Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

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louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

Ett voilà la suite.
J'avais oublié de le préciser la dernière fois, mais j'ai mis à jour les chapitres du T2 (bon y'a sûrement encore des coquilles qui traînent mais tant pis).




Chapitre 3
Les otages


An 523 après le Grand Désastre, 2e mois de l’automne, Vasilias, Terres de l’Ouest.



Vann traversait la pièce de long en large. Une petite distance, en définitive. De quoi contourner les deux fauteuils rembourrés qu’on avait laissés à leur disposition. À force de le voir aller et venir, Lefkan se demanda si elle n’allait pas de nouveau remplir le pot de chambre. Leurs ravisseurs l’avaient déjà changé cinq fois depuis leur arrivée. Entre les intestins angoissés de Vann et la nausée de Lef, l’ustensile avait manqué déborder à plusieurs reprises. Vann avait suggéré qu’ils le vidassent par eux-mêmes, mais l’unique fenêtre de la pièce était protégée par des barreaux de fer.
— Je me demande si maman sait que je suis encore vivant.
Le murmure désespéré de Vann parvint à peine aux oreilles de son amie. Ils se trouvaient à chaque extrémité de la pièce, la promiscuité ayant rendu leur présence mutuelle fort désagréable. Vann empestait la peur et les excréments. Lefkan exsudait de rage, de sang et de bile. Avec les bandages qui enserraient son épaule et sa poitrine, chaque mouvement lui était pénible et douloureux. Alors, prostrée sur son fauteuil, la princesse attendait.
L’attente s’était inscrite dans sa chair. Dans ses cheveux emmêlés et enfoncés sous sa tunique, dans ses ongles rongés, dans ses muscles crispés. Elle n’avait que des souvenirs brumeux du trajet entre le Château du Crépuscule et Vasilias. Le produit anesthésiant combiné à la douleur de sa blessure l’avait gardée inconsciente la majeure partie du voyage. Si Vann avait été jeté vulgairement sur la croupe d’un cheval, le Chasseur qu’elle avait combattu dans la cabane l’avait installée devant lui sur la selle. Autant pour s’assurer que sa plaie n’empirait pas que pour l’empêcher de fuir.
— Faut que je réessaie.
Lef sortit de ses pensées lorsque Vann se planta devant la porte. Sa gorge était bien trop sèche pour qu’elle se perdit en paroles inutiles. On ne lui donnait que le strict minimum à boire pour l’empêcher d’utiliser ses pouvoirs. Elle n’avait pas l’intention de rappeler à son ami qu’il allait encore échouer. Tous deux avaient essayé de briser la serrure, voire la porte. Ils ne se trouvaient vraisemblablement pas dans une cellule, mais le battant était renforcé et bien verrouillé.
Vann avait plongé un doigt dans la serrure, sûrement dans l’espoir de faire fondre le mécanisme de l’intérieur, quand un déclic retentit. Il retira sa main avec un petit cri et recula.
— Bonjour, Lefkan. Bonjour, Vann, les salua l’homme à l’origine de leur enlèvement.
Lefkan se ramassa sur le fauteuil, tendue. Son ami s’était déplacé jusqu’au mur. Accompagné de deux gardes, dont le mercenaire Chasseur, le Noble s’avança dans la pièce avec une suffisance insupportable. Les lieux et la situation étaient à son avantage. Il fallait dire qu’ils se trouvaient dans son manoir. Leurs ravisseurs avaient été transparents sur ce point.
— Conte Loren, siffla la princesse d’une voix rocailleuse.
Le regard du Noble, d’un violet lilas bien trop joli pour un visage aussi arrogant, la dépeça sur place.
— Lefkan, je t’ai déjà demandé de m’appeler par mon nom complet.
Elle lui adressa un rictus en retour sans prendre la peine de répondre. Tant qu’il la tutoierait sans lui donner de titre, elle ne ferait pas d’efforts non plus.
— Je viens vous porter de bonnes nouvelles, lança le conte d’un ton guilleret. Vos parents ont enfin répondu à ma missive. Ils doivent arriver dès demain, dans la matinée.
— Vous leur demandez de l’argent ?
La question hésitante de Vann tira une grimace amusée au Noble. Quant à Lefkan, elle se contenta de foudroyer son ami en silence. Le conte Richard Loren Vasilias, Noble en charge de la capitale, ne manquait sûrement pas d’argent. C’était un jeu de pouvoir. Lef en avait conscience, aussi bien qu’elle avait conscience de son rôle de pion dans l’histoire. Cette passivité la grignotait de l’intérieur. Ses parents l’éduquaient et la formaient depuis son enfance à embrasser son futur rôle de reine. Une reine qui maîtriserait sa destinée et ses cartes en main. Pas l’inverse.
— Je crains que ce soit un peu plus que de l’argent, soupira le Noble avant de se tourner vers la princesse. Je vois que tu es toujours autant en colère, mon enfant.
— Je suis votre future reine.
Un muscle se crispa dans la joue du conte. Lef ignorait d’où lui venait cette assurance. Peut-être de la frustration et de la rage accumulées depuis des jours d’attente et de captivité.
— N’en sois pas si sûre, princesse Lefkan, souffla-t-il d’un ton mielleux.
Les doigts de la concernée se rétractèrent en forme de serre sur sa cuisse. Elle aurait aimé brandir son sabre, ou même une simple lame de glace, pour ne pas se sentir à découvert. Sans armes, sans sa peau de loup, avec sa simple tunique et une couverture, elle se sentait nue. Humiliée, rabaissée.
La louve en elle rêvait d’enfoncer ses crocs dans la nuque docile de cet homme bouffi d’orgueil.

Les heures glissaient avec de terribles accrocs. Elles s’agrippaient aux vêtements de Lef, l’entraînaient dans la torpeur. Même Vann avait fini par se calmer. Prostré sur le fauteuil en face de celui de son amie, il tripotait le col de sa tunique. Ses cheveux formaient un halo de cuivre sombre autour de son crâne.
Le ciel s’assombrissait par l’unique fenêtre que comportait la pièce. Les jambes cotonneuses, Lefkan se leva et s’en approcha. Elle devait se tenir sur la pointe des pieds pour avoir un aperçu. Des toits de tuiles sombres apparaissaient dans un angle de l’ouverture. De l’autre, un bout du manoir dans lequel ils étaient enfermés. Sa façade d’un blanc calcaire était typique de l’architecture vasilienne.
On déverrouilla la porte. Lef quitta abruptement son point de vue pour affronter le nouveau venu. Elle fut tout de même décontenancée par l’apparition. C’était un jeune homme, de quelques années de plus qu’elle. Ni les mercenaires ni le conte Loren.
— Bonsoir, lança-t-il d’une voix claire quoique juvénile.
— B-Bonsoir.
Vann s’était redressé sur son fauteuil pour le saluer. Prudente, Lefkan se contenta de le dévisager en silence. Sous un long gilet gris clair, il portait une élégante tenue occidentale. Des pièces de tissu gris souris et lilas rassemblées à l’aide d’anneaux en argent. Ses cheveux châtain clair étaient savamment coiffés d’une raie sur le côté.
— Notre précédente rencontre à tant d’années, princesse Lefkan, entama-t-il en réalisant une petite courbette, que je doute que vous vous rappeliez de moi.
La concernée ne démentit pas. Ce visage ne lui disait rien.
— Je suis le fils du conte Loren, expliqua-t-il avec une expression avenante. Simeon Loren Vasilias.
— Vous…
La voix rocailleuse de Vann tira une grimace au jeune Noble. Lorsqu’il s’avança dans la pièce, Lefkan remarqua qu’un panier était suspendu à son bras. Malgré toute sa circonspection, son ventre se replia sur lui-même à la vue de la boule de pain et des outres qui en dépassaient.
— Je suis venu vous porter à manger et à boire, les informa le Noble en pénétrant dans la salle.
Vann bondit du fauteuil, s’approcha du Noble en tendant les mains. Lefkan le détesta pour son air suppliant. Était-il réellement le fils de le la fière conseillère Soraya ?
— Merci, conte Loren.
— Je ne suis pas encore conte, corrigea Simeon avec un petit rire agréable.
Lef le détestait, lui aussi. Un parfait petit Noble propre sur lui qui jouait les hypocrites. Elle ne put s’empêcher de grimacer quand il s’avança avec une gourde.
— Je sais que les hommes de mon père t’assoiffent et t’affament pour t’empêcher d’utiliser tes pouvoirs. J’ai peur que tu finisses par t’évanouir. Sans compter ta blessure.
Lef porta instinctivement une main à son épaule bandée. La guérisseuse attitrée des Loren lui avait préparé une tisane d’écorce de saule à chaque repas depuis son arrivée. La douleur était toujours logée dans sa chair, mais le plus difficile était passé. Les heures qui avaient suivi la blessure, où l’on avait désinfecté, recousu et pansé l’entaille, Lefkan les avaient passées dans la brume du pavot avec lequel le Chasseur l’avait endormie.
La perspective d’eau fraîche dans sa gorge était bien trop tentante. Lef accepta le présent pour le porter à ses lèvres. Avant que l’eau ne pût atteindre ses lèvres, elle la redirigea vers ses mains puis le long de ses bras cachés sous sa tunique. Après quoi, elle abaissa la gourde pour remercier le Noble d’un sourire docile. Elle accumula la maigre salive qui lui restait pour s’éclaircir la gorge.
— Merci.
Simeon se fendit d’un large sourire avant d’agripper la boule de pain dorée dans son panier.
— Partagez-vous le pain. Il vous nourrira mieux que le bouillon que l’on vous sert à chaque repas.
Lefkan fit signe à Vann de se servir en premier. Ses yeux ambrés se remplirent de reconnaissance alors qu’il déchirait la boule en deux. L’odeur de mie tiède qui s’en dégagea manqua faire vaciller Lef. Elle devait résister. Son plan en dépendait.
Son estomac vide se crispa de regret quand Vann mordit généreusement dans sa part. Si poison il y avait dans l’eau ou le pain, son efficacité n’était pas immédiate.
— Tu ne manges pas ?
Les yeux lilas de Simeon, les mêmes que son père, étaient plantés sur elle. Lef lui adressa une mimique embarrassée.
— Je n’aime pas manger devant les autres.
Lefkan fut sauvée d’une contestation de Vann par le pain qu’il mâchait. Avec sa spontanéité, il n’aurait pas manqué de contrer l’annonce de son amie.
— Je comprends, soupira Simeon en déposant le panier à ses pieds. Vous trouverez un peu de fromage de chèvre au fond. Je vous laisse la nourriture et les gourdes, je passerai les récupérer plus tard.
Comme Lefkan le remerciait d’un hochement de tête, il lui tourna le dos et s’éloigna. Avant que le Noble eût atteint la porte, Lef transforma l’eau enroulée autour de ses bras en pics gelés et les projeta. Simeon se figea avant de s’empaler sur l’un d’eux. La porte était à deux mètres.
— Pas bouger, cracha Lefkan en le contournant.
Le jeune Noble lui adressa un rictus pétrifié. Lef se tendit alors qu’elle poussait la porte dans son dos pour la refermer. Elle devait garder Simeon dans la pièce avec eux.
— Tu vas aller t’asseoir sur le fauteuil, lui ordonna Lefkan en le poussant d’un de ses pics de glace. Et ne pas bouger d’un pouce.
Simeon s’exécuta sans rechigner. Planté en marge de la scène, Vann en avait oublié de mastiquer son pain. Lef l’ignora pour s’approcher de son otage.
— Ta vie contre les nôtres.
— Je crains que ce ne soit pas aussi simple, princesse Lefkan.
L’intéressée se retint de lui enfoncer un pic dans la joue. Ce Noble était d’une impassibilité enrageante. Pourquoi ne se tortillait-il pas ? Pourquoi ne couinait-il pas pour sa vie sauve ?
— Ton père, cracha-t-elle en pointant un doigt accusateur vers le jeune homme, qu’est-ce qu’il veut ?
— La moitié des terres occidentales.
— Comment ? s’étrangla la princesse en laissant retomber son bras.
La surprise faillit lui faire lâcher son contrôle des pics de glace. Elle se ressaisit à temps, redressa son visage déconfit.
— Mon père a envoyé une missive à la reine pour organiser des pourparlers. Ta vie et celle de Vann Samay sont en jeu.
— C’est… c’est impossible de demander autant…
— Tu es l’unique enfant de la reine Alice. Le trône fera énormément pour te garder en vie.
— La moitié des terres, répéta Lefkan sans y croire. Ce sera la guerre.
Le jeune Noble ne prit pas la peine de répondre. Irritée, Lef se saisit de l’un des pics et l’appuya contre sa gorge, un genou sur le fauteuil.
— Pourquoi veut-il autant de terres ?
— Pour contrebalancer le pouvoir de ta mère. Mon père estime que le trône occidental se laisse aller depuis la mort de ton grand-père.
— Silvester a été un mauvais roi, siffla Lefkan d’un ton qui ne souffrait d’aucune répartie.
— Mon père pense l’inverse. Il estime que le règne d’Alice, porté sur l’unification d’Oneiris et le maintien de relations étrangères pour la paix n’a pas été bénéfique à l’Ouest.
— Ma mère a agi ainsi pour aider les autres Terres. Après la réunification des Dieux, tout a changé. Les Nordistes ont eu besoin de matériaux, les Sudistes de partenaires commerciaux. L’Ouest a profité de ces occasions. Et ton père ose dire que ma mère a mal régné ?
Les joues de Lef lui chauffaient. L’air tranquille de Simeon ne l’aidait pas à calmer ses nerfs.
— Mon père va lui proposer un marché très simple : ta vie contre toutes les terres côtières.
— Les côtes ?
— Oui. Vasilias régule tout le commerce maritime. Mon père dirigera son propre royaume côtier depuis la capitale. Ta mère gardera les terres continentales.
Sidérée, Lefkan recula en secouant la tête.
— Un marché plutôt intéressant, observa Simeon en se frottant la joue.
Lef se retint de lui coller son poing dans le nez. Elle s’obligea à reculer pour instaurer une distance de sécurité et se contenta de fulminer sur place.
— Tu vas passer la nuit ici avec nous, déclara Lef une fois sa fureur tempérée. Demain, tu serviras d’otage pour les pourparlers.
Un sourire mutin étira les lèvres du jeune Noble.
— Les domestiques et mon père vont rapidement remarquer ma disparition.
— Peu importe. Je vais te surveiller toute la nuit.
— Très bien, princesse Lefkan.
Lef détesta l’air satisfait qu’il afficha en prononçant ces mots.

Vann s’assoupit alors qu’il avait promis d’aider Lef à surveiller leur otage. Lefkan n’en était plus à une déception près. Sa colère s’en retrouva même alimentée et, par extension, son besoin de sommeil s’amoindrit. Tout aussi éveillé qu’elle, Simeon était confortablement allongé sur le fauteuil de Lef. Agenouillée en face de lui, Lefkan maintenait les pics de glace à quelques centimètres de son visage.
— La nuit va être longue, commenta-t-il en récurant l’un de ses ongles.
Lef ne prit pas la peine de répondre. Même si le panier comportait une troisième gourde et sa part de pain, elle refusait d’y toucher. Si Vann se réveillait en pleine nuit en vomissant et en pleurant, elle ne pourrait que s’en féliciter. Sinon, Lef n’avait qu’à attendre le lendemain. Tout serait terminé.
La nuit fut particulièrement longue. Les gardes ne songèrent pas à chercher dans leur pièce. À vrai dire, sûrement emportés par les recherches du jeune Noble, les domestiques en oublièrent même de leur amener leur soupe du soir. Face à la moue perplexe de Lef, Simeon lui avoua que personne n’était au courant de son escapade auprès des deux jeunes otages.
À la grande surprise de Lefkan, Simeon s’efforça de faire la conversation pour les maintenir tous deux réveillés. Dans le noir – on ne leur avait pas fourni de bougies – et le silence, la voix modulée de Simeon permit à Lef de garder les yeux ouverts des heures durant. Il n’était pas aussi méprisable que prévu. Quand, par la fenêtre étroite, le ciel finit par s’éclaircir, Lefkan décida de manger et boire un peu. Vann n’avait pas ouvert l’œil de la nuit et sa respiration n’avait pas changé. Simeon, qui s’était douté des craintes de la princesse, lui avait assuré n’avoir rien empoisonné.
Lefkan ne lui proposa pas pour autant un bout de pain ou une gorgée d’eau. Elle devait se montrer aussi pragmatique que ses ravisseurs. Ses genoux tremblaient quand elle finit la gourde. Rester éveillée toute la nuit en maintenant deux pics de glace contre la gorge de Simeon l’avait vidée de ses dernières gouttes de pouvoir. L’eau fraîche dans son corps la fit frissonner de plaisir.
— Tiens-toi prête, lui lança Simeon en se redressant sur le fauteuil.
Lefkan fronça les sourcils en s’essuyant les lèvres.
— Les gardes ne tarderont pas, l’informa-t-il avec un sourire de velours. Pour les pourparlers.
Il grimaça quand l’un des pics s’approcha dangereusement de son œil à la couleur lilas.
— Je suis prête, déclara Lef avec un rictus sauvage.
Simeon se contenta de l’observer en silence. Son air satisfait agaçait toujours autant la princesse. Il n’avait jamais exprimé la moindre peur. Pas même la surprise. Comme si tout se passait selon son bon vouloir.
Et Lef n’aimait pas du tout ça.

Les trois adolescents durent patienter encore une heure avant que le verrou tournât dans la serrure. Lef plaça Simeon devant elle pour qu’on l’aperçût en premier et se tint prête. Une lame de glace logée dans la main et l’autre occupée à contrôler les pics glacés qui menaçaient l’héritier des Loren.
— Princesse Lefkan, vous devez me…
Le jeune garde qui était entré dans la pièce se figea. Légèrement de biais, Lefkan remarqua qu’il était accompagné de deux mercenaires, dont le Chasseur qu’elle rêvait d’abattre depuis des jours.
— Simeon, s’étrangla le soldat en portant la main à l’épée à sa hanche.
— Tout va bien, Renn, le rassura le concerné en levant les mains.
— Les Occidentaux ont une notion étrange des situations où « tout va bien » commenta le Chasseur en posant un regard amusé sur Lef.
— Laissez-nous passer, cracha la princesse.
D’une pression de son pic gelé, elle força Simeon à s’avancer. Le soldat, Renn, devait faire partie de la garde personnelle des Loren. On l’avait sûrement chargé d’escorter les deux otages jusqu’à la rencontre. Lef allait se faire un plaisir de s’escorter elle-même.
— On va quand même pas la laisser faire ? gronda le Chasseur quand Renn recula pour laisser passer les adolescents. C’est une gamine.
— Une gamine qui a blessé l’un de tes gars, non ?
La réplique du soldat tira un sourire furtif à la princesse. Le Nordiste qu’elle avait poignardé de sa lame de glace n’était pas réapparu. Elle savait qu’elle ne l’avait pas tué, simplement blessé au bras, mais sa fierté devait être bien meurtrie.
— À trois soldats, on devrait pouvoir se débarrasser de deux morveux.
Excédée, Lef orienta le pic gelé vers la joue de son otage pour l’entailler légèrement. Le cri surpris de Simeon coupa net la discussion. Les gouttes de sang qui perlèrent sur la pommette du jeune homme arracha une grimace au soldat. D’un ton prudent, il souffla :
— Nous allons vous emmener jusqu’à la salle des pourparlers.
Les Nordistes se placèrent devant, Renn et Simeon au milieu, suivis de Lef et son ami. Vann jetait des coups d’œil par-dessus son épaule pour s’assurer qu’on ne les suivait pas. À la prochaine intersection les attendaient deux soldats. Lefkan grimaça en apercevant le blason qui ornait leur veste renforcée de cuir. Les couleurs étaient celles de la garde royale de Vasilias. Un bataillon qui s’était donc rangé du côté des Loren.
— Levez vos armes, leur ordonna Renn d’un ton sec.
Les gardes s’exécutèrent en clignant des yeux confus. Qui s’éclairèrent de compréhension à la vue du pic glacé appuyé contre la glotte de Simeon et de l’air féroce de Lefkan. À plusieurs reprises, domestiques et soldats s’arrêtèrent pour les regarder passer avec appréhension.
— Nous sommes à côté de la salle des pourparlers.
La révélation de Renn incita le groupe à ralentir. Un couloir les séparait des portes gardées par une dizaine de soldats de Vasilias. Encore caché par l’angle, le groupe était à l’abri des regards. Simeon se tourna vers son otage-ravisseuse avec un rictus en coin.
— À présent, princesse Lefkan ? Vous espérez passer à travers les gardes ?
La princesse se décala avec prudence pour évaluer la situation. Encouragé par leur avantage numéraire, le bataillon prendrait-il le risque de les affronter ? Tendue, Lefkan leva le nez vers Simeon avant de s’enquérir :
— Les pourparlers ont déjà commencé ?
— Vu le nombre de soldats en place, oui, commenta le jeune Loren d’une voix suffisante.
Lef jura mentalement. Ses parents étaient-ils venus escortés par la garde royale ? Étaient-ils seuls en compagne de Soraya et de Richard Loren ? Elle devait agir avec prudence sans plus d’informations sur la situation.
— On bouge ou on reste à moisir ici ? cracha le Chasseur en portant la main à sa dague.
Lefkan le foudroya du regard en tendant sa lame de glace dans sa direction.
— Vous dégainez et je crève l’œil du Loren.
Pour apaiser la situation, Renn posa une main diplomate sur l’épaule de son mercenaire. Il échangea un regard avec Simeon que Lef fut incapable de qualifier. La tension au creux de ses omoplates s’aiguisa.
Depuis qu’il était arrivé en compagnie de Renn, le Chasseur forçait régulièrement sur le contrôle élémentaire de Lef. La princesse tenait bon, incapable d’imaginer ce qui se passerait si le Nordiste lui volait son pic de glace. Les rôles seraient inversés le temps d’un battement de cœur. Lefkan dut rester concentrée sur cette bataille mentale tandis qu’elle rassemblait autour d’elle des molécules d’eau gazeuses. Invisible à l’œil nu, mais perceptible à ses sens d’Élémentaliste, le nuage ainsi formé se déplaça le long du couloir. La princesse retint un soupir de soulagement quand le Chasseur ne broncha pas. Peut-être n’était-il pas assez sensible à la forme vaporeuse de l’eau pour le ressentir. Les secondes s’écoulèrent dans un silence tendu alors que Lef dirigeait de loin sa bulle gazeuse à travers la muraille de soldats. Si les pourparlers avaient bel et bien commencé, son père devait être dans la salle. Alors il sentirait le nuage de Lef, technique qu’il lui avait enseigné personnellement, et agirait. Lefkan adressa une prière aux Dieux quand elle céda son contrôle sur le nuage.
— Qu’est-ce qu’on fait ?
La question morgue du Chasseur ramena Lef dans le couloir plongé dans la pénombre. Avant qu’elle eût pu lui siffler une réponse acide au visage, la salle des pourparlers s’agita. Les soldats postés en faction devant les portes dégainèrent, alarmés par des éclats de voix et de lames en provenance de l’intérieur.
Le plan de Lef avait fonctionné. La princesse sourit, mais sa joie fut de courte durée. Trop vif pour qu’elle pût l’en empêcher, Renn repoussa le pic gelé à l’aide son gant renforcé d’une plaque de métal. Lefkan bondit avec sa lame de glace, mais le soldat l’écarta du fourreau de son épée.
— Vann !
Le bref cri de la princesse fut étouffé par un coup de poing du Chasseur dans son épaule blessée. Sous les bandages, des points de suture lâchèrent. Sonnée de douleur, Lef trébucha puis se cogna le crâne contre le mur. Des points noirs envahirent sa vision.
— Renn, maintenant.
L’ordre impérieux de Simeon sonna la fin du combat. Son épée dégainée, le soldat des Loren l’enfonça jusqu’à la garde dans la poitrine du Chasseur. Vann, qui s’était entouré de flammes, en resta stupéfait.
— Qu’est-ce que…
Le deuxième Nordiste n’eut pas le temps de brandir son couteau. Simeon Loren s’était glissé jusqu’à lui pour le saisir à la gorge. Le coup de jus fut suffisamment fort pour lui dresser les cheveux et répandre une odeur de roussi dans le couloir.
Hébétée, Lefkan dévisagea le jeune homme et le soldat. Était-elle en train de rêver ?
— Debout, princesse Lefkan.
Renn lui tendait une main gantée. Sous ses cheveux blond foncé, ses iris noisette luisaient avec bienveillance. Lef rejeta son aide et se recroquevilla contre le mur. Son crâne résonnait encore du choc avec le mur. Bientôt, le garde passerait le fil de sa lame sous sa mâchoire.
— Doucement, Renn, implora Simeon en s’agenouillant à côté de l’adolescente. Princesse Lefkan, nous devons agir rapidement. Les hommes de mon père et les mercenaires nordistes vont rapidement s’apercevoir que quelque chose ne va pas.
— Je ne comprends pas, maugréa Lef en portant une main à son épaule meurtrie.
Sa tunique était mouillée d’un liquide chaud. En le remarquant, Simeon se pencha vers elle.
— Princesse Lefkan, pardonnez mon impertinence.
Se faisant, il la saisit par les aisselles pour la redresser. Lef était trop épuisée pour répliquer, tant en paroles qu’en actes. Vann rejoignit l’héritier des Loren pour la soutenir. Renn se plaça devant eux dans une attitude protectrice.
À l’autre bout du couloir, les gardes étaient en mouvement. Des lances glacées en avaient déjà empalés deux au mur. Cette vision ramena du baume au cœur à Lef tout en la baignant d’horreur. Son père était sûrement responsable de ces attaques.
— Renn, pars devant, lança Simeon en lui posant une main sur l’épaule. Va aider la reine et ses hommes.
Avant de rejoindre le combat, Renn agrippa Simeon pour lui plaquer un baiser sur le front.
— Protège les petits.
— Protège la reine.
Et il s’élança l’épée au clair.

