Un Soleil de Minuit
Histoire 2 :
Le Zéro et l’Infini
Brooke prenait plaisir à marcher de long en large dans son bureau. Elle observait la pièce comme si c’était la première fois qu’elle la voyait. Quotidiennement ou presque, elle pénétrait dans ce cabinet le matin avec le même enthousiasme que lorsqu’on le lui avait offert le premier jour. Elle riait et souriait comme une enfant gâtée qui venait de recevoir une nouvelle poupée. Le bureau était situé en haut d’une tour. L'endroit baignait dans un parfum de lilas. Un doux tapis recouvrait le plancher. Quelques plantes venaient décorer la pièce. Une rose dans un petit récipient de verre était déposée sur son bureau. Finalement, pour compléter la description de la salle, une lithographie du Boulevard of Broken Dreams de Gottfried Helnwein venait prendre place sur l’un des murs du local. Par la fenêtre, on pouvait voir la brume qui planait sur le centre-ville. La matinée était froide, grise et brumeuse. L’humeur de la jeune femme par contre était joyeuse. Cette gentille fée était rarement triste ou en colère. La vie lui avait toujours souri, comme le soleil sourit à la plaine, lors des chaudes journées d’été vers midi. Une rivière de félicité coule en moi, minauda-t-elle.
Puis, elle se mit à songer à son mari John et ensuite à son meilleur ami Paul. La jeune cadre se souvient encore de ce choix, de son choix. C’était il y a six ans. Elle avait dix-neuf ans. Paul et elle se connaissent depuis l’enfance. Ils auraient pu s’aimer comme frère et sœur, mais leur amour a toujours porté plus loin. Ils ne sont jamais sortis ensemble. Puis un jour, il y a six ans, ils se sont convaincus qu’ils devaient se fréquenter plus intimement, nonobstant cette amitié de longue date. Donc, le soir venu, Brooke s’était préparée et s’apprêtait à sortir afin d’aller chez Paul, quand on sonna à la porte. C’était John, son richissime patron qui l’invitait à sortir. Elle n’a pu refuser. Pendant que Paul l’attendait durant la soirée, Brooke était en train de danser la salsa dans un club latin du centre-ville. Paul, si seulement j’avais pu...
Puis, elle se résolut à prendre place à son pupitre. Un dossier reposait sur le meuble. Elle le prit et commença à le parcourir des yeux. Ce n’est pas possible, émit-elle, il ne faut pas sortir cette ligne de vêtements tout de suite, le marché en ce moment est bien trop bas. Cela faisait près d’une demi-heure qu’elle méditait sur son document quand le téléphone sonna. C’était sa secrétaire.
— Madame Sherwoods voudrait vous voir. La dame n'en a que pour quelques minutes qu’elle avance.
— Très bien, faites-la entrer, Trish.
Qu’est-ce que cette femme jalouse me veut encore ? Me reprendre le mari que je lui ai volé, bien entendu ! Ne peut-elle pas passer à autre chose ?
Puis, quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit. C’était Taylor Sherwoods. La diva entra dans la pièce avec toute sa superbe. C’était un ancien mannequin, il y a de cela douze ans. Elle pourrait l’être encore aujourd’hui ; car Taylor était une ravissante femme d’un mètre soixante-quinze, avec de longs cheveux noirs qui retombaient en vague au milieu du dos. Les yeux bleus, mais le regard froid. Taylor Sherwoods était une dryade à la beauté mystérieuse comme la nuit. Tantôt gentille comme une fée, tantôt féroce comme une valkyrie. Douce comme une brebis, brutale comme une louve. On ne savait pas si c’était un ange ou un démon. Pour Brooke, c’était une vipère... Taylor marcha vers Brooke comme un mannequin qui défile sur la passerelle lors d’un défilé. Brooke se leva à son approche. Taylor portait une longue robe noire, le genre de robe qu’on porte pour aller à l’opéra. Son cou était orné d’un collier en diamant. Une jolie bague de ce type de pierre ornait son majeur gauche. Finalement, une montre très dispendieuse ornementait son poignet. Taylor avait trente-deux ans. Brook, vingt-cinq.
Brooke, qui était déjà debout, lui tendit la main. La Greta Garbo nouveau genre ignora son geste.
