moins, je sais que je pourrai compter sur toi par la suite.
Il y avait une once d’interrogation dans sa voix malgré le ton qui se voulait empli de certitude.
— Peut-être, éludai-je. Et…
J’hésitais trop, décidément. Mais à vrai dire, je n’avais aucune idée de comment me comporter face à lui. C’était encore trop dérangeant, trop inhabituel.
— Je ne sais pas ce que Mímir t’a fait payer…
À la manière dont il se renfrogna, je sus que j’avais touché le point sensible, ce qui avait causé ce changement chez lui. C’était une réaction de repli, d’animal blessé. Soudain, le contact visuel se rompit, ses yeux glissèrent sur le côté à la recherche d’un échappatoire, il recula presque d’un pas.
— Mais j’espère que ça en vaudra la peine.
Levi poussa un long soupir, parut un instant sur le point de craquer et d’en parler. Mais ses lèvres se scellèrent en une fine ligne pincée, il hocha la tête, puis se détourna.
— On n’a pas eu le temps de se le dire la dernière fois, mais bon courage.
— À toi aussi, soupirai-je.
Je le regardai s’éloigner de quelques pas dans la plaine vide, souris lorsqu’il se transforma en corbeau et prit son envol, la sacoche d’artefacts entre ses serres. Quelques battements d’aile plus tard, il disparaissait dans les épais nuages qui s’attardaient dans le ciel comme s’ils attendaient qu’on les convoque. Je revins auprès de Kal, pris sa main. Son regard glissa sur mes clavicules, nota l’absence de cordon de cuir. Il ne fit aucun commentaire.
— Tu veux qu’on utilise ton suspenseur ?
— On est enfin sur une ligne de flux, donc oui, on peut se le permettre maintenant.
D’une pression sur ma main, il trouva ma pulsation magique, tendit le bras. Le suspenseur apparut comme si on l’avait matérialisé en plein air, et Kal esquissa un sourire. Je grimpai dedans, m’installai confortablement dans l’un des fauteuils, et fermai les yeux en sentant l’engin vrombir. Kalyan tenait la barre de direction, une sorte de petit manche similaire à celui d’un avion. Il y en avait un d’un côté pour les mouvements horizontaux, et un autre sur le côté pour l’altitude. Sinon, l’écran principal était holographique, comme pour la plupart des appareils construits par les dvergar.
— Tu as besoin d’aide ? interrogeai-je.
— Ça devrait aller, je t’appelle si nécessaire. Cap sur Midgard ?
Je haussai un sourcil, perplexe.
— À moins que je ne te connaisse pas bien, tu n’es pas le genre de personne à fuir tes problèmes, mais plutôt à les affronter. D’autant que je crois que tu as eu les informations dont tu avais besoin chez Mímir et Skadi ?
Amusée de voir l’aisance avec laquelle il lisait en moi, j’acquiesçai, fis basculer le siège pour m’allonger presque comme dans un lit, et fermai les yeux. Je ne sentis même pas la différence lorsque nous nous mîmes en mouvement. Et bientôt, le ciel défilait à une vitesse vertigineuse haut au-dessus de moi, tandis que la navette silencieuse traçait son chemin le long d’une ligne de flux.

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Dernière modification par vampiredelivres le ven. 06 sept., 2024 8:29 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : dim. 10 mars, 2024 12:53 pm Hey ~

Lily-Aggro, la définition de l'efficacité. x)

Chap 7
Il est au fait de certaines choses… pas toutes, mais certaines.
J'aime bien l'image du lézard ✨
Ah ouais nan "il se mit en marche" c'est mieux ^-^
Le double flux c'était le gros défi pour la suite du tome, parce que c'est pas le truc le plus intuitif dans la tête de Lily (déjà que le flux et elle ça fait quatre dans le sens où elle a jamais totalement capté comment c'est censé fonctionner). Mais si c'est clair, tant mieux !
Heheh, merci pour les félicitations, cette phrase était personnelle 😁
Oui tu l'as déjà faite la blague, mais elle ne fait jamais de mal à relever à nouveau x)

Interlude
Ça doit être mon interlude préféré, sincèrement, ça fait longtemps que j'attendais de pouvoir le poster et franchement. C'est marrant parce que Thor passe de brute sanglante à galérien coincé dans sa galère en deux temps trois mouvements, et ici ça commence à expliquer pourquoi il lui a donné son sang d'un coup. Et ça m'évite d'avoir à gérer des dieux surpuissants, inhumains et totalement déconnectés de la réalité.
Enfin, si, ils sont déconnectés. Mais à leur manière.

Chapitre 8
Nan mais en écrivant ce chapitre j'étais la définition de "she woke up and chose violence". :lol:
Après on parle de la Confrérie ici, mais c'est relativement semblable dans les autres Maisons, thou shall not diverge du chemin qu'on t'a tracé. Les Maisons sont fucked up globalement, mais c'est un problème purement militaire et stratégique. L'un des tiens se barre pour aller vivre avec un ennemi, dont tu ne sauras jamais vraiment s'il reste toujours rattaché au fond à sa Maison, et donc s'il continue de transmettre les infos qu'il gratte au compte-goutte. Liability = suppression.
(Je le précise pas, hein, mais les Njörd ont bizarrement fermé les yeux aussi quand l'un des leurs, qui les avait quittés pour la miss de la Confrérie, s'est fait dézinguer au passage. 🙄)
Mais c'est cool de voir le tocard et Lily se rapprocher ♥
Tu vois les 7 armes c'est mon côté jardinière qui plante des graines et qui ne sait pas encore à quoi elles vont servir x)
Une quoi, une trame ? Keskecé ? À quoi ça sert ? ^-^
Mmhm, on se demande si ça n'aurait pas un lien 🙃

Merci pour les corrections et pour ton passage !

J'attaque SUI cette semaine, ça me saoule de ne pas être à jour surtout que je VOIS passer du drama x)

La bise ~
Helloooo

Je suis pas revenue ici depuis un bail 🥹

À propos de l'interlude, c'est sûrement l'un de mes préférés aussi ! Dans les récits, j'apprécie toujours qu'on est un aperçu de la vie des "puissants", qu'il s'agisse de dieux, de rois, maîtres, etc... Puis comme tu dis, ça te permet d'écarter habilement et vraisemblablement des pions surpuissants sur l'échiquier de l'histoire ^^

Sur les Maisons... tout ça m'amène à me demander quelle forme tout ce bazar prendra en post-Ragnarök... déjà faut que tu décides si va y avoir des mondes qui survivent à ça :lol:

Bref, j'attaque les chapitres que j'ai pas encore lus !

Chapitre 9

Lily en mode divinité mineure, oké tout va bien 🫡

Bon, la collaboration avec Levi se passe sans trop d'incidents à priori... Au final, notre tocard arrange tout le monde là :D Lily, toi, nous... parfait !

"Les déesses avaient des sièges VIP évidemment sur une estrade à part, en face du roi." :arrow: c'est tellement bizarre comme phrase mais en même temps logique... j'ai ri 😭

"le champ magnétique si je ne le maintenais pas collé à moi." :oops: leurs cheveux vont se dresser d'un coup ils vont rien comprendre mdr

Là je suis juste en train de me dire que Lily a pas dû choisir le gel douche le plus fort ni se parfumer pour cette petite opération... (oui je me tape des délires solo :roll: ).

Bon c'était trop beau pour bien se passer de A à Z :lol: Pour le coup ça semble logique que l'une des Déesses invitées sente la puissances des clefs. J'imagine qu'on saura au prochain chapitre son identité.

Chapitre 10 :

Nan mais :lol:

Pour de vrai, chapeau Lily :D C'était vraiment risqué mais très stylé cette chute en humaine-faucon-humaine. Ces bracelets sont bien pratiques tout d'un coup et c'est intéressant de les voir en mode diminution des pouvoirs avant de les voir en mode augmentation.

Pour ce qui est de flex, ça attendra un peu effectivement mdr

"— Tu t’es fait chasser comme un voleur comme un voleur, souris-je" :arrow: répétition ^^
"— Pardon, m’excusai-je. Je n’ai été indélicate." :arrow: négation en trop
"Les doutes que j’avais, que j’avais soulevés, semblaient l’avoir retourné." :arrow: il doit manquer quelque chose ?

La fin du chapitre douce-amère comme on aime là ✨

Bon, je pense que c'est dû à ma lecture morcelée, mais je reconnais être un peu paumée pour la suite ^^ Deux clés sur trois en leur possession, manque celle de sang... A présent, ils retournent sur Midgard, j'attends de voir ce qu'il va se passer :)

Sinon, j'ai trouvé ce début de tome à Stronstall très sympa, un juste équilibre en actions, révélations et développement des personnages. T'en as assez dit sur l'univers des nains pour que ce soit solide et crédible, sans t'attarder trop sur des côtés qui me paraîtraient pas très utiles.
Puis j'étais évidemment contente de voir Lily et Levi se rapprocher, au moins en tant qu'alliés à défaut d'amis. Et of course la douceur qui règne entre Kal et Lily est clairement nécessaire pour contrebalancer la violence et le fatalisme latents de ton univers.

Maintenant, curieuse de la suite (j'ai envie de revoir Ekrest, ça doit être mon côté maso, mais j'ai envie que Lily lui ferme son clapet là urgh). Tyko et Ake, j'suis pas très pressée de les revoir par contre, on a assez soupé des sociopathes :roll:

Plein de courage pour tout !
vampiredelivres

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Le Cycle du Serpent [III] : L’Hiver des Maisons

Message par vampiredelivres »

Ouais.
Ouais ouais ouais.



Bonjour ?
Comment ça va ?
(J’essaie de faire genre que ça fait pas *tousse* quatre mois *tousse* que j’ai disparu. Bon vous connaissez les raisons, mais… yolo hein.
On y retourne I guess ? J’ai écrit du drama récemment, c’est une bonne motivation à mon sens. :D