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Suite
Dernière modification par louji le sam. 05 févr., 2022 6:38 pm, modifié 1 fois.
vampiredelivres

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par vampiredelivres »

Esh c’est le chaos :shock:


Quelques p’tites bêtises que j’ai relevées au vol :
Conte Loren => Comte (plusieurs fois)
la nuque docile => pas sûre que ce soit l’adjectif le plus adapté… gracile à la limite ?
Se faisant => Ce faisant


Je reviens, promis !
louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : mer. 26 janv., 2022 10:36 am Esh c’est le chaos :shock:


Quelques p’tites bêtises que j’ai relevées au vol :
Conte Loren => Comte (plusieurs fois)
la nuque docile => pas sûre que ce soit l’adjectif le plus adapté… gracile à la limite ?
Se faisant => Ce faisant


Je reviens, promis !
Yosh ! Oui c'est mouvementé :lol:

Merci pour les corrections (comte je l'ai mal écrit tout le long en fait :v)

Pour la nuque docile, je voulais faire ressortir l'impression d'obéissante/impuissance du comte face à Lef si elle était en possession de tous ses moyens. Après ça fait peut-être bizarre ?
TcmA

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par TcmA »

Hiello~

Rép à ton comm d'il y a 84 ans bichette :'D
Nan mais on part d'un mix entre Al², on pouvait pas avoir autre chose qu'un p'tit démon :lol:
Vouiii, Alice ;w; Je sens qu'ils vont pas super bien réagir à l'enlèvement de Lef (je vois bien Al partir en mode yolo d4rk boi je pète tout sur mon passage) Update après le chap 3 : hm, on le sent venir nyéhé

Chapitre 3
Comte Loren (je lis ça Laurent, juste pour lui faire les pieds). Ok, il s'appelle Richard Laurent (et en anglais, on l'appellera Dick, c'est parfait), paye ta crédibilité, mec. Quel homme charmant. Il est détestable, je prends un malin plaisir à lui cracher dessus. Il se sent plus pisser, c'est fou. (Mon premier réflexe a été de me dire "ptn, encore un m e c, aled les pensées automatiques MDRRRRR)
Bon. J'allais cracher sur Simeon aussi, mais la fin le sauve. Gentil monsieur.
Nyohohoh, j'ai bien repéré le fameux pavot dont on avait débattu !
Purée Lef, par contre, la puissance :shock: Elle est toute jeune et elle arrive quand même à tenir ses pouvoirs toute la nuit, chapeau !
Encore une fois, c'est un bon chapitre bravo !! Je suis toujours entraînée par l'histoire, surtout avec ce petit retournement de situation à la fin, c'est bien cool ! Je me demande bien où tu vas nous amener x)

A plus dans l'bus pour la suite !

La bise~
louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

TcmA a écrit : mer. 26 janv., 2022 9:45 pm Hiello~

Rép à ton comm d'il y a 84 ans bichette :'D
Nan mais on part d'un mix entre Al², on pouvait pas avoir autre chose qu'un p'tit démon :lol:
Vouiii, Alice ;w; Je sens qu'ils vont pas super bien réagir à l'enlèvement de Lef (je vois bien Al partir en mode yolo d4rk boi je pète tout sur mon passage) Update après le chap 3 : hm, on le sent venir nyéhé

Chapitre 3
Comte Loren (je lis ça Laurent, juste pour lui faire les pieds). Ok, il s'appelle Richard Laurent (et en anglais, on l'appellera Dick, c'est parfait), paye ta crédibilité, mec. Quel homme charmant. Il est détestable, je prends un malin plaisir à lui cracher dessus. Il se sent plus pisser, c'est fou. (Mon premier réflexe a été de me dire "ptn, encore un m e c, aled les pensées automatiques MDRRRRR)
Bon. J'allais cracher sur Simeon aussi, mais la fin le sauve. Gentil monsieur.
Nyohohoh, j'ai bien repéré le fameux pavot dont on avait débattu !
Purée Lef, par contre, la puissance :shock: Elle est toute jeune et elle arrive quand même à tenir ses pouvoirs toute la nuit, chapeau !
Encore une fois, c'est un bon chapitre bravo !! Je suis toujours entraînée par l'histoire, surtout avec ce petit retournement de situation à la fin, c'est bien cool ! Je me demande bien où tu vas nous amener x)

A plus dans l'bus pour la suite !

La bise~
Mdr comme je t'avais dit, j'ai bien ri sur le "Laurent" :lol:
Mais ouais, sacré personnage :") J'avoue m'être pas trop pris la tête sur d'éventuelles nuances :roll: (je voulais surtout que sa motivation soit crédible)
Yééé Simeon bébou
Oui le pavot mdrrr il m'avait pris la tête
Lef c'est clairement une bombe T-T Elle est méga puissante et, encore, elle est jeune là :D

Et merci beaucoup pour ton retour :D
louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

Holaa, v'là la suite ! On en est à la moitié de la novella je dirais :geek:



Chapitre 4
Le jugement



An 523 après le Grand Désastre, 2e mois de l’automne, Vasilias, Terres de l’Ouest.



Lefkan aurait été gênée qu’un inconnu s’occupât des bandages de son épaule si elle n’avait pas été si embrumée. Toujours postés dans le couloir, Simeon avait déchiré un bout de tunique de la princesse pour compresser sa blessure. Planté devant eux, Vann se tenait prêt à déchaîner ses flammes à la moindre menace.
— Pourquoi ?
Simeon se contenta d’un mince sourire alors qu’il serrait le nœud autour de l’épaule de sa jeune protégée. Irritée, Lef lui saisit le poignet pour le forcer à la regarder.
— Simeon Loren. Pourquoi ?
Le jeune homme soupira. Puis se redressa en lorgnant en direction de la salle de rencontre. Des cris de détresse et des plaintes de souffrance en provenaient.
— Je n’approuve pas le plan de mon père. C’est un salaud bouffi d’orgueil et de pensées arriérées. À mes yeux, la reine Alice n’a pas à rougir de son règne. Et je suis certain que sa fille saura servir l’Ouest avec justesse et progrès.
La princesse cligna des paupières. Tout s’était passé si vite. Pourtant, elle comprenait à présent l’attitude docile et sensiblement amusée de son otage. Les actions de Lef s’étaient tournées en son sens.
— Je vais m’approcher pour voir comm…
La déclaration de Simeon fut interrompue par un hurlement strident. Alertés, ils se tournèrent vers la salle, où les portes grandes ouvertes crachèrent des gardes blessés et un comte défait. Richard Loren serrait un bras inerte contre lui, une partie du visage couverte de sang.
Le cœur de Lef remonta dans sa gorge quand elle aperçut son père s’avancer au milieu des soldats à terre, Eon au bout du bras. Sans Kan, il avait l’air incomplet, mais les Loren avaient retiré son sabre à la princesse quand elle était arrivée. Ils le retrouveraient sûrement dans l’armurerie – ou exposé au milieu d’un salon d’invités.
Lefkan se redressa d’un bond en dépassant Simeon.
— Papa !
Son cri se fondit dans les exclamations outragées des gardes encore debout autour de leur comte. Quelques Nordistes se mêlaient parmi eux ; le reste de la troupe de mercenaire qui avait été engagée pour compléter les forces vasiliennes.
Impitoyable, le père de Lef leur vola à chacun leur contrôle des éléments pour les piéger avec leurs propres piques glacées ou bulles d’eau. Alors qu’il s’avançait vers le reste des opposants, Soran apparut à côté de lui. Une nouvelle vague de chaleur enveloppa Lef à la vue de son mentor. Les mains enveloppées de feu, le capitaine de la garde royale menait un escadron d’une demi-douzaine d’hommes et de femmes.
— Rendez-vous, comte Loren, siffla Soran d’une voix mordante.
— Je détiens votre fille en otage ! aboya-t-il en retour à l’attention du compagnon de la reine. Je vais ordonner à mes hommes de la tuer si vous…
— Elle est juste là.
La déclaration glaciale de son père amusa Lefkan. Même de loin, elle vit Richard Loren s’affaisser. Les regards se tournèrent vers leur petit groupe.
— Simeon ?
Le geignement de son père tira à l’intéressé une grimace dégoûtée.
— Tu… tu m’as trahi ?
Comme le silence s’installait, l’héritier des Loren s’avança d’un pas assuré en direction de son père. Méfiant, Soran se tourna vers lui, mais il fut dépassé par Renn.
— Nous sommes de votre côté.
Pour prouver sa bonne volonté, le soldat personnel des Loren lâcha son épée. Soran abaissa le bras en retour.
— Renn ! l’appela Simeon en trottinant dans sa direction.
Les jeunes hommes s’étreignirent avant de faire face au reste des deux camps.
— Simeon, couina Richard en tendant les doigts vers lui. Mais pourquoi ?
Son fils prit une inspiration sonore avant de saisir Renn par l’épaule. Sous le regard de tous, il pressa ses lèvres contre celles du garde. Lef papillonna des yeux sous le choc. Elle avait vu des hommes et des femmes s’embrasser entre eux. Des Nordistes, des Sudistes, des Orientaux. Jamais dans ses Terres. C’était tabou. Dénoncé.
— Parce que tu n’aurais jamais accepté mon amour, expliqua Simeon d’une voix calme quoique amère. La reine Alice a promis de lever l’interdiction des mariages intrasexes.
— Et elle n’a rien fait ! cracha Richard en pointant un doigt accusateur vers la salle des pourparlers.
— Son règne n’est pas terminé. Et celui de sa fille est à venir.
Sur ces mots, il jeta un coup d’œil à Lef. La chargea d’une promesse silencieuse.
— Lefkan !
La princesse sortit de sa torpeur quand l’appel de sa mère traversa le couloir. Elle apparut derrière Soran, les doigts encore parcours de petits éclairs. Ses beaux vêtements étaient brûlés par endroits, tachés de sang à d’autres. Son visage pâle et inquiet était pourtant traversé d’une colère électrique qui saturait l’air.
Après s’être assurée que sa fille était en sécurité, elle vira vers son opposant.
— Comte Loren, entonna la reine d’une voix sèche.
Elle enjamba deux corps pour se porter à hauteur de son adversaire. Richard Loren la dépassait d’au moins une tête – comme la majorité des personnes présentes – mais il ne bougea pas d’un cil. L’électricité dansait sur les bras nus de la reine et sa mâchoire serrée contenait tout juste sa rage palpable. Elle s’apprêta à dire quelque chose, mais son compagnon la dépassa pour enserrer le col du Noble.
— Raclure de traître.
L’accent âpre du Nord ressortait dans la voix du père de Lef. Après des années à vivre dans l’Ouest, il l’avait pourtant perdu. Le mélange de colère et de peur l’avait fait ressortir. Un frisson parcourut la colonne vertébrale de Lef ; elle sentait les éléments aqueux s’agiter dans les environs.
— Utiliser une enfant comme otage. Il y a bien que des Nobles pourris et des Nordistes bafoués pour en venir à ça.
Tout en plaquant le comte contre le mur, il cracha en direction des mercenaires nordistes qui grognaient de douleur au milieu des gardes vasiliens. Décidée à ne pas rester en retrait, Lefkan s’efforça d’avancer un pas après l’autre dans leur direction. Son épaule la lançait et l’épuisement rendait ses genoux tout mous, mais elle ne pouvait pas s’effondrer maintenant. Pas ici. Pas sous les yeux de sa meute et de ses peuples.
— Achalmy.
Lef ralentit en arrivant à hauteur de Renn et Simeon. Sa mère s’était avancée pour empoigner le bras de son compagnon. Ils échangèrent un bref regard, chargé d’éclairs et de glace, avant qu’il ne finît par lâcher le comte. Sans brusquerie, la reine le força à reculer avant d’affronter le Noble.
— Comte Richard Loren, sous les yeux de nombreux témoins et en entente avec la garde vasilienne, vous avez trahi votre reine et vos Terres.
Le Noble lui adressa un rictus acide en guise de réponse.
— Alice, vous avez pu voir de vos propres yeux la colère de Vasilias. Si la garde s’est alliée à moi, c’est bien la preuve que leurs revendications rejoignent les miennes. Depuis votre petit palace doré, vous n’avez plus conscience de ce qui se passe dans nos Terres.
— Je suis votre reine, comte Loren, et j’entends me faire traiter avec les respects qui me sont dus.
L’intéressé lui offrit un rire gras en retour.
— Vous n’êtes qu’une enfant, Alice. Vous jouez aux diplomates avec le reste des Terres pendant que nos paysans et nos marchands meurent de leur travail. Votre père au moins sa…
— Mon père est mort, car c’était un imbécile idéaliste.
Richard se tut, ouvrit la bouche, mais Simeon le devança :
— Père, je t’en prie, cesse.
La bouche morne, l’héritier des Loren s’avança jusqu’à son père. Les épaules droites malgré la situation, il s’inclina devant la reine et déclara :
— Reine Alice, au nom des Loren, je souhaite vous présenter nos plus sincères excuses.
— On vous pardonnera jamais, cracha le père de Lef en brandissant son katana.
— Al, soupira la reine en levant une main. Simeon, je vous en prie, continuez.
— Je… je demande un jugement royal pour mon père.
Lefkan fronça les sourcils avant d’observer les réactions. Quelques murmures s’élevèrent autour d’elle sans qu’elle pût en tirer une véritable conclusion. Les jugements royaux avaient habituellement lieu au Château du Crépuscule pour les plus sordides affaires du royaume.
— Si-Simeon, bredouilla Richard Loren d’un ton déconfit. Tu... Je requiers un jugement public !
— Si tu es jugé publiquement, Vasilias te pardonnera, répliqua son fils avec fermeté. Depuis des années tu te rapproches des Vasiliens. Ils t’apprécient, c’est indéniable.
— On ne devrait donc pas prendre en compte leur avis ? se rebiffa le Noble en écarquillant les yeux.
Dépité, Simeon secoua la tête en rejoignant son père près du mur où il était plaqué. Les parents de Lefkan suivaient leur échange en silence. Lef en profita pour se rapprocher encore. Les corps des soldats en train de se tortiller en geignant l’arrêtèrent. Tout ce sang, ces blessures, ces râles… tout ça pour un conflit de pouvoir ?
— Père, tu voulais prendre le contrôle de toutes les terres côtières. Dans les faits, tu n’avais d’intérêt que pour Vasilias et son contrôle sur le commerce maritime.
— Nous aurions construit un royaume, maugréa le comte Loren d’un ton sourd. Pour contrebalancer les décisions infâmes d’Alice.
— Ridicule, cracha Soran en croisant les bras sur sa poitrine. Vous auriez rallié les Nobles des terres du littoral à votre coup d’État ?
— Certains étaient déjà prêts, assura-t-il en se rengorgeant.
Simeon s’avança de nouveau, mais la reine leva la main. Un sourire dépité étirait ses lèvres.
— Je pense que je dois vous remercier, comte Loren. Je ne vais pas nier l’orientation de mes décisions ces dernières années. J’ai choisi de privilégier la stabilité d’Oneiris, mais le peuple occidental mérite que des mesures soient prises pour leur avenir. (Lef frissonna quand son expression se fit plus amère.) Quant aux Nobles qui étaient prêts à vous aider, je me ferais un plaisir de les rencontrer.
— Vous les tuerez, oui, s’indigna le comte Loren en essuyant le sang qui coulait de sa tempe.
— Aucunement. Ce qui s’est passé m’a ouvert les yeux. Les Occidentaux ont besoin de se sentir écoutés et accompagnés. Or, les Nobles sont le lien direct entre eux et moi. Je rencontrerai donc les familles qui vous ont soutenu et j’entamerai des discussions.
Lefkan restait bras ballants à quelques mètres des adultes. Une part d’elle avait encore l’impression de rêver. Tout avait été trop rapide, trop brutal. Elle aurait aimé retrouver le confort de son nid, être entourée et protégée par sa meute.
— En attendant, décida la reine en se tournant vers sa fille, un jugement royal a été demandé par votre fils. Je vous propose que nos enfants respectifs prennent part à ce jugement.
Quand Lef comprit ce qu’on attendait d’elle, elle se sentit vaciller. Face à son air hagard, son père se détacha du groupe d’adultes pour la rejoindre. La main qu’il plaça dans le dos de la princesse l’empêcha de s’effondrer sur place.
— J’accepte.
Simeon s’était tourné vers l’adolescente. Ses yeux lilas luisaient d’un trouble inquiet.
— Trois décisions s’ouvrent à toi, Lefkan.
Sa mère avait avancé de quelques pas vers elle. Son regard indigo s’était adouci, mais son expression avait la dureté de son trône. Lef n’osa pas s’en détourner.
— Tu peux choisir de lui retirer son titre et sa mainmise sur Vasilias, mais il pourra continuer sa vie dans l’Ouest, prononça la reine d’un ton inflexible. Tu peux choisir qu’il soit exilé à l’étranger. Ou prononcer un emprisonnement à vie.
— On devrait le tuer !
La voix tonitruante provenait d’une femme plantée dans le couloir d’où Lef et les autres étaient arrivés. Vann avait agrippé la cape élégante de sa mère et pleurait en silence.
— Soraya, lança la reine avec soulagement. Tu as disparu quand nous sommes arrivés au manoir. Où étais-tu passée ?
— J’ai contourné le domaine et trouvé une entrée secondaire, expliqua-t-elle en enroulant les épaules de son fils d’un bras protecteur. Je devais agir, Alice.
— Tu aurais pu les mettre en danger, marmonna celle-ci en observant tour à tour Vann et sa fille. Nous réglerons nos comptes plus tard. Lefkan, tu dois prendre ta décision.
La princesse jeta un regard suppliant à son père. C’était son soutien à lui qu’elle requerrait lorsque sa mère l’écrasait d’une responsabilité. À sa grande déception – et crainte – les yeux de son père étaient gelés, tempétueux.
— Je… je ne sais pas, gémit-elle en serrant ses mains l’une dans l’autre. Mais… je ne veux pas… Je refuse que le comte Loren puisse encore régner sur Vasilias.
Le Noble poussa une exclamation ahurie.
— C’est un scandale, siffla-t-il en pointant la princesse d’un doigt paré d’une chevalière en or. C’est une enfant. Une enfant n’est pas en mesure de porter un jugement.
Lefkan sentit son père se tendre à ses côtés, mais il ne prononça pas un mot. Rien ne relevait de sa juridiction en cet instant. En épousant la reine, il avait accepté d’être un garde du corps, un conseiller et un soutien. Mais il n’était sûrement pas son égal.
— Les Vasiliens…
Lef détestait sa voix tremblante. Sa force et son courage s’étaient envolés après une longue nuit d’attente et les premiers affrontements. Ce dernier combat lui semblait hors de portée.
— Les Vasiliens veulent peut-être décider eux-mêmes ?
Désemparée, sa mère la dévisagea un instant avant de se recomposer une façade impassible.
— Lefkan, ce serait retomber dans un jugement public.
— Et ils ne le tueraient jamais, ricana Soraya derrière elle.
Lef jeta un coup d’œil à la conseillère. Elle savait aussi bien que les autres que l’exécution était interdite dans l’Ouest. Sa mère s’en était assurée après les diverses menaces de mort qu’avait fait planer son père pendant son règne. Le châtiment le plus sévère revenait à être emprisonné à vie.
— Soraya, lança la reine d’une voix dure, tu n’as pas ta place dans ce jugement.
— Ah oui ? Ce n’est pas mon fils qui a été enlevé et menacé ?
— La menace qui a pesé sur ton fils sera prise en compte par le jugement de Lefkan. Mais ni lui ni toi ne faites partie de la famille royale.
Les mots recélaient une sécheresse que Lefkan n’aurait pas crue entendre. Crispée, elle assista en silence à la tension qui s’installait entre sa mère et sa conseillère. Soraya finit par lui adresser un sourire tordu avant d’empoigner son fils par le bras.
— Viens, Vann. Nos conseils ne sont plus requis.
— Sora, souffla le père de Lef lorsqu’elle passa près d’eux.
— Nous nous reverrons plus tard, Al. Quand ta femme sera redescendue de son piédestal.
La reine ne laissa rien paraître alors que sa plus proche conseillère quittait les lieux sans un regard en arrière. Richard Loren en profita pour éclater de rire.
— Un bel exemple de ton règne, Alice. Les étrangers se sentent si à l’aise chez nous qu’ils estiment avoir un droit dans un jugement royal.
Préférant l’ignorer, la reine se tourna vers sa fille.
— Lefkan, tu souhaites porter l’affaire sur la place publique de Vasilias afin d’écouter l’avis du peuple ? (Comme elle hochait la tête, sa mère inclina le menton en soupirant.) Bien, tu donneras ton jugement plus tard, dans ce cas. Capitaine Soran, arrêtez le comte Loren je vous prie. Nous le menons face à ses habitants.

La place publique de Vasilias, qui dominait le port et l’océan, était aussi l’emplacement du marché quotidien. Quand la Garde Royale se présenta en compagnie de la reine, de sa famille, et des Loren, les badauds déguerpirent sans demander leur reste. Perplexes, les marchands se rassemblèrent derrière leurs étals pour murmurer et se plaindre.
— Bonjour, peuple de Vasilias.
Son bras en écharpe, Lefkan leva le nez vers sa mère. Sa voix était plutôt douce et modulée. Elle avait pourtant porté à travers toute la place, car les chuchotis ne s’éternisèrent pas. Les badauds qui avaient fui les lieux quelques instants plus tôt ne s’étaient guère éloignés. Leurs paniers sous les bras, des enfants accrochés aux basques, ils s’approchèrent avec curiosité.
Une fois certaine de l’attention des habitants, des marchands et des gardes, la reine adressa un signe de tête à son compagnon. D’un air résigné, le père de Lef s’avança, enfonça la pointe de son long sabre entre deux pavés et murmura tout bas. Lefkan ne discerna pas avec exactitude les mots, mais elle en devina sans mal la teneur. Eon, le katana de glace de son père, frémit sous le soleil matinal. En quelques secondes, des blocs de glace naquirent autour de la lame pour former une estrade d’un mètre de haut.
— Peut-être en avez-vous eu vent, entonna la mère de Lef en grimpant l’escalier gelé qui menait au sommet de la structure. Le comte Richard Loren Vasilias a fomenté un plan afin de s’emparer de la capitale et des terres côtières.
Lef observait sa mère bouche bée. Sa cape blanche fouettée par le vent marin, juchée un mètre au-dessus de la foule, la jeune fille se demanda si elle aurait un jour la même prestance. Le regard sombre de sa mère finit par tomber sur le comte Loren.
— Je vous en prie, montez sur l’estrade, comte Loren Vasilias.
L’intéressé grimaça quand un garde royal le poussa vers la structure de glace. Il cracha aux pieds du compagnon de la reine avant d’entamer son ascension.
— Peuple de Vasilias, reprit la reine en tournant sur elle-même. Le comte Loren Vasilias a missionné des mercenaires nordistes pour enlever ma fille. Votre princesse. Il souhaitait l’échanger contre des titres et des terres.
Lefkan se força à détacher le regard de la silhouette rigide de sa mère pour observer la foule. Elle se tenait à une distance respectueuse du groupe de soldats qui escortait la princesse et les Loren. Pour autant, les corps se pressaient en direction de l’estrade avec avidité. Il n’y avait pas eu pareille esclandre depuis le règne précédent. Les événements qui animaient ce jour-là la place de Vasilias amuseraient les mémoires encore de nombreuses années.
— Au vu de la gravité des faits, déclara la mère de Lef d’un ton ferme, un jugement royal a été prononcé.
Un murmure traversa les badauds. Les jugements royaux se faisaient dans l’obscurité et le secret du Château du Crépuscule. Sûrement pas au milieu de la capitale. Intriguée, la foule finit par se taire en attente de la suite.
— La princesse Lefkan étant la principale concernée dans cette affaire, nous avons décidé de lui laisser le choix du jugement à porter.
La reine avait vaguement agité la main vers sa fille à ces mots. Des regards glissèrent vers Lefkan, s’y accrochèrent. La princesse serra les dents en dépit de l’attention soudaine. Même si elle s’était changée et nourrie avant d’assister au jugement, elle se sentait empaffée et vulnérable.
— Elle a imposé une première condition avant d’émettre son jugement. (La reine s’efforça de sourire à la foule qui l’écoutait en silence.) La princesse Lefkan requiert votre avis, peuple de Vasilias.
Comme sa mère lui faisait signe de la rejoindre, Lef inspira un bon coup et gravit les petites marches qui donnaient accès à l’estrade de glace. Elle se plaça aussitôt du côté de sa mère, toisant le comte Loren avec méfiance.
— Si vous le voulez bien, expliqua la reine en embrassant la foule d’un regard franc, approchez des gardes ou de l’estrade afin de donner votre avis concernant le jugement à porter.
Les habitants restèrent immobiles dans un premier temps. Quelques citoyens courageux approchèrent finalement des soldats pour discuter. Lefkan observa le mouvement de foule, nota les expressions contrariées et celles soulagées.
— Pourquoi condamner le comte ? lança un homme au pied de l’estrade. Il avait pas de mauvaises idées.
— Vous êtes donc en faveur de deux royaumes sur les Terres de l’Ouest ? s’enquit la mère de Lef d’une voix égale. Vous auriez accepté que Richard Loren devienne roi de Vasilias et des côtes ?
— Je sais pas. Il a promis de réduire les taxes sur le commerce des bateaux.
— Et d’augmenter celle sur les produits de culture et d’élevage, devina la reine avec un sourire dépité. Vous auriez eu une marge plus intéressante sur vos cargaisons, sans aucun doute. Toutefois, cela aurait signifié payer une fortune les produits en provenance des terres continentales.
L’homme ne chercha pas à rétorquer, l’air pensif. La reine en profita pour lui demander :
— Pensez-vous que je sois une mauvaise reine ?
— Pas spécialement vous, ma Dame. Vous m’nez le même genre d’règne que l’Ouest connaît d’puis des siècles. Le vôtre ou c’lui des Loren, j’crois pas que y’ait une grosse différence.
Lefkan était tout aussi intéressée que sa mère par ces propos. Elle s’avança au bord de l’estrade et s’enquit en élevant la voix pour être entendue :
— Quel genre de règne voudriez-vous ?
— J’aimerais qu’on soit plus écoutés, répondit franchement l’homme, satisfait d’avoir pleinement l’attention de ses souveraines. Faudrait qu’on puisse… participer.
— Participer ? s’étonna sa mère en fronçant les sourcils. Vous êtes en mesure de donner votre avis au Noble qui gère votre zone de résidence afin d’apporter des changements.
— On choisit pas nos Nobles, grommela l’homme en croisant les bras sur sa poitrine. Ils sont pas forcément à l’écoute ou d’accord avec nos propositions. Alors, on en r’vient à la case départ.
Lefkan avait écouté la réponse avec attention. Les propos de l’inconnu ne l’étonnaient guère. Plusieurs habitants étaient déjà venus se plaindre de pareilles conséquences lors des doléances au Château. Elle s’apprêtait à ouvrir la bouche quand l’homme riva son regard au sien. Marron. Il n’était pas né Noble. Né sans pouvoirs. Dans l’Ouest, c’était significatif de vie soumise aux règles d’un Élémentaliste.
— Princesse Lefkan. Quoi qu’vous décidiez pour l’comte Loren, j’crois pas que l’important soit là. J’vous en prie, essayez d’penser à nous. J’sais bien qu’les Nobles vous servent d’intermédiaires. Comme vous allez destituer l’comte Loren, faudra lui choisir un successeur.
— Richard Loren a un fils, lui fit remarquer la reine d’un air étonné.
— Je sais, ma reine. Simeon Loren fait souvent un tour d’la ville en compagnie du soldat Ganton. Ils sont appréciés par ici. J’ai quand même peur. Qu’la boucle se répète si Simeon devient l’nouveau Noble responsable de Vasilias.
Lefkan ne se risqua pas à répondre : elle ne se sentait pas en mesure de considérer la situation avec suffisamment de recul. Elle se tourna vers sa mère, mais la reine était occupée à dévisager le petit groupe en bas de l’estrade. Proche du soldat Renn Ganton, l’héritier des Loren échangeait avec une mère de famille encombrée de trois enfants criards.