— Taylor, que me vaut l’honneur de votre visite ?
— Vous savez très bien pourquoi je suis ici.
— Vous n’allez pas encore me ressasser John ?
— Si, je vais vous parler de mon mari !
Brooke l’interrompit. La confrontation risquait d’être longue, se disait-elle.
— Il n’est plus votre mari, c’est le mien à présent !
— Vous me l’avez volé !
— Je n’ai rien dérobé. Je vous ferai remarquer que vous étiez divorcée !
— Cela ne faisait même pas une semaine que nous l’étions et déjà il vous épousait !
— Tiens, ce détail m’a échappé, fit maladroitement ou bien impertinemment Brooke. Mais peu importe maintenant, c’est mon mari, il vous faudra bien l’accepter un jour !
— Jamais !
La femme aux cheveux corbeau le cria tellement fort que Trish, qui avait son bureau derrière la porte, l’entendit sans peine. Brooke, de son côté, commençait à être fatiguée de cette corneille.
— Bon ! Je n’ai pas précisé aujourd’hui, poursuivit la jeune styliste, mais bien un jour.
— Encore une fois, jamais ! Mieux mourir plutôt que d’abandonner mon mari à une sangsue telle que vous.
— Encore une fois, ce n’est plus votre mari.
— D’accord, mon ex-époux.
Brooke resta légèrement surprise. Est-ce que finalement elle me concédait un point ? Brooke Sherwoods (eh oui, elle avait également le même patronyme que sa rivale) fit demi-tour, contourna son bureau et y prit place. Il y avait un bouquin d’Arthur Koestler, tout juste à côté de la rose. Le roman était un cadeau de son ami Paul, elle ne l’avait pas encore entamé, mais se promettait de le faire prochainement. Brooke était une blondinette de vingt-cinq ans. Les cheveux ficelés et un peu moins longs que sa rivale. Sa beauté était moins suave que son adversaire, mais plus angélique. Elle avait dix-neuf ans et elle était stagiaire quand elle entra pour la première fois dans cette compagnie. John Sherwoods, styliste international et fondateur de la maison de mode Sherwoods, remarqua immédiatement la beauté et le talent de cette jeune designeuse. Il tomba sous son charme dès le premier coup d’œil, en dépit du fait que près de deux décennies les séparaient. Ce détail ne le dérangeait pas. Elle non plus par ailleurs. Ils devinrent rapidement amants. Naturellement, la jeune femme gravit rapidement les échelons dans cette société et maintenant la délicieuse blonde se retrouvait directrice de la ligne masculine des vêtements Sherwoods. Le mariage de Taylor et de John battait de l’aile depuis quelques années. Il divorça d'elle, et la remplaça par la joyeuse Brooke. Donc, si les deux femmes possédaient le même patronyme, ce n’était pas qu’elles étaient sœurs, simplement que Taylor avait décidé de le garder, et que Brooke avait décidé de le prendre.
— Bon, que me voulez-vous exactement, Taylor ?
— Vous le savez bien ! Redonnez-moi mon mari !
Brooke laissa échapper un sourire malgré elle. Le divorce de Taylor et le remariage de son ex-mari ne dataient que d’un an. Visiblement, elle était encore sous le choc, constata la blondine.
— Vous pensez énormément à vous dans cette histoire. Vous avez toujours été trop axée sur vous-même, c’est un défaut qu’il vous reprochait constamment.
— Taisez-vous, insolente !
Loin de se taire, Brooke continua.
— Maintenant, je vous demanderai de penser un peu à lui! Croyez-vous c’est ce qu’il souhaite ?
— Que voulez-vous dire ?
— Retourner vivre avec vous ?
Taylor était directrice des opérations. C’est elle qui s’occupait de la ligne des parfums de l’entreprise, deux étages plus bas. Anciennement, il y a une douzaine d’années, tout en étudiant le marketing, elle pratiquait le mannequinat. C’est en participant à un défilé pour la maison Sherwoods que John l’avait remarquée. Heureux au début, le couple a fini par perdre dans l'ailleurs. Jusqu’à maintenant, John et Brooke hésitaient à la congédier. C’est facile de se débarrasser d’un employé, mais plus difficile d’une épouse, même si Taylor était une ex-épouse. Car Taylor était la mère des trois enfants de John. Brooke, pour l’instant, supportait assez bien ce dilemme. Elle n’était pas de nature à s’inquiéter. Au contraire de sa rivale qui s’affolait de tout et de rien, totalement complexée et névrosée.