CHAPITRE 11


Le voyage était passé vite avec le suspenseur. Cinq jours à vitesse de croisière pour atteindre les Himinbjörg où Heimdall siégeait. Kalyan, absolument inconscient de ce qui s’était passé à Stronstall, avait le moral au beau fixe, et il m’avait fait visiter en faisant quelques détours. Nous avions survolé des montagnes enneigées, des lacs étales d’un turquoise un peu trop similaire à mes yeux, des plaines peuplées de hordes de bovidés et de lapins. Nous nous étions à chaque fois arrêtés pour camper pour la nuit, accompagnés par les crépitements du feu de camp – qu’il me forçait à allumer avec ma foudre – et par sa guitare. Une ambiance qui jusque là m’avait été inconnue, mais que j’appréciais bien.
Au dernier jour, plutôt que de s’épuiser loin d’une ligne de flux comme nous l’avions fait pour atteindre Thrymheim en urgence, nous avions remballé le suspenseur. Enfin, nous… Kalyan l’avait fait disparaître d’un simple geste dans son inventaire magique malgré la dépense d’énergie colossale que cela requérait. Nous avions pris des chevaux au pied de la montagne, chez un fils d’Heimdall affilié à son père qui gérait le service de déplacements jusqu’au Bifröst, troqué nos vêtements confortables contre d’épaisses combinaisons thermiques et des doudounes.
Et nous étions en train de grimper aussi lentement que les descendants de Sleipnir le permettaient, soit à un rythme qui engloutissait cinq mètres à chaque pas environ.
Je gigotai sur ma selle, songeuse. Nous allions rentrer. Bientôt. Dans quelques heures à peine.
Et, aussi brusque qu’un coup de tonnnerre claquant à mes pieds, la pensée de mettre en péril tout ce que Kalyan et moi avions construit ici me frappa et m’effraya.
— Kal ? soufflai-je.
— Mmhm ?
Il leva la tête vers moi avec un sourire et, instantanément, un peu de mon anxiété soudaine me quitta. Je me rappelai ce que je m’étais dit quelques semaines plus tôt, quand nous avions décidé d’entretenir cette alchimie étrange qu’il y avait entre nous. J’étais une Loki, et lui un Thor. Il y avait un million de raisons pour que ça ne fonctionne pas. Les mensonges seraient l’une des premières causes de notre échec.
Et, ô combien la réponse me faisait peur, je décidai malgré tout de poser la question qui me brûlait les lèvres :
— Qu’est-ce que tu comptes faire une fois rentré à Midgard ?
Il plissa le nez, l’air songeur, et ses yeux se perdirent au loin. Nous chevauchâmes quelques longues dizaines de secondes en silence, et plus il demeurait muet, plus la boule dans mon ventre se nouait encore davantage.
— Certainement pas rentrer chez les miens, en tout cas, répondit-il finalement.
Je soufflai doucement, rassurée. Les yeux étaient les fenêtres de l’âme, et les mots donnaient le rythme du cœur. Sa phrase avait été assurée, ferme. Il avait dit chez les miens et non chez moi. Ce que je voulais entendre, je l’avais entendu. Il ne comptait pas retourner au sein de la Maison de Thor, pas tout de suite en tout cas. Son cœur et son allégeance n’y étaient plus.
— Et toi ?
Je grimaçai légèrement, mais je connaissais déjà ma réponse. J’y avais réfléchi.
— Je n’ai pas nécessairement envie de retourner à la Confrérie… mais je ne peux pas la laisser aux mains de la commandante. Pour peu qu’Ekrest n’ait pas réussi à l’arracher à Kaiser…
— Il n’aura pas réussi.
— Ah ?
Je fronçai le nez, l’air sceptique, et il poursuivit sans la moindre trace d’hésitation dans sa voix :
— Je ne prétends pas connaître les Élites comme toi, mais je les ai suffisamment fréquentés pour savoir qu’ils fonctionnent à la rage. Surtout maintenant qu’ils sont libres.
Il fit une brève pause, parut réfléchir, puis ajouta :
— Ils vont essayer de la détruire. Enfin je pense. Imagine les motivations de quelqu’un comme Kirstin ou Ingmar… ils n’ont rien à retrouver au sein de la Confrérie d’aujourd’hui. En revanche, ils savent qu’ils peuvent détruire ce que votre commandante a essayé de construire.
— Tu penses ?
Question stupide, et j’eus envie de la ravaler immédiatement. Autant n’avais-je aucune certitude au sujet d’Ekrest, autant effectivement, Kirstin, Ingmar, Ake$ et Tyko n’étaient pas les plus proches de notre Confrérie actuelle. Bien des choses avaient évolué ces quelques dernières années, tandis qu’ils étaient officiellement morts depuis plus de deux décennies. Je passai une main dans mes cheveux, songeuse, finis par acquiescer.
— Effectivement. En plus ça ne va pas être facile, même pour eux. Kaiser est intelligente, elle va se terrer dans le Manoir. Elle n’en sortira pas.
Kalyan hocha la tête.
— Vos défenses sont solides.
Je levai un sourcil interrogateur dans sa direction, et il se fendit d’un rire narquois :
— Ce n’est pas faute de les avoir analysées pourtant.
Je ricanai.
— Trop souvent ?
— Pour mon propre bien, oui. À mon avis, si tu veux te débarrasser de Kaiser sans avoir à mettre les pieds dans le Manoir, il va falloir que tu trouves une solution alternative. Et je pense que j’ai une idée.
— Oh ?
Il laissa passer un long moment de réflexion, et je me contentai de chevaucher à côté de lui, écoutant le vent et le pas régulier de ma monture.
— Si tu prends le problème à l’envers : tu as lâché une horde de Loki vengeurs, emprisonnés depuis des décennies, dans le monde libre. Mais ils ne peuvent pas accéder au Manoir parce que les détecteurs sont suffisamment intelligents pour les repérer. L’accès par l’extérieur n’est pas possible, à moins de vouloir se confronter à votre Labyrinthe…
— Ce qui n’est pas impossible pour eux, ils seraient capables de s’en sortir.
— Certes. Mais même s’ils entrent, ils n’atteindront pas Kaiser, elle se sera carapatée ou barricadée. Comment vont-ils réagir ?
Je pris le temps de réfléchir, devinant que la question était plus sérieuse qu’elle n’en avait l’air. J’essayai, un instant, de tirer sur les émotions que j’avais un jour ressenties au travers d’une liaison mentale avec Kirstin. La peur. La solitude. La haine. Le gouffre béant de l’abîme qui s’ouvrait devant mes pieds faillit bien m’avaler tout de suite. Les souvenirs de cet échange de sentiments étaient encore trop vifs, trop intenses.
— Je m’acharnerais, répondis-je, toujours projetée dans un autre esprit que le mien. J’essaierais de la forcer à sortir de son trou. Je prendrais un otage, j’exigerais une rançon, je passerais…
Ma propre conscience voulut m’arrêter, mais je savais ce que ce vide dévorant provoquait : une rage inconsidérée, déraisonnable, contre l’univers tout entier.
— Je passerais ma rage sur d’autres qu’elle, sur ceux qui travaillent pour elle.
Kal hocha la tête, peiné mais guère choqué. Il y avait une question muette dans son regard – comment et pourquoi je me projetais dans leur esprit – mais il ne la formula pas. Il se contenta d’enchaîner :
— Tout ça, si je peux l’escompter de leur part, elle le peut aussi. Elle compte à mon avis sur leur haine – ça lui permet d’alimenter aussi son propre cycle vicieux, qui consiste à les transformer en monstres renégats aux yeux des autres Loki.
C’était un problème que j’avais commencé à envisager ces derniers temps. Si nous étions ceux qui massacrions les membres de la Confrérie, comment pouvions-nous prétendre être meilleurs que Kaiser, comment devions-nous justifier de la déstituer et de lui faire payer ses crimes ? Dans le pire des cas, nous devenions les monstres qu’elle avait cherché à éliminer, et cela devenait pour elle une cause juste, vu notre comportement.
— Mais donc ? relançai-je pour essayer de comprendre où il voulait en venir.
— Va l’affronter sur un terrain qu’elle pense maîtriser. Qu’elle domine, même. Un endroit où elle n’irait même pas te chercher parce qu’elle est trop sûre de ses appuis.
— Comme par exemple ?
— La justice de Glitnir, lâcha-t-il presque nonchalamment.
— Je ne… Quoi ? bégayai-je.
Il m’avait fallu une brève seconde pour faire l’association d’idées et atterrir là où Kal voulait m’emmener. Forseti, le dieu de la justice et de la réconciliation, qui siégait dans la halle aux toit d’argent et aux pilliers d’or, Glitnir. Forseti, dont la Maison s’occupait à Midgard de la résolution de la plupart des conflits qui prenaient un peu trop d’ampleur et menaçaient la stabilité d’une famille ou d’une alliance.
— Attends… un thing ?
— Elle ne s’y attendra pas.
— Ah ça, moi non plus je ne m’y attendais pas. Mais comment veux-tu que je…
— En allant appeler la voix suprême de la justice midgardienne. Le seul qu’elle n’aura pas pu acheter. Avriel.
Je faillis me laisser tomber de mon cheval, totalement sidérée.
— Kal, je veux bien être une ancienne Élite, une bonne combattante. Mais je n’ai pas les contacts pour m’amener devant le Juste.
Le chef des Forseti, l’incorruptible.
— Moi je les ai, sourit-il simplement. Je peux l’appeler en rentrant, lui demander une audience privée pour débattre d’un problème politique majeur.
Ce qui restait de bonne volonté dans mon esprit abandonna la partie. Je le fixai avec un ahurissement non feint, absolument incapable de concevoir comment il voulait m’amener à dialoguer un jour avec Avriel le Juste, le chef des Forseti.
— Il va falloir que tu m’expliques.
— Quoi, comment j’ai son contact ? Ça s’appelle le nom de famille, heureusement ou malheureusement.
— Non, comment… comment je pourrais bien renverser Kaiser via un thing.
Il soupira, finit par comprendre que j’étais mortellement sérieuse, et entreprit de m’expliquer :
— Le thing est la plus haute instance de la justice norroise, comme tu le sais probablement.
— Jusque là, aucun problème.
— Et si la plupart des juges ne sont pas incorruptibles, ce n’est pas le cas d’Avriel.
Je haussai un sourcil, perplexe. J’avais vu des milliers d’hommes intègres céder, que ce soit à cause de la cupidité, de la haine ou de la menace. Avriel avait beau être une légende dans notre milieu, il n’était pas pour autant un homme à qui j’aurais confié ma vie, loin de là même.
— Tu n’as pas l’habitude de faire confiance aux gens, mais fais-moi au moins confiance là-dessus. Il a préféré sacrifier cinquante des siens pris en otage par les Odin pour éliminer la Triade des Fauves.
Surprise, je pinçai les lèvres, et la remarque que je prévoyais de lui renvoyer sur la prétendue incorruptibilité des hommes resta coincée en travers de ma gorge. Cinquante des siens ? Un massacre, pur et simple.
— Il aura toujours du temps à accorder à la vérité, et surtout dans le cas d’une trahison aussi importante que celle de Kaiser.
Je fus touchée par ses mots. Kalyan et moi ne parlions plus que rarement de ce qui s’était passé au Q.G. des Thor, de ce qui nous avait amenés à nous rencontrer. Je préférais ne pas ramener la trahison de Kaiser à la surface tant que je le pouvais, et il esquivait les questions délicates sur les tortures que j’avais subies ou les souvenirs de nos âpres négociations. Qu’il le formule aussi fermement et directement me rasséréna quelque peu. J’étais parfois hantée par un infâme syndrome de l’imposteur, qui me faisait remettre en question tout ce que je vivais, toute l’incidence des évènements sur ma vie. L’entendre, de la part de quelqu’un d’extérieur au conflit, qui avait simplement assisté aux évènements et pouvait témoigner, me permettait de reconsidérer la véracité de mes émotions parfois conflictuelles.
Car la lutte pour ne pas retomber dans mes acquis, ne pas placer la Confrérie sur un piédestal, était difficile malgré la trahison. Les années passées à sacraliser ma famille, à toujours penser à l’ensemble de la fratrie plutôt qu’à moi-même, se confrontaient à la douleur, vive et implacable, d’avoir été la survivante d’un tel coup monté contre moi. J’avais du mal, encore aujourd’hui, à concilier cette nouvelle vision avec la foi que j’accordais par principe à ma famille, ma commandante incluse.
— Tu penses qu’il acceptera d’écouter une criminelle intermondialement recherchée ? osai-je, mes doutes encore présents.
— C’est là où il va probablement falloir ruser, admit-il avec un bref sourire. Surtout pour entrer dans l’ambassade. Je pense qu’il vaudrait mieux que, jusqu’à ce que tu sois face à lui, tu utilises ton… autre identité.
— Ça implique de lui révéler mon secret.
Il inclina la tête, et ne répondit rien, me confrontant au choix.
— Tu penses que c’est un risque acceptable ?
— Pour moi, oui, répondit-il sans hésiter, mais je le connais. Toi qui ne le connais pas… et lui qui ne te connaît pas… honnêtement, je ne sais pas. C’est une décision que je ne voudrais pas prendre à ta place.
Je renversai la tête en arrière vers le ciel d’un bleu limpide, pareil à la couleur actuelle de mes yeux. Avriel le Juste. J’essayais de rassembler toutes les informations acquises sur lui au cours des années, mais il y en avait si peu. Je n’avais jamais été confrontée directement aux Forseti, jamais assisté à un véritable jugement. J’étais totalement novice dans la matière, et c’était aussi une raison pour laquelle je n’osais pas imaginer aller me confronter à Kaiser dans ce domaine.
En outre, comme Kalyan l’avait dit, je ne connaissais pas Avriel. Je ne savais pas s’il n’hésiterait pas à me faire arrêter sur le champ, s’il prendrait au moins le temps de m’écouter, s’il se contenterait de voir ce que ma commandante lui avait décrit. S’il garderait le secret sur mon identité de sang-mêlée, ne s’en servirait pas pour me plonger dans l’embarras. Je n’osais pas y croire, mais il était vrai que c’était l’une des propositions les plus raisonnables pour s’en prendre à Kaiser sans essayer de venir la chercher sur un terrain où elle serait toute-puissante.
— Comment ça se passe ? Si je veux déposer une plainte, admettons.
Durant tout le reste du voyage, il m’expliqua tout ce qu’il savait, depuis sa propre expérience en passant par toutes les connaissances légales qu’il avait acquises. Il me parla de son propre jugement, de la manière dont cela s’était organisé, de la procédure préalable pour enregistrer la plainte. J’écoutai patiemment le fonctionnement de la justice norroise, posai des dizaines de questions sur toutes les failles possibles que je pouvais imaginer, traquai la petite bête qui m’enverrait par le fond jusqu’à ce que je sois trop épuisée pour avoir quelque chose à relever.
La discussion nous occupa durant toute la remontée du col. Le temps que nous finissions d’aborder toutes les connaissances que nous pouvions mettre en commun, il faisait quasiment nuit, et nous nous mîmes d’accord pour descendre de selle et établir un camp pour la nuit. Le sentier caillouteux serpentait le long de la montagne, raide et pentu, aussi, je préférai m’en éloigner pour chercher une zone un peu plus plate. C’était peine perdue. En désespoir de cause, et alors que la nuit se faisait si sombre que je regrettais pour la millième fois de ne plus avoir mes flammes pour m’éclairer, nous tendîmes une tente sommaire entre trois arbres et attachâmes les chevaux.
Ce soir-là, il n’y eut pas de feu de camp, pas de guitare. Nous nous couchâmes tous les deux, totalement éreintés par la route, et pour ma part, je m’endormis comme une masse, bercée par le bruissement du feuillage et le discret mouvement de balancier de la tente.