La session fut close une demi-heure plus tard. Des centaines d’habitants s’étaient avancés pour exprimer un avis. Un bon quart estimait que le comte ne devait pas être condamné pour avoir voulu apporter des changements, mais le reste se montra fidèle aux Tharros. Ragaillardi par le sentiment d’avoir un impact, la plupart des habitants optèrent pour la punition la plus dure : un emprisonnement à vie. Bientôt, les soldats encerclèrent l’estrade de glace – qui émerveillait d’ailleurs par sa structure et son état solide insensible au soleil – pour ramener l’ordre.
Une fois certaine qu’on l’écoutait, la reine se tourna vers Richard Loren Vasilias. L’attente au milieu des brises marines lui avait rougi les joues et le nez. Lefkan le trouva bien moins impressionnant avec ses poignets serrés dans son dos par une corde et ses cheveux ébouriffés par le vent. Ce n’était plus son ravisseur qui détenait les rênes de sa destinée. C’était un simple homme. Un homme qu’elle s’apprêtait à condamner.
— À présent que la princesse Lefkan a pu écouter vos conseils, son jugement va être prononcé.
Lef rencontra le regard de sa mère, y puisa la force nécessaire. Sa mère-louve, cheffe de la meute et du royaume, lui adressa un léger hochement de tête. Ses yeux indigo la couvaient autant qu’ils la poussaient. En contrebas, le père de Lefkan lui fit un clin d’œil et articula quelques mots en silence.
Courage, mon louveteau.
Lefkan inspira une goulée d’air iodé, balaya la foule impatiente d’un regard jaugeur. Les expressions contrariées étaient bien moins nombreuses à présent que les colères avaient été exprimées. Comme une envie d’en découdre électrifiait la place. Lefkan s’en trouva étrangement soulagée. C’était un sentiment qu’elle connaissait bien.
— En tant que membre de la famille royale, lança-t-elle d’une voix claire, je vais à présent décider de la condamnation du comte Richard Loren Vasilias pour enlèvement, recel, et menace de ma propre existence. Il est aussi condamné pour une tentative de prise de pouvoir par la force. (Lefkan s’avança sans quitter des yeux le visage arrogant de son opposant.) Je vous condamne à la prison à vie, Richard Loren.
Elle en profita pour le déchoir de ses titres. Les traits de l’homme s’affaissèrent avant de se plisser de rage et d’indignation. Malgré ses poings serrés, il agita les doigts dans l’espoir d’appeler à lui le vent ou les éclairs. Plus vive que sa fille, la reine s’avança et le menaça d’un doigt illuminé par de la foudre miniature.
— La garde royale va vous escorter jusqu’aux prisons de Vasilias.
C’était à la fois une explication et un ordre. Le capitaine Soran et deux soldats les rejoignirent sur l’estrade pour forcer l’ancien comte à descendre. Son départ vers les ruelles adjacentes fut accompagné par les houements de la foule.
Avant que Lefkan et sa mère eurent le temps de descendre, Simeon Loren bondit sur les marches et les rejoignit en souriant. Il leva le poignet, fit gronder le ciel sans sourciller afin d’attirer l’attention et s’exclama :
— À présent que mon père a été condamné, j’aimerais lui proposer un remplacement.
Lefkan vit sa mère se crisper. Elle comprenait sans mal son appréhension ; elle-même se sentait embarrassée à l’idée qu’un nouveau Loren prît le contrôle de la ville. Les habitants avaient besoin de temps. D’oublier, de passer à autre chose.
— Il y a un homme qui veille sur cette ville à sa manière depuis des années, reprit le jeune Noble en dépassant ses souveraines pour se pencher vers la foule. Un homme que vous connaissez sûrement, car il vous a aidé à arrêter des voleurs, à vous protéger des bandits ou à assurer une transaction monétaire sans bévues.
Lefkan fronça les sourcils sans comprendre l’insinuation. Elle aurait dû être une habitante de Vasilias pour savoir qui était cet inconnu. À ses côtés, la reine s’était détendue et patientait avec une moue curieuse.
— Le soldat Renn Ganton, expliqua Simeon en tendant le bras au garde qui attendait en haut des escaliers, est sûrement le mieux placé pour gérer Vasilias en attendant une solution définitive.
Lefkan écarquilla les yeux quand le soldat personnel des Loren s’avança avec un immense sourire. Il s’inclina devant elle puis face à la reine avant de rejoindre son compagnon. Il s’empara du poignet de Simeon et le leva au ciel. Des cris enthousiastes leur répondirent.
— J’accepterais avec plaisir cette proposition, révéla-t-il d’une voix forte. Si vous, peuple de Vasilias et si la reine Alice m’y autorisent, bien entendu.
Le soldat observa la foule un moment avant de se tourner vers sa souveraine. Médusée, la mère de Lef ouvrit et ferma les lèvres à plusieurs reprises sans oser se prononcer. Renn Ganton n’était pas Élémentaliste. En cela, il ne pouvait être Noble selon les coutumes occidentales actuelles.
— Je n’ai que deux conditions, se décida la reine après quelques secondes de silence. Premièrement, nous organiserons une session publique avec le peuple de Vasilias pour connaître leur avis. Deuxièmement…
La reine s’avança vers Simeon et avisa la façon dont il tenait la main de son compagnon.
— Si vous l’acceptez tous deux, j’aimerais que Simeon Loren vous seconde. Ses capacités d’Élémentaliste et sa connaissance géopolitique de Vasilias seront primordiales.
Les jeunes hommes échangèrent des regards hébétés. Lef s’amusa des étincelles qui illuminaient leurs yeux. Ils ne devaient pas s’attendre à ce que sa mère acceptât aussi facilement. Ni qu’elle proposât une alliance entre le soldat et le Noble.
— Ce serait un honneur, ma reine, trouva bon de répondre Simeon en s’inclinant.
Le sourire soulagé qui étira les lèvres de la reine dissipa les dernières brumes de peur dans la poitrine de Lef. Après sa prononciation du jugement, elle avait craint que la foule s’agaçât. L’annonce de Simeon pour élire Renn nouveau dirigeant de la ville avait tourné les ardeurs vers l’avenir plutôt que vers le présent incertain.
Lefkan quitta la place des yeux pour observer l’océan. Calmes, ses eaux gris-bleu faisaient écho à l’engourdissement qui s’était emparé d’elle. Après la tempête était venue l’accalmie. Les lèvres pleines de l’iode et du sel de l’air marin, elle chuchota une prière aux Dieux.
Pourvu que l’accalmie s’étendît à tout son futur règne.



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Dernière modification par louji le sam. 19 févr., 2022 10:36 am, modifié 1 fois.
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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

Chapitre pas jojo, mais y'a de nouveaux persos dans la place



Chapitre 5
Les funérailles



An 527 après le Grand Désastre, 3e mois du printemps, Château du Crépuscule, Terres de l’Ouest.


L’été approchait. Les battants de la fenêtre grands ouverts laissaient entrer des courants bienvenus. Ils chassaient l’air moite de la chambre de Lef, secouaient son esprit embrumé. Plantée devant son miroir sur pieds, elle observait. Sa silhouette élancée, habituellement traversée de contractures nerveuses, s’était rigidifiée. Elle avait serré plus qu’à l’accoutumée les pièces de tissu contre son corps. Ses bras habituellement nus étaient couverts et reliés par des anneaux d’or au carré de soie blanche qui couvrait sa poitrine. Serrés à la taille, ses jupons de mousseline pâle tombaient sans volume à ses chevilles. Elle était tout de blanc vêtue. L’une des couleurs de la famille royale, bien entendu, mais aussi celle du deuil occidental.
Sa grand-mère était morte. Un mal de poumons s’était sournoisement glissé en elle l’hiver dernier. Trianna l’avait combattu tout le printemps avant de finalement céder.
Lef inspira brusquement, tira sur ses longues mèches de cheveux bruns. Les yeux dans le vague, les doigts engourdis, elle entreprit de les nouer en chignon bas. Pas de tresses aujourd’hui. Pas de peau de loup, de parures de cuir ou de couteau caché. Elle devait honorer sa grand-mère, sa meilleure conseillère en politique occidentale et sa confidente pour leurs goûters pris en secret.
Une fois ses cheveux soigneusement relevés, Lefkan engloba son reflet. Que devait-elle afficher face au peuple ? à sa famille ? Un chagrin mordant, qui serait contraire à l’engourdissement qui s’était emparé d’elle depuis l’annonce deux jours plus tôt ? Une volonté de fer, qui intimiderait ses proches ?
— Lef ?
La voix éraillée la sortit de ses pensées. Sans réfléchir ou répondre, l’adolescente se précipita vers l’entrée de sa chambre pour étreindre sa mère. La reine Alice, qui n’avait guère fermé l’œil depuis le décès de Trianna afin d’organiser ses funérailles, se laissa aller contre l’épaule de sa fille. Lef la dépassait d’une demi-tête à présent et aurait pu la soulever sans efforts entre ses bras fermes. Mais aujourd’hui, elle se sentait l’âme d’une fillette éperdue.
— Maman, murmura Lef en reculant d’un pas, qu’est-ce que je peux faire ?
La couronne avait disparu du crâne de sa mère. En le remarquant, Lefkan s’enfonça plus profondément dans l’hébétude. La reine était-elle si dispersée qu’elle en avait égaré sa tiare ?
— Est-ce que tu peux rejoindre ton père dans la cour ? Il aide à charger les caisses de fleurs pour le convoi.
L’énergie qui s’empara de la jeune femme à l’idée de se servir de ses mains et de ses muscles chassa temporairement son brouillard mental. Avant de s’en aller, elle attrapa les poignets de sa mère pour les serrer. La reine accepta sans rechigner le baiser que sa fille déposa sur son front plissé.
— Fais attention à tes vêtements, lui rappela sa mère alors que Lef s’éloignait dans le couloir.
La princesse jura entre ses dents en se rappelant qu’elle portait sa tenue soignée pour la cérémonie. Tout en dévalant les escaliers, elle récupéra les deux lacets de cuir qui retenaient plus fermement ses chaussures à ses chevilles. Elle s’en servit pour remonter ses jupons et les nouer à mi-mollets. Elle ne craindrait pas de les salir ainsi.

Dans la cour, son père supervisait le chargement des fleurs, arbustes en pots et décorations qui accompagneraient la dépouille de sa grand-mère à travers les faubourgs du Château. En tant que membre de la famille royale, Trianna serait convoyée jusqu’au domaine où les souverains occidentaux étaient enterrés depuis des siècles. Une combe à l’est du Château du Crépuscule, entourée de bois protégés de l’exploitation des terres et surveillée par une famille qui héritait de la tâche de génération en génération.
— Lef !
Son père lui faisait signe près des écuries. La princesse salua les domestiques et les soldats qui participaient conjointement au chargement et traversa la cour d’un pas rapide. En remarquant son accoutrement, son père fronça les sourcils.
— Ta mère est au courant ?
— Oui, c’est elle qui m’envoie.
Le compagnon de la reine se garda de la moindre remarque. En période moins trouble, la reine aurait assurément refusé que sa fille se baladât parée de vêtements d’une telle qualité.
— Les gars s’occupent de charger les caisses dans les calèches, expliqua son père d’une voix tout aussi rocailleuse que celle de sa compagne. Si tu es libre, j’aimerais que tu m’aides à harnacher les chevaux.
— Avec plaisir.
Lefkan s’empara des brides, des rênes et des sangles en cuir disposées sur l’une des cloisons des écuries. Il n’y avait qu’une demi-douzaine de stalles ici, le reste des montures étant gardées près des baraquements de la garde. Les chevaux installés dans les écuries royales étaient les montures personnelles de la famille royale.
— Salut, Orée.
La jument baie à la longue tache blanche entreprit de lui manger les cheveux, comme souvent. Elle n’était pas toute jeune et c’était justement pour son tempérament placide que Trianna l’avait montée à la fin de sa vie.
— Elle va mener le convoi, expliqua son père par-dessus son épaule.
Lefkan acquiesça en souriant ; c’était une décision qu’elle ne pouvait qu’approuver. Installé à côté du box d’Orée, un jeune étalon frappa un sabot contre la cloison. Lef lui adressa aussitôt un regard irrité.
— Du calme, lui intima la princesse en se déplaçant jusqu’à sa stalle.
Elle tendit la main pour lui chatouiller les naseaux. Le cheval s’ébroua avant d’agiter la queue.
— Je sais. Pas la peine de t’énerver.
Son cheval, à peine âgé de trois ans, était d’une rare couleur noire. Quand Lefkan l’avait découvert pour la première fois, fièrement dressé au milieu de la cour, elle avait eu un coup de cœur. C’était Soraya qui avait négocié avec un marchand Sudiste pour qu’il l’amenât jusque dans l’Ouest. Lefkan avait sauté au cou de la conseillère en apprenant que c’était son présent pour son quatorzième printemps. Croisé entre une jument pur-sang du Sud et un étalon plus solide des Terres Occidentales, le jeune mâle était l’un des rares invendus du marchand. Son tempérament fougueux et son regard mauvais avaient pourtant plu à la princesse.
Un an plus tard, Lefkan poussa la porte du box pour se rapprocher de son cheval. Comme s’il avait perçu sa confusion et sa douleur, sa monture lui souffla dans l’oreille. Paupières plissées et dents serrées, Lefkan entoura son encolure.
— Merci, Pan.
Elle n’avait pas décidé du vrai nom de son cheval, Chenapan. Son père lui rappelait souvent que c’était un nom tout à fait approprié à cette monture à moitié dressée et aussi sauvageonne que sa cavalière, mais Lef avait décidé d’épargner l’égo de son étalon.
— Si tu le souhaites, lança son père en avançant dans la stalle à sa suite, tu pourras monter Pan et mener le convoi à côté d’Orée.
— Tu crois que maman acceptera ?
Il cala une épaule contre la cloison pour l’observer avec un demi-sourire. Il n’avait pas taillé sa barbe depuis quelques jours et les poils rebiquaient. Quant à ses yeux habituellement perçants, ils étaient voilés.
— Tu sais qu’elle conduira elle-même la calèche qui transportera la dépouille de ta grand-mère. C’est la tradition. En tant qu’époux, je serai installé à côté d’elle. Tu as le droit de t’asseoir entre nous. Mais si tu préfères passer au tout début du cortège avec Pan, c’est possible. Les héritiers de la couronne ont les deux choix.
Surprise, Lefkan glissa sa main le long du flanc tiède de sa monture.
— Tu es bien renseigné.
— Qu’est-ce que tu t’imagines ? grommela son père en réduisant la distance qui les séparait d’une foulée. J’en ai discuté avec Milash. Il m’a expliqué comment se déroulaient les funérailles royales.
À la mention de son oncle, la princesse fit la moue. Milash était rentré la veille au matin, accompagné de son épouse Sudiste et de leurs deux enfants. Il était déjà en chemin pour le Château, inquiété par les missives de plus en plus pessimistes de sa sœur, quand la nouvelle était tombée. Même si son oncle n’était pas directement responsable, Lefkan lui en voulait. Il aurait dû être là, comme sa sœur, au chevet de sa mère mourante. Il aurait dû être là depuis des semaines. Voire des années. Il avait quitté l’Ouest depuis longtemps pour vivre à Lissa en compagnie de Doretha et leurs enfants. Cela lui permettait évidemment de conduire les négociations directement avec l’empereur Dastan Samay. Lef ne pouvait pourtant s’empêcher de penser que les responsabilités de sa mère seraient moins lourdes si elle avait son cadet à ses côtés.
— Où est-ce qu’il va être installé ?
— Milash ? Dans la calèche derrière la nôtre. En tant qu’enfant, mais non héritier direct, c’est sa place. Il sera avec Doretha et les petits.
— Les petits ont mon âge, lui fit remarquer sa fille en plissant le nez.
Son père lui adressa une mimique narquoise en reculant.
— Pour moi, tu seras toujours une petite.
Sourcils froncés, Lef s’apprêta à rétorquer, mais Pan fut plus rapide. Oreilles couchées, il tendit le cou vers le père de la princesse et lui mordit le bras. Même s’il était protégé par une couche de vêtements, Achalmy poussa une exclamation de surprise teintée de douleur.
— Foutu canasson ! cracha-t-il en se positionnant hors de danger.
Lefkan s’esclaffait, une main sur le garrot de Pan. Son père n’avait jamais été à l’aise avec les chevaux. L’antipathie était manifestement réciproque.
— Mettons-nous au travail, ordonna-t-il d’un ton sec en se détournant de sa fille hilare.
Même s’il voulait avant tout faire oublier le petit incident, Lef ne le taquina pas. Le moment de convivialité était passé. Les devoirs revenaient. Sa grand-mère attendait.
Redevenue sérieuse, Lefkan récupéra le harnachement et se mit au travail.

On laissa Lefkan chevaucher en tête du convoi. Orée, fidèle et déterminée malgré les années qui creusaient son dos et ses flancs, mena la calèche en compagnie de trois autres équidés. Lefkan était entourée de gardes royaux chargés de sa protection et de celle du convoi. Le commandant, un homme aux cheveux d’un roux sombre et à la mine revêche, s’était positionné devant eux pour ouvrir la voie. Le capitaine Soran s’était quant à lui glissé auprès de sa protégée. Si Lefkan ne portait pas sa tenue de combat, elle avait insisté pour accrocher Kan à sa selle. Le sabre élémentaire était visible, mais pas ostentatoire.
Installés sur la banquette arrière de la calèche principale, la reine et son compagnon formaient deux silhouettes pâles et figées. Lef aurait aimé que ses parents manifestassent plus d’émotion, mais l’étiquette occidentale attendait d’eux qu’ils se tinssent ainsi. Sans paroles, sans gestes, sans sourires ou larmes. S’il y avait des traditions occidentales que Lef méprisait, celle-ci était en tête. L’amour comme la mort étaient du domaine pudique et privé au sein de ses Terres. Tout en chevauchant Pan, qui était rassuré par la proximité des autres chevaux, elle rêvassait des histoires de son père. Elle n’avait visité le Nord qu’à cinq reprises depuis sa naissance. Et, à cinq reprises, les voyages s’étaient faits expéditifs et prudents. Les relations occidento-nordistes étaient encore balbutiantes, malgré la vingtaine d’années qui s’étaient écoulées depuis le début d’une véritable politique étrangère. Lefkan se faisait la promesse de mieux connaître son autre pays d’origine une fois qu’elle serait plus libre de ses mouvements. Elle voulait voir de ses propres yeux les fêtes arrosées d’alcool et éclairées de hautes flammes qui avaient lieu plus au nord. Elle voulait siffler de ses propres lèvres les couples qui se formaient au fil de la soirée, chanter l’appel funèbre de Lefk lorsqu’on disait adieu à des proches.
— Lef ?
La princesse sortit de sa torpeur pour dévisager Vann. Son ami chevauchait à ses côtés, autant pour contribuer à sa protection que pour la soutenir. Pour l’occasion, il avait gommé ses cheveux cuivrés en arrière et rasé sa barbe naissante.
— Tu souris comme une idiote, lui apprit-il en se penchant vers elle.
Le rouge monta aux joues de l’adolescente. Elle s’était laissé aller à la rêverie alors qu’elle convoyait la dépouille de sa grand-mère. Elle raffermit sa prise sur les rênes, se redressa et dirigea le regard droit devant elle. Pan agita brièvement les oreilles en réponse à ce changement d’attitude, mais resta campé entre les montures de Soran et Vann.
— Tout va bien ?
La question de Soran plongea Lef dans le silence. Elle était confuse. Trop confuse pour savoir si elle surmontait réellement la situation. Son esprit partait en vagabondage, effrayé par ce qui se déroulait sous ses yeux en ce moment-même. Tandis que son corps était figé sur une selle, son être s’envolait vers les cieux et les forêts. Elle aurait voulu être libre, délestée de ces responsabilités.
— Oui. Je suppose que oui.
Le capitaine se contenta de sa réponse évasive. Il ne pouvait pas se montrer trop familier en public ; il restait un roturier étranger. Pour autant, Lef le remercia d’un sourire fugace. Avec le compagnon de la reine occupé à servir d’effigie, Soran était ce qui se rapprochait le plus d’un père.
— La reine et ton père accaparent toute l’attention, lui souffla-t-il quelques secondes plus tard. Et c’est leur rôle. Attirer la tristesse et la compassion à eux, pour qu’on puisse plus tard honorer Dame Trianna dans les bons souvenirs. Nous arriverons à la combe dans un peu plus d’une heure. En attendant, contente-toi de chevaucher, Lefkan. Ne te sens pas obligée d’être digne ou impassible.
La princesse dévisagea son maître quelques secondes avant de papillonner des yeux. Elle n’avait guère laissé de larmes couler ces derniers jours. Seulement lorsque son père était venu la trouver sur le terrain d’entraînement pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. À présent, c’était toute une rivière qui pressait la barrière de ses paupières.
La vue trouble, elle déporta son regard vers ses parents. La couronne avait retrouvé le crâne de sa mère. Pour autant, son métal argenté et ses joyeux bleu-vert ne scintillaient pas sous le ciel gris. Sa mère-louve s’était tue, les griffes rétractées et le dos rond. Elle attendait que la tempête passât, que les nuages disparussent. En attendant le retour du soleil, la reine encaissait en silence.
Lef ne trouva du réconfort que dans la vision des mains entrelacées de ses parents. Bien qu’ils dussent afficher un visage impassible face à leur peuple, ils ne le faisaient pas en solitaire.

