clocloee a écrit : ↑mar. 23 mars, 2021 7:06 pm
jukebox_fr a écrit : ↑mar. 23 mars, 2021 10:21 am
(j'ai pris le parti de me créer un word hier pour avancer, parce que j'ai du mal à aligner 60 minutes consécutives pour faire ça en direct
)
Oh ben je suis admirative, tu es super motivée !
Bien obligée, sinon, comme en ce moment je passe sur le forum seulement 1 à 2 fois conséquentes par semaine (le reste c'est de l'éclair), j'oublierais tout
Alors pour revenir à nos moutons concernant
Nord et Sud, c'est un roman social, mais plus précisément c'est un roman industriel comme on commence à en voir apparaître en Europe durant les années 1840. Nord et Sud est certes de 1854-55, mais avant celui-ci Mrs Gaskell avait déjà fait un premier coup d'essai en figurant parmi les précurseurs britanniques avec son Mary Barton en 1848.
L'aspect "l'industrialisation et ses conséquences pour les nuls" est probablement dû à ce statut précurseur en Grande Bretagne où, hormis 3 autres romans, on n'avait pas forcément pu lire quelque chose de similaire auparavant, bien qu'on connaissait déjà le roman social de base par Dickens qui lui a donné toutes ses lettres de noblesse (PS: mais il n'en était pas précurseur, il y avait eu des tentatives de partout en Europe le siècle précédent, toutes assez fortement condamnées et réprimées). Ce qui est amusant c'est d'ailleurs de voir que c'est ce dernier qui a donné l'opportunité à Mrs Gaskell d'être publiée épisodiquement dans son journal. On est un peu en mode la boucle est bouclée.
Pour avoir été jeter un oeil à la bio de l'autrice, on peut dire que Nord et Sud est pas loin d'être un roman semi-autobiographique. Elle a injecté beaucoup de son vécu et de ses expériences de vie de l'enfance jusqu'à l'âge adulte pour le nourrir.
Voilà pour la partie remise en contexte qui peut être intéressante pour mieux évaluer et apprécier ce roman qui nous est arrivé très tardivement en France (la seule traduction date de 2005 !) mais qui a eu son impact en Grande Bretagne. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'il y a été adapté plus d'une fois en programme TV.
Maintenant j'en viens à mon avis. En tant que
roman social, j'ai été très intriguée et me suis laissée porter par lui. C'était mon baptême, donc je n'avais aucune référence, ni repère, et ce que j'ai lu m'a beaucoup intéressée. Comme pas mal d'entre vous j'ai trouvé ça très forcé par moments car on ressentait trop cette insistance à bien faire comprendre et assimiler tous les points de vue, au point de casser le rythme du récit, qui est déjà pas folichon malgré qu'on ne peut pas dire qu'il ne se passe rien, avec ces monologues explicatifs que certains personnages se plaisent à débiter.
En tant que
roman féministe, je l'ai beaucoup apprécié. On est frappé d'entrée par la volonté de l'autrice de donner à son héroïne toute l'ampleur et l'importance d'un homme, que ce soit par sa façon de leur tenir tête et de soutenir leurs regards ou par le travail et la force de son esprit. Elle rivalise avec eux, se tient au même plan. Le narrateur qu'on peut supposer être l'autrice elle-même, ne manque d'ailleurs pas de condamner les comportements absurdes des personnages féminins qui ne collent pas à son idéal. C'est d'ailleurs en les décrivant qu'elle s'essaie à l'ironie. Quand on découvre le personnage de Margaret il n'est pas difficile de comprendre que pour devenir cet idéal féminin elle-même, il va falloir qu'elle se détache de l'influence des mauvais modèles et qu'elle entre de plein pied dans les épreuves de la vie dont on l'avait épargnée jusque là en la considérant comme une faible femme. Partant de là, toutes les pertes autour d'elle sont très prévisibles, elles font partie du cheminement logique et de son affranchissement vers cette Margaret idéale. Après, on est en 1855, la femme idéale de Mrs. Gaskell nous parait encore trop sous l'emprise des principes moraux religieux et des hommes, mais au moins aspire-t-elle à plus de considération de sa valeur et de sa force (elle n'est pas cette pauvre chose ignorante et fragile sans opinion), à moins de futilité et surtout à plus d'indépendance.
En tant que
romance, pour moi c'est là que le bas blesse. Pas parce qu'elle est en retrait (elle occupe tout de même 1/4 à un 1/3 du livre, donc elle n'est pas négligeable non plus), mais parce que je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages ni à me les approprier: pas d'identification à l'héroïne, pas de vibrations pour M. Thornton et donc pas d'envie, ni de hâte de voir leur relation prendre un meilleur tour. En fait, dans ce cas précis, c'est presque une chance que la romance ne prenne pas plus de place ! Ceci dit, sur la fin, j'ai tout de même senti que j'aurais pu m'attacher à ces personnages si ils avaient évolué plus rapidement et que la fin n'avait pas été aussi abrupte derrière leur remise en question personnelle. Cette dernière scène est une très jolie scène qui appelle à tellement plus ! Que Mrs Gaskell nous en donne si peu laisse sur un fort sentiment de frustration qui ne fait pas l'affaire de l'avis général qui était déjà mitigé.
Côté
personnages, j'ai trouvé qu'on avait des spécimens très marqués dans leurs excès. De fait, certains agacent franchement (M. Hale) quand d'autres font sourire par leur ridicule touchant (Mrs Thornton en mama à l'italienne). Du coup c'est leurs interactions à tous, qui vivent dans des milieux différents/opposés, avec des valeurs différentes/opposées, qui apportent du sel à ce roman sur le plan du « relationnel ». Qu'on ait accès à certaines de leurs pensées joue rapidement le jeu des orgueils et des préjugés tout comme celui des malentendus auquels on assiste d'un bout à l'autre de l'histoire.
(En passant, je décerne une palme spéciale à M. Bell pour son esprit ironique qui fait tellement du bien)
Pour finir, je parlerai du
style de Mrs Gaskell qui ne m'a pas fait forte impression mais qui ne m'a pas déplu non plus. Il manquait juste de charme (pas eu envie de surligner un seul passage lors de ma lecture, pour dire). Je suis consciente d'avoir été bien trop fatiguée pour m'attaquer à la VO. La barrière de la langue, cet effort supplémentaire qu'elle me demandait pour progresser, mettait que trop en évidence les longues phrases pleines de détails et de virgules qui finissaient par avoir raison de ma concentration chétive dans les 6 premiers chapitres. Ceci dit, c'est surtout une caractéristique du début du roman car, même si étant passée à la traduction française par pitié pour mon pauvre cerveau en berne, c'est quelque chose que j'ai retrouvé en de moindres occasions par la suite.
En conclusion, j'ai apprécié cette lecture sur certains points mais elle n'était pas à la hauteur de ce qu'on m'avait fait miroiter : la comparer à Orgueil et Préjugés de Jane Austen, ce n'était pas lui rendre service dans un sens positif comme négatif. Une fois que j'ai eu fait ce constat et que j'ai commencé à la considérer pour elle-même, il n'a pas été difficile de reconnaître ses qualités, ni de constater ses défauts, notamment son manque de rythme. Je suis encore très hésitante quant à la classification à lui donner dans ma bibliothèque. Bronze ou Argent ? Un entre-deux serait l'idéal
En tout cas, j'ai maintenant très envie d'en découvrir une adaptation télévisuelle car
j'ai le sentiment qu'une bonne adaptation saurait parfaitement gommer les défauts de ce roman afin de n'en montrer que le meilleur et d'en réajuster la perception.