Hello !
Me voilà avec le chapitre 11 ! Celui-là, j'ai adoré l'écrire alors j'espère que aimerez ! Bonne lecture !
Chapitre 11
Je sortis enfin sur le balcon. L’air frais de la nuit me fit du bien et repoussa un peu la nausée qui commençait à grimper. Elle n’était pas due à mon « radar » à vampires, mais plutôt à mon inquiétude omniprésente et à un sentiment de honte, je devais bien l’avouer. Oui, au milieu de toutes ces personnes, j’avais honte d’être humaine, alors que je ne le devrais pas.
Tic, tac.
Tic, tac.
Pas maintenant, Connor.
Je poussai une longue expiration, puisque j’avais retenu mon souffle le long de mon trajet jusqu’à l’extérieur. Je mis mes mains sur la rambarde, si fort que les jointures de mes doigts blanchirent. Mes lèvres se mirent à trembler et je dus les serrer afin de ne pas me mettre à sangloter.
Je décelai une infime trace noirâtre, sur la peau de mon poignet droite, qui ne se voyait presque plus, apparue la veille. Il semblerait que les marques ne soient pas dues qu’à mon pouvoir principal, mais que les autres pouvaient aussi déclencher cette réaction. Et je m’étais beaucoup entraînée, ces derniers jours. Mais tout ramenait sans cesse à mes ombres.
Je ne veux pas être ici. Je ne veux pas entrer dans ce monde-là.
Mais était-ce réellement ce que je pensais ? Ce qui me faisait le plus mal, c’était de réaliser que sans cela, je n’aurais pas appris à contrôler mes pouvoirs, je me serais toujours sentie rejetée partout où j’allais et je serais restée éloignée des autres afin qu’ils ne voient pas ce qui clochait chez moi.
Ce qui me faisait le plus mal, c’était de savoir que je ne voulais pas changer de vie, mais que pourtant, maintenant, ce serait trop tard pour revenir en arrière, même si plus personne ne voulait mettre mon existence en péril, que j’étais libre de retourner chez moi.
Avais-je seulement jamais eu un
chez-moi ? Comment pourrais-je reprendre un quotidien normal après tout ça ?
Tout avait basculé. Absolument tout. J’étais heureuse d’avoir débloqué mes pouvoirs, mais je savais que je ne pourrais plus m’en servir en dehors du manoir. Quelque part, j’étais finalement plus libre avec les River que dans le monde des humains. Seulement, ce n’était pas non plus mon monde à moi. C’était bien ce que tous ces vampires me faisaient comprendre, et ce que je m’étais répété à longueur de journée.
Je ne savais pas quoi faire. Il n’y avait plus qu’à espérer que je pourrais me sentir bien un jour, dans mon appartement. Sans vampires.
Parce que tu te sentais bien, avant ?
Je sentis une larme rouler sur ma joue.
J’entendis la porte s’ouvrir et se refermer, derrière moi. Je me raidis. J’entendis des bruits de pas jusqu’à ce que la personne se place à côté de moi. Je ne voyais pas de qui il s’agissait, avec mes longs cheveux roux retombant de chaque côté de mon visage.
— Bonsoir, retentit une voix masculine que je ne connaissais pas.
Je dus me faire force pour ne pas me mettre à trembler. Et je haïs la première pensée qui me vint, à ce moment-là :
Ce n’est pas Connor.
Ce n’était pas parce qu’il ne s’agissait pas de mon ex-copain, que le danger était loin. Il pouvait m’arriver tout et n’importe quoi, ici.
Et aussitôt, mon esprit se retrouva coincé, l’espace d’un instant, dans le passé :
Le vampire me relâcha sans douceur. Chancelante, je ne pus tenir sur mes jambes et m’effondrai sur le sol. Ma joue rencontra les pavés froids et mon regard était embrumé. Je n’avais plus de forces. La douleur dans mon cou était insupportable.
Plus loin, ma mère sanglotait.
— Laissez-la… S’il vous plaît…, le pria-t-elle.
— Continue, Malia. J’adore quand tu me supplies, ricana-t-il en s’approchant à nouveau d’elle.
Je dus cligner des yeux, car l’instant d’après, il la mordait, elle aussi. Je la vis se débattre, dans ses bras, jusqu’à ce que ses mouvements se fassent finalement plus espacés, plus faibles.
Et cela fut comme un déclic. Je parvins à lever une main et, poussée par mon instinct, j’inspirai profondément et visualisai quelque chose.
Une épaisse fumée noirâtre qui s’échappa de ma paume et percuta le vampire à la tête.
Il laissa tomber ma mère dans un cri de douleur et porta ses mains à ses tempes. Je voulais qu’elle s’enfuie, mais à la place, elle se mit à ramper vers moi.
— Maman…
Malheureusement, la fumée disparut. Je ne parvins pas à la maintenir. J’ignorais même comment j’avais réussi à faire cela. Je ne pus la rappeler, non plus.
Libéré de cette entrave, furieux, il se jeta sur moi. Il me souleva par le col et mon visage se retrouva presque contre le sien. Il me regarda droit dans les yeux. Je tressaillis en avisant ses deux billes d’un rouge sang.
— Ne fais plus un geste, me dicta-t-il. Ne tente plus rien. Tu vas seulement regarder.
Aussitôt, toute énergie et toute volonté me quitta. Il me reposa et je ne fis rien. Plus rien. C’était comme s’il m’avait hypnotisée. Dès qu’une part de moi voulait se battre, une autre, plus forte, l’étouffait en lui rappelant les dernières paroles du vampire.
Je ne pus qu’observer ma mère aux mains de ce monstre.
Je revins à la réalité quand je songeai que je ne voulais plus que cela arrive. Plus jamais je ne resterais impuissante.
Je me raclai la gorge, sans regarder le nouveau venu. Je ne voulais pas lui montrer mes larmes. Il sentait déjà que j’avais peur, c’était amplement suffisant.
Je me tins prête à faire appel à mon pouvoir, en cas de besoin.
— Bonsoir, répondis-je.
— Que fais-tu seule ?
J’entendais son sourire dans sa voix. Je sentais qu’il n’avait rien de sympathique.
— J’avais besoin de prendre l’air.
— Loin de tes amis ? s’amusa-t-il.
Une nouvelle tension s’empara de mon corps, quand il s’approcha.
— Je vais vous demander de rester à bonne distance, parvins-je à dire.
Il y eut un petit silence, avant qu’il ne me fasse part de son hilarité.
— Tu penses être en position de me dire quoi faire ?
— Écoutez, si vous ne voulez pas d’ennuis…, commençai-je.
— Quels ennuis pourrais-je bien craindre, chère humaine ?
Je n’eus pas le temps de répondre. Je sentis une deuxième présence, derrière nous, ce qui me fit sursauter. Mais je m’apaisai quand je m’aperçus que l’aura m’était familière.
Adam venait d’arriver.
— C’est moi, les ennuis, déclara-t-il.
Je ressentis du soulagement. Sa voix dégoulinait de sarcasme, mais il aurait fallu être fou pour ne pas percevoir toute la dangerosité dans son ton.
D’un geste rapide, j’essuyai mes larmes et pivotai légèrement ma tête dans leur direction. Adam dardait sur le vampire un regard foudroyant.
— Ils veulent savoir comment se porte l’humaine, se justifia l’intrus.
Le blond me regarda, afin de s’assurer que j’allais bien, puis reporta son attention sur lui.
— Il me semble que
l’humaine se porte à merveilles, rétorqua-t-il. Tu n’avais pas besoin de t’approcher aussi près pour le constater.
Les lèvres de l’inconnu esquissèrent un sourire atroce. Il se tourna vers moi et leva une main pour toucher mon cou. Je me figeai, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture.