| † | † |


Le reste de l’ascension s’était passé sans grand problème autre que le froid mordant qui s’accentuait avec la hauteur et la fatigue des montures, de lointains descendants de Sleipnir qui avaient encore leur petite accélération magique même s’ils n’avaient plus que quatre jambes et non huit, comme des chevaux normalement constitués. Nous allions donc atteindre la demeure d’Heimdall en fin d’après-midi, comme annoncé par notre loueur de chevaux au pied des montagnes. J’avais contacté Ake$ par transmetteur pour lui exposer l’idée du thing, qui l’avait enthousiasmé. De fait, il m’avait dit que je pourrais compter sur son aide et qu’il rappliquerait rapidement à Midgard pour avoir l’honneur d’exposer les crimes de sa jumelle dans un procès public.
— J’ai un témoin, souris-je en coupant la communication du transmetteur dvargen.
— Cool.
La voix de Kalyan était distante, comme s’il était préoccupé, et je l’entendis immédiatement.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
Il poussa un long soupir en fixant son regard sur le sommet lointain d’Himminbjörg, que l’on commençait à discerner avec plus de précisions maintenant que nous avions dépassé l’altitude des nuages. Peu habituée à ressentir le froid, je m’étais emmitoufflée dans ma combinaison et mes fourrures, incapable de jouer avec ma pyromagie. Mon souffle n’était plus que des volutes de cristallisation, et le simple fait de respirer me donnait l’impression d’avoir les poumons gelés de l’intérieur.
— Je pensais au thing.
— Ne me dis pas que c’est une mauvaise idée maintenant que j’ai commencé à l’organiser, avertis-je.
— Non, là n’est pas la question. Je suis toujours d’avis que c’est ta seule approche qui a une mince chance de réussite, trancha-t-il. Mais la question c’est : et après ?
— Et après ? relevai-je.
Il prit une inspiration qui ressortit sous la forme d’un nuage de vapeur qui gelait en traversant l’écharpe qui lui servait de cache-nez, et expliqua posément :
— Imaginons. Kaiser tombe. Morte, bannie ou emprisonnée à vie, peu importe. Vous êtes tous pardonnés, réintégrés si vous le souhaitez. Qui reprend le commandement de la Confrérie ?
Un instant, je faillis répondre simplement les Élites, puis la réalité me frappa. Les Élites ? Ils précipiteraient la famille dans la guerre et la destruction. Une vendetta contre les Thor et tous ceux qui leur avaient fait du mal un jour ou l’autre. Leur haine n’avait de limite que les frontières des Neuf Mondes, et leur pouvoir à la tête de la Confrérie leur donnerait les moyens de donner à leur conflit une dimension internationale, si ce n’était intermondiale.
— Tu m’as compris, soupira Kalyan voyant mon visage se fermer. Les Élites vont causer un carnage si on leur donne la main sur la Confrérie. Adam est hors-jeu par sa capture si j’ai bien compris, et vous êtes une méritocracie totale. Les plus puissants sont au sommet. Toi ? Tu es certainement la plus saine d’esprit du groupe…
— Je n’ai absolument pas l’expérience, réfutai-je immédiatement. Je veux dire, je sais gérer la famille, ça fait quelques années que je le fais. Je connais les tenants et les aboutissants de nos politiques internes, des conflits et des intérêts de chacun. Mais la Confrérie c’est aussi toutes les filiales et même si je me suis fait la main sur des petits groupes…
Kalyan ne me contredit pas, et j’ajoutai avec un ricanement :
— En plus je n’en ai pas envie ! C’est un bourbier administratif, tout ce que je déteste.
Il pouffa, et je laissai son rire s’attarder tandis que je songeais à la possibilité la plus cohérente mais la moins logique.
— Non, il faudrait une sorte de conseil, un moyen de ne pas retomber dans le pouvoir absolu de Kaiser… mais je vois mal la Confrérie accepter ça. D’autant qu’il faudrait que les différents départements arrivent à travailler ensemble.
Un instant, je reportai mon regard sur le côté, vis le sol qui défilait à la vitesse d’un cheval au galop malgré le fait que nous soyions au pas, et l’incohérence des informations entre ma vision et mon oreille interne faillit me donner la nausée. Je reportai aussitôt mes yeux droit devant, sur la demeure d’Heimdall qui s’était drastiquement rapprochée, rééquilibrant mes sens.
— Oui, j’ai du mal à voir quelqu’un instaurer une démocratie à la Confrérie, grinça Kalyan. Et pourtant, ce serait bien.
Sur ce commentaire songeur, nous laissâmes nos chevaux habitués nous guider le long du sentier de plus en plus escarpé, droit jusqu’aux écuries qui auraient mérité de figurer sur le Guiness des records, gagnant sans conteste dans la catégorie des écuries en haute altitude. Le sol était si loin que nous avions traversé quatre épaisseurs de nuages et monté au moins l’équivalent de trois monts Everest empilés. Heureusement pour nous, les chevaux l’avaient fait en une petite quinzaine d’heures sans montrer de gros signes de fatigue.
Nous les installâmes comme demandé par leur propriétaire dans les stalles, désellés et pansés, leur matériel bien en évidence, sans apercevoir une seule fois la trace du frère du loueur qui était censé s’occuper d’eux, puis nous fîmes le tour de l’immense château taillé dans la pierre pour atteindre la porte principale.
Elle s’ouvrit sur le propriétaire des lieux au moment où je levais le heurtoir en bronze pour toquer.
— Fille du chaos, salua-t-il malgré mes yeux azur et l’apparence de Lyana que j’avais gardée. Et de l’orage.
— Et de beaucoup d’autres choses, si j’ai bien compris ce qu’on m’a raconté sur mes origines. Mais je suppose que vous en savez déjà beaucoup plus que moi.
Heimdall se fendit d’un de ses rares sourires qui fit scintiller ses dents jaunies, nous précéda dans la demeure sans rien dire. Je m’engageai dans l’immense bâtisse taillée à même la montagne, observant les environs à la recherche d’une trace d’un être humain, mais il n’y avait personne. Comme la dernière fois que j’étais venue, le veilleur des dieux était absolument et irrémédiablement seul. Enfin, c’était un mensonge : la dernière fois, ma déesse de demi-sœur Syn était venue distraire son attention pendant que je sortais de Midgard.
Il nous guida le long d’un large hall d’entrée vers un couloir tout aussi large, jusqu’à un petit salon que je reconnus comme celui où je l’avais rencontré la dernière fois, et il nous fit un signe de la main, nous indiquant le petit canapé face à l’âtre flamboyant tandis qu’il prenait lui-même place sur le fauteuil en face.
— Asseyez-vous, j’ai quelques mots à vous dire avant que vous ne retourniez à Midgard.
Je me posai précautionneusement sur le rebord, guère à l’aise avec l’idée de me mettre à l’aise dans la demeure de l’ennemi héréditaire de mon père. La dernière fois que j’étais venue ici, les choses ne s’étaient… pas si bien passées.
— Thor m’a raconté votre rencontre, entama le maître des lieux. Et il m’a assuré de ta bonne volonté.
Son regard était perçant, semblait trancher dans mon air composé comme un couteau dans du beurre. Doutant de ce qu’il voulait entendre, je choisis de me rabattre sur le sarcasme qui m’était familier, mais qui contenait la vérité.
— Il assume ma bonne volonté ? C’est audacieux.
— C’est ce que je lui ai dit. Mais tu as déjà eu l’occasion de démontrer une partie de tes intentions.
— Ah ? relevai-je.
Le sourire qui ne l’avait pas quitté s’accentua.
— N’oublie pas que j’ai des yeux et des oreilles. J’ai suivi votre affrontement avec… le plus grand des intérêts.
Son regard glissa vers Kalyan, et je me figeai, doutant soudain d’avoir bien affaire à une menace à peine voilée.
— Ne l’aurais-je pas vu que je n’y aurais pas cru.
— Lily ? releva Kal.
Je pinçai les lèvres, cherchant à déchiffrer l’expression trop souriante de la divinité, essayant de discerner quelles étaient ses intentions.
— Je n’aime pas votre ton, Seigneur Heimdall.
— Oh, rassure-toi, ce n’est pas une menace. C’est seulement que cela faisait longtemps que je n’avais pas vu deux âmes contraires s’entendre si bien, au point de vouloir se sauver mutuellement.
Frustrée par les millions de sous-textes que je lisais dans son attitude mais qu’il réfutait avec ses mots, je secouai la tête.
— Voulez-vous quelque chose en particulier de ma part ?
Il se rembrunit, l’air de comprendre qu’il n’avait pas réussi à me faire baisser ma garde. Durant quelques secondes, il garda le silence, semblant formuler sa réponse en silence, pesant ses mots. Je déroulai mentalement une liste de ce qu’il pourrait exiger de moi, de ce que je pouvais lui fournir. Car, apparemment, j’étais là pour faire à la place des dieux ce qu’ils n’étaient pas capables de faire eux-mêmes.
— Non, je veux t’offrir quelque chose. Pour te remercier de m’avoir offert un espoir.
Préparée en amont à une âpre négociation, je me retrouvai le souffle coupé, l’esprit vide.
— Pardon ?
— Oui, je me doute que tu n’en as pas l’habitude. Tu es comme Syn là-dessus. Mais merci. Parfois, une pointe d’espoir suffit.
— Je ne suis pas sûre de mériter…
— Ce n’est pas une question de mérite, m’interrompit-il. Tu ne ressens pas cette pression extérieure, cette certitude que tu dois prendre une décision alors même qu’elle te semble totalement contraire à ce que tu aimerais faire. Nous qui sommes directement emprisonnés dans les fils des tisseuses le vivons en permanence. Je ne m’en étais pas rendu compte la première fois que tu étais passée par ici, mais…
Il hésita, se fendit d’un sourire.
— … être en ta présence est une bouffée d’air frais.
Kalyan et moi échangeâmes un regard perplexe. Je n’avais aucune idée de quoi il parlait. Kal haussa les sourcils, et je lui répondis d’un mouvement d’épaules confus. Heimdall pouffa.
— Je ne m’attendais pas à ce que vous compreniez. Prends juste cette affirmation pour ce qu’elle est : ton chaos est bienvenu. Aussi, si tu as besoin d’un passage, n’hésite pas à m’appeler directement de là où tu es. Et tes alliés aussi en bénéficieront. J’ai commencé à les repérer.
Un instant, je faillis poser les dizaines de questions qui s’entrechoquaient dans mon esprit. Elles me brûlaient la langue, mais je finis par les réprimer, les repousser dans un coin. Prends juste cette affirmation pour ce qu’elle est. Une forme de reconnaissance, et non pas une menace. Une récompense, même si je ne savais pas pour quoi exactement.
Des années durant, je m’étais battue pour être reconnue à ma juste valeur à la Confrérie. Aujourd’hui, Heimdall me reconnaissait pour quelque chose que je ne pensais pas être, et même je n’avais jamais désiré son approbation, la recevoir me donnait l’impression d’être une imposteure. Pourtant, je me forçai à aller à l’encontre de tous mes instincts et à ne pas relever. Ne pas chercher. Ne pas refuser une aide gratuitement offerte.
— Merci Seigneur Heimdall. Je m’en rappellerai.
C’était si horripilant de vouloir rebondir dessus, et de s’obliger à ne rien dire. Kal, semblant comprendre ma frustration, m’adressa un sourire apaisant, et je rongeai mon frein en silence, focalisée sur lui pour m’obliger à rester sur ma décision.
— Très bien, finit par reprendre le dieu, et je dus à nouveau me tourner vers lui. Voulez-vous y aller ?
Ses yeux laiteux étaient rivés sur moi, sa peau d’albâtre semblait refuser de capter les reflets orangés des flammes. Je hochai la tête en silence, toujours aussi muette, me forçant à rester aussi composée et imperturbable que possible. Je voulais juste traverser, rentrer à Midgard.
Il se redressa, nous fit signe de le suivre. Instinctivement, j’entrelaçai mes doigts à ceux de Kalyan, et nous nous levâmes ensemble. Tout en gardant mon énergie de Thor en surface pour préserver ma couverture, j’allai chercher son pouls, son flux, initiai la connexion. Désormais habitué à mes passes mentales, il le perçut sans mal.
— Ça s’est mieux passé que prévu… projeta-t-il mentalement.
— Je ne sais pas ce que c’était censé vouloir dire, soupirai-je en retour. Mais on verra bien je suppose.
— Pour le moment, tu te contentes de récupérer les cadeaux qu’on t’offre ?
— Exactement.

Il sourit, et projeta une onde bienveillante dans le courant mental. Je la laissai se déverser dans mon corps comme une cascade d’appréciation, la sensation d’une étreinte chaleureuse, mais elle ne parvint pas à me rasséréner.
— Depuis que j’ai révélé mon identité d’Élue à Thor, j’ai l’impression que les Æsir reposent tous leurs espoirs sur moi. C’est flippant, d’autant plus qu’il y a quelques années ils essayaient tous de me tuer.
— Ils sont peut-être désespérés ?
suggéra-t-il. Fatigués de lutter contre des ennemis contre lesquels ils n’ont pas d’armes ?
— Tu penses que suivre le courant que je provoque leur est plus facile ?

Il haussa à son tour les épaules.
— Peut-être.
— Ça ne me rassure pas. Comment lâchent-ils prise aussi facilement sur leur propre destin ?

À cela, Kalyan ne répondit rien, et je devinai qu’il n’en avait pas la moindre idée non plus. J’avais du mal à imaginer un monde où je serais enchaînée, forcée de prendre des décisions qui ne m’appartenaient pas. Mais peut-être que nous humains avions toujours l’impression d’être libres alors même que les Nornes jouaient avec nos fils à notre insu. Était-ce cela que nos parents divins nous enviaient, finalement ?
Le vent glacial qui nous accueillit dans la cour arrière d’Himinbjorg parvint à chasser toutes mes réflexions, les remplaçant par la sensation du froid mordant qui me frigorifia immédiatement jusqu’aux os. Je fis réapparaître mon épais manteau en quatrième vitesse, Kal m’imitant au quart de seconde près, et nous traversâmes la cour pavée sur les talons du dieu, jusqu’à atteindre le rebord. Curieuse de tenter une expérience que je n’avais encore jamais faite, je lâchai la main de Kalyan et, précautionneusement, en luttant contre les bourrasques de haute altitude, je penchai la tête par-dessus la ligne nette où le dallage s’arrêtait. La vue sur le précipice me donna un vertige immédiat, comme lorsque j’étais passée par les racines de l’Yggdrasil. Les nuages étaient moins denses de ce côté-ci, et le sol était si loin que même les plus proches sommets des montagnes environnantes ressemblaient à des têtes d’allumettes. Tout ce qui était en-dessous de nous n’était que glace et neige, en amas indistincts où de rares morceaux de roche grise pointaient parfois.
Je reculai en battant des cils. J’avais la tête qui tournait, un vertige de mon esprit humain qui n’était pas préparé à appréhender de telles distances.
Heimdall me considéra avec un rictus moqueur, puis tendit les mains en avant, et la vide et soudaine lumière qui illumina le sol faillit me faire détourner le regard. Les yeux larmoyants, je regardai néanmoins le pont arc-en-ciel s’élancer dans la voûte céleste en direction de Midgard, tranchant dans le ciel bleu nuit de ses couleurs chatoyantes. Il se déversait comme une cascade qui partait des mains du dieu, un rayon d’énergie infinie, jusqu’à ce que celui-ci se baisse et le dépose au sol, l’ancrant au dallage par une incompréhensible magie. Je contemplai les volutes de vapeur dansant à la surface du pont, les points de rencontre entre les différents éléments. Feu, air et eau s’étiraient en trois bandes colorées, respectivement rouge, bleue et verte, se déclinant en un million de nuances là où ils se rencontraient mutuellement.
— Vous pouvez y aller. Ne perdez pas trop de temps.
— Merci, Seigneur Heimdall, répondit Kal en s’avançant.
Il me jeta un bref regard pour m’enjoindre à le suivre. En passant devant le dieu, j’inclinai imperceptiblement la tête, songeant au cadeau qu’il m’avait offert. Si tu as besoin d’un pont, n’hésite pas à m’appeler de là où tu es. Une sortie de secours, une porte ouverte. Il me rendit son sourire jaune, qui contrastait avec sa peau blanche et ses yeux laiteux, et je m’élançai sur les talons de Kal.

| † | † |

<= Du coup Kolïn avait absolument raison quand elle parlait du thing (vous êtes douées aux devinettes) mais je me doute bien que c’était difficile d’imaginer comment j’allais l’intégrer dans l’univers… donc voilà ! Qu’est-ce qui pourrait mal tourner maintenant que c’est lancé ? :roll:
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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : dim. 02 juin, 2024 6:45 pmHelloooo

Je suis pas revenue ici depuis un bail 🥹

À propos de l'interlude, c'est sûrement l'un de mes préférés aussi ! Dans les récits, j'apprécie toujours qu'on est un aperçu de la vie des "puissants", qu'il s'agisse de dieux, de rois, maîtres, etc... Puis comme tu dis, ça te permet d'écarter habilement et vraisemblablement des pions surpuissants sur l'échiquier de l'histoire ^^

Sur les Maisons... tout ça m'amène à me demander quelle forme tout ce bazar prendra en post-Ragnarök... déjà faut que tu décides si va y avoir des mondes qui survivent à ça :lol:

Bref, j'attaque les chapitres que j'ai pas encore lus !

Chapitre 9

Lily en mode divinité mineure, oké tout va bien 🫡

Bon, la collaboration avec Levi se passe sans trop d'incidents à priori... Au final, notre tocard arrange tout le monde là :D Lily, toi, nous... parfait !

"Les déesses avaient des sièges VIP évidemment sur une estrade à part, en face du roi." :arrow: c'est tellement bizarre comme phrase mais en même temps logique... j'ai ri 😭

"le champ magnétique si je ne le maintenais pas collé à moi." :oops: leurs cheveux vont se dresser d'un coup ils vont rien comprendre mdr

Là je suis juste en train de me dire que Lily a pas dû choisir le gel douche le plus fort ni se parfumer pour cette petite opération... (oui je me tape des délires solo :roll: ).

Bon c'était trop beau pour bien se passer de A à Z :lol: Pour le coup ça semble logique que l'une des Déesses invitées sente la puissances des clefs. J'imagine qu'on saura au prochain chapitre son identité.

Chapitre 10 :

Nan mais :lol:

Pour de vrai, chapeau Lily :D C'était vraiment risqué mais très stylé cette chute en humaine-faucon-humaine. Ces bracelets sont bien pratiques tout d'un coup et c'est intéressant de les voir en mode diminution des pouvoirs avant de les voir en mode augmentation.