Les Nobles en charge de la protection et de l’entretien de la combe royale n’avaient pas chômé. Deux espaces avaient été délimités par des bâtons de bois plantés dans la terre. Le convoi remonta le chemin qui séparait les deux zones herbeuses avant de se figer. À gauche, des Occidentaux dépourvus de titres s’étaient rassemblés pour saluer l’ancienne reine une dernière fois. À droite, les Nobles qui ne croulaient pas sous les tâches et les responsabilités avaient fait le chemin pour honorer Trianna.
— Il y a peu de monde de ce côté, fit remarquer Vann en indiquant l’espace réservé au peuple.
— Contrairement à toi, lança Soran d’une voix mi-figue mi-raisin, les Occidentaux sont occupés tous les jours. Ils ont des terres, des bêtes ou des commerces à entretenir. Ceux qui sont présents aujourd’hui sont généralement les familles qui habitent les terres alentour. Les autres n’ont ni le temps ni les moyens de voyager jusqu’ici.
Vann fit la moue face à l’évidence des explications. Il se tourna vers Lefkan en ouvrant la bouche, mais la princesse était en train de mettre pied à terre. À quelques mètres, ses parents descendaient de la calèche la tête droite et les yeux grand ouverts.
— On se retrouve plus tard, souffla Lef à son ami en lui tendant les rênes de Pan.
Sans attendre sa réponse, Lefkan dépassa son mentor et rejoignit sa famille en tête de convoi. Un homme maigrichon se glissa à côté de sa mère. Il fut bientôt rejoint par une femme aux cheveux noirs lâches et par deux adolescents dégingandés. Lefkan s’efforça de ne pas grimacer quand elle se plaça à gauche de son père, à l’extrême opposé de ses cousins.
— Tu tiens le coup ?
Lef faillit ne pas entendre la question au milieu du brouhaha et des renâclements des chevaux. Pour éviter d’attirer l’attention sur eux, elle se contenta d’un bref hochement de tête. Elle tenait le coup. Pour l’instant.
La reine dépassa la ligne que sa famille avait formée pour s’avancer. Elle s’arrêta près d’un portail de pierre envahi de lierre. Les battants en fer forgé étaient ouverts et offraient une vision réduite du cimetière qui s’étendait plus loin. Un frisson courut l’échine de Lef malgré le temps doux. Sans attendre, sa mère entreprit de remercier la famille qui avait organisé la cérémonie avant de se tourner vers son auditoire. Nobles, roturiers et proches se turent. Si Lef devait reconnaître une qualité aux Occidentaux, c’était leur sens du respect face à l’autorité. Elle ne doutait pas que des cris fuseraient encore dans l’air si des Nordistes avaient été rassemblés pareillement.
Lefkan connaissait déjà le discours que sa mère entonna. Ils l’avaient écrit à trois, avec son père et elle. Chacun ajustant la balance entre affection, honneur et souvenirs moins gais. Le visage de la reine se froissa quand elle mentionna la mort de son père. Lef savait qu’elle avait plus de peine pour les conséquences que cela avait engendré plutôt que pour l’événement en lui-même. Feu le roi Silvester avait déclenché sa propre perte en complotant avec des êtes plus forts que lui. Lefkan n’avait jamais éprouvé la moindre admiration ou affection pour ce grand-père qu’elle n’avait jamais connu. Lef s’était même demandé si elle pourrait aller le narguer dans la mort, au-dessus de sa tombe.
Elle n’en eut pas l’occasion. Une fois le discours prononcé et le portail passé, sa mère fut libérée de son impassibilité royale. Au milieu des tombes de pierre marbrée, vestiges de la famille Tharros, elle laissa couler la peine contenue depuis des jours. Son compagnon vint aussitôt l’entourer de ses bras tandis que la famille se resserrait autour de la souveraine. Lef resta en marge, à la fois émue et agacée par cette image. Sa mère-louve avait rassemblé les siens. Et cette meute ne plaisait pas à la princesse. Sa meute ne comportait pas un oncle qui ne profitait que des repas festifs donnés au Château quelques fois dans l’année. Elle ne comportait pas des cousins avec qui elle avait passé quelques jours à peine en quinze ans.
Comme si elle avait perçu son aigreur, sa cousine se tourna vers elle. Elle avait pris de son père ses cheveux blonds et raides ainsi que ses pupilles argentées. Un sourire avenant aux lèvres, elle s’avança d’une démarche souple. Les vêtements occidentaux seyaient particulièrement bien à sa silhouette fine. Lef se sentit aussitôt gauche et idiote.
— Tout va bien, princesse Lefkan ?
— Lefkan, lâcha aussitôt l’intéressée d’un ton sec. Lefkan, ça suffit.
Sa cousine élargit son sourire avant de lui indiquer une zone de terre à une dizaine de mètres. Lef remarqua alors le trou qui accueillerait bientôt le corps de sa grand-mère. De nouveaux frissons s’étendirent sur ses bras.
— Tu voudrais que nous nous approchions ?
— Je ne sais pas.
L’adolescente, qui était pourtant plus jeune, ne se démonta pas. Elle saisit le bras de cousine avec douceur avant de l’entraîner au milieu des tombes. Lefkan sentit la pression dans sa poitrine diminuer alors que les mètres s’accumulaient entre elle et le rassemblement familial au loin.
— Nous nous voyons peu, lui confia sa cousine après quelques secondes. C’est plutôt dommage de se retrouver pour ce genre d’occasion.
— Ton père a qu’à venir plus souvent !
Sa cousine se figea et sa prise se raffermit sur le bras de Lef. Celle-ci se contracta, traversée autant par la méfiance que par la honte. Elle avait pris son habit de Nordiste pour lui répondre. Un langage cru et direct. Indigne d’une princesse occidentale.
— Tu as raison.
Lef cligna des paupières, les talons enfoncés dans la terre meuble du cimetière. Sa cousine lui adressait un rictus en coin, le regard pourtant tourné vers son père au loin.
— Nous passons la plupart de notre temps à Lissa. Il y fait chaud et il y a un tas de fruits délicieux, mais…
Elle leva le bras pour glisser sa main sur la nuque de Lefkan. Celle-ci recula, le souffle coupé, mais sa cousine tint bon. Ses yeux scintillaient au milieu de son visage à la peau lisse.
— Tu n’es pas là, chère cousine.
— E-Ethel, bredouilla Lefkan, désemparée par le comportement de la jeune fille.
Un sourire lumineux étira la bouche de sa cousine. Comme si rien ne s’était passé, elle se redressa et s’éloigna d’un pas sautillant au milieu d’une allée du cimetière. La respiration courte, Lefkan la suivit des yeux sans oser bouger. Le bruissement des arbres qui veillaient sur la combe et le brouhaha de la foule en émoi lui parvenaient à peine.
— Pendant un moment, lui lança Ethel après quelques secondes, j’ai cru que tu avais oublié comment je m’appelais.
Comme Lef ne répondait rien, à la fois hébétée et vexée, sa cousine lui fit un signe de la main.
— Tu viens ?
Lefkan marmonna dans sa barbe avant de la rejoindre. Ses parents s’étaient séparés du reste de la famille pour accompagner la roulotte qui portait la dépouille de sa grand-mère. Orée tirait son ancienne cavalière à sa dernière demeure. Tandis que la reine s’assurait que les fleurs étaient bien en place, son compagnon se saisit des rênes de la jument pour la mener jusqu’à l’emplacement marqué par la terre retournée.
La gorge nouée, Lefkan s’empressa de rejoindre ses parents. On avait recouvert la dépouille de Trianna d’un linceul blanc et turquoise pour préserver sa dignité. La princesse ne parvenait plus à la quitter des yeux. On allait l’enterrer. L’enfouir sous des kilos de terre. Puis on placerait une pierre au niveau de ses pieds. Un geste symbolique en honneur à Lefk et Galadriel. On lui souhaitait ainsi de rester en partie avec les vivants, de ne pas s’éloigner pour toujours.
C’était profondément idiot, d’après Lef. Elle trouvait bien plus logique les funérailles des Sudistes ou des Nordistes, qui brûlaient leurs morts. Lefkan était certaine de préférer rejoindre les cieux, même sous forme de cendres, plutôt que d’être un corps en décomposition sous terre.
L’image s’associa par réflexe à sa grand-mère. Vers, relent de pourriture et obscurité lui envahirent l’esprit. La nausée la cueillit avec un spasme. Alors qu’elle s’éloignait de la dépouille à petits pas, une main chaude se glissa dans la sienne.
— Tiens bon, petit singe.
Le cœur de Lef s’envola tandis qu’elle se tournait vers la femme qu’elle considérait comme une deuxième mère. Soraya lui adressa un sourire teinté de tristesse. Malgré les chaînes d’or dont elle s’était parée et ses vêtements sudistes bouffants, elle était terne.
— J’ai été autorisée à assister à la cérémonie, expliqua-t-elle avant que la princesse lui posât la question. J’ai moi-même connu Dame Trianna, alors ça me fait plaisir de vous accompagner, ta famille et toi.
— Merci, tata Sora, murmura Lef en se laissant aller contre son épaule.
Lefkan lui fut infiniment reconnaissante quand les Nobles chargés de l’organisation descendirent la dépouille de sa grand-mère. Soraya ne lui en voulut pas lorsqu’elle enfonça les ongles dans sa paume au moment des pelletées de terre.
Et elle embrassa le front d’une Lef sanglotante quand on déposa la pierre qui scellerait la tombe de sa grand-mère pour toujours.


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Dernière modification par louji le ven. 04 mars, 2022 9:32 pm, modifié 1 fois.
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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par TcmA »

Heyoooo~

Un bon p'tit chapitre qui fait plaisir ! Dickie, tu es parfaitement ridicule, j'apprécie énormément que tu te sois fait rabattre le caquet par ton fils et les autres.
C'est pas rien ce qu'on lui demande à Lef, mais c'est très formateur ! Et elle se débrouille très bien, la petite louve x)
J'ai eu l'impression que tout se passait très vite, mais vu qu'on est du pdv de Lef et qu'elle est totalement dépassée, c'est pas hors sujet !
J'ai hâte de lire les véritables retrouvailles avec Al² (là, pas le choix, ils étaient encore tous en danger, donc le fluffy fluff n'avait pas sa place) !
Je me demande ce que tu nous réserves avec les 4 derniers chapitres (allez, faut aller voir Soraya !).

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

TcmA a écrit : sam. 19 févr., 2022 2:56 pm Heyoooo~

Un bon p'tit chapitre qui fait plaisir ! Dickie, tu es parfaitement ridicule, j'apprécie énormément que tu te sois fait rabattre le caquet par ton fils et les autres.
C'est pas rien ce qu'on lui demande à Lef, mais c'est très formateur ! Et elle se débrouille très bien, la petite louve x)
J'ai eu l'impression que tout se passait très vite, mais vu qu'on est du pdv de Lef et qu'elle est totalement dépassée, c'est pas hors sujet !
J'ai hâte de lire les véritables retrouvailles avec Al² (là, pas le choix, ils étaient encore tous en danger, donc le fluffy fluff n'avait pas sa place) !
Je me demande ce que tu nous réserves avec les 4 derniers chapitres (allez, faut aller voir Soraya !).

La bise !
Heyo !

Yes, c'était satisfaisant de le mettre hors de course x)
Oui, je comprends pour l'impression que ça se passe vite... On reviendra aux questions de géopolitique dans la novella ^^
Alors il va pas y avoir de suite directe à ce chapitre, donc les retrouvailles et les explications avec Sora auront pas forcément lieu :cry: Faut se dire qu'en off, y'a eu cette tension entre Alice et Sora quoi...

Bisous, merci !
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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

Hello ! On attaque la deuxième partie de la novella, il reste 3 chapitres dont celui-ci et l'épilogue =)



Chapitre 6
L'héritière



An 527 après le Grand Désastre, 3e mois du printemps, Château du Crépuscule, Terres de l’Ouest.



Soran se montra impitoyable. La grand-mère de Lef avait été enterrée la veille, mais le capitaine de la Garde Royale lui imposa leur habituel entraînement matinal sans sourciller. La tête lourde et embrumée par les événements de l’avant-jour et le repas familial qui avait suivi, la princesse avait traîné les pieds jusqu’à l’arène de sable qui jouxtait les baraquements.
En temps normal, une dizaine de gardes les observaient de loin, mais il n’y avait presque personne ce jour-là. On accordait aux soldats des jours de repos lors du décès d’un membre de la famille royale, comme pour les remercier de les avoir protégés de leur vivant. Ne restait qu’un minimum de gardes afin d’assurer la protection du Château.
Le silence qui pesait sur les baraquements n’aidait pas Lef à se concentrer. Son corps la tirait de partout, comme si elle s’était tourné et retourné en boucle dans son lit. Sa grippe sur le manche de Kan manquait de force. Soran la désarma d’ailleurs à plusieurs reprises.
Quand le Sudiste la déséquilibra aisément en plaçant sa cheville au milieu de ses jambes, Lef poussa un cri de fureur au milieu du sable. Elle en avait dans la bouche, les yeux et les cheveux. Pendant qu’elle se couvrait de grains minuscules et de contusions, le reste de sa famille se remettait encore des festivités de la veille.
— Debout.
L’ordre sec de Soran plissa le visage de Lefkan. La bruine qui tombait depuis le lever du jour collait les grains de sable à sa peau. Irritée, elle agita les doigts pour attirer un courant à elle et s’en servit pour projeter une vague de sable en direction du soldat. Soran se contenta de lever la main pour figer l’attaque en plein air. Il était un Souffleur, capable de maîtriser aussi bien la terre que le feu. Devant l’air déconfit de son élève, il haussa un sourcil moqueur.
— Lefkan, tu es ridicule.
— Je veux dormir, siffla-t-elle en retour en s’essuyant le visage avec sa manche.
— Le sommeil attendra que tu saches te défendre.
Vexée, Lef cracha les derniers grains de sable qui envahissaient sa bouche et se mit en position. Satisfait, Soran releva sa dague à son tour. Il avait coiffé ses boucles brunes en arrière à l’aide d’un bandeau. Il se révéla plus qu’utile lorsque le vent se leva autour d’eux.
— Tu sais que si tu utilises tes pouvoirs, lança-t-il d’une voix forte pour couvrir le bruit, je vais le faire aussi ?
— J’espère bien ! s’exclama la princesse en s’élançant vers lui.
Elle ne chercha pas à se servir du sable, puisque Soran pouvait le maîtriser bien mieux qu’elle. Quant au vent, elle devait se montrer prudente. Si son mentor lançait des flammes après elle, Lef risquait d’en augmenter la puissance. Ne lui restaient que l’eau et les éclairs. Ces derniers étaient toutefois encore trop difficiles à contrôler en plein combat.
La princesse divisa la lame de son sabre élémentaire pour en tirer une bulle d’eau malléable à souhait. En retour, Soran enveloppa sa main droite d’une torche de flammes et brandit sa dague de l’autre. La rencontre entre élève et mentor provoqua fumée et étincelles. Les lames ripèrent l’une contre l’autre dans un crissement tandis qu’eau et feu se désintégraient mutuellement. Entre deux mouvements défensifs, Soran tapa du pied sur le sol de l’arène. Un étau de sable durci emprisonna la cheville de la princesse. Lefkan le brisa d’un coup de glace bien placé avant de projeter une lame de vent en direction de son mentor. Le mouvement, plus destiné à le déstabiliser qu’à l’attaquer, fonctionna. Soran dut attendre que le courant s’apaisât avant de reprendre une posture de combat.
Lefkan respirait bruyamment alors qu’elle tournoyait autour de son mentor en quête d’une ouverture. C’était encore difficile pour elle de concilier stratégie offensive, coups de sabre et usage des éléments. Elle s’entraînait depuis des années, mais l’étendue de ses capacités demandait une formation conséquente.
Quand elle lança sa bulle d’eau en direction de son mentor, elle attendit avant de passer elle-même à l’attaque. Contrôlant le liquide à distance, elle s’efforça de percer la garde de Soran. Son mentor virevolta autour de l’arène en esquivant habilement. Sans cesser de repousser la bulle de Lef, il agita les doigts dans sa direction. La princesse jura entre ses dents lorsqu’un pic de sable jaillit sous son nez. Il lui érafla la joue avant qu’elle eût le temps de se déporter.
— Tu perds ta concentration !
Lefkan releva les yeux. Sa bulle d’eau était suspendue en l’air, perdue dans les ordres mentaux de l’adolescente. En nage, Lef bondit vers son mentor en rappelant le liquide à elle. Il réintégra la lame de Kan, rendant le sabre immédiatement plus lourd. La princesse raffermit sa grippe et se jeta dans une danse de coups d’estoc et de taille. Elle varia les approches et les enchaînements, sans être capable de passer la garde de son mentor.
Soran profita qu’elle s’était trop avancée dans un mouvement rotatif pour glisser sa dague contre sa gorge. Élève et mentor se figèrent au milieu du sable, souffle rapide et traits tirés par la concentration.
— Merde.
Soran lui sourit avant de lui asséner une pichenette sur le front.
— Princesse Lefkan, votre langage.
Lef se rembrunit en abaissant sa lame. Elle se sentait gourde et irritable aujourd’hui. Inhabituellement fatiguée. Devant sa moue défaite, Soran rangea sa dague et lui indiqua de faire de même avec son arme. Perplexe, Lefkan glissa son katana dans le fourreau à sa hanche et croisa les bras.
— Tu es au milieu de ton cycle menstruel ?
Lef tressaillit, s’apprêta à réfuter puis fronça les sourcils. Elle était trop ensommeillée quand elle s’était changée pour l’entraînement une heure plus tôt et n’avait pas pris garde à l’état de ses sous-vêtements.
— Si c’est le cas, ajouta Soran sans chercher à lui tirer une réponse précise, ça explique peut-être ton manque de concentration.
— C’est stupide, lâcha-t-elle d’un ton morgue en se dirigeant vers l’enceinte de l’arène.
Dans son dos, son mentor soupira avant de lui emboîter le pas.
— Ce n’est pas stupide, Lef, c’est physiologique. Tu ne peux pas être au meilleur de ta forme si tu saignes en continu. C’est comme une hémorragie, c’est tout à fait logique que ça te ralentisse.
Les doigts de Lefkan se crispèrent autour de sa ceinture de cuir. Ses cycles avaient commencé un an plus tôt et leur irrégularité lui compliquait la tâche. Sa mère lui avait expliqué que cela prendrait peut-être quelques années avant de se stabiliser. En attendant, elle était incapable de prédire pendant quelle semaine du mois ses entraînements devaient être allégés ou supprimés.
— C’est injuste, souffla-t-elle d’une voix rauque quand son mentor s’accouda à ses côtés.
— C’est le signe que ton corps se porte bien.
— Ton corps se porte bien aussi non ? répliqua la princesse en toisant son mentor. Pour autant, tu ne saignes pas tous les mois.
Il la lorgna du coin de l’œil avec un sourire moqueur.
— À vrai dire, l’une de mes élèves m’arrache bien quelques gouttes de sang chaque mois.
Aussi amusée qu’agacée, Lefkan lui planta son coude entre les côtes. Pour autant, il avait raison. Lef avait été mortifiée la première fois qu’elle avait aperçu les traces de sang sur ses draps. Sa mère l’avait obligée à passer une demi-journée avec elle pour qu’elle lui expliquât les tenants et les aboutissants de son cycle menstruel. Et pour lui rappeler ô combien elle ne devait pas en avoir honte et que ces pertes sanguines étaient un témoin crucial de son état de santé général.
— Je te libère pour aujourd’hui, déclara Soran en ramassant une outre posée contre l’un des piliers de bois qui délimitaient l’arène. Tiens-moi au courant pour ton cycle. Il vaut mieux que tu prennes de véritables journées de repos pour revenir en forme plutôt que te forcer et te rendre malade.
Lef aurait bien répliqué que quelques pertes sanguines ne l’empêcheraient pas de se battre, mais elle se savait incapable de tenir cette promesse. La preuve en était : elle se sentait encore nauséeuse et affaiblie.
Resignée, la princesse remercia son mentor avant de prendre la route du Château.

Les entrailles du Château du Crépuscule digéreraient encore les festivités de la veille. Les domestiques passaient d’un couloir à l’autre pour débarrasser la Gran’Salle des tables couvertes de vaisselles et victuailles. Lef les salua en remontant par les passages qui leur étaient habituellement réservés. Même en grandissant, elle n’avait pas perdu cette habitude. Pour ce qui était des couloirs secrets derrière les murs, elle était à présent trop grande pour en emprunter la majorité. Certaines trappes lui étaient encore accessibles, mais elles ne donnaient pas sur des pièces très importantes ni intéressantes. La princesse avait donc accepté de fermer ce chapitre de son enfance, même si elle lorgnait parfois avec envie le passage secret dans sa chambre.
Avant de retrouver sa tanière personnelle, elle fit hâte à une salle d’eau réservée à la famille royale. Contrairement à ses parents, elle n’en possédait pas attenante à sa chambre. Lef se félicita d’être l’une des premières levées en entrant dans la pièce. Elle pourrait en profiter seule. Prévenants, les domestiques avaient déjà apporté des seaux d’eau fumante et disposé une dizaine de serviettes moelleuses et carrés de coton. La princesse remarqua une pile de vêtements déposés sur une chaise et reconnut sans mal sa propre garde-robe. Depuis le temps qu’elle s’entraînait chaque matin, les domestiques avaient fini par connaître ses habitudes.
Avant de se glisser dans une bassine qu’elle avait remplie à moitié d’eau chaude, elle inspecta ses cuisses. Un filet rouge dégoulinait vers son genou. Grommelant, elle récupéra un pain de savon et s’assit dans la baignoire avec précaution. Il faudrait qu’elle demandât à une domestique de lui porter des bandelettes de tissu grossier à glisser dans ses sous-vêtements.

Sur le chemin menant à sa chambre, Lef tressait ses cheveux d’un air distrait. Ses parents s’étaient-ils au moins levés ? Avec le repas de la veille et la fatigue accumulée par l’organisation des funérailles, ils s’étaient peut-être accordés une matinée bien méritée. Arrivée à l’étage qui comportait uniquement sa chambre et celle du couple royal, Lefkan marcha jusqu’au bout du couloir. L’un des battants en bois ouvragé qui donnaient sur la chambre de ses parents était entrouvert. Elle y jeta un œil curieux et sourit. Encore en habits de nuit, ses parents traversaient la pièce d’un sens à l’autre pour pousser les volets et rassembler leurs affaires éparpillées. Guère gênée par leur accoutrement léger, Lef entra en s’éclaircissant la gorge.
— Bonjour.
La reine lui rendit son salut en premier avec un sourire tranquille. Malgré l’air affable qu’elle afficha, Lefkan nota l’éclat terni de son regard et la pâleur de son visage.
— Tu es toujours malade ?
La princesse s’était approchée de sa mère pour lui toucher le bras. La reine soupira, mais ne chercha pas à nier. En glissant une mèche de cheveux noir – et parcourue de gris argenté – derrière son oreille, elle expliqua :
— J’ai beaucoup toussé cette nuit. Je dois retourner voir le guérisseur. J’espère qu’il acceptera d’augmenter les doses d’écorce de saule.
— Tu devrais faire attention, marmonna son époux en les rejoignant près de l’une des fenêtres. Tu as maigri depuis que ta mère t’a refilé ce mal de poumons et…
— Al, le coupa-t-elle sans brusquerie, ma mère n’est pas responsable de mon état. Nous sommes toutes les deux tombées malades. Et je vais déjà mieux.
Son compagnon pinça les lèvres en secouant la tête. Lefkan ne pouvait lui reprocher son angoisse et son scepticisme. Elle-même aurait mille fois préféré voir sa mère alitée pour de bon qu’épuisée sur son trône. Elle réalisa dans une pensée douce-amère que Soran portait pour elle le même genre d’inquiétude.
— Maman, tu dois te reposer, déclara Lefkan en empoignant l’intéressée par les épaules. Je peux assurer les doléances avec Milash et mes cousins. De toute manière, elles ne reprennent pas avant demain, puisque nous sommes encore en deuil de grand-mère ?
Un soulagement furtif passa sur les traits de sa mère avant de disparaître. Elle avait de nouveau enfilé son habit de mère-louve.
— Lef, profite d’être encore princesse. Tu auras bien le temps d’être occupée par tes devoirs quand tu seras reine. Et, même s’il n’y a pas de doléances à assurer, je dois discuter avec ton oncle.
Cette fois-ci, Lef ne se démonta pas. Plantée face à sa mère, elle redressa les épaules et maugréa :
— S’il était plus souvent au Château et moins en voyage, vous pourriez vous accorder plus facilement sur la stratégie à adopter avec l’Empire.
— Ton oncle n’est pas dans le Sud par simple plaisir, la corrigea sa mère d’un ton las. Il est notre premier intermédiaire avec l’empereur Dastan.
— Et tata Sora ?
— Soraya a été notre principale conseillère diplomatique pendant presque vingt ans. Elle a droit à son repos. À présent, elle veut se concentrer sur l’éducation de Vann et Sana.
Guère convaincue, Lefkan se renfrogna. La reine la dépassa pour choisir la tenue qui l’habillerait pour le jour. Quant à son père, il lui pinça la joue.
— Allez, mon louveteau, même si maman veut pas rester au lit, on va tout faire pour l’aider, d’accord ?
Lefkan dévisagea son père avant de repousser son bras en marmonnant. Elle n’était plus une petite fille. Il lui adressa un rictus moqueur avant de lui faire signe de sortir.
— On aimerait se changer, Lef.
Comprenant qu’elle était expédiée, la princesse fit demi-tour et ferma les battants derrière elle. Son père se comportait avec légèreté, mais elle avait décelé la vérité. Il était tout aussi inquiet qu’elle quant à l’état de la reine.
Toujours plantée devant les portes de la chambre royale, Lefkan tressaillit quand une quinte de toux éclata dans son dos. Le cœur en suspens, elle tendit l’oreille. Sa mère se ressaisit bien vite et s’efforça de rassurer son compagnon qui la noyait de questions.
Lef se mordit les lèvres en plissant les paupières. Perdre sa grand-mère était une chose. Trianna avait des rides creusées et les cheveux gris quand elle était décédée. Sa mère n’avait pas encore cinquante ans. La princesse n’était pas dupe ; ses parents profitaient d’une espérance de vie rallongée par leurs privilèges royaux. Pour autant, la perspective de se retrouver orpheline du côté maternel la plongeait dans un abyme d’obscurité. Dans une nuit sans lune ni souffle tiède.
Lefkan n’était plus un louveteau, mais elle n’était pas encore prête à remplacer la cheffe de meute pour autant.