— Nous avons des enfants ensemble !
— Je le sais, répondit la jeune styliste. Ils me détestent cordialement !
— Cela vous surprend ?
— Non pas avec la mère qu’ils ont !
La styliste fit une pause et remarqua le visage de Taylor qui se durcissait davantage.
— S’il voulait de nouveau de vous, pourquoi m’aurait-il épousé ?
— Parce que vous êtes une jeune minette, une petite catin blonde, propre à satisfaire ses fantaisies.
— Je vous ferai remarquer que vous êtes également jeune et d’une très grande beauté.
— Non, sans blague ! Alors qu’est-ce qu’il fait avec vous?
— Vous n’avez pas considéré que peut-être, il n’est plus amoureux de vous ?
— Vous vous imaginez peut-être qu’il l’est de vous ?
— Il m’a épousée, retourna la blonde avec un demi-sourire.
— S’il m’a trahi, il vous trahira à votre tour !
— C’est toujours une possibilité, concéda fatalement la jeune épouse.
— Non, mais rien ne vous dérange, rien ne vous inquiète !
— Et vous, une brise d’air vous chamboule ! Vous devez savoir que cela ne sert pas à grand-chose de s’inquiéter de l’avenir. Car on ne sait pas ce qu’il nous réserve. Alors, autant profiter de l’instant présent, surtout pour moi quand il est aussi radieux.
— Profiter de l’instant présent, répéta l’ex-épouse, seize the day !
— Ou le carpe diem en latin !
— Vous êtes folle, Brooke !
— Et pourquoi cela ?
— Vous croyez vraiment tout savoir, n’est-ce pas ?
— Je sais que la vie à présent me gâte énormément !
— C’est quoi votre histoire à lui et à vous ? Lui et vous avez forniqué à quelques reprises et c’était bon ! Et il a décidé que c’était une raison suffisante pour vous marier ?
Brooke, nullement offensée, répliqua :
— Peut-être ! Qu’est-ce que j’en sais ? Il m’a simplement murmuré qu’il m’aimait ! Qu’il me voulait pour femme !
John lui a également avoué qu’elle était beaucoup plus amusante au lit, qu’elle faisait des choses que Taylor ne savait pas ou refusait de faire. Mais cela, la jeune styliste le garda pour soi.
— Qu’est-ce que vous avez de plus que ma personne ?
— Rien !
— Vous êtes peut-être une meilleure baiseuse que moi ?
Aucun doute là-dessus, pensa Brooke.
— Je ne sais pas, allez le lui demander ! Je n’ai pas l’intention de jouer la voyeuse et observer comment vous vous y prenez avec vos amants !
Cette dernière tirade de Brooke ne passa pas.
— Vous n’êtes rien, Brooke...
— Et vous, vous croyez être tout ?
Pas de réponse de la rivale.
— Si vous êtes si haut et moi si bas, alors pourquoi m’a-t-il épousée ?
Pas de réponse de la directrice des opérations secteur parfum.
— Je suis meilleure que vous, Taylor !
— Vraiment ?
— Si ! Et désirez-vous savoir pourquoi ?
— Évidemment que je souhaite connaître ! Je suis même prête à débourser un million de dollars pour entendre votre réponse.
La styliste ne put s’empêcher d’esquisser un léger sourire.
— Ne vous en faites pas, cela sera gratuit ! La raison pour laquelle je suis meilleure que vous, ce n’est pas parce que je suis plus belle, que j’occupe un poste plus haut que le vôtre ou bien que j’ai épousé votre ex-mari. Je suis meilleure parce que tous les jours, j’essaie de m’abonnir l’âme, de devenir une meilleure personne. Vous ne faites que vous plaindre, colporter des ragots, toujours à la recherche d’argent, toujours à la recherche de pouvoir. Quand vous étiez mariée, John avait l’impression d’avoir épousé un banquier plutôt qu’une âme sœur. Sans cesse en train de l’assommer avec l’argent et les affaires, et cela même à table devant les enfants. Taylor, il n’est même pas encore midi et votre présence amène de l’obscurité dans cette pièce ; tandis que moi j’essaie d’amener de la luminosité même à minuit !