Pour ce qui est de flex, ça attendra un peu effectivement mdr

"— Tu t’es fait chasser comme un voleur comme un voleur, souris-je" :arrow: répétition ^^
"— Pardon, m’excusai-je. Je n’ai été indélicate." :arrow: négation en trop
"Les doutes que j’avais, que j’avais soulevés, semblaient l’avoir retourné." :arrow: il doit manquer quelque chose ?

La fin du chapitre douce-amère comme on aime là ✨

Bon, je pense que c'est dû à ma lecture morcelée, mais je reconnais être un peu paumée pour la suite ^^ Deux clés sur trois en leur possession, manque celle de sang... A présent, ils retournent sur Midgard, j'attends de voir ce qu'il va se passer :)

Sinon, j'ai trouvé ce début de tome à Stronstall très sympa, un juste équilibre en actions, révélations et développement des personnages. T'en as assez dit sur l'univers des nains pour que ce soit solide et crédible, sans t'attarder trop sur des côtés qui me paraîtraient pas très utiles.
Puis j'étais évidemment contente de voir Lily et Levi se rapprocher, au moins en tant qu'alliés à défaut d'amis. Et of course la douceur qui règne entre Kal et Lily est clairement nécessaire pour contrebalancer la violence et le fatalisme latents de ton univers.

Maintenant, curieuse de la suite (j'ai envie de revoir Ekrest, ça doit être mon côté maso, mais j'ai envie que Lily lui ferme son clapet là urgh). Tyko et Ake, j'suis pas très pressée de les revoir par contre, on a assez soupé des sociopathes :roll:

Plein de courage pour tout !
Ouais tkt, moi non plus x)

On aura de plus en plus l'occasion de voir les dieux et leurs petits penchants humains, leurs côtés faillibles et leurs problèmes personnels (qui ne sont pas négligeables non plus). C'est chouette d'imaginer ce qu'ils sont après quelques millénaires d'existence, et ce qui peut leur prendre la tête au quotidien x)

Ehehe, bonne question… je sais toujours pas moi-même pour le moment qui survit et comment.

Chapitre 9
C'est toujours ma crainte habituelle, ne pas en faire une Mary-Sue overpowered. Mais j'aime bien explorer ce côté "bombe atomique attendant d'exploser" :D

Ouais Levi et Lily se rabibochent doucement t'as vu !

Le fameux paradoxe d'avoir des divinités surpuissantes dans un monde "moderne"… comment tu les traites quand elles se pointent ? Un bon vieux siège VIP.

En vrai tu rigoles, mais la question du gel douche et de l'odeur corporelle se pose pour ce genre d'infiltrations ! Faut choisir le truc le plus neutre possible quoi, t'as pas envie d'une odeur de lavande flottant autour de toi quand t'es en mode sneaky XD

C'était trop beau pour être vrai :P

Chapitre 10

C'est un côté de sa magie que je voulais explorer, les combos de pouvoirs. Parce qu'on la voit souvent utiliser un type de magie à la fois… mais c'est les combos qui la rendent réellement efficace en cas de nécessité. (Est-ce que ce sera réutilisé par la suite ? Eheheh.) Et oui, les bracelets de la discrétion d'abord, finalement !

Merci pour avoir relevé les erreurs !


La lecture morcelée ne doit pas aider (je suis pareille sur S.U.I. actuellement, en train d'essayer de me rappeler tout ce qui s'est passé). Ils ont donc bien deux clefs sur trois, celle de Thor et de Kvasir, la troisième étant celle d'Odin… tu sens les problèmes arriver ? :D

On va revoir Ekrest bientôt, promis, et il va se détendre un peu par rapport à la fois précédente. Tyko et Ake ça ne présage rien de bon, ils sont craignos… j'ai surtout hâte que vous revoyiez Kirstin en fait ♥

À plouche !
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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

Hellooo !
Je l'avais annoncée il y a un moment déjà, mais vous allez pouvoir enfin la rencontrer… j'ai nommé Elisa la tornade, l'un de mes persos secondaires préférés !
Elle a ce petit caractère qui… 🌪️… oui voilà.
Bref. Enjoy !


CHAPITRE 12


Franchir le pont avait été une formalité, certes sportive, mais une formalité malgré tout. Nous avions couru sur ce qui s’apparentait, connaissant ma vitesse de course, à une demi-douzaine de kilomètres, une petite vingtaine de minutes à bonne allure. Bientôt, le sol lointain était devenu visible, les contours des différents lieux s’étaient précisés. J’avais vu les petites villes environnantes, minuscules points de lumière sur le sol sombre, grossir en se rapprochant, puis disparaître derrière la courbure du terrain lorsque nous nous étions approchés du sol. Et, rapidement, j’avais posé le pied sur le sol poussiéreux de l’Apollon Smintheion, les ruines du temple grec qui nous servaient de point d’atterrissage. C’était là qu’Heimdall ouvrait traditionnellement le Bifröst pour Midgard, nous laissant le libre choix sur la manière de repartir. C’était là que les enfants du dieu géraient aussi les entrées et les sorties dans le monde des hommes, créant une sorte de poste-frontière à l’échelle des mondes, la douane magique.
C’était là que nous nous étions rappelés que nous pouvions désormais nous faire arrêter par n’importe qui, comme les fugitifs que nous étions.
Louer une voiture aux Heimdall n’avait été qu’une autre formalité, grâce à nos yeux azur. Si j’avais été une Loki, cela aurait été une toute autre affaire, mais en l’état des choses, mes iris électriques m’avaient protégée de la moindre question déplacée. Sur la route, Kalyan m’avait rapidement expliqué que les Thor, les Odin et les Heimdall avaient une sorte d’accord tripartite permettant aux membres de ces familles de quitter ou de rejoindre le Bifröst anonymement, notamment en leur prêtant un véhicule. Nous avions exploité ce principe fort pratique pour nous éloigner au maximum du temple bardé de caméras, et avions laissé le véhicule dans une petite ville turque à quelques cent cinquante kilomètres de là. Kalyan m’avait simplement dit que les Heimdall la récupèreraient grâce au localisateur, et qu’on pouvait la laisser n’importe où.
Heimdall nous avait déposés au milieu de la nuit, et la route depuis l’Apollon Smintheion jusqu’à la grande ville la plus proche nous avait pris une bonne partie de la matinée. Ensuite, nous avions dû attendre le petit matin pour avoir l’un des premiers bus, qui nous avait déposés dans une autre ville, plus éloignée. Les réflexes de Midgard étaient rapidement revenus, tant pour moi que pour Kal. Tous les deux sur le qui-vive, nous avions guetté le moindre signe d’un assaillant, tous les deux conscients que nos têtes étaient mises à prix. La mienne par la Confrérie, celle du Thor par toutes les autres Maisons qui auraient adoré se débarrasser d’un Hamershot un peu trop puissant et méticuleux. Et, lorsque nous nous étions finalement installés dans une chambre d’hôtel, près de vingt-quatre heures après notre dernier réveil, la première chose que nous avions fait avait été d’en vérifier tous les recoins, et ensuite d’établir des tours de garde.
— On n’a jamais parlé de ce qu’on ferait une fois rentrés, lança Kalyan d’un ton anodin lorsque le calme retomba. Où on s’installerait, comment on s’organiserait. Parce qu’aucun de nous n’est bienvenu dans sa famille actuellement.
Je me retins faire remarquer que j’étais particulièrement heureuse qu’il parle d’un « nous » tangible et stable, qui pouvait survivre à la fois à cette cavale et aux affres d’une vie commune. Cela faisait deux bons mois que l’on voyageait ensemble, dormant dans la même chambre ou tente en fonction du lieu, mais je n’avais jamais été totalement certaine que ça puisse survivre à notre retour ici. Au lieu de m’attarder sur ces questions qui me hantaient périodiquement, je préférai réfléchir. J’avais eu quelques idées de démarches en descendant le Bifröst, envisageant à la fois les cas de figure où Kalyan et moi nous séparions et ceux où nous restions ensemble. Maintenant, il fallait décider.
— J’ai peut-être une idée… répondis-je, songeuse, en m’asseyant dans le fauteil. Mais il faut que je passe un coup de fil ou deux.
Kalyan s’adossa confortablement dans le canapé, les sourcils levés en guise d’interrogation silencieuse. Je lui rendis un sourire amusé, réfléchis un moment pour me rappeler quel téléphone j’utilisais pour joindre Kagari Kazuto. Car autant je gardais encore occasionnellement le contact avec sa fille Elisa, autant lui, je ne l’avais plus appelé depuis… huit ans maintenant. Le souvenir ramena une pointe de nostalgie, je souris, fis apparaître un vieux téléphone que j’utilisais pour mes contrats personnels depuis que j’étais gamine. Alice Howes avait été mon identité de l’époque, anglaise élevée au Japon. Je fis défiler mes contacts, trouvai Kagari Kazuto, hésitai, calculai en silence le décalage horaire. C’était jouable, il veillait tard en général.
— Hello ?
— Bonjour Kazuto, saluai-je en japonais. C’est Alice Howes.
— Je… Oh ! Alice ? Seigneur, ça fait si longtemps !
Je pouffai.
— Effectivement…
— Comment vas-tu, ma chérie ? Tu devrais me donner plus de nouvelles ! J’en ai encore occasionnellement par Elisa, mais elle m’avait dit qu’elle n’avait plus entendu parler de toi depuis un moment…
— On sort ensemble une fois de temps en temps, mais récemment, c’est devenu quelque peu compliqué pour moi…
J’aurais peut-être dû le formuler différemment, parce qu’il se focalisa aussitôt sur ma dernière remarque comme le digne père surprotecteur qu’il était avec Elisa.
— J’espère que tout va bien ? Tu sais que tu n’as qu’à m’appeler si tu as le moindre problème. J’espère que…
— Kazuto, tempérai-je aussitôt. Ça va. Je vais bien.
Il laissa passer un temps mort, évaluant le sérieux dans ma voix pour essayer de deviner si je lui mentais, puis il finit par céder.
— Très bien. Alors qu’est-ce qui t’est arrivé, récemment ? Elisa commençait à s’inquiéter, elle aussi.
Je préférai ne pas regarder le nombre de messages vocaux qu’elle m’avait certainement laissés. J’avais désactivé depuis longtemps les notifications de ma boîte vocale, qui devait crouler sous les enregistrements, mais je pouvais très bien imaginer l’avalanche. Il vaudrait mieux que je l’appelle directement, voire même que j’aille prendre un café avec elle, dans la mesure du possible.
Elisa devait être l’une des rares personnes, si ce n’est quasiment la seule, avec qui je gardais un contact régulier. Probablement parce que nous nous étions connues si jeunes et si isolées dans nos vies respectives, nous avions noué une amitié solide, au-delà du contract de protection que j’avais accepté. L’année passée encore, nous nous retrouvions en moyenne tous les trois à quatre mois pour sortir en boîte, aller faire du shopping dans le premier grand centre de luxe venu. Souvent, Elisa insistait pour payer la totalité de mes achats. Elle n’avait jamais oublié la « dette » qu’elle avait contractée à mon égard quand je lui avais sauvé la peau, même si je n’avais fait que mon travail. C’était aussi la raison pour laquelle je ne contactais pas jamais son père. Pour eux deux, cette dette était inscrite en lettres de sang dans leur âme et conscience, et Loki savait que les Japonais avaient un terrible sens de l’honneur.
— Disons que j’ai dû… disparaître… pendant une certaine période… éludai-je, réfléchissant plutôt au passé qu’au moyen d’amener la conversation là où je voulais.
— Ah. Et ça va mieux, je suppose ?
— Partiellement. Mais je voulais te demander une faveur, Kazuto…
— Tout ce que tu voudras. Je n’ai pas oublié ce que je te dois.
Intérieurement, la réponse me crispa, mais je laissai couler. En théorie, j’avais une dizaine de débiteurs du même genre, qui n’attendaient – ou ne craignaient – qu’un appel de ma part pour m’offrir tout ce qu’ils pouvaient m’offrir. En quinze années de service à la Confrérie, je m’étais fait autant d’alliés que d’ennemis dans ce genre de milieu. Mais je faisais rarement – si ce n’était jamais – appel à eux, en vérité. Aujourd’hui était un jour à marquer d’une pierre blanche.
Je lui expliquai la situation en quelques mots, concise mais suffisamment claire quant à ce que je demandais, et Kazuto me promit de me rappeler dès que possible avec une proposition. Il ne demanda même pas pourquoi je cherchais ça, pourquoi pour deux personnes, quel tarif, quel milieu… Il me répondit simplement qu’il chercherait le meilleur et qu’il reviendrait avec au moins une option, si ce n’était plusieurs. Et il ne le dit pas, mais je devinai qu’il avait déjà décidé de tout payer lui-même.
— Alors ? demanda Kalyan quand je raccrochai, songeuse.
— Alors on attend. Va dormir, je prends le premier quart.
Je souris en voyant qu’il ne protestait pas. Les semaines ensemble depuis Jötunnheim nous avaient habitués à nous reposer l’un sur l’autre. Je commençais à bien connaître ses limites, et lui les miennes. J’étais toujours plus endurante que lui sur ce genre de moments de garde. J’avais besoin de moins de sommeil, je tenais plus longtemps sans dormir. Cependant, je sentais que j’étais rouillée par rapport à mes anciennes habitudes. Je perdais la solitude qui avait fait toute mon éducation, la certitude que je ne pouvais me reposer que sur moi-même.
Je n’étais pas certaine encore que ce soit une bonne ou une mauvaise chose, mais en tout cas, j’étais sûre que c’était en train de m’arriver.
Un léger sourire aux lèvres, je songeai à Ekrest, qui m’aurait certainement fustigée à ce sujet. Il m’en ferait peut-être la remarque quand je le retrouverais. Tu te laisses aller.
Avec le souvenir de son ton légèrement cinglant, chargé d’une accusation qu’il attendait que je démente, je m’installai dans le fauteuil, croisai les bras, et me mis au repos. Alerte, consciente, mais économisant mon énergie.

