Hello tout le monde ! Finalement, j'ai coupé le chapitre 5 en deux afin de conserver une masse de texte raisonnable et vous offrir le chapitre court que vous espérez Comme c'est plus court que d'habitude, je posterais plus vite la seconde chapitre de ce chapitre... on se donne donc rendez-vous en fin de semaine ou en début de semaine prochaine !
(ps : la sélection des musiques de ce chapitre va démasquer le fan de Marcus Miller qui se cache en moi)
ps2 : oui, une des musiques a déjà été employé dans un chapitre principal, c'est un rappel de thème.
ps 3 : je ferais la mise à jour du .pdf principal quand j'aurais uploadé l'autre partie du chapitre 5
Dernier ps, et le plus important : un énorme merci à Enora pour sa relecture, ses corrections et remarques ! Grâce à elle, j'économise beaucoup de temps et peux écrire plus vite ! Elle fait un taff formidable alors remercions-là !
Merci aussi à Dracnor l'amour de ma vie pour ses conseils scientifiques et son petit cours sur l'électricité <3
CHAPITRE 5 : Anniversaire (part.1/2)
Ce matin-là, alors que Marisa toquait à sa porte pour s’annoncer, Yulia lui demanda une faveur. Pour son anniversaire, elle souhaitait manger des macarons au miel ! Tout d’abord surprise, sa gouvernante se prit cependant au jeu. La jeune fille n’avait que rarement formulé ce genre de souhait, et elle savait que Marisa prendrait sa demande comme une marque de raffinement féminin bienvenue…
Avec les Corsaires rôdant en ville, il était hors de question d’emmener la fille de l’Amiral faire des commissions. La Matrone quitta donc l’appartement, de bon matin, laissant les domestiques servir le petit déjeuner. Yulia colla son oreille à la porte, et attendit d’entendre Senex se lever, bougonner, et enfin commencer à manger. Elle se mit au travail.
C’était un jour spécial. Elle, Yulia Mangora, avait treize ans aujourd’hui !
La fille de l’Amiral voulait marquer cette occasion. Elle se dirigea vers sa garde-robe, et farfouilla parmi les vêtements. Exceptionnellement, elle avait accepté l’idée d’enfiler une robe. Marisa serait bien surprise lorsqu’elle reviendrait !
Ecartant un à un les frous-frous, Yulia laissa de côté les crinolines et les tournures qu’elle trouvait franchement ridicules. Un jupon ne l’aurait pas dérangée outre-mesure, mais ils se portaient généralement avec ces grotesques armatures qu’elle avait en horreur. Parmi les quelques robes décemment portables, elle aimait bien les sergés de soie, mais avait du mal à trouver des couleurs assorties. De même, elle ne savait si elle devait se décider pour un foulard ou une ceinture — les deux n’allant certainement pas ensemble. L’habillement raffiné était définitivement un art pour lequel elle était fort peu douée !
Et puis, pour finir, rien ne l’emballait vraiment.
Elle mit plusieurs minutes à comprendre pourquoi.
Tous ces vêtements, elle les avait déjà portés —souvent même contre son gré. Elle était habituée à leur couleur, à leur coupe, à les voir. Mais, aujourd’hui, elle voulait quelque chose d’hors du commun. Elle ne voulait pas seulement faire plaisir à Marisa, elle voulait, elle-même, se sentir différente.
Découragée, Yulia se laissa tomber dans les piles d’étoffes qu’elle avait sorties du coffre.
Elle retourna ensuite écouter à sa porte et, n’entendant plus Senex ni les domestiques, elle entrouvrit le battant et jeta un coup d’œil. Il n’y avait plus personne dans le salon ou la cuisine. Sur la table, deux bols attendaient patiemment.
Ce fut à ce moment qu’Angora sortit de sa chambre. Ne remarquant pas la jeune fille entrouvrant sa porte —ou faisant mine de ne pas la remarquer—, elle s’installa, le dos tourné à Yulia, attrapa son bol de sa main mécanique, et commença à manger paisiblement.
Angora était une personne qui, en un an, en était venue à occuper une part très importante dans sa vie. La jeune fille se sentait tour à tour intimidée, rassurée, encouragée, mise en confiance et incertaine en sa présence. La Dragon était un bambou de fer : bien que taillée dans du métal puissant et solide, elle se pliait et s’assouplissait souvent dans sa relation avec la petite.
La fille de l’Amiral laissa ses yeux se promener discrètement dans la pièce, examinant ce que les domestiques avaient laissé à disposition, étudiant les mouvements de sa protectrice, jusqu’à ce qu’elle remarque que cette dernière avait laissé ouverte la porte de sa chambre.
