Sacha Yeraz Jensen
Fils d’Hypnos | 15 ans | 1m80 | Rêveur | Avec Lemony dans l’Amphithéâtre
Ce n’est pas toujours facile de se concentrer sur quelqu’un, surtout dans le monde « réel » je dois dire. Je mets des guillemets parce qu’après tout :
qu’est-ce que le réel ? Quel est ta définition du réel ? Si tu veux parler de ce que tu peux toucher, de ce que tu peux goûter, de ce que tu peux voir et sentir, alors le réel n’est seulement qu’un signal électrique interprété par ton cerveau. Hm. Il me semble que c’est un grand homme qui a dit ça. Je crois que c’était Morpheus. Donc le fils d’Hypnos ? Donc un demi-frère lointain ? Un dieu ? Ce qu’il dit a énormément de sens, je l’aime beaucoup. Nombreuses sont ses citations qui me reviennent en tête et je crois que ce n’est pas la première fois que je m’arrête sur ses mots, ce doit vraiment être un grand dieu… Attends mon petit Sacha. Ce n’est pas plutôt un film ? Je revois une image, un homme avec des petites lunettes rondes ultra réfléchissantes. Oh, peut-être que c’était un film, mais et alors ? Peut-être que le dieu Morphée jouait dans ce film ? Peut-être qu’il a inspiré le personnage ? Peut-être qu’il lui a soufflé sa réplique durant un songe ? Ça n’a pas d’importance, tout ce qui compte c’est que je trouve qu’il a bien raison. Tout ce qui se passe dans mon esprit est réel, même si les sensations n’existent pas vraiment, puisque ce que je vois, je le vois dans ma tête mais pas avec mes yeux. Ce ne sont pas mes globes oculaires qui distinguent une image mais bien mon cerveau qui la fabrique de toute pièce. Enfin, pas de toute pièce, techniquement j’utilise des souvenirs et des distorsions, des mélanges pour forger mes images, donc j’utilise des choses déjà vues avec mes yeux du monde tangible. Mais pas toujours… Je n’ai jamais été nager dans l’océan, je ne pense pas avoir déjà vu de film ou de photographie sur ses profondeurs, pourtant il est très clair dans mon esprit, je me suis fait ma propre représentation, donc je n’ai pas nécessairement besoin d’avoir vu quelque chose de mes yeux pour le représenter, il me suffit de l’imaginer, de l’inventer, ou encore de le piocher dans la tête d’une autre personne. Mais dans ce cas, son image, à cette personne, est déformée, puisqu’elle n’est qu’une image intérieure, qu’un reflet de ce que ses yeux ont vu ou bien une image inventée également, donc je ne fais que voir une invention. Mais dans ce cas, mon invention reste réelle. Et je la vois. Elle existe dans mon esprit. Et je n’ai pas eu besoin de mes yeux tangibles pour cela. Donc tout est réel. Et donc ce mot est bien compliqué. Tout comme la personne en face de moi. De quoi on parlait déjà ? Je l’observe qui sort un carnet et prend une position que je qualifierai d’attentive. Et là c’est le drame, il parle et il parle et il parle et oh il a une jolie voix. Il ne parle pas très fort, je suis de retour dans le coton, je tente de rester concentré sur ses lèvres qui bougent mais le mouvement est hypnotique, tellement que j’en viens à fermer les yeux un instant. Non, non, je l’écoute ! Je repose juste mes paupières tout en l’écoutant. Les mots se mélangent, il me parle de couleurs, de sons, d’amnésie, d’informations, de minutes, de photos et d’écrits… Je ne comprends pas tout. Quel est le rapport entre tous ces éléments ? Le son et les couleurs produits par l’appareil photo ? L’information véhiculée par la photo ? Le son ? Les couleurs ? L’écriture ? Les minutes ? Les minutes qui passent et emportent les couleurs, les étalant sur la toile du temps ? Le son que l’on entend lorsqu’on écrit ? Celui qui change selon l’intonation que les mots prennent ? L’amnésie liée à l’information manquée ? Au contraire, l’information trop importante qui fait qu’on oublie tout ? L’amnésie du temps qui passe ? Les lettres amnésiques ? Les couleurs qui oublient leur son ? Non ! Je sais ! La photo qui oublie le réel ? Parce que du coup la photo n’est qu’une représentation, et si ce jeune homme croit que le réel n’est qu’un signal électrique interprété par son cerveau – pour citer le dieu mais peut-être pas – alors il pense que la photo ne donne pas les « réelles » couleurs et donc les véritables informations sur le monde ? Puisqu’elle n’est pas le monde, elle n’est qu’une image, mais une image visible avec des yeux et tangible puisque touchable avec des doigts. Donc selon sa conception du réel c’est toutefois un objet de la réalité, mais est-ce que le demi-dieu croit qu’une représentation n’est pas le réel ? Si je dois répondre à une question – je crois vraiment qu’il m’a posé une question – je dois d’abord la saisir. Bon, je vais lui demander un éclaircissement.
Je rouvre les yeux et baille à m’en décrocher la mâchoire.
— J’ai compris que tu voulais me poser une question mais je ne l’ai pas bien comprise. Tu veux savoir si le réel n’englobe que ce que tu peux sentir avec tes sens habituels et ce que tu pourrais qualifier de « tangible » – on va le dire comme ça parce que je n’arrive pas bien à me dépatouiller avec cette question, les mots manquent de précision – ou s’il est partout du moment que tu le vis ? Donc également dans ta tête ou une photo ?
