Je vous présente "De Plumes et de Sang". Un très court récit qui narre les péripéties d'un jeune garçon et d'une déesse dans une forêt nommée "Bois aux Serres".
J'ai essayé de faire quelque chose de doux et de simple, une histoire sans prétention autre que celle d'être agréable à lire. J'espère donc que vous y trouverez autant de plaisir à la lire que j'en ai eu à l'écrire.
Favorable ou non, vos avis m’intéresse. Bonne lecture.
L’enfant filait à travers la forêt, petite singularité blonde et pâle dans cet univers tout en nuances de vert et de brun. Ivre d’allégresse, il zigzaguait entre les arbres et bondissait par-dessus les troncs déracinés en poussant des cris de joie et en battant des bras dans l’espoir enfantin de faire durer son saut plus longtemps. Riant, courant et sautant, le garçon n’allait cependant pas au hasard. Il gardait toujours du coin de l’œil le petit ruisseau, fil d’Ariane miroitant et clapotant qui prenait sa source là où Elle résidait, là où il se rendait.
Cela faisait presque un quart de lune qu’il n’avait pu la visiter à cause d’une violente fièvre qui l’avait cloué au lit. Mais désormais guéri et débordant d’énergie, le garçon n’avait plus qu’une seule idée en tête : La retrouver au plus vite. Il en avait eu du mal à trouver le sommeil la veille tant son impatience l’avait tourmenté.
La forêt se fit plus dense et plus ancienne à l’approche de Son domaine. Si dense que les rayons du soleil peinaient à passer la canopée. Le havre de fraicheur touffu aux allures d’Eden en cette claire journée d’été et au sol verdi de jeunes pousses, de fougères et de ronces se transforma doucement en un lieu froid et antique. Si sombre que guère plus que des mousses subsistaient entre ces piliers d’écorce. Cela n’empêcha pas l’enfant de continuer à courir aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient. Mais tout agile qu’il fût, il n’en était pas un cerf pour autant et inévitablement, son pied finit par s’accrocher à une épaisse racine. L’éclair blond partit en vol plané dans un jappement de surprise. S’écrasant lourdement au sol, il termina sa course par plusieurs roulés-boulés avant de finalement s’immobiliser parmi les feuilles et les branches mortes.
L’enfant se replia en position fœtale, contractant tous ses muscles en attendant que la douleur passe. Petit être tremblant et gémissant au pied des seigneurs d’écorce au règne plusieurs fois centenaire. Quand la douleur se fit plus localisée et lancinante, le garçon s’assit sur son séant et sécha ses larmes. « Cesse-donc de pleurer, Luxin, tu n’es plus un bébé » lui criait souvent sa nourrice. « Elle avait raison », se dit-il. Il avait dix ans maintenant ! Il était presque un homme. Et comme un homme après une bataille, il entreprit de faire l’inventaire de ses blessures. Sa cheville lui faisait mal, mais il pouvait encore la bouger, constata-t-il en la remuant. Quelques griffures de-ci de-là et une vilaine entaille sur son bras droit. À la vue de sa chemise déchirée et du sang, Luxin laissa échapper un sanglot avant de se reprendre. « Les hommes ne pleurent pas ! » se morigéna-t-il.
Le garçon se remit debout et se tourna vers la racine assassine.
- Que ton arbre pourrisse et que les sangliers viennent te manger ! maudit-il de sa voix fluette.
Il lui tira la langue puis voulut repartir à toute allure, mais à peine eut-il mis sa cheville blessée en contrainte qu’une vive douleur le foudroya et de nouveau il se retrouva au sol.
- Stupide racine ! hurla Luxin.
C’est en boitant qu’il arriva bien plus tard à destination : comme surgi de nulle part et tranchant net avec la forêt, se trouvait une falaise à pic dont le sommet se perdait au-delà de la canopée et où naissait le ruisseau à partir d’une cascade assourdissante. Un peu plus loin, la barrière rocheuse était percée sur une dizaine de toises d’une grotte immense qui servait d’entrée à Son domaine. Luxin passa une main dans sa chemise pour vérifier que la longue plume blanche, accrochée par une fine lanière de cuir à son cou, était toujours en place. On devait montrer patte blanche, ou plutôt plume blanche pour pénétrer Sa retraite. Aussi, après s’être rasséréné, ce fut sans aucune crainte que l’enfant éclopé se dirigea vers la gueule béante et se laissa avaler par les ténèbres de la caverne.
Après une vingtaine de pas en aveugle et une étrange et désagréable sensation de chute, une vive lumière apparut devant lui, signalant la fin du tunnel. Luxin, se sachant arrivé et à quelques secondes de La revoir en avait le cœur tout affolé, il débordait de joie et d’impatience. Lorsqu’il déboucha de l’autre côté, il lui fallut un peu de temps et beaucoup de battements de paupière pour chasser l’éblouissement consécutif à la transition. Et une fois ses grands yeux azur habitués à l’éclat du jour, il put admirer ce panorama qu’il aimait tant et qui s’offrait de nouveau à lui.