Le cœur de Yulia fit un bond hors de sa poitrine. Depuis que la guerrière avait emménagé avec eux, elle n’était plus jamais entrée dans la chambre de son père qu’Angora occupait à présent. Ayant toujours été curieuse, la jeune fille n’avait pourtant jamais désiré entrer dans cette chambre. Jusqu’à ce matin. Elle imagina un instant ce que pouvait renfermer la garde-robe d’une Dragon. Ne voulait-elle pas quelque chose d’hors du commun ?
Excitée comme une puce, il lui était alors hors de question de laisser tomber un tel début de plan !
Afin de rester inaperçue, Yulia referma tout doucement sa porte, et se remit à écouter, collant de temps en temps son œil à la serrure afin de faire bonne mesure. Elle ne comprenait pas pourquoi les héros de romans semblaient adorer cette technique : on ne voit franchement pas grand-chose à travers une serrure !
Angora finit de manger, insista auprès des domestiques en cuisine pour faire sa vaisselle, fit quelques pas, et Yulia ne discerna plus rien.
Lorsqu’elle l’entendit, enfin, faire couler de l’eau dans une bassine, elle comprit que la Dragon prévoyait de prendre un bain. Quelle heure pouvait-il bien être ? Cela devait faire plus d’une demi-heure que Marisa était parti… Yulia aurait déjà dû se lever et déjeuner.
Les bassines furent remplies, et elle entendit alors des bruits de pas approchant.
Elle eut le réflexe de tirer les rideaux de sa fenêtre et de plonger dans son lit. Angora entrouvrit sa porte :
— Je prépare un bain, tu veux… ?
Elle s’arrêta. La chambre était plongée dans la pénombre, la jeune fille sous ses couvertures, feignant le sommeil.
Si ç’avait été Marisa, sans doute l’aurait-elle sortie du lit, mais sa protectrice ne dit rien. Yulia, nerveuse, immobile, craignit alors que les piles de vêtements éparpillées par terre ne la trahissent, mais Angora ne dit mot, et referma lentement la porte dans un chuchotement.
Le cœur battant à toute vitesse, la jeune fille demeura encore un moment sous les couettes, essayant de retrouver une respiration lente. Lorsqu’elle se sentit prête, elle bondit hors du lit et, sans rouvrir les rideaux, se glissa contre la porte.
Elle n’entendit rien. Entrouvrant le battant, elle vit qu’il n’y avait plus personne. Les domestiques bavardaient à voix basse dans la cuisine, hors de son champs de vision, Senex semblait rester dans son bureau, et une timide vapeur s’échappait de sous la porte de la salle d’eau. Angora se lavait ; la voix était libre.
Bondissant hors de sa chambre, Yulia se glissa dans le salon. Accroupie, sur ses gardes, elle passa près du poêle, surveilla le seuil de la salle de bain, et se faufila jusqu’à la porte opposée. Y entrer ne fut pas difficile : il n’y avait aucun verrou. Elle poussa le battant, et entra.
C’était une pièce toute en longueur. A sa gauche, un placard creusé dans la roche ; devant elle, un grand lit aux draps propres et soignés, une petite table où séjournait une carafe d’eau, et un tapis tressé. Le mur au fond, à sa droite, portait une fenêtre ouverte sur le Contrebas et un grand bureau auquel on n’avait pas touché depuis le départ de l’Amiral. C’était propre, clair, bien entretenu, sans aucun superflu. La seule différence avec la pièce que Yulia avait connue du temps de son père tenait en un large coffre posé près du lit.
Mieux valait ne pas compter sur une longue baignade de la Dragon, aussi Yulia s’empressa d’ouvrir le placard. Quelle ne fut pas sa surprise de constater qu’il y avait toujours, et uniquement, les affaires de son père ! Angora n’avait donc rien bougé ? N’avait-elle jamais emménagée ?
Décontenancée, la jeune fille hésita quelques secondes à examiner le coffre. Décidant finalement que c’était le seul endroit où elle eut pu entreposer ses affaires, elle finit par s’en approcher. Peut-être aurait-elle dû demander l’autorisation, mais elle doutait de l’obtenir et, si elle voulait faire honneur à son anniversaire, elle avait bien besoin d’habits héroïques ! Et qui plus qu’une Dragon pouvait détenir de tels artefacts ? Elle allait fouiller, examiner les étoffes, faire son choix, et ensuite demander. Peut-être… Oui, peut-être demanderait-elle ensuite !