Les tables étaient de nouveau dressées lorsque Lef pénétra dans la Gran’Salle. La vaisselle salle et les restes de caille fourrée aux champignons avaient laissé place aux tasses de porcelaine et au pain frais. Milash et sa famille étaient déjà présents, ainsi que Soraya et Vann. La princesse dressa le menton quand son oncle se leva pour la saluer. Ses yeux argentés glissèrent sur ses vêtements, s’étonnèrent peut-être de n’y trouver ni cuir ni fourrure. Elle s’était couverte d’une tunique occidentale qui ne lui serrait ni le ventre ni les cuisses pour être à l’aise malgré ses douleurs abdominales. Le blanc de sa tenue faisait écho au deuil encore frais de sa grand-mère.
— Lefkan !
L’appel enthousiaste d’Ethel la détourna de Milash. Son oncle jeta un regard désapprobateur à sa fille – son entrain était déplacé alors que les Tharros pleuraient encore leur aïeule. Lef salua la tablée sans s’arrêter sur personne en particulier. À l’encontre de l’étiquette qui aurait voulu qu’elle s’installât en tête de table aux côtés de ses parents, Lefkan se glissa sur la chaine disponible en face de sa cousine. Ethel posa son visage entre ses mains en coupe et sourit.
— Tu as mauvaise mine.
— Mes menstrues, expliqua Lef avec une grimace. Mon entraînement de ce matin a été terrible.
Avec une moue compatissante, Ethel s’empara de son couteau et le pointa vers sa cousine.
— Que dirais-tu d’un duel, quand tu seras en meilleure forme ?
Avant que Lefkan eût le temps de considérer la chose, son cousin lâcha un rire incrédule qui rebondit sur les murs imposants de la Gran’Salle. Isas, de trois ans l’aîné d’Ethel, détailla cette dernière avec un pli méprisant aux lèvres.
— Tu es aussi adroite avec une arme qu’avec les chiffres.
Il avait pris de sa mère Sudiste d’épais cheveux sombres et une peau halée ; de son père une silhouette longiligne. Né sans les pouvoirs de Milash, Isas avait en revanche l’esprit curieux et vif de sa mère. Comme Doretha, il se destinait à une carrière d’expériences et recherches scientifiques. Loin de se laisser intimider, Ethel agita les doigts d’un air narquois. Les joues d’Isas se teintèrent d’un rouge furieux lorsque ses boucles s’agitèrent sous l’assaut d’un courant d’air bien placé.
— Tu es indigne de tes capacités, cracha-t-il en se levant brusquement. C’est à moi qu’auraient dû revenir les pouvoirs de père.
Les iris scintillants de sa sœur – preuve physique de son don d’Élémentaliste – luisirent dans la lueur douce du matin et des bougies. Lefkan était incapable de détacher le regard de sa cousine. Comment pouvait-elle rester aussi calme ? La princesse n’aurait pas supporté un affront aussi direct.
— Isas, intervint Milash d’une voix sèche. Tu te montres tout aussi indigne. N’oublie pas ta place et ton rôle.
Les narines du prince frémirent alors qu’il maudissait sa cadette dans un silence tempétueux. Préférant l’ignorer, Ethel s’intéressa de nouveau à son interlocutrice. Son sourire s’était fait de velours. Le cœur de Lef fit une légère embardée. Sa cousine, avec ses yeux vifs, ses sourires mutins et sa langue acérée, l’inquiétait bien plus que la colère manifeste d’Isas.
— Mon frère est idiot, mais il a raison. (Ethel reposa sagement son couteau pour s’emparer d’une pomme bien verte quoique bosselée.) Je n’ai pas le don des armes. Je ne me risquerai jamais à t’affronter en duel, Lef.
L’intéressée plissa les yeux et ne se détourna de l’expression amusée d’Ethel que lorsque le valet d’antichambre annonça l’arrivée de ses parents. Tout le monde se leva pour saluer la reine et son compagnon. Lefkan ne put s’empêcher de sourire en constatant que sa cousine avait caché sa pomme dans son dos. Les mœurs voulaient qu’on attendît le souverain pour entamer le repas.
L’odeur du pain frais et chaud se fit prégnante quand on en coupa les premières tranches. S’ajoutèrent bientôt celle entêtante des oranges pressées, importées du Sud, et celle plus subtile du thé vert, richesse des contrées boisées de l’Est.
Le déjeuner permit à Lefkan d’oublier momentanément la toux de sa mère, la tombe de sa grand-mère et le regard perçant de sa cousine. Dans le Nord, on ne l’aurait jamais méprisée de laisser la nourriture apaiser les brûlures de son âme. S’il était mal vu dans l’Ouest de se vautrer dans la boisson ou les festins, personne ne fit la moindre remarque à Lefkan pendant ce repas.

Plus tard, après avoir échangé quelques formalités avec sa famille, Lefkan partit s’isoler dans le salon de sa mère. Ça avait été autrefois celui de sa grand-mère. Lef aimait l’idée que cette pièce, meublée de fauteuils et causeuses d’un rouge chaleureux et d’une cheminée au manteau de bois sombre, passât de femme en femme au sein des Tharros. La princesse récupéra la couverture de laine douce et sa lecture en cours avant de s’installer face au foyer. Elle venait souvent dans cette pièce après son entraînement matinal pour profiter d’un instant de tranquillité. S’enchaîneraient ensuite le repas du midi, ses leçons d’histoire, de commerce et lettres. En temps normal, elle assistait ensuite aux doléances avec sa mère. S’ils avaient le temps avant le dîner, son père l’emmenait au milieu des vergers et des faubourgs pour lui apprendre l’art de vivre nordiste. Pose de pièges, maîtrise des éléments, cueillette et orientation occupaient les crépuscules de la princesse et de son père. Ils arrivaient parfois crottés au dîner et sa mère rouspétait. L’un des moments de la journée que Lefkan préférait.
La porte du salon grinça dans son dos. Sourcils froncés, persuadée qu’elle profiterait de quelques heures de silence et de solitude, Lef se retourna de mauvaise grâce. Peut-être sa mère souhaitait-elle s’entretenir de quelque sujet urgent…
— Ethel.
Lefkan retint mal sa surprise. Face à sa moue déconfite, sa cousine s’esclaffa puis referma. Sa robe turquoise mi-longue lui convenait particulièrement bien. Elle avait même pris soin d’y associer une petite pierre précieuse qui reposait au creux de sa gorge.
— Ta mère m’a indiqué cette pièce, expliqua sa cousine en englobant les lieux d’un regard pensif, quand je lui ai demandé où je pourrais te trouver.
— Qu’est-ce que tu veux ?
Lef s’en aurait voulu de se draper de son manteau de Nordiste si sa cousine ne l’avait dérangée au seul moment de la journée où elle pensait tranquille. Comme face à Isas quelques heures plus tôt, Ethel se contenta de sourire en réponse à la colère qui lui était adressée.
— J’imagine que tu connais Simeon Loren et Renn Ganton ?
La princesse se renfrogna dans son fauteuil. Elle n’avait toujours pas daigné se lever, pas plus que sa cousine ne s’était aventurée au milieu des causeuses.
— Nous avons eu vent des changements qui ont eu lieu ces dernières années à la capitale, ajouta Ethel en se laissant aller contre la porte. Vasilias représente une plateforme de commerce essentielle pour le Sud. C’est généralement grâce à son port que nous pouvons expédier nos marchandises vers Mor Avi.
Perplexe, Lefkan appuya son menton sur son poing refermé, calée au dossier du fauteuil. Elle n’avait pas eu l’occasion de retourner voir les deux comtes depuis son enlèvement. Elle avait bien entendu pris des nouvelles grâce aux courriers que s’échangeaient la capitale et le Château, mais aucune visite officielle n’avait été programmée.
— Même depuis Lissa, nous avons entendu parler du système inédit que Vasilias a mis en place sous les ordres de Sire Loren et Sire Ganton.
— Les représentants locaux, souffla Lefkan sans attendre qu’elle terminât.
Le carré de cheveux blonds de sa cousine s’agita lorsqu’elle traversa la pièce en courant à moitié. Surprise par son attitude, Lef se leva du fauteuil avec agilité. Même si elle n’avait pas le droit d’être armée au sein des couloirs du Château, forger une lame de glace ne lui prendrait qu’une fraction de secondes. Le temps d’une pensée aiguisée.
La princesse de l’Ouest n’avait officiellement aucune raison de se méfier de sa propre famille. Mais Lefkan était de nature prudente. En elle, la louve qui veillait sur la meute ne dormait jamais vraiment. Le ciel impétueux qui couvrait dans son cœur pouvait virer à la tempête au moindre danger.
— Tu ne crois pas, reprit Ethel en agitant nerveusement les mains, que nous devrions leur rendre visite ? Pour voir comment se déroulent les conseils mensuels avec les représentants ?
Désemparée par la demande soudaine, Lef ne trouva pas de réponse immédiate. Après quelques secondes de silence entrecoupé par la respiration impatiente d’Ethel, la princesse se lança :
— Une visite ? Maintenant ?
— Papa a prévu de rester au moins l’été au Château pour aider ta mère avec les doléances et les papiers. Je pense que nous avons suffisamment de temps pour organiser une visite officielle de l’héritière à la capitale.
Malgré la tournure incertaine de cette dernière phrase, Ethel y mit toute son assurance.
— L’héritière ? Tu voudrais que j’y aille seule ?
— Bien sûr que non ! Je peux t’accompagner.
Lefkan retint le rire embarrassé qui forçait la cloison de ses lèvres. Ethel n’était qu’une adolescente, même pas âgée de quinze ans. Une presqu’inconnue pour l’Ouest, car élevée à la cour impériale de Lissa.
— C’est-à-dire que…
L’hésitation de la princesse tira une grimace désappointée à Ethel. Elle soupira, croisa les bras sur sa poitrine et marmonna :
— J’imaginais que tu serais plus encline que ta mère à porter un regard nouveau sur notre royaume.
— Comment ça ?
— À réfléchir à de nouvelles façons de gouverner. (Un bref éclat de mépris, semblable à celui qui avait habité son frère plus tôt, dansa dans les prunelles de la jeune fille.) Le Sud voit l’Ouest comme une contrée fermée et arriérée où rien ne peut bouger. Ta mère a mené une politique d’ouverture et établi de solides relations étrangères, c’est très bien.
Une exclamation étonnée échappa à Lef. Sa jeune cousine de quatorze ans commentait la politique menée par la reine Alice. C’était inattendu. Pas nécessairement bienvenu.
— Mais ça ne suffit pas. Il faut du changement à l’intérieur.
— Ethel.
L’adolescente referma la bouche en constatant l’air crispé de Lefkan. Elle était allée trop loin.
— C’était une simple idée, souffla Ethel après coup. Nous pourrons en reparler plus tard, si tu veux. Sans parler de politique, ça me ferait aussi plaisir de découvrir Vasilias avec toi.
Lefkan sentit ses traits s’adoucirent. Avec son éducation à la cour mouvementée de Lissa, Ethel était familière des pouvoirs en place à Oneiris. Les années passées loin de ses contrées paternelles avaient dû l’amener à songer au cas des Terres de l’Ouest.
— Je vais y réfléchir, lui promit Lefkan d’un ton conciliant. Il faudrait quand même que tu m’expliques mieux ton projet. Nous ne pouvons pas y aller à deux seulement.
— B-Bien entendu, bredouilla sa cousine sans pouvoir retenir un sourire. Promis, je vais me renseigner pour organiser tout ça au mieux.
Avant que Lefkan pût la congédier, Ethel opéra d’elle-même un demi-tour pour sortir. Une fois sa cousine et son énergie intarissable envolées, Lef se laissa tomber dans son fauteuil. Un mal de crâne pulsait contre sa tempe droite. Les douleurs occasionnées par son cycle menstruel s’étaient mêlées à la fatigue émotionnelle des derniers jours. Et voilà que débarquait sa cousine, certes pleine de bons sentiments, mais aussi tendrement naïve. Son idée n’était pas mauvaise. Lef était sincèrement curieuse de savoir comment se déroulait le système mis en place par Renn et Simeon. Trop fatiguée pour poursuivre sa lecture, Lefkan s’enveloppa dans la couverture et ferma les paupières.
Au loin, il lui sembla entendre gronder l’orage.



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Dernière modification par louji le ven. 18 mars, 2022 6:42 pm, modifié 1 fois.
TcmA

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par TcmA »

Holààà~

J'ai apparemment oublié un chapitre la dernière fois que j'étais venue lire ?? J'ai vraiment de la merde dans le yeux aled !

C'est deux chapitres étaient bien cools, Les funérailles ont même réussi à me faire monter les larmes aux yeux et je ne vais pas blâmer les hormones, le chapitre et la scène étaient juste merveilleusement bien écrits. Ca fait mal de perdre Trianna (et ça inquiète de voir Alice malade ;w; ).
J'avais oublié que ce fils de chien de Dastan était vivant. Il ne m'avait pas manqué.
Soran est incroyable, je l'aime de tout mon cœur, j'adore sa relation avec Lef. Et puis purée, OUI LE CYCLE MENSTRUEL. Merci.
Ethel m'intrigue, j'attends de voir ce que tu nous réserves avec elle et ce voyage à Vasilias !

Mention spéciale au "Tata Sora", j'ai fondu.

La bise~
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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

TcmA a écrit : mer. 16 mars, 2022 7:20 pm Holààà~

J'ai apparemment oublié un chapitre la dernière fois que j'étais venue lire ?? J'ai vraiment de la merde dans le yeux aled !

C'est deux chapitres étaient bien cools, Les funérailles ont même réussi à me faire monter les larmes aux yeux et je ne vais pas blâmer les hormones, le chapitre et la scène étaient juste merveilleusement bien écrits. Ca fait mal de perdre Trianna (et ça inquiète de voir Alice malade ;w; ).
J'avais oublié que ce fils de chien de Dastan était vivant. Il ne m'avait pas manqué.
Soran est incroyable, je l'aime de tout mon cœur, j'adore sa relation avec Lef. Et puis purée, OUI LE CYCLE MENSTRUEL. Merci.
Ethel m'intrigue, j'attends de voir ce que tu nous réserves avec elle et ce voyage à Vasilias !

Mention spéciale au "Tata Sora", j'ai fondu.

La bise~
Hellooo

Mdr pas de soucis !

Bon les Funérailles c'était pas jojo effectivement, mais je suis contente que le chapitre t'ait touché (même si les règles doivent jouer car je le trouve assez froid perso 😔
Dastan est encore en vie oui 🤡
Soran c'est bébou ♥ Et j'aime trop sa façon d'être avec Lef 😭 Et évidemment en casse-couille féministe que je suis, fallait que je parle des règles à un moment donné. Parce que clairement c'est un truc qui contraint énormément en fonction des personnes et quand tu dois être sur le terrain... Bah ça merde quoi 💩
Hehe, j'espère que tu vas bien aimer Ethel, je l'aime bien perso !

Merci à toi, encore et toujours !
louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

Oyez oyez, 9 ans que je suis Booknode et je découvre qu'on peut insérer des emoji sur le forum 💩 Voilà je suis une sale m*rde et je vous souhaite bonne lecture



Chapitre 7
Les comtes



An 527 après le Grand Désastre, 3e mois du printemps, Château du Crépuscule, Terres de l’Ouest.



La reine Alice haussa un sourcil sombre, juchée depuis son trône de bois taillé.
— Il est hors de question que vous y alliez seules.
Lefkan secoua aussitôt la tête en s’exclamant :
— Nous ne comptons pas y aller seule, maman. J’ai demandé à Soran, il accepte de nous accompagner. Et nous ne partirons pas sans une escorte de la Garde Royale, bien entendu.
Sa mère plissa les paupières, en hauteur depuis l’estrade. Quelques jours avaient passé depuis les funérailles de Trianna Tharros. La reine poursuivait silencieusement son deuil, avec le blanc dont elle se vêtait toujours comme signe ostentatoire. Son mal de poumons continuait de la tarauder et l’empêchait d’assurer les doléances toute la journée. Milash prenait le relai un jour sur deux.
— Quel projet avez-vous en tête, toutes les deux ? Une visite officielle ne s’organise pas en quelques heures. Les comtes Loren et Ganton doivent être prévenus en amont.
À côté de sa fille, Ethel s’avança d’un pas. Elle avait délaissé ses robes pour enfiler un pantalon évasé occidental assorti à une tunique cintrée. D’une voix assurée, elle lança :
— Pour être honnête, tante Alice, nous avons déjà communiqué avec Simeon Loren et Renn Ganton. Ils sont très enthousiastes à l’idée de notre venue.
Un muscle se crispa dans la joue de la reine. Lef serra les dents en attente des reproches.
— Si je comprends bien, jeunes filles, vous avez entamé un dialogue politique avec deux des Nobles les plus influents de l’Ouest sans me prévenir ?
Les traits d’Ethel se défirent. Lefkan s’attendait depuis des jours au refus de sa mère. Elle avait accompagné sa cousine, car l’idée lui plaisait. Pour autant, elle la savait idéaliste. Le Sud était peut-être plus ouvert sur le sujet de la politique. Dans l’Ouest, les démarches de ce genre n’étaient pas forcément encouragées.
— Ce n’était pas notre volonté, répondit Ethel d’un ton contrit. Nous… nous ne voulions pas…
— Maman, j’ai besoin de faire ce voyage.
Ethel jeta un œil surpris à sa cousine sans se formaliser d’avoir été coupée. Lefkan la rassura d’un hochement de tête et grimpa les marches de l’estrade. À la dernière, elle posa un genou à terre. La peau de loup dont elle avait couvert l’une de ses épaules frôla les dalles claires.
— Mère, reprit la princesse d’une voix grave, j’aimerais que tu m’accordes ta bénédiction pour cette rencontre avec Vasilias. Depuis mon enlèvement, je n’ai pas eu l’occasion de revoir les comtes. (Le visage de la reine se froissa au souvenir de l’événement.) Des décisions ont été prises suite à la trahison de Richard Loren. Je n’ai jamais pu voir de mes propres yeux ce qu’avaient mis en place son fils et son compagnon.
Le silence tomba sur Lef aussi lourdement que le regard implacable de sa mère. Mâchoire serrée, la princesse s’efforça de tenir bon. Non seulement elle voulait entreprendre ce voyage, rencontrer les représentants locaux qui aidaient à la gouvernance de Vasilias, mais elle en avait besoin. Malgré ses voyages dans le Nord pour faire honneur à la culture de son père, la princesse avait majoritairement été gardée en sécurité au Château du Crépuscule. Le besoin de voir de ses propres yeux les contrées et les cultures étrangères qu’on lui inculquait était brûlant dans son cœur. La louve devait partir pour pouvoir grandir.
— Très bien, capitula la reine avec un soupir qui affaissa sa poitrine amaigrie par la maladie. Avant que vous partiez, nous ferons un point. Ethel, tu me montreras les courriers que tu as échangés avec Sire Loren et Sire Ganton. Lef, nous nous retrouvons ce soir dans mon salon privé. Nous devons avoir une discussion.
Alors qu’Ethel se retenait de sautiller – vainement – en remerciant la reine, Lefkan se redressa. La mine lasse de sa mère ne lui présageait rien de bon. Elle inclina quand même la tête pour murmurer :
— Merci, mère.

La famille Tharros s’était retirée chacune de son côté après le dîner. Alice avait fait signe à sa fille de la suivre alors qu’elle s’éloignait vers l’antichambre. Mère et fille avaient remonté les couloirs en silence jusqu’au salon privé de la reine. Comme ni Lef ni Alice ne s’y étaient rendues depuis quelques jours, une odeur de renfermé s’était installée dans la pénombre et l’immobilité. D’un mouvement gracile du poignet, la reine fit tournoyer quelques courants dans la pièce.
Une fois les bougies éclairées et les deux femmes assises face à face, Alice entonna :
— Je ne vais pas t’inculquer une leçon interminable à propos de la politique et de nos relations avec Vasilias. D’une part, tu as déjà des connaissances sur ces sujets. D’autre part, il se fait tard et je suis fatiguée.
Lef se retint de grimacer en notant les cernes sous les yeux sombres de sa mère. Même si la maladie ne la frappait pas aussi durement que feu Trianna, elle n’avait plus la même vitalité.
— J’aimerais que tu voies ce voyage comme la première étape de ta succession, précisa sa mère d’un ton posé. Rencontrer les comtes et observer leur façon de gouverner te sera plus qu’utile. Il est temps que tu développes ta propre façon de considérer nos Terres et Oneiris. D’estimer les mesures qui protégeront notre peuple sans fragiliser les autres.
Devant l’air effaré de sa fille, la reine étira faiblement les lèvres.
— J’en ai discuté avec ton père et ton oncle. Ils s’accordent à dire que le trône devrait te revenir sans tarder. Autant pour ménager ma santé que pour te laisser grandir.
Lefkan ouvrit les lèvres, mais un ridicule geignement s’en échappa. Elle s’était attendue à des mises en garde, des remontrances, des reproches ou peut-être quelques encouragements. Sûrement pas à une annonce aussi abrupte et importante.
— Quand ?
— Pour ta succession ? Dès que tu t’en sentiras capable.
— Mère, je n’ai que quinze ans.
— Je suis devenue reine à dix-sept, lui rappela Alice d’un ton complice. Mais je n’avais pas le même écart d’âge avec ma mère que tu en as avec moi. Je ne suis plus jeune du tout, Lef.
Alice massa son poignet avec un rictus dépité. Ses articulations n’étaient pas aussi souples qu’autrefois. Manier les éléments en devenait plus difficile.
— Qui plus est, j’ai envie de prendre un peu de temps pour moi. (Comme les traits de Lefkan s’affaissaient à l’idée d’hériter d’un trône sans le soutien de sa famille, sa mère ajouta promptement : ) Lef, tu ne seras pas seule. Jamais. Tu auras tes propres conseillers. Tu pourras garder certains des miens s’ils te conviennent. Tu auras ton oncle et ta tante, tes cousins et tes amis.
— Papa et toi ?
— Nous avons tous les deux besoin de prendre du temps. Autant pour nous-mêmes que pour notre mariage. Tu connais ton père, Lef. Il a fait tant d’efforts depuis toutes ces années. Je crois que le Nord commence à lui manquer terriblement. Je ne serais pas surprise qu’il m’annonce vouloir y finir sa vie.
La lèvre inférieure de Lef tremblota. C’était trop. Bien trop. Sa meute ne pouvait pas se disloquer ainsi. La passe entre cheffes ne s’était pas encore déroulée. Et, même après, Lef ne supporterait pas de voir les aînés s’en aller. Elle aurait besoin de leurs conseils pendant encore des années.
— Commence par accomplir ton voyage, tempéra Alice en remarquant son trouble. Observe, interroge, inspire-toi. Le système des représentants en place à Vasilias fait parler de lui dans tout l’Ouest. Tu devrais réfléchir aux tenants et aux aboutissants de cette mesure si elle était appliquée à l’ensemble du territoire.
— Je ne veux pas que tu partes, maman.
Son aveu cassa la façade imperturbable de la reine. Alice inspira nerveusement, se leva pour contourner la table basse entre les causeuses et s’installer à côté de sa fille. Même si Lef était plus grande et large d’épaules, elle se blottit sans un mot dans l’étreinte de sa mère. Les doigts fins de la reine glissant entre ses cheveux envoyèrent des ondes de chaleur dans son dos.
— Je te le redis, mon flocon, je ne partirai pas tant que tu ne te sentiras pas en mesure d’assumer ton trône. Une fois de retour de Vasilias, nous annoncerons officiellement ta succession. Donnons-nous deux ans pour t’y préparer. Qu’est-ce que tu en penses ?
— Que je ne serai jamais à ta hauteur.
La reine se crispa avant de serrer plus fort sa fille contre elle.
— Tu te trompes, Lefkan. Tu seras l’une des plus grandes reines de l’Ouest. J’ai initié des changements et instauré des ententes entre les peuples d’Oneiris, mais c’est toi qui consolideras tout cela. J’en suis persuadée.
— Comment peux-tu être certaine que je ne détruirai pas tout ? (Lef quitta les bras de sa mère pour la dévisager d’un air honteux.) Je sème la discorde sur mon passage. L’Est craint mon pouvoir, le Nord m’estime trop policée pour entreprendre quoi que ce soit, le Sud me juge trop craintive et passive. Quant aux Occidentaux… ils me voient comme une sauvageonne qui ne pense qu’à se battre.
— Tu es à la fois tout cela et bien plus que cela, lui assura Alice en prenant son visage en coupe. Tu es l’Élémentaliste la plus douée de ta génération. Une jeune femme inspirante et courageuse. Et la preuve que ton esprit n’est pas uniquement focalisé sur l’action offensive : tu as organisé ce voyage diplomatique avec ta cousine.
Il y avait tant de ferveur et d’admiration dans les yeux indigo de la reine que Lef se sentit obligée d’y croire. À défaut d’y arriver par elle-même, elle pouvait tirer la force qui lui manquait de sa mère. Les paupières brûlantes, elle serra les doigts de la reine entre les siens.
— Merci, maman.

Vasilias baignait dans un soleil chaleureux qui annonçait l’été. Les façades claires à colombages luisaient sous les rayons tandis que les mouettes ricanaient au-dessus des toits de tuiles sombres. Dans le quartier marchand, qui surplombait le port et l’océan, on se pressait dans les rues pavées pour échanger les pièces de bronze contre les denrées de la semaine ou une tunique plus légère pour la saison chaude.
Lefkan et son escorte ne passaient pas inaperçues. Comme la rencontre était officielle, les comtes avaient fait placarder en ville l’annonce de la venue de la princesse Tharros. Aux portes de la ville, la garde vasilienne les avait accueillis avec les honneurs et des gourmandises locales. Le goût sucré de la brioche à la fleur de Vas changeait de l’amertume du sang qui avait teinté les dents de Lef la dernière fois qu’elle s’était trouvée dans la capitale. Elle était alors l’otage et la ravisseuse des Loren.
À dos de leurs montures, la princesse et ses proches avaient remonté la ville au pas jusqu’au domaine des Loren. Les habitants les avaient salués avec des fleurs et des appels enthousiastes. Savoir que la future reine faisait le déplacement pour s’entretenir avec les Nobles locaux rassurait. L’opposition entre Richard Loren et Alice Tharros qui avait secoué la ville quelques années plus tôt marquait encore les esprits. Quelque part, les Vasiliens se moquaient bien de savoir qui était assis sur le trône tant qu’on leur offrait ce qu’ils attendaient de leurs souverains. Et l’idée que la princesse Lefkan s’intéressât au système des représentants était bon signe. C’était l’espoir qu’une démarche développée et lancée à Vasilias s’étendît au reste du territoire. Pour la capitale qui se targuait d’innover chaque année, c’était une reconnaissance précieuse de ses dynamiques sociales et économiques.

