Josuah Flint
Décidément cette vieille carne au tempérament de requin possède une charmante conversation. Point tendre, intelligente et autoritaire, irascible, amatrice de boisson... Je croirai presqu’entendre un marin de la Navy anglaise. Dans un bâtiment une femme de cette trempe aurait vite foutu le bazar à bord.
Alors que nous trinquons et que se déverse dans ma gorge la brûlure agréable du whisky irlandais, un grand bruit se fait entendre, faisant sursauter la salle entière. Moi je m’étrangle à moitié dans mon verre. Par la mort nom de diable, qu’est-ce donc que cela encore ?
Mais la réaction d’Angelica et celle d’une autre femme lui ressemblant particulièrement n’augure rien de bon. Je pose discrètement ma main sur mon bon vieux coutelas, cher ami qui ne m’a encore jamais trahi. Peut-être me fais-je des idées, mais l’instinct acquis durant tout une vie de traques, de dangers, et de menaces m’assure du contraire. Même dans l’air il y a quelque chose de... Vicié. Ouais c’est ça. Vicié.
A nouveau le bruit se fait entendre. Plus violent cette fois-ci. Ma main se resserre sur le manche de la dague.
A ce moment la lumière s’éteint.
Je sors le coutelas et le pose discrètement sur la table. Autant ne pas se faire remarquer avec une arme.
Silence, un grand silence pesant. Et dans ce noir la nervosité est à son comble.
Une lumière brise le tout. Un professeur sans doute, avec une sorte de gadget qui tente de rallumer les feux tandis qu’Angelica demande calme et silence de la part de la salle entière.
Les lumières ne se rallument pas. Soit.
Nouveaux échanges angoissés entre Angelica et sa probable sœur. Cela ne va pas le faire, point du tout.
Et ce frisson qui parcourt les os, effet trop souvent ressenti avant de bons gros grains et autres malheurs marins.
La catastrophe est imminente
Soudain un grand battement d’aile suivi d’une violente bourrasque à déchirer une voile trop tendue sur la vergue d’artimon, puis enfin un ordre hurlé à tout bout de champs. Ni une ni deux nous nous précipitons tous dessous la table, non sans que je grogne en tordant mon dos. Foutu corps, ce n’est plus le physique élancé audacieux du grand aventurier d’autrefois. Va falloir y remédier mon vieil ami. Enfin chaque chose en son temps.
Un fracas résonne brutalement et une forme noire se précipita brutalement là où devait se trouver la directrice et sa sœur, avant de disparaître.
Silence. Trois cent cinquante ans d’inaction à boire et à ne rien faire dans un lieu beaucoup trop calme, mais il semblerait bien qu’au bout du compte le paradis n'est pas un long fleuve tranquille.
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Commérages, inquiétudes, discussions animées et hypothèses ; frayeurs et excitations, interrogations... La salle commune est devenue une vraie basse-cour ; et moi sur un siège je me balance tranquillement, les deux jambes sur la table, jouant avec mon couteau tout en examinant la salle de fond en comble ainsi que les diverses personnes qui s’y trouvent. Si certaines d’entre elles sont autre part, la majorité demeure ici, à la fois excitée et inquiète, supputant partout la suite des évènements et échafaudant des hypothèses plus folles les unes que les autres... Peuh trivialités que ce sont, une attaque s’est produite, un élève est touché, et basta. Mais par quoi ? Une sorcellerie venue tout droit des Enfers eux-mêmes ? Eh eh eh, le surnaturel dépasse ma propre petite personne rationaliste, de même que le fait d’être désormais un “apprenti ange”, ce dont je ne me plains pas, pourrait y’avoir pire. Pas de néant où ton être s’efface totalement, non juste la vie. Qui cracherait dessus ?
Bref dans tous les cas on a affaire à quelque chose qui nous dépasse, et encore plus lorsque l’on voit les grandes pontes de l’établissement faire de vraies têtes d’autruches. Surprise et incompréhension, bigre cela annonce de sales affaires en perspective. Durant trois cent cinquante ans j’ai rien foutu, juste pris racine et végété tout seul dans mon coin. Alors un peu d’action ? Là aussi y’a pas à cracher, et à vrai dire sentir cette bonne vieille sensation de menace et de fébrilité n’est pas cause d’un grand déplaisir. On me traiterait sûrement de vieux fou si l’on savait ça, m’enfin je l’ai tellement entendu que ça ne vaut à mes oreilles même pas l’attention d’un pet de lapin. J'avais grand besoin de frissons et d'action, et le « Ciel » m'a écouté de ce qu'il me semble. Ça devrait être rassurant. Ou pas. Bah voyons déjà la tournure que prendra les choses. Pour le reste, on avisera.
J'aperçois soudain une jeune fille à l'air perdue, qui au milieu de tous ces commérages de bécasses ne semble pas savoir quoi faire.
Bon, l'est temps d'être un peu plus aimable pour une fois, d'autant plus que l'atmosphère s'y plie extrêmement bien.
Holà dame, c'est que vous êtes un peu perdu dans cette espèce de cafouillis piaillant sans cesse, n’est-ce pas ! Mais connaissez-vous au moins du monde parmi tous ces « futurs anges" en formation ? Ou alors vous voilà dans le même cas que moi, c’est-à-dire un parfait étranger plongé dans la spirale de l’inconnue, préférant boire un petit coup en solitaire tout en réfléchissant à l’incongruité de la situation actuelle ? Ou alors, dernier fait possible, je suis tout simplement à côté de la plaque ce qui, d’ailleurs, ne m‘étonnerait pas plus que ça voyez-vous eh eh.