La première épreuve était la serrure. En fer forgé, solide, elle intrigua Yulia quelques instants avant qu’elle ne se rende compte qu’elle n’était pas verrouillée. Ouvrant le coffre, elle commença à en sortir un à un les objets.
En premier lieu ce furent des habits, mais pas du genre qu’elle espérait. C’était ce que portait la guerrière au quotidien : des chemises, des débardeurs pratiques tels qu’en portent les ouvriers et les dockers, des pantalons du même esprit, plus ou moins évasés, des vestes… le plus festif de ces ensembles étant sans doute un discret bustier tubulaire de couleur sobre. La jeune fille en vint à se demander si sa protectrice possédait même des robes ou des tenues de cérémonies.
Le coffre était grand, large et profond. Passé la couche supérieure, Yulia tomba sur un ensemble de boites de formes et d’aspects très divers. Intriguée, elle se saisit de la première, une sorte d’étui, coffret en bois et peau d’environ un mètre trente. Elle l’ouvrit prudemment. A l’intérieure, sur un lit de moire, reposait un sabre.
De surprise, Yulia faillit lâcher l’étui.
Se reprenant, elle mit la boite de côté et sorti l’arme. Elle avait déjà vu des sabres, bien entendu, son père ayant porté le sien en toute occasion, mais c’était sans doute la première fois qu’elle examinait de près une pièce pareille. La garde, garnie d’or, lançait une lame droite, là où les sabres de la marine présentaient le plus souvent une légère courbure. Bien plus grande que les armes de parades que la jeune fille ait pu voir, l’épée d’Angora était également bien plus lourde. Comment pouvait-on manier une arme pareille avec adresse ? Cela devait demander un sacré entraînement… Examinant plus attentivement l’acier, elle distingua une inscription ciselée d’or courant sur le dos du tranchant, presque effacée par l’usure des combats :
Dragon Impérial. Par ma force et ma dévotion, je suis la main armée de mon empereur.
Intimidée, la jeune fille préféra ranger le sabre dans son étui, qu’elle laissa de côté en attendant de pouvoir le remettre à sa place. Elle était là pour les vêtements, n’y pensait-elle plus ?
Continuant sa fouille, elle ouvrit d’autres boites. Elle ne trouva pas de nouvelles armes, mais mit la main sur ses uniformes. Elle les examina un moment : des vestes et des pantalons de coton aux couleurs de différents Amiraux et corps d’armées Impériaux. Le plus propre de tous fut sans aucun doute l’uniforme des armées de son père : sa couleur entre le vert et le gris était éclatante, la rosace d’or cousue au cœur, et la courte cape d’apparat satinée brossée avec attention. Yulia ignorait si les Dragons Impériaux avaient des uniformes à eux ; en tant qu’agents détachés ils devaient se mêler aux armés et adopter leur uniforme lorsque c’était nécessaire, supposa-t-elle.
Tout à droite du coffre, elle ouvrit une cache de sous-vêtements. La fille constata avec plaisir l’absence de tout corset, gaine ou soutien-gorge, auxquelles la Dragon semblait préférer les culottes pratiques et les bandeaux de torse. Yulia du se faire violence pour admettre que, contrairement à elle, Angora n’avait sans doute jamais été destinée à devenir une dame.
Alors qu’elle se demandait, pensivement, quelle tenue elle allait bien pouvoir chaparder —bien qu’elle se promette intérieurement de demander la permission, elle savait bien qu’elle ne le ferait probablement pas— Yulia continuait d’ouvrir les boites l’intriguant.
C’est ainsi qu’elle mit la main sur un curieux jeu de dé et sur deux émetteur-récepteur. N’ayant jamais vu de tels objets, la jeune fille examina de plus près les deux boîtiers : il y avait sur la face principale un bouton de pioche. Cela servait-il à manipuler le morse ? Senex avait fait apprendre cet alphabet à Yulia en début d’année, aussi pouvait-elle reconnaître ce genre de dispositif. Mais elle ne voyait aucun câble reliant les deux boîtiers… se pourrait-il que leur liaison se fasse sans fil ? Elle essaya d’envoyer des messages, mais se rendit rapidement compte qu’il manquait une source d’alimentation. L’arrière du boîtier semblait suggérer une chambre à vapeur ayant besoin de pierre de chauffe… En tout cas, si ce dispositif marchait —et Yulia ignorait comment cela serait possible— c’était un incroyable gadget de miniaturisation !
Ce fut alors que la porte s’ouvrit.