— Elle sent si bon, répondit-il, impossible de résister…
J’eus un hoquet de surprise quand il fut éloigné de moi en une fraction de seconde et qu’il fut projeté contre la rambarde à l’opposé de moi. Les mouvements avaient été si rapides qu’ils en étaient flous. Je crus que l’intrus allait dégringoler les étages, mais il s’était rattrapé avant de passer par-dessus le balcon.
Adam se tenait entre nous deux.
— À ce que je sache, nous pouvons résister, dans notre clan, cracha-t-il. Nous ne l’avons pas attaquée et ce malgré ce parfum si envoûtant que tu décris. Cela ne sert à rien de te cacher derrière cette excuse. Parfois, il est seulement question de volonté et tu n’es pas un nouveau vampire. Tu sais te contrôler.
Il s’approcha de lui et chacun de ses pas me faisait penser à ceux d’un lion s’apprêtant à fondre sur une proie. Le vampire ne fit pas un seul geste, n’osant même pas se redresser. Adam s’abaissa pour être à sa hauteur.
— Tu n’as pas intérêt à poser tes mains sur elle, reprit Adam. Et tu vas aller rappeler à tous ceux à qui cela viendrait à l’idée, qu'elle est sous notre protection, avec l'accord du roi ou non, et que le prochain qui tente de lui faire du mal ne connaîtra pas un sort aussi clément que le tien. Je m’en chargerai personnellement. Je n'ai pas peur des punitions qui pourraient m'attendre. C'est compris ?
Mon cœur s’était mis à battre bien plus vite, au point que cela me fit peur. J’allais réellement mourir d’un arrêt cardiaque, ce soir.
Adam était effrayant. Il n’avait même pas besoin de le frapper, de l’immobiliser ou quelque chose dans ce genre-là. Les mots suffisaient. Je n’aurais su dire si j’étais terrifiée par lui ou, au contraire, si je me sentais en sécurité.
L’inconnu écarquilla les yeux.
— C'est compris ? répéta Adam, impatient.
Son interlocuteur finit par hocher la tête. Le chef River se releva.
— Bien, fit-il avec détachement.
Il s’éloigna d’un pas. Le vampire n’hésita pas une seconde avant de s’en aller, rejoignant la salle pleine de convives. Il devait être ravi d’être encore en vie. Je pus mieux respirer.
Lentement, Adam se retourna afin de me faire face. Je déglutis, mais parvins à soutenir son regard.
Je me rendis compte que les battements de mon cœur s’étaient calmés. Pourtant, j’aurais dû être affolée, en présence de cet homme.
Ce n’était pas le cas. En fin de compte, j’avais eu bien plus peur de l’idée que Connor, l’humain, soit présent, que d’Adam, le vampire. Cela en disait long.
— Je voulais te laisser souffler un peu, puis j’ai vu que tu étais en mauvaise compagnie, m’expliqua-t-il.
J’opinai, puis poussai un long soupir, en m’agrippant à nouveau à la rambarde. Je pris une profonde inspiration. J’étais sûre que Lucian et April avaient remarqué que je n’étais plus seule, mais s’ils n’étaient pas intervenus, c’était parce qu’ils savaient qu’Adam s’occuperait de tout. Ils avaient confiance en lui.
— Serais-tu déçue que je ne sois pas arrivé plus tôt ? lança-t-il sur un ton léger. Ou que je sois là ?
Sa dernière phrase avait été prononcée avec sérieux.
— Veux-tu que je parte ? s’enquit-il.
Il était sincèrement inquiet de m’avoir fait peur. Je secouai la tête.
— Non, répondis-je. Et… merci.
— Tu n’as pas à me remercier. C’est normal.
Il avança en veillant à ne pas trop m’approcher.
— Cela devait être le Paradis, puisque je n’étais pas là, ajouta-t-il.
Cela me fit sourire. Puis je me demandai s’il plaisantait, ou s’il le pensait réellement.
— Eh bien… Ce n’était pas si calme que ça, répondis-je sur le même ton que lui. Je suppose que ça ne change rien, alors.
Il rit.
— Tu prétends que ma présence sème le chaos ? releva-t-il.
Je fis claquer ma langue.
— Je n’irais pas jusque-là, m’amusai-je. Ce serait te donner trop d’importance.
Je lui jetai un regard en biais. Son visage paraissait plus joyeux. Ses yeux étaient perdus sur l’horizon, mais je savais qu’il était très attentif envers notre échange.
— Exactement, confirma-t-il. Tu vois, il est important que tu me remettes sur le droit chemin comme tu viens de le faire. Sinon, imagine un peu... (Il grimaça.) Je deviendrais encore plus insupportable.
— Personne ne voudrait l’imaginer.
Du coin de l’œil, je vis ses bras croisés se poser sur la rambarde. Il poussa un soupir théâtral.
— Cette soirée est ennuyeuse à mourir. Je préfère dix fois plus quand il y a quelques combats.
Ce qui aurait pu arriver, si le vampire qui était venu sur le balcon, avait refusé d’abandonner la partie. Même si j’avais décelé la plaisanterie dans ses paroles, j’ignorais si Adam aurait été ravi à l’idée de l’affronter. Probablement.
— Combats auxquels tu participes, j’imagine ? souris-je.
— On ne peut rien te cacher.
Un ange passa.
— Parfois je rêve que quelqu’un leur enlève le balais qu’ils ont dans le cul, déclara-t-il.
Je pouffai, ne m’attendant pas à cela. Et cela faisait du bien, de rire ainsi. J’étais d’ailleurs à peu près certaine que les vampires les plus proches de la fenêtre nous entendaient, à moins qu’ils aient appris à faire abstraction des bruits qui ne les intéressaient pas.
— Et dire que tu les supportes depuis quatre siècles, hein, soufflai-je, entrant dans son jeu.
J’avais besoin d’un peu de légèreté. Et il le savait.
—
Bientôt quatre siècles, en fait, précisa-t-il.
Une fois sûre que plus aucune larme ne coulerait, je tournai la tête vers lui. Il me regardait en arborant un sourire en coin. Je sentis ma poitrine se serrer à cette vue. Ses yeux noirs étaient empreints d’espièglerie ainsi que de tendresse. Envers moi. Ses cheveux d’un blond foncé retombaient joliment autour de son visage plus doux, en cet instant, et il portait un costume noir et blanc qui lui seyait à ravir.
Je devais bien admettre qu’il était magnifique.
— Bientôt ? relevai-je.
— J’ai trois-cent-quatre-vingt-dix-neuf ans.
— Waouh. Les quatre-cents sont pour quand ? m’intéressai-je.
— Dans quelques mois.
— Ça se fête, souris-je.
— Si tu es toujours au manoir d’ici là, tu pourras y assister.
Mon cœur manqua un battement, puisque cela me rappela assez douloureusement le dilemme que je ressentais. À savoir que je resterais au manoir un temps indéterminé, et que je devrais partir. J’avais envie de figer cet instant-là afin de ne pas avoir à vivre la suite. Je ne savais pas où était ma place.
« Adapte-toi. »
Les mots de Nora me revinrent en mémoire. Une nouvelle détermination me saisit. Je n’allais pas penser au futur maintenant. J’allais prendre chaque jour comme il venait en vivant en vampire, parmi eux, afin de survivre, dans un premier temps. Et puisque je n’allais pas partir de sitôt du manoir, autant penser comme si j’allais y rester, pour l’instant.
— Avec plaisir, répondis-je. Mais que peut-on offrir en cadeau, à un vampire qui vient d’avoir quatre-cents ans ?
Il rit, et je me mis à sourire un peu plus, enchantée par ce doux son.
— Aucune idée, admit-il.
— Je trouverai bien, fis-je avec légèreté. (Je levai un index.) Tu sais quoi ? Même si je suis partie d’ici là, je reviendrai spécialement pour cet événement.
Je me rendis compte que j’étais tout à fait sérieuse, finalement, alors que j’avais dit cela sur un ton amusé.
Il haussa un sourcil, perplexe, mais agréablement surpris.
