Cette brave caguette

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Cesar-4

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Cette brave caguette

Message par Cesar-4 »

Ce brave polo, Caguette comme on l’appelait. Enfin pas moi, mais sa femme, Maryse, ma grand-mère. Même si ça faisait chier Christine, leur fille, qu'on l'appelle comme ça. Parce que Caguette, ça veut dire petite merde. Il était clarinettiste quand il était jeune. Moi, je ne l’ai jamais vu jouer. Ou à peine, chez lui parfois. Je l’ai obligé quelques fois. Il acceptait, humble et rabougri, de me montrer l’engin, rutilant mais en pièces. Il disait qu’il ne savait plus jouer, il avait honte.
Pourtant ma famille disait que c’était le meilleur clarinettiste de Nîmes, que personne ne lui arrivait à la cheville, qu’il avait la même clarinette qu’Arti Shaw, un clarinettiste connu apparemment, et qu’il jouait comme Barney Bigart, un autre mec connu. Je voulais bien les croire.

Quand il est mort, j’ai récupéré sa clarinette pour apprendre. J’avais vingt ans et quelques. J’ai essayé, une ou deux semaines, à Bruxelles. Je jouais l’hymne nationale américaine au squat qu’on avait ouvert avec les potes. J’étais dans le local à vélo de l’école primaire à Schaerbeek, un peu à l’écart. Je soufflais tous mes poumons dans cette clarinette, personne m’emmerdait, ni les voisins, ni les amis. J’ai fait quelques vidéos de cet hymne américain, mais je ne les ai plus je crois. Je les envoyais à ma mère à l’époque, fier comme Artaban. Je crois que ça la faisait marrer, sans plus. C’est cocasse parce que je déteste les états-unis, mais c’était la seule musique que j’arrivais à déplier sous mes doigts. J’avais du suivre un tuto sur internet.

Ce brave polo. Il avait un sacré rire, en forme de trompette. La voix bien glaireuse. Il sentait l’eau de Cologne et agitait ses clefs la main enfoncée dans la poche. À Nîmes, je l’entendais arriver du deuxième étage de son appartement quand il rentrait du marché, alors même qu’il était deux rues plus loin. Ça me faisait plaisir de savoir qu’il arrivait alors que ça emmerdait ma mère je crois, qui disait qu’il n’était pas discret. Je n’ai jamais compris pourquoi c’était un problème.

Ce brave polo, je me rappelle lui dire que c’était un con, quand j’avais 13, 14 ans. Peut-être moins. J’étais enfant en tout cas. À la mer, en vacances, dans le garage à bateau de son père. Un garage dans lequel on lisait le journal et où on jouait aux cartes, mais où il n’y avait pas de bateau. J’ai des souvenirs de baise dans ce garage un peu bizarres. Des baises carrément gênantes et des baises qui te font penser que tu peux mourir la minute d’après, ce ne sera pas grave, tu ne pourrais pas monter plus haut de toute façon.
Enfin bref, je l’insultais à domicile, et je ne me rappelle même plus pourquoi. J’étais en colère. Mais une colère, vous auriez vu ça. Une colère comme seuls les gamins peuvent en avoir. D’une sincérité; sans triche aucune. Une haine à en faire pâlir les routiers ou les flics. Et finalement, je ne regrette même pas. Évidemment, il était dans une colère noire, blessé, il ne comprenait pas pourquoi je lui vomissais ces insultes à la gueule. Mais il ne m’en a jamais tenu rigueur. Il m’a aimé avec son eau de Cologne et sa voix en trompette glaireuse.
C’est ce qu’il m’a appris. Ce ne sont pas des choses qui restent. Ce qui me reste de lui, ce n’est que de l’amour. Voilà pourquoi je ne regrette pas. Ce qui reste, c’est l’amour.
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