Mais il s’agit là d’une question très ouverte. Je ne pourrai lui donner que ma propre conception des choses, pas la vraie vérité vraie. Après tout, la vraie vérité vraie n’est qu’une autre question de perception. On ne peut donner que son propre point de vue et non ce que tout le monde pense. Mais alors pourquoi me demander ? Ne veut-il pas se fier à sa propre vision ? Peut-être qu’il est indécis. Mais dans ce cas je ne sais pas si je parviendrai à l’aider, au pire je lui donnerai mon avis si je parviens à l’exprimer avec des mots. Les mots sont bien une restriction du monde éveillé. Si nous étions dans un rêve nous pourrions utiliser bien d’autres choses pour nous exprimer. Mais bon, je vais essayer de faire avec ce monde.
Pour continuer dans la même veine nous parlons monstre. Encore une fois : c’est une question de perception. Je ne sais pas de quel monstre il fait référence. Et selon son utilisation du mot « monstre » ma réponse va différer. Les mots sont décidemment des choses très restrictives, on ne peut pas correctement s’exprimer avec juste des mots. Pour un peu ça m’agacerait ! Sauf que je ne sais pas m’agacer, je ne connais pas bien ce sentiment, ou plutôt si, mais je ne le ressens pas. Je sais l’identifier chez les autres, je le comprends, je peux l’apaiser ou l’augmenter quand je visite un rêve, je peux en comprendre l’origine et comprendre ce qu’il pousse à faire, ses conséquences, mais moi-même je ne le ressens pas. C’est un sentiment qui se trouve sur une route à côté de la mienne, parfois je tends la main vers lui et l’effleure, parfois je le touche ou le serre dans mes bras, parfois il me passe au travers, mais jamais il ne me pénètre. Je ne dois pas avoir un caractère prompt à l’énervement. Bref, on se reconcentre sur la personne en face de moi qui me parle de monstres. Je capte totalement ses premiers mots et ils me poussent à demander plus de précisions :
— Pourquoi dis-tu « tout le monde qui n'a pas d'amnésie antérograde », chacun est différent de toi, chacun est unique. Tous les bruns ne sont pas identiques, tous les enfants d’un dieu non plus et pourtant ils ne sont pas nombreux. Chacun partage obligatoirement des caractéristiques avec une autre personne mais chacun reste unique. Plusieurs dieux peuvent bien avoir des caractéristiques communes, comme Athéna, Artémis et Hestia qui sont chastes, et pourtant tu ne peux nier que chacune est unique, non ?
Attends. Je crois que j’ai loupé une information importante. C’est quoi l’amnésie antérograde ? Ça me dit vaguement quelque chose mais je n’arrive pas à me souvenir où j’ai déjà pu entendre ça. Bon, autant demander. Ce que je fais, et il me répond que c’est une amnésie qui fait qu’il oublie tout au fur et à mesure. Mais alors pourquoi il me parle s’il ne va pas s’en souvenir ? Je pourrais aller dans sa tête et faire remonter des choses s’il le désire, rien n’est jamais totalement perdu. Je lui fais la proposition et il accepte avec un grand sourire que je lui rends. C’est génial ! Je pourrai aller le voir dans un rêve prochain ! J’aime aller voir des gens ! Est-ce qu’on peut donc dire que je suis quelqu’un de sociable ? Je suppose que oui !
Il se met à reparler ! J’observe ses lèvres mais le son me vient en décalé. Quand je parviens à comprendre ce qu’il baragouine je lui adresse un large sourire en acquiesçant. C’est exactement ça ! Chacun est unique, donc chacun est différent, donc tout le monde est un monstre pour les autres ! Mais pourquoi on parlait de monstre déjà ? Pas pour décrire les gens, si ? La réponse vient quand il continue à parler et que je me montre vraiment attentif. Oui, oui, je me souviens, cette conversation m’intéresse, je dois donc rester concentré. Mais c’est difficile… Tellement de mots… Mythologie… Monstre… Grec… Romain… Oh ! Cette utilisation du mot monstre. Je capte, je capte. Peu importe la mythologie, c’est la même idée pour eux.
— En effet, je ne pense pas en avoir déjà rencontré un comme ça qui était gentil. Même si encore une fois l’adjectif « gentil » est discutable puisqu’il dépend du point de vue… Mais je crois voir où tu veux en venir alors essayons de ne pas trop nous égarer. Pourquoi on parlait de ces « monstres mythologiques pas gentils » déjà ?
Il est vrai qu’ils ne sont pas très sympathiques ceux-là, du moins, pour être plus précis, il faudrait dire : ils ne sont pas très sympathiques avec les demi-dieux que nous sommes. Et ce n’est pas une généralité puisqu’un chien des Enfers dont j’ai oublié le nom s’est lié d’amitié – ou a été pris d’affection – avec un demi-dieu de la Colonie. Décidemment, on ne fait que parler de subjectivité ce soir ! Ce qui est fort intéressant, même si je ne comprends pas pourquoi. Comment en sommes-nous arrivés là ? Je suis quelque peu perdu dans cet océan de mots.