— Qu’est-ce que tu fais là, toi ? Tu ne dors plus ?
Toute son attention prise par ses découvertes, Yulia en avait oublié le temps qui filait…
La jeune fille se retourna, lentement, terrifiée, et fit face à Angora qui, au sortir du bain, était glissée dans une serviette en coton, portant ses vêtements sales sur son bras mécanique. La Dragon semblait pour l’instant plus surprise que suspicieuse. Il passa dans son regard un grand nombre d’expressions alors qu’elle détaillait tout ce que sa protégée avait sorti du coffre et étalé sur le sol. La vue de l’étui du sabre sembla l’inquiéter, tandis que le déballage de ses culottes l’amusa.
— On a déjà essayé de me voler mes sous-vêtements, mais je ne te croyais pas intéressée par ce genre de chose…
— Non ! Non ! Je, je voulais juste t’emprunter une tenue… euh, te demander avant de t’emprunter, je veux dire ! et…
— Hé, relax ! clama-t-elle. Je te charriais un peu, c’est tout !
Elle lui jeta les vêtements qu’elle portait à bout de bras.
— Allez, range tout ça avant d’en mettre trop partout ! Tu espérais trouver quoi ? C’est ton anniversaire aujourd’hui, non ? Si tu cherches une jolie robe, tu ferais mieux d’aller fouiller chez Marisa !
Honteuse, Yulia commença à ranger alors qu’Angora, ayant saisie une chemise par terre, s’habillait dans son dos. La jeune fille se sentait mal d’avoir été surprise ainsi, c’était embarrassant. Les joues encore rouges, elle tenta néanmoins de se justifier :
— Je cherchais… quelque chose de spécial. Quelque chose que j’ai jamais porté.
— Des uniformes militaires ?
— Non, pas vraiment. Je ne savais pas que tu en avais autant. Je pensais… Je pensais que les Dragons avaient des fringues spéciales à eux, tu vois ?
— Pas vraiment… Et puis, ce que j’ai n’est sûrement pas à ta taille. Tu veux des fringues spéciales, c’est ça ?
Elle hocha la tête, sans se retourner. Elle entendit Angora se déplacer, mais continua à ranger ce qu’elle avait sorti.
— Alors… que dis-tu… d’une…
On lui posa quelque chose sur la tête. Surprise, Yulia lâcha les étoffes qu’elle portait.
—… jolie coiffure ?
Yulia se retourna. En chemise, la Dragon lui tendait un petit miroir. Sur sa tête, fier de ses trois couleurs éclatantes, était un bicorne Impérial, frappé de la cocarde de la troisième armée et de la rosace d’or de la famille Ford. La jeune fille porta ses mains au couvre-chef, le rajusta, et y enfonça un peu plus son crâne. Elle resta un moment sans voix.
— C’est le bicorne de ton père, expliqua patiemment Angora, il était tout en haut dans le placard. Je crois savoir que l’Amiral le portait lors de sa formation à l’école militaire et de son service dans la troisième armée. C’est une pièce unique, le seul cadeau familiale qu’il ait probablement jamais reçu. Si tu veux le porter aujourd’hui, essaye d’en prendre soin !
— Euh… merci, Angora.
— Ça te va ? demanda la Dragon devant la mesure de ses émotions.
— Oui ! Oui ! s’empressa de préciser la jeune fille. C’est super, merci ! C’est juste que c’est… vraiment particulier, comme habit spécial !
— Héhé, je vois bien ! Tu le portes plutôt bien, en fait… Bon, il te manque encore quelques centimètres pour avoir l’air d’un Amiral par contre !
— N’importe quoi ! Je suis la plus costaude ! tu vas voir !
La jeune fille, joueuse, retroussa les manches de sa chemise et fit sortir ces biceps. Cette scène fit rire Angora, et elles se lancèrent dans un concours de muscle, tour à tour gonflant les bras.
Il n’en fallut pas plus pour que Yulia retrouve sa bonne humeur, et Angora se garda bien de lui rappeler qu’elle venait de se faire prendre en pleine rapine.
Fière de son bicorne du jour, la jeune fille se vit confier par la guerrière un gilet de cuir qui, de ses propres mots, lui donnait l’air d’un féroce adversaire. Lorsque Marisa revint à la maison, ramenant des macarons au miel, Yulia ne lui prêta presque aucune attention, toute occupée à disputer une bataille de coussins avec Angora. La Matrone exigea tout de même la fin de cette cohue et les envoya ramasser les plumes éparpillées.