— Blabla ! Ne vous croyez pas si maligne. Vous et moi ne sommes pas si différentes que cela. N’allez pas me faire croire que l’argent vous indiffère. Vous l’avez épousé pourquoi exactement ? Pour avoir le contrôle de la société à sa mort ?
— S’il devait mourir demain matin, vous savez très bien que l’entreprise n’ira ni à vous ni à moi, mais bel et bien à vos enfants.
La styliste fit une pause avant de reprendre.
— Vous savez comment j’adore parler avec vous, ironisa la blonde, mais malheureusement, j’ai du travail.
— Ne vous en faites pas. J’allais partir.
Puis les yeux de Taylor tombèrent sur le bouquin qui traînait sur le pupitre de la designeuse.
— Le Zéro et l’infini, d’Arthur Koestler prononça lentement l’ancien mannequin. Très bon livre ! Vous l’avez lu ?
— Non pas encore. Je m’y mettrai sous peu !
— Moi, il n’y a pas si longtemps, je croyais que j’étais infinie. Maintenant, tous me disent que je suis un zéro. Parce que j’ai été une mauvaise épouse, que je suis une mauvaise mère et une mauvaise chef d’entreprise. L’infini ne dure pas ; par contre, le zéro lui peut être éternel...
Puis, meurtrie par ses accusations qu’elle a prononcées elle-même, Taylor sortit de la pièce presque en pleurant d’un pas précipité.
Il était deux heures de l’après-midi. Brooke avait décidé de manger plus tard afin de pouvoir dîner avec son meilleur ami. Ils étaient attablés à un restaurant qui se situait tout près de l’immeuble où la styliste travaillait. Brooke s’était levé quand celui-ci s’était présenté devant elle. Il s’appelait Paul Sedan, grand, mince, le cœur soupirant éternellement vers la jeune femme d’affaires. La styliste était sa meilleure amie et un amour impossible. Cet amour chimérique par moment était un fardeau qui lui écrasait les épaules. Brooke l’avait enlacé et lui dit comment elle était heureuse de le voir. Une fois assis, la discussion commença.
— Cela fait des lustres que nous ne nous sommes pas vus, déclara la blonde.
— Tu exagères, cela fait à peine une semaine et demie.
— Eh bien ! cela m’a paru une éternité, fit Brooke. Dis-moi comment va le journal ?
Paul travaillait pour un journal indépendant.
— Disons que le salaire ce n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant. La relation avec notre rédacteur en chef n’est pas toujours facile et notre chroniqueur vedette ne cesse de jouer les divas.
En entendant le mot diva, Brooke ne put s’empêcher de penser à sa rivale.
— Pourquoi ne pas aller bosser pour un grand journal ?
— J’y pense, j’y pense, mais j’aime beaucoup la liberté d’expression que me donne un petit journal.
— Pourquoi ne viendrais-tu pas travailler pour notre société?
— Non, merci ! Primo, je n’y connais rien à la mode. Secundo, je n’ai pas envie d’avoir ma meilleure amie comme patronne !
— Cela nous permettrait de nous voir plus régulièrement, avança la blonde.
— Oui, au point à en devenir écrasant.
— Bon, c’est comme tu veux, émit d’un ton résilient la fille. Au fait, je ne t’ai même pas demandé comment tu allais. Comment vas-tu, cher Paul de mon cœur !
Si je suis le chéri de ton cœur, alors pourquoi ne m’as-tu pas épousé ? soupira le journaliste.
— Je vais très bien, répondit l’homme. Et de ton côté ?
— Tout plane pour moi ! chantonna Sherwoods. Je suis débordée de travail, mais j’aime ça ! Nous nous apprêtons à lancer une nouvelle ligne masculine.
— Tu es passionnée par ton travail, je le vois.
— Je le suis !
— Tu es heureuse, je ne t’ai jamais vue aussi heureuse.
— Je le suis !
Brooke hésita et décida de revenir sur la question.