| † | † |


L’appel vint en milieu d’après-midi, alors que nous étions dans le lounge de l’hôtel. Kalyan avait pris un double expresso car ses paupières se fermaient encore lourdement malgré la sieste qu’il avait faite, et moi, j’avais commandé un thé après avoir dormi trois heures. Sur trente-six heures, j’en avais veillé une bonne trentaine, et je devais avouer que la première fatigue commençait à se faire ressentir.
— Allô ? relevai-je en mettant mes écouteurs pour éviter les oreilles indiscrètes.
— ALICE ! QU’EST-CE QUE TU DEVIENS ?!
— Ehhh… doucement, soupirai-je. Ça va bien, et toi ?
— Je ne t’avais plus entendue depuis… un an ! Un an, Alice !
— Désolée… marmottai-je piteusement. C’était compliqué.
La colère, aussi éphémère qu’un courant d’air, retomba d’un seul coup lorsque je dis cela.
— Merde… Mais ça va ?
— Oui.
— Hein ?
— Oui, Elisa, ça va… vraiment, je t’assure.
— Mmhm. Je ne te crois pas. Parce que tu n’aurais jamais demandé de l’aide, sinon.
— Touché… grommelai-je.
— Coulé, sourit-elle, la voix malgré tout inquiète. Bon. Dis-moi, mon père m’a appelée – pas cool d’ailleurs, t’aurais pu me demander d’abord…
Je vérifiai d’un regard que le lounge était vide, au moins dans les quelques mètres autour de moi, fis un signe de tête approbateur à Kalyan, qui haussa un sourcil.
— Eh, tu vois à quel point c’est déjà laborieux de demander l’aide…
— Un point pour toi, mais arrête de m’interrompre.
Je soupirai, exaspérée et amusée en même temps. Je l’avais connue jeune adolescente timide, cachée derrière ses traditions, enfermée dans le carcan d’attentes draconiennes qui pesaient sur ses épaules. Mais la vie l’avait progressivement fait évoluer. Peut-être était-ce le fait d’avoir une tueuse en guise d'amie et protectrice qui l’avait aidée à se dégager, mais en tout cas, elle était en roue libre depuis quelques années. Je n’avais pas pour autant l’impression qu’elle ait renié sa famille et son avenir tout tracé, mais elle s’en armait désormais comme d’une épée, mêlant sa propre personnalité au brillant de son futur prometteur.
— Je t’écoute.
— Bon. J’ai trois propriétés, un peu éloignées de la Turquie, mais on pourra toujours t’affréter un jet si nécessaire.
— Ce n’est pas la peine, je pense.
— Ehhh, à toi de te taire et de m’écouter j’ai dit.
Était-ce de moi qu’elle tenait ce caractère de chien ? Si c’était le cas, il faudrait que je présente mes plus plates excuses à son père.
— Singapour, reprit-elle lorsque je laissai le silence lui indiquer que j’attendais qu’elle parle. Abu Dhabi. Et New York.
— Tu n’as rien de plus… excentré ? soupirai-je.
— Je travaille dans l’immobilier de luxe, moi madame ! On ne vend pas des cases créoles en bord de plage – quoi que les Ancêtres savent qu’il y a un grand marché pour ça.
Je me fendis d’un bref sourire.
— Ok. Pas excentré donc.
— En plus, si tu n’as pas tes ressources habituelles, ça ne te fera pas de mal d’être en ville.
Par ressources habituelles, elle entendait mon incompréhensible capacité – pour elle en tout cas – à apparaître d’une semaine à l’autre sur des continents différents. Une fois, lorsqu’elle avait particulièrement insisté, je lui avais donné pour défi de me traquer. Utilisant la même identité pendant deux semaines, même si cela signifiait la compromettre définitivement aux yeux des autres Maisons, j’avais réservé et payé sous le même nom pour cinq missions différentes. Valentina Parello était apparue dans les registres de six hôtels, sa carte bancaire avait émis dans une vingtaine de restaurants et fait des retraits dans sept distributeurs de billets, dans sept monnaies différentes.
À ce jour, j’étais certaine que le détective privé qu’Elisa avait embauché pour me traquer ne comprenait toujours pas comment, sans jamais réserver un seul moyen de transport, j’étais passée de l’Australie au Canada puis au Japon en six jours, et de la France au Brésil en moins de six heures.
Depuis, évidemment, Valentina Parello était tombée aux oubliettes. J’avais fait une réservation supplémentaire à son nom aux États-Unis quelques mois plus tard, piégé un informateur humain qui essayait de me mener en bateau, et j’avais observé de loin le carnage absolu du raid de la chambre d’hôtel. Les Odin s’étaient occupés de le réduire au silence à ma place, et ils n’avaient pas attendu qu’il parle pour lui coller une balle en plein front, certains que c’était moi métamorphosée.
Dans tous les cas, il était vrai que je n’avais plus tellement les moyens d’utiliser les portails de téléportation de la Confrérie pour bouger aussi rapidement. Le jet et le centre-ville n’étaient donc pas une option stupide à envisager.
— Très bien, cédai-je de bonne grâce. Tu peux me donner les caractéristiques ?
Elisa émit un couinement de joie, et débita à toute allure :
— Ce sont tous des lofts avec accès sur le toit. On est dans un style moderne, des immeubles d’une petite soixantaine d’étages en moyenne. Singapour c’est cent trente mètres carrés, une magnifique baie vitrée dans le salon, une terrasse privée évidemment.
Loki tout puissant, cent trente mètres carrés à Singapour, au dernier étage d’une tour. Je n’osais pas imaginer le prix de vente de l’appartement. Au moins, les possibilités de fuite étaient assurées avec le toit… pour moi au moins. Kal en revanche devrait sérieusement envisager d’apprendre à voler.
— Abu Dhabi c’est plus ou moins pareil, cent soixante-quinze mètres carrés, je ne sais pas à quel point ça te…
— Non. Trop.
Trop d’espaces à surveiller, trop de cachettes potentielles pour des assassins. Connaissant Elisa, elle ne me proposerait pas moins de cent mètres carrés, mais je pouvais faire avec, surtout si on était deux avec Kalyan. Plus… ça devenait compliqué.
— Ok. New York, cent quarante mètres carrés, pas de terrasse mais accès au toit, comme je te le disais, et un ascenseur semi-privatif réservé aux trois derniers étages.
— Intéressant… marmottai-je, songeuse. Tu as des photos ?
Je n’aimais pas particulièrement New York, et en plus, le territoire des États-Unis était bardé de bases de la Maison de Thor et d’Odin. Singapour était un peu plus neutre, c’était essentiellement dominé par les Týr et les Frigg, donc on pouvait s’en sortir. Mais je devais admettre que j’étais curieuse de voir les lieux.
Je cherchai ma messagerie lorsque mon téléphone vibra une bonne dizaine de fois d’affilée, et fis défiler les photos qu’Elisa venait de m’envoyer. Les deux étaient beaux, mais je devais admettre que celui de Singapour avait, en plus de ses avantages stratégiques, un design plus moderne que j’appréciais tout particulièrement. On n’en était pas au style futuriste dvergar, comme j’avais pu le voir à Stronstall, et on évitait les meubles qui semblaient se fondre dans le décor. Il était spacieux, sobrement mais élégamment meublé, dans des tons de boiseries claires et d’accents anthracite.
— Singapour ce sera, décidai-je.
Kalyan haussa les sourcils encore plus haut dans un simulacre de course à qui attendrait le premier la racine de ses cheveux, et je lui adressai un simple pouce en l’air. Il secoua la tête, blasé, et je souris.
— Trop bieeeen ! On va pouvoir aller prendre un café et sortir plus souvent ! Je viendrai squatter chez toi !
— Tu y es en ce moment ? relevai-je.
— Ouais, j’ai déménagé en mars.
Je fis un calcul rapide, essayai de me rappeler où j’en étais dans ma vie en mars dernier, puis soupirai. J’en étais encore à ma simple vie d’Élite de la Confrérie sans histoires. La belle époque. Enfin, avec le recul, c’était surtout l’époque de l’ignorance, et je ne savais pas ce qui était pire entre ma situation d’avant et celle d’aujourd’hui.
— Sympa. Et tu fais quoi, toujours la gestion de l’agence de ton père ?
— J’en ai repris trois sur six, annonça-t-elle fièrement.
— En voilà une qui grimpe les échelons ! Félicitations !
— Merci, merci.
Elle affectait un ton quelque peu hautain et moqueur, mais je voyais d’ici le large sourire sur ses lèvres.
— Bon, pour le transport, je peux te récupérer directement à l’aéroport d’Istanbul, ça t’irait ?
— Impeccable, répondis-je immédiatement pour m’empêcher de dire qu’on saurait se débrouiller.
C’était difficile d’accepter de l’aide en sachant qu’il n’y aurait pas de paiement en retour ; j’avais l’impression de me sentir endettée. Remarque, c’était difficile d’accepter de l’aide tout court.
— T’es malade ? releva Elisa avec un rire.
— Ouais je crois.
— Ok, tu me raconteras ça. Bon j’envoie le jet vous chercher, je te donne les heures d’arrivée dès que possible. Et je t’attendrai directement à l’aéroport !
— Merci Elisa, soufflai-je. Sincèrement.
Elle balaya les remerciements d’un simple rire.
— T’occupe. À toute, je file m’occuper de la paperasse.
Et elle raccrocha. Je me laissai retomber dans mon fauteuil, retirai mes écouteurs avec l’impression d’avoir essayé de me battre contre une tornade. Elisa était le genre d’énergie canalisée mais inépuisable. Elle pouvait parler pour dix, et agir en même temps. Elle était un véritable typhon, et je l’adorais autant qu’elle m’éreintait.
— Singapour ? releva Kal, perplexe.
— Singapour, oui.
— T’avais pas moins… Je sais pas, chaotique ? Pas une mégapole ?
— Écoute, soupirai-je, moi je prends les options qu’on me propose. Et on est assez gentil pour me l’offrir. Donc non, j’avais pas vraiment moins chaotique.
— Carrément.
— Et on bouge pour Istanbul du coup.
— Mmhm. Ça va être long.
— Ça le serait moins si tu pouvais voler, narguai-je avec un rictus.
— Eh !
Il m’envoya en riant une volée d’étincelles au visage, et je les détournai d’un geste vers la plante la plus proche, qui frémit sous la décharge électrique.
— Tu as vu ce que tu me fais faire ?
— Terrible… soupira-t-il. Pauvre plante. Bon, je suppose qu’il va falloir qu’on se mette en route.
— Bien deviné.
Je ramassai mes affaires, rangeai mon téléphone dans l’inventaire d’où il venait, et réfléchis un instant.
— À mon tour de faire le taxi, finis-je par décider. On y va ?
Il y avait des choses que je ne faisais pas souvent, notamment parce qu’elles n’étaient pas stratégiques, et celle-ci en était une. Mais je voulais m’éloigner au plus vite d’ici, de ces gens qui nous traquaient certainement déjà, de cette région infestée d’enfants d’Heimdall qui me hérissaient le poil malgré toute la gentillesse relative dont leur père avait fait preuve envers moi. Ou peut-être étais-je parano et ce serait ma précipitation qui les mettrait sur notre piste ?
Kal ramassa à son tour ses effets personnels, mit son sac sur son dos, et me suivit en direction de la sortie. Au passage, je saluai le gérant de l’hôtel, déposant la clef de la chambre sur son comptoir, et pris une direction aléatoire dans la rue. Je marchai quelques minutes, repérant les caméras sur les feux de circulation, celles qui filmaient l’extérieur des commerces, et finis par tomber sur le parking d’un immeuble clairement abandonné. La grille avait été enfoncée, et je devinais que les squatteurs devaient avoir envahi les étages. Je me faufilai à l’intérieur me mis à l’abri d’un mur pour tendre la main, vérifiai qu’il n’y avait personne autour de nous. Kalyan était planté à côté de moi, devinant certainement déjà ce que je préparais.
Au prix d’un bref mais intense effort de volonté, une moto se matérialisa devant ma main, jaillissant de mon inventaire magique. Deux casques et deux ensembles complets suivirent, j’en tendis un à Kalyan.
— Bon, j’espère que ce sera à ta taille.
— C’est des plaques… roumaines ?
— Raison pour laquelle je ne l’ai pas proposé avant. Je n’aime pas l’idée de rouler ici avec mes plaques actuelles et soulever des questions, et surtout pas se faire arrêter. Mais j’ai envie de dégager d’ici.
Il hocha la tête, songeur, puis se fendit d’un sourire.
— Je peux conduire ?
Je ricanai.
— Cours toujours.
L’air dépité, il fit mine de vouloir ronchonner, puis s’attela à s’équiper, et j’en fis de même. Je passai le pantalon épais par-dessus mon short, enfilai la veste, observai un instant Kalyan qui essayait de se dépêtrer de son sweat, avant d’abandonner et de le faire disparaître d’un geste. Une fois convenablement vêtus – malgré la chaleur écrasante – je me hissai en selle en premier, démarrai, laissai Kalyan s’installer derrière moi. Il gigota quelques instants, cherchant une position confortable, hésita à s’agripper aux poignées arrière avant de finalement décider de passer ses bras autour de moi, et je souris en sentant le contact familier de ses mains contre mon ventre.
— Prêt ?
— Yes !
Je pris un peu de vitesse, fis un bref tour du parking pour tester ma stabilité avec un passager – exercice que je n’avais pas fait depuis une éternité – puis déboulai sur la rue.
Évidemment, je faillis me faire percuter par un chauffard à peine trois rues plus loin, et évidemment il m’insulta en braquant pour m’esquiver. Le cœur battant, j’accélérai pour m’en éloigner au plus vite, slalomai entre quelques voitures, suivis les panneaux et finis par débouler sur l’autoroute rapidement. Nous en avions pour un peu moins de trois cents kilomètres, soit trois bonnes heures de route, mais j’allais légèrement dépasser les limitations. Louvoyant entre les véhicules qui circulaient tout aussi vite que moi, si ce n’était parfois plus, je finis par m’installer à une vitesse de croisière raisonnable, et les kilomètres défilèrent.
Durant le trajet, j’esquivai scrupuleusement les quelques voitures de police qui étaient sur l’autoroute elles aussi, n’hésitant pas à me rabattre et à ralentir pour disparaître de leur rétroviseur avant les dépasser dans une autre voie quelques minutes plus tard. Je savais que mes plaques étaient trop reconnaissables, et même si j’étais certaine de pouvoir inventer une stupide histoire de road-trip en lune de miel, je n’avais pas envie de perdre du temps. Aussi, je fus prudente.
Et finalement, ce fut plus que rentable, parce qu’en deux heures et demie, nous finissions de traverser les embouteillages et arrivions aux alentours de l’aéroport d’Istanbul. Comme au départ, je m’isolai dans un coin dépourvu de caméras pour remballer le matériel et la moto elle-même, les faisant disparaître comme s’ils n’avaient jamais existé, comme Kal avec son suspenseur. Puis, nous prîmes un taxi hélé au milieu de la rue, qui nous déposa directement à l’entrée, et je rappelai Elisa.
— Sept bonnes heures, me confirma-t-elle. Ils ont décollé il y a peu, je suis désolée.
— C’est pas grave ma belle, juste que je sache ce qui se passe. Tiens-moi au courant, ou donne mon numéro au pilote pour qu’il m’appelle.
Elle approuva, nous raccrochâmes, et je pris la main tendue de Kalyan qui voulait m’entraîner en direction d’un restaurant. Nous n’avions pas mangé depuis le départ ce matin, et je commençais à sentir mon estomac protester malgré le régime strict auquel il avait l’habitude d’être astreint par moments.
Un café et un sandwich plus tard, Kal et moi allions déjà bien mieux. Une bulle de silence confortable nous enveloppa, nous isolant presque entièrement du brouhaha ambiant qui se poursuivait dans l’aéroport.