C’était un vaste cirque aux hautes murailles de roche blanche, si blanche qu’elles en reflétaient le soleil nimbant ainsi le paysage d’un halo éclatant. Le sol, lui, était couvert de hautes herbes dorées par l’été et descendait en pente douce jusqu’à un grand lac aux eaux cristallines. Et là, gigantesque, monumental, titanesque, tel le pilier soutenant la voûte céleste entière, trônait un chêne démesuré dont les racines aussi épaisses que des arbres millénaires, portaient son tronc au-dessus du lac, formant un réseau de colonnes ligneuses sur ses rives. Il était bien plus haut que les montagnes qui ceinturaient le cirque. Luxin en était persuadé, s’il grimpait tout en haut la nuit, il pourrait accéder aux étoiles. Mais Elle lui avait formellement interdit d’y « jouer les écureuils ». Alors il s’abstenait, car pour rien au monde il n’aurait voulu la décevoir.
Ayant suffisamment admiré ce paysage dont il ne se lassait jamais, le garçon mit ses mains en coupe autour de sa bouche et appela à pleins poumons.
- Eliënor !
Sitôt que son cri eut fini de mourir, ce qui semblait être un tout petit oiseau prit son essor de très haut sur le chêne. Cependant, à mesure qu’il s’éloignait de l’arbre cyclopéen pour s’approcher de l’enfant, le volatile se révéla être un aigle aux proportions proprement terrifiantes. Quand il se posa à quelques toises de Luxin, masquant le soleil de son envergure fabuleuse, il s’avéra être deux fois plus grand que l’enfant, soit près de sept pieds de haut, avec des serres pareilles à des dagues et un plumage aussi blanc et pur que les neiges de nuit d’hiver.
Peu impressionné par le rapace géant, Luxin rayonnait de bonheur et sautilla à cloche-pied dans sa direction en riant. Considérant un instant de son regard prédateur le joyeux éclopé, l’aigle disparut soudain dans un vif éclat de lumière et un tourbillon de plumes et ce fut dans les bras d’une magnifique jeune femme que se jeta le petit garçon.
Reine des oiseaux de proie, divinité protectrice de Bois aux Serres et du village qui le bordait, Eliënor, dans sa forme humaine, avait la fraicheur et la beauté d’une fleur tout juste éclose. Assez grande pour pouvoir regarder la plupart des hommes dans les yeux, elle avait une silhouette svelte aux muscles fermes et à la poitrine haute et galbée. Toujours droite et fière, Eliënor avait la prestance d’une reine. Son visage au teint d’albâtre renforçait encore son aspect altier avec un petit nez étroit et de spectaculaires yeux aux iris d’or. La déesse était vêtue d’une simple robe blanche en soie taillée de façon à lui laisser les bras et le dos nu, car à ses omoplates prenait racine une paire d’ailes dont les dernières rémiges, du même blanc pur que sous sa forme aquiline, lui arrivaient aux talons. Seules coquetteries, un fin cercle d’or blanc qui retenait ses cheveux platine en arrière et une fine bande de satin azur fermé par une chaînette d’or qui resserrait sa robe à la taille comme pour mieux souligner la forme parfaite de ses hanches.
Eliënor ébouriffa la tignasse blonde du petit Luxin et lui parla d’une voix douce emplie d’affection.
- Dis-moi jeune aiglon, tu disparais pendant un quart de lune et tu me reviens tout maculé et griffé. Que t’est-il donc arrivé ?
À la manière des enfants, c'est-à-dire à grand renfort d’hyperboles et de gestes, il lui raconta sa fièvre puis ses péripéties dans la forêt.
- … Et là, je courais plus vite que le vent et je sautais plus haut qu’un cerf ! Sa moue joyeuse se fit contrite. Mais il y avait une racine que je n’ai pas vue et j’ai tombé. Même que j’ai beaucoup saigné ! grimaça-t-il en exhibant l’estafilade qui lui zébrait le bras. Mais je n’ai presque pas pleuré ! conclut-il fièrement.
Eliënor s’agenouilla pour pouvoir regarder Luxin dans les yeux.
- Brave petit aigle. Mais on dit je suis tombé et non pas j’ai tombé, le corrigea-t-elle en lui tapotant le bout du nez.
Il fronça le visage en s’esclaffant.
- Montre-moi ton bras, reprit-elle.
La déesse aquiline se saisit doucement du bras tendu par l’enfant puis remonta la coupure avec l’index et le majeur de son autre main. Au passage des doigts, la plaie se referma, ne laissant qu’une agréable sensation de chaleur en lieu et place de la blessure. Cette fois, ce fut au tour d’Eliënor de rire devant la mine ébahie du jeune Luxin. Un rire mélodieux et cristallin qui lui réchauffait toujours le cœur.
- As-tu mal autre part ?
- Lààà ! dit le garçon en secouant sa cheville blessée.
Alors la déesse l’enveloppa de ses mains délicates et une fois encore une douce et agréable chaleur chassa les élancements douloureux. Testant sa cheville désormais guérie, il partit en joyeuses cabrioles avant de revenir vers sa bienfaitrice.