— Mais mon bonheur serait complet si tu venais travailler pour nous.
— Je t’ai déjà dit que je ne connaissais rien à la mode.
— La gestion c’est de la gestion, mon cher Paul, et tu as un diplôme en administration...
— J’ai fait de la gérance brièvement, et j’ai été malheureux comme un poisson nageant dans un lac de sable. Mon travail au journal n’est pas payant, mais au moins il m’apporte un peu de joie.
— Tu ne veux pas me rendre joyeuse en venant bosser avec moi ?
Le jeune reporter éclata de rire malgré lui.
— Ta joie narcissique était-elle importante à ce point ? Tu ne peux pas faire passer ta joie avant la mienne ! Comment feras-tu pour être heureuse de travailler avec moi quand moi je serai malheureux ?
Brooke Sherwoods lui prit la main.
— Je vois cette amitié comme une douce plume qui flotte au vent... Toi tu la considères encore comme un lourd rocher à transporter...
L’homme préféra changer de sujet.
— Est-ce que cette chère Taylor est venue faire des siennes?
— Oui, elle m’a rendu visite ce matin.
— Et qu’est-ce qu’elle a déblatéré ?
— En dehors de son blabla habituel, que j’avais volé son mari et le reste, elle a affirmé que je n’étais rien.
— Que lui as-tu répliqué ?
— Que j’étais tout ! Elle a répondu que tous la considéraient comme un zéro et que l’infini ne dure pas.
— Est-ce qu’il se peut que Taylor soit une femme malheureuse?
— C’est elle qui crée ses malheurs.
— C’est vrai que tu es infinie !
— Que veux-tu dire ?
— Ta beauté est sans limites, ta joie est sans frontières. Quand je suis à côté de toi, j’ai l’impression que je suis un zéro, exactement comme Taylor. Tant ton âme est illuminée par les étoiles.
— C’est toi qui es infini, pas moi. Cette noblesse de l’âme que tu as, moi je ne l’aurai jamais. Je nous aime, je suis en amour avec cette amitié.
— Cette amitié est si lourde que parfois, il amène de la noirceur, même à midi...
— Ne dis pas cela. Mon choix te fait encore souffrir ?
Paul changea de nouveau de sujet.
— Tiens, je t’ai écrit un poème !
Brooke le parcourut des yeux.
Le Zéro et l’Infini
On expose sur un grand tableau noir : la Félicité
Qui doit être diminuée par la Tristesse
Est-ce que le facteur Peine, demande un élève,
S’additionne avec le facteur Bonheur ?
Est-ce que la fortune se soustrait par les vicissitudes ?
Si nous mettons deux anges d’un côté
Doit-on placer obligatoirement deux djinns de l’autre ?
Est-ce que la formule se forme ainsi ?
Est-ce la grande équation de la vie
D’avoir des thèmes aussi contradictoires ?
Le jour d’un côté la nuit de l’autre
L’enfer ici et le paradis là-bas ?
Moi là-dedans, est-ce que je fais partie de l’équation ?
Suis-je un simple facteur dont on ne peut tenir compte ?
Dans les calculs intégraux et différentiels qu’effectue ton cerveau,
Ne suis-je qu’un nombre bien ordinaire ?
D’après tes théories axiomatiques, j’en conclus
Que mon nombre à moi est le Zéro !
Et que toi ton chiffre est tout simplement incalculable
C’est pour cela qu’on va dire qu’il est Infini
Donc, moi je suis le Zéro et toi, tu es l’Infini
Deux facteurs diamétralement opposés
Qui semblent impossibles à consolider
Peu importe la forme de mathématique adoptée
Ton succès est infini et ta beauté l’est tout autant
Pendant que moi sur le sol lézarde mon ombre
Toi tu planes dans les hauts lieux
C’est les étoiles qui dansent autour de toi
Moi, c’est le zéro, c’est le néant total
C’est la noirceur létale, et ce à même midi
C’est un soleil noir qui pleure des lunes mortes
C’est le stalinisme meurtrier qui est ressuscité
Moi c’est le froid de la Sibérie
C’est les prisonniers des procès de Staline
Qui se font exécuter sous l’ire populaire
C’est la paranoïa collective d’être emprisonné
Toi, tu es plus jolie qu’une fleur d’été
Tu es plus ravissante que le mois de mai
Tous se massent près de toi
Tous t’aiment, tous te désirent
Moi je suis esseulé et oublié dans l’oubliette
Personne ne me voit, personne ne m’entend
J’ai le cœur âcre et éternellement morose
Je suis perdu dans des mathématiques infinitésimales
Tu es la plus belle des femmes
Et je suis le plus misérable des hommes
Entre toi et moi, il y a ce grand écart
Qui ne sera jamais comblé ou même par toi désiré
C’est le Zéro et l’Infini
Il fallait une reine et c’est toi
Il fallait un crétin et c’est moi
Et pour le reste cela ne peut être défini
— Toujours cette obsession à me voir plus belle, plus radieuse que je le suis.