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Le pilote était venu nous chercher lui-même pour nous faire traverser l’aéroport jusqu’à la zone de décollage de son petit avion. Il n’avait pas bronché lorsqu’il avait constaté que nous n’avions pas d’autre bagage que de petits – mais lourds – sacs à dos, ni lorsque nous avions tous les deux couramment parlé la langue locale aux postes de sécurité. Il nous avait également raccompagnés à notre atterrissage à Singapour, directement jusqu’au point de rendez-vous qu’il avait convenu avec Elisa.
Je la vis de loin, entourée de son escorte qui l’encadrait, pareille a une garde d’honneur, ses cheveux courts pointant en épis désordonnés autour de sa tête, son semblant de tailleur vintage ajusté avec un coup d’aiguille plus qu’approximatif pour imiter une robe haute-couture moderne, le prix de la marque en moins. Je connaissais son couturier — si elle n’en avait pas changé dans les quatorze derniers mois, ce dont je doutais fortement — et je connaissais la finesse de son art. Si la jupe était de travers et le chemisier échancré ainsi, c’était volontaire, même si les raisons esthétiques me dépassaient.
En me voyant, dans l’apparence que j’avais choisie pour qu’elle me reconnaisse, elle piqua un sprint, arrachant une grimace à ses chaperons. Je pouffai, la regardai foncer depuis l’autre bout de l’allée, ses épis flottant au vent, ses talons claquant contre le carrelage de l’aéroport, soulevant une volée de murmures outragés parmi les plus proches voyageurs.
— ALICE !
Je souris, ouvris les bras, et elle s’engouffra dans l’étreinte comme un typhon, me faisant vaciller. J’entendis le rire discret de Kalyan, faillis perdre quelques côtes lorsqu’Elisa serra ses bras fort autour de moi, et finis par réussir à me dégager pacifiquement de ce qui ressemblait quand même beaucoup à une tentative d’étranglement.
— À deux doigts de croire que tu veux aussi me tuer… grommelai-je.
— Désolée ! s’exclama-t-elle avec un sourire qui hurlait le contraire. C’est qui ? Ton copain ? Wahhh, trop bien, t’as réussi à te caser malgré ton boulot de merde ? Tu t’appelles comment ? Tu viens d’où ? J’aime bien tes yeux ! Tu…
Le flot de questions, qui semblait ininterrompu, me fit soupirer bien fort et audiblement. C’était tout juste si elle ne sautillait pas sur place comme une puce. Je finis par me résoudre à la faire taire à la manière forte, soit en la serrant à mon tour dans mes bras jusqu’à ce que, le nez enfoncé dans mon épaule, elle n’arrive plus à parler. Je surpris aussi le regard sévère de son garde du corps, qui ne semblait pas apprécier ce contact rapproché, mais l’ignorai ostensiblement.
— C’est bon, calmée ? finis-je par demander.
— Mouais.
— Ok. Bonjour Elisa, oui ça va, et toi ?
— T’as pas donné de nouvelles pendant UN AN !
— Je t’ai dit que c’était compliqué.
— Il y a d’autres années où ça ne t’en empêchait pas.
— Oui, je sais, mais…
— Tsss, pas de mais.
Elle passa une main dans ses cheveux coupés en épis par un coiffeur certainement payé une somme astronomique pour en faire un nid d’oiseau, prit une profonde inspiration, puis pivota, m’ignorant totalement pour se consacrer à Kalyan.
— Désolée. Enchantée, je m’appelle Elisa Kagari.
— Lucas Ranveille. Et oui je suis le copain d’Alice, répondit Kal dans un japonais impeccable tout en me jetant un regard oblique.
— C’est trop mignoooon ! Bon elle est un peu folle sur les bords, mais je pense que tu es déjà au courant.
Lucas se contenta d’un rire et d’un hochement de tête de circonstance. Ces deux-là ensemble étaient une combinaison dangereuse, songeai-je avec une grimace intérieure. Mais après tout, Kalyan avait une fâcheuse tendance à pouvoir s’entendre avec n’importe qui du moment qu’il pouvait en profiter pour me charrier.
— Il l’est un peu aussi, intervins-je.
Elisa fit mine de m’ignorer en poursuivant à l’intention de Kalyan :
— Faut pas trop faire attention à elle. Tu viens d’où ? Vous vous êtes rencontrés comment ?
L’un des gardes du corps, un jeune japonais au regard sombre, précautionneux mais malgré tout poli, m’offrit sobrement de me prendre mon petit sac à dos, et je le lui confiai. Kalyan en fit rapidement de même, se débarrassant sans honte du poids qui l’encombrait et, sans perdre le nord, enchaîna sur les questions de mon amie :
— Je suis manager dans une petite entreprise française, et on s’est rencontrés il y a quelques semaines maintenant.
Elle lui flasha un sourire lumineux, empli d’une bonne humeur contagieuse, et répondit du tac au tac :
— Tous des menteurs, décidément.
J’éclatai sincèrement de rire en voyant Kalyan pris de court, posai ma main sur l’épaule de la jeune femme, suscitant quelques échanges de regards méfiants parmi l’escorte.
— Ne t’en fais pas, c’est juste une mauvaise habitude qu’on a tous acquise au fil des années. Un jour, ajoutai-je en chuchotant à son oreille comme une cachottière, je te dirai même mon vrai nom, promis.
Elle rit, me donna un gentil coup de hanche pour m’envoyer balader, puis se raccrocha à mon bras pour me traîner hors du hall.
— En vrai tu m’as manqué, admit-elle avec une grimace.
— Toi aussi.
— Heureusement que je le dis en premier alors, parce que tu n’avais pas l’air de vouloir l’avouer !
Kal pouffa en arrière plan.
— Elle, admettre des sentiments ? C’est déjà phénoménal.
Je lui tirai la langue, arrachant un nouveau rire à Elisa, et nous nous engageâmes tous les trois vers l’ascenseur, solidement encadrés par l’escorte. Il faudrait que je touche un mot ou deux à Kazuto au sujet de ses recrutements d’ailleurs, parce que l’un d’entre eux semblait clairement trop peu expérimenté pour protéger la jeune femme. Il se tenait en retrait, effacé, manquant de vigilance, et j’étais plus ou moins certaine qu’il n’avait pas vérifié une seule fois derrière lui s’il était menacé.
Protéger Elisa n’était plus mon boulot depuis longtemps, mais je ne pouvais pas m’en empêcher à chaque fois que je la voyais. C’était l’une de mes rares attaches émotionnelles dans le monde humain, un contact distant mais tangible, que jamais la distance ou le temps n’avaient réussi à déchirer.
— Du coup vous allez emménager ensemble ? lança-t-elle en s’asseyant dans le van qu’elle avait fait amener pour nous. J’ai pas encore fait les papiers donc je peux toujours…
— À ce sujet, Elisa, l’interrompis-je, il a faudrait qu’on aborde la question administrative. Il y a deux ou trois choses que j’aurais besoin que tu fasses pour moi.
Elle consentit à me jeter un regard en coin puis, en voyant mon expression sérieuse, hocha la tête.
— Vas-y, je t’écoute.
J’attendis que la porte du véhicule se soit refermée, pris une longue inspiration, récapitulant en silence, et entamai :
— Déjà, il faudra que l’appart ne soit pas à mon nom.
— Mais tu pourrais…
— Ni à aucune de mes fausses identités.
Kalyan haussa un sourcil très haut, certainement surpris de m’entendre en parler aussi ouvertement.
— Mes problèmes ne sont pas terminés, et les gens aiment bien me poursuivre même quand je change de nom et de région de vie. Idem pour… Lucas.
Ma mince hésitation trahit certainement le fait que le nom d’emprunt de Kal était un faux, mais mon amie ne sembla pas s’en offusquer outre mesure, passé le premier froncement de nez.
— Oh. Euh…. D’accord. Je peux… faire en sorte de le mettre à mon nom, alors ?
J’approuvai d’un hochement de tête.
— Ensuite, si jamais un jour on venait te parler de moi, de cet appart… il faudra que tu fasses très attention. N’essaie pas de me recontacter. Je ne serai plus là, et je disparaîtrai probablement pendant un bout de temps, comme je l’avais fait là.
Ou alors je serais morte, mais ça, je n’allais pas le lui annoncer comme ça. Elle avait beau savoir certaines choses à mon sujet, il y en avait d’autres que je ne pouvais pas lui révéler. Même si elle se doutait de beaucoup.

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Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons

Message par vampiredelivres »

Oy !
Je suis contente de pouvoir arriver enfin à ce dernier chapitre de la partie 1 de LCDS 3 !
Au moment où je le poste, j'ai un regain d'inspi depuis quelques jours et j'arrive à écrire. Donc je suis en train de rusher les derniers chapitres de ce tome (en espérant ne pas jinx mon inspiration en disant qu'elle est là pour une fois).
Bonne lecture !