- Merci, merci plein de fois, ô dame Eliënor !
Cette dernière se contenta de lui sourire avec tendresse. Le cœur débordant d’amour et de bonheur, Luxin lui sourit en retour jusqu'aux oreilles. Cependant un éclair de tristesse fracassa sa béatitude. Ce fut comme si un bloc de glace lui tomba dans l’estomac. « C’est comme ça d’avoir une maman ? » s’interrogea-t-il. Orphelin avant même ses premiers souvenirs, il n’avait jamais connu l’amour ni le visage de sa mère. Seulement la froide indifférence de sa nourrice, aussi s’imagina-t-il que cela devait être ainsi une mère : une dame à la beauté incomparable, à l’âme bienveillante et au cœur aimant. Remarquant le changement d’humeur sur le visage du petit garçon, Eliënor demanda.
- Souffres-tu encore de quelque part ?
- N-Non, mentit Luxin en reprenant sa mine enjouée.
À son regard perçant, l’enfant sut que son mensonge ne prenait pas, mais, à son grand soulagement, elle n’insista pas et prenant Luxin par la main, la déesse aquiline l’entraîna sur le chemin pavé qui descendait jusqu’au lac et au chêne.
Douce et aimante, Eliënor était une jeune divinité mineure qui vivait et veillait sur Bois aux Serres et ses environs, où l’on pouvait trouver l’Œuf, le village de Luxin. Elle y bénissait les champs et s’assurait de la clémence des éléments, permettant ainsi aux paysans de faire plusieurs récoltes dans l’année. Miséricordieuse, elle soignait également les vilaines fractures ou les fièvres particulièrement virulentes. En échange de ses bénédictions, la déesse ne demandait qu’amour et dévotion. Alors, à chaque nouveau quart de lune, les villageois venaient de bon cœur à tour de rôle remplir le temple qui lui était dédié sur la grande place pour y prier quelques heures face à Eliënor posée sur un perchoir, au fond de la nef, à la mesure de ses dimensions. Parfois, certains amenaient des offrandes, objets d’artisanats comme les rares bijoux qu’elle portait ou délices sucrés dont elle raffolait.
Bienveillante, la déesse aquiline pouvait cependant se montrer aussi impitoyable que féroce. Bien avant la naissance de Luxin, après un rude hiver, une bande de mercenaires renégats décida d’un raid sur l’Œuf dont l’insolente abondance et richesse en ces temps de disette finit par attiser les esprits cupides. Rejoint dans leur croisade avide par des bandits de grand chemin, ce fut finalement une horde d’une centaine de cotereaux qui attaqua à la faveur de la nuit le village terrifié qui n’avait à opposer que sa petite milice de quartier. Épaulée par les plus courageux paysans et artisans, ils tentèrent vaillamment de repousser les pillards, mais après de brefs et sanglants combats de rues, ils se retrouvèrent encerclés sur la grande place centrale. Et alors que tout annonçait un inévitable massacre pour les malheureux défenseurs, dans un terrible glatissement de fureur, surgit de la nuit Eliënor dans sa forme d’aigle la plus titanesque. Piquant depuis le ciel à la faveur des incendies qui ravageaient l’Œuf, elle faucha sans merci la horde scélérate toute la nuit durant, éclatant les crânes à coups de bec et transperçant les corps de ses puissantes serres. Quand le soleil rendu presque rouge par l’épaisse fumée pointa à l’est, le plumage nacré d’Eliënor, lui, était devenu vermeil et nul brigand n’avait réchappé à son courroux vengeur. Sauf un, plus enfant qu’adulte, qu’elle épargna sciemment en le missionnant de raconter à tous ce qu’il en coûtait de s’en prendre à son domaine. Depuis lors, jamais plus la douce quiétude de l’Œuf ne fut troublée et en remerciement, chaque année à la date commémorative de ce sanglant événement, deux jours étaient dédiés à la dévotion de la Reine des aigles.
Sous l’arbre gigantesque, dans les eaux translucides et fraîches du lac, barbotait gaiement Luxin. Eliënor était partie voilà un moment déjà à tire-d’aile vers son temple dans le chêne après lui avoir enjoint de se débarbouiller. Quand elle revint, ce fut avec une chemise blanche et des chausses en lin, teintées ocres, pliées dans ses bras.
- Sors donc de l’eau, petit pygargue, l’appela-t-elle chaleureusement. Et viens t’habiller.
Après une dernière brasse coulée, Luxin, nu comme un ver, bondit hors de l’eau à grand renfort d’éclaboussures. Après avoir récupéré son sous-vêtement parmi ses vieux vêtements et s’être séché, il se précipita vers la déesse qui lui tendait ses nouveaux habits. Une fois qu’il les eut enfilés, il huma avec délice les senteurs boisées qui s’en dégageaient.
- Merci beaucoup ! s’enthousiasma Luxin, plein de gratitude et surtout soulagé, car s’il était revenu chez sa nourrice les vêtements déchirés, elle l’aurait battu.