— Ne dis pas ça à la légère, parce que si tu ne te pointes pas, je viendrai te chercher. Une promesse est une promesse, me menaça-t-il.
— Il faudrait que tu saches où me trouver, le provoquai-je.
— Oh... Je ne résiste jamais à un défi. Et je suis assez doué pour les remporter.
Mes lèvres s’étirèrent un peu plus.
— Tu n’en auras pas besoin. Je serai là, assurai-je.
Je regardai à nouveau devant moi avant de me noyer dans ses yeux, qui étaient deux puits sans fond. Malgré la fraîcheur, je sentis la chaleur s’insinuer en moi. Le silence retomba et je remarquai que j’étais bien plus calme. Plus détendue.
— Tu t’en es bien sortie avec les enfants, déclara-t-il soudainement. Tu les as apprivoisés en un éclair.
Je ne pus m’empêcher d’avoir un air fier.
— Une fois qu’on sait comment parler aux enfants, ça devient facile, répondis-je.
— Peut-être bien. Mais Tina est intenable, d’habitude.
— Rien de tel que des animaux en ombres pour se les mettre dans la poche, plaisantai-je.
Je penchai la tête sur le côté.
— J’ignorais que des vampires étaient capables de procréer. Est-ce qu’un… humain et un vampire peuvent avoir des enfants, aussi ?
— Non. Pas dans ce cas de figure. Mais c’est possible pour deux vampires, même si ça n’arrive pas très souvent. Il faut faire très attention, avec eux. Ils ont tout, des enfants humains, avec la naïveté et l’inconscience de ce qui est bien ou non, avec la soif de sang en plus, m’apprit-il.
Sa mâchoire se contracta.
— Et l’éducation de parents vampires qui se croient supérieurs au reste du monde, la plupart du temps, termina-t-il, dépité.
Je grimaçai en imaginant un de ces enfants mordre à tout va, spontanément, poussé par ses pulsions et ses caprices.
— En effet…
Heureusement, je m’en étais bien tirée, avec ces trois garnements.
— Mais j’y suis arrivée, ajoutai-je.
— Exactement. Tu as aussi tenu tête à Anselme, ricana-t-il. Le plus capricieux de tous. Je me demande où tu vas t’arrêter.
— Et si je décide de ne pas m’arrêter ? fis-je avec un air de défi.
Cette fois, ce fut à son tour d’arborer une mine fière.
— Je ne pourrai que te soutenir, affirma-t-il. J’aime voir leur tête quand quelqu’un leur montre qu’ils ne gouvernent pas tout. Ils n’ont pas le droit de te marcher dessus et je suis ravi de voir que tu ne te laisses pas faire.
Je me sentis presque pousser des ailes.
— Je pense que le roi ne serait pas de cet avis, soupirai-je.
— Il ne fera rien contre toi.
— Comment tu peux le savoir ?
— Je ne le laisserai pas faire, laissa-t-il échapper instantanément.
Je restai bouche-bée en voyant une lueur bien particulière dans son regard. Il paraissait vraiment prêt à affronter Savari.
— Et les autres lui feraient bien comprendre qu’ils ne sont pas d’accord non plus, ajouta-t-il.
Je secouai la tête.
— Vous n’aurez pas besoin d’en arriver là, me forçai-je à sourire. Je saurai me tenir à carreaux quand la situation le demandera. Je n’ai pas envie que ça se termine en bain de sang, le rassurai-je.
— Dommage. Ça mettrait un peu d’ambiance, ironisa-t-il.
Parfois il me faisait aussi peur que Nora.
— Tu aurais envie de souffrir ? l’interrogeai-je dans un léger rire.
— Qui te dit que ça ne serait pas lui, qui souffrirait ?
— Parce que tu penses que tous les autres vampires présents dans la salle ne riposteraient pas pour protéger leur souverain ?
— Tu serais surprise du nombre de vampires qui ne l’apprécient pas spécialement.
Eh ben… Ce monde vampirique était décidément très joyeux.
Le silence retomba sur le balcon, seulement perturbé par les bruits des voitures, sur les routes, plus loin, ainsi que la musique et les conversations qui nous parvenaient. J’étais contente de ne pas percevoir bien mieux tout cela, contrairement à Adam et son ouïe surdéveloppée. Cela devait être un brouhaha infernal. Je me demandais comment il faisait pour le supporter. Et je comprenais mieux pourquoi Cristobal n’était pas venu : dans cette foule, cela aurait été dur pour lui de faire abstraction de toutes les émotions dans l’air.
— Ils sont jaloux, déclara-t-il soudainement, me faisant presque sursauter.
— Quoi ?
— Tu représentes ce qu’ils ne sont plus. Ta peau est chaude, ton cœur bat. Et malgré tout le mal qu’ils pourraient dire de toi, ici, tu es unique. Une humaine au milieu des vampires, qui est pourtant intouchable, et qui rayonne. Car c’est bien le cas.
Il m’adressa un sourire que je ne savais pas comment interpréter, mais qui me coupa le souffle.
— Tu rayonnes, répéta-t-il. Ils pensent incarner la perfection mais tu les éclipses facilement. Cela en rend plus d’un fou de rage, surtout venant d’un humain.
— Je ne suis pas parfaite, bredouillai-je.
— C’est justement ça, qui fait la différence. Ils s’efforcent de l’être tout en regrettant de ne plus pouvoir être comme toi. Et toi, tu n’as pas besoin d’être comme eux pour te trouver à égalité.
Je le fixai, alors qu’il regardait à nouveau devant lui. Je ne savais pas quoi répondre. Je me demandais même si j’avais bien compris ce qu’il voulait dire.
— Pour toi, je vaux autant qu’eux ? demandai-je.
— Bien plus qu’eux.
— Parce que je suis humaine ?
Ses yeux noirs rencontrèrent les miens.
— Pas seulement. Parce que tu es
toi. Que tu dégages quelque chose d’authentique, de magnifique.
Je soutins son regard, incapable de détourner mon attention. Avais-je vraiment cette aura ? D’autres vampires seraient-ils d’accord avec sa déduction ?
Ou bien était-ce vrai à
ses yeux ? À
lui seul ?
Je n’avais pas oublié ce qu’avait dit Nora : nos rêves partagés, faisaient beaucoup de bien à Adam, même s’il était également déçu qu’ils ne soient pas réels. Tout comme moi. Et nous l’avions avoué, lors de ces songes, plusieurs fois.
Peut-être qu’ils avaient eu bien plus d’impact sur nous que je ne l’avais imaginé. Je le connaissais mieux, maintenant, et je percevais toujours le vampire qui était présent dans mes rêves.
Ce constat m’horrifia, puisque je ne devais pas m’aventurer là-dedans, pour bien des raisons, pourtant, je me surpris à sourire tendrement, prise dans ces pensées.
— Qu’y a-t-il ? s’enquit-il, sa voix douce et profonde comme du velours.
Je me ressaisis, sans pour autant reprendre mon sérieux.
— Rien, mentis-je.
Désireuse de changer de sujet avant qu’il ne pousse sa curiosité plus loin et que j’en vienne à prononcer des mots que j’aurais sans doute regretté, je demandai :
— Qu’est-ce que je sens ?
— Pardon ? s’esclaffa-t-il, perplexe.
— Mon sang. De quoi a-t-il l’odeur ?
Je haussai une épaule.
— Vous êtes plusieurs à dire que mon parfum est agréable. Alors je suis curieuse.
Il baissa les paupières à demi, me jaugeant, avec un air pensif. Puis il eut son habituel sourire en coin.
— Les notes typiques du groupe sanguin AB négatif, commença-t-il, et… une pointe florale et fruitée. Un mélange de rose et de fraise, je dirais.
J’écarquillai les yeux. Sérieusement ? Ce fut à mon tour d’être perplexe.
— Waouh…
Je me doutais que les vampires avaient des préférences concernant les rhésus, puisque j’avais aperçu les précisions sur les poches de sang et qu’Emma prenait beaucoup de O négatif. Mais j’ignorais qu’ils pouvaient le savoir à l’odeur, et non seulement au goût.