CHAPITRE 13


À l’expression sérieuse d’Elisa, je compris qu’elle avait malgré tout cerné les enjeux de ma situation. Je lui adressai un sourire rassurant, pris sa main, souris en sentant ses doigts froids. Elle avait toujours les mains froides. Et moi aussi, maintenant que je n’ai plus de pyromagie.
— Si je disparais et qu’on vient te poser des questions, c’est moi qui te recontacterai, mais je ne peux pas te promettre dans combien de temps.
— Ok. D’autres choses ?
Je songeai à tout ce que j’avais envisagé durant le long trajet tout en la détaillant. Elisa avait le même âge que moi, et tout autant de responsabilités, même si elles n’étaient pas du même domaine. Elle portait des lunettes sans verres, uniquement pour le style, qui avec ses mèches éparses adoucissaient la longueur de son visage. Elle était petite, mais ses talons de huit centimètres l’amenaient à ma hauteur lorsqu’elle n’était pas assise.
— Je suppose qu’il y a des systèmes d’alarme ?
— Dernier cri, évidemment, opina-t-elle.
— Tu pourrais me fournir du staff pour surveiller l’appartement si nous ne sommes pas là ? Deux ou trois personnes, juste de quoi occuper les lieux pour prétendre qu’ils sont habités, et vérifier les angles morts.
La formulation la fit pouffer, mais lorsqu’elle hocha la tête, son regard noir était sérieux.
— C’est grave ? osa-t-elle d’une voix mesurée, comme si elle posait une question interdite.
C’était bien une question interdite dans le sens où elle n’avait jamais questionné les ramifications de mon travail. Elle m’avait interrogée et pistée sur mon identité, mais jamais elle n’avait cherché à savoir exactement ce que je faisais, et ce que ça impliquait. Et je doutais que son père lui en ait parlé.
— Plus que ce que j’ai vécu jusqu’à maintenant.
— Plus que Barcelone ?
— Oui.
— Mon père pourrait te…
— Elisa, tranchai-je sèchement.
Elle s’interrompit, ses yeux noirs parfaitement humains, dénués du moindre éclat de magie, rivés sur moi.
— Ça ne sert à rien d’impliquer ton père là-dedans. D’une part parce qu’il risquerait bien plus qu’il ne le pense, malgré tout ce qu’il croit savoir. D’autre part parce que ça ne me protègerait pas. Les gens qui me cherchent ont d’autres moyens pour me retrouver.
— C’est pour ça que tu t’es volatilisée ? releva-t-elle.
— J’ai presque littéralement disparu de la surface de la terre.
Presque était en fait un euphémisme. Je m’étais littéralement évaporée de Midgard, enfuie par le Bifröst. Et j’avais disparu de la surface au sens propre du terme, temporairement, dans les cavernes de Stronstall.
— D’accord… souffla Elisa, légèrement sonnée.
Elle me fixa encore un moment, le regard dans le vague, puis ses yeux dérivèrent sur Kalyan, et je souris en la voyant se focaliser pleinement sur lui.
— Elle a un don pour s’attirer des ennuis, alors protège-la, tu veux ?
C’était moins une question qu’un ordre déguisé, et il n’en prit pas ombrage. Bien au contraire, il sourit à son tour et répondit franchement :
— Je sais. J’essaie. Mais elle fait son possible pour me mettre des bâtons dans les roues.
Elisa se fendit d’un rire légèrement nerveux alors que nous passions sous la barrière levée du souterrain privé d’un immense building.
— Vous avez trois places attribuées dans le bâtiment, expliqua-t-elle tandis que son chauffeur s’engageait avec une conduite fluide dans les rampes inclinées.
Je songeai à ma moto, à frauder une immatriculation singapourienne avec une petite illusion. C’était jouable. Puis, je me focalisai sur le parking qui défilait, notai les emplacements et les angles des caméras, le chemin que nous prenions. Bientôt, nous sortions juste devant une grande porte et entrions dans l’ascenseur.
— Dernier étage, précisa inutilement Elisa.
Cela avait été l’un de mes critères, qu’il n’y ait rien d’autre que le toit au-dessus de nous. Pas d’endroit où des pisteurs ennemis pourraient se planquer le temps de se préparer à nous envahir. L’avertissement de Levi au sujet de son amie décédée trois semaines après avoir quitté la Confrérie était encore frais dans mon esprit.
— Le toit est accessible ?
Elle ricana.
— Tu sais que je me rappelle encore la visite que tu as fait de l’internat et les questions que tu as posées à l’époque ! J’avais l’impression d’halluciner, mais elles m’ont tellement marquées que je les ai retenues pour la plupart. Oui le toit est accessible, mais peu de gens sont au courant. Et les clés qui débloquent le bouton d’ascenseur ne sont détenues que par le staff de la tour.
J’en subtiliserai donc une pour en faire une copie, par principe de sécurité. En écho à mes réflexions, l’ascenseur s’ouvrit avec un tintement retentissant, et je me faufilai hors de la cabine avant même que les gardes d’Elisa n’aient esquissé un geste. Ils étaient lents. Trop lents. Et Elisa devait avoir perdu l’habitude de la vivacité, ou alors elle l’avait attribuée à des souvenirs d’enfance enjolivés par la nostalgie. Dans tous les cas, un coup de fil à Kazuto s’imposait.
Pendant que j’inspectais le pallier, Elisa trifouillait dans son petit sac à dos pour retrouver les clés de l’appartement, totalement inconsciente de mes analyses silencieuses.
— J’ai pris la liberté de meubler en amont étant donné ce que tu m’as dit, expliqua-t-elle en poussant la porte, mais si quelque chose ne vous plaît pas, n’hésitez pas à me le dire.
Elle nous précéda le long de l’entrée, décorée déjà d’un large meuble à chaussures qui se voulait un croisement entre le vintage et le moderne. Je retirai mes chaussures – habitude gardée après une année passée aux côtés d’Elisa – et elle s’effaça pour me laisser passer et découvrir le reste du lieu par moi-même. Trois mètres plus loin, je tournai sur moi-même, impressionnée par la hauteur de plafond qui donnait une incroyable sensation d’espace. Le couloir d’entrée s’ouvrait sur un large salon avec d’immenses baies vitrées qui donnaient sur la ville, et une cuisine séparée du séjour par un large plan de travail. Tout était déjà meublé, comme elle l’avait annoncé, dans un style sobre mais efficace et des tons chauds et accueillants. La cuisine se déclinait en nuances de blanc, de bois et d’anthracite, le salon continuait dans la même veine avec quelques tons ocre et rouge. Deux immenses canapés courbes d’un beige pâle, garnis de coussins et d’un plaid, faisaient face à la télévision incrustée dans le mur. Sur le côté de la baie vitrée, une chaise longue avait été tournée en direction de la ville.
Le parquet à l’anglaise semblait avoir été ciré la veille, il n’émettait pas un craquement sous mes pas, les carreaux au sol et sur les murs étincelaient, et il n’y avait pas une poussière sur le comptoir de bois verni.
— C’est… immense… commentai-je avec un haussement de sourcils.
— Ah ? releva-t-elle.
— Notre chambre de dortoir rentre dans la cuisine, lui rappelai-je avec un mince sourire. Et elle était grande pourtant.
Elle esquissa une grimace gênée, puis acquiesça en admettant :
— C’est vrai, j’ai un peu perdu la notion des espaces depuis que j’ai commencé à travailler avec papa.
Je fixai les coussins ocre du gigantesque canapé, dans lequel je pouvais m’allonger entièrement sans en remplir les deux tiers, et fus violemment tentée de m’y jeter de plein fouet, mais je m’en retiens. Au lieu de cela, je haussai un sourcil en direction d’Elisa et demandai :
— Combien de chambres ?
— Trois, répondit-elle, avec chacune une salle de bains attenante.
Plus qu’un appartement, c’était en fait un ensemble d’appartements dont on aurait défoncé les murs qui les séparaient à coups de marteau.
— Hmmm. D’autres pièces ?
— Une buanderie, un dressing dans la master bedroom, et une sorte de… cagibi, je suppose ?
Elle avait hésité un bref instant sur le terme anglais, et j’acquiesçai.
— Ça te plaît ? demanda-t-elle après un long moment de silence, une appréhension évidente dans la voix.
L’espace d’un instant, j’envisageai de la faire marcher, de me moquer d’elle un peu, comme au bon vieux temps. Puis, je me ravisai, et je lui offris un sourire sincère et reconnaissant, et lui pris les mains pour les serrer doucement.
— Merci beaucoup Elisa. Franchement, tu me sauves la vie, tu ne sais pas à quel point.
Son propre sourire timide s’élargit, elle resserra ses doigts autour des miens, et m’offrit une de ses répliques les plus classiques :
— Je sais que je prends de la place, donc je vais vous laisser vous installer et découvrir les lieux par vous-mêmes. Si tu as le moindre problème, tu m’appelles. Mais par contre, tu me dois une dizaine de soirées, tu te débrouilleras pour les rattraper maintenant que tu habites à côté de chez moi.
— Une dizaine ?! m’offusquai-je, faussement outrée.
Je vis son large sourire et je ris avant même qu’elle n’ait le temps de me répondre.
— C’est les intérêts pour ton année de silence et cet appart.
— Mouais. C’est pas cher payé, ok.
Elle m’offrit un dernier câlin accompagné d’un sourire, et je me pris à apprécier le contact affectueux, purement amical, purement nostalgique. On ne se voyait pas souvent… mais je ne pouvais pas me permettre de l’impliquer dans ma vie davantage si je voulais qu’elle me survive. L’appartement était déjà un risque énorme pour elle, et certes, j’avais davantage de souplesse maintenant que je pouvais changer de trace magique, mais c’était malgré tout bien plus que je n’aurais dû en principe lui demander.
Elle sembla percevoir ma soudaine émotion, car elle se serra davantage contre moi, et je l’étreignis plus fort. Puis, elle sourit, fit une bise à la française à Kalyan, et fit un signe à sa sécurité pour y aller. Je pressentais déjà que la discussion entre les agents et Kazuto Kagari allait être tendue ce soir, le temps qu’il leur explique que oui, c’était normal que sa fille héberge quelqu’un qui ressemblait beaucoup à une fugitive internationale avec une fausse identité. Cependant, je connaissais la mentalité des employés de l’homme d’affaires : une fois qu’il leur expliquerait posément qu’ils n’avaient pas à poser de questions, ils l’accepteraient. Et je savais qu’ils faisaient bien de présenter leurs doutes à leur supérieur, parce que c’était ce qui le sauverait si un jour la situation m’échappait.
La porte se referma doucement, et j’allai me percher à la fenêtre pour regarder la voiture s’éloigner en bas de la rue quelques minutes plus tard, le temps qu’ils prennent l’ascenseur pour descendre la soixantaine d’étages. En sortant, la jeune femme leva la tête dans ma direction et, même si j’étais certaine qu’elle ne me voyait pas, je posai malgré tout ma main sur la vitre pour la saluer. Soudain, je ressentais davantage la rencontre comme un coup de poing dans la poitrine que comme un pincement nostagique.
J’allai lentement m’asseoir sur le canapé, pensive, songeant à nos rencontres successives au fil des ans, à nos frasques, à notre amitié. Car c’était de l’amitié, même si l’échelle était difficile à percevoir. J’avais passé tant de temps à ses côtés à un si jeune âge que je m’étais rapidement attachée, et notre lien ne s’était finalement jamais délité.
Mon téléphone vibra quelques secondes plus tard avec un nouveau message, que je lus d’un coup d’œil, et qui m’arracha un sourire. Et comme je sais que Milady a l’âme vagabonde, tu n’hésites pas à me dire si tu as besoin du jet à un moment ou à un autre. Des bisous ma belle ! Je pouffai doucement, lui répondis en quelques clics pour la remercier et la charrier gentiment sur le fait qu’elle était trop casanière, puis je reposai le téléphone sur l’accoudoir et fixai mon regard dans le lointain de la skyline singapourienne.
— Du coup, si ce n’est pas indiscret… hésita Kal en s’affalant à mes côtés. C’est quoi votre histoire, Elisa et toi ?
Je m’enfonçai dans les coussins, m’installai contre l’accoudoir, les souvenirs au bord des lèvres. Mine de rien, elle m’avait manqué, cette petite tornade d’énergie et de joie de vivre.
— C’est une histoire assez courte, finalement, souris-je. On s’est rencontrées pour une mission. J’ai été sa garde du corps pendant près de huit mois.
— C’est long… vous aviez quel âge ?
— Une douzaine d’années.
En voyant son expression perplexe, j’ajoutai :
— On était dans un pensionnat huppé, et je faisais office de protection très rapprochée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On savait qu’un rival en voulait à son père, et il nous avait engagés pour ne pas laisser sa fille se faire embarquer dans le conflit.
C’était finalement sa fille qui avait permis d’achever l’histoire – dans un bain de sang très ekrestien – en se faisant kidnapper malgré toutes les précautions prises. Pendant que je la sortais du hangar où elle avait été enfermée, Ekrest remontait à la trace toutes les personnes qui avaient participé de près ou de loin à son enlèvement, et trois jours plus tard, il avait retrouvé le commanditaire.
— Et elle est au courant de… quoi exactement ? Parce que j’ai l’impression qu’elle en savait à la fois très peu et beaucoup trop.
Je soupirai, m’affalai sur le canapé en souriant. Elle en savait effectivement beaucoup, et se doutait de trop. Mais elle n’avait jamais posé la question, et je ne lui avais jamais officiellement expliqué.
— Elle sait que je travaille par contrats et missions ponctuelles, que je change d’identité souvent. Mais elle n’a aucune notion de magie. Pour elle, je suis une sorte de mercenaire formée dès le plus jeune âge, peut-être une Yakuza. On s’est revues régulièrement depuis la première fois où on s’est rencontrées, donc on a quand même plus ou moins grandi ensemble.
Un sourire nostalgique flottait sur mes lèvres, mon esprit avait dévié.
— Et là, réfléchit Kalyan à haute voix, elle t’offre un appart de luxe en plein milieu de Singapour. Je n’ose pas imaginer ce que tu as fait pour elle.
— Je lui ai sauvé la vie, répondis-je avec une pointe de mordant.
Il pouffa, à peine surpris.
— Évidemment. À quoi aurais-je dû m’attendre ?
D’un geste qui n’était pas totalement assuré, il tendit les bras dans ma direction, l’air interrogateur. Je haussai les sourcils, amusée, puis coulissai le long du canapé bien trop grand, et me glissai dans l’étreinte. Il m’embrassa délicatement sur la tempe, et je me laissai aller contre son épaule, cherchant dans ses bras le réconfort et le soulagement d’être arrivée à destination en vie et sans heurts.
— Et tu lui as parlé de Barcelone ? Qu’est-ce qui s’y était passé ?
Je soupirai, rejetai la tête en arrière, le détaillai avec un sourire songeur. Il avait commencé à laisser sa barbe pousser depuis que nous avions amorcé notre retour vers Midgard pour confondre un peu ses traits aux yeux des observateurs non-avertis et des caméras. Et sa barbe avait bien poussé. Le connaissant, il en ferait bientôt des tresses pour la maintenir sous contrôle, rejoignant les traditions viking de ses ancêtres.
— Barcelone c’était… compliqué. Tu te souviens de Levi, qu’on a vu à Stronstall ?
— Comment pourrais-je l’oublier ! pouffa-t-il.
Je ricanai. Effectivement, il a été inoubliable avec le bazar du cambriolage. Heureusement qu’il ne lui est rien arrivé.
Je m’arrêtai un moment sur cette réflexion. Quelques années en arrière, j’aurais été incapable d’avoir une telle pensée à l’égard de Levi. J’avais réellement appris à l’apprécier en moins de quelques jours, juste en ayant l’occasion d’entrevoir ses failles et en découvrant qu’il n’était pas juste un idiot arrogant. C’était… plaisant.
— Une rançon a mal tourné à Barcelone, résumai-je rapidement. Il m’a abandonnée sur place avec un autre Loki blessé et un Svinfylkingar pour adversaire. J’avais quinze ans.
Kalyan toussota, manquant de s’étouffer.
— Pardon ? Et tu lui parles encore ? Toi ?
— J’ai dû apprendre à prendre sur moi, grinçai-je. Le scandale est mal vu au sein de la famille. Et puis…
J’hésitai, me rappelai que je ne lui avais pas encore révélé cette partie-là.
— Tu te rappelles quand je t’ai dit il y a longtemps que j’avais eu des conflits avec un membre haut placé de ma famille ?
— En taule ? Oui. C’était pour ça que tu étais à la tête de la rançon de Cobb alors que ce n’était pas la place d’une Élite.
Celle où ils m’avaient capturée. Kalyan avait une voix atone qui ne trahissait aucun sentiment, mais je savais qu’il était encore loin d’avoir fini de faire la paix avec cette partie de notre histoire.
— Oui. C’était avec Levi, il venait d’être nommé Élu par Loki lui-même. Autant te dire qu’après ça et Barcelone, je… n’ai pas été très tendre avec lui, finis-je par éluder.
Je l’avais amené au bord du coma éthylique, puis drogué et laissé au milieu du Labyrinthe privé de ses pouvoirs. Le souvenir me tira un ricanement moqueur, qui s’éteignit lorsque je songeai à Selvigia, qui avait été là avec moi. Récemment, tous mes souvenirs du Manoir étaient doux-amers avec l’ombre de ma sœur qui les hantait.
— Lily ? m’appela Kalyan.
— Pardon, je pensais à Selvigia.
Je me redressai péniblement, me dirigeai vers la cuisine pour aller me servir un verre d’eau. Soudain, je me sentais vide. Selvigia m’avait abandonnée avec la révélation de sa parenté à Vanessa et des dizaines de réminiscences d’elle au Manoir, mais je ne savait plus discerner la part de vérité dans tout ce qu’elle m’avait dit à son propre sujet durant des années.
Il n’y avait pas que cela cependant. Il y avait aussi les années des mensonges de Kaiser qui avaient commencé à peser sur les souvenirs. Le fait qu’Ekrest ne m’ait jamais avoué m’avoir consacrée à Loki alors que j’étais toute petite. Les trahisons qui s’étaient accumulées, les rancœurs qui persistaient durant des années. J’avais été la première à m’obstiner dans mes vendettas mesquines, presque enfantines, contre Adam et Levi.
Et pourtant, même si le Manoir n’était finalement qu’un lieu de mensonges et de trahisons, il me manquait. Les souvenirs de là-bas étaient empreints de la nostalgie de ma jeunesse, de mes années d’apprentissage, des amitiés que j’y avais nouées. Karen, Elisa, les jumeaux Svaalin, Sam… Tant de personnes que je ne pouvais me résoudre à abandonner dans cette toile de mensonges.
De toute manière, quoi que je choisisse, le choix de Kaiser était fait. Elle me poursuivrait, moi et les Élites, jusqu’à ce que nos âmes soient en route pour Helheim. Elle ne nous laisserait pas le choix.
La seule chose que nous pouvions peut-être encore maîtriser était le lieu et la date de l’affrontement.
Je poussai un grognement grincheux, que Kalyan ne sembla pas savoir comment interpréter.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? interrogea-t-il, perplexe.
— Il m’arrive que, même si j’adore notre actuelle petite bulle de calme, la situation commence à me démanger. Il va falloir que je prenne contact avec ton Avriel.
Il pouffa.
— Qu’on se mette d’accord, « mon » Avriel est surtout « le » Avriel. Le seul, l’unique.
— Ouais, ouais. Une tête de famille comme une autre. C’est pas ça le problème.
Kal m’offrit un long silence ouvert, m’encourageant à poursuivre. Je m’accoudai au plan de travail, retournant la réflexion dans mon esprit encore et encore, mais ne parvins finalement qu’à la même réponse.
— Il faut que je reprenne contact avec Ekrest et les Élites. Donc il faut que je rappelle Elisa.
— Quel rapport ?
— Connaissant mon mentor, il ne sera pas dans ce secteur du monde. Il sera plutôt en Europe actuellement.
Une étincelle de compréhension s’illumina dans le regard azur de mon compagnon.
— On va faire un petit voyage, n’est-ce pas ? On va dire que c’est des… vacances-boulot, suggéra-t-il avec un sourire. Et on en profitera : le Q.G. des Forseti est à Vienne, tu vas pouvoir tout régler en une seule fois.
Je le considérai avec un émerveillement non feint. Depuis que nous étions retrouvés à Mímirsbrunn après le chaos de la fuite, il s’adaptait à ma situation et à mes obligations avec une élégance et un tact phénoménaux. Et depuis, j’essayais désespérément de faire taire la petite voix qui me hurlait que cette patience et ces attentions dévoileraient un jour leur coût.
Troublé par mon silence, Kal fit le tour du plan de travail, s’approcha de moi, passa lentement ses bras autour de mes épaules, et je me laissai aller dans son étreinte.
— Je sais que c’est compliqué, souffla-t-il doucement en jouant avec mes cheveux longs. Et je sais que tu as encore besoin de me cacher des choses. Donc ce qu’on fera, c’est que toi, tu feras tes affaires, et moi, je m’occuperai de te sortir la tête de ta folle entreprise régulièrement. Et, quand la machine sera lancée, je t’obligerai à prendre un peu de temps pour te reposer.
Je tournai la tête pour le fixer, muette, emplie d’une émotion indescriptible. J’avais toujours été la première à définir ma valeur, à prétendre à la gloire et aux honneurs, à exprimer ce que je méritais. Mais dans cette situation, je devais l’admettre : après tout ce qu’il avait déjà subi à cause de moi, je ne méritais pas qu’il soit aussi attentionné et patient.
— Et toi, de quoi est-ce que tu as envie ? finis-je par murmurer, une boule dans la gorge. Parce que tu focalises toute ton attention sur moi, tu m’entoures d’attention, tu me protèges… mais à quel prix ?
Kalyan se fendit d’un rire doux, sincère et amusé.
— Tout ce qu’on voudrait n’a pas toujours un prix. La seule chose que je veux, actuellement, c’est prendre mon temps pour réapprendre à vivre en-dehors du carcan dans lequel j’ai grandi.
Sa main descendit lentement le long de mon épaule, de mon bras, il entrelaça ses doigts aux miens.
— Avec toi, ajouta-t-il avec un sourire.
— Mais je ne veux pas te…
— Tu ne me freines pas. Tu ne me bloques pas. Tu ne me causes pas davantage de problèmes que je n’en ai déjà.
À la manière dont il énonçait ses phrases, j’eus l’impression qu’il essayait de me les faire rentrer à coups de marteau dans le crâne, mais avec suffisamment de délicatesse pour ne rien abîmer au passage. Un véritable oxymore. Malgré moi, je me pris à sourire.
— Je n’essaie pas de m’effacer pour toi. J’essaie d’apprendre à vivre avec toi, de comprendre ce que ça implique. Et si ça doit inclure de te voir retourner à ta Confrérie, parce que c’est – malgré tout ce que tu peux dire – le carcan que tu aimes, je vais essayer de voir ce que tu aimes là-bas.
Je serrai lentement ma main sur ses doigts, songeant à tout ce que ça impliquait. Sam et moi n’avions jamais eu ce genre de discussion, même lorsque nous étions ensemble. Nos modes de vie étaient différents, et nous assumions tous les deux qu’ils étaient par nature incompatibles. C’était peut-être cet aspect inéluctable de notre situation qui nous avait amenés à nous séparer en fin de compte. Avec Kalyan, c’était déjà différent.
— Tu…
J’hésitai, tirai sur ses doigts sans chercher à les décrocher, juste pour trouver une résistance contre laquelle m’appuyer. Je n’avais encore jamais eu l’occasion d’avoir ce genre de discussion à cœur ouvert.
— Tu me dirais si tu n’es pas d’accord avec ce que je fais, n’est-ce pas ? Si une décision te paraît déraisonnable, ou même si elle ne te convient pas, si tu penses que ça aura un impact sur nous deux…
Il pouffa doucement, et son souffle chaud chatouilla mon cou.
— Oui Lily, je te le dirai.
Je décidai d’accepter cette affirmation comme une garantie, une promesse à mots couverts. Son ton avait une valeur de certitude.