La déesse le couva d’un regard aimant et déclara :
- Te voilà adorable dans ton nouveau plumage.
Luxin tourbillonna sur lui-même en riant pour mieux se faire admirer.
- Es-tu prêt à m’assister maintenant ?
- Oui ! répondit-il en hochant ardemment la tête.
La déesse le prit alors délicatement par les aisselles et d’un puissant battement d’ailes, l’emmena avec elle en direction des hauteurs du chêne.
Après quelques secondes d’un vol que Luxin aurait voulu qu’il dure des heures tant les sensations étaient grisantes, Eliënor se posa sur la première branche maîtresse de l’arbre, située presque aussi haute que les falaises du cirque et bien assez large pour que la divinité et l’enfant puissent y marcher de front sur le plat. Avançant en direction du tronc, ils y pénétrèrent par un trou à la forme gracieuse d’arche. Comme pour la caverne, il fallut faire quelques pas et subir une désagréable sensation de chute avant de déboucher de l’autre côté.
Sans autre transition, Luxin et Eliënor se retrouvèrent dans une grande pièce rectangulaire tout en marbre blanc. Elle était divisée en son centre par deux rangées de colonnades qui formaient comme un couloir entre l’arche sombre qui servait d’entrée et l’autel situé en face dans le fond opposé. De larges ouvertures vitrées sur les longueurs, quasiment à hauteur du plafond assuraient à la pièce une luminosité parfaite.
C’est ici que dans sa forme humaine, Eliënor aimait passer le plus clair de son temps. À gauche du couloir de colonnes se trouvait donc un mobilier classique, simple, mais d’excellente facture, fait d’un bois riche et sombre. Lit, table, boudoir, buffet, commode… Tandis qu’à droite de la colonnade se trouvait ce que l’on aurait pu considérer comme son lieu de recherche : des bibliothèques remplies, des étagères débordantes et une paillasse d’alchimiste encombrée. Les potions et les plantes étaient une occupation à laquelle Eliënor aimait s’adonner.
En tant que servant de la déesse, Luxin passait également des heures ici pour effectuer les tâches qu’Eliënor lui confiait. Aussi diverses que variées, elles allaient des corvées ménagères comme nettoyer la pièce ou rincer la verrerie à d’autres plus agréables comme brosser sa chevelure ou lui lisser ses plumes d’albâtre. Mais invariablement, une tâche revenait à chaque fois. Quand Luxin avait terminé ce qu’il avait à faire, il devait alors rejoindre la déesse face à l’autel. Taillé dans un unique bloc de roche sombre et mate, surmonté d’une petite sculpture en cristal représentant un aigle aux ailes grandes ouvertes, l’autel était en tout point identique à celui dans le temple à l’Œuf et avait la faculté d’y téléporter les offrandes déposées vers celui dans le refuge de la déesse. Le visage inexpressif et les yeux clos, assise en tailleur sur un coussin, Eliënor semblait méditer et Luxin devait alors prendre place à ses côtés et prier très fort en pensant à elle. Selon la déesse aquiline, cela l’aidait à se concentrer dans ses propres dévotions. Le jeune garçon se demandait bien pourquoi une divinité avait besoin de prier et pour quelle raison, mais il ne lui avait jamais posé la question, trop heureux d’être utile à sa révérée reine des aigles. Et puis on ne questionne pas une divinité, lui répétait sans cesse le gardien du temple au village.
Eliënor poussa gentiment Luxin en pointant le doigt vers l’autel.
- Aujourd’hui, j’aurais juste besoin que tu m’accompagnes dans mes prières.
L’enfant acquiesça en souriant et se dirigea en sautillant vers l’ouvrage sombre.
Quand Luxin regagna la forêt, le soleil avait entamé son inexorable chute sur l’horizon et le vent soufflait par brèves, mais violentes rafales. Comme à chaque fois, il était peiné de devoir quitter la déesse blanche et son havre de paix. Il aurait voulu y vivre avec elle pour toujours. Au moins, contrairement à sa nourrice, Eliënor l’aimait. Il en était persuadé. Chassant ses sombres ruminations, le garçon se consola en s’élançant dans les bois, tout heureux de pouvoir à nouveau courir et bondir après avoir passé plusieurs heures assis à prier. Mais cette fois, il se montra plus prudent quant à l’endroit où il posait ses pieds, le regard attentif à toute racine qui serait lâchement camouflée sous le tapis de feuilles et de mousse qui recouvrait le sol de la forêt.
À mi-chemin du village et du refuge d’Eliënor, le regard de Luxin fut accroché par une petite chose grise et blanche qui dénotait dans cet environnement bi-chromatique. Le garçon abandonna alors son guide aqueux et dévia sa course effrénée pour s’approcher de l’anomalie cotonneuse qui avait trouvé refuge dans un des nombreux creux du contrefort racinaire d’un orme antique. Arrivé à quelques coudées, le visage de l’enfant s’émerveilla. C’était un petit aiglon, certainement tombé de son nid à cause d’une rafale trop forte. Quand Luxin s’accroupit près de lui, il ouvrit son bec encore gris pour émettre une sorte de feulement de peur. Petite boule de duvet hirsute et maculé, avec deux excroissances sans rémiges encore et donc inutiles, l’oisillon n’avait certes pas le côté adorable et délicat d’un bébé mammifère, mais cela ne l’empêchait pas de trouver grâce aux yeux de Luxin.