— Pourquoi rose et fraise… ? me demandai-je à moi-même, tout bas.
— Chaque personne a une odeur bien particulière, qui peut être surprenante.
J’eus finalement une moue approbatrice.
— Ça me va, finis-je par accepter.
Tant que personne ne venait me mordre pour cette raison.
— Comment se fait-il que vous soyez autant attirés par des odeurs rappelant parfois la nourriture humaine, alors que vous ne l’appréciez plus ?
Il haussa les sourcils, puis arbora une mine pensive.
— Je n’en sais rien. Peut-être est-ce un écho de notre humanité qui nous a échappé. Et par le sang… tout est décuplé. C’est sûrement parce que c’est le seul moyen de nous remémorer ces choses-là.
J’en fus bouche-bée. Je ne m’étais pas attendue à cette réponse. Cela ne relevait que de l’hypothèse, mais elle me paraissait tout à fait crédible.
La baie vitrée, derrière nous, s’ouvrit.
— Tout va bien ? entendis-je.
Nora. Je lui fis un signe de la main.
— Oui, je voulais juste prendre un peu l’air, avouai-je.
Elle opina, puis retourna dans la salle, après avoir fermé la fenêtre. Je soupirai.
— On retourne à l’intérieur ? me proposa Adam.
Je grimaçai.
— Hum… Je ne suis pas vraiment la bienvenue, alors…
— Et si on disait qu’on s’en fout complètement de leur avis ?
Je secouai la tête, l’esquisse d’un rictus sur les lèvres.
— Je ne pense pas que ça change grand-chose, répondis-je.
Il me tendit la main. Je fronçai les sourcils, un peu hésitante.
— Je vais faire danser
l’humaine, sourit-il.
— Un chef River ? Qui danse avec l’humaine ? Ça va faire jaser.
Il me fit un clin d’œil.
— Qu’ils parlent, alors. Ils ne nous donneront que plus d’importance, s’amusa-t-il.
Je laissai échapper un rire en prenant finalement sa main. « L’humaine ». Il avait repris les mots que tout le monde ici utilisait. Pourtant, lui, il ne s’en servait pas de la même manière. Cela sonnait autrement, dans sa bouche.
Nous retournâmes dans la grande salle. Sur notre passage, des vampires s’écartèrent. Adam avançait comme s’il n’y avait personne, avec moi à son bras. Je savais ce qu’il faisait : puisqu’ils avaient décidé de me traiter en moins que rien, il leur montrait qu’il n’était pas prêt à les laisser m’écraser facilement. Ils me considéraient comme un être inférieur et il rectifiait le tir, tout en me laissant l’opportunité de faire de même, de prendre confiance.
Je marchai donc la tête haute, à ses côtés. Je croisai les regards surpris des autres River présents, puis Nora parût sur le point d’exploser de joie. Pour elle, cela devait être comme si nous venions de faire un doigt d’honneur à tous ces vampires.
Certains ne manquèrent pas de me jeter des regards d'incompréhension et de dédain, avant de fusiller Adam des yeux. Beaucoup ne devaient pas comprendre qu’il puisse vouloir me traiter correctement.
— Bonne soirée à vous aussi, chers camarades, fit-il avec cynisme en les croisant, toujours muni de son sourire insolent.
— Adam, accompagné de sa banque de sang, ricana l'un d'eux. Comme c’est mignon.
Je me mordis la lèvre.
— Serais-tu jaloux ? rétorqua-t-il avec un air vaguement amusé.
Mais je savais qu’il avait probablement envie de lui casser le nez.
Pour toute réponse, l’autre émit un sifflement qui me semblait injurieux, avant de s’en aller. Adam poussa un soupir dramatique.
— Ah... Finalement, on ne s’ennuie pas tant que ça, ici.
Nous finîmes par nous arrêter et nous tînmes l’un en face de l’autre. Tous les autres, autour de nous, étaient comme figés dans l’espace, le temps. Ils ne respiraient pas, ne le faisaient pas non plus par habitude. J’aurais tout aussi bien pu être entourée de statues. Seul le fait qu’ils esquissent des mouvements démontrait le contraire.
Pourtant, Adam, lui, ne me renvoyait pas la même sensation. À mes yeux, il n’était pas figé. Il était réel. Le seul à l’être vraiment. Même s’il ne respirait pas.
— Ne les écoute pas. Tu es bien plus que du sang, me dit-il, solennel.
C’était exactement ce à quoi j’avais pensé, avant d’entrer dans la grande salle.
Je vais leur montrer que je ne suis pas juste du sang sur pattes. Nous étions sur la même longueur d’ondes. Je lui souris, touchée qu’il fasse en sorte de me rassurer.
Il prit une de mes mains dans la sienne et plaça l’autre dans mon dos. En me rapprochant de lui, je perçus son parfum délicat, capiteux. Une subtile effluve poivrée, fugace, ainsi que des notes fraîches, m’évoquant la nature. Il passait beaucoup de temps dehors et j’avais la sensation que les fragrances du jardin du manoir lui collaient à la peau. C’était très agréable.
— Je tiens à te prévenir que je suis nulle en danse, lui murmurai-je.
Cela le fit rire.
— Je vais t’apprendre, alors.
Je suivis maladroitement ses pas au début, mais je parvins à prendre le pli au fil des minutes. Je me concentrai finalement sur son visage, en essayant de ne pas trop penser à nos pieds, car cela aurait pu me faire trébucher, me laissant simplement porter.
Du coin de l’œil, je remarquai que notre duo accaparait l’attention de certains.
— On nous regarde, chuchotai-je rien que pour lui.
— Grand bien leur fasse, ironisa-t-il.
Le coin de ses lèvres se releva.
— Oublie les, me conseilla-t-il.
Une bouffée de tendresse me saisit.
— Merci, soufflai-je à nouveau.
— De quoi ?
— Pour tout ça.
Il me décocha un regard complice.
— Je ne veux pas que tu les laisses t’oppresser, m’apprit-il. Je veux que tu voies à quel point tu peux être redoutable, toi aussi.
Il leva mon bras pour me faire tourner. Quand je me retrouvai à nouveau face à lui, il avait repris son sérieux.
— Je veux que tu te sentes à ta place n’importe où. Nous avons tendance à croire que nous sommes au-dessus de tout, poursuivit-il. Mais ce n’est pas notre monde. C’est le monde des humains et sous prétexte que nous sommes un jour apparus, il devrait nous appartenir ? (Il secoua la tête.)
Nous ne sommes pas vraiment à notre place. Vous, si.
Ses paroles furent comme un coup au cœur. Je le dévisageai, alors que nous continuions à virevolter, et je faillis même lui marcher sur le pied, de surprise.
— Adam…
Je pris une inspiration.
— Tu as ta place ici, déclarai-je.
Je voulais mettre toute ma sincérité dans mes mots. Je le regardai avec sérieux et affection. Ce qu’il venait de dire m’avait touchée.
— Réellement, poursuivis-je. Ne crois jamais le contraire.
Il resta silencieux et je ne sus si cela voulait dire qu’il rejetait mon affirmation, ou s’il y réfléchissait.
— Avant d’être des humains ou des vampires, nous sommes des
personnes, continuai-je. Au début, je vous associais surtout à des monstres, mais vous n’avez pas le monopole de la cruauté. Les humains sont capables d’horribles choses, mais aussi du meilleur. Comme vous. Comme
toi. Il est facile de condamner tous les vampires pour la bêtise de certains, quand les humains peuvent être aussi pourris que les pires d'entre vous.
Quand ces paroles franchirent mes lèvres, je me rendis compte à quel point ma vision des choses avait évolué. Je ne pouvais pas considérer les River comme des monstres. Des personnes qui prenaient soin de moi, avec qui je passais de bons moments, qui faisaient en sorte que je ne me sente pas rejetée et qui me défendaient.