Le manoir des Loren se dressait à l’est du quartier marchand, au milieu des demeures des riches familles de commerçants ou négociants. Les rues s’élargirent sur des pavés plus réguliers, les maisons s’agrandirent et se consolidèrent, les passants se raréfièrent.
Un mur en pierre calcaire ceignait le domaine. Lef et sa troupe le longèrent jusqu’à tomber sur les grilles en fer forgé. Des fleurs de vas sculptées s’étendaient sur le haut du portail. Lefkan s’apprêtait à descendre de cheval pour saluer les gardes quand l’un d’eux s’approcha en retirant son casque. À la vue des cheveux blond cendré ébouriffés, elle se détendit.
— Renn Ganton.
— Princesse Lefkan.
L’ancien soldat personnel des Loren devenu comte à son tour attendit que la princesse et son escorte eût mis pied à terre pour les saluer convenablement. Il frôla la main de Lef et celle de sa cousine avant d’échanger un hochement sec du menton à l’adresse des soldats qui les accompagnaient.
— Simeon vous attend dans le salon de réception, leur apprit-il après avoir ordonné aux garçons d’écurie d’emmener les chevaux. Nous prendrons ensuite le déjeuner. Et, après, des Représentants vont venir pour vous expliquer le système que nous avons mis en place.
Il avait parlé vite tout en menant Lefkan et son groupe sur le chemin pavé bordé de platanes. Face à eux, le manoir dressait ses trois étages ponctués de fenêtres et arches graciles. Si les colombages avaient été évités par les ancêtres de Simeon – ils rappelaient les maisons plus modestes des autres quartiers – la façade blanche et les tuiles sombres étaient de tradition vasilienne. Trois individus se tenaient sur le perron solide de la bâtisse. Lefkan reconnut sans mal le comte Loren à la cape lilas qui drapait l’une de ses épaules. Il était entouré d’une soldate et d’un homme à la tenue soignée. Sûrement le valet de maison.
Quand Renn réalisa qu’il marchait devant la princesse et lui parlait en lui montrant le dos, il se figea. Avec des excuses plus bredouillées qu’articulées, il s’inclina.
— P-Pardonnez-moi, princesse Lefkan. Je ne suis pas encore familier de tous les codes de respect au sein de la noblesse.
La jeune femme se contenta d’un sourire tranquille. À sa droite, Ethel était trop occupée à observer le manoir pour s’insurger de quoi que ce fût.
— Simeon vous accueillera mieux que moi, soupira l’ancien soldat après coup.
Ils reprirent la marche sans tarder. Une fois à quelques mètres du perron, Renn s’excusa en devançant la reine pour rejoindre son compagnon. Simeon s’inclina gracieusement face à ses invités, imité par la garde et le valet qui le secondaient.
— Princesse Lefkan, Dame Ethel, soldats de la Garde Royale, je vous souhaite la bienvenue à Vasilias.
Alors que Lef lui rendait les salutations, son ami s’agita dans son dos. Lef se tourna vers lui lorsqu’ils grimpèrent les marches du perron.
— Vann, ça ne va pas ?
Son compagnon fit la moue en agitant sa crinière auburn.
— Il a oublié de me saluer.
À côté, Soran ne put retenir un petit rire moqueur.
— Il t’a simplement pris pour un soldat. (Le capitaine lorgna la tenue légère du jeune homme et l’unique dague à sa ceinture.) Crois-moi, c’est un compliment.
Vann grommela dans sa barbe, vexé. Quand Lef lui avait appris, pour son voyage, il s’était spontanément proposé de l’accompagner. En tant qu’ami, que garde du corps et fils de conseillère. En définitive, il n’avait aucun rôle officiel au sein de l’escorte.
— Simeon est très élégant, souffla Ethel à sa cousine alors qu’ils passaient l’imposante porte de bois clair pour rejoindre le hall.
Le parquet n’avait pas changé depuis que Lefkan était venue au manoir. Ce constat lui amena un rictus crispé sur les lèvres. Elle ignorait pourquoi elle se rappelait ce détail en particulier. Avant de laisser les mauvais souvenirs alourdir sa conscience, Lefkan dépassa son groupe pour observer les lieux. Des portraits de plusieurs générations de Loren habillaient les murs hauts. Leurs yeux lilas ressortaient au milieu des aplats plus sombres de la peinture à l’huile.
En face d’eux, un large escalier partait du centre pour rejoindre une coursive qui ouvrait sur les ailes est et ouest du manoir. Les marches en pierre taillée étaient parées d’un tapis ocre.
Simeon et Renn s’étaient effacés sur le côté pour les laisser scruter le hall. Rapidement, Soran ordonna à la demi-douzaine de soldats qui l’accompagnaient de le suivre pour prendre leurs quartiers. Renn serra l’épaule de son compagnon avant de s’élancer après le capitaine pour les guider. Une fois seul avec Vann, Lefkan et sa cousine, Simeon s’éclaircit la gorge.
— J’imagine que Renn vous a déjà présenté le programme ? (Comme les adolescents acquiesçaient, le comte enchaîna avec un sourire agréable : ) Dans ce cas, je peux vous inviter à me suivre au salon en attendant l’heure du déjeuner ?

Avant de pénétrer dans la salle de réception qui bruissait des murmures des invités, Lefkan se tourna vers sa cousine. Dans la pénombre, les yeux argentés d’Ethel luisaient moins que d’habitude. Pourtant, elle distinguait sans mal l’impatience qui agitait son visage mutin.
— Comment me trouves-tu ?
— Comment ? s’étonna sa cousine en lui accordant son attention.
— Mon apparence. (Lef indiqua son ensemble occidental avec une grimace.) Je n’ai pas l’air d’une sotte dans sa première tenue de sortie ?
Ethel la considéra bouche bée.
— Tu n’as jamais eu l’air d’une sotte, Lef. Bien au contraire. Tu as tellement de prestance ! Tu portes aussi bien le cuir des Nordistes que les tissus occidentaux.
Ses joues s’étaient colorées de rose alors qu’elle agitait les mains en tous sens. Lefkan se retint de rire – Ethel était un peu trop expansive – et inclina le cou.
— Merci. Je sais bien que je n’ai pas l’élégance de ma mère ou ta grâce.
— Peu importe, contra Ethel en fronçant les sourcils. Tu as ta propre façon de paraître. Tu attires l’attention parce que tu es grande et forte. Et nous avons besoin d’être grandes et fortes face aux Représentants !
Sans demander à sa cousine si elle était prête, Ethel fit signe au valet de porte de leur ouvrir. Il s’exécuta avec une révérence tout en les annonçant d’une voix distincte. Lefkan pinça les lèvres pour s’empêcher de geindre et s’avança. Simeon, Renn et les Représentants s’étaient levés pour les accueillir. Chacun s’inclina plus ou moins bas en fonction du respect qu’ils souhaitaient montrer à la famille royale. Au bout le plus éloigné, Soran et Vann adressèrent des sourires à Lefkan.
— Princesse Lefkan, Dame Ethel, je vous en prie.
Des domestiques tirèrent les lourdes chaises de bois pour les aider à s’installer. Souple malgré les pans de tissu qui encerclaient ses jambes, Lef s’assit dans un mouvement fluide. Ethel l’imita plus lentement, quoiqu’avec plus de délicatesse.
— Je vous remercie d’avoir accepté l’invitation, entama Lefkan en parcourant la table des yeux. Ethel et moi-même désirions ardemment vous rencontrer, Représentants de Vasilias.
Ils étaient au nombre de cinq. Il avait fallu des mois d’organisation et de récolte d’informations auprès de la population pour établir le système des Représentants. Quand enfin étaient venues les élections, la garde vasilienne avait dû être appelée en renfort dans les postes de votes répartis dans la ville pour maintenir l’ordre. Certains Vasiliens avaient exprimé leur mécontentement avant de passer aux urnes.
Un Représentant était élu par quartier. Celui du port était un docker aux bras musclés et à la moustache frémissante. Celle des riches négociants, une femme en habits occidentaux traditionnels et aux yeux d’un bleu scintillant. Un homme au visage fermé lui faisait face, lui-même secondé par une quarantenaire au sourire généreux. Lefkan supposa qu’ils représentaient les quartiers du centre et de l’est, réputés pour les maisons familiales qui s’y serraient et ses échoppes d’artisans. La dernière Représentante était une jeune femme de quelques années plus âgée que Lef. Ses yeux d’un violet lavande saisissant ne l’avaient pas quittée depuis son arrivée. Avec sa tenue aux vêtements rapiécés et son air farouche, elle devait sûrement se tenir pour le quartier sud, le moins réputé de tous.
Deux des trois femmes étaient Élémentalistes – leurs iris à la couleur surprenante ne mentaient pas. Les trois autres étaient dépourvus de pouvoirs. Lef les considéra un par un une nouvelle fois avant de reprendre la parole :
— Sire Ganton et Sire Loren m’ont tous deux expliqué votre rôle de Représentant dans les missives que nous échangeons régulièrement. J’aimerais quand même vous entendre parler de vos tâches, de vos responsabilités et de votre implication auprès des Vasiliens.
Comme personne ne prenait la parole dans l’immédiat, la Noble se redressa sur son siège.
— Princesse Lefkan, je suis la Représentante Amalia. En embrassant ce titre, j’ai renoncé à mon statut de Noble, précisa-t-elle alors que Lefkan attendait la suite de son nom.
— Je vois. J’imagine que vous représentez le quartier nord, celui-là même où nous nous trouvons ?
— C’est exact. (La femme esquissa un geste gracieux pour désigner ses homologues.) Nous sommes tous ravis de votre présence. Nous craignions que la couronne ne s’intéresse jamais à ce que Vasilias a mis en place depuis un an.
Avant que Lef pût ouvrir la bouche pour la rassurer, la plus jeune Représentante se leva subitement. Elle ne prononça pas un mot, n’esquissa pas un geste, mais sa colère raidissait sa silhouette et sa mâchoire. À l’autre bout de la table, Soran se pencha en avant, prêt à bondir si nécessaire. Lefkan elle-même s’était emparée du couteau en argent à côté de son assiette.
— Vous vous en moquez, hein ? attaqua sèchement la jeune femme avec un rictus.
Son accent sonnait âpre après le ton léger de la Vasilienne des hauts-quartiers.
— On vous a jamais vu à Vasilias, enchaîna-t-elle d’une voix mordante. Sauf quand le gros Richard vous a fait enlever.
Le gros Richard faillit tirer un sourire à la princesse. Elle se recomposa une façade à temps, même si Simeon grimaça ouvertement. Il avait beau avoir lui-même participé à la condamnation de son père, il n’appréciait pas ce surnom dégradant.
— Je suis en apprentissage, expliqua Lef en s’efforçant de calmer sa colère sous-jacente. Je ne peux pas m’absenter du Château à n’importe quelle occasion.
— En apprentissage, répéta la jeune femme en imitant son accent. Vous apprenez à vous coiffer et à boire le thé ?
— C’est tellement réducteur, soupira Ethel d’un air ennuyé sans même considérer son interlocutrice.
La Représentante la foudroya de son regard à la teinte fleurie. Comme elle se tenait toujours debout, Lefkan se redressa à son tour. En se rendant compte qu’elle la dépassait d’une tête, la Vasilienne pointa plus haut le menton.
— J’représente les pauvres et les abandonnés de Vasilias, siffla-t-elle en croisant les bras. Même avec le système des Représentants, mon quartier va pas mieux. Y’a des voleurs, des arnaqueurs et des ivrognes. Des gosses orphelins de partout. Des étrangers sans papiers. Personne veut de nous.
En face, la Vasilienne aux vêtements occidentaux s’assombrit. Ses lèvres pincées témoignaient un mélange de perplexité et de compassion. Pour autant, elles n’avaient pas de solution à souffler.
— Il faudra du temps pour équilibrer les ressources, nous en avons déjà discuté, Lallie.
Lef se tourna vers Simeon. Sa voix agréable avait traversé les murmures et les tintements des couverts. La princesse s’interrogea brièvement sur la familiarité avec laquelle ils s’observaient. En le remarquant, le jeune Loren sourit avec tendresse.
— Lallie est la fille bâtarde d’un Noble voisin. Elle a été abandonnée à Vasilias. Je lui avais proposé de la prendre sous la tutelle des Loren, mais elle a refusé.
— J’ai pris le contrôle de mon quartier, celui où j’ai été abandonnée, précisa-t-elle devant la moue surprise de Lef. Mon père est une ordure, mais il m’a laissé quelques trucs utiles.
Sur ces mots, sans se soucier des soldats qui l’entouraient, elle fit jaillir des étincelles de sa main. Soran bondit sur ses pieds en faisant racler sa chaise. À sa droite, Vann avait déjà une flamme au bout des doigts. Mais ils n’avaient pas été aussi rapides que Lefkan, qui pressait un pic de glace contre la gorge de la jeune femme.
— Les rumeurs mentent pas, pour ça au moins, ricana-t-elle en laissant mourir ses minuscules éclairs. L’Enfant des Tempêtes.
Les omoplates de Lef se contractèrent sous les voiles de son haut. Comme Lallie semblait s’être calmée, elle fit disparaître sa lame gelée et se rassit en silence. Quand tout le monde l’eût imitée, elle s’éclaircit la gorge et déclara :
— Comme je le disais, je suis là pour observer et apprendre. J’exige que chacun d’entre vous me raconte ses tâches et ses responsabilités.
Lef avait volontairement durci le ton. Lallie avait testé son courage, mais chaque Représentant était peut-être encore en train de l’évaluer. Si la princesse souhaitait sortir de cette rencontre avec les connaissances dont elle avait besoin, elle devait se montrer ferme.
Face à son regard implacable, les Représentants échangèrent quelques messes basses. Le docker finit par soupirer bruyamment. Après avoir avalé son verre de vin d’une traite, il grogna et annonça :
— Je suis le Représentant Ronan. Je gère le quartier ouest, celui du port et du marché.
— Je vous écoute, Représentant Ronan.



Suite
Dernière modification par louji le ven. 01 avr., 2022 8:49 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

Deeernier chapitre ! Encore l'épilogue et ce sera terminé 🥳



Chapitre 8
Le couronnement



An 529 après le Grand Désastre, 2e mois de l’hiver, Château du Crépuscule, Terres de l’Ouest.



Lefkan reconnut son ami au bruit de ses pas avant même que sa voix s’élevât au seuil de sa chambre :
— Lef ? Tu es là ?
L’intéressée ne répondit pas dans l’immédiat, concentrée sur le trait sombre qu’elle appliquait sur sa paupière. À son grand soulagement, Vann patienta le temps qu’elle eût assombri ses deux yeux. C’était suffisamment compliqué pour elle de se maquiller pour que des distractions extérieures vinssent la perturber.
— Qu’est-ce que c’est ?
Lef croisa le regard doré de son compagnon dans le miroir avant de lui tendre le flacon en verre qu’elle pinçait entre deux doigts blanchis de légères cicatrices. Vann s’en empara pour renifler le contenu. Après avoir plissé le nez et tâté la substance du bout de l’ongle, il dévisagea son amie.
— Du khôl ? Comment tu te l’es procuré ?
— Ta mère. Elle m’en a ramené un flacon du Sud. Il paraît que c’est à la mode à la cour impériale. Ethel m’a conseillée d’en trouver et d’en appliquer moi-même. Elle affirme que le khôl me rendra plus impressionnante. À défaut d’avoir du courage par moi-même, si je peux en aspirer aux autres pour ce qui arrive…
Circonspect, Vann rendit le maquillage à son amie.
— Tu écoutes tout ce que te dit Ethel ? Tu sais que ta cousine a des idées bien à elle.
— C’est ma conseillère en relations étrangères, répliqua Lefkan d’un ton ferme. Bien entendu que je l’écoute. Comme ma mère a écouté la tienne autrefois.
Vann se contenta de hausser les épaules.
— La reine dit que tu as encore le droit de changer de conseillers. Comme tu es en période de transition, tu pourr…
— Je suis la reine, Vann. Je ne suis plus en période de transition.
Lef plissa les paupières en se tournant vers le portant où était suspendu son manteau d’un turquoise sombre à la capuche bordé de fourrure. Elle s’en drapa sans quitter son ami des yeux.
— Ma mère s’apprête à me céder le trône.
Malgré son teint halé, Vann avait pâli. Lef avait toujours été un peu rude dans sa façon de parler. Mais, depuis qu’Alice avait annoncé préparer sa fille pour la succession, la princesse s’était endurcie. Elle n’avait pas trouvé d’autre moyen pour contrer le feu qui lui brûlait les entrailles à l’idée d’hériter.
— B-Bien entendu, bredouilla Vann en basculant son poids d’un pied à l’autre. En fait, je voulais simplement te prévenir que les Représentants sont arrivés.
— Si tôt ? grommela-t-elle d’une voix agacée. Ils ne devaient pas arriver avant une heure.
Avec un soupir, elle vérifia sa tenue et son maquillage dans son miroir sur pieds. Le khôl faisait ressortir le gris teinté de violet qui colorait ses iris. Pour l’événement qui l’attendait, elle avait opté pour une tunique occidentale en coton doublé de laine. Elle avait délaissé le cuir et les tresses, qui auraient été trop représentatifs de son héritage nordiste. Aujourd’hui, Lefkan était une Occidentale. Une fière et imposante Occidentale, éloignée de l’image réservée que se faisaient les autres peuples du sien. C’était pourtant exactement l’image qu’elle souhaitait renvoyer : l’Ouest avait grandi, mûri, changé.
Comme à son habitude depuis des années, elle adressa un rictus farouche au miroir. La princesse-louve n’avait jamais disparu.

Vann l’accompagna jusqu’à la Gran’Salle. Les battants entrouverts laissaient le bruissement des conversations glisser jusque dans l’antichambre. En les apercevant, le valet de porte gonfla la poitrine et les annonça à l’ensemble des convives. Lef essuya discrètement la moiteur de ses paumes sur les pans de son manteau. Elle ne regrettait pas d’en être vêtue, alors que l’hiver s’était infiltré dans les moindres interstices des pierres du Château.
Lefkan dressa le menton avant de pénétrer dans la Gran’Salle. Vann sur ses talons, elle embrassa la petite foule du regard et grimpa l’estrade. Ses parents lui sourirent tranquillement tandis qu’elle rejoignait son trône. Sa mère était déjà assise sur celui de gauche, inférieur en taille. Son père se tenait debout à côté d’elle, les épaules toujours droites malgré les années qui avaient parsemé de gris ses cheveux et grignoté la peau lisse de son visage. Quant à l’ancienne reine, elle n’avait guère repris de poids depuis le mal de poumons qui l’avait taraudée deux ans plus tôt. Les amples vêtements chauds d’hiver masquaient difficilement sa silhouette décharnée.
Il était plus que temps que Lef succédât afin de laisser à ses parents le répit qu’ils méritaient depuis des années.
Les murmures cessèrent quand Lefkan surplomba la foule. Ils étaient une quarantaine. Les dix Représentants des faubourgs et des terres alentours étaient venus accompagnés de leurs proches et soutiens. Une dizaine de Nobles avec lesquels Lef avait déjà établi des contacts était également présente.
Lefkan avala sa salive avant de se lancer. Elle avait comme de la glace cisaillée au fond de la gorge.
— Mesdames et messieurs, je vous remercie d’être présents en ce jour. Comme l’ont déjà indiqué les missives que nous vous avons envoyées, ce rassemblement n’est pas anodin.
Sa mère profita d’une pause dans son discours pour se lever. Elle prit appui sans honte sur le bras que son mari lui proposait pour compenser ses jambes incertaines. Une fois proche de Lef, elle posa sa main gracile sur celle calleuse de sa fille. Après l’avoir remerciée en silence de ses grands yeux indigo, elle se tourna vers son peuple.
— Ce n’est plus un secret pour l’Ouest : cela fait déjà des mois que je cède de plus en plus mes responsabilités et mes décisions à ma fille.
Un frisson parcourut le dos de Lef. Elle était impressionnée par la voix claire et modulée que sa mère possédait encore après tant d’années. Sa toux chronique n’avait pu l’en dépouiller.
— C’est Lefkan qui a initié le système des Représentants à l’échelle du royaume. Sa première grande initiative en tant que reine.
Les expressions inquisitrices se muèrent en approbation, mais aussi en anticipation. Ce genre de discours ne pouvait que déboucher sur des annonces de grand changement. Bien qu’Alice l’eût dit elle-même, une véritable transition de pouvoir impliquerait du mouvement dans l’ensemble des Terres de l’Ouest. Des festivités et des réjouissements pour ce règne à venir, bien entendu, mais aussi des soupirs et des larmes en mémoire de l’ancienne souveraine.
— Pour que Lefkan puisse au mieux gérer le royaume, j’ai pris la décision de me retirer et de lui céder le trône.
Alice serra la main de sa fille en prononçant ces mots. Profitant du silence respectueux de l’assemblée, elle se tourna vers Lef, recula d’un pas et porta les doigts à sa tiare. La couronne d’argent aux pierres précieuses bleutées renvoya les lueurs des candélabres et des feux de cheminée. Gorge nouée, entrailles brûlantes, Lefkan s’agenouilla face à sa mère, sa souveraine et sa cheffe de meute. La passation était en place.
La couronne pesa soudainement sur son crâne. De nouveaux frissons remontèrent sa colonne vertébrale, lui raidirent les épaules. Ses parents l’avaient prévenue depuis des semaines de l’événement, mais savoir et vivre étaient deux choses bien distinctes. Lef ne s’était jamais sentie prête pour l’instant. Et, alors qu’elle le vivait, elle eut l’impression d’être hors de son corps et de son esprit. Elle aurait aimé être une jeune louve libre et tempétueuse.
— Relève-toi, Lef.
Sa mère avait murmuré les mots d’un ton amusé. Lefkan se redressa en rougissant lorsqu’elle comprit qu’elle s’était perdue dans ses pensées. Elle s’empara des poignets fins de l’ancienne reine et en profita pour presser le front contre le sien. Un courant tiède glissa entre elles au contact de leurs peaux.
— Merci, mère.
Elles se tournèrent de concert vers l’assemblée, qui profita que le moment solennel fût passé pour applaudir généreusement. Choisir les Représentants et quelques Nobles pour la remise de couronne officielle était un premier geste politique fort. Lefkan affirmait sa volonté que le système des Représentants pesât aussi lourd que la gouvernance des Nobles.
Dans la foule, Lefkan repéra la silhouette svelte de sa cousine, celles enlacées des comtes Loren et Ganton, les sourires fiers de Vann et Soraya, celui plus mesuré de son oncle. Parmi les Représentants, on souriait, car la princesse devenue reine avait tenu ses engagements jusqu’ici. Les Nobles n’étaient pas non plus avares d’applaudissements. C’étaient des Occidentaux spécialement invités par Lefkan, car ils avaient accepté volontiers l’aide accordée par le système des Représentants. Malgré tout, Lef n’était pas dupe : la majorité des Nobles était encore perplexe et méfiante de ce mode de gouvernance complémentaire. Son seul règne ne serait peut-être même pas suffisant pour trouver un équilibre à l’échelle du royaume.
Désireuse de laisser ces pensées anxiogènes de côté, Lefkan s’avança pour descendre une marche. Plantée au-dessus de la foule, ses parents en toile de fond, elle inclina le buste en avant.
— Peuple de l’Ouest, je vous remercie pour votre confiance et votre loyauté. (Lef attendit de s’être redressée et d’avoir inspiré à pleins poumons avant de continuer d’un ton assuré : ) Je suis jeune, j’ai encore beaucoup à apprendre, mais je compte sur l’ensemble de mes conseillers, de mes Nobles et des Représentants pour me guider.
À quelques mètres d’elle, les visages se plissèrent de reconnaissance. La modestie attirait plus facilement la sympathie que l’arrogance. Et Lefkan comblait la vulnérabilité que ça aurait pu lui apporter par ses talents de combattante et son esprit entêté.
Ethel fut la première à faire claquer une chappe d’air au-dessus d’elle pour attirer l’attention et acclamer :
— Vive la reine ! Vive Lefkan !
L’intéressée adressa un regard embarrassé à sa cousine, mais n’empêcha pas les autres enthousiastes de l’imiter. Bientôt, la Gran’Salle fut envahie d’éclairs et de vents joyeux qui soufflèrent quelques mèches de candélabres et agitèrent les feux de cheminée. L’odeur d’ozone, de la cire et du feu de bois chatouilla les narines de la jeune reine.
Finalement amusée par le spectacle qui s’offrait à elle, Lef leva les bras vers le plafond vouté. En se concentrant suffisamment, elle parvint à y rassembler des cristaux de glace. Une fois certaine que les nez étaient dressés, elle les fragmenta avec délicatesse. Lefkan y associa un courant d’air épais qui fit glisser doucement les éclats scintillants vers la foule.
Des murmures appréciateurs ponctués d’éclats de voix plus enjoués accompagnèrent la danse des paillettes glacées. Même si Lef s’était laissé entraîner par la légèreté ambiante, cette démonstration était aussi un rappel de ses capacités. Jamais une Élémentaliste comme elle n’avait été à la tête de l’une des contrées d’Oneiris. Si on avait autrefois craint ses pouvoirs imprévisibles, on saluait aujourd’hui l’adresse avec laquelle elle maniait l’eau, la foudre ou le vent. Par plus d’une fois ces derniers mois, Lefkan s’était rendue dans des villes côtières et portuaires pour repousser des tempêtes. L’automne avait été capricieux, encore bousculé par les changements climatiques qu’avait impliqué le rassemblement des cinq Dieux Primordiaux.
Une délégation de Nordistes avait même fait le déplacement pour requérir son aide. L’enfant autrefois mal-aimée par le Nord, repoussée à cause de son sang-mêlé d’Occidentale, était aujourd’hui un murmure grandissant. Avec l’adoucissement des hivers nordistes, leurs côtes s’étaient libérées de leur écrin de glace. Ce peuple jadis essentiellement nomade découvrait les avantages de terres arables et de mers praticables. Pour autant, les blocs de glace qui chaviraient au gré des flots encore tumultueux empêchaient l’établissement de voies navigables. Bien qu’eux-mêmes manieurs de l’élément aquatique sous toutes ses formes, certains Nordistes voyaient en Lefkan et ses pouvoirs inégalés une solution miracle. Divine.
Lef cligna confusément des yeux en se rendant compte qu’elle s’était de nouveau plongée dans les pensées qui tapissaient constamment son esprit. Elle comprenait mieux l’air songeur qu’avait souvent adopté sa mère. Même lors de son couronnement, alors qu’elle aurait dû apprécier l’instant présent, elle revenait à ses préoccupations. Se projetait dans des solutions.
Oh, Lefkan n’était sûrement pas une Déesse. Ses pouvoirs relevaient peut-être d’un don divin, mais son lien avec le monde était purement humain. Parfois même animal, quand elle se prenait à rêver d’être une louve.
— Lef ?
Son père venait de poser une main sur son épaule. La jeune reine se tourna vers lui, le rassura d’un sourire complice. Son sang nordiste lui brûlait parfois les veines, l’enjoignait à prendre son envol, à avaler les lieues en humant l’odeur des bois et des étoiles.
Pas aujourd’hui.
— Raccompagne maman à votre chambre, souffla Lefkan en se penchant vers son père. Je la trouve bien pâle.
L’époux de l’ancienne souveraine étira faiblement les lèvres. Lui-même semblait vieilli prématurément.
— Voir notre petit louveteau avec sa couronne sur le crâne nous a éprouvé tous les deux.
Le cœur de Lefkan rapetissa dans sa poitrine alors que l’habituelle tempête des yeux gris de son père virait à l’accalmie. En dehors de leur petite bulle d’intimité, les Nobles, les Représentants et leur famille s’étaient dirigés vers les buffets que les domestiques avaient dressé au petit matin.
— Alors reposez-vous tous les deux, murmura Lef en empoignant la nuque de son père pour serrer son front contre le sien.
— On ne va quand même pas manquer le banquet de couronnement de notre propre fille, contra Achalmy avec un sourire mordant.
Sans attendre sa réponse, il se tourna pour prendre le bras de son épouse et l’aider à descendre les marches. Lef sourit à cette image : son père lui-même n’était plus aussi vaillant sur ses appuis. Ses genoux le faisaient souffrir, surtout en cette période hivernale.
Lefkan se résolut pourtant à les laisser rejoindre les buffets pour bavarder et apprécier la bonne chair et le bon vin. Depuis les années, elle avait accepté que ses parents fussent aussi butés l’un que l’autre.