- Tu es tombé ? lui demanda-t-il avec pour seule réponse un regard farouche.
L’enfant se redressa et se dévissa le cou pour tenter d’apercevoir le nid de l’aiglon. Sans succès. Le feuillage était bien trop dense. Mais cela ne le découragea pas pour autant. Après quelques instants de réflexion pendant lesquels son regard alterna de l’arbre à l’aiglon et de l’aiglon à l’arbre, Luxin passa à l’action.
Il entreprit d’abord de coincer sa chemise dans ses chausses et d’en déboutonner le haut. Ensuite, dans un concert de piaillements affolés, il ramassa précautionneusement l’oisillon qu’il fourra dans sa chemise, non sans le menacer de l’abandonner à son sort si d’aventure il lui prenait de lui picorer le ventre. Ainsi calé dans cette poche improvisée, cela laissait à l’enfant les deux mains libres pour pouvoir escalader cette montagne d’écorce et après avoir plus ou moins planifié son chemin, le garçon bondit comme un ressort pour attraper une branche basse et commença alors son ascension.
Suant et tremblant, les cheveux pleins de mousse et de débris de bois, les mains et les bras écorchés, Luxin en venait à regretter son élan héroïque. Voilà déjà plusieurs minutes qu’il grimpait dans cet orme touffu, sans le moindre signe du nid, mais il continua pourtant de monter toujours plus haut. Les branches se firent alors de moins en moins épaisses et l’arbre de plus en plus agité. À chaque rafale, Luxin l’enlaçait encore plus fort que sa chère Eliënor. Il finit par s’arrêter, le dos au tronc pour se reposer un peu et détendre ses muscles qui commençaient à être victimes de crampes. Il s’obligea à prendre de longues et profondes respirations pour se calmer. Luxin ne souffrait pas du vertige, pourtant il fut heureux que l’épaisseur du feuillage lui épargne la vue du sol. Jamais l’enfant n’avait grimpé si haut. Scrutant les hauteurs, il finit par repérer une masse sombre à travers les branches. Le nid d’aigle ! Enfin ! Il en aurait sauté de joie s’il n’était pas à une dizaine de toises du sol. Passant la tête dans sa chemise, l’enfant informa l’aiglon prostré et passablement secoué de l’imminence de son retour à son nid, avant de reprendre son ascension. Agile, vif et mû par une énergie retrouvée, Luxin arriva rapidement sur la branche qui supportait le large nid. L’extérieur était fait de branches mortes et épaisses, l’intérieur de fines brindilles recouvertes de mousse et de plumes. Quelques boulettes régurgitées d’os et de fourrure attestaient de la fraicheur du nid. À califourchon sur la branche, le garçon avança en rampant doucement, espérant ne pas trop la faire ployer. Quand il fut à portée de bras du nid, il sortit l’aiglon de sa poche improvisée et le replaça délicatement sur sa couverture de mousse et de plumes, non sans avoir embrassé sa petite tête duveteuse en guise d’adieu.
Il avait réussi ! Il avait sauvé l’aiglon ! Luxin rayonnait de fierté. Il aurait voulu courir jusqu’au repère d’Eliënor pour lui narrer son exploit. « Si seulement la nuit n’arrivait pas si vite. » se lamenta-t-il. Car déjà la luminosité déclinait. Aussi haut qu’il fût, Luxin dépassait la canopée de la forêt et le feuillage désormais moins dense de l’orme lui offrait une vue imprenable sur Bois aux Serres et ses alentours. Au-delà de la mer de feuilles, il apercevait même quelques toits des bâtiments de l’Œuf et leurs volutes de fumée qui nimbaient le village d’une légère brume artificielle. Profitant un instant de ce spectacle grandiose, savourant son succès héroïque, Luxin s’étira dans un soupir de contentement, ses bras le plus loin qu’il pût au-dessus de sa tête, déliant ainsi ses muscles endoloris. Et puis advint une nouvelle rafale.
Loin du tronc, en équilibre sur une haute branche, le garçon ne fut cette fois pas épargné par la violence du vent. Impuissant, pris au dépourvu, l’échine parcourue par un terrible frisson prémisse à toute perte d’équilibre, Luxin bascula dans le vide sans réussir à se rattraper à son perchoir de fortune. Les fines branches couvertes de feuilles qui avaient sauvé l’aiglon à force de rebonds ne furent d’aucun secours pour l’enfant et se brisèrent sous son poids, puis, à quelques toises du sol ce fut son dos qui se brisa dans un horrible craquement humide en percutant une épaisse branche juste au-dessus du bassin, coupant net les hurlements et les mouvements frénétiques de Luxin qui finit par s’écraser au sol avec encore suffisamment de force pour se briser les jambes. Après ces instants de cris et de fracas, un silence de mort s’abattit sur la forêt.