Et je m’étais attachée à eux. Irrévocablement. Même si je ne resterais pas éternellement. C’était également pour ça que je m’étais sentie mal, avant qu’Adam n’arrive sur le balcon.
Il ne disait toujours rien, mais son regard s’assombrit. Mes mots l’avaient bel et bien atteint, quelque part.
— Tu ne me vois plus comme un monstre ? chuchota-t-il.
Il n’avait pas demandé si je ne
les voyais plus comme tel. Il voulait connaître ma réponse, le concernant
lui. Était-ce parce qu’il était important pour lui que je ne le craigne pas, et qu’il voulait en être certain, ou bien parce qu’il avait du mal à croire qu’il n’était pas effroyable ? Peut-être un mélange des deux ?
— Je crois même que je ne t’ai
jamais vu comme un monstre, Adam, affirmai-je. Non, en réalité, c’est même sûr.
Il soutint mon regard. Je plongeai dans les ténèbres de ses yeux et je m’y sentis bien. Après tout, les ombres, l’obscurité, c’était mon domaine.
— Je ne sais rien de ton passé, mais as-tu eu le choix, de devenir un vampire ? demandai-je.
— Non, souffla-t-il.
J’eus un pincement au cœur. J’étais révoltée à l’idée qu’on l’ait forcé à devenir une créature qu’il ne voulait pas incarner. Un élan de compassion pour lui me saisit, ainsi que de la colère envers le coupable.
— Alors tu n'as rien demandé à personne. Même si tu l’avais voulu, d’ailleurs, cela n’aurait rien changé, pour moi. Mais tu as été jeté dans ce monde, que tu ne comprenais peut-être pas encore et tu as sûrement essayé de te débrouiller du mieux que tu pouvais. Il serait plutôt monstrueux de
notre part de te reprocher cela, parce que tu es différent, alors même que tu n’as pas eu le choix.
— Tu ne sais pas ce qu’il s’est passé, répliqua-t-il.
Je savais que c’était une tentative de sa part de s’éloigner de ce que mes mots lui faisaient ressentir. Il devait s’être accroché à l’idée qu’il était une créature de cauchemar, et cela devait être inquiétant de se mettre à penser différemment.
— Mais est-ce que je me trompe ? insistai-je.
Ses mâchoires se serrèrent et il détourna le regard, un instant. Il finit par soupirer.
— Tu ne te trompes pas, avoua-t-il.
Je pressai ses doigts, essayant de le réconforter, le rassurer. Lui montrer que je n’allais pas m’enfuir.
— Je ne t’ai pas donné cette impression, repris-je, quand nous nous sommes rencontrés dans la réalité, mais je suis heureuse d’avoir fait ta connaissance. Sincèrement.
Ses yeux s’ancrèrent à nouveau dans les miens et mon souffle se coupa devant leur intensité. Nous continuâmes à virevolter pendant quelques secondes. Alors que la musique et les conversations autour de nous étaient fortes, dans notre bulle, le silence régna. Il finit par le briser :
— J’en suis heureux aussi.
Il me sourit et je sentis ma poitrine se gonfler d’un sentiment auquel je n’avais pas encore goûté depuis que nous étions arrivés dans ce lieu : de la gaieté.
Je pris une expression plus joviale, afin d’alléger cette discussion.
— Et si comme tu le dis, je suis vraiment
exceptionnelle, alors je danse forcément avec quelqu’un qui l’est tout autant, non ? souris-je.
Au moins, cela eut le don de l’amuser. Certes, il n’avait jamais dit « exceptionnelle », mais si cela pouvait le dérider…
— Tu me montres que je suis formidable, poursuivis-je sur un ton théâtral. (Oui, j’aimais utiliser des termes qu’il n’avait pas dit, exprès.) À mon tour de te montrer que tu l’es aussi.
— Tu n’es pas croyable, ricana-t-il.
— Non, je suis
exceptionnelle. Faut suivre, un peu.
Les gens autour de nous devaient se demander pourquoi nous riions comme ça - à moins qu’ils n’aient tout entendu -, mais finalement, je m’en fichais. J’avais réussi à faire abstraction de leurs regards, au moins pendant cette danse. Je me sentais mieux, plus à l’aise, avec Adam. En sécurité.
— Regarde-moi, j’en ai fait du chemin ! Je danse avec un vampire, souris-je. Et pas n’importe lequel : le plus insolent.
— Tu penses m’avoir rendu docile ?
Je pouffai.
— Ce n’est pas ce que j’étais en train de dire, le repris-je.
— Il y a une chose que tu dois savoir aussi, Neeve... Il ne faut jamais faire confiance à un vampire vieux de presque quatre siècles qui fait semblant d'être à ta merci, me prévint-il.
Avant que je ne puisse lui demander ce qu’il entendait par là, il me fit basculer vers l’arrière. Je me retrouvai presque à l’horizontale, tandis qu’il me maintenait, un bras dans mon dos. Son autre main était toujours dans la mienne. Son regard était rieur et, passé le choc, je me remis à rire.
— Tu es un danseur hors pair, le complimentai-je.
— Est-ce que ça te fait du bien ? s’enquit-il. Même si c’est avec moi que tu danses ?
— Je crois bien que c’est parce que c’est avec toi que je le fais, que je me sens mieux, lui confiai-je sans détour.
Je n’avais pas hésité une seule seconde à répondre cela. Les mots s’étaient précipités hors de ma gorge.
Je me rendis compte qu’il fixait mes lèvres et la chaleur qui m’enveloppait se développa encore. Quelque part, une petite inquiétude pointa le bout de son nez, mais elle fut vite masquée par une envie plus forte : celle qu’il fasse ce qu’il avait en tête.
J’observai sa bouche en retour et, lentement, il m’aida à me redresser. Nous reprîmes notre danse, lentement, et je me retrouvai très proche de lui.
Il faut que ça s’arrête. Ça ne doit pas arriver.
— Puis-je ? s’éleva une voix mielleuse.
Nous nous stoppâmes et cette fois, je marchai sur le pied de mon compagnon. Finalement, j’étais déçue. Je voulais qu’on nous interrompe, quelques secondes plus tôt, mais apparemment, j’avais changé d’avis.
Je m’excusai rapidement puis avisai le nouveau venu. Il s’agissait d’un homme très grand, qui me dominait de plusieurs têtes, si bien que je dus pencher la mienne pour pouvoir le voir complètement. À sa vue, je sentis ma gorge se serrer, mes poils se hérisser dans ma nuque et ma nausée revenir. Il me faisait presque le même effet qu’Anselme, à la différence que
ce vampire-là, m’inquiétait bien plus. Tout comme le prétendant, lui aussi possédait de longs cheveux blonds, qui lui arrivaient aux épaules. Il n’était pas particulièrement massif, mais sa puissance presque palpable compensait le manque de musculature. Personne n’aurait eu envie de se confronter à lui.
Mais le pire étaient ses yeux d’un gris presque blanc, qui me donnaient l’impression qu’il pouvait voir à travers moi, lire toutes mes pensées et pénétrer mon âme. J’eus envie de triturer mon médaillon, seulement, je me souvins que je ne le portais pas, ce soir. Je me sentais nue, sans lui. J’avais la sensation qu’il me manquait une protection importante, alors que j’avais de quoi contrer la manipulation mentale, dans le tissu de ma robe.
Je crus que la température venait de chuter et je ne pouvais plus bouger. Il tendait une main dans ma direction, en une invitation explicite à danser avec lui. Je ne pus répondre, pendant quelques secondes.
— Neeve, je présume ? relança-t-il devant mon manque de réaction.
Je finis par me ressaisir et hochai doucement la tête. Je me rendis compte que j’étais sur le point de me rapprocher d’Adam, dont l’expression était à nouveau impénétrable, même si son regard était dur, rivé sur le vampire qui venait de nous interrompre et dont l’aura était sur le point de m’étouffer. Je crus qu’il s’agissait du roi, mais sa puissance était apparemment semblable à celle de Lucian ou mon compagnon de rêves, et là, c’était bien plus fort.