Les tourtes à la volaille côtoyaient des lamelles de courge grillée et des tranches de pain recouvertes de beurre persillé et d’oignons caramélisés. Lefkan lorgna les plats sans y toucher pour autant. Elle avait le ventre encore trop noué pour ressentir la faim. Pour éviter d’attirer l’attention sur ses mains vides, elle s’empara d’une coupe de vin et en avala plusieurs gorgées. Son estomac vide protesta aussitôt. En proie à un vertige, elle prit appui sur la table.
— L’alcool vous monte à la tête, Reine Lefkan ?
La concernée cligna des yeux pour en chasser le flou. Le jeune homme qui s’était penché vers elle avait les doigts couverts du gras de la tourte. La jeune reine s’efforça de lever le nez de cette vision. Les Représentants n’avaient pas les manières de la noblesse. Pour autant, elle ne voulait pas mettre son interlocuteur mal à l’aise.
— Représentant Ezra.
Le jeune Occidental lui adressa un sourire sans s’arrêter de mastiquer. Le faisait-il exprès ou n’avait-il donc aucune éducation ? Faisant fi de son agacement, Lefkan agita doucement sa coupe de vin.
— J’ai simplement bu un peu vite.
Ezra mâchouilla sa part de tourte sans la quitter des yeux avant de déglutir. Lef ne put s’empêcher de reculer d’un pas. Ses vêtements de laine, quoiqu’apparemment propres, portaient l’odeur de la graisse dont il se servait tous les jours. Fils des principaux fournisseurs d’armes de la Garde Royale, il avait succédé à sa mère lorsque celle-ci s’était brutalement éteinte plus tôt dans l’hiver. En même temps que leur armurerie, il avait récupéré son titre de Représentant – avec l’accord des habitants des faubourgs. Il n’avait eu que quelques semaines pour apprendre son nouveau rôle.
Lefkan s’obligea à se le rappeler tandis qu’il s’emparait d’une lamelle de courge à même les doigts pour croquer dedans.
— C’était joli. Votre p’tit tour.
Il pointait l’index de sa main libre vers le plafond voûté.
— Merci.
— Complètement inutile, mais joli.
Lefkan se crispa, perdit son sourire de circonstance. Ezra s’était calé contre la table du buffet, les bras croisés sur la poitrine. Son attitude nonchalante aurait mis Lef en rogne si elle n’avait pas été focalisée sur ses paroles.
— Pardon ?
— J’espère que vous mettrez autant de soin à développer le système des Représentants sur tout le territoire.
Sa voix avait changé, son regard aussi. Lefkan comprit avec un sursaut de colère honteuse qu’il s’était payé sa tête depuis le début de la conversation. Sa coupe déborda du peu de vin qu’elle contenait quand elle la reposa brutalement. Comme il était plus grand qu’elle, Ezra inclina la tête avec un sourire tranquille. Ses longs cils frôlèrent ses joues mangées de barbe brune.
— N’avez-vous donc pas prêté attention à mes discours ces derniers mois ? J’ai promis au peuple que ce serait l’une de mes premières initiatives une fois sur le trône.
— Reine Lefkan, depuis des années que vous assistez Dame Alice, vous devez savoir que promettre et entreprendre sont deux tâches distinctes.
Le louve en elle montra les crocs. La jeune reine se recomposa rapidement, mais Ezra avait eu le temps de se décaler d’un demi-pas. Malgré son air flegmatique, il était sur le qui-vive.
— Le système des Représentants me tient à cœur, ajouta Lefkan d’un ton moins mordant. Vous devez savoir que je suis à moitié Nordiste. Là-bas, il n’y a personne pour dicter vos actes ou s’approprier vos terres. Mais, si vous avez le malheur de craindre le sang, les armes, ou d’être simplement dépourvu de pouvoirs, vous passerez votre vie sous le joug des autres. La loi du plus fort. (Curieux, Ezra avait détendu sa silhouette provocatrice pour l’écouter docilement.) Dans le Sud, c’est l’argent de l’un qui fait sa gloire. Peu importe qu’il en exploite d’autres. Il n’y a pas de titres comme chez nous, mais les richesses ne sont pas redistribuées autant qu’elles le sont dans l’Ouest.
Lefkan se tourna vers l’un des convives, un Sage envoyé par l’Épine, gouvernement de l’Est, afin d’assister au couronnement de la nouvelle reine occidentale. L’Oriental n’était pas spécialement proche de Lef ou sa famille. Son rôle était avant tout celui d’un observateur. Le trône n’avait pu refuser sa venue quand l’Épine en avait exprimé le souhait. Ça aurait un geste diplomatique très indélicat.
— Quant à l’Est, acheva Lefkan en se détournant du Sage pour confronter Ezra, je pense que nous les admirons tous un peu. Il n’y a pas d’argent ni de hiérarchie. Les Sages sont élus par Galadriel elle-même. C’est un peuple en paix avec lui-même et avec ses voisins.
Lefkan soupira en s’emparant de nouveau de sa coupe de vin. D’une pensée, elle en gela la partie aqueuse. Le reste se perdit au fond de la coupe.
— Si je suis née ainsi, avec ces capacités, c’est sûrement parce que mes parents ont été en contact avec les Dieux. Un contact qui les a mis en danger. Nos divinités existent pour nous protéger et vous accompagner au long de notre vie, mais s’il y a bien une chose que les Oneirians auraient dû retenir des événements passés, c’est que les Dieux ne devraient pas être notre unique vision du monde.
Ezra n’avait toujours pas prononcé la moindre parole. Il se demandait sûrement où la jeune reine souhaitait en venir, après ce monologue.
— Alors être sous les ordres d’un gouvernement choisi par une Déesse, je ne pense pas que ça me plairait non plus, ajouta Lef en dégelant sa coupe de vin. C’est pourquoi je veux faire de l’Ouest un nouveau modèle. Pour notre peuple et pour Oneiris tout entier.
— Avec les Représentants ?
— Avec les Représentants.
Un sourire s’épanouit de nouveau au milieu de la barbe mal taillée de l’armurier.
— Je crois qu’on a finalement réussi à briser la glace, déclara-t-il avec légèreté en s’emparant d’un bock rempli de bière. C’était un plaisir et un honneur, Reine Lefkan.
Avec des gestes plus gracieux qu’elle ne l’en aurait cru capable, il s’empara de ses doigts pour lui faire un baise-main. En se redressant, il avait repris son air canaille.
— Je suis le Représentant le plus proche géographiquement. Les habitants des faubourgs comptent sur moi, Reine Lefkan. Attendez-vous à me voir souvent lors des séances et des doléances. Je ne compte pas délaisser mon armurerie, mais je ne compte pas vous laisser trahir votre promesse non plus.
Lef lâcha un petit rire pour contrer l’énergie nerveuse qui s’était emparée d’elle face à ce défi ouvertement lancé. Même si l’étiquette de la noblesse occidentale lissait son comportement et ses gestes, sa tempête intérieur n’était jamais loin.
— Je vous attendrai, Représentant Ezra.



Suite
Dernière modification par louji le ven. 15 avr., 2022 7:43 pm, modifié 1 fois.
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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

Eh bien, nous y voilà, la fin de la fin. Comme j'avais déjà fait des remerciements à la fin du T2 et que cette novella était pas trop prévue, je vais pas spécialement en refaire. Mais merci quand même aux personnes qui auront pris le temps de lire et, surtout, de commenter =)



Épilogue
La reine-louve



An 532 après le Grand Désastre, 1e mois de l’automne, au nord de Vasilias, Terres de l’Ouest.



La pluie rendait le chemin boueux. Mécontente, la monture de la reine de l’Ouest renâclait en tirant sur son mors. Imperturbable malgré le ciel d’un gris plombant, Lefkan restait droite dans sa selle, le regard porté à l’horizon. Ils avaient choisi de grimper cette butte pour la vue qu’elle offrait sur les champs de blé et la côte maritime.
Soran l’avait devancée, accompagné de trois autres personnes. Quand le bruit de succion que produisaient les sabots des chevaux leur parvinrent, ils se tournèrent nerveusement. Lef échangea un simple hochement du menton avec son capitaine. Une fois à leur hauteur, au sommet de la butte, la jeune reine se hissa sur ses étriers. À une centaine de mètres, la milice privée qu’ils affrontaient depuis deux jours bordait hargneusement le domaine des Falcan.
— Des teignes, cracha Soran en indiquant les hommes et les femmes qui menaçaient les soldats royaux avec des lames de fer comme des lances de glace. Des Élémentalistes des quatre contrées. Je ne sais pas comment les Falcan ont rassemblé suffisamment d’or pour engager autant de mercenaires. Surtout aussi qualifiés.
Lefkan se laissa de nouveau glisser au fond de sa selle, mâchoires serrées. Elle faisait tomber la pluie en continu depuis deux jours et la fatigue commençait à la plonger dans la torpeur. Malgré ça, elle inspira profondément les embruns en provenance de l’océan et déclara :
— Il est hors de question que le combat s’éternise. Notre peuple va finir par croire que la Garde Royale n’est qu’un rassemblement d’incapables.
— Lef, intervint Ethel en poussant sa monture vers celle de sa cousine, on ne doit pas risquer la vie de nos soldats en combattant de façon précipitée.
L’intéressée de tourna vers la jeune femme avec un sourire dur.
— Ethel, tu es ma conseillère en politique intérieure, aux dernières nouvelles. Pas en stratégie de guerre.
Comprenant qu’elle était reléguée au poste d’observatrice, la princesse Tharros plissa les yeux et se déporta sur le côté. Lef s’en voulut, mais que brièvement. Ethel l’avait prévenue des mois avant la rébellion des Falcon. La jeune conseillère, qui avait fait des échanges politiques de l’Ouest sa spécialité, avait rapidement décelé la colère qui grondait chez certains Nobles. Le système des Représentants, qu’un décret royal avait imposé à l’échelle nationale, avait été rejeté par de nombreuses familles nobles. L’idée de partager la gestion des terres et des familles qui les exploitaient n’avait pas été bien accueillie.
Pour autant, si Lefkan serait reconnaissante à jamais pour le travail qu’avait achevé sa cousine sur ce sujet, Ethel n’était sûrement pas celle vers qui elle tournait en termes de guerre.

— J’imagine que c’est mon père, qui est à l’origine de ce rassemblement.
Lefkan faillit ne pas entendre la déclaration morose du cavalier à sa gauche. Sous la pluie battante, les cheveux châtain du comte Simeon Loren lui dégoulinaient sur le front. La colère froide rendait le lilas de ses yeux trouble. Malgré la cape détrempée qui pendait tristement sur son flanc gauche, ses épaules restaient droites.
— Il a instillé la graine de la rébellion chez les Nobles voisins lorsqu’il vous a fait enlever, il y a presque dix ans.
Comme il avait probablement raison – les Falcan faisaient partie des Nobles qui géraient d’importantes terres côtières et agricoles au nord de Vasilias – Lefkan préféra ne pas répondre. Les Falcan s’étaient alliés à d’autres Nobles voisins pour embaucher des mercenaires de toutes origines et se protéger des soldats. Depuis trois ans, la couronne dépêchait régulièrement des escadrons de la Garde Royale sur le domaine des rebelles pour les forcer à instaurer le système des Représentants. Lorsque les soldats ne rentraient pas bredouille, ils revenaient blessés et guère certains de ce qu’ils avaient imposé aux Nobles récalcitrants.
Puis un garde royal avait été abattu. Lefkan avait alors ordonné que les Falcan fussent dépossédés de leur titre et de leurs terres puis condamnés à des travaux pour la couronne. En avait résulté cette révolte, qui avait mis au jour ce que soupçonnait Ethel depuis quelques mois : une dizaine de famille nobles proches de Vasilias s’étaient réunies pour contester le décret royal.
— Renn est avec les soldats ?
Simeon quitta des yeux le manoir dont les façades aux pierres apparentes ruisselaient.
— Oui. J’ai essayé de le convaincre de rester avec moi, mais…
Le comte ne termina pas sa phrase, subitement captivé par les troupes – soldats de la couronne et mercenaires des Falcan mélangés – qui s’agitaient entre la plage de galets sombres et la bordure des champs. Deux mercenaires avaient forcé la ligne de protection que formaient les gardes à la limite de la plage. Soran jura entre ses dents lorsque l’un de ses hommes s’effondra sous les assauts d’une mercenaire entourée de sable tourbillonnant.
— Je retourne auprès des troupes, reine Lefkan, annonça-t-il d’un ton déterminé en tirant sur les rênes de sa monture.
— Je t’accompagne.
Derrière Lef, Vann poussa un hoquet désemparé. Le jeune homme était resté auprès de son amie toutes ces années, s’enorgueillissant de son rôle de garde du corps. Même s’il n’avait guère eu d’occasions de la protéger, tant l’intéressée était sur le qui-vive au quotidien.
— Lefkan, siffla-t-il alors que la jeune reine pressait les flancs de Chenapan pour suivre Soran. Tu ne peux pas rejoindre le champ de bataille.
— En quel honneur ? répliqua-t-elle d’un air tranquille sans daigner ralentir.
— Tu… tu es la reine. Tu ne peux pas t’exposer de cette manière.
Lef zieuta vers son compagnon, soupira face à l’angoisse ancrée à ses traits.
— Savais-tu que mon arrière-grand-mère était une reine guerrière ? lança-t-elle d’une voix forte pour couvrir le bruit de la pluie et des combats au loin. Je te parle du côté Tharros, car tous mes ancêtres nordistes étaient des combattants.
Vann poussa son cheval pour être à sa hauteur. Le doute et l’inquiétude lui faisaient écarquiller les yeux. Comme par réflexe, il lorgna le sabre qui était accroché à la salle de la jeune reine. Le fourreau de Kan était couvert de gouttelettes.
— Quel rapport ?
— Le rapport, Vann, c’est qu’une reine occidentale qui participe à une bataille, ce n’est pas si étonnant.
— Tu participes déjà ! s’exclama le jeune homme en indiquant le ciel gorgé de pluie et d’éclairs. Deux jours que tu as invoqué cette tempête. Tu as inondé la moitié des provisions des Falcan et réduit grandement leur visibilité. Sans compter que leurs Souffleurs ne peuvent plus utiliser leurs flammes…
— Mmh, grogna Lefkan en s’engageant sur la piste qui menait aux champs de blé ployant sous le vent chargé de gouttes furieuses. Le désavantage, c’est que les Nordistes s’amusent comme des enfants avec toute cette eau.
Soran profita du chemin dégagé qu’ils venaient de rejoindre pour lancer les chevaux au trot. Lef prêta à peine attention aux mottes de terre qu’elle recevait sur ses jambières de cuir. Son cœur battant contre les tempes, elle resserra sa vision sur la silhouette souple de son mentor et cala sa respiration sur le rythme de son cheval. En retour à cette concentration soudaine, le monde s’offrit à elle.
L’air était gorgé d’eau. La pluie, qui tombait dru. Les gouttes en suspension qui formaient des volutes de brumes entre les dunes et les champs. À sa gauche, l’immensité de l’océan masquait presque les réseaux plus subtils des cours d’eau qui irriguaient les cultures.
Loin au-dessus d’elle, les nuages emplis de colère foudroyante. Sous sa tunique de lin renforcée d’une armature en cuir et fer, sa peau se couvrit de frissons. Le vent sifflait entre les pattes de son cheval à présent lancé au galop. Lui brûlait les yeux.
Tout cela lui appartenait. Répondait au sang semi-divin qu’elle avait hérité de ses ancêtres. Ses parents l’avaient nommée d’après les divinités protectrices de leurs contrées respectives. Lefk, Dieu de la Mort. Kan, Divinité Primordiale du Temps. Il était vrai que la jeune reine aux pouvoirs détonants pouvait se jouer de la vie et de la mort. Quant à son règne, il était déjà marqué par des décrets inédits qui ne manqueraient pas de bousculer l’Ouest pour les siècles à venir.
Mais Lefkan était une enfant d’Aion. Une Enfant des Tempêtes.
Un cri sauvage lui brûla la gorge alors qu’elle lâchait les rênes pour tendre les bras au ciel. La chair de poule remonta de ses poignets jusqu’à ses omoplates. L’air s’épaissit, s’alourdit, la pluie se suspendit.
Et le monde éclata sous l’assaut d’une dizaine d’éclairs simultanés.

Lefkan rouvrit les yeux, un goût de fer dans la bouche.
Du sang lui coulait du nez, humidifiait ses lèvres. Elle l’essuya machinalement, observa les alentours. Des nuages d’un gris mauvais tournoyaient encore au-dessus des champs et de la plage, mais ils avaient cessé de cracher pluie et éclairs.
Il fallait dire que Lefkan venait d’en tirer la moindre parcelle d’énergie. Les impacts de foudre formaient des cercles sombres au milieu des galets éclatés et des corps éparpillés. Les gardes royaux – du moins ceux qui n’étaient pas hébétés par la puissance qui venait de se déchaîner sous leurs yeux – repoussaient les derniers assaillants. En se rassemblant pour forcer la ligne occidentale, les mercenaires avaient commis l’erreur de se concentrer au même endroit.
Les éclairs ne pardonnaient pas. Les silhouettes fumantes, défigurées, juchaient la plage et le domaine des Falcan. Entre ses cuisses, Pan renâclait bruyamment, bousculé par la foudre qui avait hurlé à moins d’une centaine de mètres.
— Désolée, lâcha-t-elle d’une voix rendue pâteuse par l’épuisement.
Après avoir flatté sa monture, elle la poussa gentiment en direction de Soran. Son capitaine s’était rapidement remis de ses émotions pour assister ses gardes. Elle le vit glisser de son cheval avec adresse. Moins de deux secondes plus tard, il projetait un écran de flammes vers une mercenaire un poil trop téméraire. Les troupes des Falcan se réduisaient à présent à une poignée d’hommes et de femmes désespérés.
Lefkan arrêta Pan au sommet d’une dune. Le vent sifflait toujours à ses oreilles ; naturel celui-là, et chargé des embruns iodés de l’océan. Cette dernière attaque l’avait vidée. Son ventre se contractait à intervalles réguliers pour lui rappeler le vide qui s’était emparé d’elle. Le sang gouttait toujours de son nez. Elle jugea plus prudent de rester en selle tandis que les gardes royaux repoussaient les derniers assaillants vers le manoir ébranlé des Falcan. Lefkan ne s’était pas gênée pour orienter quelques éclairs sur la demeure. Des tuiles avaient éclaté et laissé la place à des départs de flammes.
Rapidement, elle aperçut des silhouettes vêtues à la mode occidentale jaillir de la maison en feu. Ethel avait donc raison, tous les Nobles ne s’étaient pas rassemblés dans la demeure secondaire des Falcan qu’ils avaient déjà saisi la veille.
Un sourire amer lui tira les lèvres. Pourvu que les Nobles que ses soldats arrêtaient en ce moment même fussent les derniers de la rébellion. Cette bataille l’avait minée. Physiquement. Moralement. C’était une chose d’apprendre à se battre, d’imaginer des plans de bataille.
Patauger dans la boue, abattre des Hommes, en était une autre.