Quand Luxin revint à lui, il faisait presque nuit. Il resta de longues secondes, hagard, immobile, le regard aussi vide que son esprit choqué. Puis tout à coup, dans un éclair, tout lui revint : l’aiglon, l’ascension, le nid et la chute. La chute ! Il était tombé de si haut ! La peur le saisit immédiatement au cœur. Il voulut se redresser, mais une douleur effroyable et fulgurante, lui déchira le dos et lui arracha un hurlement pitoyable. Pleurant de souffrance il finit par s’appuyer sur ses coudes pour se redresser un peu. Alors ses sanglots s’interrompirent dans un hoquet d’horreur. Pliées selon des angles normalement impossibles, les chausses déchirées par des esquilles d’os et imbibées de sang, ses jambes formèrent un spectacle atroce que l’absence totale de sensation ne faisait que renforcer. Luxin resta comme hypnotisé, les yeux écarquillés et fixés sur ses fragments d’os si blancs et luisant, le visage bloqué dans un rictus d’horreur, jusqu’à ce qu’une nouvelle vague de douleur vienne lui labourer le dos. Alors sa terreur gonfla encore et le submergea tout à fait tel un tsunami. Il faisait nuit, il faisait froid, il était paralysé au milieu de la forêt, il ne sentait plus ses jambes et il avait mal comme jamais. Luxin se mit à hurler, à hurler et à hurler encore d’autant plus fort qu’il savait que ni sa nourrice ni personne au village ne se préoccuperait de son absence et donc ne lancerait de recherche. Il hurla à l’aide jusqu’à en cracher du sang et quand il ne put plus hurler, il pria en pleurant de peur, de douleur et de désespoir. Il ne voulait pas mourir ! Il voulait vivre ! Il voulait continuer à rire, bondir et courir à travers les bois, il voulait continuer à voir et à servir Eliënor. À cette pensée, il serra fort la plume blanche dans sa main pour tenter de se réconforter. Bientôt ses sanglots se firent plaintes étouffées tandis que la mort rongeait petit à petit son corps meurtri.
Au bout de ce qu’il parut, pour le garçon blessé, des heures, un glatissement déchira la nuit et couvrit ses propres gémissements. Eliënor ! Elle seule pouvait pousser un pareil cri. L’espoir s’embrasa alors dans le cœur de Luxin et telle une torche dans la nuit, repoussa les ténèbres de sa lente agonie. Aussi, malgré sa gorge déchirée et son épuisement, il se remit à crier. Il persista malgré ses quintes de toux sanglantes et la douleur, jusqu’à ce que la déesse aquiline vienne percer la canopée avec fracas dans un piqué vertigineux, ne déployant ses ailes puissantes et démesurées qu’au dernier moment pour freiner sa chute. La blancheur de son plumage dans la nuit lui donnait des allures d’apparition spectrale. Sitôt que ses terribles serres eurent touché terre, elle se transforma et se précipita au chevet du petit blessé. D’ordinaire si altier et paisible, le visage d’Eliënor n’était plus qu’inquiétude.
- Oh mon pauvre aiglon, que t’est-il donc arrivé ?
- J’ai tombé, j’ai tombé ! gémit faiblement Luxin, sa voix brisée par les cris. J’ai remis un bébé aigle dans son nid et j’ai tombé. Oh Eliënor, je ne veux pas mourir, j’ai mal ! Sauve-moi ! Répare mes jambes, je n’arrive plus à bouger, pitié ! J’ai mal ! Finit-il par supplier, rendu hystérique par la peur et la douleur qui le ravageait.
D’une voix tendre, la déesse aquiline tenta de le rassurer
- Là, là, c’est fini. Lui dit-elle en lui caressant les cheveux. Tu es un brave petit aigle.
Après ces brèves paroles, pressée de soulager l’enfant, elle passa doucement sa main sur les yeux fous de douleur de Luxin et le plongea dans un coma salvateur.
Non sans un dernier regard pour les jambes fracturées de son petit protégé, Eliënor reprit sa forme aquiline puis avec d’infinies précautions, elle se saisit du corps brisé de l’enfant avec ses serres. En quelques battements d’ailes, elle quitta le sol jonché de la forêt pour la liberté des cieux et fila à tire-d’aile à travers la nuit en direction de sa retraite, l’esprit tourmenté par des sentiments dont elle n’avait pas l’habitude : l’angoisse, le doute.
Une fois revenue dans son temple, Eliënor se précipita vers la table pour y déposer avec douceur Luxin, toujours inconscient. Avec une grande tendresse, elle lui retira rapidement ses vêtements ensanglantés afin de pouvoir examiner ses blessures. Tel le passage d’une plume, frôlant de ses doigts délicats le dos et les jambes de l’enfant et laissant son pouvoir ausculter les terribles meurtrissures, Eliënor put rapidement juger de l’impitoyable ampleur de l’état du garçon. Cela confirmait, hélas, ses pires angoisses. Les lésions de Luxin étaient au-delà de ses capacités de guérison, car toute déesse qu’elle fût, Eliënor n’en avait pas moins des limites.