— M’accorderiez-vous une danse ? s’enquit-il.
J’aurais préféré éviter, mais quelque chose - l’instinct de survie, sans doute, même si j’ignorais que j’en avais encore un - me dicta qu’il valait mieux accepter.
Je remarquai qu’il regardait désormais Adam, attendant visiblement une réponse.
— Eh bien, c’est à elle de décider, lança ce dernier.
Lui non plus n’avait pas l’air ravi à cette idée.
Je me forçai à sourire, repoussant mon sentiment de répulsion, et tendis la main à mon tour pour saisir celle du nouveau venu.
— Avec plaisir, acceptai-je.
Le sourire en coin que cet homme m’adressa, qui aurait pu être désarmant, ne fit que mettre en branle mes alarmes internes. J’avais l’impression de me jeter dans la gueule du loup.
J’adressai un regard rassurant à Adam, tandis que le vampire nous faisait nous éloigner et que celui qui me rassurait disparaissait petit à petit dans la foule. Mais quelque part, je savais qu’il garderait un œil sur nous, ce qui me permit de mieux respirer malgré tout.
Même si je faisais mon possible pour ne pas trop laisser paraître ce que je ressentais, j’avais du mal à soutenir le regard du vampire. Et cette fois, la musique et la danse ne suffirent pas pour me mettre à l’aise, m’aider, et je lui marchai sur le pied.
— Je suis vraiment désolée, soufflai-je, légèrement affolée.
Il ricana.
— Ce n’est rien. Votre maladresse toute humaine est assez touchante, commenta-t-il.
Je me retins de rouler des yeux. Se sentaient-ils tous vraiment obligés de me rappeler à chaque minute que j’étais humaine ?
Je me composai un faux air amusé.
— Vous ne diriez pas cela si vous en faisiez les frais tous les jours, plaisantai-je.
Il leva un sourcil.
— Est-ce une invitation ? demanda-t-il.
J’écarquillai les yeux.
— Non, ce n’en était pas une.
— Voyons… Ne seriez-vous pas intéressée par quelques délicieux moments en ma compagnie ?
J’avais la gorge sèche, soudainement.
Alerte. Alerte.
— Peut-être dans une autre situation, improvisai-je.
— N’êtes-vous pas attirée par tant de puissance ?
Nerveuse, je me mis à fuir son regard en essayant discrètement de voir où se trouvaient les autres. Je ne discernais que des visages inconnus, autour de moi.
— La puissance ne m’intéresse pas.
Il éclata de rire. J’ignorais si je devais me sentir rassurée, ou tout le contraire.
— J’aime assez votre audace, je dois dire.
— Mon… audace ? bredouillai-je.
— Pour parler ainsi au roi.
Je crus que la salle allait se mettre à tanguer, et pas à cause de notre danse. Je ne savais même pas comment je pouvais encore suivre ses mouvements. Mon corps s’était sans doute mis en pilotage automatique. J’aurais voulu que le sol s’ouvre sous mes pieds. J’avais désormais plus que conscience de tous les regards posés sur nous.
Le roi. Bien sûr. J’aurais dû m’en douter. Mais pourquoi l’aura était-elle si différente de ce à quoi on m’avait préparée ?
C’était sûr que là, je faisais moins la maline.
Et il nous avait vu, Adam et moi, être aussi proches. Alors même qu’il était fiancé à Brooke. J’étais terrifiée à l’idée qu’à cause de cela, les choses aillent au plus mal par la suite.
— Je suis Savari Fiercastel. Et maintenant ? Changeriez-vous d’avis ?
Bon sang, avait-il quelque chose à compenser, pour insister là-dessus ?
Mon absence de réponse était parlante. Il eut un rictus en coin.
— Non, n’est-ce pas ? devina-t-il.
J’avais la sensation que quoi que je dise, c’était trop tard pour me rattraper. Et il le saurait, si je mentais.
Je me sentais si mal que je n’avais qu’une envie : rentrer au manoir, là où finalement, je me sentais en sécurité, contre toute attente. Alors que j’avais voulu fuir cet endroit, les premiers temps, j’aurais désormais tout donné pour me retrouver là-bas. Loin d’ici. Loin du roi.
Merde. Après avoir patienté un bon moment, j’étais enfin face à Savari. Et je haïssais ça.
Je me fis la réflexion qu’Anselme avait sûrement cherché à ressembler au roi. Ils avaient de nombreux points communs, en tout cas. Le plus gros étant le sentiment de danger qu’ils dégageaient tous les deux.
— Non, confirmai-je.
— Pourquoi donc ?
— Vous êtes un peu trop effrayant pour une humaine telle que moi, fis-je sur un ton faussement léger.
Son amusement ne fit que croître, mais je sentis qu’à ses yeux, je venais de me hisser au rang de future proie.
— Ne changez rien, Neeve, sourit-il.
Son regard fut attiré par mon bras, qu’il souleva un peu plus haut. En réalité, son attention était accaparée par mon poignet. Je serrai les lèvres, tandis qu’il observait la marque obscure. Mon cœur s’affola.
— Très intéressant…, chuchota-t-il. (Un frisson glacé parcourût tout mon être.) Vous semblez être une femme pleine de surprises.
Sur ces paroles, il me lâcha - ce qui me permit de respirer à nouveau -, et me fit signe de le suivre. J’eus peur qu’il ne me conduise dans un endroit isolé, mais très vite, je repérai les visages d’April et Lucian. Je soupirai intérieurement de soulagement. Sur le côté, Nora se fraya un chemin jusqu’à nous, tout comme Adam.
Avais-je réussi le test ? Ou s’apprêtait-il à leur dire que tous les vampires qui le voulaient pourraient s’en prendre à moi en toute impunité ?
— Lucian ! April ! s’exclama Savari avec un grand sourire que je devinai être factice. Quel plaisir de vous voir.
Encore.
Il mit l’emphase sur le dernier mot et je dus me retenir de grimacer. Sous-entendait-il qu’il en avait assez de leurs visites ? Je savais qu’ils avaient bataillé pour qu’il daigne m’accorder la protection du clan.
Il accorda à peine un regard à Nora.
Ils ne laissèrent rien paraître. April se mit même à lui sourire comme s’il venait de lui adresser le plus beau des compliments. Elle aussi, elle était forte à ce jeu-là.
— Eh bien, la sécurité de Neeve nous tient à cœur, comme tu as pu le comprendre, répondit-elle.
— En effet, répliqua Savari. Je vois désormais pourquoi elle est si importante, à vos yeux.
Il posa ses pupilles sur moi et je tressaillis. Malgré le maquillage, je devais être pâle à faire peur. Peut-être même plus qu’un vampire qui ne se serait pas nourri.
— Je dois bien avouer qu’elle est intrigante, susurra-t-il.
J’eus du mal à le regarder dans les yeux. Je déglutis. Quand il se détourna enfin de moi, je fermai les paupières une seconde. À ma droite, Adam se rapprocha de moi. Nous fûmes quasiment collés, si bien que le roi, en face de nous, ne pouvait pas voir qu’il venait d’effleurer mes doigts des siens, dans notre dos, en un geste rassurant. Sans réfléchir, je serrai sa main dans la mienne, reconnaissante.
— Brooke n’est pas venue ? s’enquit subitement Savari.
Je serrai les dents pour ne pas répliquer quelque chose que j’aurais regretté. Décidément, plus les minutes passaient, moins je pouvais supporter sa présence.
— Non. Elle avait à faire, rétorqua Adam sèchement.
Son ton contrastait avec la douceur dont il faisait preuve en tenant ma main. Et moi, j’aurais dû réagir autrement. Brooke et lui étaient fiancés, à quoi cela rimait, alors ? Certes, il s’agissait d’un geste rassurant, mais il ne me laissait pas indifférente non plus, cela ne mènerait à rien de bon.