Les prisons de Vasilias suintaient d’humidité et de rats grassouillets en ce début d’automne. Lefkan chassa du pied l’une des vermines en longeant le couloir de pierre brute. Cinq jours s’étaient écoulés depuis la bataille contre les Falcan et leurs troupes de mercenaires. Trois depuis que les Nobles responsables de la rébellion avaient été enfermés derrière les grilles en attendant leur jugement. En accord avec les comtes Loren et Ganton, les Représentants de Vasilias et des terres touchées par la querelle intestine, qui avait ravagé les côtes et les champs au nord de la capitale, avaient été choisis pour prendre part au procès.
Encore une démarche inédite qui ne manquerait sûrement pas de faire jacasser, mais Lefkan voulait faire preuve d’une réelle bonne volonté. Imposer des Représentants à chaque famille Noble était une première étape-clé. Les impliquer dans des circonstances pour lesquelles les habitants n’avaient encore jamais eu voix – dont la justice – marquait un autre tournant.
Comme toujours, Vann suivait son amie de près. Lefkan réprima un sourire narquois quand un rat trop aventureux lui arracha un couinement effrayé. Obnubilé par les vermines qui lui filaient entre les pieds, Vann lui rentra à moitié dedans lorsque Lef s’immobilisa devant une grille.
— Dame Anthea, la salua la reine d’une voix froide.
L’aînée de Falcan dressa une mine épouvantable dans leur direction. Ses cheveux – qui avaient autrefois dus être blonds si on se fiait à ses minces sourcils dorés – tombait en paquets grisâtres autour de son visage sale. Si Lef n’avait pas maltraité ses prisonniers pendant le voyage jusqu’à Vasilias, elle ne leur avait pas accordé de traitement de faveur. Si les Falcan revoyaient un jour une baignoire, ce ne serait sûrement pas sous la juridiction de la reine.
Trianna aurait eu l’âge de cette femme si elle n’était pas décédée. Une Noble qui avait connu trois souverains différents et plus de bouleversements en une vie que ses ancêtres en plusieurs siècles. Lef éprouva une pointe de compassion pour cette femme au regard fier et au port de tête assuré. Ça n’avait pas dû être simple de voir son monde s’effondrer sous l’assaut de changements drastiques, tant politiques que climatiques.
— Reine Lefkan.
L’intéressée s’avança vers la cellule, grimaça face à l’odeur d’urine et de nourriture pourrie qui s’en dégageait. Les cachots de Vasilias n’étaient pas spécialement miteux, mais cela restait des cachots. Un lieu de condamnation, d’asservissement.
— Vous êtes très élégante.
Lefkan lui rendit son sourire. Elle avait troqué depuis longtemps ses jambières et sa chemise pour une robe longue occidentale à la teinte d’un turquoise profond. Si ces changements de tenues avaient de quoi perturber, elle y tenait. Lef s’était toujours targuée d’aimer chevaucher et combattre. Mais elle était aussi la reine. Un symbole de pouvoir, de richesses. Si elle n’appréciait pas l’opulence, elle acceptait la prestance offerte par des vêtements de qualité.
— Je dois vous sembler bien minable, ajouta la femme en époussetant sa jupe dont les différents voiles étaient aussi crasseux que sa peau ridée.
— Ce ne sont pas vos vêtements que je juge, Dame Anthea, mais votre positionnement politique. (Comme la Noble soupirait avec dédain, Lef ajouta sans sourciller : ) La majorité de vos mercenaires a été abattue. L’autre partie a été condamnée. À l’exil dans le meilleur des cas, à l’emprisonnement dans divers cachots de nos villes dans le pire.
Lef fronça les sourcils en prononçant ces mots.
— Non, pas le pire. Le pire, c’est qu’un certain nombre a perdu la vie.
— Par votre faute, ricana la Noble avec un rire incrédule.
— Vraiment ? Vous vous êtes opposée à la garde de votre propre pays. Choisir entre des étrangers qui risquent leur vie pour des conflits qui ne les concernant pas et des soldats occidentaux ne m’a vraiment pas plu.
L’inflexion métallique de la jeune reine assombrit le visage de la Noble.
— Ce n’était jamais qu’un groupe de mercenaires. Je ne comprends pas pourquoi vous devriez vous sentir coupable.
— Ces gens venaient de Terres avec lesquelles nous avons établi des relations diplomatiques. Et je ne me sens absolument pas diplomate en renvoyant des corps à des familles en deuil.
Dame Anthea plissa les yeux en soupirant de nouveau. Elle agita la main comme pour chasser un insecte embêtant.
— Pactiser avec les sauvages du Nord, les fourbes du Sud et les fanatiques de l’Est n’est que l’un des projets insensés que votre mère et vous avez échafaudés. Je n’en attendais pas moins d’une femme qui partage la couche d’une brute nordiste et lui fait un enfant.
Comme Lefkan ne répondait pas, la Noble finit par daigner la regarder. Le sourire de pitié qui habitait le visage serein de la jeune reine lui tira une moue crispée.
— Qu’est-ce qui vous fait sourire ainsi ?
— Vous n’avez jamais été une réelle menace, Anthea. (Les traits de la vieille femme s’enfoncèrent face au retrait brutal de son titre.) Les gens comme vous me font un peu de peine. Vous gesticulez vainement dans l’espoir qu’on vous suive. Votre temps est dépassé, Anthea. Cessez de vous battre pour un pays qui ne pense déjà plus à vous, je vous prie.
— Vous êtes une sotte, cracha la femme en se dressant malgré des jambes vacillantes. Aussi sotte que votre idéaliste de mère et aussi peu raffinée que votre brute de père.
— Mes parents ont sauvé ce continent, répliqua Lefkan avec une assurance tranquille. Ce n’est sûrement pas leur conscience qui est troublée en ce moment.
D’ailleurs, ses parents devaient s’enivrer de vin de datte et de pâtisseries au miel en ce moment-même. L’ancienne reine et son compagnon avaient fait parvenir à leur fille des missives en apprenant la révolte qui naissait dans certaines parties de l’Ouest. En retraite temporaire dans le Sud, ils s’étaient dit prêts à rassembleur leurs effets et à rejoindre Lefkan pour l’assister. La jeune reine s’était montrée ferme dans ses réponses : ses parents méritaient bien leur séjour à la cour impériale de Lissa, où l’on fêtait l’accès au trône de l’héritière de Dastan, une cousine au second degré. Les festivités animaient la vie de ses parents et le climat doux du Sud était un calmant naturel pour les poumons fragilisés de sa mère.
— La fracture entre les Terres d’Oneiris, reprit Lef en glissant les doigts autour des barreaux de bois solide – utiliser du métal était trop dangereux avec des Élémentalistes maniant les éclairs – est née des tensions entre les peuples. De figures d’autorité qui ont estimé avoir le droit de soumettre les autres à leur ambition. Le Grand Désastre en a découlé. Mes parents ont réparé les erreurs de nos ancêtres.
— Je ne vois pas le rapport, siffla l’ancienne Noble en la foudroyant de ses yeux vifs malgré la vieillesse.
— Je voulais simplement vous contredire, répliqua Lef avec un sourire insolent. Mes parents sont peut-être des idéalistes, mais la réunion de nos Divinités Primordiales est de leur fait.
Perplexe, et incapable de contredire ces faits, Anthea Falcan secoua doucement la tête.
— Idéaliste, c’est bel et bien le mot. Vous n’obtiendrez jamais rien de bon à croire en des fermiers. Votre système de Représentants est d’une absurdité navrante. Ne confiez pas de telles responsabilités à des personnes qui n’en ont pas les compétences.
— Les fermiers sont des gens pragmatiques. Ils savent gérer des terres, des troupeaux, des semis. Ils évaluent leurs besoins d’une saison à une autre, rationnent ou redonnent au gré des intempéries. Les Occidentaux ont toujours été pragmatiques. Parfois un peu rigides. Un reproche que les autres Terres nous ont souvent fait, mais qui me semble aujourd’hui bien utile.
Lefkan lâcha les barreaux en croisant les bras avec une moue songeuse.
— Les Représentants ne sont pas que des fermiers, Anthea. Ce sont des commerçants, avec la maîtrise des comptes. Des parents avec le sens de la diplomatie et l’esprit de communauté. Des esprits vifs, brillants, qui inventent, proposent, essaient. (Lef remarqua du coin de l’œil que Vann lui faisait signe d’en finir.) Tout ce que vous n’êtes pas. Tout ce que la vieille noblesse n’est pas. Anthea, vous vous êtes enfoncée dans la certitude absolue que tout vous revenait. Laissez-donc à notre peuple le soin d’être compétent pour lui-même.
D’une inclinaison légère du menton, Lefkan salua l’ancienne Noble et suivit son ami le long du couloir. Cette discussion l’avait libérée d’un poids de remords et d’incertitude. Sa prochaine rencontre avec les Falcan aurait lieu au jugement. Elle serait alors rassurée par la satisfaction d’avoir poussé de côté les vieilles racines qui barraient le chemin aux nouvelles pousses qui voulaient explorer la surface.
Au bout du couloir, Vann la précéda dans les escaliers qui donnaient sur la porte renforcée de barres de métal et qui servait d’entrée aux cachots.
— Excuse-moi d’avoir coupé court à ta discussion, souffla-t-il en lui tenant le battant. Un valet est venu me trouver pour te prévenir qu’Ezra était arrivé.
— Oh.
Vann lui adressa une mimique complice alors qu’ils quittaient l’humidité et le renfermé pour retrouver l’air frais des ruelles pavées de Vasilias. Un enfant manqua trébucher sur les pieds de Lefkan en poursuivant une petite roue en bois. Sans avoir remarqué la tenue soignée de l’intéressée, il bredouilla des excuses et partit à la suite de son jouet.
Trois gardes royaux – l’escorte minimum que Soran imposait à la jeune reine à chaque sortie officielle – patientaient en compagnie de deux montures supplémentaires. Lefkan caressa l’encolure de Pan avant de glisser pied à l’étrier. Elle portait sous sa robe des chausses en coton pour préserver son intimité lors de l’équitation.
Ils se mirent en route pour le manoir des Loren. Ethel, Renn et Simeon les y attendaient. Sur le chemin, quelques plaisanteries des trois gardes royaux – qui appartenaient au même escadron – détendirent les membres raides de Lefkan. Le regard plein de conviction d’Anthea lui brouillait l’esprit. Lef croyait solidement au projet des Représentants. Elle envisageait mal une autre solution pour faire prospérer l’Ouest sans tomber dans une forme d’enchaînement du peuple. Pour autant, elle risquait aussi de connaître des révoltes de de côté-là. Tous les habitants n’aimaient pas forcément partager le pouvoir avec des familles qui s’étaient imposées à eux pendant des générations. Et Lefkan craignait que le pouvoir des Éléments, ce qui séparait fondamentalement les Nobles des roturiers, provoquât des massacres.
L’image des corps des mercenaires, désarticulés par les éclairs qui s’étaient abattus droit sur eux, s’imprima sur ses rétines. Lef plissa les paupières, se concentra sur les mouvements de Pan entre ses jambes pour oublier les frissons d’ivresse sur ses bras quand la foudre répondait à son appel. Tendit l’oreille vers les rires des soldats pour remplacer les cris et la souffrance. Malgré l’air idiot que cela lui donna sûrement, Lefkan ouvrit grand la bouche. Aspira fébrilement l’air humide, annonciateur de l’automne, pour goûter autre chose que les souvenirs de l’ozone et du sang.
Les massacres arrivaient vite, elle le savait très bien. Avait été à l’origine de l’un d’eux.
— Lefkan.
La voix soucieuse de Vann précéda sa main sur son épaule. Dépitée, Lef cessa d’avaler l’air et de plisser les paupières. Trop tard pour les regrets. Elle avait agi en conscience de cause. En assumerait les conséquences face aux familles étrangères qui viendraient rugir leur chagrin pour la perte de leur enfant, de leur parent ou de leur fratrie. Tous ces mercenaires, toutes ces vies sacrifiées, Lef se promit de s’en rappeler jusqu’à son lit de mort.
— Il n’y avait pas d’autre choix, souffla Vann en se penchant vers elle alors que le manoir des Loren apparaissait sur leur droite. La plupart des gardes royaux ne sont pas Élémentalistes. Ils étaient en train de perdre. Notre armée ou des…
— Étrangers ? le coupa sèchement Lefkan en plantant un regard tranchant dans celui de son ami. Nous sommes nous-mêmes étrangers au peuple occidental, Vann. Tu es Oriento-Sudiste. Je suis Occidento-Nordiste. N’oublions pas trop rapidement nos origines.
— Pardon. Ce n’est pas ce que je voulais dire. Pas dans ce sens.
— Dans le sens où nous ne les connaissons pas ? Sincèrement, Vann, nos soldats se battent par conviction et parce qu’ils pensent avoir un foyer. Ces gens n’avaient ni foyer, ni conviction. Pas au moment de leur mort, en tout cas.
Son compagnon préféra se taire, le visage assombri par ces paroles amères.
— Merci, souffla Lef après coup en serrant le bras de son ami. Je sais que c’était pour m’aider. Mais je crois qu’il n’y a qu’avec moi-même que je dois des comptes.
Vann la dévisagea en silence avant de hocher la tête. C’était une vérité qu’il pouvait facilement accepter.
À quelques mètres du portail en fer forgé des Loren, ils mirent pied à terre. Lefkan observa brièvement les fleurs sculptées sur les battants avant de les franchir d’un pas sûr. Dans son dos, elle entendit Vann confier leurs montures aux soldats avant de lui emboîter le pas. Les gravillons clairs qui traçaient le chemin jusqu’au perron du manoir crissèrent sous leurs pas.
Avant de pénétrer à l’intérieur, la jeune reine se tourna subitement vers son ami. Elle parla d’une traite, de peur d’être coupée par la honte ou une fierté mal placée :
— Vann, même si je réagis de temps en temps avec sécheresse à tes remarques ou tes propositions, n’arrête pas, je t’en prie. Mon statut et mes pouvoirs me donnent parfois l’impression d’avoir la mainmise sur tout. Je ne veux pas devenir le genre de souverain qui a mené au Grand Désastre.
Hébété, Vann mit du temps à réagir. Suffisamment pour que Lef sentit ses joues la brûler. Avant qu’elle pût se jeter sur la porte pour se sortir de cette passe embarrassante, Vann lui agrippa les poignets.
— Promis, Lef. Je te cramerai les sourcils autant de fois que nécessaire.
L’intéressée émit un rire décontenancé face à la menace puis sourit. C’était un rappel doux-amer de leur enfance et il lui convenait parfaitement. Ils se lâchèrent avant d’entrer dans la demeure des Loren, où des valets vinrent les débarrasser de leurs vestes et affaires.
— Où se trouve le Représentant Ezra ? lança-t-elle à une domestique qui traversait la coursive en haut des escaliers.
La jeune femme ralentit avant de s’incliner promptement en reconnaissant sa souveraine.
— Il n’a pas encore quitté sa chambre, Reine Lefkan. Il loge dans la troisième chambre de l’aile droite.
— Je vous remercie.
La domestique sourit et se courba de nouveau avant de reprendre la tâche qu’elle avait mis de côté pour lui répondre. Lef effleura le poignet de son ami avant de se diriger vers les escaliers.
— Préviens Renn et Simeon que je suis passée voir Ezra. Je vous rejoins dès que possible.
— Bien entendu. (Vann lui adressa un clin d’œil.) Prends tout ton temps, Lef. Tu l’as mérité.
La jeune reine l’ignora, mais prit soin de l’embêter avec un courant d’air tout en grimpant les escaliers. Une fois sur la coursive, elle emprunta le couloir de droite et le remonta jusqu’à la troisième porte. Après avoir toqué sobrement, Lefkan poussa le battant et referma aussitôt.
Elle ne fut pas surprise de trouver le Représentant penché sur un la branche cassée d’un arc. Courbé sur un bureau placé près de la fenêtre, il attendit d’avoir terminé d’étaler sa colle à bois – une solution qu’il achetait aux Orientaux – pour se tourner vers elle.
— Bonjour, Lef.
— Bonjour.
Elle traversa la chambre en lorgnant les draps défaits malgré l’après-midi avancée, la tasse thé qui refroidissait et le pot de graisse dont le couvercle avait disparu. Les mains d’Ezra luisaient de la colle qu’il venait d’appliquer sur l’arme abîmée. Avant qu’il pût la toucher, Lefkan agita le poignet. Les doigts du Représentant se couvrirent d’une pellicule d’eau qui résorba le gras de la colle.
Ezra ricana avant de tendre ses mains vers la lumière qui tombait de la fenêtre.
— Parfois, je dois reconnaître que je suis un peu jaloux de ça.
— Ah oui ?
Lef s’était penchée à son tour au-dessus du bureau. Des bouts de cuir côtoyaient ses pinces à métal et ses bobines de fil. Ezra était incapable de se rendre quelque part sans emmener quelques travaux simples. Son armurerie devait tourner, même quand il s’absentait.
— Alors, cette Anthea Falcan ?
— Un rapace. Vive, dangereuse et vorace. Elle nous aurait dévoré tout crus, la couronne et moi, si elle avait pu.
Ezra se leva pour étirer ses cervicales. Les mains sur les hanches, il considéra la jeune reine et sourit d’un air provocateur.
— Rien de vraiment menaçant pour une louve, n’est-ce pas ?
Lef lui rendit son regard, inspecta les bottes abandonnées aux pieds du lit.
— Quoi qu’il en soit, le faucon a perdu ses ailes. J’ai hâte d’être au jugement.
— Moi aussi. Il est temps que nous montrions de quoi nous sommes capables.
En qualité du Représentant des faubourgs du Château, Ezra n’aurait pas dû se trouver là. Mais il détenait un rôle particulier : il avait été élu parmi les Représentants pour faire partie des dix Hommes et Femmes qui intervenaient pour ce genre d’affaires à l’échelle nationale.
Comme Lefkan acquiesçait vaguement sans quitter des yeux le fouillis d’affaires qu’avait laissé Ezra derrière lui, le Représentant s’approcha. Une fois à quelques centimètres de son visage, Lef daigna le regarder.
— Tu vas m’électriser si je t’embrasse ?
— Non, pourquoi je ferais ça ?
— Parce que c’est exactement ce que tu as fait les trois dernières fois.
Lefkan haussa les épaules d’un air indifférent.
— Je t’ai déjà dit de ne pas le faire quand je me réveille. Ça me surprend et je réagis instinctivement.
Un fil d’air les séparait. Ezra glissa une main sur sa joue.
— Tu es bien réveillée, là ?
Lefkan lui rendit un sourire mordant. La louve en elle était heureuse de retrouver sa meute après la bataille de territoires et d’autorité. Ni Hommes ni loups n’étaient faits pour se battre indéfiniment.
Le cœur fourmillant d’électricité, Lef s’empara de la nuque d’Ezra pour l’approcher d’elle. Rien n’avait été officialisé à propos de leur relation. Et Lefkan s’en moquait, pour l’instant. Elle avait fini par l’accepter dans sa meute et c’était le plus important.
Elle serra son front contre le sien. Ses cheveux courts la chatouillèrent. Les cals de ses doigts ripaient sur sa joue. Ezra retenait son souffle en attente de sa réponse.
— Je suis réveillée.
TcmA

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par TcmA »

Heyoooo~

Je peux enfin lire tout ça à tête reposée ❤️ et mettre des emojis ✨

Bravooooo pour avoir terminé cette novella, qui était vraiment chouette ! Ca fait plaisir d'avoir pu suivre Al² un peu plus longtemps et d'avoir découvert Lef et tous les autres.

Ces trois derniers chapitres (7, 8 et Epilogue) étaient bien sympas ! La petite louve du début a bien grandit, elle est puissante, ça fait plaisir à lire. L'idée des Représentants est vraiment cool, mais c'est sûr que ça va être difficile à mettre en place (surtout s'il y a des vieux cons réacs comme cette chère Anthea).
Et puis purée, nos Al² ont mérité leurs retraites. (J'ai bien aimé le petit détail "l’habituelle tempête des yeux gris de son père virait à l’accalmie" ❤️) Et leurs marques d'affection, je fons (front contre front).

Je sentais venir le p'tit truc avec Ezra, mais c'est bien amené ! Les derniers mots sont ❤️

Bravo encore, je suis vraiment contente que tu aies réussi à terminer ce beau projet qu'était Oneiris ! Tu peux être fière de ce que tu as fait, et c'était un plaisir de te suivre pendant tout ça ! Maintenant, ça te libèrera du temps (bientôt j'espère) et de l'inspiration pour tes autres projets !

La bise~
louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

TcmA a écrit : lun. 04 juil., 2022 12:33 pm Heyoooo~

Je peux enfin lire tout ça à tête reposée ❤️ et mettre des emojis ✨

Bravooooo pour avoir terminé cette novella, qui était vraiment chouette ! Ca fait plaisir d'avoir pu suivre Al² un peu plus longtemps et d'avoir découvert Lef et tous les autres.

Ces trois derniers chapitres (7, 8 et Epilogue) étaient bien sympas ! La petite louve du début a bien grandit, elle est puissante, ça fait plaisir à lire. L'idée des Représentants est vraiment cool, mais c'est sûr que ça va être difficile à mettre en place (surtout s'il y a des vieux cons réacs comme cette chère Anthea).
Et puis purée, nos Al² ont mérité leurs retraites. (J'ai bien aimé le petit détail "l’habituelle tempête des yeux gris de son père virait à l’accalmie" ❤️) Et leurs marques d'affection, je fons (front contre front).

Je sentais venir le p'tit truc avec Ezra, mais c'est bien amené ! Les derniers mots sont ❤️

Bravo encore, je suis vraiment contente que tu aies réussi à terminer ce beau projet qu'était Oneiris ! Tu peux être fière de ce que tu as fait, et c'était un plaisir de te suivre pendant tout ça ! Maintenant, ça te libèrera du temps (bientôt j'espère) et de l'inspiration pour tes autres projets !

La bise~
Heyooo

Ouiii merci beaucoup pour ton com ♥ Et yes les emoji 🤤

Lef était censée rester petite, mais elle a clairement dit "non" et j'ai juste dit "ok' 😭 Mais c'était très plaisant de pouvoir raconter un peu plus l'histoire des personnages de la duologie et en présenter d'autres.
Ils ont complètement mérité leur retraite :lol: C'était sympa de les écrire plus mûrs et moins dans la fougue de la jeunesse

Merci encore à toi d'avoir suivi jusqu'ici ♥ Et oui, j'espère revenir plus tard avec mon autre projet de high fantasy qui est encore en prépa aled

Bisous
TcmA

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par TcmA »

louji a écrit : mer. 06 juil., 2022 6:18 pm Heyooo

Ouiii merci beaucoup pour ton com ♥ Et yes les emoji 🤤

Lef était censée rester petite, mais elle a clairement dit "non" et j'ai juste dit "ok' 😭 Mais c'était très plaisant de pouvoir raconter un peu plus l'histoire des personnages de la duologie et en présenter d'autres.
Ils ont complètement mérité leur retraite :lol: C'était sympa de les écrire plus mûrs et moins dans la fougue de la jeunesse

Merci encore à toi d'avoir suivi jusqu'ici ♥ Et oui, j'espère revenir plus tard avec mon autre projet de high fantasy qui est encore en prépa aled

Bisous

Yéyo~

MDRRR ben tu vois, ça m'étonne pas d'elle ! C'est sûr, ça fait plaisir ! Et le plaisir est partagé avec tes lecteurs
Tellement, bichettes, il s'en prennent plein la poire depuis X années, stop.

Yaaaas pas de souci ! Prends ton temps, pas besoin de rush les choses, ni de trop y réfléchir dans le but de faire quelque chose de parfait ! Tout évolue en son temps

La bise~
danielpages

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par danielpages »

Coucou !
Ouais j'ai honte, mais je n'y arrive plus. Je passe de temps en temps, cinq minutes, puis je file faire autre chose. Trop à lire, d'autant plus qu'il faudrait reprendre assez loin pour me souvenir de ce qu'il s'est passé avant, du temps où je suivais au jour le jour...
J'ai un peu laissé tomber BN. Me restait l'histoire de la petite Lana, mais elle a arrêté, pour en écrire une autre et puis on s'est vus
deux fois cet été et on a discuté longuement et on communique autrement. Vincent est en panne... ;) Et quand je parcours les sujets du forum, je ne trouve rien qui débute et qui m'accroche... à suivre !! :lol:

Donc... Si un jour t'as envie que je le lise en entier ou/et que je le repasse un coup, tu m'enverras le texte.
Sinon, j'espère que tu vas bien et que tu fais des choses sympa... On ne te voit plus sur FB ni Insta, et tu me manques un peu quand même !! :roll: Gros bisous.
louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

danielpages a écrit : mar. 25 oct., 2022 4:40 pm Coucou !
Ouais j'ai honte, mais je n'y arrive plus. Je passe de temps en temps, cinq minutes, puis je file faire autre chose. Trop à lire, d'autant plus qu'il faudrait reprendre assez loin pour me souvenir de ce qu'il s'est passé avant, du temps où je suivais au jour le jour...
J'ai un peu laissé tomber BN. Me restait l'histoire de la petite Lana, mais elle a arrêté, pour en écrire une autre et puis on s'est vus
deux fois cet été et on a discuté longuement et on communique autrement. Vincent est en panne... ;) Et quand je parcours les sujets du forum, je ne trouve rien qui débute et qui m'accroche... à suivre !! :lol:

Donc... Si un jour t'as envie que je le lise en entier ou/et que je le repasse un coup, tu m'enverras le texte.
Sinon, j'espère que tu vas bien et que tu fais des choses sympa... On ne te voit plus sur FB ni Insta, et tu me manques un peu quand même !! :roll: Gros bisous.
Coucouuu Danouu

Oula mais ne t'excuse pas ! On a tous laissé tomber des trucs à un moment donné :) Et pour le forum, il n'y a plus du tout la même fréquentation ou la même vie qu'avant. C'est beaucoup moins motivant, alors je te comprends. Je suis moi-même plus trop active par ici (on va essayer de faire changer ça).

Encore une fois, ce que je publie ici c'est vraiment de l'écriture fun et pas prise de tête. Donc, pas envie de t'embêter à te demander une lecture assidue pour des histoires que j'écris surtout pour le plaisir et pas dans un but éditorial ou autre ;)

Pour les trucs sympa, oui ! J'ai fini mes études cet été et j'ai été embauchée dans la boîte où j'ai fait mon stage de master donc direct dans la vie "d'adulte" :P
Concernant les RS, je te suis sur Insta et FB et like tes publications, mais je poste rien sur ces comptes :)

En tout cas, au plaisir d'échanger avec toi !
Bisous
louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

Bonjouuur !

Je pensais l'avoir fait, mais pas du tout... J'avais un petit quelque chose à partager ici à propos d'Oneiris :D

Il y a quelques semaines, j'ai fait illustrer les Al² par une illustratice (que vous pouvez retrouver ici sur Instagram), car j'ai trouvé que son style collait bien à des persos de fantasy et que je rêvais de voir mes personnages en dessins depuis des années !

Sur ce, je vous laisse avec les illustrations d'Alice et Achalmy et ça fait toujours quelque chose de voir ses persos prendre vie ♥

Note : j'ai décrit les Al² comme ils sont au début du T1, après leur fuite de Vasilias.



Alice :
AB7D56D7-E9C1-47F6-B46E-D46489E29412.png
AB7D56D7-E9C1-47F6-B46E-D46489E29412.png (344.04 Kio) Consulté 503 fois


Achalmy :
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6A98F059-FA2E-4963-AB60-3C95995A8920.png (757.84 Kio) Consulté 503 fois


Les 2 ensemble :
0CB9D489-BFC6-4C47-B985-DF2A262474CA.jpeg
0CB9D489-BFC6-4C47-B985-DF2A262474CA.jpeg (186.97 Kio) Consulté 503 fois
danielpages

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par danielpages »

Superbes dessins ! Bravo Coline !
Je ne t'oublie pas ! 8-)
Et on pourra acheter le livre un de ces jours ? :lol:
Des gros bisous
louji

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Re: Oneiris - Duologie + Novella [Heroic fantasy]

Message par louji »

danielpages a écrit : mar. 20 juin, 2023 11:30 am Superbes dessins ! Bravo Coline !
Je ne t'oublie pas ! 8-)
Et on pourra acheter le livre un de ces jours ? :lol:
Des gros bisous
Hello Danou !

J'y suis pour rien dans les dessins, mais je les trouve géniaux aussi :lol:

Non, Oneiris ça reste mon bac-à-sable de fantasy, il a jamais été destinée à l'édition pour moi :D

Bisous
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