Alors que Yulia finissait enfin de remettre en ordre les affaires de la Dragon, elle s’attarda sur la paire d’émetteurs-récepteurs. Angora remplumait les oreillers, et remarqua la perplexité de sa protégée.
— Tu ne devrais pas jouer avec ça, prévient-elle, ce sont des appareils encore rares.
— Comment ça marche ?
Elle haussa les épaules.
— Tu connais le morse, non ? Avec ces radio-émetteurs, tu peux émettre et recevoir des messages de l’un à l’autre de ces boîtiers.
— Oui, d’accord, mais comment ça marche ? Je veux dire… il n’y a même pas de fil !
— Alors là, inutile de me demander… Je suis une soldate, tu te rappelles ? Si tu veux comprendre comment ça marche, je te conseille plutôt de demander à Senex.
— Tu veux dire que tu ne sais pas comment fonctionne cette technologie ?
La jeune fille était perplexe.
— J’utilise des outils, justifia la Dragon. Mon domaine, c’est plutôt les armes : je sais démonter un fusil, le remonter, je sais polir et aiguiser une épée ; mais je ne sais pas comment tanner du cuir pour fabriquer une ceinture, pas plus que je ne sais fabriquer un émetteur radio ou que je sache définir son fonctionnement technologique : je me contente de porter ma ceinture et de taper du morse sur ces boîtiers.
Cette réponse ne satisfit qu’à moitié Yulia, mais elle n’en dit rien.
Laissant tranquille Angora, la fille de l’Amiral regagna la pièce à vivre. Là, Marisa, ayant mis les macarons au miel de côté en attendant le repas, lui dit alors qu’elle passait :
— Tu as l’air d’un vrai petit général en formation avec ce couvre-chef, ma chérie !
— Ouais, nargua-t-elle, désolé de ne pas avoir mis de robe ! Aujourd’hui, je suis libre de faire ce que je veux !
Contrairement à tout ce à quoi elle s’était attendue, Marisa lui fit un grand sourire.
— Tu as tellement grandie… Ton père serait très fier de toi, s’il te voyait aujourd’hui !
Yulia ne sut pas quoi répondre, et le rouge lui monta aux joues pour la deuxième fois de la matinée. Elle bredouilla quelque chose, et s’enfuit dans le couloir menant au bureau de son précepteur.
Elle rumina un long moment encore cette déclaration. Ç’avait été… inattendu. Mais elle mit bien vite de côté cette brève conversation et se concentra sur ce qu’elle venait demander à Senex.
Elle frappa à la porte, et la voix du vieux sage lui dit d’ouvrir.
Son bureau était une petite pièce entièrement dédiée l’érudition. On aurait pu croire le bonhomme maître d’une seule discipline, mais c’était bien l’ensemble des connaissances de son temps qu’il entendait rassembler pour sa pupille. Il y avait là de grandes piles de livres et de parchemins, reliés ou en désordre ; les murs étaient recouverts de cartes géographiques, historiques ou commerciales ; son bureau croulait sous les plumes et l’encre, les ustensiles de chimie, et les petites figurines de bois qu’il s’amusait à tailler sur son temps libre. Du plafond pendait en outre tout un tas de babioles, dont des maquettes de navires, un long pendule oscillatoire, et un brûleur à encens mystérieusement suspendu par des câbles.
Entrant dans son cabinet, Yulia repéra bien vite le vieil homme. Penché sur un ancien parchemin, celui-ci portait une loupe à son œil mais déposa le tout pour accueillir son élève.
— Bonjour, madame la lève-tard !
Elle se souvint tout à coup de l’heure, et s’excusa :
— Oh, désolé Senex, j’ai raté le début de…
— Bah, ne t’excuse pas ! balaya-t-il d’un geste de la main. C’est ton anniversaire aujourd’hui, non ? On ne devrait pas exiger des enfants qu’ils travaillent un jour de fête !
— Je ne suis pas un enfant aujourd’hui, se venta-t-elle, je suis… un Général !
Elle montra son bicorne du doigt.
— Oh oh, voyez-vous ça ? Madame a pris du galon en une nuit ! Que me veut donc mon Général ce matin ? Le diner est-il servi ?
— Votre Général vous informe que Dame Marissa a pris du retard dans l’élaboration des restaurations journalières en raison d’une commande que je lui ai faite, mais le diner sera bientôt servi, ne vous inquiétez pas !
Ce jeu de rôle commençait à vraiment l’amuser. C’était plaisant de parler comme un Général !
— Tant mieux, l’érudition creuse autant l’estomac que l’effort physique.