Pourtant, je n’arrivais pas à le lâcher.
— Je vois, soupira Savari sans masquer sa déception.
— Et où se trouve notre reine bien aimée ? intervint Lucian.
Les mâchoires du roi se contractèrent. Mon sauveur avait demandé cela sur un ton innocent, mais je supposai qu’il savait que cela provoquerait cette réaction. Peut-être afin de nous débarrasser de lui ? Pour qu’il s’éloigne enfin ? Je n’étais pas contre.
— Elle ne se sentait pas bien, ce soir, expliqua Savari. Elle a préféré rester dans nos appartements.
Pourtant, les vampires ne tombaient pas malades. Cependant, personne ne réagit, signe que cela devait être habituel. De quoi pouvait bien souffrir la reine ?
Si elle passait sa vie avec cet individu, j’avais bien ma petite idée, en tout cas. Et sans la connaître, je ressentis un élan de compassion envers elle.
— Je vais devoir vous laisser, j’ai bien d’autres personnes à voir, déclara-t-il. (J’opinai, peut-être un peu trop rapidement. Il m’adressa un rictus en coin. Oups.) À très vite, je l’espère.
Je m’empêchai de grimacer, afin de lui sourire en retour. Nous le regardâmes s’éloigner. Je me sentais un peu mieux à chacun des pas qu’il faisait.
Je fronçai les sourcils et, une fois sûre qu’il serait hors de portée de nos paroles, dans le brouhaha de la salle, je chuchotai :
— C’est tout ? Je suis en sécurité, dans le clan, ou non ?
— Il nous fera part de sa réponse dans peu de temps, ne t’en fais pas, me rassura Lucian.
D’accord. Au moins il s’était fait son idée sur moi, nous pouvions partir.
— Je ne savais pas que c’était le roi, lâchai-je. Vous étiez censés avoir une aura similaire.
— C’est le cas. Seulement, tu as dû percevoir la malveillance émaner de lui, surtout, cingla Nora.
Elle paraissait furieuse, le regard toujours rivé sur l’endroit où le roi avait disparu de notre champ de vision.
— Tu n’as pas senti cela, avec nous, quand tu nous as vu la première fois ? m’interrogea Adam.
Je secouai la tête.
— Non, répondis-je. Peut-être que mon instinct me dictait que vous n’étiez pas si terribles.
— Pas si terribles ? releva le vampire aux boucles blondes, avec un air malicieux.
Je levai les yeux au ciel mais j’en fus amusée.
— Parce que tu préférerais que j’aie peur de toi ?
Cela s’avérerait compliqué, surtout s’il continuait à me tenir la main pour me rassurer, par exemple. Un contact que je ferais mieux de rompre, d’ailleurs. Je lâchai la sienne et croisai les bras, avec un air de défi. Si cela le vexa ou le soulagea, il n’en montra rien.
Ce n’était sûrement pas le moment d’avoir ce genre de chamailleries puériles, mais n’importe quelle occasion était bonne à prendre pour rire, après avoir fait face à l’ouragan Savari.
— Pourquoi pas ? répliqua-t-il.
J’allais lui adresser une grimace tout sauf mature, lorsque je me sentis observée. Je sentais comme un point, sur moi. Plus loin, le roi nous observait. Ou plutôt, m’observait
moi. Il reporta son attention sur une femme qui se tenait devant lui, avec laquelle il était en grande conversation.
— Il me fout les jetons, avouai-je dans un murmure.
— Au moins, c’est sûr que tu lui as fait une forte impression, commenta Nora.
— Bien. De toute façon, tu m’as dit qu’il ne pourrait pas être obsédé par moi.
Elle se mordit la lèvre et se mit à fuir mon regard. Je craignais le pire.
— Quoi ? insistai-je.
— Il ne sera pas obsédé par toi, fit-elle, sur un ton qui n’était qu’à moitié convaincu.
— On s’en va, déclara April. Je n’aime pas ses regards.
Ok. Ils commençaient sérieusement à m’inquiéter.
— J’arrive tout de suite, j’ai une chose à régler avec Jehan, annonça Lucian.
Il disparût dans la foule.
Alors que je regardais toujours Nora, celle-ci finit par trouver un prétexte pour s’éloigner à son tour :
— Tu n’as pas l’air d’aller bien, je vais te trouver quelque chose à boire.
April, Adam et moi nous retranchâmes dans un coin de la salle le temps qu’ils reviennent. Je jetai un œil autour de moi. Aucune trace de nourriture humaine ou simplement d’eau. Il n’y avait que du sang ou bien des cocktails dont je me méfiais de la contenance.
Au bout de quelques instants, Nora joua des coudes et se faufila parmi des danseurs pour parvenir jusqu’à nous. Elle tenait un verre à la main, rempli de ce qui ressemblait à du jus de fruits.
— Orange, annonça-t-elle en me le donnant. J’en ai pris avant qu’ils s’en servent pour un de leurs mélanges.
— Merci beaucoup.
Adam soupira quand un homme lui fit un signe de la main. Il s’excusa auprès de nous avant d’aller le rejoindre, suivit d’April, qui était demandée également.
— Nous ne sommes plus que toutes les deux, fit remarquer Nora, un peu tendue.
J’eus un faible sourire.
— Peu importe ce que pense le roi, tes conseils étaient bons, voulus-je la rassurer.
Je vis son expression ciller légèrement, même si elle essayait de garder un air neutre.
— Tant mieux, répondit-elle avec détachement.
Je laissai mes yeux parcourir la foule, et ils tombèrent sur Anselme. Il remarqua que je le regardais, et m’offrit un rictus qui me glaça les os. Décidément, il n’avait que peu de choses à apprendre de Savari, côté comportemental.
Et il semblait amusé. Amusé par quoi ?
— Qu’est-ce qu’il veut, lui ? grommela Nora, qui avait suivi mon regard.
J’eus un hoquet de stupeur lorsqu’on me percuta. Ma compagne mit une main contre mon épaule pour que je retrouve mon équilibre. Je tournai la tête et avisai une femme perchée sur des jambes interminables, qui me regarda de haut.
— Pardon, s’excusa-t-elle avec une touche d’ironie. Les vampires ont trop de réflexes pour se laisser bousculer. Je n’ai pas l’habitude de voir un humain, ici.
Je me disais aussi, que cela faisait longtemps qu’on ne m’avait pas renvoyé ma nature à la figure.
— Aucun problème, soupirai-je, n’ayant aucune envie de me prendre la tête à ce moment précis.
La femme saisit une coupe de sang et fit demi-tour.
— Je déteste ces fêtes, clama Nora, qui fusillait le dos de la vampire de ses yeux noisette.
Je hochai la tête, puis portai le verre à mes lèvres afin de me donner une contenance et parce que j’avais bien besoin de sucre. Je vidai le verre d’un trait. Cela faisait du bien.
Nous attendîmes en silence que les autres reviennent. Plus loin, je repérai les trois enfants, qui dansaient. Cette image me fit sourire.
Puis, je sentis ma gorge me brûler un peu. Je fronçai les sourcils, me demandant pourquoi je ressentais cela.
Un homme s’approcha de nous pour se servir un verre, à son tour. Je m’attendais à être à nouveau bousculée pour qu’on puisse se moquer un peu de la petite humaine si fragile, ou à recevoir un commentaire. Mais rien. C’était étrange. Aussi, quand il me jeta un bref coup d’œil, je me tournai vers lui.
— Quoi ? lançai-je. Vous aussi, vous avez quelque chose à dire ?
Il parût décontenancé. Une expression qui était plutôt comique, sur une armoire à glace comme lui. Je n’aurais pas dû vouloir lui chercher des noises, d’ailleurs. Mais j’avais l’impression de ne plus avoir d’inhibiteurs. Peut-être que j’en avais assez de tout ça, et que j’avais atteint ma limite.