Refusant pourtant l’évidence, elle fit rageusement les cent pas près de la table, ses grandes ailes blanches battant parfois furieusement l’air tant sa frustration était forte. L’esprit en ébullition, la déesse cherchait désespérément une solution, ne s’arrêtant de réfléchir que pour transmettre un peu d’énergie de temps à autre à l’enfant agonisant afin de le maintenir en vie.
La solution vint finalement au milieu de la nuit, à l’apogée de son désespoir et de sa colère. Quelque chose de plus instinctif que réfléchi. Quelque chose de terrible, violent et dangereux pour elle. Cette solution s’apparentait plus à une épreuve, mais Eliënor était prête à tout pour sauver Luxin, car dans la douleur, elle prit conscience de tout l’amour qu’elle portait à son petit aiglon. Toujours vif et joyeux, elle l’aimait d’une façon qui lui était inconnue, mais que toutes femmes mortelles connaissaient d’instinct : celui d’une mère pour son fils. Et puis elle avait été profondément émue par l’acte de Luxin. Reine des rapaces, déesse aquiline, le sauvetage du poussin représentait pour elle bien plus que l’enfant ne saurait l’imaginer. Aussi Eliënor n’hésita pas un instant et se jeta dans ce qui s’annonçait être une terrible bataille, avec la fierté et la volonté implacable qui la caractérisait, prête à sacrifier jusqu’à sa propre vie pour celle de Luxin.
Dans une grimace de douleur, elle s’arracha une rémige dont elle en tailla la pointe à l’aide d’un couteau. Quand elle fut satisfaite du résultat, ce fut son poignet qu’elle tailla d’un geste, sans trembler ni douter. Plongeant la pointe de sa plume dans la plaie, elle se mit ensuite à inscrire des runes avec son sang sur le corps de l’enfant. La nuit continua de passer avec lenteur tandis que la peau de Luxin était peu à peu recouverte de délicates inscriptions et symboles dont la déesse seule en connaissait le sens. Quand elle eut fini son œuvre, le ciel dehors était plus violet que noir et l’enfant était aussi vermeil qu’Eliënor livide. Le visage creusé par de profonds cernes, elle était épuisée par l’anémie et par les dons d’énergie à répétition pour garder Luxin en vie alors même que la véritable épreuve n’avait pas encore commencé. Pourtant, sans douter, la jeune reine noua une étoffe de soie autour de son poignet scarifié, puis déposa sa plume ensanglantée au centre d’un réseau complexe de runes près du cœur à la lutte du garçon. Enfin, prenant une chaise, Eliënor s’installa derrière Luxin et lui saisit délicatement la tête entre les mains.
Plongeant profondément en elle, la déesse se concentra intensément, les mains auréolées d’un halo d’énergie, le front luisant de sueur tant l’effort lui coûtait. Puis vint la douleur. Brûlante, déchirante, horrible. Une douleur telle qu’elle n’en avait jamais connue, si violente qu’elle ne put retenir un cri. Ce fut le début de son calvaire. Car pendant les longues heures que dura ce combat, Eliënor fut ravagée par des vagues de souffrance intolérable, lui arrachant des gémissements et des hurlements. Elle crut mourir, elle voulut mourir, son esprit oscillant aux frontières de la folie tant son agonie était insoutenable. Elle avait l’impression qu’on la mettait en pièces, qu’on l’écartelait, que l’on arrachait une partie d’elle-même. Ce qui n’était pas tout à fait inexact puisque pour sauver Luxin, la déesse aquiline dut lui transmettre sa vitalité ainsi que son essence divine. Seuls sa fierté et son amour pour l’enfant lui permirent de tenir pendant cette torture.
Petit à petit, les sanglantes runes ésotériques qui recouvraient le corps meurtri de Luxin se mirent à luire de la même lumière intense qui se dégageait des mains d’Eliënor et au petit matin, dans un dernier râle de souffrance, pâle comme une morte et les yeux injectés de sang, la déesse s’évanouit tandis que l’enfant, lui, fut englobé entièrement par le halo de lumière.
Lorsque Luxin s’éveilla, il se mit aussitôt à pleurer, écrasé par le poids des images et des sensations de ce qui lui était arrivé dans la forêt. Il n’osait bouger, ni même ouvrir les yeux, tant il avait peur de ce qu’il allait découvrir passé son bassin. Aussi, sursauta-t-il violemment quand Eliënor le prit dans ses bras.
- Shhh, c’est fini, tout va bien, murmura-t-elle d’une voix enrouée, mais douce et rassurante. Tu es guéri.
Ce faisant elle laissa courir son index des fesses jusqu’au pied de l’enfant. Aucune douleur, ni même d’absence de sensation. Au contraire. Juste une agréable chaleur et une délicieuse impression de chatouillement. Elle l’avait sauvé ! Luxin pleura de plus belle. Mais de soulagement cette fois.