— Mais je ne venais pas pour ça à la base…
Elle sorti de sa poche un des émetteur-récepteur d’Angora.
— Tu peux m’expliquer comment ça marche ?
Le précepteur porta la loupe à ses yeux, examina l’instrument, et sourit.
— Héhé, ça c’est un sujet très particulier… mon Général est-il prêt pour une leçon de sciences physiques ?
Yulia s’agrippa à son couvre-chef, grimaça :
— Je ne pense pas qu’un Général ait à recevoir des leçons… ne peut-on pas dire que tu fais un rapport scientifique à ton supérieur, plutôt ?
Il se montra obtus :
— Hors de question, un précepteur n’enseigne qu’à des élèves, il fait des leçons ; va voir un conseiller si tu veux un rapport scientifique ! Si tu veux une leçon, il va te falloir arrêter d’être un Général pour quelques minutes…
Elle soupira :
— Très bien… Le Général Von Tomato prend sa retraite, et l’élève Yulia Mangora revient aux commandes.
— « Général Von Tomato » ? fit-il d’un air perplexe.
— C’était un super pseudo. Je ne ferai aucun commentaire.
Il haussa les épaules.
— Très bien alors. Mon élève Yulia Mangora est-elle prête à écouter sa leçon ?
— Oui, allez !
Senex se laissa aller dans son siège et ses doigts se mirent à parcourir sa barbe inégale. Il semblait très heureux en cet instant.
— Les ondes appartiennent à un domaine scientifique assez récent, qui repose sur un principe de la physique très différent de la mécanique à engrenage que nous manipulons tous les jours… Mais si je devais commencer ma leçon quelque part, je commencerai par te demander si tu sais ce qu’est l’électricité ?
Yulia haussa les épaules.
— Oh, allez, tu en as au moins déjà vu ! Souviens-toi, dans le Bastion administratif de ton père, ces lampes sans flammes !
— Je vais rarement au Bastion, grimaça Yulia, et jamais pour y regarder la déco…
Senex soupira et se leva pour aller farfouiller dans un de ses coffres. Il en sortit une grosse ampoule en verre brumeux, et lui mit dans les mains.
— Voilà, ça c’est une lampe électrique ! Celles du Bastion sont plus petites mais c’est le même principe.
Yulia chercha près du culot un déclencheur comme sur les lampes à huiles mais n’en trouva pas.
— Comment on l’allume ?
— Cette lampe fonctionne par électricité, elle n’a pas sa propre source d’énergie. Pour qu’elle marche, il faut la brancher sur une des prises du Bastion : le générateur en sous-sol produit constamment de l’électricité, laquelle passe dans les fils de la lampe lorsqu’elle est connectée et va porter à incandescence un filament de carbone, ce qui va produire de la lumière. Mais porter des fils à incandescence est loin d’être tout ce que à quoi peut servir l’électricité !
— D’accord, accorda Yulia, septique, mais ça ne me dit pas encore ce que c’est que l’électricité. C’est une sorte de vapeur, c’est ça ?
— Dans l’idée, c’est une source d’énergie, oui, excepté que tu ne peux pas prendre un bain d’électricité. Mais c’est bien le seul point commun qu’on peut tirer entre les deux énergies : l’électricité se déplace infiniment plus vite que la vapeur d’eau, et on ne peut pas la stocker dans des réservoirs.
— Comment ça ?
— Il faut voir l’électricité non comme une matière mais comme un courant, un courant électrique. Ce courant se déplace à travers tous les objets —ou presque— mais va privilégier l’objet dont la nature offre le moins de résistance —mais nous verrons cela une autre fois, retiens juste que l’électricité passe en priorité par les fils de cuivre, par tes petits doigts curieux, et par le Contrebas, c’est pourquoi on enroule les fils destinés à conduire l’électricité dans un câble en matière isolante.
— C’est bizarre cette histoire… tu dis qu’on ne peut pas le stocker ?
— Non, et c’est un point important à retenir : on sait produire un courant électrique, mais on ne sait pas le garder immobile dans un coin pour l’utiliser plus tard.
— On le "produit" ? Ça ne sort pas directement de la terre comme la vapeur ?
— A part les orages électriques en Contrebas, il n’y a pas de sources électriques naturelles, non ! Sinon, il nous suffirait de construire des Temples dessus et, au lieu de canalisations d’eaux, redistribuer des câbles électriques ! rit-il. Non, créer un courant électrique fait intervenir un procédé particulier qui va mettre en évidence ces fameuses ondes dont je te parlais.