— Je vous demande pardon ?
— Neeve, qu’est-ce que tu fous ? siffla Nora entre ses dents.
Je clignai plusieurs fois des yeux, quand je commençai à voir trouble. Et j’avais de plus en plus chaud. Je me tournai vers elle et lui montrai mon verre vide.
— Tu es sûre que ce n’était que du jus d’orange ? demandai-je, perplexe.
— Oui, j’ai vérifié. Pourquoi ?
— Parce que je me sens… bizarre…, admis-je.
C’était tout de même un exploit, que de l’alcool agisse aussi rapidement. Et je ne l’avais pas senti du tout, en buvant.
Elle prit le verre et renifla. Ses jolis yeux marron s’écarquillèrent.
— Oh putain, jura-t-elle. De l’Elixir.
Je reniflai, retroussant mon petit nez.
— C’est quoi l’élixir ? fis-je d’une voix traînante.
Voilà que mon élocution était atteinte. Le vampire à côté de moi ne bougea pas, sûrement fasciné par le spectacle.
— Un alcool spécial pour les vampires, grogna-t-elle. Il n’y en avait pas quand je suis allée t’en chercher !
Elle fusilla l’homme du regard, qui leva ses deux mains en l’air.
— Je viens seulement d’arriver et je me fais déjà engueuler alors que je n’ai absolument rien fait ? s’écria-t-il, outré.
Je plissai les yeux. Plus loin, Anselme était toujours aussi hilare. Tout en nous fixant. Puis je parvins, dans mon esprit soudainement embrumé, à faire le lien avec la femme qui m’avait bousculée.
— C’était elle, déclarai-je. Quand elle m’a poussée. Elle a dû verser ce truc dans mon verre pour s’amuser avec lui, là.
Sur ce, je pointai mon index en direction du prétendant qui était tout sourire. Il poussa même jusqu’à me faire un clin d’œil.
Connard !
L’homme fit abaisser mon bras quand il vit qui je désignais.
— Évitez de faire ça si vous ne voulez pas avoir plus de problèmes, bougonna-t-il.
Oh ? Il était sympa ? Je lui adressai un grand sourire. Le pauvre n’avait pas fini d’être déstabilisé, avec moi. Mais franchement, je ne ressentais même plus la gêne.
— Je vous défie au bras de fer, déclarai-je le plus sérieusement du monde.
Mes yeux devaient pétiller d’enthousiasme, alors que cela relevait de la pure folie. Le colosse haussa un sourcil, un brin moqueur.
— Vraiment ?
— Oui !
— Vous êtes ivre.
— Je ne vois pas le rapport, m’offusquai-je.
Nora mit une main sur mon bras pour m’éloigner.
— Personne ne fera de bras de fer avec personne, soupira-t-elle.
— Mais pourquoi ? geignis-je. Après tout ça je peux bien m’amuser un peu, non ?
— Oui, on va s’amuser sur le trajet du retour, si tu veux bien, grommela-t-elle.
Elle m’entraîna avec elle et je fis un grand salut de la main au vampire, qui me le rendit en riant.
— Ce n’est que partie remise ! m’exclamai-je.
— Je m’en souviendrai ! répondit-il.
Cet état était plutôt drôle, finalement.
~
Ce n’était plus
du tout drôle.
Ma gorge était en feu, tout comme le reste de mon corps. Ma tête reposait sur les cuisses d’Adam et mes jambes sur celles de Nora, sur la banquette arrière de la voiture. Je transpirais à grosses gouttes et la nausée allait avoir raison de moi.
— Ils vont le payer, entendis-je vociférer April.
— Anselme, tu dis ? grogna Lucian.
— Avec la complicité d’une femme, précisa Nora.
Apparemment, l’Elixir était loin d’être un alcool banal. Il s’agissait d’une véritable drogue, pour les vampires. Certains en buvaient afin de ressentir la sensation d’ivresse qui était hors de leur portée, à moins qu’ils ne vident plusieurs bouteilles à eux seuls. Et moi, j’en avais bu tout un verre en quelques secondes. Dilué, certes, mais apparemment, c’était tout de même inquiétant. Au moins, je n’étais pas tombée dans un coma éthylique.
— C’est étrange qu’elle tienne aussi bien… Elle aurait au moins dû s’évanouir, observa Adam, qui passait sa main froide sur mon visage, ce qui me faisait du bien.
— Peut-être que mes ombres absorbent ? Un peu comme… la nourriture… avec de l’alcool normal ?
Nora et lui me regardèrent comme si une deuxième tête avait poussé sur mon corps. Je tâtai rapidement mon cou pour m’assurer que ce n’était pas le cas. Ouf ! Pas de deuxième tête.
— Quoique j’ai déjà été bien bourrée… plusieurs fois. Donc… Mais à l’époque je ne contrôlais pas mon pouvoir comme ça…
Mmhh… C’était assez mystérieux, tout ça. Je décidai quand même d’y réfléchir plus tard, puisque cela devenait difficile, là tout de suite. Il fallait qu’on parle d’autre chose. Une chose qui n’alimenterait pas ma migraine. Je levai les yeux vers Adam.
— On devrait former un duo ! lançai-je comme si c’était la meilleure idée du monde, en faisant des geste assez vagues de la main.
Qu’est-ce que j’essayais de mimer, exactement ?
En plus de son expression inquiète, il parût perplexe, mais eut un léger sourire en coin.
— Quoi ? Ça serait gé-nial ! fis-je en détachant bien les syllabes pour ajouter un effet.
— Mais oui. On verra si tu trouves toujours cette idée aussi
gé-niale demain, répliqua-t-il.
— On ferait des concerts… Moitié prix pour les River !
— En tout cas, elle est drôle, dans cet état, remarqua Nora. C’est déjà ça de pris.
— Merci, lui chuchotai-je, sincèrement touchée.
Après cela, je ne me souvins plus de grand-chose. L’Elixir semblait agir par vagues. Je pouvais parler et entendre ce qu’on me disait, mais lorsque les effets atteignaient le pic, ce n’était plus possible. Et la vague fut trop violente pour me laisser du répit au moins une fois, de toute la fin du trajet. Je supposais que c’était tout de même pour le mieux. J’aurais pu dire absolument n’importe quoi, au risque de le regretter plus tard.
Je finis par somnoler, régulièrement réveillée par une envie de vomir sans que cela n’arrive. À un moment donné, je sentis de l’air sur ma peau et des bruits de portière. On me souleva. C’était sûrement Adam, qui me portait, puisque j’entrevoyais vaguement les autres, devant nous. On nous ouvrit la porte du manoir en grand.
Le manoir. Enfin !
— Qu’est-ce qui s’est passé ? s’affola une voix féminine.
Je reconnus mon amie, lorsque je pus garder mes paupières ouvertes plus d’une seconde.
— Heeeey… Emma ! Alors le chocolat chaud il est où ? m’enquis-je alors que j’aurais été bien incapable de le boire.
— Tu verras ça plus tard, ma puce, chuchota Lucian.
Ma puce ? C’était mignon.
Alors qu’Adam se dirigeait vers les escaliers pour m’emmener dans ma chambre, je vis qu’Emma nous suivait. Je tendis une main vers elle.
— Je n’ai pas oublié hein ! Tu m’as… me… Tu me l’as promis, bredouillai-je.
Elle hocha la tête.
— Ce que je donnerais pour savoir tout ce qui s’est passé, là-bas, soupira-t-elle.
Du moins, j’eus l’impression qu’elle avait dit ça.
— Tu n’as pas idée, s’exaspéra Nora qui nous suivait aussi, apparemment.
Tout comme Lucian et April.
— On va… tous dans ma chambre… là ? m’enquis-je.
Personne ne répondit.
C’était tout de même pénible… Je n’avais qu’un lit.
— Va falloir se serrer…
J’entendis quelqu’un pouffer de rire. Sûrement Nora.
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Chapitre 10
Chapitre 12