— Ce n’est pas une obsession, mais une impression.
— Moi ce que je voudrais pour toi, c’est qu’il brille un soleil même à minuit.
— Oh ! J’en ai un soleil. Il brille même la nuit !
— Ah oui ! Où ça ?
— Il est juste devant moi. C’est toi !
— Merci, c’est gentil. J’aimerais tellement te voir heureux pour nous.
— Cela n’a pas l’air, mais très souvent je le suis.
— Alors, viens travailler pour nous !
— Non !
— Tête de mule !
— Crois-moi, restons chacun de notre côté. Notre amitié n’en sera que plus forte !
Brooke fronça les sourcils.
— Peut-être ?
Il eut un moment de silence, puis Sherwoods reprit.
— Au fait, il y a quelque temps, j’ai pensé à quelque chose pour toi.
— Oh, oh !
— Je n’aime pas quand tu fais oh, oh !
— Et moi je n’aime pas quand tu penses à des choses pour moi.
— Pourquoi j’ai déjà l’impression que tu vas refuser ?
— Parce que tu me connais bien.
— Écoute-moi pour une fois.
— Bon, vas-y !
— Tu as plusieurs manuscrits qui dorment dans tes tiroirs. Deux sont des romans et quatre sont des recueils de nouvelles littéraires. Je ne parlerai pas des deux ou trois cents poèmes que tu as écrits.
— C’est non !
— Attends que je finisse. Bon ! Ouvrir une petite maison d’édition n’est pas trop difficile. Je pourrais t’aider à en ouvrir une, et nous commencerons par publier tes opus.
— Non !
— Pourquoi donc, Paul ? fit Brooke d’un air abattu.
— C’est bien toi ! Toujours en train de vouloir me donner la lune ! Tu n’as pas été capable de me donner ton cœur, alors tu essaies de m’offrir la lune, la galaxie et toutes ses vénustés. Tu te sens encore coupable d’avoir préféré John à moi ? Cesse de penser ainsi. Tu as choisi la voie qu’indiquait ton cœur.
— Je voudrais te voir heureux.
— Mais je suis heureux !
*
* *
Quelques mois plus tard !
Paul Sedan était au téléphone avec Brooke.
— Est-ce que ta proposition tient toujours ?
— De quelle proposition parles-tu ?
— Celle de rejoindre ta société.
— Bien sûr qu’elle est toujours d’actualité.
— Tant mieux, écoute, je commence en avoir ma claque de ce journal. Les relations entre notre chef éditorial et nous se détériorent de jour en jour. Notre chroniqueur vedette qui lui aussi n’était pas de tout repos a claqué la porte, il y a deux mois. Nous avons perdu des lecteurs. Ce journal semble n'aller nulle part. J’ai vingt-six ans. J’ai besoin de travailler dans une entreprise stable qui va pouvoir me permettre de me construire une vie de famille, et éventuellement m’aider à m’acheter une maison. Je n’ai pas un sou en banque ou presque, j’arrive à peine à boucler les fins de mois. La seule raison pour laquelle je roule dans une voiture décente, c’est parce que ma mère et toi avez décidé de m’en offrir une l’année passée. Je ne m’attends pas à travailler dans un univers serein, le milieu de la mode, c’est difficile, mais d’un autre côté, je ne vois pas comment cela pourrait être plus malsain que ce journal.
— Ne pense plus à ce local d’éditions. Tu vas voir, une nouvelle vie t’attend ! Paul, tu me rends heureuse ! Quand voudrais-tu commencer ?