— J’ai cru que tu avais oublié ! plaisanta son élève.
— Les phénomènes électriques étaient une vraie curiosité lorsque j’étais étudiant, et tu vas vite comprendre pourquoi à l’époque cela tenait un peu de la magie…
Le précepteur se remit à farfouiller dans ses coffres alors que Yulia ne savait pas trop comment réagir à ces déclarations. Le vieil homme était un des plus pragmatiques qu’elle connaisse : même lorsqu’une nuit, avec Dick-Tale, ils avaient observés des ombres gigantesques et effrayantes dans la Brume en Contrebas, et jurèrent avoir entendu des cris de damnés, Senex ne s’était pas démonté :
« Vous n’avez pas vu de Monstres de Brume, ce devait être la densité des brumes qui était différente suivant les endroits, et la lumière d’une lampe à huile n’est pas fiable à longue distance. Quant à vos cris, ce n’était que le vent sifflant contre les parois du Surplomb. » Ils eurent beau lui répéter qu’ils ne s’éclairaient pas et qu’ils connaissaient suffisamment bien le bruit du vent pour le différencier de cris, le vieux bonhomme n’avait accepté aucune autre explication que celle de sa science. Dans ce contexte, entendre ce personnage comparer un phénomène à de la magie relevait du surnaturel. Yulia ne savait pas trop si cela augmentait sa curiosité ou la rendait méfiante.
Lorsque Senex sortit ses appareils, elle fut rassurée : tout cela allait être des plus sérieux. Une bobine de fils de cuivre maintenue en l’air par une tige de bois. Un aimant au bout d’une baguette. Senex déroula deux bouts du fil et les mit au contact du culot de l’ampoule.
— Voilà, dit-il. Prend la baguette, Yulia.
Elle le fit sans se poser de questions, attendant de voir ce qui allait se passer.
— Maintenant, fais-le tourner autour de la bobine, ça devrait générer un petit courant électrique.
Septique, la jeune fille obéit tout de même, approchant l’aimant au plus près de la bobine, jusqu’à la toucher et…
— Ne les fais pas entrer en contact ! rouspéta son professeur.
La petite se redressa, et éloigna un peu l’aimant au bout de sa tige, lui faisant faire le tour de la bobine, sans jamais la toucher, essayant d’être régulière dans ses micro-mouvements. Assez rapidement, à sa plus grande surprise, la lampe à incandescence commença à briller faiblement.
— Parfait, commenta simplement Senex avec un sourire. Ce que nous avons là est un modèle réduit et sommaire des gigantesques générateurs électriques fonctionnant à travers tout l’empire. Le Bastion de ton père en possède un dans ses sous-sols pour alimenter son éclairage et ses équipements radios.
Yulia s’arrêta un court instant, mit son œil entre l’aimant et les fils, épiant ce qui pouvait bien se passer entre ces deux-là. Etaient-ils complices d’une blague de ce fourbe Senex ?
— Tu te demandes si quelque chose passe dans l’air entre l’aimant et la bobine, n’est-ce pas ?
— L’électricité peut-elle voyager dans l’air ? demanda la fille de l’Amiral, faisant tourner lentement l’aimant, espérant apercevoir quelque chose.
— L’air n’est pas conducteur électrique. Rien ne voyage dans l’air, si ce n’est des ondes… tu veux une preuve ?
Elle hocha la tête.
Senex sortit une petite feuille de papier de son bureau et demanda à Yulia de refaire tourner l’aimant autour du fil. Alors qu’elle s’exécutait, il intercala son papier entre l’aimant et la bobine. L’ampoule ne faiblit même pas. Le courant électrique restait inchangé.
— Convaincue ?
— T’as gagné : c’est une sorte d’action à distance que je n’arrive pas à comprendre.
— C’est exactement l’état d’esprit de mes amis et moi-même lorsque nous faisions nos études. Beaucoup essayaient d’expliquer les phénomènes électriques à l’époque, sans grand résultat.
— Quelqu’un a réussi depuis ? demanda la jeune fille, intriguée par ce mystère qui avait résisté à son précepteur.
— L’explication est encore trop complexe pour ton niveau d’étude, mais oui : quelqu’un a réussi. Le docteur Maxwen a développé une théorie assez complexe de l’électromagnétisme, mais ce n’est pas là ce qui nous intéresse. Avec cette expérience je voulais juste mettre en évidence des actions à distance que nous pouvons observer à courte distance.
— Et, laisse-moi deviner : c’est le même principe à longue distance ? On prend un générateur, on envoie du courant, et ça fait de la magie ?
