J'aime beaucoup ce jeu, c'est très original
Je m'engouffre dans l’ascenseur. J'y retrouve mon voisin, ce beau-gosse qui croit que toutes les filles sont à ses pieds. C'est le cas, en fait. Et j'avoue que ça m'énerve un peu. Moi aussi, j'ai une copine. Enfin non, pas vraiment. Mais pourquoi pas? Il suffirait que j'en invente une, pour qu'elle prenne forme.
<< Bonsoir!
Il me répond à peine. Quel arrogant!
-Je m'excuse d'avance pour ce week-end!
-Ah oui, et pourquoi?
-Je vais faire une très grande fête et niveau sonore, ça va peut-être vous déranger.
-Je ne suis pas là, de toute façon, ce week-end.
Je le savais déjà. Il le répète à tout le monde, qu'il se barre à Madagascar pendant une semaine. Et bien qu'il dégage, bon vent! Je suis certain qu'il va toutes les faire craquer. Quel veinard! Il ne mérite pas son succès. Parce qu'au fond, je suis sûr qu'il s'en fout, de ces filles. Alors qu'elles, elles sont sincères. Et moi aussi je suis sincère . Mais je suis toujours célibataire. Enfin, quand je dis que je suis sincère, c'est côté sentimental, parce que, c'est vrai que les bobards, moi ça me connait. Du coup, quand je dis à une fille que je l'aime, elle ne me croit pas. Et pourtant, j'ai jamais joué avec les sentiments. Pas comme lui!
-Ah bon, dis-je en feignant l'étonnement. Et vous partez où, si ce n'est pas trop indiscret?
Indiscret, tu parles! Il déballe ce voyage dès qu'il en a l'occasion. Il frime tout le temps! C'est ce qui m'énerve le plus chez lui: sa frime. Ca m'agace encore plus que sa "belle gueule".
-A Madagascar...
Je l'écoute poliment me raconter ce qu'il va y faire. L'hôtel, le paysage, les spectacles... Une fois qu'il a vidé son sac, j'enchaîne:
-Moi aussi je suis déjà allé à Madagascar. En fait, j'y vais tous les étés. Parce qu'il y a ma femme là-bas.
C'est faux, évidemment. Mais je ne sais pas pourquoi, j'ai envie de lui balancer. Pour avoir quelque chose à dire. Pour prouver que moi aussi, je peux épater, apporter quelque chose à la conversation. Je ne vais quand même pas l'écouter se vanter sans rien dire!
-Vous avez une femme? s'étonne-t-il.
-Oui. Et bientôt des enfants, j'espère. Elle est restée là-bas, et je vais la rejoindre dès que j'aurai eu ma prime, d'ici deux ou trois ans. Vous savez ce que sait, les patrons...
Il écarquille les yeux et ouvre la bouche de surprise. Il jette son regard de tombeur à mon annulaire gauche, pour voir si une alliance s'y trouve. Il n'y en n'a pas, bien sûr. Je m'empresse de fourrer ma main dans ma poche. Je mens bien sûr. Et il le sait. Il ne croit jamais à ce que je lui raconte. Mais je ne peux m'empêcher d'inventer des trucs. C'est pour me sauver la face, en quelque sorte. Je préfère qu'il croit que je suis un menteur plutôt qu'il apprenne la vérité. Parce que cette vérité là, je refuse de la voir en face, et je ne veux pas que les gens y assistent. Parce qu'au fond, si je mens, ce n'est pas pour me la raconter. Je ne suis pas comme lui. C'est juste pour m'échapper un peu de mon triste quotidien, pour pouvoir rêver quelques instants. Pourquoi je n'aurais pas le droit d'avoir une femme à Madagascar? Pourquoi je ne pourrais pas inventer mon bonheur? Et s'il suffisait de l'imaginer pour qu'elle existe, au moins dans mon esprit de fou?
Soudain, je me rends compte qu'on avance plus. L'ascenseur est en panne. Encore. Sauf que cette fois, il y a des gens à l'intérieur. Il faut qu'on me sorte de là! Mon voisin appuie sur le bouton de secours et un quart d'heure après,
un technicien arrive, visiblement peu ravi d'être dérangé une fois de plus. Dans ses gros gants jaunes, il tient sa casquette bleue, assortie à sa salopette.
-Vous êtes déjà allé à Madagascar? , je lui demande. Parce que ma femme m'attend là-bas...