— Le plus tôt possible.
— La semaine prochaine alors ! Taylor justement se plaint qu’elle a besoin d’un assistant aux opérations au secteur parfum.
— Brooke, je ne connais rien en parfumerie, je ne sais pas faire de parfum.
— Sans blague ! Nous non plus ne savons comment les faire!
— ?
La styliste reprit.
— Nous faisons affaire avec un laboratoire de parfums. Cette parfumerie fait pratiquement tous les parfums à travers le monde. Nous leur disons quel type de flagrance que nous aimerions et ils nous envoient des échantillons. Nous choisissons celui qui nous intéresse et voila ! Le Sherwoods no 4 est le nom qu’on a donné au quatrième des 10 échantillons que nous avons reçus. De la même manière que Coco Chanel a donné le nom du no 5 au cinquième échantillon. Ne t’en fais pas, tu apprendras très vite le métier, j’en suis sûre. Tu seras surtout impliqué dans le marketing et la gestion du personnel. Paul, tu sais quoi ?
— Quoi donc ?
— Il faut célébrer cela ! Je passe te prendre chez toi vers 18h30.
À la fin de sa journée de travail, Brooke, joyeuse à la sortie de l’édifice, prit sa voiture et fonça vers la demeure de Paul. Elle sonna à la maisonnette et on l’ouvrit. La mère de Paul était en pleurs et deux policiers se trouvaient dans l’endroit.
— Mais qu’est-ce qu’il se passe ? aboya Sherwoods en prenant la maman dans ses bras.
— Paul a eu un accident de voiture, ânonna la dame en sanglots, il est mort.
Brooke eut l’impression qu’un éclair la pourfendait et que le temps se figea un instant.
*
* *
Six semaines plus tard.
Brooke prenait toujours un certain plaisir à marcher de long en large dans son bureau. Mais elle avait un sourire triste. Elle observait la pièce comme si c’était la première fois qu’elle la voyait. Cela avait une impression de déjà-vu... Quotidiennement ou presque, elle pénétrait dans ce cabinet le matin avec le même enthousiasme, mais Paul Sedan était toujours dans ses pensées. Le bureau était situé au haut d’une tour. Un parfum de lilas baignait l’endroit. Un doux tapis recouvrait le plancher. Quelques plantes venaient décorer la pièce. Une rose dans un petit récipient de verre était déposée sur son pupitre. Finalement, pour compléter la description de la salle, une lithographie du Boulevard of Broken Dreams de Gottfried Helnwein venait prendre place sur l’un des murs du local. Le roman d’Arthur Koestler était toujours sur le pupitre à côté de la fleur. Par la fenêtre, on pouvait voir la brume qui planait sur le centre-ville. La matinée était froide, grise et brumeuse. L’humeur de Brooke était identique à la température : grise et brumeuse. La nuit quand elle dormait, elle n’avait plus cette impression qu’un soleil de minuit l’illuminait. Et le jour, même à midi, elle avait la sensation que son ciel s’enténébrait. Une larme coula sur la joue de la jeune femme et elle chuchota : Paul si seulement j’avais pu...
Puis, elle se mit à penser à son mari John et ensuite à son défunt ami journaliste. Elle se souvint encore de ce choix, de son choix. C’était il y a six ans, presque sept. Elle avait dix-neuf ans. Paul et elle se connaissaient depuis l’enfance. Ils auraient pu s’aimer comme frère et sœur, mais leur amour a toujours porté plus loin. Ils ne sont jamais sortis ensemble. Ils auraient pu se fréquenter intimement, se marier et avoir des enfants. Mais elle avait choisi John, en dépit du fait qu’elle se savait amoureuse de Paul. Est-ce que Taylor aurait raison, elle, Brooke Sherwoods n’était pas indifférente à l’argent ? Alors que tous la voient comme une âme infinie, elle se percevait comme un zéro. Et là encore, elle se demandait si Taylor n’avait pas raison. À savoir que l’infini dure peu et que le zéro lui peut être éternel. Une larme coula sur son autre joue. Paul, si seulement j’avais pu...
Extrait du recueil de nouvelles : Un Soleil de Minuit
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