— Pas du tout ! rit Senex. Rentrer dans un cours théorique serait beaucoup trop compliqué pour l’heure, mais sache juste qu’il n’y a rien de magique là-dedans : ce qu’il faut retenir c’est qu’on peut générer des ondes électriques, et que ces ondes se déplacent dans des milieux comme l’air ou toute autre chose, et qu’il y a tout un tas de types d’ondes différentes qui répondent pourtant aux mêmes caractéristiques.
— On peut pas les voir, pas les sentir, pas les toucher… ça a tout l’air d’être de la magie pour moi, fit-elle remarquer d’un sourire espiègle.
— On en reparlera dans tes leçons futures, sourit-il en retour, mais, en attendant, revenons à tes émetteurs-récepteurs, veux-tu ?
— Ah oui ! Yulia les avait presque oubliés. Ça marche avec les ondes si j’ai bien suivi ?
— Exactement : l’émetteur produit une onde électrique, et le récepteur la reçoit. En envoyant des signaux de durées différentes entrecoupés de silences, on peut envoyer du morse très facilement. La seule prouesse technologique à rechercher est dans la miniaturisation exceptionnelle de l’appareil et son auto-alimentation, sinon c’est le même modèle de radio que celle du Bastion par exemple.
Yulia se redressa sur son siège. Ses yeux s’ouvrirent grand.
— Il y a une machine à onde au Bastion de mon père ! s’exclama-t-elle.
— Wow, du calme ! tempéra Senex. Tu ne pourras sans doute pas la voir : elle sert uniquement aux communications militaires, et seuls les officiers spécialisés peuvent y accéder ; on y fait jamais entrer de civils, quand bien même ce serait la famille de l’Amiral. Tu demanderas à ton père de t’y emmener en personne lorsqu’il sera de retour.
Yulia se renfrogna et fit la moue, déçue. Elle s’imaginait déjà envoyer du morse aux autres Surplombs des alentours, écrire des blagues, voire se faire de nouveaux amis éloignés qui lui raconteraient comment est la vie hors de Cathuba…
Alors que Senex rangeait ses dispositifs, elle demanda, morose :
— Si on peut envoyer des messages à distance avec les radios… pourquoi je n’ai jamais eu de nouvelles de mon père ?
Le vieil homme s’arrêta un instant. Il soupira longuement, comme s’il allait dire quelque chose qu’il retenait depuis longtemps.
— Il y a peu de navires équipés de radios longue distance encore aujourd’hui. Ton père aurait cependant pu nous envoyer un message depuis les Surplombs où il faisait escale, ou même confier une lettre à un messager pour qu’il te la délivre… Mais la vérité c’est que depuis son départ nous n’avons reçu que deux brèves annonces : la première disant qu’il faisait escale à la Capitale, la seconde nous informant qu’il était parvenu au Nouveau Monde. Aucune n’était rédigée par lui, ce qui nous incite à penser que l’État-major Impérial empêche ton père de nous écrire directement.
Cette nouvelle raisonna un long moment dans le crâne de sa fille. Elle se sentit creuse, et la boule de nœud dans son ventre réapparut.
— Et… depuis qu’il est au Nouveau Monde, articula-t-elle difficilement, a-t-on des nouvelles ?
— Aucune.
Yulia ramassa les émetteurs-récepteurs, prit son bicorne sous le bras, et se leva.
— Merci pour la leçon, Senex.
Ce dernier se retourna, tapota sa robe pour en faire tomber la poussière, et lui adressa un sourire rassurant.
— Ne t’en fait pas trop pour ça, lui dit-il, ce n’est qu’une question de temps avant que ton père ne soit libérer de ses obligations. Dès que la guerre sera finie, il nous reviendra, en meilleure forme que jamais, et il sera très fière de voir l’intelligente jeune fille que tu es devenue.
Elle eut un timide sourire.
— Merci, Senex, c’est gentil de dire ça.
Elle sortit de son bureau. Dans le séjour, Marisa réclama son aide pour mettre la table. Le temps de retourner déposer les radios miniatures dans le coffre d’Angora —qui lisait paisiblement un livre— et elle s’affairait avec sa gouvernante.
L’odeur des macarons au miel emplit peu à peu la pièce. On s’attabla de bonne heure alors que les domestiques rentraient chez elles. Autour de la table il n’y avait que Senex, Marisa et Angora qui, à la fin du repas, disposèrent quelques bougies au centre de la table.
Yulia les souffla toutes. Elle eut treize ans.