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louji

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par louji »

Hellooo

Ça fait un bail que je suis pas passée par là 🥹


J'aime l'idée du thing pour poutrer la tronche à Kaiser. Franchement je suis arrivée à un point où je vois pas ce que les persos pourraient faire d'autre :lol: Kal a bien amené tout le coeur du problème. Soulever la question de l'après aussi, c'est hyper pertinent ! Je suis d'acc pour dire que les Elites sont trop cramées du ciboulot... Je me dis qu'Ekrest ferait un bon compromis, mais, meh. Avant ça, faudrait qu'il remette en question toute sa vie et ses perspectives comme a pu le faire Lily. Et je vois pas Lily à la tête de la Confrérie juste en raison de son manque d'expérience. Dans 30 ans, why not.

Le retour du Midgard fait tout bizarre 🫠 Ça fait une paye qu'on y est plus, j'appréhende un peu ce qui va se passer maintenant !
Lily qui décroche de l'enseignement d'Ekrest et apprend à s'appuyer sur d'autres personnes, c'est mon combat personnel :lol:

Je suis curieuse de savoir combien de langues ils parlent tous :lol:
La Elisa est très énergique en effet 😅
"une bise à la française" :arrow: qu'est-ce que c'est que cela ? je connais le french kiss mais pas la french bise (on est pas du tout le seul pays à avoir cette pratique ça m'a fait bizarre)
C'était cool ce passage entre Kal et Lily 🥹 C'est important qu'ils aient ce genre de discussion, pour 1000 raisons. En tout cas, c'est bien mieux qu'ils soient ensemble que seul chacun de leur côté à essayer de se réacclimater à la vie post-fuite-des-Thor.

Je suis assez curieuse de revoir Ekrest et les autres bien sûr et puis ce fameux Avriel 👀

Bon courage pour l'écriture !
vampiredelivres

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Re: Le Cycle du Serpent [I-III] [(Urban) Fantasy / Action / Mythologie nordique]

Message par vampiredelivres »

Update / rant :

Ça fait un moment que je ne suis pas venue ici, ne serait-ce que pour consulter les messages et éventuelles réponses que vous m’avez laissés. Sans réelle surprise, LCDS 3 est en pause, pause de publications et pause d’écriture, même si j’arrive à coucher quelques mots de temps en temps.
LCDS a toujours été mon projet marathon, celui qui avec lequel j’évoluais, qui me faisait grandir autant que je l’étoffais. C’était à l’origine le projet le plus simple sur lequel avancer et vers lequel revenir quand j’en dérivais, celui qui me tient encore aujourd’hui le plus à cœur. Mais j’ai rencontré beaucoup de blocages ces dernières années, et je pense n’avoir réellement réussi à les identifier que récemment. Pour la moi d’aujourd’hui, depuis six ans de galères maintenant (la vache, ça commence à dater), il y a trois facteurs.

Le premier c’est LCDS, le projet lui-même, et son rythme intrinsèque. C’est loin d’être mon seul projet sérieux, mais c’est celui dans lequel j’ai mis le plus de moi je pense. C’est le projet où, quelle que soit la personne qui le lit, à un moment donné elle me dit « mais il y a un peu beaucoup de toi dans Lilith, non ? ». Aux psys et psys en herbe qui se baladent dans le coin, voilà la partie intéressante (coucou Sasa, je pense que tu te doutais déjà de beaucoup, peut-être que je te donne quelques infos supplémentaires).
Lily n’est pas moi, mais elle tient effectivement beaucoup de moi. Même quand on met un peu de soi dans chaque personnage, il y en a certains qui l’absorbent plus que d’autres. Lily a dix-neuf ans au début du récit alors que j’en avais dix-sept quand j’ai commencé à l’écrire parce que dix-neuf était l’âge dans lequel je me projetais le plus, celui que je voulais avoir et vivre. Mon nombre fétiche, mon envie d’être adulte mais encore assez proche de l’adolescence pour garder une âme d’enfant. Juste assez loin de ce que j’étais sans l’être tout à fait (traumas d’enfant-tueuse en bonus).
Le LCDS 1 que vous avez lu est en vérité une v2.0, et je ne parle même pas de la v0.5 qui était encore si proche de la fanfiction que la limite était trop floue. Et c’est là où je remarque déjà une tendance, le premier acte était bon et cohérent, c’était à partir du milieu que ça commençait à se déliter dans la v1 (emprisonnement, fuite du Q.G. & cie.). Tout ça pour dire que j’ai réécrit mes actes 2 et 3 de fond en comble. Et, dans la réécriture, j’ai découvert beaucoup de choses sur Lily, les autres personnages et sur moi dans la foulée. C’est de là que viennent les Elites tels qu’ils sont actuellement (timbrés, donc), parce qu’à un moment donné dans la réécriture, je me suis dit « c’est impossible qu’ils aient passé des années voire des décennies dans une geôle sans câbler d’une manière ou d’une autre ».
Le tome 2 a suivi un cycle un peu similaire. J’ai d’abord passé trois plombes à réécrire les sept premiers chapitres en sept variations différentes de l’intrigue parce qu’aucune ne me convenait, puis j’ai réussi à trouver la version qui matchait. En outre, je n’avais pas compris que j’étais déprimée, si ce n’était dépressive, à l’époque. C’est sans trop de surprise à ce moment-là qu’a été écrit le vrillage de Kirstin. Pour l’anecdote, des gens dépressifs m’ont ensuite demandé comment j’avais fait pour taper si juste dans les profondeurs de la dépression. ( :roll: )
Une fois que j’étais contente du début, j’ai enchaîné avec la suite et j’ai posté dans la foulée. Et jamais je ne me suis arrêtée pour la corriger et la réécrire, cette suite. Idem pour le tome 3 tel qu’il est actuellement, à ceci près que j’ai eu beaucoup moins de mal à écrire le début.
Je baratine beaucoup mais tout ça m’amène au fond de la réflexion, qui est que Lily a toujours dix-neuf ans. Pour elle, il s’est passé cinq mois. Pour moi, il y a eu six années entre temps. Et les six années ont été rudes, pour ceux et celles qui savent. J’ai pu (dû ?) évoluer beaucoup plus vite que je n’aurais cru sur beaucoup de choses.
Aujourd’hui, Lily et le cœur de LCDS ne sont plus en phase avec cette approche d’origine, qui était d’extérioriser, consciemment ou non, certaines choses que je vivais. Régler ça implique d’une part de prendre le temps de faire évoluer Lily et l’intrigue dans une direction qui s’en rapproche, et d’autre part de peut-être les détacher un peu de mon perso. Les deux ne sont pas incompatibles dans ma tête, en résumé il faut juste que le roman prenne la tangente par rapport à ma vie.
Ça c’est pour le premier point, et c’est déjà pas mal.

Le deuxième point c’est l’échelle du projet. J’ai beau dire que j’écris pour moi, c’est devenu un mensonge par omission à un moment donné. Le fait de poster crée de l’échange, et l’échange crée une forme d’affect supplémentaire pour le roman. Un affect différent, lié aux gens qui le lisent et disent ce qu’ils y apprécient. J’ai commencé à me projeter dans ça, dans l’agrandissement de ce projet pour plus de gens. 2023-2024 ont marqué mes premiers envois en maisons d’édition.
Quand d’un côté, il y a le lectorat certes peu nombreux mais très positif et enthousiaste de Booknode et Wattpad, les silences et les refus des MEs sont d’autant plus violents. C’est le jeu, c’est ce qui fait que le jour où c’est édité, on se dit que ça en valait la chandelle, mais je n’en suis pas encore à là. Pour le moment, je suis dans le creux de la vague, ambiance Interstellar avec en face une vague si grande qu’elle semble être une montagne.
J’ai l’impression de vouloir écrire comment on gravit cette montagne, mais c’est flippant et démesuré. Les enjeux ont grandi depuis le premier tome, tant pour moi que pour le roman. Et à force de chercher la complexité, je me retrouve face à des fils dénoués qu’il faudrait rattacher entre eux, des trous qu’il faudrait combler, de la cohérence qui me semble manquer. Le voyage, finalement, qui s’est juste un peu complexifié. Les attentes, la volonté de plaire et de correspondre, ont fait que j’ai commencé à prêter attention à ces choses-là.
J’ai commencé à écrire pour moi, mais aujourd’hui j’écris aussi pour être lue. Et il faut que je comprenne combien chacun des deux pèse dans la balance pour LCDS, que je trouve l’équilibre.

Le dernier point, c’est le rythme. Je suis jardinière, tout le monde le sait, je suis toujours loin de commencer un projet avec une idée structurée et un fil narratif complet. Bien souvent, je les découvre au fil des sessions d’écriture et de réécriture. C’est une bonne chose parce que j’aime cet inconnu qui me pousse à écrire. Mais, peut-être conjointement à cause du deuxième point, j’ai passé beaucoup de temps récemment à essayer de comprendre comment « bien » écrire. Et je suis tombée dans les pitfalls de l’anti-procrastination à l’extrême. Le culte de la régularité, les structurations, les publications, les méthodes pour créer des univers ou des personnages…
Je n’ai pas écrit LCDS 1 en écrivant toutes les semaines. Il y a eu des hauts et des bas, qui étaient ajustés au temps libre que j’avais. Mais j’avais cette corde tendue entre le projet et moi qui m’y ramenait.
J’ai l’impression qu’à force de la garder tendue, de vouloir appliquer de la méthode sur ce qui était à l’origine une passion, j’ai fini par étirer cette corde. Et maintenant, quand je retombe dans les phases de creux, je n’ai plus cette volonté d’y retourner, ou du moins pas autant qu’avant. Et ça fait très drama dit comme ça, mais en fait je me rends compte que c’est une boucle qui rejoint aussi le premier point, quelque part. Je me suis projetée dans le tome 4 sans avoir fini le 3, et à force d’imaginer le 4, l’écriture du 3 a perdu en saveur. J’ai avancé plus vite que le projet, et aujourd’hui, je suis déphasée.
Alors je continue à écrire, mais c’est souvent d’autres choses, des coups de tête. Ou alors je contemple ce que je voudrais écrire mais arrivée devant, je me sens floue. La page blanche va et vient depuis des mois. Les coups de boost du NaNo sont des pics passagers, mais la vie a son rythme et le perso me draine aussi énormément (ceux qui savent, savent).

Le bilan c’est que je ne viens pas pour vous promettre de m’y remettre. Il y aura peut-être des publications épisodiques, peut-être que je mettrai tout d’un seul coup quand j’aurai fini. Mais surtout, je vais vraiment me donner le temps pour essayer de rééquilibrer ces trois points qui sont finalement intimement liés. En ce moment, je prends le temps d’avancer sur (et j’ai fait un effort pour penser « avancer sur » et pas « travailler sur », qui est déjà une grosse nuance) un petit projet fun, qui m’amuse. Je ne sais pas jusqu’à où il ira, je me laisse le loisir de l’explorer comme je faisais avant. Et quand l’inspi pour LCDS 3 est là, elle l’est et j’en profite.
Voilà, finalement c’est beaucoup de paroles pour ne rien dire mais j’avais envie de vent et c’est mon sujet. Et comme Lily c’est quand même beaucoup de moi, je trouve que c’est intéressant de partager cette évolution.
En attendant que la suite revienne, merci à vous. Pour votre patience, vos commentaires qui m’ont fait rire et qui m’ont redonné un peu de motivation bien des fois. Ça compte beaucoup dans toute cette évolution aussi.
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