Eliënor berça longtemps l’enfant dans ses bras avec tendresse tandis qu’il se vidait des horreurs de la veille à travers ses larmes. Luxin finit cependant par se calmer doucement. Toujours blotti dans les bras de la déesse, il s’amusait à frotter ses deux petits pieds l’un contre l’autre, jouissant de ses sensations retrouvées. Seule une étrange gêne lui demeurait dans le dos, comme une lourdeur. Autrement il se sentait bien, merveilleusement bien même, comme si rien ne s’était produit.
- Merci, merci, merci, répéta Luxin entre deux reniflements, plein de gratitude et d’amour.
Eliënor ne répondit rien, se contentant de lui caresser tendrement les cheveux. Désormais apaisé, Luxin posa son menton sur l’épaule de sa douce déesse et ouvrit enfin les yeux.
Il fut tant surpris par ce qu’il vit qu’il eut l’impression de redécouvrir le temple pour la première fois. Le garçon voyait des choses qu’il n’avait jamais remarquées auparavant. Tout semblait plus riche, riche de détails et de précision. Le grain du bois des meubles, le tissage des draps et des tentures, les fines jointures des colonnes… Il arrivait même à distinguer avec exactitude le contenu des fioles à l’autre bout de la pièce. Il souleva alors sa tête de l’épaule d’Eliënor pour pouvoir la regarder dans les yeux. Il pouvait discerner la moindre circonvolution dans ses iris d’or, le moindre de ses cils pourtant si fins et clairs. Il remarqua aussi qu’elle avait l’air exténuée. Ses cheveux platine d’ordinaire si lisses et soyeux étaient ébouriffés et en paquets. De profonds cernes marquaient son visage, mais elle semblait rayonner de sérénité et de fierté.
- Tu as réparé mes yeux aussi ? demanda Luxin perplexe.
- Cela fait partie de ma bénédiction, mon brave petit aigle, répondit Eliënor en appuyant sur le mot aigle.
Troublé par sa nouvelle acuité, l’enfant se laissa porter jusqu’à un grand miroir devant lequel la déesse le déposa.
- Contemple ta récompense, lui dit-elle en le présentant à son propre reflet.
Et alors Luxin comprit l’étrange sensation de son dos. Des ailes ! Il avait des ailes ! De grandes ailes blanches aux pointes carmin, le choc et la stupeur étaient tels qu’il en avait le souffle coupé. D’une main tremblante, Luxin alla caresser les plumes. Ses plumes ! Il ressentait le besoin de les toucher, comme pour s’assurer qu’elles étaient bien réelles et qu’elles n’étaient pas le fruit d’une quelconque hallucination. Ses petits doigts courant le long de ses rémiges, il ne put que constater leur réalité. Elles étaient douces et soyeuses comme celles d’Eliënor. Sans qu’il en ait conscience, les larmes s’étaient remises à couler de ses yeux bleus désormais mouchetés de paillettes d’or.
La déesse aquiline s’agenouilla devant le garçon et l’interrogea.
- Comprends-tu ce que cela signifie Luxin ?
Ce dernier secoua la tête en signe de négation, encore trop bouleversé pour parler.
- Pour te sauver et te récompenser de ce que tu as fait dans ma forêt, je t’ai offert la divinité à partir de mon essence, d’où tes nouveaux attributs aquilins, expliqua Eliënor en lui caressant les ailes.
Luxin resta un moment silencieux, découvrant les sensations nouvelles que ses ailes lui offraient sous les doigts fins de la déesse dans ses plumes et savourant quelques frissons. Puis après réflexion, son jeune esprit essayant de comprendre, il finit par demander.
- Ça veut dire que je suis comme toi ?
- Presque, lui répondit-elle dans un sourire. Tu es un être unique à mi-chemin entre les mortels et les dieux. Mais comme tu es de mon essence, tu auras certainement les mêmes pouvoirs que moi et j’aurai donc beaucoup à t’apprendre, conclut la déesse.
La moue perplexe de l’enfant s’illumina d’un seul coup, les yeux pleins d’espoirs.
- Je vais pouvoir rester ici alors !
- Oui, confirma-t-elle.
C’en fut trop pour le petit Luxin qui se jeta en larmes dans les bras grands ouverts de la déesse. Il allait pouvoir quitter sa froide nourrice qui le méprisait, ce village où il n’était que « l’orphelin », pour vivre ici, avec Eliënor !
- Je t’aime, réussit-il à dire entre deux sanglots. Je t’aime, je t’aime.
- Moi aussi, mon enfant, répondit la divinité avec un amour infini.
Luxin resta un long moment dans les bras d’Eliënor, dans le réconfort de sa douce chaleur et de ses tendres murmures. Puis quand il se sentit prêt, il relâcha son étreinte et alla se placer de profil face au miroir. Fixant avec intensité ses ailes, l’esprit concentré sur les sensations que lui procurait son dos et sous le regard attendri et fier d’Eliënor, il déploya pour la première fois ses ailes. Des ailes de plume et de sang.